Introduction
p. 7-9
Texte intégral
1En cette aube du XXIe siècle, la thématique familiale représente l’une de ces problématiques sociologiques au cœur des interrogations des sociétés contemporaines occidentales. Le modèle familial qui s’y était imposé au cours des derniers siècles s’y trouve maintenant remis en cause par les bouleversements très profonds qui les affectent. Contestation de l’autorité paternelle ou plus largement parentale, nouvelles relations au sein du couple, montée spectaculaire du nombre des divorces synonymes de recompositions familiales, pratique banalisée du concubinage pré-matrimonial, multiplication des familles monoparentales, introduction de nouvelles règles dans la transmission des patronymes ou enfin revendication du mariage homosexuel et de l’homoparentalité sont quelques-unes des manifestations actuelles de la remise en cause d’un modèle familial qui s’était imposé en Occident à la fin du Moyen-Age. Si les éternels nostalgiques d’un âge d’or sociologique n’hésitaient pas à dénoncer, déjà au XIXe siècle à l’image d’un Frédéric Le Play, la « crise de la famille », les sociologues contemporains préfèrent évoquer au contraire la vitalité, la force et la plasticité d’un lien à même de s’adapter aux nouvelles réalités et aux nouvelles contraintes des sociétés postindustrielles. De fait, la législation sur laquelle s’adosse cette structure familiale a dû être régulièrement mise à jour afin de prendre en compte ces diverses et profondes mutations. En France en particulier, où la législation familiale trouvait l’essentiel de ses fondements dans un code Napoléon inchangé, les lois se sont multipliées ces dernières années afin d’intégrer ces bouleversements venus de la pratique sociale. Dans le même temps, au sein des familles elles-mêmes, les nouvelles relations qui s’y font jour débouchent sur l’invention de nouveaux termes à même de qualifier des liens que le vocabulaire traditionnel ne nommait pas faute de les prendre en compte. Cette adaptabilité de la structure et des relations familiales incite alors à dépasser le sentiment ou l’impression de « crise » de la famille – évidente si l’on réfléchit uniquement en termes de comparaison avec un modèle initial très largement mis à mal aujourd’hui – pour se pencher plutôt sur la permanence de la place et même d’un pouvoir de la famille dans les sociétés occidentales.
2Un tel constat de l’actualité du thème familial ne pouvait qu’inciter les historiens à s’en saisir afin de replacer les observations du présent dans une perspective diachronique. Tel a bien été le point de départ de l’orientation de recherche développée au sein de l’équipe « Familles » de l’UMR 5136 du CNRS-FRAMESPA à l’origine de laquelle s’est trouvé, au milieu des années 1990, Jean-Pierre Amalric. Un premier séminaire international, tenu à Carcassonne en 1996, avait permis de mesurer tout à la fois la richesse de la thématique, son rôle fédérateur pour les modernistes du laboratoire et l’intérêt de la démarche comparatiste franco-espagnole. Forts de ces acquis, nous avons choisi d’approfondir la réflexion en préservant l’esprit initial tout en intégrant à notre démarche et à notre réflexion de nouvelles orientations dont la manifestation scientifique de l’automne 2000 a été un premier aboutissement. Avec l’aide du conseil scientifique responsable de ce colloque, en nous appuyant sur l’essentiel des membres de l’équipe « Familles » du laboratoire – tant les chercheurs que les doctorants qui ont accepté d’y participer – et grâce à la collaboration précieuse du CPRS de l’Université de Toulouse-le Mirail, nous avons organisé un colloque international qui a réuni en trois jours plus de soixante-dix intervenants.
3Dans le déroulement même de la manifestation, une place importante a été accordée à la transdisciplinarité, les historiens voisinant avec des juristes, des sociologues ou des anthropologues. Dans le même temps, nous avons choisi d’intégrer à nos réflexions des problématiques ou des démarches qui prenaient en compte les orientations les plus récentes de la recherche en histoire sociale. Les problématiques abordées l’ont été non pas seulement en termes de structures familiales ou de normes juridiques mais aussi de pratiques et de dynamiques affectant la cellule familiale. Enfin, le choix de la longue durée s’est imposé comme une nécessité incontournable, tant l’objet d’étude qu’est la famille constitue tout à la fois une constante pour les sociétés concernées mais aussi une réalité changeante capable de s’adapter aux contextes les plus divers.
