Le bon historien sait faire parler les silences
|I. Femmes en « Mâle modernité »
L’histoire des femmes de pasteurs en France au XVIIe siècle et ses difficultés méthodologiques. L’exemple des épouses de Paul Ferry1
Texte intégral
- 1 Ce sujet m’est inhabituel et je remercie ceux qui m’ont aidé, encouragé et conseillé, notamment San (...)
- 2 Voir, entre autres travaux, Wanegffelen (T.), « Le protestantisme en France aux XVIe-XVIIe siècles. (...)
- 3 Par exemple, Wanegffelen (T.), Catherine de Médicis : le pouvoir au féminin, Paris, Payot, 2005 et (...)
- 4 La bibliographie sur ce thème est plus qu’abondante. Citons entre autres : Zemon Davis (N.), « City (...)
- 5 Quelques généralités très intéressantes, bien qu’anciennes, dans de Félice (P.), Les protestants d’ (...)
- 6 Clio. Histoire, femmes et sociétés, 2 (1995), « Femmes et religions », et 15 (2002), « Chrétiennes (...)
1Au croisement de deux des sujets qui intéressaient Thierry Wanegffelen, la formation d’un corps pastoral réformé d’une part2, et l’histoire des femmes de l’autre3, l’étude des femmes de pasteurs français à l’époque moderne est encore méconnue. Si l’histoire des relations entre les femmes et la Réforme constitue un champ de recherche bien exploré4, la figure particulière de l’épouse du ministre reste dans l’ombre5. Il est ainsi révélateur que les deux numéros spéciaux d’une revue spécialisée dans l’histoire des femmes consacrés à la religion ne fassent pas mention d’elles6. Elles sont pourtant des personnages ayant eu un rôle important, bien que difficile à définir, dans leurs Églises.
2Une des conséquences sociales et religieuses du luthéranisme et du calvinisme fut de créer un nouveau corps clérical, radicalement différent de celui des catholiques. Par leur nature tout d’abord, car ce ne sont plus des médiateurs entre Dieu et les fidèles ni les membres d’une classe sacerdotale dont la fonction est de procéder à un sacrifice ; mais également par la place occupée dans la société. Très tôt dans l’histoire de la Réforme, le mariage des pasteurs constitue un élément majeur et symbolique de cette transformation. Après le bouillonnement des années fondatrices, durant lesquelles des femmes sont allées sporadiquement jusqu’à prendre la parole, on peut observer un plus grand effacement dans la France de l’édit de Nantes (1598-1685). C’est aussi pour cette époque que nos sources se font rares : les femmes exceptionnelles ayant soutenu les débuts de la Réforme ont laissé plus de traces que celles partageant la vie des pasteurs du XVIIe siècle.
3Même en l’absence de témoignages suffisamment nombreux sur cette question, on devine que le choix d’une épouse est d’une importance cruciale pour un pasteur. Le ministre doit proposer un modèle de vie chrétienne aux membres du troupeau qui lui est confié. Dans ces conditions, sa vie de couple doit être, elle aussi, exemplaire. Hormis le cas particulier et problématique de la subsistance des veuves de pasteurs, la Discipline des Églises réformées de France n’évoque ces épouses que dans un seul article du très long chapitre consacré aux ministres :
- 7 Chapitre 1, article 20. C’est un article qui date de 1565 (synode national de Paris). L’édition uti (...)
Les Ministres exhorteront leurs peuples à garder modestie és accoustremens, eux mesmes en cet endroit & tous autres se donnans en bon exemple, s’abstenans de toute braveté en leurs habits, de leurs femmes, et de leurs enfants7.
- 8 Ibid., p. 88.
4Les autorités ecclésiastiques réformées françaises perçoivent avant tout le risque que peut constituer une femme « à scandale » aux côtés du pasteur qui doit être exemplaire : la vision de la femme tentatrice et prête à toutes les frivolités doit être encore largement prégnante dans un monde réformé où la soumission de la femme à son mari n’est en aucun cas abandonnée. Dans son édition de la Discipline, Isaac d’Huisseau avance que « l’ordre que les Synodes veulent que les Ministres observent dans leurs familles pour l’édification publique depend en bonne partie des femmes qu’ils épousent »8.
5Il faut donc que la femme de pasteur ait intégré les principes moraux de la Réforme. Les synodes nationaux, tenus régulièrement de 1559 à 1659, rappellent parfois les pasteurs à certaines obligations. Ainsi, l’assemblée tenue à Lyon en 1563 condamne les mariages qui pourraient créer du scandale :
- 9 Article 12 des observations du synode national de Lyon (1563) sur la Discipline. Aymon (J.) éd., To (...)
Lorsque les Ministres scandaliseront le monde en épousant des femmes qui font honte à leur Ministère : les Frères du Synode sont tous d’avis que les Consistoires procéderont contre les Délinquans, d’une maniére qui puisse prévenir tous les scandales dans la suite9.
6Ces prescriptions sont toujours en vigueur au temps de l’édit de Nantes.
- 10 Malgré les nombreuses études qui lui ont été consacrées, il n’existe pas de référence d’ensemble su (...)
- 11 Voir Tribout de Morembert (H.), « Les mariages du pasteur Paul Ferry », Les Cahiers Lorrains, 1980, (...)
7On peut donc légitimement se demander qui étaient ces femmes, de quel milieu elles venaient et comment elles se comportaient, en public et en privé. Comment intégraient-elles le modèle de compagne idéale et exemplaire réclamé par les autorités ecclésiastiques, du synode national au consistoire ? Il est très difficile de prétendre rédiger une synthèse générale : aussi me concentrerai-je sur un cas particulier, comme une contribution à l’histoire des femmes de pasteurs et comme un exemple des difficultés à écrire celle-ci. Je présenterai la figure des deux épouses successives du pasteur messin Paul Ferry (1591-1669)10 : Esther de Vigneulles (1590-1636) et Suzanne Lespingal (1606-1662)11, en m’appuyant sur des sources relativement diverses.
- 12 Archives Départementales (désormais AD) de la Moselle, 9F 12. Copie à usage familial. Les testament (...)
- 13 Trente-deux lettres d’Esther de Vigneulles à Paul Ferry (Bibliothèque du Protestantisme français, d (...)
- 14 Dix lettres de Suzanne Lespingal à Paul Ferry (BPF, Ms 7621, dossier 3) et vingt-deux lettres de Pa (...)
- 15 Ce sont d’ailleurs ces sources et les lettres échangées d’Anne Ferry, la fille de Paul et la femme (...)
- 16 La plus grande partie de sa correspondance passive est conservée à la BPF, Ms 335 (4 vols.) et Ms 7 (...)
- 17 BPF, Ms 775 et BnF, NAF 6 723. Concernant les femmes dans les livres de raison et ce genre de sourc (...)
- 18 En particulier celles des AD Moselle, 9F 1.
- 19 La douce & heureuse issue de Damoiselle Esther de Vigneulle ma tres chere & tres regrettée Moitié. (...)
8Nous ne possédons que peu d’écrits privés qui soient de leur main. Le testament d’Esther12 et les lettres écrites par les deux femmes à leur mari sont les plus importants. Cette correspondance est cependant lacunaire. Ferry n’a en effet quitté Metz qu’à quatre ou cinq reprises en cinquante-huit ans de ministère (1612-1669), la plupart du temps pour quelques jours seulement. Seuls deux voyages plus longs nous permettent d’avoir des séries de lettres conséquentes et utilisables : entre mai et octobre 1634, il doit partir à Paris, convoqué en cour pour d’obscurs motifs. Les lettres échangées avec Esther sont alors nombreuses13. De mai à juillet 1642, il passe quelques semaines à Toul, où siège le Parlement de Metz, car il est en procès au sujet de l’héritage de la famille de Vigneulles : cette fois, c’est avec Suzanne qu’il correspond14. Ces lettres sont assez nombreuses et suffisamment rares à l’échelle de la Réforme française pour donner quelques renseignements généraux sur le fonctionnement du couple d’un pasteur15. Pour le reste, il est nécessaire de traquer le moindre indice dans des documents qui pourraient apparaître au premier abord secondaires. Malheureusement, il y a très peu de renseignements dans l’immense correspondance conservée de Ferry16. Les recueils de notes et divers papiers familiaux du pasteur peuvent être mis à contribution. Outre les contrats de mariage, on peut se servir des journaux17, de notes généalogiques18, mais également de certaines sources comme un récit des dernières heures d’Esther de Vigneulles19. Il est à regretter que la plupart de ces pièces ne concernent que sa première épouse. Il est très probable que le pasteur ait mis plus de distance entre lui et Suzanne Lespingal, ce qui expliquerait qu’il consacre moins de temps à rassembler des documents sur elle. De plus, au cours de sa vie, Paul Ferry a de moins en moins souvent tenu à jour ses recueils de notes généalogiques et familiales, se concentrant sur des travaux théologiques et historiques.
