Version classiqueVersion mobile

La forge à la catalane dans les Pyrénées ariégeoises

 | 
Jean Cantelaube

Deuxième partie. La puissance de la forge à la catalane xviie-xixe siècle

Chapitre V. La sidérurgie à la catalane, « une industrie aux mains des paysans »

Texte intégral

  • 1 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 194.
  • 2 El Tratado de Metalurgia, op. cit., p. 78-84.

1L’étude des hommes de la forge a mis en lumière l’importance de leur rôle dans la société des Pyrénées ariégeoises dont ils sont un des éléments les plus dynamiques. Cette implication sociale qui dépasse largement le cadre local et régional nous a convaincus que nous tenions une explication essentielle de la fidélité au procédé direct. Le savoir-faire de ces hommes a animé une industrie puissante, parfaitement viable sur le plan économique. Au point que, au XVIIIe et au début du XIXe siècle, la métallurgie du fer ariégeoise et son procédé direct font partie « de la sidérurgie qui gagne »1. S’il est difficile de quantifier avec précision sa place réelle dans la production française, il n’en reste pas moins vrai que, pendant l’Ancien Régime, le comté de Foix figure parmi les régions réputées ; mieux, parmi celles qui sont susceptibles de proposer un modèle. Des pays étrangers, le Pays basque espagnol par exemple, envoient des hommes compétents étudier les forges languedociennes, pensant y trouver des solutions aux problèmes de leur sidérurgie. La métallurgie du fer des Pyrénées ariégeoises est alors placée sur le même pied que celle de la Suède2.

A/ Une industrie à la montagne

2Pour tenter de rendre compte avec la plus grande exactitude possible de la place réelle de la sidérurgie dans la vie des Pyrénées ariégeoises, il est indispensable d’examiner plusieurs échelles d’étude. Il est nécessaire de faire l’histoire aussi précise que possible de chacun des établissements en utilisant les nombreux types de sources disponibles et en s’appuyant sur les travaux déjà publiés. L’usine, surtout si son activité se déroule sur plusieurs siècles, ne peut qu’avoir un impact sur son environnement naturel et humain. Chaque atelier, dans le monde étroit de la vallée, interfère avec son voisin. Il en va ainsi à l’intérieur d’un massif, au point que, de forge en forge, le travail du fer s’étend et finit par couvrir l’ensemble de la région, par franchir la ligne de crêtes. Cette étude monographique ayant été réalisée, il est nécessaire d’étudier les mouvements d’ensemble.

1/ Une industrie puissante

  • 3 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 125, 132-133.

3Certes, en l’absence de statistiques fiables, du moins avant le XIXe siècle, il est difficile de mesurer avec exactitude le poids réel de la métallurgie. Il est donc prudent de commencer par une remarque d’ordre général, avant d’examiner, au plus près des archives disponibles, cette activité industrielle. Parmi les signes symboliques de sa force, il faut rappeler que la forge du comté de Foix est, durant tout le XVIIIe siècle, l’archétype de la forge à la catalane, avant de devenir synonyme de tout atelier de réduction directe du minerai de fer, quels que soient la région ou le pays concernés. Les esprits les plus éclairés envisageront même, au XVIIIe siècle, de « faire bénéficier d’autres régions de minerai analogue - entre autres, le Dauphiné - d’un système de production séduisant… Par la suite, deux foyers principaux, correspondant aux deux grandes familles de procédés, la Franche-Comté et l’Ariège, alimenteront les fronts pionniers »3. Du XVIIe au XIXe siècle, l’industrie sidérurgique des Pyrénées ariégeoises se montre capable de satisfaire le marché des fers, à des coûts économiques et sociaux acceptables. Le rôle joué par la demande de métal dans la naissance et le développement de la forge à la catalane a été précédemment mis en évidence. Ce qui est vrai sur le plan technique l’est tout autant dans le domaine économique pour expliquer l’essor de l’industrie. Reprenons donc un à un les éléments qui permettent de définir une industrie et sa puissance.

- Le nombre de forges : la démographie des usines et son évolution

  • 4 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, Montgailhard, 1745.

4Le nombre d’usines est intimement lié aux possibilités d’approvisionnement en charbon de bois. Certes, celui-ci n’a pas attendu l’apparition de la forge à la catalane pour avoir une influence déterminante. En 1580, la mouline de Montgailhard est transformée en martinet à clous car elle manque de bois4. De plus, dans la plupart des cas, il est difficile de mettre en évidence une cause unique à l’arrêt de la forge, plusieurs raisons se conjuguent. La demande d’un produit particulier, fers de Foix, acier naturel puis acier cémenté, a aussi une influence directe sur ce nombre. Ces deux éléments ont été fortement impliqués dans l’amélioration technique du procédé à la catalane, dans sa marche vers une production plus grande par feu avec une économie de combustible. Il n’en reste pas moins vrai que la puissance d’une industrie s’apprécie aussi au nombre d’usines qu’elle fait travailler. La démographie usinière et son évolution sont le signe le plus apparent de son degré de développement.

5L’implantation des forges à la catalane révèle, une fois encore, une grande continuité avec les siècles passés. Les régions ou vallées sidérurgiques sont toujours, pour l’essentiel, celles que le Moyen Âge connaissait : Vicdessos, Aston, Rabat et Saurat, la Barguillère, la haute vallée de l’Ariège d’Ax à Foix ; les vallées de Massat, d’Ercé et d’Ustou dans le Couserans ; le pays d’Olmes et la terre de Mirepoix à l’ouest du comté. L’élargissement se fait aux marges de cette zone sidérurgique traditionnelle, évoquant une sorte de glissement géographique : vers l’amont de la haute vallée de l’Ariège, au-delà d’Ax ; vers la vallée d’Alos et le Séronnais où la métallurgie du fer renoue avec l’époque romaine ; enfin vers l’aval de la vallée de l’Hers et de ses affluents. Puis, plus tardivement, l’extension se fait en direction de la basse Ariège, autour de Pamiers. Agrandissement de l’aire sidérurgique, mais, parallèlement, multiplication des sites industriels à l’intérieur de cette zone. Augmenter la densité des usines est un moyen supplémentaire de répondre à la croissance de la demande. D’autant que la plus grande taille du fourneau, l’ajout d’un second feu sont gages de succès. Symbole de continuité plus fort, un même site industriel peut avoir connu différents procédés sidérurgiques successifs. C’est le cas de Sigueilles et d’El Galis dans la vallée d’Aston, de Capounta ou d’Ournac à Vicdessos, des Esqueranes et de La Mouline à Saurat pour ne citer que quelques exemples.

  • 5 C. Pailhès, D’or et de sang. Le XVIe siècle ariégeois, op. cit., p. 66 ; Arch. dép. Pyrénées-Atlant (...)
  • 6 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 176-180.
  • 7 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 138, 750 ; 1 B 51 ; 5 E 713, f° 37. Pays d’Olmes, Arch. dép. Ariège, (...)
  • 8 J. de Lahondes « Les diocèses de Mirepoix et de Rieux sous Louis XIV », Bulletin de la Société Arié (...)

6Le développement global de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises s’est fait par vagues. Une fois achevée la constitution du réseau des usines, cette industrie réagit à l’évolution de la demande des marchés, d’autant plus facilement que les caractéristiques de la réduction directe le lui permettent : la souplesse d’utilisation de la forge, en augmentant ou en diminuant la durée annuelle d’utilisation des usines, prend alors toute sa dimension. Un document fiscal, l’état des recettes et dépenses du comté de Foix, daté de 1603, permet de dresser un état des lieux au tournant du nouveau siècle, avant l’apparition de la forge à la catalane : 12 des 32 moulines citées dans ce document sont « ruinées » (soit 37,5 % d’entre elles), ainsi que 4 des 5 moulins ressec. Quelques moulins à grain et un martinet à clous y figurent aussi5. Les guerres ont laissé des traces. Il n’en reste pas moins vrai que nous avons une photographie d’un espace industriel à une période charnière pour la sidérurgie. Comme pour le royaume, la fin du XVIe siècle est, globalement, une période de dépression. Le redémarrage de l’activité industrielle se confirme pendant le premier tiers du XVIIe siècle, puis la situation devient plus difficile sous Colbert6. En 1669, le registre de la Réformation des Forêts comptabilise 46 forges à fer pour les Pyrénées ariégeoises dont 35 pour le comté de Foix, 6 dans le bailliage d’Ax dont celles d’Ascou, d’Orgeix, d’Orlu, de Perles ; 3 dans celui de Mérens ; 4 dans celui de Lordat dont celles de Luzenac, d’Urs, d’Unac ; 5 à Château-Verdun ; 3 pour Quié, celles de Rabat et Saurat ; 6 pour Vicdessos ; 1 dans le bailliage de Tarascon ; 2 pour Saint-Paul et son voisinage (Celles) ; 3 pour Foix et la Barguillère ; 1 forge pour La-Bastide-de-Sérou et Durban. Il faut ajouter 7 forges pour le Couserans, dont à Massat celles de Lirbat, des Spontex et du Vergé ; 4, enfin, pour le diocèse de Mirepoix, les forges de Bélesta, de Villeneuve d’Olmes, de Montségur, de Montferrier dont l’afferme n ’ e s t p a s renouvelée en 1659, et où il n’existe plus qu’une seule forge7. Le manuscrit de l’intendant d’Aguessau, rédigé en 1674, indique une ferrière à Bélesta, et 4 ferrières dans le diocèse. Quelques années plus tard, en 1697, l’intendant de Basville précise que, dans le diocèse de Mirepoix, il y a des forges à fer à Conozouls, Sainte-Colombe, Queille, Bélesta et quelques autres endroits8.

Les forges des Pyrénées ariégeoises au XVIIe siècle

  • 9 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 311, 313, 542.
  • 10 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 244-245.
  • 11 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 313.
  • 12 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 265.
  • 13 Arch. dép. Ariège, 5 E 1027, acte n° 36.
  • 14 Arch. dép. Ariège, 138 S 6, Cazenave.
  • 15 Arch. dép. Ariège, 2 B 30, f° 334.
  • 16 Arch. dép. Ariège, E, liasse LXVI, n° 50, fonds de l’Évêché de Pamiers, cité dans Bulletin de la So (...)
  • 17 Cette forge est présentée comme abandonnée en 1694.

7Une comparaison avec le début du siècle s’impose. L’élan que l’on a pu repérer durant le XVIIe siècle se manifeste sous 3 formes : l’innovation technique, la reconstruction d’usines dans lesquelles la nouvelle méthode est progressivement mise en œuvre et la création de nouvelles unités, dans un contexte de poussée démographique avec pour conséquences une faim de terres et des défrichements alors que tout le terroir disponible semble déjà avoir été essarté. Il est vrai que le bilan du siècle est contrasté. Le nombre des usines a stagné, mais il demeure cependant élevé puisqu’on en comptabilise au total 50. Il ne faut pas oublier que le nouveau procédé à la catalane permet à chacune des forges d’avoir une production plus forte. Un certain nombre des moulines présentes en 1603 a totalement disparu en 1669 : dans la vallée de Vicdessos, celles d’En Guiné, du Sarrazeil, de la Costes Dardes et du pla del Moulinas, du pla Mouré ; à Saurat deux ruinées dont il ne reste que « leurs masures » ; dans la vallée de Siguer, mouline à fer al prat de Salga Dissioles, al prat de Bourdeaux et de La Biscaine ; la mouline d’Arignac ; plusieurs sont abandonnées dans la Barguillère dont la forge de Burges9. Mais, certains ateliers, ruinés en 1603, ont été reconstruits, à Vicdessos, dans la Barguillère et dans la vallée de l’Ariège (celui du Castelet). Autre cas de figure, les forges les plus nombreuses sont celles qui ont continué leur travail, à Vicdessos, celles d’Ournac, de Guilhe, de Capounta, de La Vexanelle, au total, 4 sur le ruisseau de Bouët et 2 le long du ruisseau d’Aulus10 ; 3 forges de la Barguillère, à Benac l’ancienne mouline de Raymond Gaillard, celles de La Cabirole et du Malpassadou11 ; la forge du Marchandier dans le bailliage de Foix ; 2 dans la vallée de Saurat12. Et, surtout, de nouvelles forges sont construites dont celle de Bélesta érigée vers 1617. La forge de Cabre est mentionnée pour la première fois le 15 décembre 165213. On trouve l’établissement d’une forge à fer à Allens par un acte du 14 mai 1656 contenant la ratification de la vente de la terre d’Allens14. Des lettres patentes du 9 avril 1661 accordent « à M. de Villemur pour récompense des services rendus par son père et pour le dédommager du rasement et démolition de la ville de Mérens dont il était gouverneur, la permission de faire construire une forge à fer dans la juridiction de Mérens ou dans celle de Carol ou Sardagne, et de se servir de la mine de fer qui est dans le terroir de Carol ou Soulagne d’Andorre, même des bois de Mérens, de Saut et de Carol pour faire charbon »15. Une forge est érigée à Auzat le 5 janvier 166316. Il reste enfin à mentionner l’autorisation du 30 décembre 1678 de construire, sur l’Aude, une forge à fer sur le territoire de la paroisse de Quérigut, au pied de la forêt du Carcanet17. Une première période, de 1603 aux alentours de 1670-1680, est caractérisée par la force préservée, et même renforcée, de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises dont les registres de la Réformation des Forêts témoignent. En particulier autour des années 1630-1660, pendant lesquelles l’innovation apparaît et se met progressivement en place dans le réseau des moulines et forges existantes ou récemment créées, avant que la forge à la catalane exclue tout autre procédé sidérurgique.

  • 18 Archives du Ministère de la Guerre, château de Vincennes, mémoire de l’intendant d’Andrezel : art. (...)
  • 19 B. Gille, Les forges françaises en 1772, Paris, 1960, p. 144-151.
  • 20 Arch. dép. Ariège, 1 C 165.

8La fin du XVIIe siècle est marquée, dans les Pyrénées ariégeoises, par de grandes crises : les famines de 1692-1693, 1709-1710, la dernière peste de 1720. Un mémoire de l’intendant d’Andrezel de 1720 comptabilise 30 forges dans le comté de Foix : La Cabirole, Saint-Paul, Allens, La Mouline et Les Escaranes à Saurat, Rabat, Lacombe, Junac, Siguer. À Vicdessos celles de Cabre, Guilhe, Laprade, La Vexanelle, Capounta ; Castelverdun, Aston, Riette, Sirbal, dans l’Aston ; Luzenac, Urs, Unac, Castelet, Savignac, Orgeix, Orlu, Ascou, Mérens, Saillens, dans la haute vallée de l’Ariège ; Estagnel et Tourné dans le Séronnais18. Si l’on compare avec les registres de la Réformation des Forêts, il manque les forges de Brassac, Ganac, Niaux, Sigueilles, El Galis, une à Mérens ; s’ajoute la forge de Laprade à Vicdessos. Sur l’autre versant du siècle, l’enquête de 1772 offre un terme de comparaison quasiment obligatoire. À cette date, le pays de Foix compte 28 forges, 9 martinets à clous et 24 boutiques à clous. Ont disparu une des forges de l’Aston, Luzenac, Unac, Mérens et L’Hospitalet ; sont apparues la Forge neuve à Vicdessos, Mijanès, Niaux et la forge de Bonnac19. Un état des forges et fourneaux, dressé par le subdélégué, le 1er avril 1772, dénombre 27 forges20.

Les forges à la catalane des Pyrénées ariégeoises au XVIIIe siècle

  • 21 Arch. dép. Ariège, 1 C 40-41 ; 3 J 16 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 16.

9La forge de Bonnac ne figure pas sur ce document car elle a été endommagée par des crues répétées de l’Ariège, alors qu’elle figure dans l’enquête avec la mention : « plusieurs inondations ». Dans le Couserans, de 7 forges travaillant dans les années 1670, on passe à 11 ateliers dont 5 sont détruits dans les années 1770. Dans la région de Mirepoix, de 4 forges, on parvient à 6 dont une détruite. La conclusion est simple, érosion, recul du nombre de forges dans l’ensemble des Pyrénées ariégeoises. Cette période, chaotique, est émaillée de crises : crise des approvisionnements en matières premières certes, nous y reviendrons, mais aussi crises de mévente des fers, de main-d’œuvre aussi puisque de nombreux charbonniers et forgeurs, attirés par de hauts salaires, vont travailler en Espagne21. Elle mérite à coup sûr une analyse approfondie.

  • 22 Arch dép. Ariège, 1 C 165, forge de Mijanès.
  • 23 Arch. dép. Ariège, 138 S 6.
  • 24 Arch. dép. Ariège, 138 S 28.
  • 25 Arch. dép. Ariège, 1 C 164.
  • 26 Mérens, L’Hospitalet, Arch. dép. Ariège, 3 J 35 ; Luzenac, Arch. dép. Ariège, 3 J 29 ; Château-Verd (...)

10Sur l’ensemble de la période, 59 forges sont comptabilisées dont 19 s’éteignent, le nombre d’usines en jeu donne une idée de l’amplitude des événements. Des zones sidérurgiques « marginales » disparaissent. C’est le cas de la haute vallée de l’Ariège, à Mérens (2 forges) et l’Hospitalet. L’activité métallurgique se resserre sur les zones traditionnelles, actives depuis le Moyen Âge, qui sont pourtant elles aussi atteintes. La Barguillère (Brassac), la haute vallée de l’Ariège entre Ax et Tarascon (Savignac, Unac, Luzenac), l’Aston (Sirbal, Sigueilles, Riette), la vallée de Vicdessos (Junac, Cabre) perdent des forges. La région de Massat est très touchée (Lirbat, Les Spontex, Le Vergé) ainsi que le Couserans (Rouze, Aulus, Ustou). Dans le pays d’Olmes, les forges de Montségur, Montferrier arrêtent leurs feux. Ces disparitions peuvent être regroupées chronologiquement. Une première vague se produit vers 1730, avec le chômage de la forge de Montferrier (1731), l’arrêt de celles de Mérens et l’Hospitalet (1736). Une vague plus forte autour des années 1750 qui emporte les usines de Riette et Sirbal (1748), de Luzenac (1750) de Barthalé (1756) et d’Aston (1760). Si on fait exception de la forge de Bonnac qui s’arrête définitivement vers 1772 et de celle de Cabre en 1775, la vague de destructions la plus forte se produit dans les années 1780, et concerne les ateliers de Junac (1780), Aulus (vers 1782), Ustou (avant 1786), Canadelle et Ercé, auxquels s’ajoute Sigueille qui s’arrête vers 1800. Il ne faut cependant pas oublier que les causes d’arrêt peuvent être parfaitement circonstancielles, outre les crues des cours d’eau, sans rapport avec les évolutions d’ensemble. Un bel exemple est offert par la forge de Mijanès. Ainsi, en octobre 1772, le subdélégué précise qu’elle a commencé « à retravailler depuis deux ans mais seulement trois ou quatre mois de l’année. La difficulté de se procurer de la mine rend ce travail difficile »22. Des problèmes familiaux peuvent aussi interrompre la marche de l’usine comme pour la forge de Junac dont il subsiste les parties essentielles en 1822 : le canal, une partie de l’habitation du commis, les murailles de la forge et la pierre du mail23. Enfin la mauvaise gestion des fermiers, leur « insouciance et l’éloignement des propriétaires », sont parfois jugés responsables du chômage comme à Cabre24. Parallèlement, des créations d’usines, dont certaines hors de la zone traditionnelle de la sidérurgie ariégeoise dans la basse Ariège, viennent s’intercaler entre ces vagues de destructions, donnant un rythme de flux et de reflux. De 1700 à 1725, les forges de Laprade à Vicdessos (vers 1701-1703, maintenue en 1709) et la Forge neuve d’Auzat (vers 1722), de Mijanès (1714), de Queille (lettres patentes de 1724 autorisant la continuation des travaux), d’Ustou et peut-être d’Oust. Un deuxième groupe se situe vers 1745, avec Le Carla (1740), Bonnac (1749) et Manses (1753) auxquels il faut ajouter des demandes de permission à Foix et Montgailhard. L’intendant, depuis Perpignan, répète en 1745 que 11 demandes de construction ont été faites depuis l’ordonnance de 1723 dont 5 ont été effectivement réalisées. En outre, 6 autres, 2 pour le pays de Foix et 4 pour le Languedoc, sont encore en cours d’instruction25. Une forge a été construite, sans autorisation, à Rouze dans le Couserans. La dernière série se remarque dans les années 1770, avec la Forge neuve d’Oust (1775), la Forge neuve d’Aston et les demandes de Brassac, Arignac et Ganac. Il faut ajouter la reconstruction de la forge de La Vexanelle en 1758 et l’érection à une date inconnue de celle de Campredon. Entre destructions et constructions, un équilibre géographique se met en place26.

  • 27 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 324.
  • 28 J. Cantelaube, « Les hommes et le fer en Ariège pendant la Révolution », Bulletin de la Société Ari (...)
  • 29 Montgailhard, Arch. dép. Ariège, 138 S 13 ; Saint-Pierre, Arch. dép. Ariège, 138 S 21 ; Planissoles (...)
  • 30 Arch. dép. Ariège, 138 S 1.
  • 31 Arch. dép. Ariège, 138 S 19.
  • 32 Arch. dép. Ariège, 138 S 4.
  • 33 Arch. dép. Ariège, 138 S 8 ; Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., tome II, p. 146-147 ; G. B (...)

11Cette tentative de périodisation de l’évolution du nombre des forges permet, incidemment, de reconsidérer l’affirmation que la Révolution aurait entraîné la disparition de nombreuses usines. « Les mouvements politiques de 1789 en déplaçant les propriétés, en divisant les fiefs et en rendant libre le commerce d’échange du minerai et du charbon… port[èrent] un coup mortel à un grand nombre d’entre elles »27. Certes, toutes ont connu des difficultés, mais peu ont disparu : la forge de La Vexanelle, à Vicdessos, a vécu des incidents mais elle reprend son travail un peu plus tard ; seules celles d’Ustou et d’Ercé ont été détruites, mais nous savons que l’une était déjà arrêtée et que l’autre a eu une marche précaire jusqu’en 1791, date à laquelle elle chôme. En 1793, les habitants d’Ercé la démolissent28. La forge de Sigueille cesse toute activité en 1800. La liste des destructions est faible, d’autant que malgré la conjoncture, des usines sont édifiées : Montgailhard, sans autorisation, dont un rapport du Bureau des Mines du 22 floréal an VI (11 mai 1798) note qu’elle « est achevée et en activité ». L’autorisation est donnée seulement le 13 frimaire an X. C’est encore le cas à Saint-Pierre-de-Rivière, sur l’Arget. Un arrêté du 23 thermidor an X (11 août 1802) autorise Joseph Fauré à conserver une forge à la catalane. Enfin, toujours sur l’Arget, Jean Ruffié érige une forge à Planissoles en 1798-1799, en application du décret du 6 pluviôse an VI (25 janvier 1798)29. Ce mouvement de construction se poursuit sous l’Empire. La forge d’Aulus est rebâtie en 1803 sans autorisation30 ; celle de Rabat est déplacée, reconstruite en 1805 plus en aval dans la vallée de la Courbière31. Les propriétaires de la forge de La Cabirole, au Bosc, obtiennent en 1807 l’autorisation de la transférer à Bompas, au confluent du ruisseau de Bompas et de l’Ariège, bien mieux placée sur la grande route de Tarascon à Pamiers32. Le grand projet métallurgique de l’époque intéresse le Couserans où le conservateur en chef des Forêts, Dralet, désireux de trouver de nouveaux débouchés aux bois de la montagne, a peut-être suscité, dans tous les cas soutenu fortement, le désir de Lecour, entrepreneur de la fonderie de canons de Toulouse, de construire à Engomer, sur le Lez, un haut fourneau et une forge. Le décret du 21 octobre 1808 accorde l’autorisation accompagnée de la concession de diverses forêts dans le Castillonais pour le roulement de cette usine33. L’usine érigée, une forge à la catalane et un laminoir, est bien plus modeste que le projet initial. Elle commence à travailler au mois de mai 1810.

  • 34 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 325 ; Mussy, « Traitement du minerai de fer (...)

12Le XIXe siècle voit non seulement la confirmation réitérée de la réduction directe, mais, bien plus, connaît une explosion du nombre de forges en activité, 58 dont plusieurs à 2 feux. Cette croissance avait semblé paradoxale lorsque nous l’avions analysée à partir du combustible. Il est possible, grâce à des statistiques plus précises et malgré les incertitudes qui subsistent encore, de présenter année après année les évolutions du nombre de feux, de la production et du prix du fer. Les chiffres qui ont permis de dresser le tableau ci-dessous sont tirés de l’ouvrage de Jules François pour la période 1808-1843, de l’article de Mussy pour les années 1841-1867. Les deux ingénieurs ne donnent pas les mêmes chiffres pour les années 1841-1843. D’abord à propos du nombre de forges : pour les années 1842 et 1843, François comptabilise 57 feux, Mussy 49 feux en 1842 et 52 feux en 1843. Autres différences dans le prix du fer, il faut noter que pour l’année 1841, François indique une valeur de 44,10 francs le quintal alors que Mussy le porte à 50,72 francs. Pour les années 1842 et 1843, François donne une variation de 47,50 à 55 francs, Mussy de son côté : 58,50 francs et, en 1843, 47,25 francs. Enfin, les chiffres des années 1868-1885 sont extraits de la statistique départementale dressée sous la responsabilité du préfet34.

années

nombre de feux

production en quintaux

prix du quintal en francs

valeur totale en francs

1807

41

39 500

60

2 370 000

 

 

 

 

 

1818

43

46 000

48

3 452 000

1819

43

54 000

56

3 024 000

1820

43

43 000

46

1 978 000

1821

43

50 500

43

2 171 000

1822

45

51 000

46,50

2 371 000

1823

46

54 000

49

2 646 000

1824

46

51 000

49

2 548 000

1825

51

50 000

49

2 450 000

1826

51

49 000

49

2 401 000

1827

52

55 000

51

2 805 000

1828

53

69 000

47

3 243 000

1829

53

48 000

46

2 208 000

1830

53

47 000

45

2 115 000

1831

54

51 000

40,50

2 065 000

1832

53

50 000

39,50

1 975 000

1833

53

50 175

41

2 057 175

1834

52

48 771

44,35

2 147 774

1835

52

55 662

45,06

2 508 129

1836

52

53 119

45,07

2 394 251

1837

52

45 466

41,80

1 808 476

1838

51

51 285

42

2 153 640

1839

51

58 328

43,20

2 510 054

1840

57

58 806

43,80

2 575 700

1841

57

57 177

50,72

2 899 425

1842

49

54 566

58,50

2 864 715

1843

52

59 753

47,25

2 822 752

1844

42

47 042

38,08

1 789 325

1845

46

50 451

39,17

1 975 428

1846

48

55 865

41

2 290 160

1847

46

53 044

42,52

2 255 654

1848

43

48 724

36,76

1 791 210

1849

46

51 600

35,50

1 851 800

1850

48

55 000

35,50

1 952 500

1851

51

63 991

36

2 303 676

1852

53

69 043

36

2 412 468

1853

55

72 125

38

2 740 750

1854

51

61 759

36

2 223 315

1855

52

64 872

38

2 465 128

1856

49

56 678

38,50

2 182 205

1857

45

51 450

36,25

1 865 073

1858

39

45 684

35

1 597 170

1859

27

39 604

34

1 346 536

1860

30

43 000

34

1 462 000

Nombre de feux de forges, production de fer et prix du quintal de 1807 à 1860

  • 35 Arch. dép. Ariège, 137 S 1.

