URL originale : https://books.openedition.org/pumi/38031

Chapitre III. La disparition de la sidérurgie à la catalane
p. 693-734
Texte intégral
1Les historiens ont négligé d’étudier la permanence d’un procédé technique sur la longue durée, disqualifiée sous le nom de routine. Ils se sont désintéressés, d’une façon identique, de sa disparition. L’explication générale peut se résumer en un mot, archaïsme, c’est-à-dire condamnation par le progrès technique. Dans le cas de la sidérurgie directe, l’exécuteur de la sentence est le haut fourneau, figure emblématique de la révolution industrielle. Une telle démarche nie la complexité de la méthode directe et les progrès dont elle a été capable1. En fait d’histoire des techniques, il faut parler d’espoirs déçus. La forge à la catalane s’est avérée incapable de confirmer les espérances que certains ingénieurs et sidérurgistes avaient encore placées en elle au milieu du XIXe siècle. La sidérurgie directe bénéficie alors de la croyance dans la supériorité générale des fers au bois. Les mécanismes qui ont conduit à la disparition rapide de la forge à la catalane peuvent, en creux, offrir des informations sur les logiques qui ont permis au procédé direct de durer.
2Dans notre tentative de comprendre le maintien du procédé direct, nous avions abandonné l’étude de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises vers 1855. Il faut maintenant nous pencher sur la période 1857 à 1885. L’impression est très nette que les années 1857-1865 sont des années charnière pendant lesquelles se joue une nouvelle distribution des rôles, après les records de 1850-1856. Il semble que, avec les ultimes demandes de construction de forges de 1855, les dernières ordonnances d’autorisation de 1858, nous atteignions une véritable borne chronologique. La mise à feu des hauts fourneaux de Pamiers en 1859 confirme et renforce cette rupture temporelle. À la mesure de la longue existence de la sidérurgie directe hydraulique dans les Pyrénées ariégeoises, à l’aune du temps de la forge à la catalane elle-même, sa disparition ne demande qu’un très court instant, une vingtaine d’années. L’adjectif « brutale » ne convient pas puisqu’elle survient alors que la crise du système est déjà patente. De cette constatation naît l’idée de survie, à ce moment précis de l’histoire de la réduction directe des Pyrénées ariégeoises. Survie qui, dans une certaine mesure, est artificielle, parce qu’elle n’a rien à voir avec les conditions normales de travail d’une industrie.
A/ La fin de la sidérurgie à la catalane (vers 1857-1885)
3Il est indispensable de commencer par dresser un état du monde à la catalane, sorte de procès-verbal de son évolution. La statistique générale du service des Mines doit être nuancée, à partir de 1856, par le recours à la statistique industrielle complétée chaque trimestre par canton ou arrondissement. Certes, elle est très inégale, son exactitude dépend de la rigueur de la personne qui la rédige. Ainsi, le canton de Foix présente les mêmes vagues informations, ou presque, de 1856 au troisième trimestre 1863. Beaucoup de renseignements restent trop généraux. Mais, telle qu’elle se présente, cette statistique permet d’aller plus près de la réalité vécue ou perçue par les maîtres de forges, et, par conséquent, de mieux comprendre l’évolution de cette industrie. Elle est susceptible de fournir des éléments pour affiner l’analyse. De 1857 à 1885, elle donne la très nette impression d’une industrie à bout de souffle, présentant tous les symptômes d’une forte crise qui la conduit jusqu’à son agonie2.

1/ Le basculement de la fin des années 1850 et du début des années 1860
4Il faut d’abord établir les faits, c’est-à-dire décrire l’état et l’évolution du nombre de feux et de la production des fers à la catalane de 1857 à 1865 :
années | nombre de feux | production en quintaux | prix du quintal en francs | valeur totale en francs |
1857 | 45 | 51 450 | 36,25 | 1 865 073 |
1858 | 39 | 45 684 | 35 | 1 597 170 |
1859 | 27 | 39 604 | 34 | 1 346 536 |
1860 | 30 | 43 000 | 34 | 1 462 000 |
1861 | 35 | 50 000 | 36 | 1 800 000 |
1862 | 32 | 48 000 | 35 | 1 680 000 |
1863 | 19 | 29 600 | 33 | 976 800 |
1864 | 18 | 21 200 | 32 | 678 400 |
1865 | 18 | 20 900 | 31,30 | 654 171 |
Nombre de feux à la catalane et leur production de 1855 à 1865
- La démographie des forges
5Des forges à la catalane sont encore érigées ! Certes, l’administration préfectorale et le service des Mines font systématiquement remarquer que les maîtres de forges ne proposent « rien de nouveau » et que les procédés qu’ils désirent installer sont « trop anciens ». La forge projetée n’a pas pour objet de mettre en jeu « des procédés de fabrication nouveaux ou perfectionnés »3. Et pourtant ils continuent à accorder l’autorisation au nom de la liberté d’entreprendre. Si l’usine projetée n’apporte pas de bénéfice, elle s’arrêtera d’elle-même, là réside la véritable limitation des droits des industriels. L’autorisation de la forge à un feu à Fangas de Lucantes, près de Tarascon, que Bonnans avait demandée le 25 juin 1847 est accordée le 15 juillet 18584. Le 30 juillet 1855, Pujol et Galy veulent ériger une forge à la catalane à deux feux au Saut du Teil, l’autorisation est donnée par l’ordonnance du 28 juin 1858. En réalité, lors du récolement de 1862, un seul feu et un martinet ont été construits5. Le 15 juillet 1855, Carbonne demande l’autorisation de substituer à la féculerie de Planissolles à Foix, une forge à la catalane à un feu. Mais il est exproprié de l’usine qui devient en 1860 la propriété de Darnaud, banquier à Toulouse6.
6Si l’on compte encore 45 feux en 1857, soit plus qu’en 1807, leur nombre tombe à 39 dès 1858 ; pire, il n’en reste que 29 l’année suivante. Dix-sept usines se sont arrêtées en moins de 10 ans : Ascou est en ruine en 1861, la forge de La Ramade sur le ruisseau de Siguer est mentionnée jusqu’en 1863, l’usine du faubourg de Tarascon est arrêtée en 1857. Rabat ne conserve qu’un feu à partir de 1857-1858, qui est à son tour en chômage en 1864, mais présent sur les statistiques jusqu’en 1870. Lacombe marche très irrégulièrement de 1856 à 1859. Les Esqueranes et La Mouline s’arrêtent en 1857, seule la cémentation continue jusqu’en 1865. Montgailhard « chôme complètement depuis quelque temps », au 4e trimestre 1864. Saverdun est indiquée comme « forge » jusqu’en 1861, mais l’on doit se demander si elle a réellement fonctionné jusqu’à cette date parce que ses propriétaires successifs ont tous fait faillite. Les Estaniels chôme de 1858 à 1860, puis de nouveau à la fin de 1862 et en 1863 ; la dernière mention de cette forge date de 1864. Aulus n’a pas travaillé en 1859, est « complètement tombée en ruines » en 1862, Oust a une marche très irrégulière de 1856 à 1864, année de son chômage définitif. Engomer a un seul feu en 1856, est « en chômage depuis longtemps » en 1860. Lacourt s’arrête vers 1863-1866, Celles « chôme depuis quelques années » en 1864, elle a une marche très irrégulière jusqu’en 1873. Manses a un « travail ralenti » de 1859 à 1861, elle est présente sur les statistiques jusqu’en 1864. La forge de Saint-Pierre est rachetée par la société qui possède l’usine de Pamiers vers 1860 et est transformée en aciérie avec fours Martin et fonderie. Ainsi, au mois de mai 1862, les régions de Vicdessos, Foix, Pamiers et Saint Girons comptent 27 forges qui emploient 516 ouvriers7. Sans aucune ambiguïté, le point d’inflexion se situe en 1863, lorsque le nombre de feux en activité dans les Pyrénées ariégeoises passe de 32 à 19, soit une diminution de 40 %, confirmation d’une chute qui ne connaîtra plus de répit. Dans le canton de Tarascon, les fers étaient produits par 14 feux de forges à la catalane occupant 120 ouvriers forgeurs. Mais, cette industrie dépérissant d’année en année, il n’y a plus que 6 feux en activité au mois d’août 18638.
7Le nombre de feux ne doit pas être seul pris en compte, il importe aussi de connaître la durée du travail de chacun. C’est là un paramètre essentiel pour apprécier la production totale de fer. Cette intermittence qui existe depuis les débuts de la forge hydraulique prend un relief de plus en plus prononcé lorsque l’activité sidérurgique devient de plus en plus précaire. Les forges voisines d’Orlu et d’Orgeix ont un rythme de travail comparable. Leur situation dans une vallée étroite de la haute Ariège les rend particulièrement sensibles aux conditions climatiques. Ainsi, ces deux forges sont en production pendant 5 ou 6 mois, selon les années. La durée de leur roulement est aussi déterminée par la quantité de charbons que donnent leurs forêts, puisque les maîtres de forges utilisent uniquement leur propre combustible. La forge ne travaille que le temps nécessaire pour brûler ses charbons. Lors du 1er trimestre 1861, la forge d’Orgeix risque de « se trouver sans forêts », et donc de manquer de charbons par suite des « coupes immodérées » réalisées par son propriétaire. Les forges de Château-Verdun et de Luzenac ont chômé pendant environ 1 mois au cours du 1er trimestre 1860 à cause des glaces, ou encore en 1864, pendant « quelques temps » à cause de fortes neiges et de glaces, 1 mois en 1865. La sécheresse de 1864 arrête « quelque peu » le travail au 3e trimestre. La forge d’Estaniels s’arrête de produire pendant 4 mois, essentiellement à cause de la sécheresse. La forge du Mas d’Azil a chômé jusqu’au 15 février 1858 par manque d’eau, puis au 3e trimestre pour ne reprendre qu’en novembre. La forge de Teilhet connaît une marche très semblable cette année-là. Il en est de même pour Lacourt. Autre cause de chômage, les réparations qui durent deux mois au 2e trimestre de 1859 à la forge d’Estaniels. Le chômage a continué au trimestre suivant. La reprise du travail ne se fera qu’au 3e trimestre 1860. Des procès, des affaires de famille entraînent aussi le chômage. C’est le cas au 2e trimestre 1861 de la forge d’Orgeix dont le propriétaire, le marquis d’Orgeix est en procès avec sa nièce. Arrêt de la forge du Mas d’Azil lors du 1er trimestre 1860, à cause d’un procès entre le nouveau et l’ancien propriétaire.
- La production des fers à la catalane
8La production de fer du département atteint à partir de 1858 un niveau inférieur à celui de 1818, et ne le dépassera plus si l’on excepte les années 1861 et 1862 ! La sidérurgie ariégeoise subit donc un net ralentissement. Le point d’inflexion se situe logiquement en 1863, comme celui du nombre de feux, lorsque la production de fer tombe de 48 000 à 29 600 quintaux seulement, soit une diminution de 38,3 %, chute brutale et définitive. Pour la première fois du siècle, la valeur de la production est inférieure à un million de francs. Certes le prix du fer est descendu à 33 francs le quintal, soit une diminution de 2 francs. Il s’agit maintenant de voir si l’étude des cas particuliers des usines tels qu’ils sont présentés dans les statistiques trimestrielles, apporte des renseignements supplémentaires. Vraiment très peu de chiffres, il faut se contenter d’indications standardisées, nous dirions même d’impressions stéréotypées : « fabrication bonne », « fabrication satisfaisante », « très satisfaisante », « fabrication médiocre », « en souffrance », « fabrication stationnaire », etc. La série la plus longue concerne le canton des Cabannes. Les forges mentionnées sont celles de Château-Verdun au nombre de 2 avec 2 feux chacune, et celle de Luzenac. Il n’est pas possible de savoir quelles sont les forges qui travaillent réellement, il est souvent mentionné deux forges, trois feux :
années | nombre de forges | production/semaine en quintaux | production/trimestre en quintaux |
1857, 1er trimestre | 3 | 118,08 |
|
2ème trimestre | 3 | 118,08 |
|
3ème trimestre | 3 | 117 |
|
4ème trimestre | 3 | 117 |
|
1858, 1er trimestre | 3 | 120 |
|
2ème trimestre | 4 feux | 159,60 |
|
3ème trimestre | 3 | 112 |
|
4ème trimestre | 3 |
| 1 339 |
1859, 1er trimestre | 3 |
| 1 052 |
2ème trimestre | 3 |
| 1 296 |
3ème trimestre | 4 feux |
| 1 536 |
4ème trimestre | 3 |
| 1 224 |
1860, 1er trimestre | 3 |
| 800 |
2ème trimestre | 3 |
| 1 200 |
3ème trimestre | 3 |
| 1 368 |
4ème trimestre | 3 |
| 1 296 |
1861, 1er trimestre | 3 |
| 1 296 |
2ème trimestre | 3 |
| 1 296 |
3ème trimestre | 3 |
| 1 200 |
4ème trimestre | 3 |
| 1 368 |
1862, 1er trimestre | 3 |
| 1 296 |
2ème trimestre | 3 |
| 1 296 |
3ème trimestre | 3 |
| 1 296 |
4ème trimestre | 3 |
| 1 300 |
1863, 1er trimestre | 2 |
| 1 296 |
2ème trimestre | 3 |
| 432 |
3ème trimestre | 3 |
| 1 325 |
4ème trimestre | 3 |
| 1 411 |
1864, 1er trimestre | 3 |
| 864 |
2ème trimestre | 3 |
| 1 368 |
3ème trimestre | 3 |
| 1 152 |
4ème trimestre | 3 |
| 1 368 |
1865, 1er trimestre | 3 |
| 912 |
2ème trimestre |
|
|
|
3ème trimestre |
|
|
|
4ème trimestre | 3 |
| 1 348 |
Production des forges du canton des Cabannes de 1857 à 1865
- L’acier de cémentation
9Les ingénieurs des Mines constatent que, pendant la période 1860-1868, l’industrie de la cémentation tend « graduellement » à disparaître. Dans ce tableau, est indiqué le pourcentage de la production d’acier cémenté par rapport à la production totale de fer à la catalane :
années | production d’acier cémenté en quintaux | % | prix du quintal en francs | valeur en francs |
1860 | 8 000 | 18,6 | 45 | 360 000 |
1861 | 7 000 | 14 | 45 | 315 000 |
1862 | 6 000 | 12,5 | 45 | 270 000 |
1863 | 5 000 | 16,8 | 45 | 225 000 |
1864 | 4 000 | 18,86 | 45 | 180 000 |
1865 | 3 500 | 16,75 | 45 | 167 500 |
1866 | 2 000 | 11,5 | 43 | 86 000 |
1867 | 1 000 | 5,9 | 43 | 43 000 |
1868 | 1 000 |
| 40 | 40 000 |
Production d’acier cémenté de 1860 à 1868
10L’année 1868 est la dernière pour laquelle il est possible de connaître la production d’acier à partir du fer à la catalane, mais ce n’est pas la dernière où de l’acier ait été obtenu par cémentation. À partir de cette date, il est impossible de différencier les types d’acier selon leur mode de fabrication, cémentation, puddlage, acier Bessemer, acier Martin, acier fondu. L’industrie de la cémentation a effectué une belle remontée en 1860 et sa production est comparable à celle de 1834, mais à peine supérieure à celle des années 1836 à 1842, 1846-1847, ou encore 1851-1852. Malgré cette embellie, une baisse régulière se poursuit jusqu’aux années 1867-1868, date à laquelle la production d’acier cémenté des Pyrénées ariégeoises atteint son plus bas niveau depuis la création de cette industrie, qui avait, pourtant, subi une grave crise de 1848 à 1850. Elle retrouve un niveau inférieur à l’année 1828, c’est-à-dire proche de ses premières années d’existence. Dans la série qui a été constituée pour le siècle, le rapport qui lie l’acier cémenté à la production totale des fers à la catalane varie de 11,5 à 18,86 %, si l’on excepte les 5,9 % de 1867. Il marque la part importante de la cémentation dans les débouchés locaux des fers ariégeois. Il témoigne aussi du sort commun qui attache, indéfectiblement, l’une et l’autre de ces deux branches de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises.