9C’est donc à travers le prisme déformant du regard du pasteur que nous pouvons appréhender la vie de ses épouses, même dans des papiers censés être à usage privé, mais que Ferry destinait à ses descendants. Le mariage en lui-même, puis la vie domestique sont les deux principaux thèmes que l’on peut rencontrer dans ces écrits, qui permettent ensuite de dégager deux modèles d’épouses.
Rencontre et mariage : entre amour et servitudes familiales
- 20 Il en existe plusieurs exemplaires. Les pièces justificatives sont pour la plupart réunies dans la (...)
10La première étape pour devenir femme de ministre est bien entendu d’en rencontrer un et de réunir les conditions pour l’épouser. Les Ferry, sans être immensément riches, sont une des grandes familles de notables réformés de la ville : Jacques Ferry, père de Paul, est un ancien de l’Église et membre du Magistrat. Il est donc nécessaire que les futures épouses viennent de milieux comparables. Il apparaît même que les Vigneulles et les Lespingal sont d’un niveau social supérieur, ce qui permet de penser que Paul Ferry a fait de « bons mariages ». Sa collection de pièces justificatives et les arbres généalogiques de la famille de Vigneulles qu’il dessine ne sont pas seulement destinés à apporter des preuves à la succession difficile de son beau-père qui s’ouvre en 163420 : le pasteur est certainement fasciné par le prestige de sa belle-famille, qui a accumulé les biens dans le Pays messin et qui compte parmi ses ancêtres le célèbre chroniqueur Philippe de Vigneulles.
- 21 BPF, Ms 774, année 1598. Ce montant devait encore être en vigueur au début du ministère de Ferry.
- 22 Il hérite par exemple en 1646 d’une maison de campagne de son père.
- 23 Les adresses sur les lettres qu’il reçoit montrent qu’il vit de 1613 à 1637 en Fournirue, dans une (...)
- 24 Voir par exemple les conclusions de Moreil (F.), « Portrait de groupe avec dames », comm. cit., et (...)
- 25 Le prestige de la fonction est souligné par Moreil (F.), « Portrait de groupe avec dames », comm. c (...)
- 26 Archives communales (désormais AC) de Metz, GG 242-244, registres des baptêmes et mariages de l’Égl (...)
- 27 Sur l’histoire des sentiments amoureux dans le couple, voir Lebrun (F.), La Vie conjugale sous l’An (...)
- 28 Les premieres œuvres poeticques de Paul Ferry Messin. Où soubs la douce diversité de ses conception (...)
11On peut se demander ce qui a poussé les familles de ces femmes à choisir Ferry. Ses biens propres étaient assez limités et ses gages peu attractifs, sans doute à hauteur de 500 livres par an21. Il a bien quelques possessions personnelles et sa famille est relativement riche22, mais il vit chez ses épouses successives23. De plus, celles-ci n’appartiennent pas à des familles pastorales, à une époque où, précisément, se constituent des alliances matrimoniales de plus en plus endogamiques24. Le prestige de Paul Ferry, jeune pasteur brillant en 1613 et leader incontesté de la communauté en 1637, peut expliquer en partie le choix des familles Vigneulles et Lespingal25. Placer l’une des leurs aux côtés d’un pasteur garantit également une certaine stature au sein de la communauté réformée messine, comme on le voit dans le choix fréquent que font les notables protestants des deux femmes comme marraines de leurs enfants26. Si l’on en croit les récits du ministre lui-même, il faut rajouter, au moins dans le cas d’Esther, les sentiments amoureux27. Lorsqu’il n’était qu’étudiant à La Rochelle et Montauban, il s’était risqué à écrire des poèmes et des pastorales sur le thème de l’amour et il semblerait qu’il ait cherché à vivre certaines des émotions qu’il y décrivait28.
12Dans chacun des carnets de notes qui lui servent de « livres d’heures », Ferry revient de façon très précise sur la période allant de sa rencontre avec Esther de Vigneulles à leur mariage. Il précise :
- 29 BnF, NAF 6723, fol. 35 r°.
La premiere fois que j’avois parlé a celle la fust le mercredi 2. jour de May 1612 en la maison de Mr Luc [Josse] libraire au retour du presche, depuis nous nous estions vus une infinité de fois29.
- 30 Ibid.
- 31 Ibid., fol. 35 v°. Le mariage est consigné dans le registre des baptêmes et mariages de l’Église ré (...)
- 32 BnF, NAF 22 886, fol. 80-81. Trois séries de vers anonymes, peut-être d’un même auteur.
13Il se souvient donc parfaitement du jour de leur rencontre, quelques mois seulement après son retour de Montauban et le début de son ministère. Le mariage est accordé le 7 janvier 1613 et, deux jours plus tard, Ferry commence à aller souper chez son futur beau-père. Il insiste dans ses notes pour montrer comment la procédure de mariage réformée a été suivie à la lettre : les fiançailles sont célébrées par le pasteur François de Combles le 21 mars 1613, jour du printemps et « jour premier de la Creation du Monde, selon ceux qui veulent qu’il eut esté creé en la nouvelle Lune du Printemps »30. Puis sont faites les trois annonces dominicales successives au temple et le mariage a lieu le jour de la troisième, dans des conditions qui prouvent que les époux étaient pressés : Ferry prêchait ce jour-là dans le temple champêtre de La Horgne et après l’annonce faite au temple de la ville, de Combles chevauche avec les deux pères des mariés jusqu’à La Horgne pour que le mariage soit célébré immédiatement, le dimanche 21 avril 161331. Enfin, le 15 mai suivant, ils entrent en ménage, dans une maison provenant des biens de la mariée, en Fournirue. Les sentiments liant les nouveaux mariés sont magnifiés par une mise en scène des poètes amateurs réformés32. Certaines de ces pièces sont de faible qualité, mais montrent à la fois l’importance de l’événement dans la vie de la communauté et l’image que devait renvoyer le bonheur des nouveaux époux. L’une d’elles porte ces vers :
- 33 Ibid., fol. 80 r°.
Quand viendra, dit Esther ceste heureuse journée
Où d’un chapeau de fleurs je seray couronnée,
Et de mainte autre fille en passant regardée,
Trop long temps à son gré par sa mere gardée,
Qui priant Dieu pour moy en la troupe fidele,
Desire encore plus le semblable pour elle ?
Quand viendra, dit Esther, ceste heureuse nuictée,
Où des vierges m’ayant l’assemblée quittée,
Gisant à ton costé, Ferry mon cher espoux,
Dormiray d’un sommeil tres amiable & doux ?33
- 34 BnF, NAF 22 704, fol.11-13. L’original est sans doute perdu. Contrat passé devant l’aman (notaire m (...)
14Tout ne fut cependant pas uniquement fondé sur l’amour. Même s’il l’évoque fortuitement dans ses récits, Ferry oublie de décrire les conditions du contrat de mariage le liant à sa femme le 7 janvier 1613 et qui donne tellement de précisions sur les biens apportés par chacun que l’on voit que les familles ont su raison garder34.
- 35 BPF, Ms 775, p. 151. La désinvolture du pasteur est évidente : on voit qu’il avait d’abord écrit « (...)
- 36 Esther est en effet morte sans avoir pu signer son second testament, en date du 18 mai 1636, jour m (...)