13Le décrochage, en ce qui concerne le nombre de forges, se produit en 1840 et en 1841, années qui connaissent le nombre maximum de feux en activité, 57, c’est-à-dire sensiblement plus tôt que le record de production de la sidérurgie à la catalane atteint en 1853. Il faut cependant noter un second pic durant cette période de production intensive, de 1851 à 1855, à peine inférieur au précédent, avec un nombre de feux qui varie de 51 à 55 en 1853, année remarquable. 49 fonctionnent encore en 1856, 45 en 1857, puis la diminution s’accentue à partir de 1858 avec 39 foyers en activité et seulement 27 en 1859. Il existe une autre façon de prendre la mesure de ce mouvement de construction de forges. De 1818 au début du Second Empire, 28 forges sont érigées ou agrandies (augmentation du nombre de feux dans un même atelier), ce qui représente à peu de chose près la totalité des forges des Pyrénées-Orientales à la même période et plus que le nombre maximum de sites recensés dans les vallées de l’Aude. Cette vision d’ensemble qui a l’avantage de rendre compte de l’essor de la sidérurgie à la catalane doit être nuancée. Le mouvement n’est pas linéaire, mais, bien au contraire, suit une cadence heurtée. Ainsi, 3 temps forts donnent le rythme. Le premier autour des années 1820. Le marquis de Lordat reconstruit la forge de Luzenac en juillet 1820 (ordonnance d’autorisation de 1822). La forge de Cabre est autorisée en 1817, celle de Bénagues en 1822, celles de Rabat et de Surba en 1823, avec l’obligation de démolir la forge d’Ustou dont la demande de reconstruction avait été faite en 1812 et accordée en 1818. Cette même année, un second feu est permis à La Mouline (Saurat) et à la forge de Ruffié (Foix). Un projet d’usine est en cours d’élaboration à Nalzen en 1823. Deuxième moment fort, proche du premier, autour des années 1825, avec un second feu à Bénagues (1825), à Cabre (1827), avec le transfert de la forge de Canadelle à Rabat (1829) et avec la transformation d’un des foyers du martinet de Niaux neuve en bas fourneau (1825), suivie de la transformation identique d’un second foyer de martinet en feu de forge en 1829. Le service des Mines, en 1830, résume ainsi les vingt années qui viennent de s’écouler : en 1810, il y avait 40 forges dont 39 à un feu et une à deux feux. 37 de ces forges existaient de temps immémorial, les 3 autres, y compris celle à 2 feux, furent construites de 1803 à 1809. Depuis 1810, le gouvernement a autorisé la construction de 9 forges dont 7 à un feu et 2 à 2 feux. Il a aussi autorisé l’établissement d’un second feu dans 4 des anciennes forges, ce qui porte à 15 le nombre des feux autorisés, mais sur ces 15, 7 ou 8 seulement ont été construits et mis en activité, Ustou, Oust neuve, Guilhot, Luzenac, Ruffié, Saurat, Canadelle, Rabat, Surba, Junac, Niaux, Cabre, Vicdessos, Massat. Ce qui fait que l’augmentation dans la fabrication du fer a été peu sensible selon les ingénieurs35. Troisième temps enfin, autour des années 1838 : autorisation des forges de Berdoulet (1832), du Mas d’Azil (1836), construite selon le plan moderne dressé par Jules François, de Lacourt (1839), de Saverdun malgré sa marche très irrégulière (1839) ; création d’un second feu à la forge de Manses (1836) et à la forge de Niaux vieille (1838) ; projet à Gajan (1837) et à Léran (1838). Plus remarquable, témoin privilégié de la vitalité de la sidérurgie à la catalane, la construction en 1834 d’une forge à l’intérieur de l’aciérie de Pamiers, prototype de l’usine moderne ; elle est autorisée en 1837 ! Ainsi, de 1825 à 1840, le nombre de forges, nombreuses à avoir été élevées, connaît une période de stabilité, avec, cependant, une légère tendance à la baisse.

  • 36 Arch. dép. Ariège, 138 S 6, Capoulet-Junac, 1842-1851 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 10, Illier-Laramad (...)
  • 37 Arch. dép. Ariège, 102 S 252, Tarascon, forge Esquirol ; Arch. dép. Ariège, 138 S 12, Le Mas d’Azil (...)

14Et pourtant, nous enregistrons encore des constructions de forges à la catalane, 9 feux au total, dans les années 1840 et 1850. L’ordonnance du 22 septembre 1843 maintient en activité la forge à 2 feux de La Ramade, sur le Vicdessos ; une forge à 1 feu travaillait depuis 1837. La première demande avait été faite en 1836, celle pour le second feu en 1837. Toujours à La Ramade, mais sur le ruisseau de Siguer, l’ordonnance du 31 août 1847 confirme une forge, construite par Théodose Vergniès, notaire à Foix. En 1851, M. Sthols, maître de forges de Paris, demande le maintien de la Forge neuve de Niaux avec fourneau à cémentation et forge à la catalane à 2 feux pour une aciérie. Le 3 novembre 1853, M. de Limairac, propriétaire du domaine de Gudanes, désire mettre en conformité avec la loi la reconstruction de la forge de Château-Verdun. Il s’agit de régulariser des usines qui travaillent déjà. De véritables constructions sont réalisées. La forge des Espasses à Capoulet-Junac est construite sans autorisation en 1842- 1843. Mais en 1851, elle est déjà au chômage depuis plusieurs années et, de plus, son propriétaire se trouve en faillite36. En février 1842, Esquirol aîné veut établir au faubourg méridional de Tarascon une forge. En réalité cette usine est déjà établie ; elle est maintenue le 25 novembre 1843. En juin 1843, le vicomte Falentin de Saintenac demande un second feu, la forge du Mas d’Azil est « fort appréciée dans la localité pour les avantages qu’elle procure à la population », il est autorisé le 29 novembre 1848. Dans une affiche datée du 25 juin 1847, Bonnans, roulier à Tarascon, fait une demande pour une forge à Fangas de Lucantes, près de Tarascon, sur le Vicdessos. Le 30 juillet 1855, Pujol et Galy demandent la permission d’élever une forge à 2 feux au Saut du Teil (Tarascon), l’autorisation est donnée le 28 juin 1858. Le 15 juillet 1855, à Foix, Carbonne demande l’autorisation de substituer à la féculerie (l’ancien martinet à cuivre de Planissolles qui a travaillé jusqu’en 1838) une forge à la catalane37.

  • 38 Arch. dép. Ariège, 14 M 17.
  • 39 Arch. dép. Ariège, 14 M 181.
  • 40 Arch. dép. Ariège, 138 S 18, Pamiers, 1857-1870.

15Il est à remarquer l’absence de concordance entre le nombre de feux en activité et les demandes de construction ou d’augmentation de feux. Le premier donne la réalité de l’activité, telle qu’elle apparaît à travers les documents du service des Mines ; les secondes sont le reflet de l’opinion et des illusions des maîtres de forges sur la marche de la sidérurgie à la catalane des Pyrénées ariégeoises et sur ses perspectives. Ces demandes et autorisations d’usines donnent à la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises une vie animée, intense. Impression renforcée si nous ajoutons le mouvement contraire de disparition d’ateliers, bien plus difficile à cerner avec précision parce que les administrations sont plus attentives à faire respecter la loi lors de la création d’entreprises qu’à enregistrer l’arrêt d’une usine. Ainsi, 7 forges ont arrêté leur roulement, pour des raisons très diverses, avant 1839- 1840 : Forge neuve d’Oust, Lispartens dans le Couserans, Allens, Urs, Perles et Castelet, un feu à Château-Verdun, Mijanès38. Puis 8 forges avant 1856, c’est-à-dire avant que nous disposions d’une statistique régulière, même si certains fonctionnaires se contentent, encore, de reprendre les renseignements des trimestres précédents et cela, parfois, pendant plusieurs années39. Il s’agit des forges d’Ascou, Bélesta, Campredon, Queille, Le Carla dans le pays d’Olmes, et de Tourné, d’Alos et d’un feu d’Engomer dans le Couserans. Les deux dernières demandes de construction datent de 1855 et les deux dernières autorisations de forges à la catalane ont été données en 1858 ! Or, vers 1857-1858, 10 usines se sont arrêtées à Rabat (un feu), Lacombe, La Mouline et les Esqueranes à Saurat, Montgailhard, Saverdun, Les Estaniels, Aulus, et très vraisemblablement Saint-Pierre où la forge est transformée en aciérie. Le cas le plus emblématique de disparition de forge est celui de l’usine de Pamiers où la demande de construction de deux hauts fourneaux, faite le 10 novembre 1857, précise que la forge à la catalane « sera abandonnée et remplacée par les hauts fourneaux »40. Il semble que, avec ces ultimes demandes, nous atteignions une borne chronologique. Une nouvelle fois, la lisière est indécise et floue.

  • 41 V. Izard, Les montagnes du fer, op. cit., tome I, p. 312-313, 346, 394.
  • 42 Arch. nat., F12 1603.

16Il reste, enfin, à comparer l’évolution de la sidérurgie ariégeoise avec celle des autres régions des Pyrénées. Dans le Roussillon, 42 forges sont comptabilisées au XVIIe siècle, 29 au XVIIIe et enfin 27 au XIXe siècle41. L’enquête de 1772 présente 3 forges pour la généralité de Bayonne et la subdélégation de Béarn. En France, les forges à la catalane sont, d’après l’enquête nationale sur l’industrie de 1811, au nombre de : 1 dans le Tarn, 2 dans le Lot, 4 dans le Lot-et-Garonne et les Basses-Pyrénées, 8 en Corse, 11 dans l’Aude, 15 dans les Pyrénées-Orientales et 36 en Ariège42.

Les forges des Pyrénées à la catalane ariégeoises au XIXe siècle

  • 43 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., tome II, p. 140-142.
  • 44 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 60-62.
  • 45 R. Uriarte, Estructura, desarrollo y crisis de la siderurgia tradicional vizcaina (1700-1840), op. (...)
  • 46 E. Baraldi, M. Calegari « La forge à la génoise comme facteur de l’écosystème des Apennins en Médit (...)

17Dralet, vers les années 1813, compte 16 forges dans les Pyrénées-Orientales, 16 encore dans l’Aude, 41 en Ariège, 1 dans la Haute-Garonne, aucune dans les Hautes-Pyrénées et 3 dans les Basses-Pyrénées, soit un total de 77. Le conservateur en chef des Forêts ajoute une précision intéressante pour l’historien en indiquant « l’état des forges dont il ne nous reste que les vestiges, et dont les noms sont encore connus » : 3 dans les Pyrénées-Orientales, 5 dans l’Aude, 22 en Ariège, 2 dans la Haute-Garonne et 7 dans les Basses-Pyrénées43. En 1840, Jules François indique 3 forges dans les Basses-Pyrénées, 4 dans la Haute-Garonne, 17 dans l’Aude, 20 dans les Pyrénées-Orientales, et enfin 57 dans l’Ariège. Sur l’autre versant des Pyrénées, Carlos Mas, pour l’ensemble de la Catalogne, de 1750 à 1850, donne le chiffre de 39 forges, 47 en y ajoutant les usines d’Andorre, qui se répartissent ainsi : 14 dans le Ripollès, 9 en Andorre, 6 dans la Cerdagne et le Pallars Sobirà, 3 dans la Selva, le Gironès, 2 dans l’Alt Empordà, l’Alt Urgell et l’Alt Ribagorça44. Il est nécessaire de pondérer l’impression que pourrait donner une comparaison portant uniquement sur le procédé à la catalane, et de considérer une autre aire technique de la réduction directe dans les Pyrénées. Ainsi, en 1791, il existe 75 installations en Guipuzcoa et, en 1828, une centaine de ferreries en Biscaye45. Dans un domaine géographique plus éloigné, les Apennins ligures abritent, aux mêmes périodes, une quarantaine de forges46.

  • 47 Arch. dép. Ariège, 138 S 4, Bénagues, mars 1820 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 16, Niaux ; Arch. dép. A (...)

18La constatation est sans ambiguïté, il apparaît clairement que l’évolution du nombre de forges est toujours liée à la demande croissante de métal, particulièrement à la consommation grandissante de certaines qualités de métal. A contrario, une crise de mévente des fers entraîne la fermeture, plus ou moins prolongée, de nombreuses usines. Il n’en reste pas moins vrai que le mouvement général est orienté à la hausse. Les débouchés des fers à la catalane se multiplient et l’explosion de la demande d’acier de cémentation au XIXe siècle a une influence directe sur la sidérurgie à la catalane ; en particulier, l’élan qu’imprime le développement des chemins de fer à la fabrication des fers et des aciers cémentés. Le marquis d’Orgeix justifie son désir d’ériger une usine à Bénagues par la proximité des ateliers de cémentation de Pamiers. Lors de la demande d’un second feu, les propriétaires de la forge de Niaux, le 1er juillet 1835, affirment qu’ils ne peuvent répondre aux demandes de fer qu’ils reçoivent. Affirmation identique pour la Forge neuve lors de la demande d’un second feu en 1827, le maître de forges indique qu’il a « ouvert de nouveaux débouchés dans le commerce ». La justification qui semble la plus irréfutable est que « les forges catalanes sont économiques pour produire des fers »47.

- La production « des fers bons et marchands »

  • 48 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, réponses du subdélégué à la requête du marquis de Montgailhard, 3 mai 1 (...)
  • 49 Arch. dép. Ariège, 1 C 165, état des forges et fourneaux, observations, 1 avril 1772.
  • 50 B. Gille, Les forges françaises en 1772, op. cit., p. 144-151.
  • 51 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 225, 273.
  • 52 D. Woronofff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 136.

19Il est patent que le nombre de feux de forges en roulement n’est pas sans conséquence sur les quantités de métal produites. L’idée générale est que la sidérurgie à la catalane a été capable de répondre à un marché en expansion. D’autant plus facilement que, pour faire face aux difficultés d’approvisionnement en matières premières et pour épouser les aléas de la conjoncture, les maîtres de forges jouent à fond de l’une des caractéristiques principales de la forge à la catalane, un de ses avantages essentiels sur la sidérurgie indirecte, sa simplicité qui lui permet de chômer plusieurs mois, voire plusieurs années, puis de reprendre son travail sans difficulté après quelques travaux de peu d’importance lorsque l’acquisition de charbon redevient possible ou lorsque la demande repart. La durée de roulement d’une usine est un élément essentiel qui doit être toujours pris en compte lorsque l’on commente le nombre de forges et le volume de la production. Il est difficile, voire impossible, d’indiquer avec une précision suffisante les quantités de fer produites aux XVIIe et XVIIIe siècles, nous devons nous contenter d’une connaissance « pointilliste » en quelque sorte. Or, l’idée de puissance ne peut être donnée que par une production totale, celle d’une région, et non par celle de quelques ateliers. L’enquête de 1772 permet d’avoir une véritable idée d’ensemble de la production de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises. Il est possible cependant d’avancer quelques remarques pour les périodes plus anciennes. Le XVIIe siècle, marqué dans ses premières décennies par une fabrication insuffisante puisque certaines forges du Vicdessos achetaient les fers des forges andorranes, voit croître sa production grâce à la nouvelle forge, avant de se terminer par une période de stagnation et de recul. Puis, le XVIIIe siècle connaît une montée rapide, entrecoupée de fortes crises de 1737 à 1747 et en 1751. À cette époque, les 29 forges du pays de Foix fabriquent au moins 15 000 charges de fer (soit 1 822 tonnes) année commune48. En 1772, les 27 forges du pays de Foix ont produit 41 600 quintaux de fer (1 684,8 tonnes)49. Le total pour les Pyrénées ariégeoises, obtenu à partir des données de l’enquête de 1772, se monte à 45 100 quintaux (1 826,5 tonnes)50. Du temps de Dietrich, les 31 forges du pays de Foix fabriquent 5 550 000 livres de fer qui font un revenu pour la province de 777 000 livres, soit annuellement environ 2 600 tonnes de fer. En additionnant la fabrication des 7 forges du Couserans, on trouve un total de 10 200 quintaux, soit 420 tonnes de fer brut51. Les fers des Pyrénées ariégeoises, sans la production des forges de la région de Mirepoix et du pays d’Olmes, représentent environ 4,64 % de la production française qui avoisine 65 000 tonnes dans les années 70 du XVIIIe siècle52.

  • 53 Arch. dép. Ariège, Z° 2226. Jérôme Bonhôte a pu, grâce à un document des Archives nationales, attri (...)

20Nous ne disposons que de très peu de renseignements sur la production du fer pendant la Révolution. La carence des transports, les difficultés d’approvisionnement en matières premières, en grains, le manque de main-d’œuvre, le discrédit et le refus de l’assignat, tout cela n’est guère favorable à la bonne marche des usines. Peut-être est-il possible, cependant, d’apporter des nuances. Dans un premier temps, temps de l’économie de guerre, pendant lequel l’intervention de l’État - réquisitions, loi du maximum etc. - a été la plus dure, la production, comme la commercialisation, a été totalement désorganisée malgré les efforts de cet État « pour mettre les forges en activité ». Puis, à partir de l’an IV, du moins pour les Pyrénées, les menaces s’éloignent, les acquéreurs des forges nationales, très souvent issus du milieu métallurgique, désirent tirer profit au plus vite de leurs achats. La production redémarre, certes très doucement, mais réellement, malgré les difficultés persistantes. Les constructions ou reconstructions de forges témoignent de cette reprise. L’état des forges à fer du département de l’Ariège, établi vers 1810, indique la production de chacune des 39 forges en activité, avec un total de 3 954 tonnes, ce qui représente une valeur de 2 371 000 francs53.

  • 54 Arch. dép. Ariège, 137 S 1 ; Arch. dép. Ariège, 137 S 3 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 17.

21Les statistiques dressées au XIXe siècle par l’administration préfectorale et le Service des Mines permettent enfin de donner une idée plus documentée de la puissance de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises. De 1825 à 1832, elle fabrique 3,57 % du fer français, 3,12 % en 1836, et enfin 4 % à la fin des années 1830 et au début des années 184054. En 1832-1833, 44 forges en activité ont produit 43 006 quintaux. Dans un rapport du 16 juin 1840, Jules François fait le point de l’activité de la sidérurgie ariégeoise : « De 1834 à 1839, les forges de l’Ariège ont donné, terme moyen, 56 500 quintaux de fers marchands qui s’écoulent dans la consommation de la manière suivante :

  1. fers ordinaires et assortis 33 000

  2. aciers naturels 2 500

  3. fers bruts pour martinets de parage 6 000

    • 55 Arch. dép. Ariège, 137 S 2.

    idem pour acier de cémentation 15 000 quintaux »55.

22Cette constatation est essentielle dans la mesure où elle livre l’une des principales explications du regain de vigueur du procédé direct au XIXe siècle : les orientations de la production ont changé. Certes, les 3/5 de la production sont toujours commercialisés sous forme de fer marchand, de façon coutumière. Mais, et c’est là le point important, les 2/5 restants sont, grâce à la cémentation, élaborés sous forme d’aciers marchands, de faux, de limes et de ressorts de voiture. La fabrication des aciers naturels se perpétue toujours, mais elle ne revêt plus qu’une importance résiduelle.

23Les renseignements généraux glanés dans les statistiques concernant l’activité métallurgique par arrondissement ou canton donnent les chiffres de production pour le département :

avant
1810 en
quintaux

après
1810

1818

1819

1820

1823

1826

1828

1829

de
50 000 à
52 000

55 000

50 000

55 488

51 700

50 272

51 428

55 617 46

557

  • 56 Arch. nat., F14 4487.

24Au XIXe siècle, la fabrication est orientée tendanciellement à la hausse jusqu’en 1853, année record avec 7 212 tonnes de fer, mais que d’à-coups donnent à cette ligne ascendante un aspect brisé et heurté ! La production augmente jusqu’à la fin des années 1810, avant de connaître, un court instant, en 1820, un léger arrêt dû à un afflux de fers du département de la Loire à Toulouse. Elle retrouve le niveau de 1819 en 1823 et subit une nouvelle diminution jusqu’en 1826. La timidité de cette avancée s’explique, selon les ingénieurs des Mines, par l’activité de l’usine de Bruniquel (Tarn-et-Garonne) qui s’agrandit en 1821, avec 2 hauts fourneaux, une affinerie à 3 feux et des laminoirs56. La reprise est vigoureuse en 1827 et surtout en 1828, avec un premier pic de production (6 900 tonnes). Une forte demande des fers à la catalane, en particulier par les usines de la Loire, entraîne cet essor. Mais la chute est brutale puisque l’année suivante, elle tombe à 4 800 et même à 4 700 tonnes en 1830. Cette crise est attribuée à la mise en activité des usines de Decazeville. Malgré le marasme économique qui accompagne les mouvements politiques de 1830, une très légère reprise se manifeste en 1831 (5 100 tonnes) et s’accentue jusqu’en 1835 et 1836 (5 312 tonnes), en dépit d’une légère diminution en 1834 (4 877 tonnes). Nouvelle baisse en 1837 (4 546 tonnes), suivie, dès 1838, d’un net redémarrage (5 128 tonnes). À partir des années 1840 et pendant la plus grande partie des années 1850, la production, en dépit d’à-coups plus ou moins prononcés en 1844 et 1848, se maintient à un haut niveau, avec le sommet de 1853, et un petit pic secondaire en 1855 (6 487 tonnes). La très forte demande de fers pour la cémentation et les énormes besoins d’acier justifient ce mouvement. De plus, le fer des Pyrénées ariégeoises est très recherché pour la fabrication de ressorts de voiture et pour les chemins de fer. Il existe un parallélisme net entre les périodes d’essor de la production et l’augmentation de la demande des fers ariégeois pour la cémentation, ce qui ne nous étonne guère. Jusqu’en 1862, les oscillations, si l’on exclut les pics, varient entre la limite minimale de 4 500 tonnes et la limite maximale de 5 500 tonnes. Après le record de 1853, la production reste importante puisqu’elle atteint encore son niveau de 1807 en 1862. Il n’en est pas moins vrai que la tendance est maintenant largement inversée et que le mouvement est irrémédiablement orienté à la baisse, entrecoupée de courts répits.

  • 57 Jules François indique 57 feux de 1840 à 1843.

25Si l’on compare l’évolution du nombre de feux en activité à l’évolution de la production, on constate un décalage. Le maximum de feux se situe en 1840 et 1841 avec 57 fourneaux qui ont donné 5 880 tonnes de métal, alors que le maximum de production est relevé en 1853, avec 7 212 tonnes fabriquées par 55 feux57. Certes, les années 1851-1855 (de 51 à 55 feux) constituent un pic secondaire pour le nombre de feux ; certes, la variabilité des durées de roulement des usines doit être prise en compte, mais elle ne fournit pas une explication suffisante aux importantes différences de production. En 1807, 41 feux ont produit 3 950 tonnes. En 1818, un nombre identique de fourneaux fabriquent 4 600 tonnes ; en 1858, 39 donnent 4 568 tonnes, et l’année suivante 27 feux produisent 3 960 tonnes, soit approximativement la production de 1807, avec 41 feux, preuve supplémentaire de l’augmentation de la productivité du bas foyer à la catalane.

  • 58 Arch. dép. Tarn-et-Garonne, 219 S 1, fonderie de Bruniquel, 1809-1834. Lettre de l’ingénieur en che (...)

26Parmi les facteurs que les hommes du fer estiment peser sur la sidérurgie directe, figure, au-delà de la conjoncture économique, la concurrence des hauts fourneaux et des usines à l’anglaise qui se construisent à proximité des Pyrénées ariégeoises. Or, la réalité semble plus complexe et le rôle joué par la sidérurgie indirecte n’est peut-être pas celui qu’on lui attribue. Il est possible d’envisager l’hypothèse d’une répartition des marchés qui trouverait son origine dans les spécificités de chacune des méthode de production du métal, au moins dans un premier temps. Il ne faut pas oublier que le haut fourneau « ne saurait compter sur la fabrication du fer forgé, du moins pour en faire un objet principal de commerce, vu que les forges de l’Ariège qui n’emploient que la moitié de charbon (3 quintaux au lieu de 6), seront toujours à même de fournir [le] département [Tarn-et-Garonne] et celui du Tarn à un prix sensiblement inférieur à celui où il serait à l’usine de Bruniquel. Cette usine doit ainsi se restreindre à la fabrication des fontes moulées »58. Les rôles semblent ainsi être distribués.

- La commercialisation, fer en barre ou fer brut : marchés et prix

  • 59 M. Arnoux, « Matières premières, innovation technique, marché du fer : les logiques de la carte sid (...)

27Les interprétations historiques anciennes comme les tentatives de synthèse et d’explication modernes ne considèrent la sidérurgie à la catalane des Pyrénées que comme une survivance plus ou moins incongrue. Or, bien au contraire, le choix réitéré du procédé direct obéit à des logiques techniques dans un écosystème spécifique. Il a su utiliser les contraintes de son environnement pour répondre à une demande grandissante de métal. Le marché a, par conséquent, joué un rôle incontestable. Un discours moderne fait de « la demande des campagnes » la justification de la persistance dans le long terme « de bassins de productions peu innovants, apparemment dépassés par la concurrence des régions les plus modernes ». L’explication est simple, « sa satisfaction ne recherche pas tant le bas prix des produits que la proximité, la disponibilité et la fiabilité des fabricants ». Lors de la démonstration, référence est faite aux Pyrénées : « des années 1300 à la fin de l’ancien régime, les forges ariégeoises survivent à l’arrivée sur les marchés régionaux de produits apparemment plus compétitifs […] L’analyse de la demande rurale permet de mieux comprendre pourquoi la tendance à la concentration économique et géographique et à l’uniformisation des procédés techniques, qui est la principale conséquence de l’innovation, laisse subsister de telles variantes régionales »59. La vieille idée d’archaïsme prend des habits neufs ! Or, l’histoire se révèle plus complexe. La commercialisation des fers à la catalane est moins uniforme qu’il n’y paraît au premier abord. Son étude obéit à une double démarche : décrire le marché le plus précisément possible, mais aussi chercher si des logiques commerciales ne livrent pas quelques éléments qui permettent d’éclairer la fidélité renouvelée à la sidérurgie directe.

  • 60 Arch. dép. Ariège, 1 B 8135,79, 1728-1729.
  • 61 Arch. dép. Ariège, 46 J 41.
  • 62 Arch. dép. Ariège, 1 B 145190-192, forge de Bonnac, 1753.
  • 63 Arch. dép. Ariège, 1 B 281134-140, forge de Laprade, 1789.
  • 64 Arch. dép. Ariège, 1 B 107233, forge de Capounta, 1739-1740.
  • 65 Arch. dép. Ariège, 3 J 2, procès-verbaux des États de Foix.
  • 66 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, Engomer, 1825.