- L’évolution du prix du fer
11Il est évident pour les maîtres de forges ariégeois que la reprise de l’activité sidérurgique dépend essentiellement du prix de vente du fer. Depuis le début du siècle, il était toujours supérieur à 41 francs les 100 kg, sauf en 1832 avec 39,50 francs, en 1844 et 1845 où il est descendu à 38,08 et 39,17 francs. À partir de 1848, il est toujours inférieur à cette valeur, même pendant la période record de la production de 1852 à 1855 où il oscille de 36 à 38 francs. Au-delà du prix départemental moyen, la statistique trimestrielle permet d’apporter des nuances. Pour l’année 1857, le prix moyen est de 36,25 francs. Il varie de 40 à 33 francs et même 32 francs selon les cantons. En 1858, le prix moyen est de 35 francs dans le département. La vente se fait souvent à « vil prix ». En 1859, la moyenne est de 34 francs. Le prix baisse fortement « à cause des hauts fourneaux ». Le niveau est toujours bas en 1860, 32 francs dans le canton des Cabannes pendant le 1ertrimestre, alors que le prix départemental est de 34 francs. Dès le 3e trimestre, les prix présentent « des apparences de hausse » dans le canton de Tarascon. Cette tendance est confirmée dans l’arrondissement de Saint-Girons. Lorsque le prix du fer tombe à 33 francs, les maîtres de forges ne peuvent pas « faire seulement le pair, tous perdent en travaillant et la plupart ont été obligés de fermer leur établissement ; les autres seront forcés d’en faire de même… si le tarif baisse encore »9. La hausse remarquée à la fin de l’année 1860 se confirme en 1861. Le prix moyen est de 36 francs. Dans les forges du canton de Tarascon, il augmente de 10 % au 1er trimestre, puis de 15 % au 2e trimestre, ce qui fait que les ventes se font à « des conditions avantageuses ». Il en est de même dans le canton des Cabannes où, au 3e trimestre, la hausse des prix permet aux maîtres de forges de retirer « un bon prix des fers ». Cependant, les fers restent « à bas prix », dans le canton de Vicdessos. En 1862, le prix moyen est de 35 francs, en légère baisse par rapport à l’année précédente. C’est dire que le prix reste bas. L’année 1863 est marquée par une nouvelle baisse du prix moyen, 33 francs, le prix le plus faible jusqu’alors. Le prix a baissé de 10 % à Tarascon « par suite de la rareté des demandes ». Indéniablement, les fers à la catalane sont moins recherchés. Leur prix est « au plus 35 francs les 100 kg rendus à Toulouse, ce qui équivaut à un prix de 33 francs dans les forges ». Les industriels se livrent alors à un pronostic qui est en même temps un espoir, le prix du fer est « en baisse progressive qui augmentera encore jusqu’à ce qu’un certain nombre de forges ferment leurs ateliers, ce qui arrivera dans le courant de l’année, puis alors peut-être une petite hausse faible se produira » (2 février 1863). La moyenne départementale de l’année 1864 révèle ce que cette prévision avait de fragile puisqu’elle est de 32 francs. L’avis est unanime, « les prix ne sont pas assez rémunérateurs », et ne sont pas « en rapport avec les frais de fabrication ». La valeur moyenne est de 31,30 francs en 1865, c’est-à-dire que la chute se poursuit.
- Les marchés
12Les caractéristiques traditionnelles du marché des fers des Pyrénées ariégeoises demeurent inchangées malgré la situation de crise et la baisse du prix des fers. Le marché local est toujours aussi difficile à saisir. Les fers bruts sont élaborés dans les martinets et leur valeur augmente. Les principales fabrications sont les outils agricoles. Toutes ces usines (11 martinets et 2 fabriques de faux) utilisaient auparavant le fer fort à la catalane dont le travail était difficile et donnait beaucoup de déchet, c’est pourquoi il est remplacé par l’acier de cémentation. Les difficultés les plus grandes sont ressenties sur les marchés régional et national. Les forges ariégeoises envoient toujours leur fer en barres à Pamiers, Carcassonne, Albi, et principalement à Toulouse, mais aussi à Bordeaux et surtout à Saint-Etienne qui reste un débouché privilégié durant cette période. Quant aux fers à la catalane élaborés, la concurrence est rude là aussi. Un exemple suffit à le constater. Face aux feuillards laminés fabriqués hors de l’Ariège, la fabrication des feuillards martelés diminue. La région bordelaise, restée fidèle aux fers ariégeois pour la confection des cercles de tonneaux, demeure leur seul grand débouché. Ainsi, durant cette période, les fers à la catalane sont de plus en plus délaissés, y compris pour l’obtention de l’acier, pour la production d’outils agricoles, quel que soit le marché considéré, local, régional ou national. Les méthodes de vente appliquées depuis longtemps perdurent. Les fabricants, « en général besogneux » précisent les statistiques industrielles, se présentent à Toulouse, proposent un prix et finissent par subir la loi des marchands, toujours avides de concessions que les Ariégeois sont contraints d’accepter10. La mainmise de la capitale languedocienne sur les maîtres de forges pyrénéens se perpétue et le résultat est désastreux, la vente des fers se fait à des conditions qui ne sont guère en rapport avec les frais de fabrication, alors que la demande est rare et que la concurrence devient de plus en plus pressante.
- La conjoncture à l’intérieur de la période 1857-1865
13Dans ce climat de crise qui non seulement s’installe durablement mais s’aggrave, il est possible de relever quelques frémissements. Certes, la vente reste difficile, ce qui entraîne la « paralysie » de l’industrie. De 1857 à 1859, la demande reste atone, la plupart des forges chôment11. Un léger mieux se dessine au 2e trimestre de l’année 1860, dans le canton de Tarascon, comme pour les forges du Mas d’Azil et de Teilhet. Il faut attendre le trimestre suivant pour que cette amélioration se fasse sentir à la forge d’Estaniels, et le quatrième dans l’arrondissement de Saint-Girons. Un décalage est perceptible pour les forges des Cabannes et de Vicdessos où, au 3e trimestre de 1861, on note un mouvement identique. Il est remarquable que la situation évolue dans le même sens dans l’ensemble des Pyrénées ariégeoises où la fabrication tend à reprendre, le prix du fer repartant à la hausse. Cette timide reprise de la production et la faible hausse des prix du fer qui l’accompagne s’expliquent bien plus par une raréfaction de l’offre, de nombreuses forges ne travaillant plus et celles qui produisent ne roulant pas toute l’année, que par un gonflement de la demande. Sur le marché local, les rares forges en roulement n’ont pas besoin « d’offrir [leurs] produits », les besoins de l’agriculture suffisent pour les évacuer (canton de Foix, 2e trimestre 1864). La rareté du métal entraîne une « apparence » de hausse du prix du fer. Ainsi, le travail des forges qui restent en roulement n’est pas précisément « languissant ». Il est au contraire assez actif, mais cette activité n’est pas constante, elle tient jusque vers la fin de mai. Peut-on parler d’embellie parce que cette amélioration dure au moins jusqu’en 1862 ? La situation redevient plus difficile au 2e trimestre 1862 pour les forges du Mas d’Azil et de Teilhet, au 3e pour Vicdessos, au 4e pour Saint-Girons, pour les Estaniels. Il faut attendre le 4e trimestre 1863 pour voir la conjoncture se retourner dans le canton de Tarascon. En réalité, le sidérurgie à la catalane est atteinte au cœur de son système, il n’est plus possible de croire à une crise conjoncturelle, aussi forte et durable soit-elle jugée.
14Certains auteurs écrivent encore au début des années 1860, contre toute évidence, que « l’industrie du fer est dans un état de prospérité toujours croissant, et dépasse tout ce qu’on aurait osé concevoir il y a 50 ans. Malgré les développements de l’industrie du fer, les forges de ce département n’ont jamais changé de système, elles sont toujours à la catalane, comme celles des Pyrénées-Orientales et de l’Aude… Le produit total des forges de l’Ariège s’élève donc à la somme de 3 591 269 francs ; or nous avons vu qu’en 1785, les forges du comté de Foix ne donnaient que 777 000 francs de revenu, c’est donc une augmentation de 2 814 269 francs que cette industrie a réalisée dans l’espace de 80 ans »12. Difficile de savoir d’où provient ce chiffre. Le produit le plus élevé de la sidérurgie à la catalane se situe en 1818 avec un total de 3 452 000 francs. La réalité est différente, durant cette période 1857- 1865, la sidérurgie à la catalane des Pyrénées ariégeoises s’est solidement installée dans la récession, est entrée en décadence. L’année la plus forte, 1860, a créé une richesse de seulement 1 462 000 francs. Le nombre des forges va en s’amoindrissant, au point que le préfet de l’Ariège prédit en 1863 que « dans trois ou quatre ans au plus, il restera peut-être place pour cinq ou six feux à la catalane dans le département »13.
2/ L’effondrement d’une industrie qui ne fait que se survivre (1866-1883)
15L’industrie à la catalane se réduit comme une peau de chagrin. La conjoncture dans l’Ariège est inquiétante. Vers 1870, la période de prospérité de l’agriculture est finie, à l’unisson de la dépression agricole nationale. Les enquêtes de 1867 et de 1870 montrent que l’accroissement de la valeur des terres agricoles, qui a été d’environ un tiers de 1830 à 1860, est terminé. Elles révèlent qu’une dépréciation se manifeste depuis 1863. Les cultures ont atteint leur plafond. Les paysans abandonnent les champs et cherchent du travail dans les villes ou sur les grands chantiers ferroviaires. Plusieurs crises viennent aggraver le malaise, les répercussions de la guerre de 1870, l’inondation de 1875 qui arrête aussi toutes les activités industrielles. Dans ce climat, la sidérurgie à la catalane n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été.
- La démographie des forges
16Le signe le plus éclatant de la décadence de la sidérurgie à la catalane est l’accélération de la disparition de forges. Il subsiste encore 17 feux à la catalane en 1866 ; mais, dès 1868, leur nombre est réduit à moins de 10. À partir de 1876, seuls 3 feux au maximum continuent à travailler. La forge des Espasses à Capoulet s’arrête en 1867. La Cabirole au Bosc « fonctionne lentement et tend à cesser sa fabrication » au 1er trimestre 1867, elle est en chômage au 4e trimestre 1868. Un feu de la forge neuve d’Aston est transformé en martinet en 1868. Puis, dans les années 1870-1875, quinze forges s’arrêtent : Orlu au 3e trimestre 1871 ; Orgeix qui à partir de 1856 a un « travail très irrégulier », cesse au 2e trimestre 1871, peut-être même déjà en 1870. Luzenac n’est plus mentionnée dans les statistiques à partir de 1876, elle a cessé son activité dès 1873 vraisemblablement. Autour de Tarascon, Rabat n’a plus qu’un seul feu à partir de 1857-1858, elle est en chômage en 1864 mais elle figure sur les statistiques jusqu’au 3e trimestre 1870 ; Surba, présente jusqu’au 2etrimestre 1875, est changée en martinet. Dans la vallée de Vicdessos, Capounta est en ruines en 1879, La Vexanelle est indiquée « arrêtée depuis près de 2 ans » au 1er trimestre 1872. Cabre est « arrêtée depuis 2 ans » au 2e trimestre 1872, date à laquelle elle est remise en feu, sa dernière mention dans les statistiques date de 1874. La forge de La Ramade, sur le ruisseau de Siguer, est mentionnée jusqu’en 1863 ; celle sur le Vicdessos s’arrête au 2e trimestre 1870, mais depuis 1862, le procédé Chenot y était appliqué. La forge de Celles « chôme depuis quelques années » au 4e trimestre 1864, elle a une marche très irrégulière jusqu’en 1873. Planissoles interrompt son activité vers 1873-1874. Bénagues est transformée en usine métallurgique à 4 marteaux vers 1877. Dans le Couserans, Le Mas d’Azil connaît à partir de 1862 une production très ralentie jusqu’en 1871 (1er trimestre), puis elle est convertie en martinet. Lacourt, au chômage à partir de 1866, a peut-être retravaillé de 1869 à 1872. Engomer, un seul feu en 1856, « en chômage depuis longtemps » en 1860, une fabrique d’acier apparaît en 1866 avec 3 martinets, dernière mention au 4e trimestre 1872. Ainsi, l’ensemble de l’aire à la catalane des Pyrénées ariégeoises est touché, il n’y a plus de sanctuaire, le cœur de cette métallurgie du fer autour de Tarascon et Vicdessos est lui aussi atteint, même si c’est là que se rencontrent les dernières forges en activité.
- La production de fer à la catalane
17La plupart du petit nombre de forges encore en roulement ne travaille que quelques mois par an. Les 15 feux de forges recensés en 1867 ne produisent pas plus que 9 feux en activité constante, à raison de 1 000 feux par an et de 170 kg par feu. Une autre difficulté se présente à partir de 1861, les statistiques de l’administration des Mines indiquent pour l’Ariège le volume de la production de fer fabriqué au combustible minéral14. Or, il ne faut pas oublier que jusqu’en 1867, les hauts fourneaux utilisent le charbon de bois, puis le combustible mixte (charbon de bois et coke). Ainsi, les chiffres que l’on trouve dans cette statistique sous la rubrique « fer au combustible végétal » ne concernent pas seulement les fers à la catalane, sans qu’il soit possible d’apprécier la part respective des différents procédés. Cette remarque explique les anomalies que l’on constate pour les années 1877- 1880.