- 37 AD Moselle, 3E 3 207. Copie d’extraits à la BnF, NAF 22 704, fol.347.
- 38 Contrat du 27 janvier 1637. AD Moselle, 3E 3 207.
- 39 BPF, Ms 775, p. 153.
- 40 Ibid. Paul Ferry fils était alors au collège à Sedan, et Suzanne Ferry était déjà en ménage, avec s (...)
15Nous avons beaucoup moins de détails pour le second mariage de Ferry. Un de ses deux « livres d’heures » n’est plus tenu à jour, et dans celui qui reste, les passages concernant Suzanne Lespingal sont flous, voire erronés : dans ses notes, il se trompe sur la date du premier mariage de sa future femme35. Rien n’est précisé sur leur rencontre : sans doute se connaissaient-ils de longue date comme des membres de la notabilité réformée messine. Ferry est veuf depuis assez peu de temps (mai 1636), et les ennuis qui se profilent à propos de la succession des Vigneulles en général et d’Esther en particulier l’incitent sans doute à se remarier plus vite que prévu36. De plus, il est probable que le pasteur, responsable de l’éducation de certains de ses enfants (parfois turbulents), de la composition de cinq sermons par mois et du catéchisme, ne pouvait pas se permettre de devoir régler seul des problèmes domestiques : se remarier devenait ainsi une nécessité. L’installation rapide du couple après le mariage dans une nouvelle maison, rue de la Chèvre, confirme ces hypothèses : la maison de Fournirue a alors sans doute été laissée à Suzanne Ferry et à son mari Jacques Couët du Vivier. Peut-être faut-il également rajouter la nécessité pour un pasteur de présenter aux yeux du public l’exemple d’un foyer conjugal, même si des pasteurs sont restés veufs ou même célibataires. Dès le 29 janvier 1637, un contrat de mariage est signé devant Jacques Le Bachellé, aman de la paroisse Saint-Jean37. Les deux mariés ayant des enfants (quatre encore vivants pour lui, deux pour elle) et des biens propres, les restrictions à la communauté de biens sont très importantes, excluant notamment les livres, certains habits et même des meubles. Ferry, visiblement méfiant devant toutes les difficultés successorales auxquelles il doit faire face, va même jusqu’à signer un contrat avec ses enfants avant de se remarier38. Après avoir une nouvelle fois parfaitement respecté les procédures d’annonces, le mariage a lieu à Metz, devant Théophile Le Coullon, le dimanche 22 février 1637, soit quelques semaines à peine après la signature du contrat de mariage39. Là encore, les époux semblent pressés, comme le confirme la rapidité des fiançailles célébrées par Le Coullon, le jour même de la signature du contrat. Dès le 26 février, le nouveau ménage est installé, y compris les deux enfants du premier mariage que Ferry avait encore avec lui, Louis et Élisabeth40.
La femme de pasteur en son foyer et au sein de son couple
- 41 Voir par exemple Du Moulin (P.), De la vocation des pasteurs, 2e édition revue et corrigée, Genève, (...)
16Comme dans toutes les Églises réformées41, les pasteurs de Metz ont une haute idée de leur charge et de l’exemple qu’ils doivent donner, afin d’édifier leurs fidèles, tant en chaire qu’en dehors. Dans un de ses sermons préparatoires à la Cène, le ministre François de Combles appelle ainsi chacun à se demander s’il sert Dieu en fonction de sa place dans l’Église. Les pasteurs,
- 42 De Combles (F.), Trois sermons touchant la preparation requise pour communiquer deüement & dignemen (...)
veu que leur vocation requiert qu’ils fueilletent l’Escriture plus songneusement que les autres fideles, doivent aussi tant mieux sçavoir ce qui est de leur devoir, […] si non seulement en public, mais aussi en particulier, nous faisons ce qui est de nostre charge à l’endroit de ceux qui ont besoin de remonstrances ou de consolation42.
- 43 Ibid., p. 40.
- 44 Sur ce sujet, voir par exemple le recueil d’articles de Mentzer (R.A.), La construction de l’identi (...)
- 45 Voir le portrait synthétique, mais édifiant, que fait de la femme réformée idéale Godineau (D.), Le (...)
17La femme, quant à elle, doit simplement se demander si elle a bien obéi à sa « vocation » qui est de « reverer son mari », à qui elle est inférieure43. C’est l’homme qui définit la place de la femme, ce contrôle masculin étant renforcé par l’action du consistoire, dont les femmes ont été exclues dès les premiers temps de la Réforme, et dont le but est de réguler les mœurs afin de « discipliner » l’attitude des chrétiens44. C’est cette institution de base de la vie réformée qui dresse le portrait de la femme idéale, pieuse, discrète, sans scandale, dévouée à son mari et évitant toutes les occasions de débauches (danses, jeux...) ou les vêtements et les coiffures extravagants45.
- 46 De Félice (P.), Les protestants d’autrefois…, t. 2, op. cit., p. 283.
- 47 Sur ce problème de l’orthographe féminine, voir l’article stimulant de Goodman (D.), « L’ortografe (...)
- 48 Voir les prières émouvantes rédigées par Ferry sur la mort de ses enfants. BPF, Ms 775.
18Une fois entré dans son nouveau foyer, le couple pastoral doit faire face à la vie quotidienne. Cet aspect nous demeure le moins bien connu, malgré quelques lettres échangées. Cette correspondance donne d’Esther, puis de Suzanne, l’image de femmes idéales, indifférentes au luxe et bonnes ménagères46. On constate cependant qu’elles écrivent assez mal, comme la plupart des femmes correspondant avec Ferry d’ailleurs : bien que venant d’un milieu social favorisé, elles écrivent approximativement47. Il est regrettable que l’on ne sache presque rien de leur rôle de mère de famille : ce devait pourtant être un aspect primordial de leur vie et en tout cas un des éléments sur lesquels il fallait donner l’exemple aux familles réformées. On ne sait ainsi pas si les enfants étaient mis en nourrice. Même s’il semble que non, l’absence d’indices dans les correspondances interdit toute affirmation catégorique. Il est en tout cas certain que l’amour maternel était un sentiment répandu, comme l’amour paternel48. Ainsi, certaines poésies rédigées par des proches révèlent la détresse d’Esther à la mort de certains de ses jeunes enfants :
19Au contraire, les naissances étaient des instants de liesse, eux aussi célébrés en vers :
- 50 Ibid., fol. 85 r°. Vers anonymes rédigés pour la naissance en 1628 de Charles Ferry, fils de Paul e (...)
Encor qu’Esther soit assez maladieuse,
Et endure par fois des fascheuses douleurs :
Touteffois Dieu voulant luy moderer ses pleurs
L’a rendu assez forte & assez vigoureuse
Pour de plusieurs enfans estre mere joyeuse,
Combien que nous soyons en un temps de malheur.
Et on la void encor presentement en couches,
Baisant d’un beau garson la douce & tendre bouche50.
- 51 BPF, Ms 7621, dossier 5, plusieurs lettres. Il était parti à Sedan en 1635 et n’est de retour à Met (...)
- 52 BPF, Ms 7626, dossier 1, plusieurs lettres.
- 53 On le voit notamment dans la correspondance entre Anne Ferry et son père, lorsqu’elle vit à Thouars (...)
- 54 Par exemple dans la lettre du 29 mai 1634, écrite de Paris par Paul Ferry à Esther de Vigneulles, i (...)
- 55 Beauvalet-Boutouyrie (S.), Les femmes à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Belin, 2003, (...)