28Les États de Foix invoquent souvent, lors des débats, la nécessité vitale « du commerce et de l’usine des fers ». La preuve en est donnée par la mauvaise volonté qu’ils manifestent en s’opposant aux vacations du commissaire réformateur des forêts, de Froidour, comme à l’arrêt du roi de 1723 sur les bouches à feu. Avant d’analyser le commerce des fers, il est nécessaire de décrire le produit commercialisé, la barre de fer brut. Le métal est ainsi reconnu sur les marchés grâce à sa présentation qui évoque immédiatement ses spécificités et sa qualité constante, d’autant plus que chaque maître de forges imprime sa marque sur les barres, ce qui renforce la personnalisation du fer. La commercialisation sous forme de barres présente d’autres avantages pour les utilisateurs. Elle facilite le réchauffement du métal, avec un emploi moindre de combustible (que ce soit du charbon de bois ou du charbon de terre). De plus, sous cette forme, le fer est plus facilement transportable. En outre, le travail sous le mail permet un tri des différentes qualités de métal, même si ce tri est incomplet, puisque les barres de fer ne sont pas homogènes. Les différentes présentations, par exemple le fer fort cassé et empaqueté de façon particulière, sont aussi un moyen de reconnaître l’origine et la qualité du métal. Plus concrètement, les barres de fer sont mises en quintaux à la forge (le quintal de forge vaut 40,079 kg), pesées par le commis avant d’être expédiées. En avril 1729, à la forge de Niaux, deux massoques, pesant 2 quintaux et demi, soit environ 100 kg, sont mises en quintaux de fer et chargées sur un cheval. Cette même année, toujours à la forge de Niaux, le commis charge sur chacun des 3 chevaux de Joseph Dupla, de Verniolle, 3 quintaux de fer (120 kg)60. En 1760, on vend à la forge de Campredon une barre fer paré de 82 livres61. Parfois, la commande est plus précise, le commis de la forge de Bonnac fait peser 2 quintaux de fer fort62. Les quintaux sont souvent présentés de façon plus élaborée. L’escola qui tient le feu chauffe des morceaux de fer, souvent des morceaux de bergue, pour faire des ligatures (liadoux) et attacher les plates de fer fort. Un forgeur attache et assujettit les liens qui sont placés sur les liadoux (ce sont deux pièces qu’on place à peu de distance l’une de l’autre pour lier les quintaux de fer). Ce travail se fait parfois dans la précipitation parce que les voituriers attendent que le fer soit lié pour l’emporter63. Les quintaux portent alors différents noms qui désignent leur présentation : « quintal outrière », « quintal carrat long », « quintal plate de 5 » et « 3 », « plate fer fort » par exemple64 ; de nombreuses dimensions sont possibles. Chacune de ces formes peut être de fer mol ou de fer fort. De plus, à côté de la reconnaissance immédiate sur le marché, la présentation est aussi un moyen de contrôle pour les officiers et commis des droits : chaque forge fait lier son fer et y met sa marque. Tout fer délié sans marque est un fer en fraude ou de contrebande. En 1734, les États de Foix décident d’interdire le transport du « fer long » sur des bâts sous peine de 20 sols d’amende65. Le trafic porte sur un produit « désigné dans le commerce par le nom de fers bruts »66.

1- Les conditions de la commercialisation

  • 67 Arch. nat., K 1162 ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 2, R 14, 1788.
  • 68 C. Pailhès, « Les pays d’Ariège et l’autorité sous l’Ancien Régime », Bulletin de la Société Ariége (...)
  • 69 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., p. 136.
  • 70 Arch. dép. Ariège, 1 C 40, 1737-1741 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 41, vers 1750 ; Arch. dép. Ariège, 3  (...)
  • 71 Arch. dép. Ariège, 1 J 74, 1734 ; Arch. dép. Ariège, 1 B 79265-268, Mérens, 1727-1728. Parmi les co (...)
  • 72 Arch dép. Ariège, 1 C 165, forge de Mijanès, octobre 1772.

29Foix ne fait d’autre commerce que « la commission du fer »67. La sidérurgie et le commerce du métal supportent des taxes et des droits qui donnent une image de la puissance de cette industrie68. Le droit domanial sur les fers et les mines qui sortent du comté pour la province de Languedoc, selon l’ordonnance de 1680 et l’arrêt du conseil du 12 octobre 1688, est le principal élément de cet impôt. Il est connu dans le royaume sous le nom de marque des fers. Il se perçoit à la sortie du pays de Foix. Vers 1780, les fers du comté paient 3 livres 6 sols par charge de 3 quintaux69. Picot de Lapeyrouse écrit que le fer doit au roi un impôt de 20 sols par quintal, ce qui représente 15 livres par jour pour une forge qui travaille normalement. La perception du droit de marque se fait au bureau général de Foix où sont entreposés les fers. Les états du magasin de la marque des fers donnent une idée très précise et très détaillée non seulement des différentes qualités du métal, mais aussi de la situation du commerce des fers70. Autre droit acquitté par certaines forges des Pyrénées ariégeoises, le droit d’impériage, droit local perçu sur toutes les marchandises et denrées à l’entrée et à la sortie du Roussillon. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, Astrié, fermier des 2 forges de Mérens qui utilisent le minerai du Puymorens, refuse de payer ce droit qui augmente le prix de revient de son fer par rapport aux autres forges du comté, en particulier les plus proches du consulat d’Ax. Le droit sur chaque charge de minerai est fixé à 10 sols par le règlement du 10 mars 168371. Les forges du Languedoc audois, qui travaillent avec du minerai catalan, obtiennent de ne plus verser ce droit par un arrêté du 27 juin 1771. Cette exemption mécontente fort le marquis d’Usson, propriétaire de la forge de Mijanès, qui complète son approvisionnement de minerai de Rancié avec du minerai du Conflent et qui ne peut, par conséquent, lutter à armes égales avec Rivals qui possède des forges sur la rivière Aude distante « d’à peine 3 lieues » de Mijanès72.

30Les droits domaniaux pèsent donc de façon inégale sur les forges des Pyrénées ariégeoises. Ils ont une influence directe sur le prix du métal et sur sa commercialisation, en faussant quelque peu les conditions de la concurrence. La différence de traitement met les forges du Languedoc dans une position favorable alors qu’elles s’approvisionnent en minerai de Rancié à plus haut prix, elles peuvent vendre leurs fers à un prix d’autant plus bas que le charbon est plus abondant dans la partie du Languedoc qui touche au pays de Foix, où les forêts sont aménagées, tandis qu’aucune ne l’est dans le pays de Foix. Cette distorsion existe aussi avec les usines plus lointaines. Les fers à la catalane des Pyrénées ariégeoises, en payant donc 3 livres 6 sols par charge, se trouvent ainsi imposés à un taux un peu plus élevé que celui des autres provinces du royaume assujetties à la marque des fers.

  • 73 Arch. dép. Ariège, 3 J 3, procès-verbaux des États de Foix ; Arch. dép. Ariège, 3 J 7.
  • 74 Arch. dép. Ariège, 2 L 274 ; Arch. dép. Ariège, 1 J 274 ; A. de Saint-Blanquat-Parmentier, « Docume (...)

31Ces inégalités devant les droits domaniaux ne donnent qu’une faible image de la complexité du commerce sous l’Ancien Régime. Elles ont été à l’origine de nombreuses contestations que l’on retrouve dans les procès-verbaux des sessions des États de Foix. Le 18 novembre 1694, par exemple, le syndic du pays de Lordat expose qu’il a été établi contre l’usage, depuis environ 4 mois, un droit supplémentaire de 3 deniers par charge de mine de fer, au delà des droits accoutumés. Il demande à l’assemblée de supprimer cette taxation illégale. Dans les années 1740, le syndic général de Foix fait une requête concernant la marque des fers, il propose qu’elle soit de 10 sols par quintal pour le fer doux, et 20 sols par quintal pour le « laygre »73. Il paraît donc naturel de trouver dans les cahiers de doléances la demande de « l’abolition du droit de la marque des fers » ou des leudes, péages et douanes. Le but à atteindre est que « les marchandises nationales acquièrent la franchise dans tous les bureaux où elles seront déclarées ». Ce souhait n’a rien d’original et se retrouve dans la plupart des cahiers de doléances du royaume pour toutes sortes de produits et de marchandises. Les Pyrénées ariégeoises ne se singularisent en rien. L’unification du marché intérieur, pour prendre une formule moderne, est une nécessité. Le roi ordonne, par un décret du 9 février 1791, que l’ancien comté de Foix payera 1 610 livres pour le remplacement des droits sur le fer à répartir sur les contribuables74.

  • 75 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 137, 139-140.
  • 76 Castillon d’Aspet, Histoire du comté de Foix depuis les Temps Anciens jusqu’à nos jours, 1852, p. 3 (...)
  • 77 Arch. dép. Ariège, 3 J 16 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 164 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 160, 11 décembre 17 (...)
  • 78 C. Pailhès, « Les pays d’Ariège et l’autorité sous l’Ancien Régime », Bulletin de la Société Ariége (...)

32À propos des droits qui pèsent sur la métallurgie, il est intéressant d’apprécier le poids de cette industrie pour l’État. Vers 1660-1670, les forges du comté de Foix rapportent au roi 22 000 livres pour le droit de marque75. En 1682, dans la province de Foix, les revenus de la coupe des forêts du roi, dont une grande partie est transformée en charbon de bois, s’élèvent à 17 346 livres, ceux de la marque de fer à 32 000 livres, ce qui est un « chiffre énorme » pour les commentateurs. Ces revenus, joints à ceux que produisent les traites foraines, c’est-à-dire les droits d’entrée et de sortie de la province, contrôlés au bureau de Tarascon, et qui se portent, cette même année, à 8 000 livres, donnent un total qui révèle la prospérité du pays de Foix, vers le milieu du XVIIe siècle76. Dans les années 1740, il est constaté que depuis la Réformation, « la recette de la marque des fers, bien loin de diminuer, a toujours augmenté et qu’elle a presque doublé depuis 25 ou 30 années ; aujourd’hui cette recette va au delà de 60 000 livres tandis qu’autrefois elle n’allait pas de 25 à 30 000 livres »77. L’enquête menée en 1775 dans les généralités montre que la marque des fers et la régie des tabacs rapportent 8 % et 8,5 % de la totalité des impositions du pays de Foix, les traites et les huiles à peine moins, les postes 3,3 % et les cuirs et peaux 2 % tandis que l’insinuation et le contrôle en représentent 14 %. La place de la sidérurgie est ainsi confirmée78.

  • 79 L’ouvrage de référence est la thèse de Michel Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeois (...)

33Avant de se pencher sur le marché des fers, il faut ajouter quelques mots sur les transports et sur les voies de communication. Nous sommes, certes, dans une région montagneuse, à priori peu favorable à cause du relief et du climat, mais « si graves qu’ils aient été, les obstacles physiques et humains à la circulation n’ont pas empêché les Pyrénées ariégeoises d’être longtemps le théâtre d’une vie de relation assez active »79. Le roulage ne devient vraiment actif qu’au cours du XIXe siècle. La grande route de Toulouse à Foix et Ax est très fréquentée sous la Restauration et la Monarchie de Juillet. Le bât constitue le mode de transport fondamental. Ânes, mulets et juments bâtés passent partout. La rançon est évidemment la faible capacité de ce mode de transport et, par conséquent, son caractère onéreux. Un mulet porte 3 sacs de charbon, soit 120 kilos ; un âne, moitié moins. Il faut, pour tout trafic important, multiplier le nombre des animaux.

2 - Les marchés des fers des Pyrénées ariégeoises

  • 80 Arch. dép. Ariège, 3 J 17, lettre du 27 mai 1749.
  • 81 C. Verna, Le temps des Moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe (...)
  • 82 J. Bonhôte, J. Cantelaube, C. Rouaix, Forges et Forgeurs de l’Ariège, op. cit., p. 29.

34La sidérurgie à la catalane ariégeoise, ce qui la différencie de très nombreuses régions métallurgiques françaises, n’a jamais bénéficié de marché d’État. Il y a certes eu des tentatives de la Marine, en particulier, en 1749, celle de l’arsenal de Toulon qui désire « faire l’épreuve » à 2 ou 3 quintaux de fer de Foix80. Dans l’analyse des débouchés de cette industrie, il est nécessaire de considérer plusieurs niveaux de commercialisation selon l’aire de diffusion du métal. Le premier est celui des ventes réalisées à la forge afin de satisfaire les besoins purement locaux. Elles sont difficilement quantifiables à partir des statistiques générales, seules les comptabilités de forges peuvent éventuellement permettre d’en connaître l’importance lors d’études monographiques. Le second est celui de la diffusion du métal au niveau régional, souvent lors des foires et des marchés. L’influence commerciale s’étend alors hors de la vallée. Les sources sont peu précises, indiquant le plus souvent des mouvements et l’aire de diffusion, sans donner de volumes. Seules, ici aussi, les comptabilités de forges, celles de marchands de fer, les documents notariés pourraient nous renseigner sur les quantités. Le troisième niveau est celui des ventes des marchands toulousains qui pratiquent un commerce interrégional. Force est de constater, une nouvelle fois, que les principales caractéristiques de ce commerce se sont mises en place au Moyen Âge81. Il serait, cependant, artificiel de différencier ces trois niveaux dans la mesure où ils sont étroitement imbriqués. Un bel exemple est offert par la forge d’Orgeix de 1838 à 1841. La rubrique « autre » comprend les ventes à des marchands « étrangers », extérieurs à l’Ariège mais qui ne sont pas toulousains. Il s’agit ici principalement de commerçants du Tarn-et-Garonne, de Montauban, Moissac, Caylus. En 1839, ce sont des achats faits par l’usine de Bénagues, et en 1840, ceux de Portéris, propriétaire de l’aciérie de Saverdun82.

Années

Quantités expédiées en kg

destinations en %

1838

57 147,6

locale : 6
Toulouse : 80,8
autre : 13,2

1839

67 000,8

locale : 4,9
Toulouse : 82,4
autre : 12,7

1840

69 988,8

locale : 4,1
Toulouse :75
autre : 20,9

1841

64 740,5

locale : 2,9
Toulouse : 97,1

Les marchés de la forge d’Orgeix de 1838 à 1841

- Le marché local

  • 83 Arch. dép. Ariège, 1 B 21199, Saurat, forge de La Mouline, novembre 1773.
  • 84 Arch. dép. Ariège, 1 B 179171, forge de Niaux ; Arch. dép. Ariège, 3 J 7, marque des fers, 1731-174 (...)
  • 85 G. Frêche Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières (vers 1670-1789), 1974, p. 48, (...)

35Il s’agit d’un commerce de proximité, très diffus et de faible importance, de ventes directes à la forge, où viennent s’approvisionner les paysans les plus proches, habitant la juridiction où se trouve l’usine. En 1763, Jean Clastre, dit Bezinas, ménager de Lapège, âgé d’environ 78 ans, s’est rendu « à la forge de Niaux pour acheter deux outils aratoires en remplacement de deux autres qu’on lui avait volé ». À la forge de La Mouline à Saurat, un particulier fait faire un couvercle de fer « du poids de 4 ou 5 livres pour le pot » ; des habitants de Saurat ont remis à plusieurs reprises à Jean Surre, dit Calvet, forgeron, du fer de cette forge pour faire des outils, bêches, pioches, sarclières, en particulier une bêche pesant 8 à 9 livres83. Les maréchaux-ferrants et les forgerons viennent aussi chercher eux-mêmes le métal dont ils ont besoin pour honorer les commandes passées par les villageois. L’aire de diffusion s’élargit alors, et dépasse le voisinage immédiat de l’usine. Le fer leur est livré sous forme de « lames sans ligature », qui correspond mieux à leurs besoins et à leurs façons de travailler que les barres traditionnelles. Ce trafic sur de courtes distances pose un problème à la marque des fers qui craint des fraudes. En effet, elle estime que rien n’empêche les maîtres de forges de faire passer leurs fers « par les mains et sous le nom des maréchaux et forgerons », sans payer les droits domaniaux. La seule parade qu’elle imagine pour lutter contre cette possible contrebande est d’imposer la commercialisation sous forme de barre, y compris pour les échanges de proximité. En effet, un homme ou une femme peuvent porter plus aisément une charge de fer qui ne pèse que 20 livres qu’une barre d’un quintal. Tout fer délié, sans marque de forge sera considéré en fraude s’il se voiture d’un lieu à un autre par des chemins inhabituels84. Il existe aussi une diffusion au niveau d’un bourg, d’une ville lors des foires et marchés, mais elle est peu documentée. L’influence commerciale de la forge s’étend alors sur plusieurs vallées. Quelle est l’importance de ce marché ? Le nombre d’habitants du pays de Foix est de 80 000 en 1699, de 85 000 en 1765. En 1767, le comté a 81 146 habitants dont 51 545 dans la subdélégation de Foix, 1 070 en Donnezan et 28 531 dans la subdélégation de Pamiers ; 6 villes ont plus de 3 000 habitants, soit 22 844 personnes ; la population urbaine représente 28,2 %. En 1783, l’intendant annonce 90 000 habitants85.

- Un grand marché régional

  • 86 G. Larguier, Le drap et la laine en Languedoc, Narbonne et Narbonnais (1300-1789), Perpignan, 1996, (...)
  • 87 L. Dutil, L’état économique du Languedoc à la fin de l’Ancien Régime, 1750-1789, op. cit., p. 543.
  • 88 J. Bousquet, « Mines et travail du fer en Rouergue et à l’entour au début du Moyen Âge. Problèmes d (...)

36L’essentiel du fer des Pyrénées ariégeoises se diffuse sur un marché qui dépasse le Languedoc. Sur ce vaste marché régional élargi, cette production brute est reconnue grâce à sa présentation, à ses spécificités et à sa qualité constante. Les marchands toulousains règnent sans partage sur ce marché interrégional. Certains d’entre eux traitent directement avec les maîtres de forges dont ils achètent à l’avance la production, soit en faisant des avances financières, soit en émettant des billets, rarement en payant au comptant. Mais la plupart des marchands toulousains sont associés avec des marchands de Tarascon et de Foix, leurs correspondants en quelque sorte, qui, bien souvent, avancent les fonds nécessaires aux achats et qui organisent le transport des fers jusqu’à Toulouse, créant des entrepôts à Tarascon, Foix et Pamiers. La ville de Foix compte une dizaine de négociants au XVIIIe siècle. Toulouse, qui s’est emparée depuis longtemps de ce produit brut, est la véritable plaque tournante de la diffusion des fers ariégeois, vecteur de leur redistribution. Au début du XVIIe siècle, l’historien Catel dans ses Mémoires de l’histoire du Languedoc, publiés en 1633, remarque que « le fer forgé aux montagnes de Foix est employé dans une bonne partie de la France. On le porte de Foix à Toulouse qui le répartit aux autres provinces ». Il ajoute qu’il est « plus dur et meilleur que celui qui vient du Forez ». La zone préférentielle de diffusion des fers à la catalane des Pyrénées ariégeoises est le Languedoc. Ceci dit, il est indispensable de dessiner ses contours avec plus de précision. Elle comprend le Comminges, la Gascogne avec l’Armagnac, le Béarn et la Guyenne avec en particulier Bordeaux grâce aux facilités de transport offertes par la Garonne, où les fers pyrénéens sont appréciés pour le cerclage des tonneaux ; les chaudières pour les sucreries antillaises ont pu constituer un autre débouché. Vers le nord et l’est le Quercy, le Rouergue jusqu’à l’Auvergne, l’Albigeois. Le bas Languedoc jusqu’au Rhône. Les fers ariégeois qui transitent par le port de Narbonne gagnent Montpellier, Marseille et Beaucaire principalement86. Alès s’adresse au pays de Foix et à la Bourgogne87. Avant la construction d’une forge près de Saint-Pons, la région tirait son fer « des montagnes de Foix »88. Les marchands de Toulouse se rendent aux foires de Rodez, de Castelnaudary, de Limoux, de Carcassonne où le 25 novembre 1747, le pays de Foix a vendu 3 000 quintaux de fer à des marchands de Béziers, de Pézenas et d’autres villes des environs. Dans les années 1740, un particulier du pays de Foix a établi un magasin à Agen.

  • 89 Cité par Michel Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 636.
  • 90 P. Dardenne, Essai sur la statistique du département de l’Ariège, op. cit., p. 248.
  • 91 J.-B. Mercadier, Ébauche d’une description abrégée du département de l’Ariège et du pays d’Andorre, (...)
  • 92 Arch. dép. Hérault, C 6558, 1778, mémoire sur le diocèse de Rieux par Thomas, subdélégué, p. 8.
  • 93 Lahondes, « Les diocèses de Mirepoix et de Rieux sous Louis XIV », Bulletin de la Société Ariégeois (...)
  • 94 Arch. dép. Hérault, C 3600, mémoire du directeur Garipuy, 15 octobre 1748.

37Toulouse accapare la commercialisation des fers sur le plan interrégional. Les fers sont portés à dos de mulets ou de chevaux jusqu’à Auterive, par la vallée de l’Ariège, route naturelle du pays de Foix. L’évêque de Pamiers écrit en 1782 à propos du trafic des fers que cette route est « le siège d’un concours immense de voitures qui paraîtrait exagéré à quiconque ne connaîtrait pas les transports immenses que ces objets exigent »89. Les fers sont embarqués sur l’Ariège, près d’Auterive, à quelques kilomètres en amont du confluent avec la Garonne, et transportés jusqu’à Toulouse. « On fait aussi descendre avec le fer quelques branches de sapin ». Au XIXe siècle, avec la prééminence du roulage sur la route de l’Ariège et avec la disparition des autonomies provinciales, la situation se modifie. Il existe cependant aux côtés de la vallée de l’Ariège des axes secondaires, avec des villes relais qui diffusent à leur tour les fers ariégeois dans la petite région qui les entoure. Les circuits commerciaux se complexifient. Les forges excentrées par rapport au comté de Foix bénéficient de ces courants collatéraux, bien que les forges du pays de Foix soient aussi présentes sur ces marchés secondaires. À l’ouest, les forges du Couserans par Saint-Girons, Tarbes, Saint-Gaudens, Castelnau-Magnoac, Auch irriguent l’Aquitaine. Saint-Gaudens et Tarbes s’approvisionnent à la fois auprès de marchands de Saint-Girons et de Toulouse. Il existe aussi un courant vers Toulouse par le Salat qui est flottable en radeaux depuis Prat et Bonrepaux jusqu’à son embouchure sur la Garonne, navigable à Cazères90. L’ingénieur des Ponts et Chaussées Mercadier décrit la navigation sur le Salat : « on profite de la descente des barques pour porter plusieurs objets de commerce à Toulouse : tels que du fer, qu’on tire des forges d’Ercé, d’Alos et de Massat »91. D’autre part, la ville de Cazères, dans le département de la Haute-Garonne, peut être regardée comme l’entrepôt du commerce avec la montagne92. À l’est, enfin, les forges de la terre de Mirepoix et du pays d’Olmes qui sont naturellement tournées vers le Languedoc et qui mettent à profit la présence du canal du Midi pour agrandir la zone de diffusion de leur production à meilleur compte grâce au transport par voie d’eau. Par Castelnaudary, leurs fers atteignent les diocèses de Castres, Lavaur et d’autres voisins, principalement dans le bas Languedoc. En 1674, les 4 ferrières du diocèse de Mirepoix portent leurs fers à Limoux93. La forge de Mijanès, profitant de sa situation géographique, vend ses fers vers le bas Languedoc par Carcassonne. Mais les forges de la haute Ariège participent aussi à ce commerce ; partant de Foix, une voie passe par Pamiers et Mirepoix. Un mémoire note entre ces deux villes « un transport continuel de fer… apporté à dos de mulet des montagnes et qui se dirigent ensuite vers Castelnaudary, Carcassonne et Limoux »94.

Le marché régional des fers à la catalane des Pyrénées ariégeoises

  • 95 Arch. dép. Ariège, 138 S 15, Niaux.
  • 96 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, canton de Tarascon, 1832.

38Au XIXe siècle, l’aire de distribution des fers pyrénéens couvre toujours les départements de la Haute-Garonne, du Gers, des Hautes-Pyrénées, des Landes, du Tarn-et-Garonne, de l’Aveyron, du Lot, du Lot-et-Garonne, du Tarn, de l’Aude et de l’Hérault grâce à la ville de Toulouse, bien sûr, mais aussi à d’autres villes qui animent des marchés plus locaux. La forge d’Engomer expédie un tiers de sa production à Toulouse et deux tiers à Tarbes ; celle d’Alos un tiers à Saint-Girons, les deux tiers restants dans les départements limitrophes. Castres et Bordeaux font circuler les fers pyrénéens dans les départements « circumvoisins », de même que Castelnaudary, Carcassonne. En réalité, le marché est le même que sous l’Ancien Régime. Il s’agrandit aussi : Rousse, propriétaire de la forge de Niaux, déclare, en 1827, avoir ouvert aux fers de l’Ariège de nouveaux débouchés, principalement dans la Loire, l’Indre-et-Loire, la Loire Inférieure95. Mais, d’une façon plus générale, cette extension du marché est freinée par la concurrence des fers de Suède qui sont à peu de chose près de la même qualité. Les maîtres de forges ariégeois prennent un exemple concret. Au début des années 1830, les fers suédois se vendent sur les côtes de Bretagne et de Normandie 55 francs les 100 kg terme moyen. Or, les fers pyrénéens valent, rendus à Toulouse, 42 francs les 100 kg. Le transport de cette ville en Bretagne et en Normandie coûte au plus 3,50 francs les 100 kg, ce qui fait un prix total de 45,50 francs. La différence de prix entre le fer de Suède et le fer de l’Ariège sur ces marchés de l’ouest de la France, ouverts au transport maritime, n’est que de 9,50 francs, ce qui est bien faible96.

- Un marché national

39Dès la fin des années 1810 et le début des années 1820, Toulouse n’est plus seule à redistribuer les fers ariégeois. La demande née de l’essor de l’industrie française de la cémentation crée une seconde aire de diffusion aux limites en expansion et où les industriels s’approvisionnent directement auprès des fabricants pyrénéens. Si les marchands toulousains conservent la mainmise sur le marché traditionnel des fers ariégeois, ils sont, par contre, absents ou peu présents sur le marché des fers pour la cémentation qui leur a échappé. Le marché traditionnel se double alors d’un marché moderne spécifique, celui des fers pyrénéens comme matière première de l’industrie de l’acier de cémentation. En 1832, 37,5 % du métal ont un écoulement différent de ce qu’il était traditionnellement, ils sont convertis en acier en Ariège et ailleurs, et se vendent bruts ou ouvrés. Les horizons de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises s’élargissent à la France et gagnent même de grandes régions métallurgiques comme le Berry ou la Loire. L’existence de ce marché national de la cémentation non seulement soutient la production des fers à la catalane, mais encore, puissant facteur de résistance à la baisse, pèse sur les prix et tempère leur diminution. Son influence est prépondérante lors des périodes de crise. Mieux, il prépare les conditions de la reprise de l’activité en donnant aux maîtres de forges les moyens financiers de s’approvisionner en matières premières lorsque les affaires reprennent. Au point que les industriels ariégeois concluent sous forme d’adage que « plus on convertira du fer en acier, plus le prix du fer se soutiendra et amènera du numéraire dans le département ». La naissance et le vigoureux développement de ce nouveau marché, qui s’accompagnent du gonflement du marché local démontrent à l’évidence que le choix réitéré du procédé direct obéit aussi à des logiques commerciales.

  • 97 G. Arnaud, Histoire de la Révolution dans le département de l’Ariège (1789-1795), Toulouse, 1904, p (...)
  • 98 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 254-256.

40Il existe un courant commercial avec l’Espagne. Ainsi, vers 1740, les habitants de Vicdessos « portent beaucoup de fer » dans le royaume d’Espagne, par contre, en 1751, le Vicdessos ne vend qu’un peu de fer en Espagne. Il en exporte encore en 1793. Le sous-préfet de Saint-Girons écrit que les forges du Couserans souffrent beaucoup de la rupture de 1808 avec l’Espagne parce qu’elles y vendaient du fer. Le trafic de contrebande des fers dans la région d’Ax et de Vicdessos peut être une ressource d’une relative importance. En 1785, la population chasse à coups de pierres des gardes qui veulent saisir 6 chevaux chargés de socs qui passent en fraude en Espagne97. Nous ne sommes guère mieux renseignés sur le trafic légal que sur la contrebande. Les sources espagnoles ne sont pas plus prolixes. Il est clair pour Carlos Mas que la production sidérurgique catalane alimente le marché intérieur et n’a guère de capacité d’exportation. L’historien catalan cherche ensuite à quantifier le déficit en fer de cette région et avoue que, dans l’état actuel des recherches, il n’est pas possible de répondre à cette question parce qu’il n’existe que de rares et tardives indications sur l’importance des fers français et basques en Catalogne. En 1844, deux forges du Ripollès importent en contrebande du fer français, sans plus d’indication sur sa provenance, s’assurant l’impunité en apposant leurs propres marques sur celles des forges françaises. Dans la vall Ferrera, en 1801, un particulier voulant installer une forge présente comme un argument favorable à son projet le fait que cette usine évitera l’introduction des fers étrangers, et, par conséquent, la sortie de numéraire d’Espagne. Carlos Mas pense enfin que la contrebande devait être assez fréquente devant la croissance progressive de la demande espagnole au XIXe siècle. Il cite deux exemples, le premier, en 1815, les facteurs des forges de la vall Ferrera se plaignent de la concurrence du fer français et de l’inefficacité des contrôles douaniers ; l’origine du fer n’est pas précisée, mais la proximité géographique et les liens de relations font immédiatement penser à l’Ariège, particulièrement à Vicdessos. Puis, en 1861, un homme est arrêté par les carabiniers au port de Montgarri (haute Noguera Pallaresa), transportant du fer français98.