Nombre de feux et production de fer des forges à la catalane de 1865 à 1885
Années | nombre | production | prix du | valeur totale | fer au |
1866 | 17 | 17 300 | 31 | 536 300 | 12 860 |
1867 | 15 | 16 700 | 30 | 501 000 | 12 440 |
1868 | 8 |
| 27 |
| 18 800 |
1869 | 6 |
|
|
| 17 500 |
1870 | 5 |
|
|
| 10 900 |
1871 | 4 |
| 30 |
| 3 900 |
1872 | 5 |
| de 34 à 36 |
| 3 000 |
1873 | 9 à 11 |
| forte baisse, |
| 3 300 |
1874 | 7 à 9 |
|
|
| 3 300 |
1875 | 8 à 9 |
| 34 |
| 1 800 |
1876 | 2 ou 3 |
|
|
| 600 |
1877 | 1 ou 2 |
|
|
| 6 500 |
1878 | 3 |
|
|
| 4 000 |
1879 | 3 |
|
|
| 4 000 |
1880 | 1 ou 2 |
|
|
| 4 700 |
1881 | 1 |
|
|
|
|
1882 | 1 ou 2 | 2 900 |
|
|
|
1883 | 2 | 2 290 |
|
|
|
1884 | 1 ou 2 | 140 |
|
|
|
1885 | 0 |
|
|
|
|
- Le prix du fer
18Le prix du fer est tombé à 31 francs les 100 kg en 1866. La moyenne départementale est de 30 francs en 1867, puis descend à 27 francs en 1868 pour remonter à 30 francs au 1er trimestre 1871. L’année 1872 est marquée par une « hausse considérable », 35 et 36 francs dès le début de l’année et le prix continue à monter pour atteindre 40 et 45 francs au 3e trimestre. Les maîtres de forges encouragés par ce haut niveau de prix, certains qualifient cette hausse d’« énorme », rallument leurs feux, d’autant plus que cette augmentation se confirme au cours de l’année 1873. De 4 feux en roulement, on passe à 11. Mais, très vite, en 1874, le prix repart à la baisse sans que, dans un premier temps, la fabrication s’en ressente. Puis, « le bon marché relatif » du fer crée un ralentissement de la production (7 feux). Le prix du fer devient de plus en plus bas, au point que dès le 3e trimestre 1875 seuls 4 feux continuent à travailler. La baisse s’accentue, rendant la situation des rares forges encore en roulement de plus en plus précaire.
- La conjoncture de 1866 à 1883
19La fabrication est de plus en plus réduite. Le ralentissement s’accentue au point que l’industrie à la catalane est considérée comme « presque éteinte ». Les 3 feux des forges de Château-Verdun produisent environ 1 350 quintaux par trimestre et seulement 912 quintaux au 4e trimestre 1867 et 988 quintaux au 1er trimestre 1868 quand des incidents et les conditions climatiques gênent le travail. Ces forges travaillent pour le marché toulousain. À partir de 1872, le fer à la catalane n’est plus considéré comme « un élément dont il soit nécessaire de tenir compte dans une appréciation générale de la situation industrielle ». Les forges se sont éteintes, à l’exception de 4 ou 5 que leurs propriétaires n’allument que pendant quelques mois, soit pour profiter d’une hausse du prix du fer, soit pour écouler leurs charbons15. Le système Chenot fonctionne toujours. L’usine de La Ramade produit 1,2 tonne de fer par jour ; ce fer brut est mélangé à une quantité double de ferraille et le tout est laminé. La vente se fait dans les mêmes conditions que les fers à la catalane. La sidérurgie directe connaît pourtant un dernier sursaut de 1872 au début de 1875. Plusieurs forges à la catalane qui chômaient depuis de longues années sont rallumées. De 5 feux au maximum en 1872, on passe à 11 ou 9 feux en 1873, 9 ou 7 en 1874 et enfin 9 ou 8 feux dans les deux premiers trimestres de 1875. Les forges que l’on retrouve sont celles de Cabre, Niaux, Celles, Tarascon, Surba, Château-Verdun, Luzenac et Le Mas d’Azil. L’usine de Saint-Antoine est parfois citée. Les Pyrénées ariégeoises bénéficient de la situation créée par la guerre de 1870 (arrêt des usines métallurgiques, perte de régions sidérurgiques), qui a entraîné une hausse considérable du prix du fer dans le courant de l’année 1872. Ce soubresaut est cependant entravé par le manque de minerai et de charbon de bois. Les propriétaires de forêts s’efforcent de répondre à cette demande inattendue ou inespérée et de livrer le charbon le plus rapidement possible. Le bénéfice des maîtres de forges reste cependant minime parce que le combustible est cher. Il y avait longtemps que le fer à la catalane n’avait été aussi recherché. Une baisse du prix du fer s’amorce au 4e trimestre 1873. Et pourtant, le travail des forges se soutient. Il semble même qu’il pourrait se développer malgré cette diminution si les maîtres de forges n’avaient pas des difficultés à se procurer du minerai et… des forgeurs. La statistique parle même de « la disparition des ouvriers ». L’embellie se poursuit jusqu’au début de 1875. La crise générale de la métallurgie permet aux forges à la catalane de continuer leur roulement, certes toujours irrégulier, malgré la chute du prix du métal. Au milieu de 1875, retour à la dure réalité, la situation des forges redevient précaire, 4 feux seulement continuent à travailler, Château-Verdun, Luzenac, Tarascon.
20À partir du milieu de l’année 1876, il ne subsiste plus dans les Pyrénées ariégeoises que les forges de Château-Verdun et de Niaux, et encore « marchent-elles tant bien que mal ». La forge de Château-Verdun travaille pour tirer parti des charbons qu’elle se procure à des prix exceptionnels dans les forêts de son propriétaire, M. de Limairac. Elle dispose aussi du minerai de ses propres mines. De plus, les ébauches d’outils agricoles qu’elle fabrique avec ce fer dans un martinet annexe sont recherchées. Le maître de la forge de Niaux, Saint-André, doit honorer des commandes de métal pour la fabrication d’outillage agricole. Il est engagé avec l’usine de faux et d’outils agricoles de Touille (Haute-Garonne) en vertu d’accords anciens. De plus, il dispose d’un stock de minerai de Rancié. En 1878, ces deux ateliers sont rejoints, pour un court instant, par une forge de Tarascon qui a trouvé un marché dans une usine d’instruments agricoles. Mais, avant la fin de l’année, Château-Verdun et Niaux se retrouvent en tête à tête. La forge de Château-Verdun a produit 499 quintaux de fer au 4e trimestre 1880. Au 1ertrimestre 1881, la forge de Niaux a disparu, convertie en martinet. Celle de Château-Verdun disparaîtrait aussi si elle ne bénéficiait pas de conditions d’approvisionnement exceptionnelles. De plus, les fers qu’elle produit sont élaborés pour des usages spéciaux dans un martinet qui appartient aussi à M. de Limairac. Et pourtant, cette forge chôme une grande partie du 1er trimestre 1882 par manque de charbon. Et surprise, la forge de Niaux que l’on disait abandonnée est rallumée au 2e trimestre 1882 parce que son fer brut est transformé dans un martinet annexe en ébauches d’outils aratoires réputées qui se vendent facilement. Les deux forges ont produit 290 tonnes de fer en 1882 et 229 tonnes en 1883. Cette année 1883, enfin, voit arriver un débouché inattendu, une partie de ce fer à la catalane est traitée à Pamiers ; peut-être parce que, à ce moment-là, des fours de cette usine sont en réparation et qu’elle manque de métal. Malgré ces débouchés, la marche de ces deux usines reste intermittente.
3/ Le coup de grâce de 1884-1885
21Les dernières forges à la catalane, déjà mortellement atteintes, arrêtent définitivement leurs ultimes feux en 1884-1885. Elles le font dans un climat de totale indifférence tant elles sont devenues d’une importance négligeable. Il y a déjà bien longtemps qu’elles ne comptent plus. Le coup de grâce qu’elles reçoivent alors ne fait qu’entériner un état de fait avéré. Le silence qui accompagne leur derniers jours s’explique aussi par la crise industrielle qui sévit alors en France.
- La crise métallurgique générale de 1884
22Faut-il y voir une certaine ironie ? La forge à la catalane disparaît alors que la sidérurgie française subit une grave crise. Dans l’Ariège, la Société Métallurgique de l’Ariège qui possède deux hauts fourneaux à Tarascon et à Berdoulet, un grand établissement et une aciérie à Pamiers, une petite aciérie à Saint-Pierre-de-Rivière et un atelier d’ouvraison à Saint-Antoine, est elle aussi victime de cette crise générale. Son directeur technique écrit au préfet le 6 novembre 1884, « la crise a commencé pour la Société, il y a 18 mois ; et va en s’accentuant de plus en plus ». La diminution de la fabrication des pièces de chemin de fer a été de 17 % au 1er semestre de l’exercice 1883-1884, elle est « énorme » et entraîne une baisse de près de 5 % du total de l’activité de la Société16. Malgré la qualité des produits et les nombreuses commandes faites par quelques compagnies de chemin de fer, notamment par la Compagnie PLM, son activité est ralentie. Le bilan des usines de Pamiers peut être ainsi dressé :
exercices | chiffres d’affaires (francs) | ouvriers |
1882-1883 | 8 000 000 | 1 800 |
1883-1884 | 6 800 000 | 1 500 |
1884-1885 | 5 500 000 | 1 000 |
Chiffre d’affaires des usines de Pamiers de 1882 à 1885
23La forge à la catalane s’éteint en 1884, emportée dans la tourmente générale de l’industrie et de l’économie françaises. Certes, cette crise profonde n’est pas la responsable de la fin de la sidérurgie à la catalane des Pyrénées ariégeoises, elle ne fournit que le décor. Le préfet de l’Ariège précise au ministre des Travaux publics, dans une lettre « confidentielle et urgente » du 21 octobre 1884, que la crise dans son département « est essentiellement métallurgique », la principale victime en est la Société Métallurgique de l’Ariège, avec ses hauts fourneaux, ses usines à l’anglaise et ses aciéries. Cette crise est générale. Elle tient surtout, pour le directeur de la société, « à ce que l’Allemagne s’est emparée de nos marchés intérieurs »17. Quelle que soit la conjoncture économique du moment, le sort du procédé direct était déjà réglé.
- La disparition des deux dernières forges à la catalane
24L’indifférence qui accompagne la fin des forges à la catalane des Pyrénées ariégeoises est telle qu’un léger doute subsiste sur l’identité de l’une des deux usines survivantes. S’agit-il de la forge de Niaux appartenant à Saint-André ou de la forge du Saut du Teil à Tarascon ? La confrontation des différents documents ne permet guère de conclure. Une étude attentive des statistiques industrielles ferait plutôt pencher pour la forge de Niaux18. Le témoignage d’un contemporain, présenté lors d’une conférence en 1886, Toussaint Nigoul, indique qu’il s’agit de la forge du Saut du Teil à Tarascon. Elle « est la seule qui travaille parmi les cinquante-quatre forges qu’a possédées notre département. Travaille-t-elle même au moment où je parle ? […] Elle travaillait du moins ces temps derniers »19. La chronologie et les circonstances de la disparition des deux dernières forges méritent cependant d’être décrites dans le détail. Il ne subsiste depuis 1880 que deux forges en activité. En réalité, les forges de Château-Verdun et de Niaux, parfois aussi celle du Saut du Teil, sont les seules à travailler à peu près régulièrement depuis 1876. Les raisons de cette survie sont spécifiques à ces deux établissements. La forge de Château-Verdun est arrêtée au 1er trimestre 1884 par suite du décès de son propriétaire, et ensuite faute de minerai, la concession de Château-Verdun n’en donnant pratiquement plus. Les minerais de Rancié, de Miglos et de Puymorens sont exclusivement réservés à la Société Métallurgique de l’Ariège. La forge de Niaux chôme depuis le mois de février 1884 par manque de charbon de bois dont le prix est « excessif ». Elle est rallumée à la fin du 2e trimestre, mais s’arrête dès le 3e trimestre, comme Château-Verdun. Elle reste inactive au trimestre suivant alors que Château-Verdun a, semble-t-il, repris, mais n’a marché qu’un mois pour les mêmes raisons qu’au début de l’année. Lorsqu’ils travaillent, ces deux ateliers fabriquent 600 kg de fer par jour. La production du 1er semestre est de 140 quintaux seulement. Au 2e trimestre 1885, enfin, la forge de Château-Verdun est transformée en martinet : « elle ne figurera plus désormais sur les états de situation » de la statistique industrielle. Niaux est peut-être rallumée à la fin août, mais disparaît des statistiques20. Voilà ce qu’il est possible de dire sur les dernières années d’activité de la sidérurgie à la catalane des Pyrénées ariégeoises, années d’une agonie sans gloire. Il est possible que pendant l’année 1887, la forge d’Estaniels à Sentenac de Sérou ait été rallumée pour approvisionner en fer à la catalane un martinet qui lui est annexé. La supériorité du fer rend sa vente facile pour la fabrication d’outils aratoires. Elle occupe 6 hommes dont le salaire est de 10 et 3 francs. L’année suivante, en 1888, elle emploie 8 ouvriers dont le salaire se monte à 6 et 2 francs. Puis, elle ne figure plus sur la statistique industrielle de 1889 et des années suivantes21.
25En guise de conclusion, il faut écouter ce que dit un élève ingénieur des Mines en voyage d’études dans les Pyrénées en 1878 à propos des forges à la catalane : « C’est à cause de cette extinction rapide qu’il m’a paru intéressant de visiter avant leur disparition quelques uns de ces débris de l’antiquité… J’ai vu travailler le minerai comme on le fait depuis des siècles avec le concours des mêmes auxiliaires ». Il ajoute plus loin : « En résumé visite archéologique intéressante et qu’il faut se hâter de faire, les forges en ruines étant actuellement plus nombreuses que les forges en feu »22. Les forges à la catalane de l’Aude se sont arrêtées dès les années 1860. La forge de Nogarot, la dernière des Pyrénées-Atlantiques, disparaît en 1866. Les feux des Pyrénées-Orientales s’éteignent, semble-t-il, en 1888, ceux d’Andorre en 187623. Il est difficile, à partir de la bibliographie disponible, de savoir à quelle date se sont arrêtées les forges de la Catalogne. Il semblerait que ce soit autour des années 1870 pour la plupart d’entre elles. Le synchronisme de l’extinction des feux à la catalane est remarquable, d’autant que cette période voit aussi la fermeture des forges de Cantabrie24. Il atteste d’un système de production à bout de souffle.