20Les enfants de Paul Ferry furent assez turbulents. Esther lui en a donné dix dont quatre sont parvenus à l’âge adulte ; Suzanne lui en donna deux, dont seule une fille devait survivre. Paul fils et Louis furent des soucis permanents pour leur père, refusant d’étudier la théologie et même souvent d’étudier tout court. Ils sont régulièrement présentés comme paresseux dans la correspondance adressée au pasteur de Metz. De plus, ils acceptent très mal le remariage de leur père : bien qu’il ne la connaisse pas, Paul fils refuse de demander des nouvelles de la santé de sa belle-mère, que son père l’oblige à appeler « Mère »51. Louis pose les mêmes problèmes52. Suzanne Ferry, elle, ne s’entend pas avec sa demi-sœur Anne née du second mariage de son père53. Dès avant la mort de leur mère, Paul et Louis semblent pour le moins rétifs à son autorité lors de l’absence de leur père parti en cour en 163454. Ces entorses au modèle de la famille réformée parfaite ne devaient pas passer inaperçues au sein de la communauté messine. Malheureusement, il est quasiment impossible d’y déterminer le rôle joué par la mère, même si les femmes réformées étaient le plus souvent chargées de la première éducation55. Le simple fait que Ferry insiste sur l’obéissance qu’ils doivent à leur mère confirme qu’elle devait avoir un grand rôle dans leur instruction.
- 56 Son sermon n° 1316 est prononcé le dimanche « 1er de juin 1636 quinze jours & la premiere fois apre (...)
- 57 BPF, Ms 7621, dossier 3.
21Ferry éprouve une grande tendresse à l’égard de ses femmes, même si on la perçoit nettement plus pour Esther que pour Suzanne, probablement en partie à cause de lacunes documentaires, mais aussi peut-être à cause de l’écart d’âge (il est né en 1591, Esther en 1590 et Suzanne en 1606). Il a notamment beaucoup souffert de la mort d’Esther, de la peste, le 18 mai 1636. Cela se perçoit dans sa prédication56 et il rédige en outre un récit très émouvant de ses dernières heures57. Il s’y présente comme un mari aimant et non un pasteur : lorsqu’elle commence à souffrir en avril 1636, c’est un autre ministre de Metz qui vient la consoler et prier pour son rétablissement. Lorsque son état se dégrade et que son mari lui annonce qu’on évoquera son nom dans la prière pour les malades, elle formule ce vœu touchant qui montre bien les sentiments qui l’unissaient à lui : « Je ne veux estre nommée Mademoiselle, mais la Femme de Monsieur Ferry ». Après sa mort, Ferry, visiblement très marqué, note sobrement :
- 58 Ibid.
Elle a esté en ma compagnie 23 ans & 28 jours […]. Telle a esté la fin de nostre mariage, auquel j’ay eu des bons & des mauvais jours, comme il a plu a Dieu, & par sa grace plus de bons que d’autres […]. Lorsque la Peste commenca de se descouvrir en la Ville, je commencay a m’en trouver ennuyé extraordinairement, sans scavoir bien pourquoy, ne craignant Dieu mercy la mort, & depuis celle de ma Femme, cest ennuy se passa, comme si je n’avois plus eu a craindre de rien perdre58.
- 59 On pourrait reprendre ici la très bonne expression de l’historien Johannes Wahl, forgée pour des co (...)
22Cette complicité qui affleure ne les empêche pas de rester, comme tous les couples protestants et selon les vœux des consistoires, inégaux l’un envers l’autre59. Sans aucune surprise, Ferry se montre attaché au principe de la soumission de la femme à son mari, en s’appuyant sur des passages bibliques. À l’occasion, il peut même développer ce point en chaire : en présentant Ève soumise à Adam, il conclut ainsi :
- 60 Sermon sans date, sans doute prononcé à Metz, repris dans Quatre sermons prononcés en divers lieux (...)
De sorte qu’ainsi que l’homme est suject à Dieu, qui est sa gloire : Ainsi l’est la femme à l’homme, qui est la sienne ; sans que l’un ny l’autre ait jamais joüy absolument d’une entiere liberté60.
- 61 BPF, Ms 7621, dossiers 3 et 4.
- 62 Par exemple dans une lettre de Toul, le 19 mai 1642, il lui demande de ne plus l’appeler « Monsieur (...)
- 63 BPF, Ms 7621, dossier 4. Lettre écrite de Montmirail, le 7 mai 1634.
- 64 Ibid. Lettre écrite de Toul, le 23 mai 1642.
- 65 Ibid.
- 66 Ibid. Lettre écrite de Paris, 9 juillet 1634.
23On voit également cette inégalité dans la correspondance entre Esther de Vigneulles et Paul Ferry61. Alors qu’elle l’appelle parfois « Monsieur », mais plus souvent « (très) cher amy » ou même « mon (cher) cœur », elle le vouvoie toujours, alors que lui la tutoie et la nomme « ma très chere amye », et même parfois « ma tres chere fille ». Cette dernière adresse est utilisée beaucoup plus souvent pour Suzanne Lespingal qui, il est vrai, avait 16 ans de moins qu’Esther de Vigneulles ; mais il l’appelle aussi souvent « mon cœur ». Là encore, elle vouvoie et il tutoie, et elle ne l’appelle que « Monsieur », ce dont Ferry se plaint d’ailleurs62. Le tutoiement est à prendre sans doute comme une marque d’affection plus que de supériorité : ses deux femmes sont les seules de tous ses nombreux correspondants à être ainsi appelées (du moins en français, car le tutoiement est plus courant en latin). Il peut parfois être très touchant, écrivant à Esther « Aime tousjours l’homme du monde qui t’aime le plus & qui est ton tres parfait amy »63, ou à Suzanne « Mon cher Cœur, je te baise les mains & la bouche & suis tien de tout mon cœur »64. Il s’inquiète régulièrement du moral de ses femmes : si Suzanne est tout au plus touchée par un peu de « melancholie »65, cela semble plus grave pour Esther, car le voyage est plus long. Il reçoit même des nouvelles inquiétantes : « on m’escrit & on me dit aussy que tu […] refuses les occasions [de te réjouir], & que tu t’attristes & t’amaigris de jour en jour »66.
- 67 Ibid. Lettre écrite de Paris, 27 juillet 1634.
24Il regrette de faire vivre à sa femme une sorte de « petit veusvage »67. Ce n’est qu’en septembre qu’il apprend pourquoi sa femme était triste et semblait lui cacher quelque chose : elle était enceinte et n’avait pas voulu le lui dire, espérant qu’il serait de retour avant la naissance. Mais le 9 septembre 1634, elle donne vie à une petite Élisabeth et ce n’est qu’à ce moment que Ferry en est informé, par son gendre Couët du Vivier. Malgré l’étonnement perceptible et un certain agacement, le pasteur ne parait pas trop en tenir rigueur à son épouse, peut-être parce qu’il comprend rétrospectivement la douleur qu’elle a dû endurer en son absence. Il se contente, une douzaine de jours plus tard, de s’avouer
- 68 Il a été averti par son gendre Couët du Vivier, comme on l’apprend dans BPF, Ms 775, p. 52.
- 69 BPF, Ms 7621, dossier 4. Lettre écrite de Paris, 21 septembre 1634.
en peine de scavoir pourquoy tu m’as caché & a nostre chere famille ceste grossesse si long temps, de laquelle je te laisse a penser si je doibs avoir esté estonné de n’avoir rien entendu qu’apres avoir esté adverty qu’apres la delivrance68. Et combien que tu ne m’ayes pas demandé advis des choses que tu as faites en suitte, je ne laisse pas de les approuver grandement69.
- 70 BPF, Ms 775, p. 51 : elle « fut nommee comme ma femme le desira, en memoire de mes vertueuses Mere (...)
25Plusieurs éléments sont troublants : apparemment, personne ne s’est rendu compte de cette grossesse, et Esther elle-même n’aurait rien ressenti avant le départ de son mari pour Paris, alors qu’elle devait entamer son quatrième mois. Il est très probable qu’elle n’ait pas voulu inquiéter son mari, six ans après sa dernière grossesse. Le pasteur accepte a posteriori toutes les décisions prises par son épouse en son absence, la plus lourde étant sans doute la date du baptême, le choix des parrain et marraine, et surtout du prénom : sans doute savait-elle qu’Élisabeth ferait plaisir à son époux70.
- 71 BPF, Ms 7621, dossier 3. Lettre reçue par Ferry à Paris le 5 août 1634.
- 72 Ibid. Lettre de Metz, le 18 mai 1623.