  • 99 O. Codina, De fer et de laine. Économie et société des vallées andorranes de 1575 à 1875, op. cit., (...)

41Avec l’Andorre : dans le premier quart du XVIIe siècle, deux forges de Siguer et une forge dite de Vicdessos importent du fer de la principauté, signe d’une production ariégeoise insuffisante. Mais la crise économique du milieu du siècle interrompt l’activité sidérurgique des Vallées. Les Pyrénées ariégeoises exportent alors du métal en Andorre devenue importatrice. Ainsi, Guilhem Areny établit une association avec Antoine, forgeron de Sullach dans le comté de Foix, qui à partir de 1668 vend à la principauté du fer provenant des forges de Siguer et de Tarascon qui centralise la production des usines voisines. En 1685, un chargement de fer reçu par Nicolau Aldosa, forgeron d’Andorre, arrive tout droit de Tarascon puisqu’il faut payer le prix du transport via le port de Siguer. En 1691, Guilhem Areny spécifie qu’une partie du fer est directement payée à Alart, marchand de Tarascon. Puis la renaissance de la sidérurgie andorrane et son développement au XVIIIe et au XIXe siècle interrompent les exportations de métal ariégeois vers la principauté99.

  • 100 Arch. dép. Ariège, 46 J 41 ; Arch. dép. Ariège, 46 J 49 ; Arch. nat., 436 AP 366 ; Arch. nat., 436  (...)
  • 101 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1 ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 2 ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 3 (...)

42Si seule une description synthétique permet de donner une idée de l’extension géographique du marché des fers à la catalane, et par conséquent de la puissance de cette sidérurgie, il est cependant intéressant, pour montrer les ramifications de ce commerce, de se livrer à quelques études de cas. Les forges du marquis de Lévis, dans le pays d’Olmes, en donnent une bonne illustration. Elles ont la particularité d’être accompagnées de martinets, ce qui fait que le trafic porte à la fois sur le métal brut et sur les fers parés. Le marché local est présent grâce, par exemple, aux ventes au détail du fer ouvré et brut faites à la forge de Campredon en 1788. Toulouse, elle aussi, est là, mettant à profit le canal des Deux-Mers. Le rythme du transport des fers épouse les périodes d’ouverture et de fermeture de la voie d’eau. Le circuit commercial est bien rodé. Le métal part de la forge, Villeneuve, Campredon ou Queille, dans des charrettes jusqu’aux magasins des marchands de Mirepoix d’où, toujours transporté par charrettes, il atteint Castelnaudary. Là, le fer est placé sur des barques et conduit par le canal à Toulouse et à Bordeaux d’un côté, et dans le bas Languedoc de l’autre. Quand le canal est fermé, il est possible d’envoyer le métal de Castelnaudary à Béziers par charrettes, si l’acheteur le désire. Les circuits terrestres sont plus complexes : la redistribution des fers est toujours réalisée par Mirepoix et Castelnaudary, auxquels il faut ajouter Limoux, Bram, Carcassonne, Villemoustaussou. Ainsi, une partie de la production de la forge de Queille, du 6 juin au 18 juillet 1754, part pour Bram (282 quintaux), Limoux (24 quintaux) et un autre lieu (15 quintaux) ; le fer est aussi expédié à Mirepoix du 9 mai au 18 juillet par les voitures n° 7 à 23. Un trafic de Mirepoix vers l’Espagne est mentionné en 1776, avec l’achat de 86 quintaux de cerceaux de fer qui sont commandés par des Espagnols au magasin de Rivel, commissionnaire du marquis de Mirepoix, grâce à l’intermédiaire de Bez, négociant du Peyrat. Les marchands avec qui commercent les forges de la famille de Mirepoix sont installés à Mirepoix (Rivel), Limoux, Bram (Bonnet, commissionnaire de Bez, Fraisse), Castelnaudary, Carcassonne, Béziers, Bédarrieux, Castres, Albi, Villeneuve d’Olmes et bien entendu Toulouse. Ainsi se dessine l’aire de diffusion des fers des forges du marquis de Mirepoix. À Toulouse, les principaux correspondants du marquis et de ses fermiers sont Garrigou aîné, négociant en fers rue de la Pomme, Ruffié, deux hommes qui ont joué un rôle actif dans le développement des aciéries de l’Ariège, et Massonier neveu100. À l’autre bout des Pyrénées ariégeoises, la Forge neuve d’Oust commercialise sa production par Saint-Girons, au point que son propriétaire, de Chambors, vicomte de Couserans, ordonne à son fermier, en 1789, d’établir « le commerce le plus direct possible » avec les marchands de fers de Mirande, Bordeaux, Toulouse ou autres, « à l’effet d’éviter le coût de la commission des marchands de Saint-Girons ». La liste des marchands de fers « étrangers » révèle surtout le marché régional le plus proche : Noguès à Tournai, Loudec et Laporte à Mirande, Dufau à Puymaurin, Barbessègue à Pontac, Adoue à Montréjeau, pour la Gascogne voisine, et Larivière à Alès pour un marché plus lointain101. La description de l’activité commerciale et des pratiques des forges de la terre de Mirepoix et du Couserans est en tout point conforme à celles des autres forges des Pyrénées ariégeoises, avec des nuances dues à leur situation territoriale. La géographie des marchés des fers à la catalane des Pyrénées ariégeoises, leur extension, le fait que le marché local soit de peu d’importance, donnent une image de la puissance de cette industrie sidérurgique à la montagne.

3 - Les prix des fers et leur évolution jusque vers 1855-1858

  • 102 B. Gille, Les origines de la grande industrie métallurgique en France, Paris, 1947, p. 136-143 ; E. (...)

43C’est un problème complexe, difficile à éclaircir surtout pour la période de l’Ancien Régime car nous ne disposons que de données fragmentaires. Il serait indispensable de réunir les renseignements année par année, forge par forge si cela était possible, sans oublier que le prix varie avec les qualités du métal : fer mol, fer fort, fer cédat. Ernest Labrousse a donné une courbe du prix du fer entre 1735 et 1789. Les prix qu’il indique sont ceux de quatre généralités dont celle de Montauban. Le constat montre une hausse sensible de longue durée102.

- La structure du prix du fer à la catalane dans les Pyrénées ariégeoises

44Quels sont les éléments du prix de revient du fer ? D’abord les matières premières, le minerai (extraction et transport) et le charbon de bois (bois, charbonnage et transport). Nous avons déjà mis en exergue le rôle considérable joué par le combustible et les efforts continuels des hommes de la forge pour diminuer les quantités utilisées par feu. Le prix du minerai, d’après Bertrand Gille, ne semble pas avoir augmenté dans de grandes proportions au XVIIIe siècle. Nous reviendrons plus loin très en détails sur cette question. Autre charge essentielle, les salaires des forgeurs, les baux de location et les frais d’entretien de la forge. Le coût du transport s’ajoute au prix de revient du métal ; sans oublier les taxes et impôts payés par les fers. Dans les « faux frais » sont compris : l’entretien ordinaire de la forge, le salaire du commis et du garde-forge et enfin l’intérêt des sommes engagées pour l’achat des matières premières et les gages des forgeurs.

  • 103 Arch. dép. Ariège, 138 S 28, Cabre. En 1818, la dépense totale, à la forge de Cabre, se monte à 41, (...)

45Les deux études de cas présentent des situations diamétralement opposées. Pour le XVIIIe siècle, les forges du marquis de Mirepoix donnent l’exemple d’usines éloignées de la mine de Rancié, mais disposant facilement de charbon grâce aux forêts de leur propriétaire. Le second cas, pour le début du XIXe siècle, est celui de la forge de Cabre, dans la vallée de Vicdessos, située au pied de la mine, mais loin du combustible qu’elle se procure par commerce103. Ensuite, nous avons considéré les moyennes départementales pour la première moitié du XIXe siècle, avec les années 1835, 1838, 1839 et 1840.

46En 1758 comme en 1835 ou encore en 1840, l’approvisionnement en charbon constitue, et de loin, la plus grande sortie d’argent. Dans tous les cas de figures, il représente le plus souvent plus de la moitié des dépenses. De 48 %, au milieu du XVIIIe siècle, à 65 % environ dans les années 1840, mais le premier pourcentage concerne les forges du pays d’Olmes qui utilisent le charbon des forêts de leur propriétaire, ce qui tire vers le bas le prix du combustible puisque seules comptent les dépenses liées au charbonnage et au transport du combustible à la forge, tandis le second porte sur la moyenne des forges du département ce qui lisse les nuances apportées par la localisation de l’usine. Le recours systématique au commerce met les forges sur un pied d’égalité en gommant les différences nées de la possession de forêts par certains maîtres de forges. La part du combustible ne s’est pas amoindrie, elle se serait même renforcée, malgré les gains de productivité. Le charbon de bois est devenu de plus en plus cher.

1. Structure du prix du fer des forges du marquis de Mirepoix (1758)
2. Structure du prix du fer de la forge de Cabre (1818)
3. Structure du prix du fer des forges des Pyrénées ariégeoises, moyenne départementale (1835)
4. Structure du prix du fer des forges des Pyrénées ariégeoises, avec la part des transports, moyenne départementale (1835-1842)

  • 104 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, le sous préfet de Pamiers, 1825.
  • 105 Arch. dép. Ariège, 14 M 18, 3ème trimestre 1856, canton d’Ax ; 4ème trimestre, canton de Tarascon.

47Au XVIIIe siècle, il a subi une hausse de 63 % dans le royaume de France. Dans la région Midi-Pyrénées, le prix du bois a été multiplié par 5 ou 6. Or, le combustible est le facteur de production le plus contraignant du système technique de la sidérurgie proto-industrielle, « diverses circonstances et surtout le prix du charbon influent sur le prix du fer »104. Le prix du charbon de bois doit être mis en parallèle avec le prix du fer, ainsi naît un dialogue, mieux une compétition, entre le prix du combustible et le prix de vente du fer. Le bénéfice du maître de forges se situe en grande partie entre ces deux bornes. Lorsque le prix du fer baisse, et si le charbon demeure à un prix élevé ou diminue dans de moindres proportions, l’industriel voit son bénéfice fondre, connaît des difficultés à équilibrer ses comptes et peut être conduit à fermer son établissement. Les rapports de l’un à l’autre peuvent aussi conduire à une situation paradoxale : en 1856, il s’est établi une concurrence « funeste » pour l’achat du combustible qui entraîne une hausse des prix. Le résultat est un chômage partiel des usines et un bénéfice insignifiant pour les maîtres de forges, quand ils ne travaillent pas à perte. Il est alors parfaitement compréhensible que les propriétaires de forges trouvent plus avantageux de vendre leurs charbons que de faire du fer à l’exemple du maître de forges d’Ascou105.

  • 106 La structure du prix d’un quintal de fer fabriqué à la forge de Quillan dans l’Aude, en 1813, est c (...)

48Quant à la part du minerai dans le prix de revient du fer, elle varie dans de faibles proportions, de 29 % en 1758 pour les forges du pays d’Olmes qui figurent parmi les usines qui paient la mine au plus haut prix à cause de leur éloignement de Rancié, aux 14 % de moyenne départementale en 1835, autour de 20 % plus fréquemment. Le cas de la forge de Cabre en 1813 et des forges de Vicdessos en général permet de pondérer l’impression laissée par les forges du pays d’Olmes, puisque le minerai ne représente que 13 % du total. Nous touchons là une des principales caractéristiques du monde à la catalane des Pyrénées ariégeoises. Une sorte de péréquation s’établit entre les usines selon leur position géographique. Nous assistons ainsi à un nivellement des coûts de production qui renforce la cohésion de cette région sidérurgique106.

49Dans les années 1830-1840, il est possible de faire une présentation plus détaillée. Elle permet de mettre en valeur le poids des transports dans le prix de revient du fer. En 1835-1842, le port des matières premières atteint 28 % du total, et 35 % en 1838. C’est dire l’importance de cette dépense, que l’on considère une seule année ou la moyenne des huit. Denis Woronoff estime que pendant la Révolution et l’Empire le transport compte pour 30 à 60 % du prix global du fer en France. En comparaison, le minerai (extraction et transport) représente 22 % dans le premier cas et 26 % dans le second, et le charbon de bois (achat du bois, charbonnage et transport) 57 % et 52 %.

- Les prix du fer et leur évolution

Prix d’une charge de fer en livres de 1669 à 1787 dans les Pyrénées ariégeoises

1669

1717

1728

1743

1746

1753

1757

1772

1774

1780

1782

1786

1787

de 20
à 30

18 à
19

30

31

moins
de 30

38

40

45

48

42

54

de 45
à 48

de 50
à 57

  • 107 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 140.
  • 108 Les prix sont tirés de : Arch. dép. Ariège, 1 B 52296 ; Arch. dép. Ariège, 1 B 8140, forge de Niaux (...)

50Le mouvement des prix est orienté à la hausse dans le royaume de France du milieu du XVIIe à la fin du XVIIIe siècle. Cette tendance générale se retrouve aussi dans les Pyrénées ariégeoises. En 1669, le fer vaut ordinairement 20 livres à la forge, « mais tantôt plus, tantôt moins suivant le débit », jusqu’à 28 et 30 livres107. Le prix donné est celui d’une charge de fer qui vaut trois quintaux de forge. Ainsi, au cours de la période qui va de 1669 à 1787, la tendance structurelle du prix est bien à la hausse, puisque de 20 à 30 livres, la charge de fer est montée à une valeur de 50 à 57 livres, un quasi doublement. Mais ce mouvement général indéniable doit être nuancé en fonction des forges considérées et surtout des différentes qualités du métal : le fer fort a toujours une valeur supérieure au fer doux. Ainsi, la forge de Niaux, en 1728, vend sa production à 30 livres 10 sols la charge, puis à 30 livres 5 sols car le fer est « moins beau », payable par billet à ordre dans 8 jours à Tarascon. Le métal baisse au point qu’en 1746 le marquis de Gudanes affirme qu’il « faudrait 30 livres » pour que les maîtres de forges s’en sortent. Le mouvement à la hausse va reprendre, en 1753 à la forge de Bonnac, la charge vaut 38 livres mais il s’agit de fer fort, et dans le pays d’Olmes jusqu’à 40 livres en 1757. Pour l’année 1772, l’enquête nationale sur les bouches à feu indique le prix de 45 livres la charge, les observations du subdélégué du pays de Foix donnent elles aussi 45 livres. Or, cette même année, le fer de la forge de Mijanès se vend, rendu près de Carcassonne, environ 63 livres la charge. Dietrich indique 42 livres la charge pour le pays de Foix, ajoutant qu’il s’agit du « plus bas prix ». Ces chiffres montrent combien il est difficile de donner un prix sans préciser immédiatement de quelle qualité de métal, de quelle forge il s’agit, s’il est question du prix à l’usine ou livré à l’acheteur. Sans parler des variations qui surviennent au cours d’une même année108.

  • 109 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., tome 2, p. 136-137 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 10, forge (...)

51Si l’on considère les réponses des maîtres de forges à l’enquête de 1811, l’augmentation du prix de vente du fer brut est de 25 % en Ariège par rapport à 1789, alors qu’elle est d’environ 66 % dans le Berry et serait de 43 % pour la France. C’est dire qu’il existe de fortes disparités régionales. Il est cependant difficile d’apprécier l’évolution du prix des fers pendant la Révolution et l’Empire parce qu’il règne une certaine confusion entre l’ancien quintal de forge et le quintal métrique. Le conservateur des Eaux et Forêts Dralet a recueilli, année par année, de 1797 à 1813, le prix du fer109. Il rappelle pour commencer et donner un point de comparaison que, en 1786, le fer rendu à Toulouse ne valait que 18 livres le quintal poids de marc (40 kg), non compris un droit d’environ 1 livre 10 sols qui se percevait au-dessous de Foix sur les fers de l’Ariège. Le prix du fer des Pyrénées ariégeoises est bien, à l’image de ce qui se passe dans le royaume, orienté tendanciellement à la hausse. Mais ce mouvement long subit des à-coups, des baisses, en un mot des crises conjoncturelles plus ou moins fortes. Il est vrai que les dernières années de la Révolution ont été marquées par une chute du prix qui reste cependant supérieur à celui de 1789. Très légère remontée en 1800-1801, avant de connaître un pic en 1802 (50 francs) et de rester à un haut niveau de 1803 à 1805, avec un pic secondaire en 1804 (41 francs) bien qu’étant orienté à la baisse. Cette baisse s’enraye à partir de 1806, tout en restant à un niveau plus bas. Les variations sont alors de faible amplitude, le prix le plus constant étant de 29 francs (1806, 1807, 1810), avec une légère diminution, 28 francs, en 1813. Mais les prix restent supérieurs à celui de 1799. S’agit-il d’un retournement de conjoncture à l’image de ce qui se passe en France ? La reprise du mouvement des prix reste modérée. Le prix du quintal métrique est, selon la qualité du métal, de 40 et 45 francs en 1814. Les maîtres de forges annoncent que les fers valaient 54 francs le quintal métrique en 1815.

Prix du quintal de fer de 1797 à 1813

Prix du quintal de fer de 1807 à 1867

  • 110 Arch. dép. Ariège, 138 S 28, forge de Cabre.
  • 111 R. Marconis, Midi-Pyrénées, XIXe-XXe siècles. Transports-Espace-Société, op. cit., tome I, p. 432-4 (...)

52Au XIXe siècle, la tendance structurelle séculaire est orientée à la baisse. L’avis donné par l’ingénieur en chef des Mines permet de faire un point rapide sur les prix jusqu’en 1818 : le prix moyen du fer pris aux forges des environs de Vicdessos pour les vingt-deux années précédentes est de 52,95 francs le quintal métrique ou de 21,60 francs le quintal du pays110. Le quintal métrique est désormais l’unique unité de poids prise en compte. De 1818 à 1821, les fers de la Loire qui arrivent sur le marché de Toulouse à 44 francs, tirent les prix vers le bas. Les fers ariégeois se relèvent lentement, sans atteindre la valeur de 1819. Puis ils se maintiennent pendant quatre années, par suite, selon les ingénieurs des Mines, de la mise en activité du haut fourneau de Bruniquel et bien que la demande augmente. En 1827, ils montent parce qu’ils sont recherchés particulièrement par les usines de cémentation de la Loire. De 1828 à 1830, la concurrence est plus vive sur le marché régional avec la mise en activité de l’usine de Decazeville. La sidérurgie ariégeoise souffre du marasme général de l’industrie, à la suite des mouvements politiques de 1830. La hausse s’amorce en 1833 grâce aux demandes pour les aciers de cémentation. Mais en 1837, les prix retombent à cause de la « langueur générale dans les affaires ». Ils remontent à partir de 1839. Le pic de 1842, certaines sources indiquent un prix de 58,50 francs, domine très largement la période, sans rattraper pour autant la valeur de 1807. Il faut noter cependant le décalage entre les pics de la production et les prix. Ces hausses successives s’expliquent toujours par l’essor de la demande de fers ariégeois pour la fabrication d’acier de cémentation. Ils sont particulièrement recherchés par les marchands de Toulouse et les industriels de la Loire. À partir de 1842, on assiste à une forte augmentation de la demande d’acier à cause du développement des chemins de fer, en particulier pour fabriquer des ressorts de voiture. Mais, rançon du succès, dès 1843, « le haut prix du fer » attire sur les marchés habituels des fers des Pyrénées ariégeoises les fers de la Loire, de la Bourgogne, par exemple, et même des fers du nord de l’Europe. Leur présence pèse notablement, pour longtemps, sur le cours des fers. Les maîtres de forges ariégeois insistent sur ce point. À partir de 1843 donc, la baisse du prix reprend, lente, progressive, formant une sorte d’arête, avec parfois de petits pics secondaires, sursauts des prix. Pendant près de 10 années, jusqu’en 1858, le prix du fer, orienté très légèrement à la baisse, atteint son niveau le plus bas depuis le début du siècle. Il faut remarquer que cette évolution épouse les évolutions de la production ariégeoise d’acier cémenté qui est à son niveau le plus bas de 1848 à 1850. La reprise qui s’amorce en 1851 et les productions records de 1853 et 1855 peuvent expliquer le redressement du prix du fer de 1853 et 1855-1856. La concurrence des fers et aciers puddlés explique très certainement le manque de vigueur de cette reprise. L’évolution du prix des fers, liée au marché, montre que la sidérurgie à la catalane ne bénéficie d’aucun protectionnisme particulier vis à vis des autres régions sidérurgiques françaises. Elle doit lutter, tout au long de son histoire, contre la concurrence régionale, nationale, étrangère, et ce depuis ses débuts. Elle a su répondre à ce défi, y compris pendant une grande partie du XIXe siècle où elle est confrontée aux modes de production de la sidérurgie indirecte de plus en plus hégémonique et aux méthodes du capitalisme moderne111.

Production de fer à la catalane et d’acier de cémentation
des Pyrénées ariégeoises (1818-1868)

53Ainsi, jusqu’à la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle, le mouvement long du prix du fer à la catalane des Pyrénées ariégeoises a été orienté tendanciellement à la hausse. Le XIXe siècle, dans son ensemble, est incontestablement caractérisé par une chute discontinue, mais bien réelle, du prix. De 1807 à 1867, le prix du quintal de fer brut a été divisé par deux !

54Il n’est pas douteux que l’augmentation de la consommation de métal a une influence déterminante sur l’évolution de la sidérurgie à la catalane (amélioration du procédé, nombre de forges). La production d’une forge est techniquement limitée, la principale solution pour répondre à l’essor de la demande consiste à multiplier les usines. Mais ce n’est pas par incapacité à l’innovation que les Pyrénées ariégeoises parfaitement intégrées aux courants commerciaux refusent d’adopter le procédé indirect. Leurs établissements traditionnels parviennent à résister à la concurrence commerciale des industriels étrangers, dont les coûts de production ne sont guère inférieurs aux leurs, comme en sont persuadés la plus grande partie des sidérurgistes de la seconde moitié du XVIIIe siècle. C’est, plus vraisemblablement, dans les conditions du marché qu’il faut chercher l’explication du mouvement. L’adaptation de la production aux règles économiques du marché est en fait le point commun de l’ensemble du processus d’innovation, qu’il se déroule à l’intérieur d’un même système ou que, d’une façon plus radicale, il se caractérise par l’adoption d’un procédé totalement nouveau. La production du fer, même s’il s’agit d’une industrie dans la montagne, ne peut pas être considérée comme l’un des compléments du travail agricole dans un monde où règne la pluriactivité, mais comme une activité dominante dont la satisfaction de la demande règle l’organisation.

  • 112 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 136.

55Durant cette longue première période du temps de la forge à la catalane, période d’installation et d’essor, qui va du XVIIe siècle aux années 1855, à court terme, la croissance a été ponctuée de crises cycliques dont la chronologie n’est pas toujours évidente à établir. À plus long terme, se succèdent des phases d’accélération et des phases de ralentissement, parfois spécifiques aux Pyrénées ariégeoises, parfois plus générales, en relation avec la situation économique de la France. La sidérurgie nationale ne parvient pas à suivre le rythme de la croissance de la demande intérieure. Le fer en barres, surtout, manque à la métallurgie légère112. Il est indispensable d’avoir toujours présent à l’esprit cette donnée fondamentale lorsque l’on veut comprendre le maintien du procédé direct. Au XIXe siècle, la forte augmentation de la demande de fer à cémenter apporte un regain de dynamisme, un nouveau souffle, au procédé à la catalane.

2/ Une industrie d’un poids économique sans concurrence (xviie siècle-vers 1855-1858)

  • 113 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f°134-140.
  • 114 Arch. dép. Ariège, 3 J 3, procès-verbaux des États de Foix.
  • 115 Le directeur des usines de Saint-Antoine, à messieurs les maîtres de forges du département de l’Ari (...)
  • 116 Arch. dép. Ariège, E 4, 1672, dénombrement par villes, f° 19, Vicdessos ; f° 24, Saurat ; f° 47 v, (...)

56La sidérurgie à la catalane joue un rôle essentiel dans la vie des Pyrénées ariégeoises. Les contemporains en sont intimement persuadés, « si la mine de fer ou le bois venaient à manquer, les habitants du pays seraient réduits à la dernière misère et seraient obligés d’en sortir pour trouver ailleurs de quoi subsister »113. En 1746, les États de Foix constatent que « l’argent ne circule plus dans la province […] à cause de la décadence du commerce du fer »114. Un siècle plus tard, ou presque, dans les années 1830, les élites départementales considèrent qu’il est indispensable de « raviver les forges » pour faire face à la crise économique que connaît l’Ariège, car ainsi « le pays se réveillant, passera d’une apathie léthargique à un mouvement industriel qui en renouvellera l’existence »115. Au-delà du discours stéréotypé, quelle est la réalité ? On peut se demander si l’analyse doit porter sur les différentes activités prises l’une après l’autre, ou s’il est plus judicieux de procéder à une comparaison à l’intérieur d’une région, d’une vallée : haute Ariège, Couserans, pays d’Olmes par exemple. Dans le second cas, la réponse est plus nuancée : si la sidérurgie exerce une domination sans partage dans la haute Ariège, son hégémonie est moins prononcée dans le pays d’Olmes, surtout à partir des années 1840-1850, le Couserans restant en retrait par rapport aux deux autres régions. Au fond, peu importe la méthode, le résultat reste le même, la métallurgie du fer règne sans partage. Un dénombrement par villes, réalisé en 1672, permet une comparaison entre les différentes activités des vallées sidérurgiques116. Ainsi, on note à Vicdessos la présence de moulins fariniers et de forges ; deux forges à Saurat ; à Siguer, une forge et six moulins ; quatre moulins sur l’Ariège, six sur l’Arget, trois forges à fer à Foix. Quant à la baronnie de Château-Verdun, elle renferme des moulins à blé, un à Château-Verdun, deux forges, un moulin à scier, plus un moulin farinier à Sinsat. Continuer de cette façon serait trop fastidieux, donnerait des impressions trop pointillistes et ne permettrait guère d’avancer dans la démonstration. Il est préférable de raisonner sous une forme plus synthétique.

  • 117 M. Chevalier, L’Ariège, Ouest-France, 1985, p. 44-45.

57Autant et plus que le reste des Pyrénées, la montagne ariégeoise du XVIIe au XIXe siècle est un pays industriel. Mais il s’agit presque toujours d’une industrie rurale très déconcentrée, ayant un rôle d’appoint dans la vie paysanne. Cette « poussière d’industries » est dominée de très haut par la sidérurgie à la catalane qui fait, du moins pendant l’Ancien Régime et une partie du XIXe siècle, du comté de Foix l’une des premières régions sidérurgiques de France117. Il n’est pas question d’étudier en détail chacune des branches d’activité, mais, plus succinctement, d’illustrer la domination incontestée de l’industrie du fer en ne faisant qu’esquisser leur poids relatif dans la société pyrénéenne et leur évolution. La métallurgie directe au bois qui associe aux forges les martinets, les clouteries, les aciéries et les usines de faux, trouve en face d’elle des fabriques à la production le plus souvent modeste, industries rurales liées à la fois aux ressources locales et à une main-d’œuvre surabondante. Il serait plus exact de parler d’artisanat. Seuls sont notables quelques secteurs plus développés qui dépassent le cadre d’un marché local, parfois régional, très rarement national.