B/ Quelles sont les causes de la disparition de la forge à la catalane ?
26Deux mots, toujours les mêmes, sont systématiquement utilisés pour rendre compte de la fin des forges à la catalane : leur archaïsme qui s’explique par la routine des hommes du fer. L’historien ne peut se contenter d’un commentaire aussi vague. Les explications traditionnelles plus élaborées trouvent cependant leur origine dans ces opinions. Une industrie rurale s’écroule devant l’unification des marchés grâce aux chemins de fer. Or, le marché des fers à la catalane n’a jamais été fermé à la concurrence. Nous ne sommes pas dans une économie « presque fermée », il n’est pas possible de dire que la fabrication concernait seulement la population locale, bien au contraire. Le marché régional et interrégional est relativement vaste, et, au XIXe siècle, il existe un marché national important. La ruine s’explique-t-elle alors par la concurrence des fers anglais renforcée par le traité de commerce de 1860 ? Cette explication est déjà avancée par les maîtres de forges de l’époque. Le développement des hauts fourneaux, symbole de la modernité, à plus ou moins grande proximité des Pyrénées, leur présence à Pamiers, Tarascon et Berdoulet, même s’ils contribuent fortement à la mort de la sidérurgie directe, sont-ils une explication suffisante ? Il semble logique, dans un premier temps, de chercher des explications à l’intérieur même du système à la catalane. Puis, il apparaît nécessaire de prendre en considération l’évolution de la sidérurgie dans son ensemble. Pour apprécier à leur juste valeur ces différents éléments, il est indispensable de garder à l’esprit la baisse constante du prix du fer et de l’acier en France.
1/ Les causes structurelles inhérentes à la forge et au système à la catalane
27En 1861, déjà, à la question « quelle est la cause de cette décadence ? » il est répondu que « sans doute et par dessus tout, c’est les moyens grossiers et peu intelligents employés pour la fabrication. Le progrès n’a pas encore pénétré dans [les] vallées. Les procédés nouveaux inventés par la science sont inconnus [des] industriels. Aussi bientôt viendra le moment où toutes les forges du canton seront frappées d’un silence de mort »25. L’état critique de l’industrie des forges à la catalane tient plus à des causes inhérentes à la constitution même de cette industrie qu’à des causes extérieures. Cela se résume en une formule, le prix de revient du fer à la catalane. Le système technique est saturé, aucun gain de productivité n’est possible. Ou, s’il existe une possibilité d’amélioration, elle est trop ténue pour avoir une quelconque répercussion sur cette industrie métallurgique.
- Les matières premières et l’évolution de leur prix
28Il est évident que la mine de Rancié se ressent de la réduction d’activité des forges à la catalane. Le chômage des usines entraîne le chômage de la mine pendant plusieurs jours, ou, dans le meilleur des cas, ralentit l’extraction du minerai. Si leur nombre reste le même durant toute cette période, entre 300 et 400, les mineurs ne travaillent plus que 3 ou 4 jours par semaine, et ne descendent pas dans la mine une partie de l’année, en février et mars par exemple. En 1879, ils n’ont effectué que 212 journées chacun. Cela suffit largement à répondre à la demande. Les fluctuations du prix du minerai sont très lentes, la baisse a été de 0,15 franc pour une volte (60 kg) en 10 ans. Son prix demeure cependant trop élevé pour les maîtres de forges. Puis une certaine pénurie s’installe. Rancié, qui ne parvient pas à répondre aux besoins de la sidérurgie directe et à ceux des usines modernes, privilégie ces dernières au détriment des ateliers traditionnels. Les recherches et la mise en exploitation de nouveaux gisements se développent : Miglos, Lercoul, Puymorens, Château-Verdun. Lors de l’ultime et timide reprise de 1872-1875, les forges ont de grandes difficultés à se procurer le minerai qui est accaparé par les hauts fourneaux et les usines à l’anglaise. Il y a certes une cause circonstancielle, le chômage de la mine de Bilbao (Espagne) où la Socité Métallurgique de l’Ariège (S.M.A.) s’approvisionne, mais la consommation des forges à la catalane ne compte plus guère. Dès 1876, les stocks de minerai s’accumulent dans les magasins de Cabre. En 1878, alors qu’il ne reste plus que deux ou trois feux à la catalane, la S.M.A., unique consommatrice de Rancié, fait baisser son prix d’achat de 2 francs par tonne. Quoi qu’il en soit, le minerai reste toujours trop cher.
29De même, tous les maîtres de forges se plaignent du haut prix des charbons qui rend difficile la situation des forges. Avant 1860, le fer de l’Ariège se vend 40 à 41 francs les 100 kg, le charbon coûte alors de 34 à 35 francs. Depuis cette époque, le prix du fer baisse à 33 francs et celui du charbon ne descend qu’à 32 et 33 francs26, ce qui rend très médiocre le rendement financier du travail. Au point que certains industriels préfèrent vendre les charbons de leurs forêts plutôt que de les consommer eux-mêmes dans leurs forges, à l’image des propriétaires des forges d’Ascou et de Perles et Castelet. Le maître d’Ascou, homme âgé et sans famille, « d’ailleurs très riche », préfère vendre ses charbons plutôt que d’affronter les aléas de la sidérurgie. Le nouveau propriétaire de la forge du Castelet se plaint de son prédécesseur qui s’est empressé de faire des coupes rases dans les forêts pour les convertir en charbon et les vendre, le mettant dans l’impossibilité de fabriquer du métal. Le propriétaire de la forge d’Orgeix, lorsqu’il ne trouve pas de bénéfice à fabriquer, se décide à vendre ses charbons, au point que bientôt toutes ses forêts seront anéanties « sous la hache de ses bûcherons ». Il sera alors obligé d’interrompre le roulement de son usine. Les forges d’Orgeix, d’Orlu n’emploient que les charbons provenant de leurs bois et travaillent seulement le temps de les consommer. Et, malgré cela, elles « se soutiennent avec peine ». Les forges qui s’approvisionnent par le commerce manquent de combustible et chôment. Cette situation semble paradoxale puisque seul un petit nombre de forges fonctionne encore et que le prix du charbon reste élevé. Or, les propriétaires de bois ajournent leurs coupes, malgré la rareté du combustible. L’explication est simple, devant le manque de bénéfices et l’incertitude de la situation, les maîtres de forges ne font que de faibles approvisionnements en charbon. Quant au prix du charbon, les statistiques ne le précisent pas. Les deux seules indications sont que la rareté du charbon a entraîné une hausse de 7 % du prix de revient du métal et que le combustible subit une augmentation de 15 %. Ce renchérissement est aussi perceptible dans les régions où le charbon de bois abonde, comme dans l’arrondissement de Pamiers, parce que les propriétaires des forêts exportent leur bois par chemin de fer. À l’opposé, autre cas de figure, par suite du ralentissement de l’industrie métallurgique, les charbons de bois, que le canton d’Ax fournit en assez grande quantité, subissent une baisse et sont transportés en partie dans des forges en activité hors du canton, vers les Cabannes ou Tarascon. Faute d’une demande importante, la production de charbon est très faible, au point que, lorsqu’en 1872 la hausse du prix des fers au bois fait rallumer quelques feux, une pénurie de combustible est fortement ressentie, freinant la reprise. Les forestiers s’efforcent alors de livrer du charbon le plus rapidement possible. Mais son prix élevé fait craindre que seuls les maîtres de forges propriétaires de forêts travaillent avec avantage, puisqu’ils n’ont que les frais d’exploitation à couvrir. C’est le cas de la forge de Château-Verdun et des immenses forêts de son propriétaire jusqu’en 1884.
- Le prix de revient du fer à la catalane
30Depuis l’époque de Richard et de François, la situation des forges à la catalane s’est notablement modifiée. Le système direct a atteint son maximum technique, avec une moindre consommation de matières premières, la production de chaque feu a été augmentée. La baisse continue du prix de vente du fer a entraîné la réduction du prix de la main- d’œuvre, la suppression du commis. Les forges ont perdu de leur valeur et les intérêts d’établissement et de roulement ont été amoindris, réduisant ainsi les frais généraux. En 1867, dans une forge de Vicdessos, 100 kg de fer à la catalane reviennent à 29,45 francs et sont vendus 30 francs, soit un bénéfice de 0,55 franc. En 1840, le prix de revient était de 40,65 francs et le prix de vente de 43 francs, soit un bénéfice de 2,35 francs. Le bénéfice du maître de forges est devenu minime, pour ne pas dire qu’il a quasiment disparu. Un tableau illustre cette évolution du prix de revient moyen de 100 kg de fer à la catalane27 :
1840 | francs | 1867 | francs |
310 kg de minerai à 2 francs | 6,20 | 300 kg à 1,50 franc | 4,50 |
302 kg de charbon de bois à 8,20 francs | 24,76 | 290 kg de charbon de bois à 6,40 francs | 18,56 |
main-d’œuvre | 5,95 | main-d’œuvre | 4,72 |
garde-forge, commis | 0,93 |
| |
entretien de l’usine | 0,80 | impôt, direction, entretien | 0,71 |
intérêt de la construction de l’usine | 1,03 | intérêt de la construction de l’usine | 0,15 |
intérêt du fonds de roulement | 0,98 | intérêt du fonds de roulement | 0,81 |
prix de revient | 40,65 | prix de revient | 29,45 |
prix de vente | 43 | prix de vente | 30 |
bénéfice | 2,35 | bénéfice | 0,55 |
Prix de revient de 100 kg de fer en 1840 et en 1867
31L’étude de la structure du prix de revient du fer à la catalane en 1869 et 1871 confirme, à sa manière, la faiblesse structurelle de cette sidérurgie directe. Ces deux années sont les dernières pour lesquelles ce calcul est possible.
Prix du fer en 1871

32Le commentaire est simple, la structure du prix de revient du fer n’a guère varié tout au long de la période à la catalane malgré les gains de productivité du système. Elle met toujours en relief le prix élevé des matières premières et de la main-d’œuvre. Les salaires des forgeurs n’ont que faiblement baissé malgré les efforts des ingénieurs et des industriels. La conclusion, évidente, est réitérée tout au long des dernières décennies de roulement des forges : il est indispensable de réussir à diminuer le prix de revient du fer. En réalité, les fers à la catalane se heurtent à la concurrence de fers de qualité comparable, produits en masse et à un coût inférieur. Or, le prix de revient du métal à la catalane ne baisse pas, tout simplement parce qu’il ne le peut pas. La petite taille de chacune des unités de production, leur dispersion ne permettent pas de corriger ce défaut rédhibitoire.
- Les réactions des maîtres de forges
33La gravité de la situation ne fait de doute pour personne. Le découragement l’emporte. Certains maîtres de forges gardent un petit espoir, mais très vite la résignation l’emporte. Dès 1858, il est évident que la baisse du prix du fer « a porté un coup mortel » à cette industrie. Les maîtres de forges sont obligés de laisser leurs usines inactives, « particulièrement les plus prudents ». Ceux qui travaillent encore à ces prix ne font pas de bénéfices et ne cherchent qu’à réaliser leurs capitaux, trop heureux s’ils ne subissent pas de pertes. D’autres ne continuent à fabriquer que pour honorer les engagements qu’ils avaient pris, espérant un avenir meilleur. Mais ils courent à leur ruine s’ils persistent encore dans cette voie. Lorsque la demande repart légèrement, les industriels espèrent une reprise des affaires bien que le prix du fer reste bas. Ce climat incertain explique leur prudence, leurs approvisionnements en matières premières limités pour minimiser les risques financiers. La claire conscience de l’impossibilité d’atteindre avec le procédé direct la productivité des méthodes employées ailleurs est très nette.
34Un autre point est avancé pour expliquer cette disparition, le traité de libre échange passé avec l’Angleterre en 1860. Napoléon III, qui regrette que des droits de douane très élevés entravent les échanges de la France avec l’étranger et qui tente de relancer l’activité industrielle, signe avec l’Angleterre un traité de commerce qui abaisse les tarifs douaniers. Exposés à la concurrence, maîtres de forges et fabricants de cotonnades protestent. L’empereur passe outre et, au cours des années suivantes, signe des traités analogues avec tous les voisins de la France, ce qui a pour conséquence un accroissement du volume du commerce extérieur. L’inquiétude est grande dans les Pyrénées ariégeoises où depuis longtemps se fait sentir la concurrence des fers suédois à laquelle va s’ajouter celle des fers et aciers anglais. Le ministre du Commerce rassure les industriels. Certes, de tout temps les fers de Suède ont trouvé place sur le marché français en raison des qualités spéciales qui les distinguent. Cependant, ajoute-t-il, les quantités importées sont restées dans une limite assez restreinte malgré la suppression de la distinction entre les fers au bois et les fers à la houille. Et pourtant, ce projet inquiète les maîtres de forges, depuis déjà longtemps, ils s’opposent à la baisse des tarifs douaniers rendue responsable de l’introduction en masse des fers étrangers, qui s’ajoute à ceux entrés en fraude grâce à la franchise accordée aux fers pour la marine. La menace du libre échange crée un climat d’incertitude et renforce leur opposition. Mieux, l’augmentation des droits, demande récurrente, est réclamée avec une vigueur renouvelée. Dans les mois qui suivent la signature du traité, les maîtres de forges constatent que rien n’a changé, que les prix n’ont pas baissé et que les demandes ne sont pas plus rares. Mais, toujours dans l’attente « des effets encore incertains du nouveau traité », la crainte pour l’avenir demeure, ils agissent avec prudence et ne font que de faibles approvisionnements en minerai et en charbon de bois. Les propriétaires des forges d’Orgeix et d’Orlu se plaignent du traité de commerce avec l’Angleterre et sont persuadés qu’un traité avec l’Espagne « viendrait contrebalancer pour eux les inconvénients qu’ils trouvent à celui-là »28. Il faut cependant reconnaître que les maîtres de forges reviennent, en général, « des fâcheuses impressions produites » par cette signature. C’est pourquoi ils « se disposent à de nouvelles luttes »29. Certains d’entre eux, en effet, restent persuadés que l’industrie des fers à la catalane peut se relever si des voies de communication économiques et rapides sont ouvertes et si des améliorations techniques sont introduites dans la fabrication. Le jour où le chemin de fer « se rapprochera des carrières de Rancié, nul doute que cette industrie ne retrouve une nouvelle vie »30.