26Les deux femmes envoient à Ferry des nouvelles du ménage, en l’absence de leur mari. Elles semblent toutes deux avoir sa pleine confiance pour s’en occuper, mais elles veulent avoir son accord : c’est ainsi qu’Esther refuse à plusieurs reprises l’envoi d’une procuration pour qu’elle puisse s’occuper de la succession de son père et préfère attendre, malgré le caractère urgent de certaines affaires : il s’agit d’un signe de la conscience qu’elle a des limites de son rôle domestique. Elle s’adresse à lui de façon vibrante : « Il me semble que ryen nyra bien sans vous »71, même si Ferry a demandé à leur gendre Couët du Vivier de l’aider. Elles donnent des nouvelles très précises de ce que font les enfants, de l’état des affaires, notamment des métairies et des vignes. Ces épouses demandent parfois à leur mari de faire des achats pour le foyer. Mais elles agissent alors à la demande de Ferry et malgré leurs réticences initiales à dépenser l’argent familial : il envoie ainsi de Paris des mouchoirs en soie, quelques pièces de faïence ou encore une robe de chambre. Elles apportent aussi à leur mari un soutien moral qui n’est pas négligeable, signalant le témoignage de tous les Messins qui veulent le voir revenir. Enfin, elles le tiennent informé des grands événements militaires de la région ou même de certaines rumeurs : lors du voyage de Ferry à Sedan en 1623, sa femme lui apprend le bruit courant « dans le menu peuple » qu’il aurait eu une conférence avec le jésuite Mottet sur l’Écriture et la Tradition et que ce serait pour aller chercher une réponse, ou même pour aller demander pardon au roi qu’il serait parti72. Esther sort ainsi fréquemment de la sphère domestique qui semblait lui être assignée.
Deux modèles de femmes de pasteur
- 73 Moreil (F.), « Portrait de groupe avec dames », comm. cit.
27On observe finalement, au travers de nos sources, deux types de femmes. Il faut bien entendu garder à l’esprit qu’il s’agit là sans aucun doute d’une déformation due précisément à la documentation disponible. Dans la typologie qu’elle dresse des femmes de pasteurs orangeois entre 1559 et 1703, Françoise Moreil définit les catégories de « pionnières », « croyantes », « anonymes » et « exilées »73. Il est certain qu’Esther et Suzanne entrent toutes deux dans la seconde, mais sans doute pas de la même manière.
- 74 Son portrait d’épouse et de mère idéale est brossé en quelques lignes par un ouvrage de son fils su (...)
28Suzanne apparaît comme relativement effacée, cantonnée à la sphère privée et joue le rôle (contesté parfois, comme on l’a vu) d’épouse, de mère et de belle-mère avant d’être une femme, ce qui convient à l’image que l’on se fait alors d’une compagne. Même si l’on connaît moins d’éléments de sa vie et de son action, il ne faudrait pas imaginer que son influence ait été nulle. Elle s’inscrit dans un modèle discret, mais efficace : lorsque son mari est à Toul, elle gère le quotidien et semble habituée. Elle appartient au même type de femme que Marie Macaire, la femme de David Ancillon, le collègue de Paul Ferry à partir de 1653 : douce et aimante, bonne ménagère et veillant avant tout à assurer le bien-être matériel de son mari, afin de le mettre dans des conditions idéales pour l’exercice de son ministère74.
- 75 AD Moselle, 9F 12. Copie à usage familial du testament du 26 février 1614.
29Esther sort parfois de cette sphère privée, sans quitter le statut de femme-modèle. On l’a vue capable de cacher au monde sa grossesse en 1634 pour ne pas inquiéter son mari, mais on peut la voir également impliquée dans la vie de la communauté. Dès l’époque de son mariage, Esther de Vigneulles nous apparaît, peut-être sous l’influence de son mari, comme une réformée très pieuse : les formules de son premier testament, rédigé en 1614, comportent certes des topoi caractéristiques du genre, mais ne laissent aucun doute sur sa foi. Elle y rend « graces a Dieu de tous les biens que j’ay receus de sa divine bonte je le supplie quavenant ma mort il recoive mon ame en sa gloirre et me face jouir du salut que son fils bien ayme mon sauveur Jesus Christ ma acquis par sa mort et passion je veulx mon corps estre ensevely au cimetiere de ceulx de la religion dont je fay profession »75.
- 76 Ibid. Copie à usage familial du testament du 18 mai 1636.
- 77 BPF, Ms 775, p. 27-28.
- 78 « Memoire des troubles de Metz es annees Mil six cens dix neuf & vingt ». Non paginé. Ce mémoire es (...)
- 79 BPF, Ms 7621, dossier 3.
- 80 Pour une comparaison avec la perception de la mort dans le monde réformé en général et dans le corp (...)
- 81 BPF, Ms 7621, dossier 3. Pour une comparaison avec la mort des femmes de pasteurs luthériens, voir (...)
- 82 Nombreuses pièces conservées sur la spoliation du temple de la rue de la Chèvre par les jésuites au (...)
30Son mari est exécuteur testamentaire et seul héritier, en l’absence d’enfants. Dans son second testament, elle répète cette profession de foi réformée fondamentale, déclarant faire confiance à Dieu et « au sang pretieux de son fils Jesus Christ nostre Seigneur seul sauveur et redempteur »76. De protestante pieuse, elle passe aisément au statut de militante dans certains documents. À la fin des années 1610 et au début des années 1620, alors que Metz est secouée par des troubles causés par le duc d’Épernon et par le passage dans la région de gens de guerre, elle part seule en 1619 avec ses enfants à Courcelles pour les protéger et pour leur permettre de suivre le culte : c’est là que meurt sa fille Magdelaine77. En juin 1621, on la voit comparaitre devant les enquêteurs dans l’affaire de la sortie du couvent des religieuses de la Madeleine de Mademoiselle de Sueve. Celle-ci est partie pour Sedan où elle se cache, sans doute pour s’y convertir à la Réforme78. On ne sait malheureusement pas quel a été le rôle d’Esther de Vigneulles dans cette affaire, mais probablement le sort spirituel de cette femme ne lui était-il pas indifférent. Peu avant sa mort, Ferry la décrit visitant des malades, alors même que la ville est infestée par la peste et qu’elle-même commence à se sentir touchée : sans doute a-t-elle voulu jouer son rôle de femme de pasteur jusqu’au bout79. Sa mort est présentée comme édifiante, même si elle est restée privée, au contraire des agonies de pasteurs dont on connaît le récit80. Mais la peste rendait la publicité de sa mort, si chrétienne soit-elle, très dangereuse. Ses derniers mots furent « Loué soit Dieu ! » et « Je meurs de la mort des justes »81. Le type de femme incarné par Esther est proche de celui, moins documenté malheureusement, de Séphora de la Bretonnière. Elle est l’épouse d’Abraham de La Cloche, pasteur de Metz résidant dans une maison attenante à l’ancien temple de la rue de la Chèvre donné aux jésuites en 1642. Elle aussi est une femme engagée : on la voit ainsi s’opposer physiquement à la prise de possession de sa maison qui a le désavantage d’être reliée par une porte au temple confisqué82.
- 83 BPF, Ms 3351, fol.52-75 et Ms 7601, fol.165-179 (lettres d’Anguenet à Ferry sur le sujet du « scand (...)
31Finalement, Esther et Suzanne apparaissent bien comme des femmes-modèles, conformément aux attentes de la Discipline et des attentes du consistoire, c’est-à-dire conformément à ce que les hommes en général et leur pasteur de mari en particulier espèrent d’elles : surtout ne pas susciter le scandale et donner une image exemplaire aux autres chrétiens et chrétiennes. Elles sont loin des remous créés à Vitry entre 1658-1659, lorsque le pasteur Benjamin Anguenet vit un calvaire aux côtés de Suzanne Lenoir qu’il a épousée en 165483. Cette ancienne femme du pasteur messin Gédéon de Marsal ne semble pas vouloir vivre à Vitry et quitte son mari, ce qui cause évidemment un « scandale » qui n’est pas du goût des consistoires concernés. Anguenet est également placé dans une situation très inconfortable vis-à-vis des fidèles qu’il est censé édifier.