- L’activité textile118

  • 118 L’analyse de l’industrie textile est tirée de : J.-M. Minovez, L’impossible croissance en Midi toul (...)
  • 119 Arch. dép. Haute-Garonne, 12 M 12.
  • 120 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 599-605.
  • 121 Arch. dép. Ariège, 138 S 11 ; Arch. nat., 436 AP 406.

58Seule une partie de l’activité textile dépasse le cadre de l’artisanat local dont l’exemple le plus marquant est celui des draperies du pays d’Olmes, de tradition ancienne, à l’extrême limite de la grande aire drapière du Languedoc. Au temps de la forge à la catalane, les fabriques de l’Ariège apparaissent bien modestes. En 1716, les sources statistiques confirment la faiblesse des centres textiles des Pyrénées ariégeoises. Celles de 1716 et de 1724 font penser que la situation de la généralité de Perpignan subit le même type de crise que celle observée précédemment dans les généralités d’Auch et de Toulouse dans le premier quart du XVIIIe siècle. Par la suite, les sources ne mentionnent plus les petits centres de production du comté de Foix. Il ne demeure au début de la Révolution que Tarascon qui démontre qu’elle est probablement restée tout au long du XVIIIe siècle la principale place de la généralité de Perpignan. L’ensemble de l’Ariège ne regroupe même pas trois cents métiers sous la Révolution, soit à peine plus que la seule vallée d’Aure, dans les Pyrénées centrales, moins que Montesquieu-Volvestre et ses annexes119. Une telle médiocrité, en face des nombreuses possibilités offertes par le milieu physique et humain, s’explique par la force de la sidérurgie. La grande région textile ariégeoise, à partir du XIXe siècle, est le pays d’Olmes, héritier d’une longue tradition dans ce domaine. C’est du début au milieu du siècle que l’industrie de la laine s’accroît vraiment. Lavelanet connaît alors toute une série de mutations techniques qui lui permettent de devenir un centre industriel à part entière, doté de méthodes modernes. La filature mécanique est ainsi introduite. Le débat historiographique sur l’origine de cet essor est intéressant pour notre problématique, la discussion sur la chronologie en particulier. Pour Claude Fohlen un lien existerait entre la ruine de l’industrie carcassonnaise, le développement de la vigne et la croissance de Lavelanet. Celle-ci ne représenterait qu’un rejet pyrénéen de l’ancienne industrie textile et des capitaux de la draperie carcassonnaise dans le dernier tiers du XIXe siècle ; cette dernière n’aurait pu résister à la concurrence exercée par le développement de la vigne dans la plaine. Michel Chevalier a réfuté cette thèse en mettant en évidence le décalage existant entre le transfert évoqué par Claude Fohlen et le démarrage de Lavelanet advenu un demi-siècle plus tôt. Ceci permet de penser que l’apport extérieur n’a pu intervenir que pour une faible part dans la croissance du pays d’Olmes et dans tous les cas à un stade déjà tardif du développement du textile local, la croissance de Lavelanet devant beaucoup aux initiatives et aux investissements locaux. Michel Chevalier avance l’hypothèse d’une contingence se manifestant par des apports extérieurs et surtout par des initiatives individuelles, à l’exemple de celle de Dumas de Lavelanet120. Certes cette région n’est pas le cœur de la sidérurgie à la catalane, mais elle possède une longue tradition métallurgique, longtemps à l’affût de la nouveauté grâce à la puissance de la principale famille de maîtres de forges. Mais les Lévis-Mirepoix se sont toujours intéressés à toutes les activités industrielles du pays. L’histoire parallèle du textile et de la sidérurgie montre que la montée en puissance du textile du pays d’Olmes se manifeste lors de la déprise de la métallurgie. Les cinq forges ont toutes cessé leur travail avant 1856, la plupart entre 1839- 1840 et 1856. L’importance relative de la sidérurgie locale ne permet cependant pas de conclure que son amoindrissement était la condition nécessaire et suffisante à l’essor du textile. Le projet de forge à la catalane présenté le 1er juillet 1838 par le duc de Lévis-Mirepoix à Léran symbolise ce passage de témoin qui est un véritable changement de monde industriel. Cette usine ne sera jamais construite. Une filature sera érigée sur l’emplacement prévu pour la forge121.

59L’évolution de l’industrie textile des Pyrénées ariégeoises oppose Lavelanet et le pays d’Olmes, qui vont concentrer la grande industrie textile, au « semis » de petits établissements au rôle purement local, dispersés dans l’ensemble de la région. Il n’existe pas de commune mesure entre les deux : à la fin du Second Empire, Lavelanet possède 13 000 broches et produit plus de 500 tonnes de tissu. L’industrie paysanne du reste de la région n’en a que 3 400 et ne fournit que 70 tonnes. Le textile du pays d’Olmes emploie plus de 2 600 ouvriers en 1848. Mais l’essentiel du travail, le tissage notamment, reste exclusivement le fait de façonniers, en grande partie des paysans travaillant à domicile, à façon pour le compte des « fabricants » (en fait, surtout négociants) des petites villes de montagne. C’est là un trait directement hérité de la vieille industrie rurale des Pyrénées ariégeoises. Michel Chevalier estime que l’évolution de l’industrie textile est à peu près semblable à celle qui affectera la métallurgie ariégeoise, avec un demi-siècle d’avance. Nous verrons plus loin ce qu’il faut penser de cette comparaison.

- Les autres activités

  • 122 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 18, R 3, Mémoire sur le Languedoc par l’intendant Ballainvilliers, 1788, Di (...)
  • 123 Bibliothèque municipale de Toulouse, manuscrit 721, mémoire sur la généralité de Montauban, fol. 16 (...)

60Le reste de l’industrie est constitué par une extraordinaire variété de productions modestes : verreries, vannerie, métiers du bois, peignes en buis et en corne, papeteries de Saint-Girons. La verrerie, dont les produits sont « forts communs », est cantonnée à Gabre et au Mas d’Azil, région dépourvue d’activité sidérurgique puisque l’unique forge à la catalane est construite en 1836 seulement. Le travail du verre ne pénétra jamais dans la montagne. À un niveau à peine supérieur, les papeteries de Saint-Girons. Dans la vallée de l’Hers, les fabriques de jayet très actives jusqu’au XVIIIe siècle, les usines de peignes en buis et en corne aux XVIIIe et XIXe siècles travaillent pour un marché national et parfois international. En 1788, l’intendant Ballainvilliers considère que « le commerce des peignes en buis risque d’être anéanti faute de buis. Depuis quelques années on consomme tous les buis pour l’entretien des forges ; principalement ceux de la forêt de Fanges appartenant au Roi. Il serait sans difficulté très intéressant de prévenir la décadence de cette fabrique en défendant de convertir en charbon aucun buis dans les forêts dépendantes des maîtrises de Quillan et de Pamiers. Les forges ne souffriraient pas un grand préjudice parce que ce que la forge dévore dans un jour suffit pour alimenter la fabrique de peignes pendant 20 jours au mieux »122. Les seules industries que l’on puisse réellement retenir par le nombre de personnes qu’elles emploient, le volume de production, l’extension de leurs marchés, sont l’industrie du peigne et l’industrie textile. Elles ne connaissent leur plein épanouissement qu’à la fin du XIXe siècle et au XXe lorsque la sidérurgie à la catalane n’est plus qu’un souvenir. Jusqu’à cette période, les Pyrénées ariégeoises ne subsistent que par la fabrication et le commerce du fer. L’antienne est bien connue et fait figure de leitmotiv, des débuts de la période à la catalane quand Sanson en 1666 déclare à propos du comté de Foix qu’il « ne se fait point d’autre commerce que celuy du fer », au XIXe siècle, tous les témoignages concordent, la sidérurgie est la ressource fondamentale des Pyrénées ariégeoises123.

3/ Une industrie qui a marqué l’environnement de son empreinte

  • 124 P. Braunstein, « Métallurgie à la campagne », Études Rurales, op. cit., p. 10-11.
  • 125 Sur les origines de la politique forestière née du développement de la sidérurgie hydraulique, voir (...)

61Si l’on retrace le phénomène industriel dans la longue durée, peu d’activités ont été davantage liées à leur environnement naturel que la sidérurgie. La forge ne s’arrête pas à l’emprise des bâtiments, car le système des eaux et des bois qui l’entoure manifeste une pensée métallurgique : la forêt est l’un des composants du paysage industriel124. La sidérurgie a laissé sa marque sur le paysage. Il existe un véritable contraste entre la discrétion des vestiges bâtis et les immenses superficies des massifs montagneux dont l’aspect est le résultat de près d’un millénaire d’activité sidérurgique125.

- Torrents et rivières, des usines au fil de l’eau

  • 126 Arch. dép. Ariège, 1 B 34268-288, Ascou.
  • 127 Arch. dép. Ariège, 102 S 166.

62Les torrents et rivières des Pyrénées ariégeoises constituent l’axe de véritables zones industrielles. Les sources dont nous disposons rendent possible le dénombrement des moulins à blé, moulins à scie, moulins battants, moulins drapiers, forges et martinets. La forge doit souvent trouver une place sur les rives industrialisées, d’autant que les emplacements favorables ne sont pas nombreux. Une chute naturelle est une aubaine qui ne se présente pas souvent. Une étude sous forme de monographique communale utilisant les informations du cadastre « napoléonien » est passionnante à faire au moment où la population atteint son maximum. De plus, elle est susceptible de fournir d’éventuelles règles de localisation des usines les unes par rapport aux autres. Au quartier de la forge à Bélesta, on rencontre près de l’usine sidérurgique sur le même « béal » un martinet, une scierie, un moulin à farine. Une seconde scierie, qui fonctionne grâce à l’eau du bassin du martinet, est construite en 1820. Un peu plus tard, en 1828, s’ajoute une filature de laine. À proximité de la forge de Campredon, un moulin farinier, deux martinets et une usine de peignes. Contigus à la forge de Queille, un martinet et un moulin à farine, les trois usines utilisent l’eau du même bassin. Sur le long canal de la forge de Villeneuve, sont installés un martinet, des clouteries, des filatures. Multiplier les exemples n’est peut-être pas indispensable dans le cadre de notre étude. Retenons simplement qu’une telle concentration d’usines hydrauliques impose de veiller à l’organisation de l’espace. La densité des installations rend nécessaire une réglementation pour éviter les conflits, toujours nombreux, entre les différents utilisateurs de l’eau. La communauté d’Ax a le droit d’utiliser la Lauze, rivière qui fournit l’énergie hydraulique à la forge d’Ascou, pour faire descendre les grumes de sapin, à la condition de s’entendre à l’avance avec le maître de forge. La « paisselle » est parfois démolie par les bûcherons sans qu’ils préviennent les forgeurs, ce qui entraîne la perte du massé en train de se réduire, de la tuyère qui se gâte parce que les scories en refroidissant forment une croûte dure (1707). Quelquefois le massé n’est simplement pas aussi bon qu’à l’ordinaire, ou parfois il représente seulement une moitié d’un massé habituel. Tout dépend de la durée de l’interruption de l’approvisionnement en eau et du moment de la réduction où elle se produit. À une occasion, il aurait suffi d’une heure pour que le massé au feu soit terminé. Dans tous les cas, récupérer le massé en train de s’élaborer au moment de l’arrêt du travail exige une grande quantité de charbon supplémentaire « pour le raccommoder »126. Autre exemple de conflit, le propriétaire de la forge de Montgailhard s’oppose à la construction d’un bassin au moulin à farine en amont de l’usine, en justifiant sa position ainsi, « supposons en effet la forge travaillant, on sait que le vent qui alimente le feu doit être régulier au moment où la mine sera en fusion, [le moulin en amont] arrêtera l’eau au moyen du bassin et alors il est évident que le travail de la forge sera totalement perdu » (1833)127.

  • 128 J. Bonhôte, J. Cantelaube, P. Drillaud, Inventaire des vestiges de la métallurgie à la catalane en (...)

63Aujourd’hui, en remontant le cours des rivières et torrents des Pyrénées ariégeoises, le promeneur rencontre les vestiges discrets de la sidérurgie à la catalane, ferriers de scories, les « carraillés » des toponymes, bâtiments en ruines que rien ne distingue de prime abord des autres constructions128. Plus évidentes sont les traces du réseau hydraulique, chaussée plus ou moins abîmée par les eaux et par les ans, canal plus ou moins long, réservoir plus ou moins vaste, rien de vraiment comparable avec les constructions ou les immenses friches laissées par le haut fourneau et les ateliers qui lui sont associés, images devenues classiques du paysage industriel contemporain, archétype de la modernité. Mais là n’est pas l’essentiel si nous voulons rendre compte de l’action de la sidérurgie sur l’environnement.

- La forêt et le paysage montagnard

  • 129 J. Bonhôte, Forges à la catalane et évolution forestière dans les Pyrénées de la Haute-Ariège. Pour (...)
  • 130 B. Davasse, La forêt du charbonnier et les forêts des paysans dans les Pyrénées de l’est (du Moyen (...)

64La forge est liée par son combustible à la forêt. Or, la consommation de combustible de l’industrie métallurgique est sans aucune mesure avec les consommations des autres industries du feu, textile et teinture, verrerie, four à chaux. Les teintureries de Montesquieu-Volvestre emploient annuellement 230 cannes de bois, les ateliers d’apprêteurs 80 cannes en 1787. Cela reste bien modeste. Il existe de plus une certaine complémentarité entre ces différentes consommations qui se font sous forme de bois, de fagots ou, plus souvent, de charbon de bois. C’est pourquoi la sidérurgie est la seule industrie à se révéler capable d’organiser l’espace hors de l’environnement immédiat de l’atelier. Cette capacité à modifier durablement le paysage est le symbole le plus spectaculaire de la puissance unique et hégémonique de la sidérurgie à la catalane dans les Pyrénées ariégeoises. C’est en cela qu’elle nous intéresse ici. L’outil privilégié de cette transformation est l’exploitation de la forêt pour le charbon de bois. Jérôme Bonhôte, le premier, dans une thèse pionnière, a démontré l’impact du charbonnage sur les espaces forestiers montagnards essentiellement dans la haute Ariège, dans les vallées d’Ascou, d’Orgeix et de l’Aston, région phare de la sidérurgie ariégeoise, qui présentent trois exemples d’évolution spécifique de l’environnement montagnard129. D’autres thèses, ensuite, menées dans le cadre du GEODE-CNRS, UMR 5602, dont celle de Bernard Davasse sur la vallée de Vicdessos, cœur battant de la sidérurgie ariégeoise, ont confirmé pour d’autres vallées les effets du prélèvement charbonnier130. À un point tel qu’il semble possible de parler de paysage d’industrie pour une région que l’on qualifie plus volontiers de « sauvage ».

  • 131 Les charbons de bois permettent aussi la datation de l’emplacement où ils ont été trouvés. Il est a (...)
  • 132 J. Bonhôte, J. Cantelaube et J.-P. Métailié, « Forges à la catalane et paysages d’industrie en Ariè (...)
  • 133 C. Fruhauf, Forêt et Société. De la forêt paysanne à la forêt capitaliste en Pays de Sault sous l’A (...)

65Le paysage industriel de la haute Ariège est essentiellement celui de la déforestation, liée à des siècles de charbonnage généralisé. D’anciennes places de charbonnières se rencontrent partout, dans les pâturages, jusqu’à 2 000-2 500 mètres d’altitude. Les analyses des charbons de bois qui y sont prélevés montrent que tous les peuplements ont été exploités, et apportent la preuve que les sapinières et pinèdes d’altitude, fragiles et qui ne se régénèrent que par semence, ont disparu131. Mieux, les forêts qui existent aujourd’hui portent encore la marque de la sidérurgie. De très nombreuses charbonnières, visibles dans les sous-bois donnent une image de la composition et de la physionomie des peuplements. Depuis le XVIIe siècle au moins, l’impérieuse nécessité d’approvisionner les forges avec régularité a généralisé un mode d’exploitation particulier, le taillis, au détriment de la futaie. Recul de la forêt, aspect de taillis vieillis, dégradés, disparition d’essences, sapin et pin en particulier, domination du hêtre : la forêt des Pyrénées ariégeoises garde encore aujourd’hui ses caractéristiques de forêt métallurgique. Une véritable « mer de hêtre » recouvre le front pyrénéen du Comminges et du Couserans, illustration du monopole forestier de cette essence végétale. On ne doit pas oublier que la pression sidérurgique s’est exercée pendant un millénaire environ sur l’ensemble des vallées, dans un milieu forestier aux équilibres instables, en concurrence avec de nombreux autres usagers : communautés, scieries, artisanats du bois, fours à chaux, etc. La forge à la catalane, dernière arrivée, a continué et a puissamment contribué à transformer profondément son environnement, lieu privilégié et support indispensable d’une industrie dominante jusqu’à la fin du XIXe siècle132. Christian Fruhauf apporte une preuve a contrario de l’action de la métallurgie. Cet historien montre comment, sur le plateau de Sault, le choix politique de satisfaire les besoins de la marine royale et surtout la construction, de favoriser par conséquent le commerce du bois, a conduit les forestiers à développer la futaie de sapin. Or, avant ses travaux, la sapinière audoise était considérée comme n’existant que par nature et grâce à une variété spéciale de sapin133. La décision de favoriser le sapin, d’éliminer le hêtre et les bois blancs, a, par contrecoup, bloqué la croissance de la sidérurgie et a rendu difficile le travail des sept forges du plateau à cause de la raréfaction du charbon de bois. Certes le paysage industriel de la haute Ariège, héritage patrimonial de la sidérurgie, est difficile à percevoir. « La mémoire du paysage », en contradiction avec les stéréotypes de la montagne « naturelle » et sauvage, exige un effort intellectuel. Elle n’en reste pas moins présente.

66À partir du XVIIe siècle, avec la forge à la catalane, héritière de la mouline médiévale, grâce à son efficace simplicité et grâce à la réputation de ses produits, la méthode directe domine dans les Pyrénées ariégeoises. Elle exclut tous les autres procédés, y compris le procédé indirect. L’évolution des marchés a été un paramètre déterminant dans le maintien et la consolidation du système technique, dans l’essor de la production. La seule solution pour augmenter la capacité de production est la multiplication des forges, avec en parallèle des innovations pour augmenter le rendement d’un feu et la prise en compte de la capacité des forêts. Il existe bien un cas particulier de la sidérurgie à la catalane et des Pyrénées ariégeoises. Cette puissante industrie a marqué la vie économique de la montagne. Elle s’est révélée capable de s’insérer durablement dans la société et de la faire bénéficier de sa force, tout en prenant en compte les contraintes de l’écosystème.

B/ Une industrie au cœur de la société agro-pastorale

67Lorsqu’il s’est agi de mettre en évidence l’apparition de la forge à la catalane, nous avons constaté l’importance du contexte dans lequel elle évoluait, une société agro-pastorale dans un écosystème montagnard. Un équilibre doit être trouvé et entretenu entre les besoins des différents utilisateurs des forêts, entre les exigences des droits d’usage de la population et les prélèvements de combustible de la sidérurgie. Or, cette recherche vitale est compliquée par le fait que le travail du métal, à la fois concurrent et destructeur dans la forêt, est aussi porteur de vie, industrie indispensable au maintien des hommes dans les hautes vallées par les possibilités d’activités complémentaires qu’elle offre et par les revenus que son développement apporte à l’ensemble de la société agro-pastorale pyrénéenne.

1/ Une forêt de plus en plus convoitée où la sidérurgie a su conserver une place

68La population des Pyrénées ariégeoises a bâti au cours des siècles un système original, fondé en grande partie sur les contraintes de la vie pastorale. C’est reconnaître que, au XVIIe siècle, la forêt est l’héritage d’une histoire déjà ancienne à laquelle participe la forge hydraulique. Elle est partie prenante d’un mode de vie bien établi. Les registres de la Réformation des Forêts, rédigés dans les années 1667-1669, permettent de dresser un état des lieux. Au XVIIe siècle, donc, qui voit naître et finir de se constituer la forge à la catalane, Louis de Froidour constate que les bois de la maîtrise de Pamiers sont « ruinés et réduits en broussailles […] par les coupes déréglées et abusives que les habitants du pays y ont faites pour y prendre leurs usages et pour faire du charbon pour l’entretien des forges à fer ». Depuis, cette antienne sur l’état déplorable de la forêt pyrénéenne est constamment reprise.

  • 134 J. Bonhôte, Forges et Forêts dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 56-70, 111-114, 129- 135, (...)
  • 135 J.-F. Soulet, « La civilisation matérielle d’autrefois », Les Pyrénées de la montagne à l’homme, op (...)

69Les travaux les plus récents apportent une connaissance approfondie des forêts de l’Ancien Régime, en particulier pour les vallées d’Ascou, d’Orgeix, ainsi que pour les grands centres métallurgiques que sont l’Aston et le Vicdessos134. Les rapports de la forêt avec la sidérurgie sont un des points les plus étudiés de l’histoire des Pyrénées. Leurs relations conflictuelles sont tenues pour l’une des principales caractéristiques de la vie de ces montagnes. La « guerre des Demoiselles », qui se déroule au XIXe siècle, reste le symbole de l’opposition des montagnards, attachés à leurs droits d’usage, à la forge et aux propriétaires des grands domaines sylvo-pastoraux, ainsi qu’aux dispositions du code forestier de 1827. Ce qui nous intéresse ici est de comprendre comment les forges de plus en plus nombreuses ont été capables de continuer à travailler dans le contexte défavorable d’une forêt qui se réduit, ce qui exacerbe les tensions avec une population de plus en plus nombreuse. Cette capacité de la sidérurgie à la catalane à s’adapter à des conditions difficiles, à faire face à des mouvements de contestation toujours plus puissants, apparaît comme un des éléments essentiels du choix réitéré du procédé direct. L’une des principales qualités de la forge à la catalane, celle peut-être que les contemporains admiraient le plus, est sa moindre consommation de combustible. Le nombre des feux de forges, déjà élevé, augmente dans un contexte de dégradation du système économique pyrénéen135. Il n’est donc pas étonnant que la place de la sidérurgie à la catalane soit toujours contestée. Ses rapports de force avec les communautés montagnardes sont toujours à la limite de la rupture, avec périodiquement des crises conjoncturelles paroxystiques.

- La société agro-pastorale et la forêt

70La montagne et ses forêts, qu’elles soient royales, seigneuriales ou communales, constituent un immense domaine collectif où s’exercent les droits d’usage des communautés, fixés par des règlements et des chartes.

- Les droits d’usage des communautés montagnardes

  • 136 C. Pailhès, Histoire de Foix et de la haute Ariège, op. cit., p. 139-140 ; P. Poujade, « Les paysan (...)
  • 137 Affouage : droit des habitants à prendre le bois nécessaire à leur chauffage. Ce terme est aussi ut (...)

71Les Pyrénées ariégeoises sont caractérisées par de vastes montagnes, auxquelles s’oppose la faible étendue des terres cultivables qui en moyenne ne représentent guère que 13 % du sol environ, 10 % même en Vicdessos. L’exiguïté du terroir et la grande densité de population sont à l’origine de ce que François Taillefer a qualifié de « propriété naine ». Dans la plupart des terroirs, 10 hectares sont un maximum réservé aux notables : à la fin du XVIIIe siècle, 91,8 % des propriétaires de Montgailhard et 86 % de ceux de Vicdessos ont moins de 5 hectares, 96 % de ceux de Rabat moins de 3,3 hectares. Petite ou très petite, la propriété est, de plus, morcelée pour se répartir entre des terroirs aux aptitudes variées mais aussi en héritage d’une colonisation originelle communautaire dans laquelle les parcelles de chacun s’enchevêtrent. Le morcellement s’accentue : du XVIe au milieu du XIXe, les vallées connaissent une conquête permanente de terres. Ces terres supplémentaires sont surtout obtenues aux dépens de la forêt défrichée sur ses lisières et dans ses clairières pour en arriver aux plus hautes altitudes ; on conquiert les plus mauvais terroirs, à la limite extrême des possibilités de culture. C’est à la fin du XVIIIe siècle, sous la pression démographique, que se peuplent les hameaux du fond des vallées de Saurat, Vicdessos, Ascou. Or, face à cette faim de terres jamais assouvie, les vastes espaces forestiers et pastoraux sont partagés entre les forêts du roi puis de l’État, les domaines des seigneurs et les communautés villageoises. Certains de ces domaines appartiennent à des seigneurs dont l’activité pastorale et métallurgique en limite l’utilisation usagère. Il en est ainsi à Saint-Paul, Allens, Rabat, Miglos, en Lordadais, dans l’Aston, à Luzenac, au Castelet, à Ascou, Orgeix, Orlu et en Donnezan depuis son engagement en 1711. Les autres montagnes, propriété du roi, sont gérées par les communautés, ce qui explique la puissance des consulats de Foix, Tarascon, Ax, Vicdessos et, à un degré moindre, Saurat et Siguer. Mais ces domaines intensément exploités par les grands propriétaires sont aussi le domaine collectif où s’exercent les droits d’usage qui permettent aux paysans de surmonter l’exiguïté de leur propriété. Les hommes ont le droit de couper le bois à usage domestique, de chasser, pêcher et cueillir et surtout d’amener le bétail, le leur et très souvent aussi celui qu’ils tiennent en « gasailhe »136. Il ne faut jamais oublier qu’avant la Révolution de 1789, ces droits d’usage sont si étendus (affouage, marronnage, pacage essentiellement) qu’ils correspondent pratiquement, pour ceux qui les exercent, à un droit de propriété137. Avec la Révolution, les montagnards et leurs communautés qui ont déjà subi des restrictions dans l’accès aux ressources forestières s’approprient provisoirement, en les utilisant sans contrôle, les forêts.

72L’administration des communautés est entre les mains des représentants des habitants. Ces hommes, les consuls, assument la gestion municipale. C’est dans le domaine royal que, lorsque les conditions géographiques et économiques des vallées sont favorables à un regroupement des habitants de plusieurs villages en une communauté, existent les grands consulats aux pouvoirs immenses. Leur caractéristique principale est la gestion des montagnes. À l’intérieur des consulats, le sort des communautés varie grandement selon qu’elles sont toutes d’importance égale, ou qu’une ville ou un bourg influent (Vicdessos) en est le chef-lieu. Dans le premier cas, le corps consulaire, qui peut d’ailleurs être formé de délégués de chaque communauté, s’attache à une gestion et un usage en commun des biens du consulat, les montagnes surtout, bien sûr ; dans le second cas, les consuls représentant uniquement le chef-lieu disposent d’une autorité sans partage sur les autres communautés (Vicdessos).

  • 138 C. Pailhès, « Les pays d’Ariège et l’autorité sous l’Ancien Régime », op. cit., 1991, p. 14- 15, 18 (...)