35Or, le monde à la catalane ne trouve plus en lui-même le désir, la force ou la capacité d’innover face à une concurrence conquérante. Que peut une modification des droits de douane dans une telle situation ? Doit-on modifier un tarif au profit d’une industrie qui « en présence des progrès accomplis auprès d’elle ne réunit plus de conditions suffisantes de vitalité ? » La crise de la sidérurgie pyrénéenne avait largement commencé avant la signature de ces traités qui ont agi comme un « révélateur ». Les véritables raisons de la décadence de la sidérurgie directe sont ailleurs. Vers 1865, un ingénieur des Mines, s’adressant aux notables ariégeois, émet un jugement lucide sur le procédé à la catalane : « Quelle que soit sa perfectibilité et vos illusions, pouvez-vous espérer qu’il luttera avec avantage contre le haut fourneau et le procédé Bessemer ? »31.
2/ Les causes extérieures : la montée des concurrences
36Avant de chercher à comprendre ce qui se passe dans les Pyrénées ariégeoises, il est nécessaire de présenter le contexte général de la sidérurgie française, de certaines fabrications tout au moins. En France donc, de 1809 à 1856, alors que la production des fers au bois reste stable, la production de fonte au bois a plus que doublé. Les fers au bois connaissent leur apogée dans les années 1840, avant de décliner lentement au cours des années 1860 pour pratiquement disparaître dans les années 1870.
années | fers à la catalane en tonnes | production française de fers au bois | % fers ariégeois par rapport aux fers français |
1844 | 4 704,2 | 108 491 | 4,3 |
1853 | 7 212,5 | 100 960 | 7,1 |
1856 | 5 667,8 | 104 970 | 5,3 |
1857 | 5 145 | 103 321 | 4,9 |
1860 | 4 300 | 96 000 | 4,4 |
Production des fers au bois en Ariège et en France (1844-1860)
37Le fer à la catalane n’a qu’une faible importance dans la production française de fer au bois. Sans surprise, 1853, année record pour l’Ariège, est aussi l’année où la part de l’industrie pyrénéenne est la plus forte. La production de fer à la houille atteint 436 000 tonnes en 1860 et 966 000 tonnes en 1880. Il faut cependant ajouter que, en 1860, les fers au bois représentent seulement environ 22 % des fers à la houille français, ce qui relativise encore le rang des fers à la catalane, 0,8 % de la production totale. La production française de fer et d’acier est multipliée par trois entre 1850-1855 et 1875- 1880. La part de l’Ariège passe de 1,5 % à 0,5 % de la production nationale. Les années 1880-1882 marquent classiquement les débuts de la « Grande Dépression », le retournement de l’économie française, même si certains historiens préfèrent parler de « décélération » ou de « fléchissement ».
38L’idée générale est simple, le fer à la catalane est délaissé. Le fléchissement de la demande est l’élément-clef de l’évolution de la sidérurgie ariégeoise. Il n’est plus considéré à proprement parler comme un fer commercial qui s’exporte loin. Il est englobé, noyé pourrait-on dire, dans la catégorie générale des « fers au bois » qui comprend essentiellement les fers obtenus par le procédé indirect avec le charbon de bois comme combustible.
- Les procédés industriels de la sidérurgie indirecte
39Le haut fourneau a terrassé la forge à la catalane grâce à ses énormes capacités de production. Il n’est pas question de s’attarder sur la technique indirecte, mais de prendre les éléments qui permettront d’éclairer la fin de la sidérurgie directe. L’usine de Pamiers est, depuis 1859, le symbole de la sidérurgie indirecte sur les terres mêmes de la forge à la catalane.
années | fers à la catalane (quintaux) | prix du quintal (francs) | fonte au bois (quintaux) | prix du quintal (francs) |
1859 | 39 604 | 34 | 9 600 | 18 |
1860 | 43 000 | 34 | 13 800 | 18 |
1861 | 50 000 | 36 | 1 000 | 18 |
1862 | 48 000 | 35 | 10 700 | 17 |
1863 | 29 600 | 33 | 7 100 | 17 |
1864 | 21 200 | 32 | 9 300 | 17 |
1865 | 20 900 | 31,30 | 15 000 | 16,75 |
1866 | 17 300 | 31 | 4 000 | 15 |
1867 | 16 700 | 30 | 8 000 | 15 |
Production de fer au bois et de fonte au bois de l’Ariège (1859-1867)
40Cette fonte au bois, jugée d’excellente qualité, a encore un prix de revient trop élevé malgré les gains de productivité obtenus de 1859 à 1867, année de l’extinction des hauts fourneaux au bois de Pamiers. En 1859, le prix de revient de 100 kg de fonte est de 16,87 francs. En 1867, il est tombé à 13,42 francs pour un prix de vente de 15 francs. Il faut avoir présent à l’esprit que le prix de revient du fer à la catalane est alors de 29,45 francs et son prix de vente de 30 francs. Ainsi, le bénéfice de la forge est seulement de 0,55 franc alors que celui du haut fourneau se monte à 1,58 franc. Les années 1868-1869 voient la situation s’inverser : désormais la production de fonte est supérieure à celle des fers à la catalane. L’écart entre les deux filières techniques ne fait que grandir. La vie du haut fourneau au bois a été très courte dans les Pyrénées ariégeoises, moins de dix ans (Pamiers de 1859 à 1867, Tarascon de 1864 à 1867), conséquence logique de son adoption tardive. Le prix de revient de la fonte a diminué grâce à l’emploi du combustible mixte, charbon de bois et coke, dans deux petits hauts fourneaux à Pamiers en 1867, et surtout à l’utilisation unique du coke. Le combustible minéral est brûlé dans le grand haut fourneau construit à Berdoulet en 1866, et dans celui de Tarascon érigé en 1867-1868 à la place du petit appareil au charbon de bois. Le coke est acheté à Graissessac et à Carmaux, transporté par chemin de fer à Foix. Il faut ajouter que le haut fourneau au combustible mixte de Saint-Antoine, érigé tardivement en 1873 et mis en feu en 1874, alors qu’il existe déjà des appareils au coke en Ariège, est arrêté dès 1877 parce qu’il a été « spécialement construit pour le combustible mixte, mode très dispendieux ». Il est démoli en 1882. La sidérurgie directe n’est pas la seule victime de la fonte au coke.
41En 1869, l’usine de Pamiers a produit 1 800 tonnes de fonte au combustible mixte, Tarascon 7 à 9 000 tonnes de fonte au coke et Berdoulet 6 à 7 000 tonnes, soit au total 14 800 tonnes alors que la production de fer à la catalane est d’environ 1 750 tonnes. En 1877, le haut fourneau de Berdoulet produit de 30 à 35 tonnes de fonte par jour, les usines de Pamiers sortent en moyenne 1 100 tonnes de fer marchand par mois, contre 200 kg de fer par jour pour les forges de Château-Verdun et de Niaux. Si l’on considère les dernières années de travail de la sidérurgie à la catalane, on constate que, en 1883, l’Ariège a produit 21 693 tonnes de fonte qui ont permis de fabriquer 20 000 tonnes de fer et d’acier, face aux 229 tonnes de fer à la catalane. En 1884, la production des deux hauts fourneaux de l’Ariège a été de 24 843 tonnes de fonte, celle des deux forges à la catalane de 14 tonnes de fer seulement32. Le haut fourneau ne joue pas contre la forge à la catalane par la qualité de ses produits, mais il pèse fortement à la baisse sur les prix du métal. Dans les cas les moins défavorables à la forge, il limite la hausse des prix. L’histoire est déjà ancienne, dès les premières décennies du XIXe siècle, en 1824-1825, la mise en activité de Bruniquel avait limité la reprise du prix du fer à la catalane à 49 francs, l’empêchant d’atteindre 50 francs. De même en 1830, avec la mise en feu de Decazeville. Le développement industriel de la sidérurgie ariégeoise se manifeste certes par une mutation technique évidente et géographique (la concentration de la production à Tarascon, Berdoulet et Pamiers). Mais il se traduit aussi par un essor de la production puisqu’elle est multipliée au moins par trois. Lors de leur année record, les forges à la catalane avaient fabriqué environ 7 000 tonnes de fer, la Société Métallurgique de l’Ariège produit environ 20 000 tonnes de fer et d’acier marchand au début des années 1880.
42Mais l’essentiel est l’utilisation de cette fonte. C’est là le point crucial pour le système à la catalane, non pas la fonte en elle-même, mais le fer et l’acier qu’elle permet d’obtenir. La France de la deuxième moitié du XIXe siècle entre dans l’ère de l’acier. Ce sont les progrès des techniques d’affinage de la fonte qui scandent l’évolution de la fabrication de l’acier. Après la période du puddlage, l’affinage avec fusion est réalisé dans des convertisseurs. Le procédé mis au point par Bessemer est expérimenté par William Jackson qui fait construire en août 1856, sur les données de l’inventeur, un appareil pouvant convertir à la fois 700 kilogrammes de fonte. Mais cette innovation ne permet pas encore de se passer de fonte au bois. Le convertisseur Bessemer est introduit en France dès 1858. Le procédé Thomas (1877) est à l’origine du développement de la sidérurgie lorraine dont les fontes sont phosphoreuses. Les avantages de ces procédés résident dans la simplicité des appareils qui n’emploient pas de combustible, et qui permettent une production rapide à faible coût. La qualité du métal est relativement quelconque à cause de la trop grande rapidité du processus. Le procédé Martin (1863-1865) permet une plus grande souplesse tant en qualité qu’en quantité, et produit une qualité d’acier supérieure et plus régulière que celles des aciers Bessemer et Thomas, mais il est plus onéreux33. La production française d’acier a une croissance remarquable. À peine 2 300 tonnes sous le premier Empire, 6 000 en 1835, 11 000 en 1850, 30 000 en 1860, 110 000 en 1865, 390 000 en 1880. La mise au point des procédés Bessemer et Martin a rendu possible l’accélération finale34.
- Fer, acier et leurs prix de revient
43Accompagnant la révolution du haut fourneau, les procédés d’affinage de la fonte s’installent dans les Pyrénées ariégeoises. Ces changements techniques aggravent les handicaps dont souffre la sidérurgie à la catalane.
- Le puddlage
Le traitement des minerais dans un haut fourneau et la conversion de la fonte en fer et acier selon la méthode anglaise du puddlage sont introduits simultanément en Ariège en 1859. Trois fours à puddler sont construits dans l’usine de Pamiers qui, en 1867, en possède quatre et deux en construction. Cette même année, une nouvelle usine, Sainte-Marguerite, est installée à Pamiers pour compléter la première. Elle comprend deux fours à puddler pour acier. En 1869, l’ensemble des usines de Pamiers compte six fours, quatre pour le fer et deux pour l’acier. Dès 1873, leur nombre se monte à vingt qui produisent 1 200 à 1 400 tonnes de fer marchand par mois, puis 2 500 en 1874 et 1 100 en 1877. En 1867, un atelier de puddlage avec un four pour fer et un four pour acier est annexé au haut fourneau de Berdoulet35. Il disparaît en 1872. Si l’on prend l’exemple de l’usine de Pamiers, de 1859 à 1867, période de fonctionnement du haut fourneau au charbon de bois, une comparaison est possible avec la production des forges à la catalane du département. La fonte obtenue avec le minerai de Rancié et le charbon de bois est considérée comme excellente par les métallurgistes. Elle est transformée en fers, qui, mieux travaillés et plus uniformes que les fers à la catalane, se vendent bien. Ils présentent encore parfois des taches aciéreuses et sont alors employés pour les mêmes usages agricoles que le métal traditionnel. Les aciers sont réguliers, doux, ils conservent leur qualité aciéreuse après plusieurs chaudes. Ils sont pourtant inférieurs aux fers à la catalane pour la fabrication de l’acier cémenté et corroyé. C’est pourquoi on prend soin de mélanger aux fers et aciers puddlés quelques barres de fer ariégeois traditionnel. La fonte au bois de Tarascon, Berdoulet, Pamiers est convertie en fer et acier dans l’usine de Pamiers. Son prix de vente est estimé à 18 francs. Le prix de revient des fers puddlés est de 34,56 francs et leur prix de vente de 36 à 38 francs. Celui des aciers est à peu près le même, ils sont vendus 40 francs. En 1867, le prix de revient de la fonte est tombé à 13,42 francs, vendue 15 francs. Le fer puddlé revient à 30,22 francs et il est vendu de 32 à 34 francs. L’acier puddlé vaut jusqu’à 36 francs. Le métal puddlé remplace les fers à la catalane dans leurs principaux débouchés. La majeure partie de l’acier puddlé est vendue comme acier pour les instruments et outils agricoles. La cémentation est réalisée avec moitié fer puddlé et moitié fer à la catalane.
44Malgré les incertitudes sur ce que représente réellement la catégorie « fers au combustible végétal », sans oublier que jusqu’en 1867, et pour certains hauts fourneaux un peu plus tard, le combustible mixte est utilisé, le double mouvement mis en lumière par ce tableau est très clair36.
années | fers au combustible végétal (quintaux) | fers au combustible minéral (quintaux) |
1861 | 51 860 | 5 250 |
1862 | 41 000 | 4 890 |
1863 | 18 500 | 2 470 |
1864 | 14 500 | 6 800 |
1865 | 15 000 | 13 960 |
1866 | 12 860 | 20 090 |
1867 | 12 440 | 15 710 |
1868 | 18 800 | 35 950 |
1869 | 17 500 | 59 700 |
1870 | 10 900 | 56 030 |
1871 | 3 900 | 56 711 |
1872 | 3 000 | 76 289 |
1873 | 3 300 | 97 590 |
1874 | 3 300 | 83 670 |
1875 | 1 800 | 106 660 |
1876 | 600 | 86 950 |
1877 | 6 500 | 83 900 |
1878 | 4 000 | 88 900 |
1879 | 4 000 | 83 850 |
1880 | 4 700 | 173 000 |
Production de fer marchand dans l’Ariège de 1861 à 1880
- Le métal Bessemer et Martin
45Les métallurgistes estiment que peu de fontes sont aussi « éminemment propres à produire le bon métal Bessemer » que les fontes grises, graphiteuses, obtenues à allure chaude avec le minerai de Rancié37. L’usine d’Imphy (Nièvre) utilise la fonte au coke de Berdoulet pour la fabrication du métal Bessemer. Pour des raisons identiques, la méthode Martin « se trouverait bien de l’usage de ces fontes ». Le procédé Bessemer, qui réduit fortement le prix de revient, permet une production dix fois supérieure au puddlage qui avait déjà multiplié par six la capacité du bas fourneau. Un petit atelier Bessemer est installé près de Foix, dans la Barguillère, en 1866. Il s’agit très vraisemblablement de la transformation de l’aciérie de Bénac. En 1872, les usines de Commentry (Allier) sont en pourparlers avec l’ancien maître de la forge de Luzenac pour la construction d’un nouveau fourneau au bois destiné à produire des fontes pour des appareils Bessemer38. Cette affaire ne semble pas avoir été conclue. Une annexe avec des fours Martin est construite à l’usine de Pamiers en 1880.