32L’action des épouses de Ferry est le plus souvent limitée au domaine privé. Elles n’interviennent pas dans le champ réservé à leur mari même si elles sont associées à la gestion d’un patrimoine qui vient en grande partie de leurs familles. Malheureusement, des interrogations demeurent, notamment sur le sujet de la place, officieuse, de la femme de pasteur dans la communauté.
- 84 Perrot (M.) dir., Une histoire des femmes est-elle possible ?, Marseille, Rivages, 1984.
33Devant ces sources normatives et entièrement contrôlées par des hommes, on peut se demander si « une histoire des femmes de pasteurs est possible »84. Pour celles de Paul Ferry, les sources sont déformantes, mais elles existent et il faut savoir s’en satisfaire. On arrive à dresser un tableau finalement intéressant de la femme de pasteur en tant qu’épouse, parfois en tant que mère ; mais toujours à travers son couple au mieux, son mari au pire, jamais pour elle-même. Esther de Vigneulles nous apparaît cependant mieux connue et plus active, voire plus indépendante quand elle parvient à cacher sa grossesse à tous.
- 85 Gautier (S.), « Les femmes de pasteurs… », art. cit., et Schorn-Schütte (L.), « “Gefährtin” und “Mi (...)
34Le couple pastoral, qui doit servir de modèle de couple chrétien dans le monde protestant85, apparaît donc comme une construction fragile, et parfois artificielle. Il faut que la femme sache rester à sa place, comme l’a été Suzanne Lespingal, mais elle peut aussi intervenir sporadiquement dans la vie de sa communauté, comme le fait Esther de Vigneulles. L’important est que ces femmes soient bonnes ménagères et ne suscitent surtout pas de « scandale », la hantise de tous les consistoires, en restant très obéissantes vis-à-vis de leurs maris. C’est ainsi que ce rouage essentiel de la vie familiale réformée, dans tous les domaines (spirituel et matériel) demeure encore trop largement méconnu, par la déformation d’une image idéalisée que des hommes, souvent leurs maris, ont voulu leur donner.
35Les deux femmes de Paul Ferry sont deux figures d’épouses-modèles. Sans doute fallait-il bien cela pour édifier un troupeau comme celui de Metz, qui compte plus de 6 000 fidèles en 1635, et donner à tous les Messins une figure de couple parfait, y compris dans la mort. Il n’est pas impossible que, prêchant sur le livre des Lamentations le 1er juin 1636, le pasteur ait laissé paraître quelques larmes de douleur suite à la disparition de son épouse. Savoir comment les fidèles ont intégré cette « leçon » de vie de couple serait l’objet d’une autre étude bien ambitieuse…
Notes
1 Ce sujet m’est inhabituel et je remercie ceux qui m’ont aidé, encouragé et conseillé, notamment Sandie Gautier, Françoise Moreil, Yves Krumenacker et Fabien Salesse.
2 Voir, entre autres travaux, Wanegffelen (T.), « Le protestantisme en France aux XVIe-XVIIe siècles. Sacerdoce universel et théologie de la vocation », dans Iogna-Prat (D.) et Veinstein (G.) dir., Histoires des hommes de Dieu dans l’Islam et le christianisme, Paris, Fayard, 2003, p. 111-144.
3 Par exemple, Wanegffelen (T.), Catherine de Médicis : le pouvoir au féminin, Paris, Payot, 2005 et Id., Le pouvoir contesté : souveraines d’Europe à la Renaissance, Paris, Payot, 2008.
4 La bibliographie sur ce thème est plus qu’abondante. Citons entre autres : Zemon Davis (N.), « City women and religious change », dans Zemon Davis (N.), Society and Culture in Early Modern France : Eight Essays, Stanford, Stanford University Press, 1975, p. 65-95 ; Carbonnier-Burkard (M.), « La Réforme en langue de femmes », dans Delumeau (J.) dir., La religion de ma mère. Les femmes et la transmission de la foi, Paris, Cerf, 1992, p. 173-192 ; ou encore Mentzer (R. A.), « La place et le rôle des femmes dans les Églises réformées », Archives de sciences sociales des religions, 113 (2001), p. 119-132.
5 Quelques généralités très intéressantes, bien qu’anciennes, dans de Félice (P.), Les protestants d’autrefois. Vie intérieure des Églises, mœurs et usages, t. 2, Les pasteurs – Vie officielle – Vie privée, Paris, Fischbacher, 1898, p. 269-307. Un essai global et stimulant a été réalisé par Reymond (B.), La femme du pasteur. Un sacerdoce obligé ?, Genève, Labor et Fides, 1991.
Il faut noter un intérêt récent pour la question, avec la communication de Moreil (F.), « Portrait de groupe avec dames » prononcée au colloque de La Rochelle Agir pour l’Église. Ministères et charges ecclésiastiques dans les Églises réformées (XVIe-XIXe siècles), 4-6 juin 2009, dont les actes sont à paraître sous la direction de Didier Poton. Je la remercie de m’avoir permis de lire son texte, portant sur les femmes de pasteurs dans la principauté d’Orange entre 1559 et 1703. La figure de la femme de pasteur à l’étranger n’est pas mieux connue, mais des travaux sont en cours, notamment ceux de Sandie Gautier, présentés pour l’instant dans Gautier (S.), Les femmes de pasteurs dans le Saint-Empire Romain Germanique aux XVIe et XVIIe siècles, mémoire de Master 1 en histoire, sous la direction de Christin (O.), ENS, 2006, et Id., « Les femmes de pasteurs dans le Saint-Empire romain germanique », Atala, 12 (2009), p. 265-282. Quelques indications également dans Vogler (B.), Le clergé protestant rhénan au siècle de la Réforme (1555-1619), Paris, Ophrys, 1976, p. 191-226.
6 Clio. Histoire, femmes et sociétés, 2 (1995), « Femmes et religions », et 15 (2002), « Chrétiennes ».
7 Chapitre 1, article 20. C’est un article qui date de 1565 (synode national de Paris). L’édition utilisée ici est D’Huisseau (I.) éd., La Discipline des Églises réformées de France. Ou l’ordre par lequel elles sont conduites & gouvernées, Genève, Isaac Desbordes, 1667 (1ère édition 1666), p. 87.
8 Ibid., p. 88.
9 Article 12 des observations du synode national de Lyon (1563) sur la Discipline. Aymon (J.) éd., Tous les synodes nationaux des Églises réformées de France, La Haye, Charles Delo, 1710, t. 1, p. 34.
Devant l’interprétation peut-être difficile de ce qui peut faire « honte » au ministère, Isaac d’Huisseau prend position sur ce texte en le citant, car il évoque pour sa part des « mariages inégaux » (I. D’Huisseau éd., La Discipline…, op. cit., p. 88).
10 Malgré les nombreuses études qui lui ont été consacrées, il n’existe pas de référence d’ensemble sur ce pasteur, sauf la biographie ancienne de Mazauric (R.), Le pasteur Paul Ferry. Messin, interlocuteur de Bossuet et historien, Metz, Mutelet, 1964. Étudiant à Montauban, il avait été appelé à servir l’Église de Metz en 1611, à vingt ans à peine, et avait reçu l’imposition des mains le 1er janvier 1612. Il est resté en poste jusqu’à sa mort en décembre 1669. L’Église de Metz était alors particulièrement prestigieuse, rassemblant une proportion importante de notables et entre le tiers et la moitié des 20 000 Messins lorsqu’il revient de Montauban. Sur l’exercice de la fonction pastorale par Ferry, voir Léonard (J.), Le ministère de Paul Ferry à Metz (1612-1669). Essai de contribution à l’étude des pasteurs réformés français sous le régime de l’édit de Nantes, thèse en histoire, sous la direction de Y. Krumenacker, Université Jean Moulin-Lyon 3, 2011.
11 Voir Tribout de Morembert (H.), « Les mariages du pasteur Paul Ferry », Les Cahiers Lorrains, 1980, n° 4, p. 106-108, qui fait une courte analyse des contrats de mariage et présente rapidement les mariés. Sur les femmes de Metz, voir le récent travail de Weber (E.), Des femmes dans les relations humaines à Metz au XVIIe siècle, thèse en histoire, sous la direction de Martin (P.), Université de Nancy II, 2008.