73Les seigneurs disposent de forêts et vacants dont ils tirent des revenus notables grâce à l’exploitation commerciale des bois, l’afferme des pacages aux troupeaux transhumants et le travail des forges. À peu près partout, cependant, ils laissent aux communautés des droits d’usage plus ou moins étendus. Les forêts et montagnes qui dépendent du roi (pays de Foix, Castillonnais par exemple) sont ouvertes sans redevances aux habitants qui peuvent y faire paître leur bétail (sauf dans les réserves ou « debèses ») et ramasser le bois pour leurs usages personnels (bâtisse, chauffage, fabrication des instruments de travail, des objets de la vie quotidienne). L’exercice de ces droits est généralisé dans les grandes seigneuries de la montagne, en principe gratuitement pour les habitants du lieu et moyennant une redevance symbolique pour les communautés voisines. L’exercice de ces droits d’usage largement accordé est très réglementé et surtout très délimité sur le terrain. Les clauses relatives aux droits d’usage sont moins fréquentes dans les reconnaissances des communautés du bas pays et de la terre de Mirepoix. Partout la coupe de bois pour la construction est strictement réglementée, soumise à la déclaration des usagers et à la marque du seigneur ou des agents du roi. Ainsi, les inégalités entre seigneuries sont grandes dans le domaine des droits d’usage. Dans les seigneuries couserannaises, non seulement les usages sur les montagnes sont très larges et sans redevances, mais encore ils sont restrictifs envers le seigneur138.

  • 139 P. Braunstein, « Métallurgie à la campagne », Études Rurales, op. cit., p. 11-12 ; Arch. dép. Arièg (...)
  • 140 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, 30 janvier 1827, lettre du directeur des Mines au préfet de l’Ariège.

74Ainsi, les droits d’usage sur la forêt apparaissent indispensables à la vie des hommes à la montagne et l’élevage en forêt une nécessité devant la nette insuffisance des herbages alors que le bétail est la grande « richesse » des habitants. Or, la forêt, élément essentiel de l’écosystème montagnard, est fragile, très sensible à l’action des hommes. Ce qui veut dire que le prélèvement de bois des sidérurgistes doit s’accorder à un équilibre général qui concilie les exigences des communautés usagères et les besoins des habitants en bois de chauffage ou de construction. La forge doit tendre à se plier aux règles communes parce que, très grande consommatrice de bois, elle est accompagnée d’une longue tradition d’hostilité139. Cet équilibre, sans cesse compromis par les abus des hommes et par l’intensité des prélèvements charbonniers, doit être sans cesse rétabli. L’administration centrale est parfaitement consciente de cette situation : « Les intérêts qu’il faut ménager sont graves puisqu’il s’agit de satisfaire au besoin indispensable de combustible qu’éprouvent les habitants de la contrée, à la consommation des usines anciennes et à l’approvisionnement des nouvelles usines »140. Et pourtant, déplorer le mauvais état de la forêt est une attitude générale. Or le mouvement de la sidérurgie sur le long terme est une croissance indiscutable ! Ce qui signifie que la métallurgie du fer a su conserver une place dans les bois malgré le discours récurrent sur la déforestation.

- La forge à la catalane et la forêt

  • 141 C. Verna, Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe (...)
  • 142 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Montgailhard, les maîtres de forges du département de l’Ariège au préf (...)
  • 143 Arch. dép. Ariège, 1 B 25, pièce 66, 3 décembre 1692 ; pour la vallée d’Ascou, J. Bonhôte, Forges e (...)

75La forge à la catalane apparaît et se diffuse dans un espace forestier anciennement organisé autour de deux activités principales : l’élevage et la sidérurgie. Les premières législations forestières sont mises en place par les comtes de Foix, dès la fin du XIIIe siècle, lorsque la mouline s’installe en nombre dans le comté141. Pourtant la législation forestière ne suffit pas. Il est impératif de s’intéresser à son application et à l’état d’esprit des hommes des Pyrénées ariégeoises qui seuls ont une action directe sur la forêt. La concurrence des autres industries, « bouches à feu », industries du bois et scieries est difficile à appréhender avec précision tant la sidérurgie est dominatrice. Ainsi, les sidérurgistes redoutent bien davantage la concurrence de nouvelles forges : « depuis trente ans, le nombre des bouches à feu s’est considérablement accru, car, sans énumérer les verreries, les fours à chaux et à plâtre, les tuileries, les fabriques d’alun, nous comptons treize forges de plus, dont huit construites et cinq sur le point de l’être »142. La rivalité la plus forte est celle des scieries. À la fin du XVIIe siècle, la forge de Mérens chôme « à cause de la concurrence des moulins à scie sur les bois affectés à l’usage de la forge »143. On peut cependant admettre une certaine complémentarité entre les différentes industries du feu : la verrerie et la poterie brûlent des bois de petit gabarit, avec beaucoup de flamme et peu de braise. La sidérurgie a besoin de bois plus volumineux et fournissant une maille mécaniquement tenace dans les fourneaux de réduction. Complémentarité donc, plus que concurrence dans la gestion de la forêt pyrénéenne, d’autant plus grande que la répartition géographique de ces activités renforce cette tendance. La forge intervient sur la forêt par l’intermédiaire des charbonniers chargés de fabriquer son combustible unique : le charbon de bois.

- Des charbonniers professionnels

  • 144 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, enquête sur le travail agricole et industriel, canton de Foix.
  • 145 Arch. dép. Ariège, 1 R 29 à 1 R 95, listes de conscription, an XIII-1870 ; Arch. dép. Ariège, 1 R 3 (...)

76La fabrication du charbon de bois est une activité programmée, d’une grande importance puisque la durée de roulement de la forge est très souvent fixée par son approvisionnement en combustible. À la fois bûcherons et charbonniers, les hommes, dans le meilleur des cas, coupent et empilent le bois en hiver, puis, au printemps et en été, le charbonnent144. Les charbonniers ariégeois jouissent dans les Pyrénées d’une assez grande réputation. Professionnels, ils sont essentiellement originaires du canton de Foix où l’enquête de 1848 sur le travail en comptabilise 600, avec les communes de la Barguillère (Le Bosc, Brassac, Serres, Bourret, Saint-Pierre-de-Rivière) ainsi que Celles et Freychenet, et du canton de Tarascon avec surtout Saurat mais aussi Rabat, Niaux, Junac. Les charbonniers constituent en moyenne 7 % des conscrits du canton de Tarascon, avec 13,3 % pour la classe de 1832, et 5,6 % des conscrits du canton de Foix avec 13 % pour la classe de l’an XIII. Il en vient aussi du canton des Cabannes (Larcat, Verdun, Château-Verdun, Tignac), du canton de Vicdessos (Siguer, Orus), de la vallée de Massat ou de la région de La Bastide de Sérou. On en rencontre à un moindre degré dans le pays d’Olmes, avec Fougax, Nalzen, Ilhat, Vilhac et Bélesta ; mais aussi à Ascou, à Mérens145.

  • 146 « Cabanade » : il s’agit d’une équipe de charbonniers ne dépassant pas huit hommes ; ce terme désig (...)
  • 147 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, enquête sur le travail agricole et industriel, cantons de Foix, d’Ax.
  • 148 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 680-681.
  • 149 Arch. dép. Ariège, 102 S 69, Le Bosc, 12 octobre 1842.
  • 150 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1, Forge neuve d’Oust, 1777.

77Les pères des conscrits qui déclarent la profession de charbonnier sont dans le plus grand nombre de cas « cultivateur-charbonnier », parfois aussi simplement cultivateur, brassier ou journalier. Les jeunes gens absents lors de la conscription, partis exercer leur métier loin de leur commune, accompagnent leur père. Les membres d’une équipe, « cabanade », ont des liens familiaux entre eux146. Guère de renseignements sur la façon dont les enfants apprennent le métier, nous savons simplement que, très tôt, ils suivent leur père dans les forêts. Les réponses à l’enquête de 1848 disent qu’il n’existe pas d’apprentissage. Une seule indique que les charbonniers commencent leur apprentissage vers 10 ans147. Ces deux réponses ne sont pas incompatibles, nous nous trouvons devant une transmission familiale, sur le tas, d’un savoir-faire ancestral. Ces hommes sont absents de chez eux du printemps à l’automne, travaillant dans les forêts des Pyrénées et des régions avoisinantes. Au début du Premier Empire, Mme de Lévis-Mirepoix emploie 80 Sauratois à abattre et charbonner dans sa forêt de Montferrier. À la même époque, Dralet trouve des charbonniers de Saurat en train de ravager les forêts du Donnezan. Au XIXe siècle, tantôt engagés par les propriétaires de forêts, tantôt par les maîtres de forges, tantôt exploitant une coupe pour leur propre compte, ils fréquentent toutes les Pyrénées françaises et même les garrigues du Bas-Languedoc148. Ils sont aussi présents dans le Roussillon, en Espagne et en Andorre. Ces migrations temporaires intéressent un grand nombre de personnes. Un meunier s’oppose au projet des habitants du Bosc qui demandent l’autorisation de construire un moulin à farine : « la commune du Bosc possède déjà 5 moulins à farine qui sont plus que suffisants pour moudre le grain d’une population peu nombreuse dont la généralité des chefs de famille émigrent leur sol pour aller porter leur industrie de charbonnier dans les communes étrangères pendant 6 ou 7 mois de l’année »149. Les maîtres de forges du Couserans considèrent qu’il faut placer dans les bois environ 50 charbonniers pour faire travailler une usine toute l’année en faisant l’échange, « encore faut-il qu’on trouve bon bois ». Mais les charbonniers ne sont pas les seuls employés pour l’approvisionnement en combustible d’une forge, il faut leur adjoindre des charrieurs ou « ouvriers pour débosquer les charbons », muletiers mais aussi « sacotiers » qui portent le charbon à la forge à pied, souvent un « empocheur » qui surveille ceux qui vont prendre le charbon dans les bois et qui met ou voit mettre le charbon dans les « poches » (sacs) ; parfois, enfin, un écrivain à gages pour recevoir le charbon à l’usine150.

- Des pratiques mal connues

  • 151 Les renseignements concernant le charbon de bois lui ont été fournis par M. Casse, propriétaire de (...)
  • 152 J. Bonhôte, C. Fruhauf, V. Izard, « Le charbonnage dans les Pyrénées : une pratique généralisée mal (...)

78Les pratiques des charbonniers sont mal connues. Mises en œuvre au cœur des forêts, loin des regards et de toute habitation, par des hommes rudes, à la mauvaise réputation, elles n’ont guère été étudiées. Abattre, couper et transporter du bois pour faire du charbon, telle est la description la plus répandue de leur travail. Tom Richard, pourtant si attentif à tout connaître par lui-même de la sidérurgie à la catalane, concède qu’il ne lui a pas été permis de suivre les travaux des charbonniers151. Ainsi, ce travail très fréquent chez les paysans des Pyrénées ariégeoises, pratiqué communément à la fois par des professionnels et des occasionnels, n’a guère éveillé l’attention152.

  • 153 Dans la vallée de Massat, de façon délictueuse, les charbonniers transportent hors des remises des (...)

79La fabrication du charbon de bois ne peut se faire que de mai à septembre sur les montagnes les plus élevées. La campagne de charbonnage commence parfois en avril dans les régions les plus basses. Le plus souvent, le charbon est confectionné en juin et juillet à cause des contraintes climatiques et des neiges tardives. Les charbonniers abattent le bois, l’émondent (ébranchent), font les rondins, mettent « à tour de place » (endroit où le fourneau va être dressé), font le fourneau (fosse, charbonnière ou meule) et cuisent le charbon. Ils sont souvent obligés, après avoir coupé et « piqué le bois », de le « transporter sur le cou à tour de place » sur des pentes plus ou moins prononcées, pour construire leurs fourneaux qu’ils veillent jour et nuit dès qu’ils sont en feu153. Se fiant à la vue et à l’ouïe, ils cherchent à faire brûler le bois sans trop le consumer : là réside le savoir-faire du charbonnier. La conduite difficile de la carbonisation caractérise le procédé par combustion partielle en meule utilisé pendant des siècles dans les Pyrénées. Un fourneau reste en feu 7 à 8 jours en moyenne. Son volume varie avec la topographie locale et la difficulté du transport du bois. Chaque fourneau produit pour les plus petits de 8 à 10 charges (quantité de charbon de bois équivalente à 3 sacs ; le sac contient 40 kg de charbon en moyenne selon les essences) et pour les plus grands 25 charges, rarement 30. Il est évident que les plus petits exigent moins de temps.

  • 154 Jean Terson. Mémoires d’un apôtre Saint-Simonien, présentation de Daniel Fabre, Carcassonne, 1979, (...)
  • 155 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, enquête sur le travail agricole et industriel, canton d’Ax.

80Les conditions de vie des charbonniers sont dures. Ils font un travail extrêmement pénible, exposés à toutes les intempéries dans les bois de montagne. Ils vivent dans des cabanes construites avec des branches d’arbres, pour une équipe de quatre hommes le plus souvent et servant à la cuisson de quatre fourneaux. À l’intérieur de cette cabane, le coucher est rustique : « on se jetait tout habillé sur un lit de broussailles recouvertes d’une épaisse couche de feuilles sèches »154. La nourriture est tout autant frugale. Elle n’est guère constituée que de pain bis (seigle et blé noir) fait avec toute la farine moins le gros son, renouvelé tous les huit jours, puis deux soupes matin et soir, parfois améliorées avec du sel, du poivre, de l’ail, un peu de lard rance les jours gras et un petit filet de mauvaise huile les jours maigres, puis enfin de l’oignon ou de l’ail cru pour manger le pain et comme extra des pommes de terre cuites sous la cendre ou dans de l’eau salée. Mais ils n’ont pas souvent un peu de sel pour faire une « aillade » parce qu’il est trop cher. Le dimanche, seulement, celui ou celle qui apporte les provisions pour la semaine leur donne un morceau de fromage ou « une sardine à tête jaune ». Quant à la boisson, de l’eau que les charbonniers peuvent couper avec un filet de vinaigre. Pas de viande ni de vin, si ce n’est au village les jours de Noël ou de Pâques. Les charrieurs mènent la même vie que les charbonniers. Ils portent sur leur cou un sac qui pèse jusqu’à 50 kg, pendant un trajet de 4 à 5 heures, pieds nus, dans des sentiers de montagne difficiles et pierreux. « Leur corps, ajoute l’enquête sur le travail de 1848, est toujours dans un bain de sueur ou de pluie. Ils seraient trop heureux si en arrivant à leur destination, ils avaient une goutte de vin ou un peu de soupe pour réparer leur épuisement, mais à peine ont-ils du pain de mauvaise qualité. Ils sont dans une condition des plus misérables, souvent ils n’ont pas de sel pour faire cuire leurs aliments »155.

- Les salaires

  • 156 Les charbonniers basques ou béarnais qui travaillent dans les Pyrénées occidentales gagnent environ (...)
  • 157 Arch. dép. Ariège, 15 J, Massat, XVIIe, XVIIIe siècles ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1 à R 3, For (...)
  • 158 Ibidem, p. 36.

81Les charbonniers travaillent à façon, « à tant l’hectolitre » au XIXe siècle, ils achètent quelquefois pour leur compte des coupes ou des bois sur pied dont ils vendent le produit en charbon. En 1775, ils touchent 20 et 22 sols de façon par charge. Les maîtres de forges du Couserans donnent jusqu’à 25 sols pour le charbon de l’échange. Dans les années 1830, leur salaire est en moyenne de 1,30 à 1,50 franc par charge de charbon produite. Ils ont de plus les débris de la cabane qui valent 8 francs. Selon l’enquête de 1848, ils gagnent, si leur salaire est calculé journellement, de 1 à 2 francs par jour, terme moyen, et les charrieurs de 75 centimes à 1,25 franc, alors que, à la même période, les forgeurs touchent 5,25 francs par jour en moyenne156. Le revenu annuel moyen d’un charbonnier seul est estimé à 150 francs (400 francs pour un forgeur) et 250 francs pour un ménage (600 francs pour forgeur). Le montant de leur nourriture se monte à 55 centimes par jour tout au plus. Le bois nécessaire au chauffage et à la cuisine des charbonniers est à la charge de l’acquéreur des bois ou du maître de forges qui fait charbonner. La quantité employée à cet usage représente environ la vingt-quatrième partie du bois cuit. Mais ce qui est appelé le « fagotage » diminue un peu le montant de ces dépenses. Ce fagotage se compose de menues branches, des émondages. Chaque pile de bois donne environ cent fagots dont la valeur totale, dans les années 1830-1840, est d’environ 4 francs pris sur les lieux. Les charbonniers sont « toujours au dessus de l’indigence » parce qu’ils sont tous petits propriétaires. Les femmes et les enfants cultivent pendant leurs absences157. La langue des charbonniers est bien entendue la langue d’oc, celle des paysans des hautes vallées. Le Saint-Simonien Jean Terson, lorsqu’il se rend en Andorre, rencontre des charbonniers ariégeois dans une forêt et s’adresse à eux « en leur patois »158.

  • 159 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer dans les forges catalanes du département de (...)
  • 160 Dardenne, Essai sur la statistique du département de l’Ariège, op. cit., 1805, chapitre sur l’état (...)
  • 161 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 167-17 ; J. Bonhôte, J. Cantelaube et J.- P (...)

82Il faut rappeler la superficie de forêt nécessaire à l’approvisionnement d’une forge pour avoir bien présent à l’esprit l’ampleur de la question. Selon Dralet, la coupe d’un hectare, dans les forêts des Pyrénées, produit 50 stères de bois de charbonnage. Cette quantité fournit environ 20 m3 de charbon, si l’on tient compte de l’imperfection des procédés de carbonisation. Le produit d’un hectare est d’environ 47 quintaux de charbon selon l’essence utilisée. Or, une forge de bonne allure consomme annuellement 4 700 quintaux, ainsi son roulement absorbe la coupe d’environ 94 à 100 hectares. Les forêts sont exploitées tous les 18 ans environ, une superficie de 1 800 hectares est donc nécessaire pour alimenter une forge fabriquant 1 580 quintaux de fer par an159. En 1805, les forêts sont très nombreuses, elles occupent environ un sixième de tout le territoire. La plus grande partie d’entre elles se trouve dans les arrondissements de Foix et de Saint-Girons, c’est-à-dire dans les cantons montagnards. C’est surtout le hêtre qui domine. Les futaies ne représentent à peu près que le dixième de l’ensemble. Quant aux neuf dixièmes restants, seuls environ cinq méritent le nom de bois160. Depuis le XVIIe siècle au moins, la nécessité d’un approvisionnement régulier des forges a généralisé un mode d’exploitation particulier : le taillis, au détriment de la futaie. Dans les Pyrénées ariégeoises, les bois sont essentiellement exploités en taillis simple (coupe de tous les brins d’une souche à intervalles de huit à quinze ans), en taillis fureté (chaque souche porte une dizaine de brins d’âges différents, seuls les plus vieux sont coupés mais les rotations sont plus fréquentes)161.

  • 162 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., t. 2, p. 13-16.

83Ainsi, la montagne ariégeoise évolue entre des intérêts contradictoires, ceux des communautés arc-boutées sur leurs droits d’usage et ceux des maîtres de forges, de leurs fermiers ou de leurs régisseurs, acharnés à approvisionner leurs usines en charbon de bois. Les Pyrénéens considèrent que la faculté d’user en toute liberté des forêts fait partie de leurs droits fondamentaux. Mais si les droits d’usage contribuent à rendre possible la vie dans les hautes vallées, l’industrie sidérurgique, quant à elle, offre les possibilités de pluriactivités les plus importantes et tout aussi indispensables dans un pays où règne la micro-propriété. Ce tiraillement, né de la concurrence, est vécu alors que l’écosystème évolue vers une certaine saturation et que les forêts pyrénéennes se réduisent et se transforment (déforestation et changements d’essences). « Dans l’espace de deux cent quarante ans, écrit Dralet en 1813, elles ont perdu les deux tiers de leur contenance », même si cette affirmation semble exagérée, les contemporains, les élites, ont conscience de cette déforestation et sont persuadés de la nécessité de réformer la législation forestière162.

- « Le rétablissement des forêts », l’urgence d’une nouvelle législation

  • 163 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 768-769.
  • 164 J. Bonhôte, C. Fruhauf, « La métallurgie au bois et les espaces forestiers dans les Pyrénées de l’A (...)
  • 165 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 138.

84De Froidour définit les règles à suivre et indique la philosophie qui doit être celle de toute législation. « Or comme les mines sont inutiles sans forêts parce qu’il faut du bois et du charbon pour les cultiver et pour en tirer du fruit, la nature a pourvu à cette nécessité dans cette contrée, qu’elle a rempli de bois en la conservation desquels on peut dire que consiste la richesse du pays et le salut de ces peuples. D’où il faut conclure qu’on ne peut apporter trop de précaution pour les rétablir et trop de soin pour les bien conserver ensuite, de telle manière qu’elles puissent toujours fournir au pays ». Mais, ajoute-t-il, il faut se garder d’oublier « toutes [les] nécessités tant en ce qui regarde les bâtiments, le chauffage et les autres usages que pour l’entretien des dites forges » pour tenter de retrouver un équilibre entre tous les utilisateurs concurrents163. Le réformateur préconise une politique et une législation forestières axées sur le bois à brûler. Il estime en effet que, compte tenu des conditions d’accès difficiles qui ne permettent pas l’exploitation des bois d’œuvre, il n’est pas possible d’envisager un aménagement pour les forêts des Pyrénées ariégeoises. Il propose de réserver cet espace forestier aux communautés et aux maîtres de forges, afin que les unes y exercent leurs droits d’usage et que les autres les fassent charbonner, sans rien changer au mode d’exploitation en place depuis plusieurs siècles164. Cependant, il se donne pour but de rétablir les forêts de façon à ce qu’elles puissent « fournir toujours les bois nécessaires tant pour les bastiments dudit pays, que pour les usages des habitants et entretien des dites forges ». Cette façon de faire rapporte indirectement au roi « 22 000 livres de rente pour le droit domanial que prend sa Majesté sur chaque charge de fer pour le droit de marque »165.

  • 166 Arch. dép. Ariège, 15 J 7, bail à ferme de la forge d’Ercé fait le 1 juillet 1750.
  • 167 Chablis : abattis d’arbres ou de branches provoqués par le vent ou d’autres phénomènes naturels (ne (...)
  • 168 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 2, Forge neuve d’Oust, 1770-1780.
  • 169 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, document sans date (vers 1740-1750).
  • 170 J. Bonhôte, C. Fruhauf, « La métallurgie au bois et les espaces forestiers dans les Pyrénées de l’A (...)

85Malgré les règles édictées par la réformation, l’exploitation demeure anarchique. Les baux à ferme des forges situées dans un domaine seigneurial accordent aux fermiers des droits étendus sur les forêts pour l’entretien et l’affouage de l’usine. Les conditions d’exploitation sont souvent réduites au simple usage des bois. Toutefois, certains baux précisent les quantités à charbonner sans toujours indiquer dans quels quartiers des forêts. Et dans certains cas, principalement dans le Couserans, le bois est marqué par les consuls de la communauté166. D’une façon plus générale, les communautés sont attentives au respect de l’ordonnance de 1669 : obligation d’utiliser les chablis, « en les enlevant on nettoyerait le bois et on donnerait de l’air qui laisserait pousser les jeunes plantes sans nuire ni toucher aux arbres anciens »167. Les charbonniers ne doivent toucher aux arbres encore debout que sur ordre ou permission. Les arbres seront abattus « bien et suivant les ordonnances c’est-à-dire près de terre. Car quand on laisse une partie du tronc hors de la terre 1°) on perd cette portion qui aurait pu faire du charbon 2°) on fait mourir la racine qui aurait fait une belle remise. Comme le sapin ne fait pas de remise il faudrait le déraciner afin de faire des charbons avec la racine qui sans cela pourrit sans repousser ». En ce qui concerne le transport du bois : dans les endroits inaccessibles pour les bêtes de somme, les charbonniers « rouleront le bois dans le bas où ils établiront tous leurs fourneaux »168. L’impression reste pourtant celle d’une grande liberté d’exploitation, sans véritable respect des prescriptions de l’ordonnance de la réformation, par exemple réserves de jeunes pousses (remises), hauteur de coupe. Les maîtres de forges et leurs charbonniers cherchent à se dégager « de la rigueur de l’ordonnance de 1669 », ou à ne pas exécuter certaines de ses dispositions, en particulier le bornage et l’arpentage, ou encore « le temps de coupe et la forme de l’exploitation »169. En réalité, les équipes d’ouvriers, parfois placées par les fermiers, coupent tous les arbres environnant leurs cabanes, quels que soient l’essence et l’âge, « les charbonniers ne se contentent pas toujours d’employer les chablis mais qu’ils les négligent bien souvent pour abattre les plus beaux arbres s’ils les gênent ou s’ils sont plus à leur portée ». Les jugements des maîtrises de Pamiers et de Quillan attestent de ces pratiques qui ne respectent pas les prescriptions réglementaires. Le XIXe siècle connaît une réorganisation de l’espace forestier qui rompt avec le désordre des anciennes pratiques. Les propriétaires des forêts, particuliers, anciens et nouveaux, État ou communautés, soutenus par l’administration forestière, organisent leurs bois en coupes réglées et renforcent la surveillance par des gardes privés ou des gardes de l’administration. Des opérations de cantonnement des bois sont alors massivement réalisées (sorte d’arrangement à l’amiable entre propriétaires et usagers). Le nombre des bestiaux et surtout des bêtes à laine des usagers est limité. Mais l’affirmation des droits des propriétaires contrecarre l’exercice des droits d’usage des communautés. C’est pourquoi cette nouvelle politique forestière s’avère difficile à appliquer ; les communautés s’opposent à cette rationalisation dont l’un des principaux aménagements consiste à écarter les paysans des bois en limitant leurs droits d’usage pour protéger les sapinières et pour convertir les taillis en futaies170. Les forestiers considèrent que les droits d’usage sont un obstacle à toute tentative d’aménagement ou de repeuplement.

- La résistance exacerbée des communautés

  • 171 Arch dép. Ariège, 1 C 165, forge de Mijanés, octobre 1772.
  • 172 Arch. dép. Ariège, sous-série 2 B, plaintes portées devant la juridiction forestière de la Maîtrise (...)
  • 173 Ibidem, p. 45-59.

86Les Pyrénées ariégeoises du XVIIe au XIXe siècle sont le théâtre de troubles chroniques, violents, ponctuels, mais qui touchent tour à tour de nombreuses communautés (brigandages, conflits entre paysans et seigneurs ou entre communautés, attaques portées contre les agents de l’administration) et d’une résistance passive et efficace à toute ingérence du pouvoir. L’autorité semble lointaine et est bien souvent sans moyens, même si, de temps à autre, elle fait des exemples. La délinquance pastorale et forestière est quotidienne, le fait de tous et de chacun, « elle est très représentative de la difficulté d’être dans la montagne pyrénéenne puisque souvent liée à la survie »171. Le nombre des procédures menées par les maîtrises des Eaux et Forêts de Pamiers et de Quillan, des dernières années du XVIIe siècle à la fin de l’Ancien Régime permet de prendre conscience de l’importance des délits172. Certains seigneurs sont très attentifs aux infractions, d’autres restreignent davantage les usages, les Bellissen de Castelnau-Durban, les de Lestang de Celles, les Sales de Gudanes, les Traversier de Niaux et d’Alliat, les Celery d’Allens figurent parmi les plus procéduriers, tous possèdent une ou plusieurs forges dans leur domaine. Il semble que la présence de l’usine ne soit souvent que l’élément révélateur, déclenchant, à coup sûr le facteur aggravant, mais rarement la cause unique de la délinquance. S’estimant victimes d’une répression jugée souvent injuste, tatillonne, vexatoire et parfois sanglante de la part des gardes seigneuriaux, les paysans « s’attroupent » pour faire corps et se protéger, ou parfois aussi pour se venger. Les rebellions contre les gardes forestiers sont nombreuses, mais, plus qu’une contestation organisée pour obtenir une réforme des institutions, il s’agit d’empêcher les agents de l’administration de pénétrer dans des vallées habituées à une autonomie de fait, d’ailleurs abandonnées à elles-mêmes la plupart du temps173.