46Une dernière concurrence doit être notée. Vers 1862, un four d’acier fondu est installé à Saint-Antoine. Il utilise comme matière première les chutes et rebuts d’acier des usines à l’anglaise, auxquels on ajoute parfois une faible proportion de fonte au bois. Quatre fourneaux de petite dimension avec un creuset de 18 à 20 kg ont été construits près de Foix. Leur production annuelle reste modeste, elle est de 300 quintaux39.
47La fabrication d’acier cémenté figure sur la statistique industrielle jusqu’en 1878, sans qu’il soit possible de vérifier si, réellement, elle produit encore, parce qu’elle est comptabilisée avec les fabriques d’acier sans aucune précision sur les techniques employées. À la fin des années 1860, l’usine de Pamiers fabrique 220 tonnes d’acier cémenté par an, dont 100 tonnes sont simplement étirées dans l’usine de Saint-Pierre, et 120 tonnes corroyées dans la même usine. La cémentation à Pamiers se fait avec moitié de fer puddlé et moitié de fers à la catalane. Cette opération revient à environ 4 francs par 100 kg. La valeur de l’acier cémenté est d’environ 35 francs. L’acier corroyé à un corroyage dont le prix de revient est de 70 francs, prix élevé à cause des rebuts, se vend facilement à 90 francs les 100 kg. La S.M.A. pratique aussi un second corroyage qui ne coûte que 12 francs et apporte à l’acier une plus-value de 15 francs. Le troisième corroyage est bien moins intéressant puisqu’il revient à 20 francs pour ne donner au métal qu’une plus-value supplémentaire de 15 francs. Le fer à la catalane a déjà perdu la moitié de la production d’acier cémenté avec seulement 100 tonnes. Le prix de revient de 100 kg d’acier cémenté à partir du fer à la catalane est de 50,60 francs pour un prix de vente moyen de 55 francs, 60 francs parfois lorsqu’il est de très bonne qualité. En comparaison, le même travail sur 100 kg d’acier puddlé ne revient qu’à 44,32 francs. Mais il n’est vendu qu’à un prix allant de 45 à 50 francs. La différence du prix de revient repose uniquement sur la valeur de la matière première : 35,70 francs pour l’acier puddlé et 42 francs pour l’acier cémenté.
- La demande, les marchés
48La rétraction du marché des fers ariégeois s’explique parce qu’ils sont progressivement abandonnés pour la fabrication des aciers, des instruments agricoles, des essieux et ressorts qui constituaient les débouchés classiques de la sidérurgie directe. Le résultat est simple, malgré une production plus faible, la baisse continue. D’autant que la concurrence des fers laminés fait apparaître plus fortement le manque d’homogénéité des fers à la catalane. Ainsi, le marché local, commerce de détail des outils, échappe à la sidérurgie à la catalane. Il en est de même pour les ateliers spécialisés dans l’étirage des aciers qui sont presque tous installés dans la Barguillère (13 martinets). On étirait et corroyait les aciers de cémentation obtenus à partir des fers à la catalane. Ces aciers, très réputés, mais d’un prix trop élevé, sont très fortement concurrencés par les aciers puddlés, auxquels les usines ariégeoises sont obligées de recourir à cause de la baisse des prix. Plus de la moitié de leur fabrication est constituée par l’acier puddlé, puis par le métal Bessemer des usines de Pamiers et de Berdoulet. Il en est de même sur le marché régional, interrégional et national. Circonstance aggravante, les fers ariégeois souffrent de leur prix élevé qui favorise la concurrence des aciers « étrangers ». D’autant plus que les prix de vente des fers et aciers sont tirés vers le bas. Les nouvelles productions sidérurgiques, soutenues par la demande toujours croissante des chemins de fer et de la marine, exigent la concentration, alors que l’extension du marché et le développement des voies de communication facilitent cette restructuration. La sidérurgie à la catalane est incapable de répondre à une demande ainsi multipliée.
- La modernisation des moyens de transports
49Certes, la question de doter les mines de Rancié de moyens de transport modernes pour diminuer le prix du minerai est une question récurrente tout au long du XIXe siècle, qui se pose avec une acuité grandissante. Mais le véritable problème est celui posé par l’extension des routes et surtout des chemins de fer. Jules François, devenu ingénieur en chef des Mines, porte toujours un grand intérêt à la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises. De Paris, il écrit au préfet, le 20 mars 1858, pour le convaincre de « l’impérieuse nécessité de doter l’industrie métallurgique de moyen de transport plus rapide et plus économique… En ce qui concerne l’Ariège, il serait indispensable que le chemin de fer de Toulouse à Foix reçut une prochaine exécution. Il conviendrait également que la route d’Ax à Puycerda, qu’un jour devra compléter le chemin de fer, et qui se relie aux gîtes ferrifères de Puymorens, fut ouverte avec une rapidité plus grande que par le passé… L’industrie métallurgique, pour pouvoir se développer et se soutenir, a besoin de minerai à prix réduit… Si j’ai pris la liberté de vous écrire [c’est pour présenter] des efforts auxquels je prends part, et dont le but est de relever, en la perfectionnant dans ses procédés, l’industrie du fer et de l’acier dans les Pyrénées…»40. Le chemin de fer arrive à Pamiers en 1862, à Foix en 1863. Il faut attendre la fin du mois de décembre 1877 pour que le train atteigne enfin Tarascon. Dès 1878, le haut fourneau de Tarascon est rallumé. « La principale cause de cette détermination de la S.M.A. est l’ouverture de la voie ferrée entre Foix et Tarascon, ouverture qui a amené une notable diminution sur les frais de transports, et encore les produits de toute nature circulant sur cette ligne ne bénéficient-ils pas du tarif spécial dont l’application s’arrête à Foix. L’extension de ce tarif spécial serait une mesure avantageuse pour l’industrie des fers de la région de Tarascon »41. Il est indéniable que la révolution des transports née du chemin de fer a renforcé la confrontation des produits de la sidérurgie à la catalane avec ceux de la grande industrie d’un meilleur rapport qualité/prix.
50Quelles que soient les raisons de sa disparition, « l’industrie catalane… est condamnée par la Science ». La forge à la catalane en gardera désormais une solide réputation d’archaïsme. Les appareils et le savoir-faire des forgeurs sont comparés aux « chétifs instruments de la métallurgie du Moyen Âge » (1896)42. Les logiques techniques et économiques, industrielles en un mot, ont ainsi joué contre la forge et le système à la catalane, après avoir été longtemps leurs meilleurs atouts. Les logiques sociales, confortant la technique et l’économie dans un écosystème montagnard, ont tenu un rôle déterminant dans le maintien du procédé direct. Mais la société et son évolution ont aussi participé à la décadence puis à disparition de la forge caractéristique des Pyrénées ariégeoises.
C/ Fin d’une longue symbiose entre la réduction directe et les Pyrénées ariégeoises
51Le temps de la forge à la catalane, plus particulièrement la période de 1815 à 1845, est considéré par les Ariégeois de la fin du XIXe siècle comme un véritable âge d’or. Il n’est guère possible de résister à l’envie de présenter la description idyllique qui est alors donnée. « C’était un enchantement, la nuit, surtout, que ces feux qui jaillissaient de toute part, que ces marteaux et ces chutes d’eau qui emplissaient de leur bruit et de leurs échos les vallées, que ces chars de minerai, de fer et de charbon qui criaient sur les routes au milieu des claquements de fouet, des appels et des chansons de leurs conducteurs. Et quel plaisir, pour le passant ou pour le voyageur, de s’arrêter de forge en forge, l’hiver, pour s’y réchauffer au grand feu, et l’été, pour s’y rafraîchir au baricot toujours généreux de ces braves batteurs de fer ! Ah ! la charmante et heureuse époque pour nos montagnes ! Quelques années d’un âge d’or semées sur nos vallées par une bienfaisante divinité ! Vulcain, tombé de l’Olympe, ayant élu domicile parmi nous ! Les ravissements de la mythologie ressuscités un instant au milieu de notre belle nature si propice aux poétiques images, aux mystérieuses rêveries ! »43. Certes, cette envolée lyrique est l’œuvre d’un fils de forgeur, mais il s’adresse publiquement à des personnes qui ont, au moins certaines d’entre elles, connu cette période. Son sentiment est donc grandement partagé. Le même conférencier décrit la disparition de la forge à la catalane : « Un jour, le monstre [le haut fourneau] vint s’installer à Pamiers, puis à Saint-Antoine, puis à Tarascon, au point de jonction de nos vallées minières. Ce jour-là, où la Société Métallurgique de l’Ariège s’empara de la contrée, ce fut fait des forges Catalanes, elles furent irrémédiablement perdues ». Mais la forge ne s’en alla pas seule, elle renforça le mouvement d’émigration qui poussait les montagnards loin de leur vallée.
1/ La fin d’un monde industriel et social
52La forge était ordonnatrice d’activités pour les habitants de la montagne. Sa décadence puis sa disparition ont eu une forte influence sur l’évolution de la société des Pyrénées ariégeoises. Ce n’est pas seulement une activité industrielle multiséculaire qui s’arrête, mais bien « la fin d’un monde industriel, politique et social » qui survient44.
- Que sont devenues les forges à la catalane ?
53Lorsque le feu à la catalane est éteint, seule la chute d’eau continue à donner une valeur économique, certes réduite, mais encore précieuse, au site industriel. Les forges abandonnées sont les plus nombreuses, vingt-deux, elles représentent 42,3 % du total des cinquante-deux usines qui ont travaillé au cours du XIXe siècle, elles tombent en ruines plus ou moins rapidement. Viennent ensuite les neuf forges transformées en martinets, après un temps d’abandon plus ou moins long, soit 17,3 %. Parmi celles qui ont changé d’activité, 56 % travaillent toujours le métal, ce qui est conforme à la culture sidérurgique des Pyrénées ariégeoises. Sept scieries, 13,46 % du total, et cinq usines aux activités diverses, 8 %, complètent le tableau. Deux anciennes forges, celle du Mas d’Azil et celle du Saut du Teil (avant 1894), seront ultérieurement transformées en centrales hydroélectriques, donnant à leur commune les tout premiers éclairages électriques publics.
- Que deviennent les hommes du fer ?
54Le rédacteur de la statistique industrielle du canton des Cabannes craint que son canton souffre puisque « une grande partie de la population est composée de forgeurs et de charbonniers qui n’ont d’autre ressource que leur modeste profession ». Maîtres de forges, propriétaires ou fermiers ; ouvriers internes, ouvriers externes, professionnels ou occasionnels, ces hommes perdent leur moyen de subsistance et doivent se tourner vers d’autres activités.
- Les propriétaires de forges
55Les maîtres de forges ne tirent plus de revenus du travail du fer. Les propriétaires des forêts, parfois aussi maîtres de forges, subissent la forte baisse des prix du bois et des charbons. Le quintal de charbon de bois vendu 8 francs en 1854-1855, ne vaut plus que 6,10 francs en 1868, 6,80 en 1872, malgré la hausse générale des prix. Vers les années 1840, le bénéfice tiré de la vente d’un stère de bois était de 3,25 francs. Il n’est plus que de 1 franc à la fin du Second Empire. Baudon de Mony, successeur des plus prestigieux maîtres de forges des Pyrénées ariégeoises, les seigneurs de Gudanes, exprime ses doléances, le 15 décembre 1894, « cinq forges catalanes existaient dans la vallée au milieu des forêts. Elles étaient très prospères et les charbons de la région devaient à peine suffire à leur alimentation. Maintenant la situation a bien changé : les forges catalanes sont éteintes pour toujours : l’une des principales sources de richesse du pays a disparu avec elles. L’exploitation des forêts de la montagne a été abandonnée presque complètement, le charbon de bois ne pouvant plus payer les frais élevés d’un transport à dos de mulet »45. Les grands propriétaires sont ainsi doublement pénalisés par la décadence des forges. Ils se tournent vers la ville pour placer leurs capitaux. Atteints par la fin du système productif à la catalane, ils voient leur importance politique et sociale s’affaiblir.
- Les mineurs de Rancié
56Le cas des mineurs de Rancié est particulier. Dans un premier temps, ils sont touchés par la diminution du nombre des forges, la faiblesse de la production de fer à la catalane. Il s’agit de la période charnière où les forges sont déjà en pleine décadence alors que les hauts fourneaux ne sont pas encore construits. L’extraction qui a dépassé 24 800 tonnes en 1840 et 22 200 en 1855, reste inférieure à 18 000 tonnes jusqu’au milieu des années 1860. Situation qui entraîne une diminution du nombre de journées de travail, une baisse de salaire pour les mineurs et une « grande misère pour la population » qui vit de la mine. En 1866, le témoignage du procureur général près la Cour d’Appel de Toulouse est éloquent. La mine ne fournit plus que deux jours de travail par semaine. « Il en résulte pour les habitants de cette contrée, notamment pour le village de Goulier, dont la mine était le seul moyen d’existence, une détresse incroyable et sur laquelle mon substitut de Foix me transmet des détails navrants. Toute la population féminine de Goulier s’abat sur les forêts domaniales des environs et les ravage systématiquement : les condamnations restent inefficaces et comme elles consistent en amendes irrécouvrables, elles amènent l’incarcération de presque toutes les femmes de ce malheureux pays qui acceptent la prison comme un asile charitable plutôt qu’elles ne la redoutent comme un lieu de châtiment. Elles y arrivent avec leur enfant pendu au sein, et annoncent leur prochain retour. On calcule que dans quatre ou cinq ans, il ne restera plus à couper un fagot dans les forêts jadis si riches qui avoisinent Goulier, le mal est déjà fort grand ; sous peu d’années ce hameau situé dans les neiges, à 1 200 m d’altitude, sera inhabitable, et si les travaux de la mine ne retrouvent pas leur activité d’autrefois, il n’y a plus pour cette population d’autre ressource que l’immigration ».
57Les mineurs se plaignent parce que le minerai de fer, par suite du chômage des forges, se vend à vil prix. Mais ils estiment que la construction de hauts fourneaux, l’amélioration des voies de transport, la substitution de la houille au combustible de bois font présager un meilleur avenir46. Effectivement, l’essor et la consommation croissante des hauts fourneaux relancent l’extraction au point que la mine bat tous ses records. Dès 1868, le nombre des mineurs demeure voisin de 400. Dans les années 1870, « la plus grande activité » règne à Rancié, « Tous les hommes valides de la population ouvrière sont occupés ». La Société de Commentry a proposé un traité de 5 ou 10 ans aux magasiniers de Cabre au prix de 20,25 et de 20,50 francs la tonne de minerai rendue à la gare de Foix. En 1872, La S.M.A. leur propose à son tour un contrat qui assure une légère augmentation de 0,05 franc du prix de la volte (60 kg), soit une hausse de 0,83 franc par tonne47. L’extraction est de 28 000 tonnes par an. Aux 400 ou 450 mineurs qui travaillent à la mine, il faut ajouter plus de 250 voituriers. Mais l’activité est touchée par la crise de la fin des années 1870. Ainsi, 25 222 tonnes seulement ont été extraites en 1877 et 26 292 tonnes en 1878 utilisées essentiellement par le haut fourneau de Tarascon, le reste par ceux de Berdoulet et de Bruniquel. Durant cette période, le salaire des mineurs est de 2 à 2,10 francs par jour, alors que, au début de la période, il allait de 2 à 3 francs. Ils travaillent environ 212 jours.