12 Archives Départementales (désormais AD) de la Moselle, 9F 12. Copie à usage familial. Les testaments suivent toutefois des formulaires et la part personnelle du testateur peut y être réduite.
13 Trente-deux lettres d’Esther de Vigneulles à Paul Ferry (Bibliothèque du Protestantisme français, désormais BPF, Ms 7621, dossier 3) et cinquante-deux lettres de Paul Ferry à Esther de Vigneulles (BPF, Ms 7621, dossier 4). Le couple s’échange également des lettres lorsque le pasteur va prêcher en 1632 au camp du maréchal de La Force à Saint-Avold.
14 Dix lettres de Suzanne Lespingal à Paul Ferry (BPF, Ms 7621, dossier 3) et vingt-deux lettres de Paul Ferry à Suzanne Lespingal (BPF, Ms 7621, dossier 4).
15 Ce sont d’ailleurs ces sources et les lettres échangées d’Anne Ferry, la fille de Paul et la femme du pasteur François Bancelin, qui donnent matière à l’essentiel des pages de de Félice (P.), Les protestants d’autrefois…, t. 2, op. cit., p. 269-307.
16 La plus grande partie de sa correspondance passive est conservée à la BPF, Ms 335 (4 vols.) et Ms 760 (8 vols.). Des minutes de sa correspondance active sont à la BPF, Ms 761 (2 vols.).
17 BPF, Ms 775 et BnF, NAF 6 723. Concernant les femmes dans les livres de raison et ce genre de sources, voir Mouysset (S.), « De mémoire, d’action et d’amour : les relations hommes / femmes dans les écrits du for privé français au XVIIe siècle », XVIIe siècle, 244 (2009), p. 393-408.
18 En particulier celles des AD Moselle, 9F 1.
19 La douce & heureuse issue de Damoiselle Esther de Vigneulle ma tres chere & tres regrettée Moitié. Petit cahier in-4° de notes (8 pages), 1636. BPF, Ms 7621, dossier 3.
20 Il en existe plusieurs exemplaires. Les pièces justificatives sont pour la plupart réunies dans la sous-série 9F des AD Moselle.
21 BPF, Ms 774, année 1598. Ce montant devait encore être en vigueur au début du ministère de Ferry.
22 Il hérite par exemple en 1646 d’une maison de campagne de son père.
23 Les adresses sur les lettres qu’il reçoit montrent qu’il vit de 1613 à 1637 en Fournirue, dans une maison appartenant à la famille de Vigneulles. Puis il déménage en 1637 rue de la Chèvre, dans une maison voisine d’un ancien temple qui est donné aux jésuites en 1642 : ce déménagement est exactement contemporain de son second mariage, et cette nouvelle maison, dans laquelle il vit jusqu’à sa mort, lui vient probablement des biens de sa seconde épouse.
24 Voir par exemple les conclusions de Moreil (F.), « Portrait de groupe avec dames », comm. cit., et de Gautier (S.), « Les femmes de pasteurs… », art. cit.
Les deux filles survivantes de Ferry s’allient cependant à des familles pastorales : Suzanne, fille d’Esther de Vigneulles, se marie en 1633 à Jacques Couët du Vivier, petit-fils d’un célèbre pasteur de Bâle, et un de leurs fils, Jacques, devient en 1656 ministre de Courcelles. Anne, fille de Suzanne Lespingal, épouse quant à elle le pasteur François Bancelin et en a deux fils qui se destinent tous deux à la carrière ecclésiastique.
25 Le prestige de la fonction est souligné par Moreil (F.), « Portrait de groupe avec dames », comm. cit., qui montre que les femmes de pasteurs orangeois mettaient toujours en avant le statut de leur époux.
26 Archives communales (désormais AC) de Metz, GG 242-244, registres des baptêmes et mariages de l’Église réformée de Metz pour la période concernée.
27 Sur l’histoire des sentiments amoureux dans le couple, voir Lebrun (F.), La Vie conjugale sous l’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 1975 et les travaux de Daumas (M.), notamment La Tendresse amoureuse, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Perrin, 1996 ainsi que Id., Le Mariage amoureux. Histoire du lien conjugal sous l’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 2004.
28 Les premieres œuvres poeticques de Paul Ferry Messin. Où soubs la douce diversité de ses conceptions se rencontrent les honnestes libertés d’une Jeunesse, Lyon [en fait Montauban], Pierre Coderc [en réalité Denis Haultin], in-8°, 1610. Il s’agit d’œuvres de jeunesse principalement consacrées à l’amour. Mais Ferry est aussi l’auteur plus méconnu, sans doute en 1609 (si l’on en croit ses notes dans BnF, NAF 6723, fol. 11 r°) de L’Amour Aveugle représenté de ses plus vives couleurs aux divers effectz dont il a traversé les Amours de Fidamant et de Ferriane, imprimé à Poitiers, se vend à Paris, Jean Millot, s. d., titre gravé, in-12. Cet ouvrage est extrêmement rare et mériterait sans doute une étude particulière. Dans cet ouvrage, que l’on peut penser en partie autobiographique, Ferry y évoque les amours impossibles entre un huguenot et une catholique dans une ville qui a tout l’air d’être Metz.
29 BnF, NAF 6723, fol. 35 r°.
30 Ibid.
31 Ibid., fol. 35 v°. Le mariage est consigné dans le registre des baptêmes et mariages de l’Église réformée de Metz pour la période 1604-1614 (AC Metz, GG 242). Mais il n’y est pas précisé quel ministre a officié, ce qui rend difficile à comprendre l’erreur de Mazauric (R.), Le pasteur Paul Ferry…, op. cit., p. 36, et reprise par Tribout de Morembert (H.), « Les mariages du pasteur Paul Ferry », art. cit., p. 106, précisant que le mariage a été célébré par Théophile Le Coullon.
32 BnF, NAF 22 886, fol. 80-81. Trois séries de vers anonymes, peut-être d’un même auteur.
33 Ibid., fol. 80 r°.
34 BnF, NAF 22 704, fol.11-13. L’original est sans doute perdu. Contrat passé devant l’aman (notaire messin) de Saint-Eucaire, Jérémie Grandjambe. Le principe de la communauté, réduite aux acquêts, est sauvegardé.
35 BPF, Ms 775, p. 151. La désinvolture du pasteur est évidente : on voit qu’il avait d’abord écrit « 22 décembre 1635 » comme date au mariage entre Jérémie Le Goullon et Suzanne Lespingal, puis a écrit par-dessus « 1625 ». Mais la lecture des registres des baptêmes et mariages de l’Église réformée de Metz pour les années 1624-1639 (AC Metz, GG 244, fol. 242 r°) permet de constater qu’il s’agit en réalité de l’année 1624.
36 Esther est en effet morte sans avoir pu signer son second testament, en date du 18 mai 1636, jour même de son décès. L’aman Grandjambe fait donc ensuite des difficultés à Ferry pour l’exécution de ce testament. AD Moselle, 9F 12.
37 AD Moselle, 3E 3 207. Copie d’extraits à la BnF, NAF 22 704, fol.347.
38 Contrat du 27 janvier 1637. AD Moselle, 3E 3 207.
39 BPF, Ms 775, p. 153.
40 Ibid. Paul Ferry fils était alors au collège à Sedan, et Suzanne Ferry était déjà en ménage, avec son mari Jacques Couët du Vivier.
41 Voir par exemple Du Moulin (P.), De la vocation des pasteurs, 2e édition revue et corrigée, Genève, Pierre Aubert, 1624, in-8°.
42 De Combles (F.), Trois sermons touchant la preparation requise pour communiquer deüement & dignement à la Cene de nostre Seigneur, Genève, Pierre et Jacques Chouët, 1613, in-8°, p. 36.
43 Ibid., p. 40.
44 Sur ce sujet, voir par exemple le recueil d’articles de Mentzer (R.A.), La construction de l’identité réformée aux XVIe et XVIIe siècles : le rôle des consistoires, Paris, Honoré Champion, 2006.