  • 174 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 171.
  • 175 P. Morère, « Notes sur l’Ariège avant le régime démocratique. I. - Le paysan », Bulletin de la Soci (...)
  • 176 F. Baby, La Guerre des Demoiselles en Ariège, op. cit., p. 39.

87La forêt et son utilisation sont, au cours de la première moitié du XIXe siècle, les révélateurs des conflits opposant la population montagnarde à l’État et à ses agents, ainsi qu’aux propriétaires des domaines sylvo-pastoraux de plus en plus attentifs à leurs droits. Les ingénieurs des Mines sont conscients de la difficulté de combattre ce qu’ils considèrent être « l’instinct de destruction qui pousse les habitants des montagnes, instinct sans cesse aiguillonné par une vieille haine, fruit de luttes de plusieurs siècles entre les propriétaires de bois et les usagers »174. Il apparaît clairement que la passion est très présente dans l’analyse des rapports de la population avec la forêt. Lorsque l’État intervient, donc, les habitants de la montagne sont désignés comme les principaux responsables : défense de pénétrer dans les bois, règlements draconiens, partout des gardes forestiers honnis. Le montant total des amendes, bien qu’elles soient souvent réduites par les tribunaux, reste très élevé, « contribution forcée qui sort des mains du pauvre qu’après avoir été baignée de larmes »175. Après la promulgation du Code de 1827, aboutissement d’une reprise en main par l’État de la forêt et de son usage, la résistance des habitants, multiforme, individuelle et collective marque l’espace pyrénéen jusque vers 1850-1870. Elle est plus forte et plus continue que dans d’autres régions françaises. Endémique, une forte délinquance forestière est sanctionnée trop fréquemment par des amendes disproportionnées et vexatoires, d’autant plus que les gardes forestiers ne sont pas toujours intègres. Le volume des affaires de ce type en correctionnelle témoigne de son importance. La promulgation du Code forestier sert d’accélérateur : 830 délits en 1833, 1 830 en 1838, 2 300 en 1840176. Les procès-verbaux dressés du XVIIe au XIXe siècle sanctionnent le pacage d’animaux dans les forêts, dans les quartiers mis en défens (interdit), des défrichements ou des coupes abusives, mais aussi nombreux sont les délits liés au charbonnage : cette diversité de motifs, concernant aussi bien les paysans et éleveurs que les charbonniers, est la preuve de la recherche constante d’un équilibre.

  • 177 Ibidem, p. 38-54.

88Parfois, les montagnards sortent de leur inertie habituelle et leur colère éclate alors en révoltes, véritables jacqueries : c’est le cas pendant le premier Empire d’un soulèvement dans le Castillonnais. Mais le mouvement emblématique reste la Guerre des Demoiselles. Dès sa promulgation, le Code forestier de 1827 provoque une violente révolte, notamment dans le Couserans. Il impose une nouvelle réglementation de l’usage des forêts, en particulier concernant le ramassage du bois, les coupes et surtout le pâturage désormais mis en défens. Or, ces mesures sont insupportables à une population très nombreuse, habituée à bénéficier de certaines ressources de la montagne, quel qu’en soit le propriétaire. La révolte est d’autant plus forte que la conjoncture est dure, les Pyrénées ariégeoises vivent une véritable misère économique que les hommes tentent d’atténuer en commettant quotidiennement des actes délictueux. Dès le printemps 1829, les charbonniers sont les premières victimes des Demoiselles parce qu’ils sont les acteurs de l’exploitation de la forêt au détriment de la population. Ils sont expulsés des bois, leurs cabanes et leurs outils sont détruits, ils sont parfois bastonnés. Face aux attaques, ils se contentent de rester passifs ou de s’enfuir. Les Demoiselles s’en prennent surtout aux gardes forestiers (publics et privés) parce qu’ils sont les agents actifs de la répression au jour le jour. Les insurgés évitent, grâce à leur mobilité et à leur connaissance du terrain, les troupes de gendarmerie et de lignes envoyées dès juin 1830. La révolution de 1830 accentue le mouvement : pour les montagnards, elle signifie que l’accès et l’utilisation de la forêt sont devenus enfin ou à nouveau libres. De l’été 1830 à l’hiver 1831, l’insurrection, qui s’est étendue à la vallée de l’Ariège notamment, vise aussi les grands propriétaires de forêts et de forges, obligeant certains d’entre eux à céder des droits. Le château de Gudanes, illustration s’il en est de la puissance des maîtres de forges, est attaqué en 1830, et Astrié part se réfugier à Toulouse. Celui de M. Saint-Jean de Pointis à Ustou est saccagé, la maison de M. de Vendomois à Miglos est pillée ainsi que le château et la forge d’Allens. Les Demoiselles s’attaquent aussi aux métairies de Lafont de Sentenac, à la forge et au moulin à blé de Luzenac qui appartiennent à M. de Lordat. Ce sont les seuls excès réels de toute l’insurrection et il semble que la personnalité agressive de ces maîtres de forges y soit pour beaucoup, car les autres propriétaires de forêts et les trente et un autres propriétaires de forges n’ont subi aucun dommage dans leurs habitations177.

  • 178 Arch. dép. Ariège, 2 U 18, affaire d’Allens, instruction, 1831 ; affaire de la forge de Luzenac, in (...)
  • 179 P. Morère, « Notes sur l’Ariège avant le régime démocratique. I. - Le paysan », Bulletin de la Soci (...)

89Les moyens d’action privilégiés des Demoiselles sont : le saccage de la forêt, la destruction de tout objet en bois appartenant aux gardes, aux charbonniers, aux propriétaires des forêts, l’incendie et la démolition. Ces destructions concernent des éléments symboliques de ce que leurs adversaires veulent leur arracher et prouvent leur acharnement à défendre les droits qu’ils estiment être les leurs et qui sont, à coup sûr, indispensables à la vie dans les hautes vallées. Leur animosité contre les emblèmes de la sidérurgie et les objets en métal est moins acharnée, au point qu’il reste possible d’en décrire les manifestations en totalité ou presque : les Demoiselles d’Arnave obligent les forgeurs à « laisser consumer dans le foyer le fer ou massé à demi-fait », font battre le marteau à vide. Les paysans maltraitent le garde et chassent les forgeurs « après leur avoir demandé combien il leur fallait pour achever le massé, ces derniers ayant répondu quatre heures, qu’ils trouvèrent un délai trop long ». Le juge de paix du canton de Tarascon dresse le procès-verbal suivant : « plusieurs outils avaient été aplatis sous le gros marteau et mis hors d’usage, que le feu et la mine en fonte avaient été abandonnés par les ouvriers et par conséquent perdus… deux grosses tenailles du poids d’un quintal chacune, deux tranchants pour couper le fer du même poids, deux grosses barres de fer - vulgairement appelées palenques - et quinze quintaux de fer fabriqué auraient été volés… l’armoire des forgeurs avait été pillée et enfoncée, que leur chambrette avait été dévastée. Au bureau de la forge, un bois de lit, une table y ont été brisés… la couëte du lit dans la rivière ainsi qu’une barrique vide ». Alors que M. de Lordat est à Toulouse, des individus participant à un attroupement mettent le feu avec « du foin allumé » à la forge de Luzenac que les forgeurs avaient abandonnée, et l’incendient avec tous ses « livres, registres et papiers »178. Malgré les mesures d’apaisement prises à partir d’octobre 1830, le mécontentement et l’agitation ne disparaissent pas complètement. En 1842, des forestiers sont malmenés au Bosc, à Quérigut. En 1848, l’agitation redouble : dans le Donnezan, la population chasse les gardes, détruit les archives ; à Rabat, les habitants pillent la ferme et les bois du grand propriétaire Bergasse-Laziroules ; dans la Barguillère, dans la région d’Arnave, de Mercus, à Ercé, dans tout le canton d’Oust, un peu partout, les paysans se portent en masse, hommes, femmes, enfants, sur les forêts et les ravagent. Le Conseil général, lors de la session de 1848, tente de comprendre l’attitude des montagnards : « ils ont pris en haine les forêts elles-mêmes, devenues la chose de leurs oppresseurs et ils espèrent avec les forêts se débarrasser de ceux qui les gardent »179. Un même mouvement, toujours contre le code forestier, mais avec une bien moindre intensité, se produit en 1870.

90Peter Sahlins considère que la Guerre des Demoiselles est un gigantesque charivari de protestation contre le mariage arrangé, mais mal assorti, de l’administration forestière étrangère et de la forêt indigène. Le mode d’exploitation désordonné de la forêt par les paysans s’oppose à la logique rationnelle et ordonnée de l’administration. De plus, la promulgation du nouveau code coïncide, en 1829-1830, avec la période la plus aiguë de la crise économique que subissent les Pyrénées ariégeoises. Or les enjeux ne sont pas comparables : il s’agit pour les uns de développer et d’exploiter une source de richesses au mieux de leurs intérêts, alors que les autres, de plus en plus nombreux, jouent leur survie. Les habitants des montagnes, toujours à court d’argent, se battent avec opiniâtreté contre la misère, la faim, les épidémies, les exigences du fisc, l’usure, comme le reconnaissent les délibérations du Conseil général lors de la session de 1845 ; à ces difficultés traditionnelles, il faut ajouter, au XIXe siècle, les prétentions croissantes de l’État et de ses représentants locaux.

  • 180 J. Bonhôte, C. Fruhauf, « La métallurgie au bois et les espaces forestiers dans les Pyrénées de l’A (...)
  • 181 Arch. dép. Ariège, 138 S 25, forge de Teilhet ; Arch. dép. Ariège, 138 S 26, forge d’Ustou ; Arch. (...)

91Cet état conflictuel révèle cependant, et de façon paradoxale, l’existence d’un équilibre à l’intérieur de la société agro-pastorale. La forêt est indispensable à l’élevage, mais, en même temps, la forge est inévitable pour son exploitation. La maîtrise de Pamiers n’a guère été présente sur le terrain et nous avons peu de traces écrites de son activité. Mais la forte augmentation de la population, l’essor de la production de métal rendent obligatoire une intervention de plus en plus fréquente de l’État pour limiter la pression des utilisateurs sur la forêt. Le choix a consisté à exclure, ou à tenter d’exclure, l’un des utilisateurs. Le précaire équilibre, établi et conservé tant bien que mal depuis le XVIIe siècle, est rompu au XIXe siècle. L’État soutient les notables et les industriels, au détriment de la population locale180. Il ne faut pas oublier que la forge est considérée depuis longtemps comme le seul débouché pour les bois de montagne181. Or, la demande de métal augmentant, la seule réponse dont disposent les Pyrénées ariégeoises est de multiplier le nombre des usines, mettant ainsi en question l’équilibre si difficilement établi.

- La forge à la catalane a su préserver sa présence dans la forêt

92Les forêts sont ainsi réservées aux communautés et aux maîtres de forges. Belle confirmation de l’impossibilité de se passer de la sidérurgie dans les Pyrénées ariégeoises ; mais, dans le même temps, l’obligation de tenir compte des possibilités des forêts doit être respectée. Or les demandes sont contradictoires : non seulement les droits d’usage s’exercent aux dépens de la sidérurgie (et inversement), mais aussi le maintien d’une vie rurale supportable n’est pas toujours compatible avec les offres de pluriactivité. Les conflits d’intérêts parcourent la société elle-même alors que l’écosystème évolue fortement, que les hommes deviennent trop nombreux, que la déforestation s’étend, que les essences d’arbres changent. Les activités d’appoint sont alors une impérieuse nécessité. La sidérurgie directe et la forge à la catalane constituent l’une des clefs les plus essentielles, celle choisie par les contemporains, pour résoudre ce dilemme. L’élément crucial de l’équilibre et de son maintien est, du côté de la métallurgie, la façon dont les maîtres de forges ont accès au combustible. Or, l’étude de la consommation de combustible de la forge à la catalane a révélé les limites de l’approvisionnement en charbon et ses difficultés lorsque les forêts personnelles du maître de forges sont insuffisantes ou lorsque l’affouage accordé à la forge est incapable de couvrir la totalité de ses besoins.

- Les approvisionnements complémentaires

  • 182 Arch. dép. Ariège, 3 J 17.
  • 183 Arch. dép. Ariège, 2 B 2164-68.
  • 184 Arch. dép. Ariège, 1 C 164.
  • 185 Arch. dép. Ariège, 2 B 2164-68.
  • 186 Arch. dép. Ariège, 1 B 16790.
  • 187 Arch. dép. Ariège, 2 B 52276-281.

93La recherche de combustible supplémentaire est un biais qui peut permettre à l’usine de conserver sa place dans la forêt. Cette quête appelle invariablement la même réponse : la diversification des sources d’approvisionnement. D’abord par l’achat de forêts quand cela est possible, souvent loin de la forge. En 1744, le marquis de Gudanes fait des acquisitions de bois dans le marquisat de Mirepoix182. En 1774, les fermiers de la forge du Carla ont acquis un bois formant deux parcelles au bac d’Ilhat, de l’âge d’environ quarante ans, essence de chêne et de hêtre, contenant deux sétérées de terre183. Au milieu du siècle, la forge de Niaux offre un véritable cas d’école. M. de Niaux a acquis de la communauté de Tor, dans la vall Ferrera en Espagne, une forêt distante d’une journée et demie de la forge184. Autre moyen de se procurer du charbon, l’achat de coupes. En 1744, les fermiers de la forge du Carla ont acheté la coupe d’un bois d’environ quarante à cinquante ans185. En 1760, Traversier, propriétaire de la forge de Niaux, demande à un homme de Pamiers de faire du charbon dans les bois de la paroisse de Loubens, dans les Prépyrénées186. Ou encore, en 1775, le même maître de forges se rend acquéreur d’une coupe de bois taillis de chêne de l’âge de quinze à seize ans à Montégut, dans le Plantaurel, « pour faire charbon pour alimenter sa forge »187.

  • 188 Arch. dép. Ariège, 1 B 2061-34.
  • 189 J. Bonhôte, Forges et Forêts dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 158-161.
  • 190 Arch. dép. Ariège, 3 J 29.
  • 191 Arch. dép. Ariège, 2 B 4, f° 251.
  • 192 Arch. dép. Ariège, 2 B 4, f° 217.
  • 193 Arch. dép. Ariège, 2 B 4, f° 283.
  • 194 Arch. nat., 436 AP 48.
  • 195 Arch. dép. Ariège, 2 B 2660-68.
  • 196 Arch. dép. Ariège, 2 B 2622-28.

94Mais le moyen le plus utilisé est sans conteste l’achat de charbon, ce qui « délocalise » en quelque sorte l’impact de la forge sur un lieu éloigné, desserrant d’autant l’étreinte sur la forêt et la communauté locales. Le commerce du combustible revêt différentes formes. La première est la forme la plus simple et la plus répandue : un particulier propose à prix d’argent le charbon qu’il a fait fabriquer. Alors qu’en 1728, une forge manque de charbon, deux hommes de la Barguillère et de Saurat lui en fournissent188. La vallée de l’Aston qui constitue, pourtant, le plus vaste domaine sylvo-pastoral de la haute Ariège est l’exemple le plus révélateur des difficultés d’alimentation en combustible dès le XVIIe siècle189. Le marquis de Gudanes procède à des achats de charbon, en 1744, dans le marquisat de Mirepoix190. En 1771, les charbons qui se transportent journellement à la forge de Niaux viennent de Foix, de Tourné, de Saverdun, de Brie et d’autres lieux où le fermier a acheté le produit de l’exploitation des forêts. Catala, habitant du château de Mondini, près de Lavelanet, doit remettre à la forge de Niaux, en vertu d’un accord verbal passé en 1774, 60 charges de charbon qui se décomposent ainsi : 45 charges de bois de chêne et 15 charges de bois d’aulne au prix de 3 livres la charge prise à Mondini. La remise doit être faite pour le mois de mai de l’année suivante191. Rouzaud, habitant de Montferrier, doit remettre à la forge de Saint-Paul 95 charges un sac et demi de charbon de chêne attachés à la brochette suivant l’usage de Foix, qui restent des 100 charges vendues le 21 juillet 1774 et qu’il s’était obligé à remettre à la forge le 15 mai 1775192. Parfois, les ventes se font entre maîtres de forges. Le fermier de la forge de Celles, au début de l’année 1777, vend verbalement 15 à 16 charges de charbon rendues à la forge de Saint-Paul193. Elles portent la plupart du temps sur des quantités bien plus importantes. Le 19 mars 1757, Verdié, fermier général des forges et montagnes du duc de Lévis-Mirepoix, a vendu à Saint-André 2 400 charges rendues à Foix. Le calendrier, comme souvent, est précisé : 1 200 jusqu’au mois d’août 1757 et les 1 200 autres jusqu’en janvier 1758. Le port sera déduit du prix du charbon194. Ce commerce entraîne parfois des conflits, des réactions de la part de ceux qui voient passer du charbon devant leurs forges alors que leurs usines souffrent d’un manque de combustible. Dans les années 1729- 1731, le propriétaire de la forge de Siguer demande l’interdiction de transport de charbon hors de la vallée de Siguer. Le charbon est vendu aux forges de Vicdessos et circonvoisines alors que sa forge chôme « par défaut de charbon qui se transporte ailleurs » bien qu’elle soit la seule usine de la vallée de Siguer et alors qu’il a le droit de charbonner195. Le fermier de la forge de la Cabirole proteste contre le passage de charbon fabriqué dans la Barguillère hors de la juridiction de Foix vers Saurat, alors qu’il est autorisé à faire charbon dans la forêt d’Andronne et autres du consulat de Foix196. Les exemples pourraient être multipliés à loisir.

  • 197 Arch. dép. Ariège, 15 J 1, Massat.
  • 198 Arch. dép. Ariège, 15 J 4.
  • 199 Arch. dép. Ariège, 5 E 5660. « Gabeille » : aucune définition de ce terme ne figure dans les dictio (...)
  • 200 Arch. dép. Ariège, 1 B 121223-234, forge de La Mouline, à Saurat.
  • 201 Arch. dép. Ariège, 1 B 165230-244, forge de Niaux.

95Un autre moyen d’approvisionnement est très utilisé, le prêt remboursé avec du charbon. En 1704, Jean Massat doit 31 livres à Jean Galy, ferrier de la forge de Lirbat. Cette somme représente une « dette d’argent, grain et autres choses prêtées sur du charbon »197. Une deuxième façon, dont les registres notariaux ont conservé de très nombreuses traces, consiste en une reconnaissance de dette passée entre le maître de forges et la personne qui doit porter le combustible à la forge. Le transport sert à rembourser l’animal de bât « vendu » par le maître de forges. En 1653, un contrat de dette est passé, dans lequel, en contrepartie d’une jument poil rouge et d’un âne poil noir harnachés et bâtés, un travail pour la forge de Lispartens à Massat est exigé : le transport de charbon198. Mais, souvent, le contrat porte non seulement sur le transport, mais aussi sur la fourniture du charbon. Le 22 novembre 1676, Jean Prat, laboureur de Saurat, s’engage à livrer six feux de « charbon et gabeille » rendus à l’une des forges de Paul Surre, marchand de Saurat, entre le jour de la signature du contrat et la Noël prochaine, plus un feu à la fête de la Pentecôte, en paiement « d’une jument poil rouge embastée » qu’il a reçue ce même jour199. Une autre voie remarquable peut être relevée, « le partage à égales portions » qui est dit « à la migère ». Les archives décrivent cette association de la façon suivante : les maîtres de forges consentent à ce que les charbonniers qui portent le charbon à l’usine reçoivent la moitié du fer fabriqué, bien qu’eux-mêmes fournissent le minerai et paient le loyer de la forge. « Le prix du charbon plus fort que celui de la mine compense tout et au delà ». Ainsi, en 1742, Jean Prat, charbonnier de Saurat, est associé avec Dessort, fermier de la forge de La Mouline. Prat a l’habitude de porter du charbon à la forge de Dessort qui lui fournit la mine. Le fer fabriqué se partage « par égales portions, à la migère ». Prat laisse sa part de métal à Dessort qui la compte, comme c’est l’usage, sur le montant des fournitures en denrées ou en argent qu’il a livrées au charbonnier. L’association des deux hommes dure de 1721 à 1743. Le charbon provient des forêts du comte de Valence, propriétaire de la forge200. Parfois, enfin, le maître de forges se procure du charbon en combinant ces deux derniers types de contrat. De 1757 à 1759, Traversier, fermier de la forge de Niaux, confie quatre mules à Pierre Tort de Massat, commis de la forge, « avec leur arnois pour tirer du charbon pour la forge ». Le paiement des mules doit se faire en charbon, la forge sera travaillée à moitié profit201. Ces modalités peuvent s’apparenter au métayage : le sidérurgiste qui fournit le capital, le minerai, l’usine et ses ouvriers retient une part au moins égale à la moitié de la production, l’autre partie fournit le charbon et son transport. Ce type de contrat rappelle aussi les contrats de gazailhe si familiers aux éleveurs de la montagne ariégeoise qui acceptent de s’associer à un propriétaire de la plaine pour faire passer l’été à son bétail sur les hauts pâturages avec le leur, à prix d’argent ou à moitié fruit. Bien entendu, des accords analogues existent pour l’hivernage dans la plaine du bétail de la montagne. Nous sommes ici dans un cadre proche du verlagssystem, bien connu dans l’industrie textile, dans lequel le charbonnier est entièrement dépendant du maître de forges. Le charbon et son transport servent à solder une dette, l’animal de bât. Cette mainmise du maître de forges sur le charbon a pour but de s’assurer un approvisionnement régulier et sûr, à un coût le moins élevé possible. Il ne faut pas oublier que le prix du charbon est plus élevé que celui du minerai et que ce prix est garanti pour la durée du contrat, le mettant ainsi à l’abri de toute augmentation.

  • 202 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, 4 octobre 1751.
  • 203 Arch. dép. Ariège, 1 C 41, 4 août 1751 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 164.

96La description des différentes formes que prend le commerce du charbon de bois a fait apparaître les forges qui y participent. Or, si les usines sont très inégalement dotées en forêts, toutes devraient, en principe, avoir la provision de bois à charbonner correspondant à leur activité. En outre, depuis l’arrêt du Conseil du 9 août 1723, l’autorisation de nouvelles usines est subordonnée à l’examen de leurs moyens en combustible. En fait, avec le temps qui s’écoule et malgré le cadre légal, au XVIIIe siècle la classification la plus opératoire se rétracte en une simple opposition, la forge qui dispose d’un affouage et celle qui n’en dispose pas. À tel point qu’au milieu du siècle apparaît la notion de « forges bâtardes », « c’est-à-dire celles qui n’ont aucun bois pour être entretenues »202. En 1745, sur les 32 forges du pays de Foix, 15 à peine ont du bois pour leur exploitation203. Du temps où Dietrich visite l’Ariège, le constat est moins sombre, 31 forges sont en roulement, dont 21 sur leur affouage. Ainsi, pour le comté de Foix, si l’on écarte pour l’instant les forges de Vicdessos :

nom de la forge

durée de roulement (mois)

origine des charbons

Orgeix

3

forêts d’Orgeix

Orlu

5 à 6

forêts d’Orlu

Ascou

7 à 8

ses forêts

Castelet

7 à 8

ses forêts et achats

Urs

6

ses forêts et achats

Saint-Paul

3

ses forêts

Celles

7 à 8

ses forêts et achats

Allens

2 à 3

ses forêts

Niaux

12

achats

Siguer

12

forêts de Siguer et achats

Rabat

3

ses forêts

Les Esqueranes

environ 12

forêts et achats

La Mouline

7 à 8

forêts et achats

La Cabiroile

6 à 7

achats

Estaniels

environ 5

ses forêts et achats

Tourné

7 à 8

ses forêts

Durée de roulement des forges et origine de leur charbon vers 1780

97Le marquis de Gudanes possède trois forges à Château-Verdun dont deux seulement travaillent, et ce toute l’année. Les deux forges de la vallée de Saurat, Les Esqueranes et La Mouline, ajoutent aux bois qui leur sont inféodés et aux achats de charbon, une troisième manière de s’approvisionner en combustible en pratiquant avec les forges de Massat, dans le Couserans, un échange minerai de fer de Rancié contre charbon de bois, à l’imitation de ce qui se passe entre Vicdessos et les autres forges du Couserans. La forge des Estaniels a du charbon tiré de ses bois pour seulement trois mois de travail. La forge d’Aulus est en ruine parce qu’elle ne peut pas travailler faute de charbon.

nom de la forge

durée du roulement (mois)

origine des charbons

Ercé

environ 5

achats et communautés

Oust

moins de 2

ses forêts

Oust, forge neuve

8 à 9

ses forêts et communautés

Alos

7 à 8

ses forêts

Canadèle

8 à 9

ses forêts et achats

Lispartens

3

ses forêts

Durée de roulement des forges du Couserans et origine de leur charbon vers 1780

  • 204 C. Fruhauf, Forêt et société, de la forêt paysanne à la forêt capitaliste en pays de Sault sous l’a (...)
  • 205 Arch. dép. Ariège, 3 J 4, procès-verbaux des États de Foix.
  • 206 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 175 et notes 22 et 23.
  • 207 Arch. dép. Ariège, 1 J 318.

98Les forges de Vicdessos, Siguer, Niaux, Lacombe, Rabat, Saurat, et, en partie, celles de l’Aston, c’est-à-dire le cœur plus que millénaire de la sidérurgie ariégeoise, achètent « depuis longtemps » le charbon dans le bas comté, dans la châtellenie de Rieux au nord, le marquisat de Mirepoix à l’est, le Couserans à l’ouest. Les exemples d’approvisionnement dans le pays de Sault contigu se multiplient : ses forêts contribuent au travail de la forge de Bélesta en la fournissant en charbon de hêtre, en 1686 ou encore en 1730, elle qui a déjà du sapin à sa disposition ; de même, avant 1700, elles ravitaillent la forge de Montségur ; de 1670 à 1740 celles de Villeneuve et de Montferrier ; les forges d’Unac et d’Urs de 1700 à 1740, et enfin celle de Gudanes en 1776, vont y chercher un supplément de combustible204. Les achats de charbon en Espagne sont de plus en plus importants. Difficiles à saisir, ils n’en existent pas moins. Lors de la séance des États de Foix du 29 octobre 1754, l’autorisation de prendre du minerai de Vicdessos pour le faire passer à Tor en Espagne, à charge de rapporter du charbon pour sa forge, accordée à M. de Niaux par une ordonnance, est contestée par les maîtres de forges205. Sur l’autre versant des Pyrénées, F. de Zamora explique dans son journal de voyages de 1788, que « les glissements de terrain que connaissent la vall Ferrera et plus généralement la région du Pallars Sobirà, sont dus, parmi bien d’autres raisons, aux charbonnières que font les Français pour les forges de leur royaume qui est contigu au nôtre »206. Cette remarque permet de mieux comprendre que, le 27 juin 1788, les consuls d’Alins et d’Areu dans la vall Ferrera donnent procuration à Jacques Amilhat, consul d’Auzat, « de poursuivre en justice ceux qui sans autorisation des dites communautés auront fait charbon, bois ou planches dans les bois de Bouet et Tor pour apporter en France »207.

  • 208 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer dans les forges catalanes du département de (...)
  • 209 Arch. dép. Ariège, 138 S 26, forge d’Ustou, 17 ventôse an X.
  • 210 M. Chevalier, « Mémoire sur l’affinage du fer dans la vallée de Vicdessos », op. cit., par exemple.
  • 211 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 324.
  • 212 P. Sahlins, Forest Rites. The war of the Demoiselles in nineteenth century, France, op. cit., p. 19
  • 213 Arch. dép. Ariège, 1 Q 964, Mijanès ; Rabat, 1 Q 1 100 ; Perles et Castelet, 1 Q 480 ; Château-Verd (...)