- Les forgeurs
58Si les mineurs de Rancié travaillent moins, leur nombre reste cependant constant. Il n’en est pas de même pour les forgeurs atteints de plein fouet par la disparition des forges.
années | nombre de feux | nombre de forgeurs |
1857 | 45 | 360 |
1858 | 39 | 312 |
1859 | 27 | 216 |
1860 | 30 | 240 |
1861 | 35 | 280 |
1862 | 32 | 256 |
1863 | 19 | 152 |
1864 et 1865 | 18 | 144 |
1866 | 17 | 136 |
1867 | 15 | 120 |
1868 | 8 | 64 |
1869 - 1875 | de 6 à 4 | 43 en moyenne |
1876 - 1884 | de 3 à 1 | 14 en moyenne |
Évolution du nombre de forgeurs travaillant en Ariège (1857-1885)
59Les références sont 1840-1841, années record pour le nombre de feux en roulement (57), 456 forgeurs s’activaient alors dans les ateliers, et 1853, année record pour la production, avec 440 ouvriers. De 1840 à 1863, la baisse du nombre de forgeurs travaillant dans l’Ariège est d’environ 66 %. À l’intérieur de la période considérée, 360 ouvriers sont encore employés en 1857 ; la baisse de la main-d’œuvre est de 60 % de 1857 à 1865, et d’un peu plus de 40 % de 1862 à 1863. Cette diminution est encore de 55 % environ de 1865 à 1868. La chute continue est si évidente pour les années qui suivent qu’il n’est pas nécessaire d’en calculer le pourcentage. De plus, chaque forge dispose aussi en général d’un commis et d’un garde-forge, il faut donc ajouter au minimum une centaine de personnes au nombre de forgeurs touchés par l’arrêt des usines.
60Le salaire est aussi atteint par cette crise dramatique. « J’ai travaillé, dit un ancien forgeur, Séverin Bernadac, pendant trente ans aux forges, mais hélas ! pour assister à leur débâcle, à leur fin. J’ai commencé en 1853, mais c’était l’agonie. Au lieu d’être payés douze sous le quintal (40 kg), on nous payait à sept ou huit ». Au lieu du vin du Roussillon, le petit vin du pays, la viande était devenue rare. Les salaires, les derniers à avoir été touchés, des forgeurs de Château-Verdun sont compris entre 2,50 et 4 francs dans les années 1880. Ceux des forgeurs du Saut du Teil varient de 2,50 à 6 francs pour la période de 1881 à 1884. La main-d’œuvre est toujours considérée comme trop chère. En comparaison, la S.M.A. offre à ses ouvriers puddleurs et tourneurs de 5 à 10 francs par jour, les chauffeurs et les manœuvres touchent de 2 à 5 francs. Les femmes gagnent 1,25 à 1,50 franc pour un travail de 11 heures par jour. Les enfants sont payés au mois, de 30 à 50 francs. Pendant l’année 1887, la forge d’Estaniels à Sentenac de Sérou occupe 6 hommes dont le salaire est de 10 et 3 francs. L’année suivante, en 1888, elle emploie 8 ouvriers dont le salaire se monte à 6 et 2 francs48. Plus de salaire rémunérateur, plus de travail à la forge, tels sont les signes révélateurs de l’ampleur et de la gravité de la situation.
61Grâce à une conférence faite en 1886, nous disposons, de façon certes unique et trop indirecte mais cependant acceptable, de renseignements sur la manière dont les forgeurs ont pu vivre la fin de leur monde de travail, sur les sentiments qu’ils ont éprouvés. Des anciens forgeurs vivent à l’époque où elle est donnée, le conférencier livre à son public son expérience familiale et témoigne de ce qu’il a vu dans son village de Rabat. Il faut certes rester très prudent devant ce type de source. Mais pourquoi, adoptant un discours très précautionneux, se priver d’un éclairage plus humain apportant une touche plus personnelle aux chiffres et aux remarques stéréotypées des statistiques industrielles ? Il est toujours intéressant de s’approcher de la vie intérieure de personnes que l’on ne rencontre que rarement dans les archives, et toujours sous une forme collective. Il semblerait que, dans un premier temps, les forgeurs n’aient pas pris la véritable mesure de ce qui arrivait. Ils crurent, ou espérèrent, qu’il s’agissait d’une nouvelle crise, certes plus profonde et plus longue que les autres, mais qu’elle passerait comme cela s’était toujours produit jusqu’alors. Lorsqu’ils prirent conscience de la gravité de la situation, ils furent désespérés, « languirent », traînant leurs pas alourdis sur les sentiers du village. Beaucoup moururent prématurément, « emportés par la nostalgie de la forge »49. Ce béhaviorisme social demeure primaire, mais il doit comporter une part d’une réalité perçue comme catastrophique.
62Les anciens forgeurs cherchent du travail hors de la forge. Dès le début des années 1860, les autorités constatent qu’un « grand nombre de forgeurs ont quitté le pays, ou se livrent à d’autres métiers »50. Quelques-uns retournent à la terre qu’ils n’ont jamais complètement abandonnée. Plusieurs travaillent leur domaine agrandi. Grâce à leurs salaires, ils ont ajouté quelques parcelles de terre à leur patrimoine et sont devenus propriétaires de 1, 3, 5 et même 10 hectares de terre, selon le témoignage d’un ancien forgeur, Séverin Bernadac. L’émigration a contribué à libérer des terres que ceux qui sont restés peuvent acheter ou, le plus souvent, louer. D’autres, moins pourvus de terres ou ne voulant pas se résigner, se cramponnent à leur métier et partent pour de longues campagnes vers les forges espagnoles ou basques qui parviennent à se maintenir plus longtemps, à l’exemple de la forge de Ria dans les Pyrénées-Orientales. Mais cette attitude n’a pas un grand avenir. Le plus grand nombre, semble-t-il, se tourne vers l’industrie sidérurgique moderne, choisissant une activité en fonction de leur savoir-faire d’anciens forgeurs. Les maillés, spécialistes du marteau hydraulique, s’engagent dans les martinets, fabriquent pelles, reilles, outils agricoles en général et essieux de voiture. Mais dans ce domaine aussi, le travail manque ou se raréfie. Il faut donc chercher d’autres occupations, plus éloignées de leur activité traditionnelle. Les fils de foyé et de maillé et les plus jeunes d’entre eux recherchent tout naturellement des emplois, alors nouveaux, dans les chemins de fer, et ils se dirigent vers Paris, vers les grandes villes. Ils deviennent chauffeurs. Certains de ces enfants de forgeurs font des études supérieures et deviennent ingénieurs, on cite toujours le cas de quelques habitants de Saurat. Les escolas et leurs aides, les pique mines, ceux qui avaient l’habitude du feu, s’en vont à Bordeaux, à Carmaux travailler dans les verreries. De Gourbit, de Rabat partent des colonies de verriers51. Beaucoup d’anciens forgeurs font partie des « nouvelles couches sociales » qui défendent les valeurs de la république. Des cloutiers de la Barguillère quittent eux aussi leur canton pour se rendre à Bordeaux où a été créé un établissement de clouterie qui leur offre des salaires beaucoup plus élevés (1er trimestre 1861).
- Les ouvriers externes et occasionnels
63Mais surtout, le ralentissement puis la disparition des forges ont aussi réduit au chômage les ouvriers externes, les plus nombreux, et les hommes qui, occasionnellement, au coup par coup, s’engageaient auprès des maîtres de forges lorsqu’ils avaient besoin de numéraire. Parmi les charbonniers, ceux qui avaient continué de travailler sont définitivement privés d’emploi lorsque la houille se substitue au combustible végétal. Les voituriers et les rouliers sont de plus en plus remplacés par les chemins de fer. Les paysans travaillaient occasionnellement aux forges. Ils participaient aux coupes dans les forêts, au charbonnage, aux transports du combustible et du minerai. Ils se faisaient aider par leurs femmes et leurs enfants. C’est alors que l’on s’aperçoit à quel point la forge, tissant une sorte de toile d’araignée sur la montagne, était dispensatrice de travail, distributrice d’argent. Non seulement aux professionnels du fer, mais encore aux intermittents - les paysans, leurs femmes et leurs enfants - permettant à une nombreuse population de vivre dans les vallées métallurgiques mais aussi dans les autres vallées boisées, malgré la difficulté du relief et l’ingratitude du climat. Or, elle n’est pas remplacée dans ce rôle.
64La fin des forges à la catalane apparaît comme une cause « non négligeable » de l’émigration rurale dans les Pyrénées ariégeoises et de l’éclatement des communautés qui en a été, pour une part au moins, la conséquence. Certes, d’autres causes ont joué, mais les cantons des Cabannes, de Vicdessos, de Tarascon, territoires d’origine des forgeurs et riches en forges, sont ceux qui ont perdu le plus d’habitants de 1846 à 1876, avec ceux d’Ax (4 forges) et d’Oust (2). Durant ces trente années, la baisse de population a été de 27 % dans le canton des Cabannes, de 20,7 % dans celui de Vicdessos et de 18,5 % dans celui de Tarascon. Si l’on calcule l’évolution de la population de 1851 à 1886, le village des Cabannes connaît une baisse d’environ 17 % et son canton de 26,07 %. Le canton de Tarascon perd 20,53 % de ses habitants malgré la présence des hauts fourneaux. Parmi les communes dont sont originaires bon nombre d’hommes du fer, forgeurs et charbonniers, Rabat voit sa population diminuer de 36,76 % et Saurat 30,2 %. À Vicdessos, la population du canton chute d’environ 22 %, celle de la commune de 27,6 %. Le nombre des habitants de Goulier, village des mineurs de Rancié, baisse de 22,5 %, celui de Sem de 18,6 % et celui de Suc-et-Sentenac, village de voituriers, de 11,6 %. L’influence du travail du fer dans l’évolution de la population des Pyrénées ariégeoises ne fait guère de doute52. Pour André Armengaud, ainsi commença un mouvement qui ne devait plus cesser et qui a donné à l’Ariège une « démographie en ruines ». La disparition de la forge à la catalane et l’installation de la grande industrie entraînent des transformations profondes dans la société. Les forgeurs ou fils de forgeurs donnent le branle au mouvement d’émigration qui va appauvrir l’Ariège. Les Ariégeois, forgeurs en tête, comme les habitants du reste de la France, se portent vers les cités où se forment « les citoyens ». Revenus dans leur pays, car l’émigration est rarement définitive, ils rapportent des idées républicaines et les propagent.
65La disparition du système productif à la catalane n’a pas conduit à la mise en place d’une série d’activités de substitution. Son effet sur l’économie locale et sur la société s’est révélé dramatique. La solidarité entre travail industriel et travail agricole est rompue. Si certains se tournent vers le travail de la terre, seule une minorité est concernée par la reconversion dans la métallurgie. La majeure partie des « ouvriers internes » n’a pu retrouver une activité dans ce domaine. Que dire alors des « ouvriers externes » ? Ce n’est donc pas à travers l’industrie métallurgique qu’il faut chercher, en Ariège, une solution de rechange pour des paysans nombreux et misérables, le maintien d’une pluriactivité indispensable. Quelles autres activités complémentaires sont possibles ? La fin de la forge à la catalane marque une rupture essentielle. D’une sidérurgie qui vit en symbiose avec son écosystème, les Pyrénées passent à un système productif obéissant à un modèle commun à la plupart des régions sidérurgiques.
2/ Le nouveau visage de la sidérurgie ariégeoise
66Présenter les grandes lignes de la nouvelle organisation de la sidérurgie ariégeoise qui se met en place dans les années 1860-1880 donne un dernier éclairage complémentaire, tout en contraste, sur le monde à la catalane. La révolution technique n’est pas seule en cause, une géographie différente se dessine, moins ramifiée, une société obéissant à des logiques divergentes s’installe.
67Le combustible, le coke, est importé. Il ne fournit pas de travail d’appoint et n’apporte pas de richesse au département. La mine de Rancié n’a plus de monopole. Elle n’est pas capable de fournir les quantités exigées par les hauts fourneaux. Les mines locales de Lercoul, Miglos, Château-Verdun et surtout celle proche de Puymorens livrent les compléments de minerai. Mieux, les minerais du Canigou, de Bilbao arrivent en Ariège par chemin de fer. Le nombre d’ouvriers n’a plus rien à voir avec la brigade des huit forgeurs. Le tour de main personnel n’a plus cours, la machine prime. La rationalité des nouveaux procédés l’emporte sur le savoir-faire individuel. L’usine de Pamiers a 110 ouvriers en 1864, 350 en 1868, 400 en 1872, 1 120 en 1882 dont 72 femmes et 25 enfants et enfin 1 100 en 1885 dont 62 femmes et 85 enfants53. La communauté des forgeurs a fait place à l’ouvrier de la grande usine qui reste longtemps non organisé. Il est obligé d’accepter, de mauvais gré, les baisses de salaire imposées par une direction parisienne inaccessible, représentée en Ariège par un simple administrateur. Vers 1850, faute d’avoir connu une révolution agricole et en l’absence d’un processus d’accumulation du capital, l’Ariège ne remplit guère les conditions préalables à une industrialisation puissante, financée en totalité ou en partie par les fortunes locales. Le sénateur de la Creuse, Palotte, constitue en 1867 la Société Métallurgique de l’Ariège, regroupant les installations industrielles de Pamiers, le haut fourneau flambant neuf de Tarascon. Les destinées de l’usine passent entre les mains de patrons venus d’ailleurs (capitaux extérieurs au département). En 1872, cette société rachète le haut fourneau et les installations de Berdoulet au prix de 400 000 francs, puis l’usine de Saint-Antoine. La S.M.A. dispose ainsi du monopole de l’activité sidérurgique en l’Ariège, celle qui compte réellement, imposant une concentration capitaliste de la production, effaçant la grande dispersion du système à la catalane. Les débouchés de la S.M.A. sont nationaux, mettant à profit le développement des chemins de fer. Certes, les petites fonderies de Toulouse se fournissent à Pamiers, mais là n’est pas l’essentiel des ventes. De plus, les marchés de l’État sont importants, ceux de l’armement, des arsenaux en particulier.