4Les textes ici réunis proviennent des interventions présentées dans ce cadre. Le délai relativement long entre la tenue du colloque et sa publication est bien sûr dû à la difficulté de réunir des textes nombreux rédigés en diverses langues. Cependant, cette contrainte n’a rien en soi de bien exceptionnel : c’est le lot commun auquel se heurte tout organisateur de réunion internationale de taille respectable. A ces difficultés coutumières sont venus s’ajouter des impondérables qui ont failli annihiler le projet éditorial. L’explosion de l’usine AZF à Toulouse en septembre 2001, en désorganisant le travail du laboratoire qui avait parrainé la manifestation et assumait la publication de ses actes, a eu sa part de responsabilités dans les retards accumulés. Surtout, le vol de l’ordinateur sur lequel était stocké le manuscrit prêt pour l’édition en juillet 2003 a failli être fatal à son achèvement. Dans la reprise du manuscrit pour l’amener à son terme, le dynamisme et l’enthousiasme d’Elisabeth Balancy ont été décisifs : en acceptant de nous aider à reprendre les textes initiaux, elle nous a insufflé le courage qui nous avait abandonné… La mise au point définitive des textes a bénéficié de l’aide généreuse des membres de l’équipe « Familles » de FRAMESPA – Jean-Pierre Amalric, Elisabeth Balancy, Francis Brumont, Christine Dousset-Seiden, Thomas Glesenner, Claire Judde de la Rivière, Sylvie Mouysset, Natividad Planas, Jean-Philippe Priotti et Michel Taillefer – ainsi que de celle de Monique Pech. Que tous trouvent ici l’expression de notre sincère reconnaissance.
5La structure de l’ouvrage ne pouvait se calquer sur celle du colloque organisé autour de cinq tables simultanées. Nous avons choisi un regroupement, souvent arbitraire au regard de la richesse des textes, autour de trois grands thèmes qui reflètent l’esprit dans lequel le colloque avait été organisé. Une première partie regroupe des textes abordant d’abord l’histoire de la famille en termes institutionnels ou dans ses rapports avec des institutions. Aux côtés des contributions des juristes, se retrouvent les textes qui abordent la thématique familiale à travers le prisme de la participation de ces familles ou lignages à des institutions, qu’elles soient politiques, économiques ou militaires. La seconde partie de l’ouvrage regroupe les textes autour de la thématique de la parenté, qu’il s’agisse de liens généalogiques ou spirituels. Dans ces diverses contributions, la famille fonctionne d’abord et surtout comme un réseau à travers lequel circule tout un ensemble de relations qui structurent la solidarité et sont constitutives d’une identité, familiale ou lignagère. Enfin, la dernière partie de l’ouvrage renvoie à une question essentielle dans l’approche familiale, à savoir la question des patrimoines, de leur préservation et de leur transmission. Les propriétés dont il est ici question concernent bien sûr l’aspect matériel de ces dévolutions, tant les passages de relais d’une génération à l’autre au sein d’une famille est toujours une étape délicate et souvent douloureuse. Mais les patrimoines dont il est aussi question concernent des aspects plus immatériels, notamment à travers la constitution d’un capital culturel, relationnel ou symbolique.
6Sans prétendre à une quelconque exhaustivité, l’ensemble des contributions retenues pour la publication des actes du colloque offre un aperçu somme toute très large des débats et des échanges qui s’y déroulèrent. Laissons maintenant le lecteur les découvrir et se les approprier : à lui de juger de l’intérêt scientifique et de l’apport de cette manifestation toulousaine à un débat scientifique souvent polémique et sur un sujet d’une actualité brûlante dans nos sociétés occidentales contemporaines.
Auteur
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