45 Voir le portrait synthétique, mais édifiant, que fait de la femme réformée idéale Godineau (D.), Les femmes dans la société française, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 2003, p. 104.
46 De Félice (P.), Les protestants d’autrefois…, t. 2, op. cit., p. 283.
47 Sur ce problème de l’orthographe féminine, voir l’article stimulant de Goodman (D.), « L’ortografe des dames : Gender and Language in the Old Regime », French Historical Studies, 25-2 (2002), p. 191- 223. Malheureusement, on ne sait rien de leur instruction.
48 Voir les prières émouvantes rédigées par Ferry sur la mort de ses enfants. BPF, Ms 775.
49 BnF, NAF 22 886, fol. 86 r°. Vers anonymes sur la naissance de la seconde fille de Paul et Esther, Suzanne, en 1616, après la mort de leur première fille, Esther.
50 Ibid., fol. 85 r°. Vers anonymes rédigés pour la naissance en 1628 de Charles Ferry, fils de Paul et Esther.
51 BPF, Ms 7621, dossier 5, plusieurs lettres. Il était parti à Sedan en 1635 et n’est de retour à Metz qu’en 1644, année de sa mort prématurée.
52 BPF, Ms 7626, dossier 1, plusieurs lettres.
53 On le voit notamment dans la correspondance entre Anne Ferry et son père, lorsqu’elle vit à Thouars avec son mari pasteur François Bancelin : elle se plaint régulièrement de l’absence de nouvelles de la part de Suzanne. BPF, Ms 7622, dossier 2, plusieurs lettres.
54 Par exemple dans la lettre du 29 mai 1634, écrite de Paris par Paul Ferry à Esther de Vigneulles, il écrit directement à ses fils : « Paul & Louys, je vous recommande de bien prier Dieu, d’estre sages, de bien obeyr a vostre Mere, a Monsieur du Viviers, & a vostre Sœur, & de bien estudier affin que je continue a vous aimer. » (BPF, Ms 7621, dossier 4). Mais ces recommandations ont déjà été faites précédemment et sont répétées dans plusieurs lettres suivantes, ce qui laisse penser qu’elles ne sont guère suivies d’effet.
55 Beauvalet-Boutouyrie (S.), Les femmes à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, Belin, 2003, p. 16.
56 Son sermon n° 1316 est prononcé le dimanche « 1er de juin 1636 quinze jours & la premiere fois apres la mort de ma treschere & regrettee femme qui fut le dimanche 18 de may precedent ». BM Metz, Ms 1082. Paul Ferry a alors arrêté provisoirement la lectio continua qu’il faisait de l’épître aux Hébreux pour prêcher sur un passage du livre des Lamentations.
57 BPF, Ms 7621, dossier 3.
58 Ibid.
59 On pourrait reprendre ici la très bonne expression de l’historien Johannes Wahl, forgée pour des couples luthériens et traduite par Gautier (S.), « Les femmes de pasteurs… », art. cit., p. 278 : il s’agit de « partenaires inégaux ».
60 Sermon sans date, sans doute prononcé à Metz, repris dans Quatre sermons prononcés en divers lieux et sur differens Sujets par Paul Ferry, Pasteur en l’Église reformée de Metz, Charenton, Louis Vendosme, 1646, p. 65. Malheureusement, ce sermon, antérieur à 1646 donc, ne figure pas parmi les très nombreux brouillons conservés, et il est par conséquent impossible d’en savoir plus sur les conditions dans lesquelles il fut prononcé.
61 BPF, Ms 7621, dossiers 3 et 4.
62 Par exemple dans une lettre de Toul, le 19 mai 1642, il lui demande de ne plus l’appeler « Monsieur », trouvant cela « tout sec ». Le 3 juin suivant, il lui demande plus d’intimité : « je ne peux me garder de te reprocher la seule faute que tu commets en toutes tes lettres. Ne seray-je jamais plus ton cher Tout, ou ton cher Fils, ou ton cher Monsieur ? […] Quictons ce respect inutile & injurieux », BPF, Ms 7621, dossier 4.
63 BPF, Ms 7621, dossier 4. Lettre écrite de Montmirail, le 7 mai 1634.
64 Ibid. Lettre écrite de Toul, le 23 mai 1642.
65 Ibid.
66 Ibid. Lettre écrite de Paris, 9 juillet 1634.
67 Ibid. Lettre écrite de Paris, 27 juillet 1634.
68 Il a été averti par son gendre Couët du Vivier, comme on l’apprend dans BPF, Ms 775, p. 52.
69 BPF, Ms 7621, dossier 4. Lettre écrite de Paris, 21 septembre 1634.
70 BPF, Ms 775, p. 51 : elle « fut nommee comme ma femme le desira, en memoire de mes vertueuses Mere & sœur Elisabeth ».
71 BPF, Ms 7621, dossier 3. Lettre reçue par Ferry à Paris le 5 août 1634.
72 Ibid. Lettre de Metz, le 18 mai 1623.
73 Moreil (F.), « Portrait de groupe avec dames », comm. cit.
74 Son portrait d’épouse et de mère idéale est brossé en quelques lignes par un ouvrage de son fils sur la vie de son mari : Ancillon (C.), Discours sur la vie de feu Monsieur Ancillon et ses dernières heures, Bâle, Eman & König, 1698, in-12, p. 77 et p. 107.
75 AD Moselle, 9F 12. Copie à usage familial du testament du 26 février 1614.
76 Ibid. Copie à usage familial du testament du 18 mai 1636.
77 BPF, Ms 775, p. 27-28.
78 « Memoire des troubles de Metz es annees Mil six cens dix neuf & vingt ». Non paginé. Ce mémoire est relié au livre d’heures de Ferry. BPF, Ms 775.
79 BPF, Ms 7621, dossier 3.
80 Pour une comparaison avec la perception de la mort dans le monde réformé en général et dans le corps pastoral en particulier, voir par exemple Carbonnier-Burkard (M.), « L’art de mourir réformé. Les récits de “dernières heures” aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans Homo religiosus. Autour de Jean Delumeau, Paris, Fayard, 1997, p. 99-107 ; ainsi que Gœury (J.), « Une légende rodée : la scène de l’agonie dans le récit de la mort des pasteurs (XVIe-XVIIe siècles) », Bulletin de la SHPF, 155-3 (2009), p. 581-604.
81 BPF, Ms 7621, dossier 3. Pour une comparaison avec la mort des femmes de pasteurs luthériens, voir Gautier (S.), Les femmes de pasteurs…, op. cit., p. 120-129.
82 Nombreuses pièces conservées sur la spoliation du temple de la rue de la Chèvre par les jésuites aux AD de la Moselle, série D (notamment D 39). Voir Mazauric (R.), « Metz. Le Temple de Crèvecœur. Comment les protestants obtenaient justice sous le régime de l’Édit de Nantes », Bulletin de la SHPF, 88-1 (1939), p. 5-21. La résistance de la famille La Cloche a été tellement vive, qu’un bail passé pour sa location par les jésuites en 1680 précise qu’il s’agit de « la maison de La Cloche » (AD Moselle, D40). Les sources que nous avons sur la résistance de cette femme sont cependant catholiques, et il est possible que cette présentation de l’action de madame de La Cloche soit une manœuvre pour la présenter comme une matrone et une rebelle.
83 BPF, Ms 3351, fol.52-75 et Ms 7601, fol.165-179 (lettres d’Anguenet à Ferry sur le sujet du « scandale » causé par sa femme).
84 Perrot (M.) dir., Une histoire des femmes est-elle possible ?, Marseille, Rivages, 1984.
85 Gautier (S.), « Les femmes de pasteurs… », art. cit., et Schorn-Schütte (L.), « “Gefährtin” und “Mitregentin”. Zur Sozialgeschichte der evangelische Pfarrfrau in der Frühen Neuzeit », dans Vanja (C.) et Wunder (H.) dir., Wandel der Geschlechterbeziehungen zu Beginn der Neuzeit, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 109-153.
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