68Concentration géographique, moins de cinq sites de production principaux, installés à proximité de grands axes de circulation, concentration financière, concentration de la main-d’œuvre, absence de possibilité de pluriactivité, la nouvelle sidérurgie n’est pas immergée dans le pays comme l’avait été la sidérurgie à la catalane. Cette structure industrielle se placerait entre la sidérurgie rurale, telle qu’on la rencontre en Dordogne, ou, autre cas de figure, à l’usine de Toga en Corse, et les grandes usines du centre de la France54.
3/ La fin d’une longue histoire conflictuelle
69Certes, la forge à la catalane a permis à une population de plus en plus nombreuse de vivre dans les hautes vallées grâce à une offre diversifiée de pluriactivité, mais la cohabitation n’en a pas moins été conflictuelle. Si la sidérurgie est une condition nécessaire de la vie en montagne, elle a un impact sur l’écosystème dans lequel elle travaille et qu’elle doit partager avec les communautés rurales. La population des Pyrénées a bâti au cours des siècles un système original, fondé en grande partie sur les contraintes de la vie pastorale et les nécessités de la sidérurgie directe. À partir de la fin du XVIIe siècle, alors que la sidérurgie à la catalane prend son essor, ce mode de vie se trouve bouleversé par l’action de deux types de facteurs : d’une part des mesures centralisatrices de l’État (action des Eaux et Forêts, ordonnance royale de 1723, code forestier de 1827 pour le domaine qui nous intéresse) et, d’autre part, la conjoncture qui se révèle catastrophique, notamment durant la première moitié du XIXe siècle, où le choléra fait des ravages. Au total, en quelques décennies, c’est l’ensemble des modes de vie de cette population qui est mis en cause. La plus grande partie de ces communautés, qui vivent mal et pauvrement, accepte difficilement ces changements, qui interviennent dans un mauvais contexte économique, et qui tendent à bouleverser une façon de vivre bien établie. La délinquance forestière prend plusieurs visages : défrichement, maraudage, dépaissance des troupeaux, coupe des arbres, charbonnages illicites, attaques contre les charbonniers. Ces attitudes transgressent la loi et des réglementations qui sont en opposition avec leurs coutumes et leurs intérêts. Certains historiens y voient même des pratiques de survie, dans un contexte de crise, un écosystème déséquilibré par la croissance démographique et par les ponctions restrictives des autorités forestières. Elles prennent souvent un aspect violent, avec des formes folkloriques. La sidérurgie a su conserver une place ambiguë dans ce contexte, indispensable car dispensatrice de pluriactivité, abhorrée car accapareuse d’espaces forestiers et de bois. La forge participe à la sauvegarde du tissu socio-économique, elle concourt à la consolidation des formations sociales traditionnelles. La population pyrénéenne ne s’en prend pas uniquement à l’État, à ses représentants, à ceux qui disposent localement de l’autorité et restreignent l’accès aux forêts. En fait, elle défend son mode de vie traditionnel55. Ces explications offrent une grille de lecture qui permet de comprendre le maintien de la méthode directe dans les Pyrénées ariégeoises en décrivant le contexte culturel et social dans lequel s’est développée la sidérurgie à la catalane.
70Avec la forge à la catalane s’efface un monde multiséculaire dont la fin est marquée par la dépopulation, l’émigration définitive, la dégradation du mode de vie traditionnel alliant le système agro-pastoral et le système à la catalane. Certains historiens considèrent que la fin de « la métallurgie catalane » ne permet pas à la montagne ariégeoise de « retrouver son équilibre originel »56. Cette analyse rend justice à la forge et à son importance dans le monde pyrénéen, mais que signifie la notion d’équilibre alors que la situation est catastrophique, donnant l’image d’une montagne surpeuplée et misérable ? Que veut dire « originel », à quelle période est-il fait référence ? La sidérurgie directe hydraulique, dont le système à la catalane n’est que le représentant le plus moderne, a participé à l’évolution des Pyrénées ariégeoises pendant au moins six siècles. Elle n’a pu tenir ce rôle qu’en puisant en elle les ressources pour se transformer. C’est un écosystème millénaire qui s’effondre avec la décadence de la forge de réduction directe comme principal symptôme. La ruine de la forge à la catalane n’est qu’un élément d’un vaste mouvement qui atteint tout le sud-ouest de la France. La plupart des forges rurales, du Périgord ou du Limousin notamment, disparaissent au cours de cette période. Les forges de Fumel, héritières de celles du Périgord, créées en 1847 par la compagnie Benoist d’Azy et celles du Boucau créées par les Forges et Aciéries de la Marine de Saint-Chamond qui succédèrent en 1882 aux forges au bois des Pyrénées occidentales, ne sont que des appendices de sociétés étrangères à la région.
71Tout au long du XIXe siècle, la forge à la catalane s’est avérée capable de répondre à l’attente du marché en expansion des fers de qualité en se maintenant sur son marché interrégional traditionnel, l’élargissant même ; capable de faire face aux besoins multipliés du marché des fers pour la cémentation et au gonflement de la demande d’acier, en s’ouvrant de nouveaux débouchés plus lointains sur un marché national en pleine croissance. Le rôle des marchés apparaît ainsi essentiel dans la conservation du procédé direct. Cette constatation explique aussi le double paradoxe de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises de ce siècle, véritable âge du fer : son développement d’abord, alors que ses forêts sont épuisées, grâce au commerce du charbon de bois de plus en plus important, dans une zone d’achalandage de plus en plus vaste ; l’essor de sa production ensuite, alors que l’industrie des hauts fourneaux s’épanouit. Le concurrent direct de la forge à la catalane n’est pas tant le haut fourneau, que les nouvelles façons industrielles d’obtenir du fer et de l’acier à partir de la fonte. C’est que, pendant que la production des fers à la catalane atteint son record, parallèlement la part de l’Ariège dans la production nationale diminue fortement, parce que, structurellement, la forge est incapable de résister aux conditions modernes de fabrication qui entraînent les prix à la baisse. Ce double mouvement inversé éclaire la disparition de cette métallurgie directe au bois. Le point nodal est certes à chercher à l’intérieur du monde à la catalane, mais aussi dans le niveau de modernisation de la sidérurgie française. Ainsi se termine un grand cycle métallurgique qui a révélé les ressorts de la réussite d’une filière technique qui a su, pendant un très long temps, satisfaire les évolutions des marchés, l’essor de la demande, tout en s’adaptant à l’écosystème montagnard et à ses changements, ainsi qu’aux modifications de la société des Pyrénées ariégeoises.
Notes de bas de page
1 Il existe des exceptions dont A. Armengaud, « La fin des forges catalanes dans les Pyrénées Ariégeoises », Annales E. S. C., janvier-mars 1953, p. 62-66 et « La fin d’une industrie rurale traditionnelle au XIXe siècle, les forges à la catalane dans l’Ariège », Communautés du Sud, Paris, 1975, p. 289-301.
2 Arch. dép. Ariège, 5 M 3 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 181-2.
3 Arch. dép. Ariège, 138 S 6, Capoulet-Junac, le préfet de l’Ariège, octobre 1850.
4 Arch. dép. Ariège, 138 S 24, Tarascon, 1847-1862.
5 Arch. dép. Ariège, 138 S 24, Tarascon, Saut du Teil, 1855-1863.
6 Arch. dép. Ariège, 102 S 105, Foix.
7 Arch. dép. Ariège, 14 M 182, situation industrielle pendant le mois de mai 1862.
8 Arch. dép. Ariège, 14 M 182, le maire de Tarascon au préfet, 22 août 1863.
9 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, 21 mai 1860.
10 Arch. dép. Ariège, 8 S 2, 1857.
11 Arch. dép. Ariège, 5 M 3.
12 Cenac Moncaut, Les richesses des Pyrénées françaises et espagnoles, op. cit., p. 147-150.
13 Arch. dép. Ariège, 14 M 182, Questionnaire du préfet sur l’industrie, 15 février 1863.
14 A. Armengaud, Les populations de l’Est-Aquitain au début de l’époque contemporaine. Recherches sur une région moins développée (vers 1845-vers 1871), Paris, 1961, p. 533.
15 Arch. dép. Ariège, 14 M 183, lettre du préfet de l’Ariège au ministre de l’Agriculture et du Commerce, le 18 juin 1872.
16 Arch. dép. Ariège, 15 M 52, le ministre des Travaux Publics et le préfet de l’Ariège, 18 novembre 1884.
17 Arch. dép. Ariège, 15 M 22, crise de 1884.
18 Arch. dép. Ariège, 15 M 52, Arch. dép. Ariège, 14 M 185, Arch. dép. Ariège, 102 S 252.
19 T. Nigoul, Les forges catalanes, conférence, Société amicale des Ariégeois, Foix, 1886, 17 p.
20 Arch. dép. Ariège, 14 M 185 ; Arch. dép. Ariège, 15 M 22.
21 Arch. dép. Ariège, 14 M 185.
22 Bibliothèque de l’École des Mines, 1878 J 604, Journal de voyage, Tarn, Gard et Pyrénées par Orieulx de la Porte, élève externe de troisième année, août-septembre 1878.
23 G. Gavignaud, « Mines de fer et forges catalanes dans les pays de Conflent et de Vallespir au XIXe siècle », Mines et Mineurs en Languedoc-Roussillon et les régions voisines de l’Antiquité à nos jours, op. cit., p. 181-188 ; O. Codina, De fer et de laine. Économie et société des vallées andorranes de 1575 à 1875, op. cit., vol. III, p. 711-721.
24 M. Corbera Millan, « Coyunturas del fierro forjado en Cantabria en los siglos XVIII y XIX », La farga catalana en el marc de l’arqueologia siderurgica, op. cit., p. 357-365.
25 Arch. dép. Ariège, 14 M 181-2, canton d’Ax, 2e trimestre 1861.
26 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, 21 mai 1860, lettre de Morlière, propriétaire des forges de Berdoulet, aux sénateurs.
27 Les chiffres pour la forge à la catalane comme pour les hauts fourneaux sont tirés de Mussy, « Traitement du minerai de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 167-168, 197-198.
28 Arch. dép. Ariège, 14 M 182, le commissaire d’Ax, le 11 octobre 1863.
29 Arch. dép. Ariège, 14 M 182, canton de Tarascon, 1860.
30 Arch. dép. Ariège, 14 M 182, canton de Tarascon, 4ème trimestre 1864.
31 R. Barbé, Recueil des titres… établissant la propriété des mines de fer de Rancié en faveur des huit communes de l’ancienne vallée de Vicdessos, op. cit., p. 144.
32 Arch. dép. Ariège, 14 M 185.
33 P. Fluzin, « Notions élémentaires de sidérurgie », Métallurgies Africaines, op. cit., p. 24-25.
34 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 319.
35 Arch. dép. Ariège, 8 M 39, états des établissements insalubres, incommodes ou dangereux ; Arch. dép. Ariège, 14 M 18. Pamiers : Arch. dép. Ariège, 138 S 18 ; Arch. dép. Ariège, 8 M 6413, usine métallurgique, 1867-1924. Berdoulet, Arch. dép. Ariège, 8 M 525, Foix, 1867-1920.
36 A. Armengaud, Les populations de l’Est-Aquitain au début de l’époque contemporaine. Recherches sur une région moins développée (vers 1845-vers 1871), op. cit., p. 533.
37 Arch. dép. Ariège, 8 S 2, 1869, 1873, minerai de Rancié et procédé Bessemer.
38 Arch. dép. Ariège, 14 M 183, lettre du préfet de l’Ariège au ministre de l’Agriculture et du Commerce, le 18 juin1872.
39 Mussy, « Traitement du minerai de fer de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 217-218, 227-228.
40 Arch. dép. Ariège, 137 S 1.
41 Arch. dép. Ariège, 14 M 184, 1er trimestre 1878
42 Frontault, Essai sur la transformation de la métallurgie au bois dans l’Ariège, Paris, 1871, p. 12 ; Villot, « Étude administrative sur les mines de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 234.
43 T. Nigoul, Les forges Catalanes. Conférence, op. cit., p. 16.
44 P. Morère, « L’Ariège avant le régime démocratique. L’ouvrier. - Les forgeurs », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, op. cit., p. 223.
45 Arch. dép. Ariège, 102 S 90, Château-Verdun, 1894.
46 Arch. dép. Ariège, 5 M 3, rapport du préfet de l’Ariège, du 1 au 30 juin 1865.
47 Arch. dép. Ariège, 14 M 183.
48 Arch. dép. Ariège, 14 M 185.
49 T. Nigoul, Les forges catalanes. Conférence, op. cit., p. 17.
50 Arch. dép. Ariège, 14 M 182, l’ingénieur des Mines au préfet, 2 février 1863.
51 P. Morère, « L’Ariège avant le régime démocratique. L’ouvrier. - II. Les forgeurs », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, op. cit., p. 222-223 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 182, l’ingénieur des Mines au préfet, 2 février 1863.
52 R. Jolibert, « La population de l’Ariège de l’an XII à 1982 », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, op. cit., p. 113-170 ; Arch. dép. Ariège, 10 M 1-2.
53 Arch. dép. Ariège, 14 M 183-5.
54 Y. Lamy, Hommes de fer en Périgord au XIXe siècle, op. cit. ; P.-J. Campocasso, « Histoire de l’usine à fer de Toga (1842-1885) », Histoire industrielle de la Provence, Actes du colloque de juin 1996, Publications de l’Université de Provence, 1998, p. 111-130.
55 Voir les analyses de J.-Fr. Soulet, C. Thibon, « Dissidence et intégration des Pyrénées à la nation française XVIIIe-XIXe (versant nord) », Le Dictionnaire des Pyrénées, op. cit., p. 240-243.
56 F. Baby, La guerre des Demoiselles en Ariège, 1829-1872, op. cit., p. 70.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La forge à la catalane dans les Pyrénées ariégeoises
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://freemium.openedition.org/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
La forge à la catalane dans les Pyrénées ariégeoises
Vérifiez si votre bibliothèque a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books.
Vous pouvez suggérer à votre bibliothèque d’acquérir un ou plusieurs livres publiés sur OpenEdition Books. N’hésitez pas à lui indiquer nos coordonnées : access[at]openedition.org
Vous pouvez également nous indiquer, à l’aide du formulaire suivant, les coordonnées de votre bibliothèque afin que nous la contactions pour lui suggérer l’achat de ce livre. Les champs suivis de (*) sont obligatoires.
Veuillez, s’il vous plaît, remplir tous les champs.
La syntaxe de l’email est incorrecte.
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3