99La situation apparaît encore plus simple au XIXe siècle. Le constat est facile à dresser : peu de maîtres de forges possèdent en propre les bois nécessaires pour le roulement de leur usine208. Une formule très péjorative peut être relevée, « les établissements parasites », ceux qui « sont sans moyen d’aliment »209. En 1840, il existe, dans le département de l’Ariège, 57 feux dont 9 seulement roulent en partie sur leurs affouages, soit 15 %. Pour comprendre comment une telle situation a pu s’installer, il faut commencer par dresser succinctement le cadre général dans lequel la sidérurgie évolue. La légère reprise de l’activité sidérurgique observée dès la fin du XVIIIe siècle marque le début d’une phase d’expansion, entrecoupée de crises périodiques. Le XIXe siècle connaît une explosion du nombre d’usines, 58 dont certaines à deux feux, et une intensification des prélèvements de combustible. Le maximum de production, et par conséquent de prélèvement, se situe en 1853. Or, les siècles précédents ont révélé les limites de l’approvisionnement en charbon et ses difficultés. Comment expliquer cette forte croissance du nombre de forges qui ne disposent pas d’un affouage, au point que les forges de Mijanès et d’Engomer sont qualifiées de « privilégiées »210 parce qu’elles possèdent leurs bois, archétype positif d’un approvisionnement dont les forges « bâtardes » ou « parasites » constituent l’exemple négatif ? La réponse classique, de Jules François à Peter Sahlins, est, avec cependant quelques nuances selon les auteurs, la Révolution. Ainsi, François écrit : « les mouvements politiques de 1789 en déplaçant les propriétés, en divisant les fiefs et en rendant libre le commerce d’échange du minerai et du charbon… porta un coup mortel à un grand nombre d’entre elles [forges] »211. Pour Peter Sahlins, « les possesseurs de forges et les propriétaires de forêts apparaissent comme deux groupes distincts après la révolution française »212. En réalité, dans l’Ariège, les forges des émigrés ne dépassent pas la moitié du total des usines sidérurgiques. Ce qui semble paradoxal si l’on tient compte du poids des nobles parmi les propriétaires de forges. Le domaine de l’abbé de Foix au Castelet est vendu comme bien du clergé. La forge avec ses bois et montagnes devient la propriété de Pierre Astrié, négociant d’Ax. La République, lorsqu’elle vend les biens de la famille d’Usson, groupe dans un même lot la forge de Mijanès et « son droit au bois », ses 800 piles à prendre annuellement dans les forêts du canton. Roudière, notaire de Mijanès, et Gomma, négociant d’Ax, deviennent propriétaires de la moitié des montagnes et de la forge de la famille d’Usson et leur château. Bergasse-Laziroules, de Saurat, Barthélémy Saint-André, de Tarascon, et Gomma Cadet, de Celles, obtiennent les domaines des Foix-Rabat, la forge, ainsi que les « bois et montagnes situés dans les communes de Rabat et Gourbit tant en taillis qu’en futaie ». Jean-Pierre Astrié, maître de forges d’Ax, acquiert le château de Gudanes et les deux tiers des montagnes d’Aston avec les forges du domaine. Il est vrai que les possessions de la famille de Lévis-Mirepoix dans le pays d’Olmes ont été démembrées. L’État a conservé la plus grande partie des forêts confisquées. À Bélesta, Avignon conserve la forge acquise comme bien national, mais vers 1802, la princesse de Robeck obtient la restitution des terres et d’une grande partie des forêts213. La séparation forêt-forge est alors confirmée. Après 1800, les émigrés eux-mêmes, de retour, procèdent à des rachats. Fornier de Savignac est parvenu à retrouver à peu près toutes ses terres, montagnes et forge de Celles dès 1800. L’explication par la séparation de la forge et de son domaine forestier lors des événements révolutionnaires ne semble guère convaincante.

  • 214 D. Woronoff, L’industrie sidérurgique en France, op. cit., p. 15-53.

100D’autant que le mal est plus profond et surtout plus ancien, que le divorce n’avait pas attendu 1789 pour être prononcé. La grande loi sur les mines du 21 avril 1810214 renforce ce mouvement « naturel » de dissociation forge-forêt ou plus exactement de recours au commerce. De 1810 à 1855, avec un retour en arrière pour régulariser les forges qui ont été construites sans autorisation pendant la Révolution, 28 demandes ont été faites. Les forges qui roulent ou rouleraient sur leurs forêts représentent 21 % de ce total. Il s’agit des usines ou des projets de Junac dont le propriétaire dispose d’environ 1 500 ha de forêts dans la vallée de Miglos, de Luzenac grâce au bois du marquis de Lordat, de Lacourt, avec le combustible fourni par les propriétés du demandant situées dans le voisinage de la forge, du Mas d’Azil sur les forêts du vicomte de Saintenac à Pamiers, Escosse, Saint-Amans, Pailhès, Gabre, Le Mas d’Azil, Aillères, Durban et Sieuras. Autre exemple, belle illustration des aléas de la vie d’une usine sidérurgique dans les Pyrénées ariégeoises, la demande faite le 3 novembre 1853 pour régulariser la reconstruction de la forge de Gudanes qui « fut affermée jusqu’en 1828, les dévastations dans les forêts en 1830 ne permettant plus l’entretien de deux feux, cette forge fut provisoirement abandonnée… les bois [2 300 ha] bien aménagés peuvent entretenir deux feux puisque dans des temps assez rapprochés quatre forges [travaillaient] ». Un rapport de la direction des Mines daté de février 1855 précise pour justifier l’autorisation accordée : « M. de Limairac n’ayant qu’un seul feu en action se trouvait obligé de vendre du charbon provenant de bois d’essence légère que les forges achètent difficilement ». Ou enfin la demande d’un second feu pour la forge de La Mouline à Saurat « pour consommer l’excédent de charbon depuis qu’il est devenu propriétaire d’environ 4 000 hectares de forêts à Massat qui alimentaient autrefois trois forges qui n’existent plus » (1819).

101Deux forges seulement disposent d’un affouage : celles de Mijanès et d’Engomer (soit 7 %), ce qui ne les empêche pas d’avoir recours au commerce. Les usines qui ajoutent aux charbons de leurs bois ceux achetés dans le commerce sont au nombre de onze (soit 39 %), constituant la classe la plus fournie. Il n’est guère possible de calculer la part respective de chacun des modes d’approvisionnement. À Bélesta, dans un projet de 1825, il est indiqué que le charbon proviendra « en partie des propriétés ou acquis par commerce ». La forge de Bénagues, construite par le marquis d’Orgeix en 1820, utilise « le charbon fourni par le commerce indépendamment de la petite quantité que fournira les bois de l’exposant » ; Canadelle, à Massat, le combustible viendra « des forêts dépendantes du domaine et des forêts de l’arrondissement très supérieures aux consommations ». L’usine du Moulinery, près de Foix, prendra son charbon dans les forêts du demandeur (plus de 200 ha) et dans le commerce. Les usines de Berdoulet (1831), Léran qui prendra son combustible « en grande partie des forêts » (chêne et bouleau) du duc de Lévis (1838), Nalzen où Vergniès Bouischère, maire de Vicdessos, veut tirer profit de ses bois de Nalzen, Roquefixade, Montferrier et Freychenet, il se procurera le reste « des bois du voisinage » (1823) ; Queille, en 1813, son propriétaire possède des bois à Mirepoix et à Chalabre dans l’Aude, le complément viendra du commerce ; Surba dont le maître de forges, Saint Jean de Pointis, qui possède des forêts dans le Couserans, aura recours au commerce (1819) ; Manses (un deuxième feu en 1836) avec du charbon des propriétés du marquis de Portes ou du commerce, et Varilhes où Rousse, maire de Tarascon, désire, en 1824, ériger une forge qui travaillera avec les charbons de ses propriétés de Varilhes et de Loubens, « la plus grande partie par commerce de Pamiers ».

  • 215 Ces renseignements sont tirés de la sous-série des Archives départementales de l’Ariège 138 S, clas (...)
  • 216 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 988, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Vicdessos, 1841- (...)

102Dernier type, enfin, les ateliers qui ont uniquement recours au commerce. Ils sont au nombre de neuf, soit 32 % du total : les forges de Capoulet (1842), deux usines à Illier-Laramade (1836), Niaux (1827) et un second feu à Niaux vieux (1835), Pamiers (1851-1853), Fangas de Lucanter à Tarascon en 1847, Cabre à Vicdessos et enfin Montgailhard. La nouveauté est constituée par la mention d’un recours généralisé au commerce, 71 % des maîtres de forges précisent qu’ils s’approvisionneront en combustible par « voie du commerce »215. Le maître de forges, en règle générale, ne veut pas acheter des coupes, sauf quand la rareté des charbons l’y oblige. Il préfère s’adresser à ceux que Marrot qualifie de « spéculateurs » qui se rendent adjudicataires des coupes des forêts domaniales. En octobre 1841, Victor Tournier, maître de forges à Vicdessos, donne une procuration à Bonel, propriétaire à Saint-Girons, pour qu’il achète diverses coupes de bois dans cet arrondissement. Quelques mois plus tard, Bonel lui annonce qu’il a acheté les bois spécifiés et qu’il les a payés « des deniers fournis par Tournier ». Par un acte du 11 juin 1856, Raymond Narties, marchand de charbon, demeurant à Castillon, cède à Sans fils, maître de forges, demeurant à Tarascon, les deux coupes qu’il a obtenues de l’État dans le canton de Castillon, telles qu’elles lui ont été vendues. En outre, il s’engage à vendre à l’industriel les bois qu’il a acquis et qu’il acquerra dans l’année « et qui sont indépendants des susdites coupes comme provenant de propriétés particulières ». Cette cession et cette vente sont faites moyennant la somme de 1 500 francs dont une partie lui a été comptée par Sans que le marchand de charbon autorise à utiliser son magasin pendant tout le temps que durera l’exploitation des forêts figurant au contrat. De plus, homme du métier, Narties s’engage à surveiller l’abattage du bois des coupes, la confection des charbons et leur transport, travaux financés par Sans qui fournira les fonds nécessaires au fur et à mesure des besoins. Certains forgeurs s’intéressent aussi aux adjudications de coupes par l’État, comme c’est le cas de Ferdinand Cabibel, forgeur à Rabat (le 17 août 1861). Mais le plus souvent les industriels se procurent directement le combustible. Le contrat de vente de charbon passé, le 21 novembre 1845, entre Galy d’Ustou et Lacombe, maître de la forge du Ressec à Surba, est un bon exemple des précautions prises par les industriels pour se garantir de toute mauvaise surprise. Il porte sur la livraison de 268 mesures de charbon de bois de hêtre de première qualité ; chaque mesure composée de 18 hectolitres coûte 21 francs prise et livrée à Ustou ou aux environs dans les magasins de Train, Bille et Lareta, hameaux de la commune d’Ustou, soit au total 5 628 francs que Galy reconnaît avoir reçus. Le charbon sera néanmoins mesuré à la forge du Ressec, c’est-à-dire sous la surveillance du maître de forges ou de son régisseur ; de plus, le déchet causé par le transport n’est pas au détriment du sidérurgiste. Si les frais de transport sont à la charge du maître de forges, le marchand s’oblige à l’organiser, à faire porter le charbon au Ressec. Un calendrier de livraison est prévu pour faciliter la bonne marche de l’usine. La remise du charbon sera faite régulièrement à partir du jour de la signature du contrat et terminée à la fin du mois de février 1846. Toutefois, si le mauvais temps de l’hiver rendait les routes impraticables et que le délai ne soit pas respecté, la livraison se prolongeant, « Galy ne pourra être passible d’aucune indemnité envers Lacombe ». De plus, si parmi les charbons livrés, il se trouve du charbon de sapin, le maître de forges ne pourra prétendre à aucune indemnité jusqu’à 250 hectolitres de mélange. Autre éventualité évoquée, si la coupe de bois faite par Galy en 1845 produit plus de charbon que la quantité précisée dans ce contrat, il est tenu de ne vendre le surplus qu’à Lacombe qui, de son côté, s’oblige de le prendre aux mêmes conditions. Bien qu’il soit impossible d’apprécier la quantité de ce dernier charbon et par conséquent d’en fixer le prix, le vendeur reconnaît avoir reçu de Lacombe la somme de 1 000 francs à valoir sur le charbon de surplus sauf, à la fin de la livraison, « pour le plus ou moins » si le charbon de sapin dépasse le mélange de 250 hectos. Lacombe est tenu de recevoir le charbon de bois de sapin pur à raison de 14 francs les 18 hectos toujours pris dans les magasins de la commune d’Ustou216.

  • 217 Arch. dép. Ariège, 137 S 3.
  • 218 Arch. dép. Ariège, 138 S 6, Junac, 1822-1824.
  • 219 Arch. dép. Ariège, 138 S 14, Nalzen, 1823-1826.
  • 220 J. Cantelaube, « Politiques d’autorisation d’usines et évolution de la métallurgie ariégeoise aux X (...)

103Si l’on s’étonne de la part grandissante prise par le commerce, il est indispensable d’écouter le discours que tiennent les administrations sur le combustible et son rôle dans la création d’usine. Certes, toutes ne parlent pas d’une même voix. La loi de 1810, ou plus exactement son application, prend le contre-pied de l’ordonnance de 1723, tout au moins sur le chapitre du combustible. Laissons la parole au ministre des finances qui s’adresse au directeur général des Mines, dans une lettre datée du 21 mars 1828 : « l’élévation du prix des bois vu leur rareté ne sont pas des motifs suffisants pour s’opposer à l’établissement d’une usine, attendu que le renchérissement qui peut en résulter rencontre toujours une limite peu éloignée dans la nécessité où sont les fabricants de ne pas travailler à perte ; si malgré ce prix élevé une usine s’établit c’est qu’il y a possibilité pour le fabricant de faire encore des bénéfices, et dès lors il y a avantage pour tous puisque le surcroît de travail et de produit qu’il apporte dans la localité amène l’augmentation du prix de la main-d’œuvre et la diminution du prix des objets manufacturés et ajoute par conséquent au bien être de la population et des consommateurs »217, belle profession de foi libérale que ne partagent pas en totalité les autorités départementales plus proches des réalités régionales et obligées de prendre en compte les puissantes oppositions locales et pas seulement les lois du marché. Le préfet explicite sa position lors de l’examen d’une demande d’autorisation de construction d’une forge. Le demandeur « possède à lui seul une étendue de forêts plus considérable que la plupart des autres maîtres de forges de l’Ariège », c’est pourquoi il donne un avis favorable « en restreignant toutefois sa consommation de combustible aux charbons provenant des bois dont il est propriétaire sans pouvoir recourir à la voie du commerce ». Et le préfet de se justifier, « cette restriction m’a paru concilier jusqu’à un certain point l’intérêt général avec l’exercice du droit de propriété et à la liberté de l’industrie publique ». Concrètement, ses bois ne peuvent pas suffire en totalité au besoin d’une forge, il n’en est pas moins vrai qu’il est propriétaire d’une grande superficie de forêts et « qu’il a le droit incontestable d’user des charbons en provenant, ainsi et comme il l’entend »218. Mais il est fort possible que cette liberté enlève « aux anciens fabricants » une partie du combustible qui leur est nécessaire pour activer leurs usines et porte chez eux le découragement, ce que les maîtres de forges déjà installés nomment « les droits acquis » et qu’ils les défendent avec force, « surtout depuis que le système favorable à la multiplication des feux de forges dans l’Ariège a été adopté »219. La situation est d’autant plus tendue que le gouvernement, dans les années 1820, vient d’accorder cinq ou six permissions de forge à des personnes qui n’ont point de bois dans leur propriété. Et ce, malgré l’opposition de l’administration des Eaux et Forêts qui suit l’avis défavorable de l’inspecteur des forêts qui se trouve sur le terrain. Ce fonctionnaire considère « qu’il est de plus en plus démontré que les produits des forêts royales, communales et particulières du département de l’Ariège sont depuis longtemps insuffisants ». Le directeur général des Mines se rallie à l’avis des forestiers, et rejette, dans un premier temps, la demande, sous le motif de l’insuffisance du combustible du département. Puis, devant une nouvelle demande, il commande une autre enquête après avoir conseillé aux postulants de modifier leurs projets en précisant que l’achat du charbon se fera hors de l’Ariège, ce qui lui permet de justifier son opinion favorable avec un double argument : utilisation exclusive des charbons de leurs propriétés qui décideront du temps de roulement de l’usine et achat hors du département220.

- Les autres solutions choisies

104Pour que les gains de productivité, non négligeables, obtenus grâce à l’innovation technique tiennent toutes leurs promesses, il est nécessaire, bon gré mal gré, de les conforter par des pratiques destinées en quelque sorte à renforcer leurs effets. C’est que les économies de charbon réalisées, les surplus ainsi dégagés ne représentent toujours pas des quantités de combustible suffisantes pour couvrir la demande des forges. Ces attitudes sont à la fois individuelles, au niveau de chacune des forges, mais aussi collectives dans la mesure où elles concernent l’ensemble de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises. Ces dispositions se retrouvent tout au long de la période à la catalane, mais la véritable césure chronologique se situe dans la première décennie du XIXe siècle, même si de très forts signes avant-coureurs sont relevés dès la seconde moitié du XVIIIe siècle et peut-être même avant. Le XIXe siècle est un siècle de paradoxe. Il est caractérisé par une intensification des prélèvements de combustible alors que les deux siècles précédents ont connu des difficultés d’approvisionnement. Si nous parvenons à résoudre ce paradoxe, nous parviendrons à des explications décisives pour comprendre le choix réitéré de la sidérurgie directe et son maintien.

  • 221 S. Benoit, « La consommation de combustible végétal et l’évolution des systèmes techniques », Forge (...)
  • 222 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer dans les forges catalanes du département de (...)

105La première idée est d’aller voir ce qui se passe au niveau de l’offre de charbon de bois. Depuis Louis de Froidour, les forestiers tentent de reprendre en mains la forêt qui se dégrade de plus en plus. L’effort a porté sur la mise en valeur de l’espace forestier pour ajuster l’offre de bois aux besoins d’une production de métal tendanciellement orientée à la hausse alors même que la demande de la population s’accroît fortement. La recherche de meilleurs rendements par des aménagements nouveaux se développe, au point que les forêts domaniales dégagent au XIXe siècle des excédents qui sont directement détournés vers les forges. La forêt pyrénéenne reste cependant incapable de répondre, dans des proportions variables selon les époques, à la demande croissante des usines métallurgiques. Cet élément primordial de l’écosystème constitue un arrière-plan qu’il faut toujours avoir présent à l’esprit. Une autre voie est susceptible d’améliorer l’offre de combustible : introduire des innovations dans les pratiques de charbonnage221. Le peu de connaissance que nous avons des méthodes de carbonisation utilisées par les charbonniers ariégeois ne nous permet pas de savoir si des améliorations ont été introduites. Or les ingénieurs des Mines dénoncent l’imperfection de ces procédés222. Jules François préconise de faire des essais en forêt pour torréfier le bois et obtenir du « charbon roux ». De toute façon, aucune des techniques d’économie de combustible n’apporte à elle seule une solution décisive. Un autre moyen que le recours à des réponses techniques est employé : l’envoi au loin de charbonniers par les maîtres de forges pour approvisionner leurs forges. Dans ce cas, le charbon de bois est importé vers l’Ariège.

  • 223 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 138, 1669.

106Quelles stratégies, dans ces conditions impossibles à esquiver, les sidérurgistes ont-ils mises en œuvre ? La solution est étroitement liée au moyen d’accès au combustible du maître de forges. Les forges qui disposent d’un affouage sous quelque forme que ce soit ne roulent que le temps que leur approvisionnement particulier leur permet : les possibilités de l’affouage de l’usine déterminent la durée de son roulement. « Les unes plus et les autres moins à proportion… qu’il y a du charbon et plusieurs ne travaillent que quatre ou cinq mois de l’année »223. Le cas limite est celui des « forges bâtardes » La réponse est toujours la même : mise au chômage plus ou moins longtemps. Les maîtres de forges jouent à fond de l’une des qualités de la forge à la catalane, sa simplicité qui lui permet de ne pas travailler pendant plusieurs mois, puis de reprendre son activité sans difficulté lorsque l’acquisition de charbon redevient possible. Il suffit alors de réchauffer préalablement le bas fourneau, ce qui entraîne une augmentation provisoire de la consommation de charbon et a l’inconvénient de donner, les premiers jours, des massés moins forts. La mise au chômage de l’usine, qui n’est plus subie, mais délibérée, peut être dictée par un souci de bonne gestion de la forêt. L’exemple le plus représentatif est celui des deux forges de Château-Verdun : leur propriétaire, M. Astrié, voulant parvenir au rétablissement entier des bois qu’il possède dans la vallée d’Aston, fait chômer tour à tour l’une de ses forges. La forge d’Aulus ne travaille plus vers 1780, il est préférable qu’elle chôme pour que les bois puissent se reconstituer. Le chômage devient parfois permanent avec pour conséquence la disparition de la forge inactive. Certes, le manque de combustible n’est pas la seule cause de fermeture, d’autres facteurs entrent en jeu. Nous ne prenons ici que les exemples où le lien entre destruction et charbon est irréfutable. Au XVIIe siècle, « faute de bois plusieurs forges étaient abandonnées ». À Vicdessos, le nombre d’usines a été réduit à six. Dans les environs de Foix et dans la Barguillère, plusieurs forges, au moins trois, ont été abandonnées et démolies faute de bois pour les entretenir. Dans la vallée de Saurat, deux forges dont il ne reste que les masures sont ruinées, abandonnées par manque de bois. Le XVIIIe siècle connaît un recul général du nombre d’usines. Des zones sidérurgiques marginales disparaissent : la haute vallée de l’Ariège avec la fin des forges de Mérens et de L’Hospitalet ; le Couserans est touché : Ustou, la vallée de Massat. Le cœur de la zone sidérurgique des Pyrénées ariégeoises est aussi atteint : des cinq forges qui roulaient dans la vallée de l’Aston au siècle précédent, deux ont été démolies, une est au chômage. Vicdessos perd des usines, contrecoup des difficultés de l’échange. Un équilibre géographique précaire se met en place, véritable régulation du nombre des forges qui prend en considération, entre autres critères non négligeables, les possibilités d’approvisionnement en combustible végétal.

- L’élargissement de la zone d’achalandage

  • 224 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 628, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Tarascon, 27 nov (...)
  • 225 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Montgailhard, 20 août 1824.

107La véritable solution pour augmenter l’offre de charbon, mise à contribution depuis longtemps mais qui triomphe au XIXe siècle, consiste à aller chercher des quantités croissantes de combustible de plus en plus loin. Les maîtres de forges achètent tout ou partie de leur charbon. Commerce de proximité, mais aussi commerce plus lointain. Au XVIIe siècle, on fait venir le combustible du Couserans, de la châtellenie de Rieux, du marquisat de Mirepoix ou du plateau de Sault voisin. Au XVIIIe siècle, de façon générale, le phénomène d’économie du combustible s’intensifie, le recours au commerce s’accroît, entraînant un élargissement de l’aire d’approvisionnement. La forge d’Urs complète son approvisionnement en achetant des charbons des bois voisins du Basqui. La forge de La Cabirole se procure tous ses charbons auprès des communautés voisines de la Barguillère. La forge de Siguer s’approvisionne en partie dans sa vallée, mais elle tire aussi du charbon du côté de Foix. La vallée de Vicdessos elle-même, malgré l’échange, procède à des achats de combustible. Au XIXe siècle, la zone d’achalandage s’étend aux départements de l’Aude, des Pyrénées-Orientales, de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Atlantiques, des Landes, sans oublier l’ensemble des forêts de la basse Ariège et l’Espagne. La forge de Lacombe (Tarascon) donne un bon exemple de l’élargissement de la zone d’achats de charbon. Ses fournisseurs sont Crastres et Martin de Chalabre (Aude), Mlle de Dammezan de Mirepoix, Saupène de Saint-Béat (Haute-Garonne), Rouan de Caussou, Colomiers de Mont-Louis (Pyrénées-Orientales) et Levis de la Barousse224. En 1824, les maîtres de forges décrivent la façon dont ils s’approvisionnent en charbon : « jusqu’aux portes de Toulouse et dans toute l’étendue des départements de l’Aude et de la Haute-Garonne… Nous le faisons transporter, à gros frais, des environs de Limoux et de Chalabre… nous avons été forcés d’ouvrir sur toute la ligne de Toulouse à Foix des maisons d’entrepôt destinées à recevoir celui qui arrive de Saint-Gaudens »225.

  • 226 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R1.
  • 227 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 623, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Tarascon, 21 nov (...)

108L’importance croissante du commerce est mise en lumière lors des demandes de constructions d’usines. Sur les vingt-cinq projets de création, de reconstruction ou d’augmentation de feux que l’on dénombre tout au long du XIXe siècle, seul le propriétaire de la forge de La Mouline à Saurat déclare qu’il se propose de consommer « l’excédent de charbon » dont il dispose dans ses forêts de Massat (1819) ; le marquis de Lordat veut reconstruire la forge de Luzenac qui prendra son charbon dans ses propriétés (1822) ; le baron de Vendomois justifie son projet de restauration de la forge de Junac par l’étendue de ses forêts (1822). La majorité des maîtres de forges précise qu’ils s’approvisionneront en combustible par « voie du commerce », en partie ou en totalité. Ce commerce est favorisé par l’amélioration des moyens de communication. Certes, les transports s’effectuent toujours à dos de mulet pour les courtes distances ou dans les régions où les chemins sont étroits, mais aussi sur de grosses charrettes pour les longs trajets et là où existent des routes modernes. Dans les années 1770, on considère qu’il faut une voiture de 24 mulets pour transporter le charbon des bois à la forge, à raison de 20 pistoles chacun226. Le charbon est mesuré par charge de mulet qui, rappelons-le, se compose de 3 sacs, cubant 0,60 m3 et pesant 141 kg. Un siècle plus tard, dans les forêts de montagne, le maître de forges paie en moyenne 0,15 franc par sac et par kilomètre, à dos de mulet. Sur un chemin ordinaire, avec une charrette, les frais de transport peuvent être comptés à raison de 12,50 francs les 40 sacs portés à 20 kilomètres, soit 0,0156 franc par sac et par kilomètre. Le cas de la forge du Ressec à Surba éclaire d’une lumière crue la valeur élevée des frais de transport qui sont à la charge du maître de forges. En 1845, le port du charbon d’Ustou dans le Couserans à la forge du Ressec revient à 13 francs chaque 18 hectos alors que la même quantité de charbon coûte 21 francs. Le prix du transport de 4 824 hectos à 13 francs les 18 hectos représente 3 484 francs. Pour tenter de diminuer ce prix très élevé, dont la valeur équivaut à environ 62 % du prix du charbon lui-même, le maître de forges fournira « aux porteurs et aux rouliers qui feront ce transport » du minerai de fer pour le retour227.

- La houille : combustible obligatoire pour les martinets

  • 228 Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 289, 296-297, Brassac ; Arch. dép. Ariège, 138 S 5, Brassac.
  • 229 Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 314, martinet de Bruges.
  • 230 Arch. dép. Ariège, 138 S 29.
  • 231 Arch. dép. Ariège, 138 S 5, Brassac.
  • 232 Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 338-339, Niaux.
  • 233 Arch. dép. Ariège, 138 S 23, martinet de L’Esquiroulet à Savignac.
  • 234 Arch. dép. Ariège, 138 S 9, martinet de Mouragues.
  • 235 Arch. dép. Ariège, 138 S 10, martinet de Ganac, an IX.
  • 236 Arch. dép. Ariège, 138 S 23, martinet de La Coupière.
  • 237 Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 289, 296-297, Brassac, 1770-1776.
  • 238 Arch. dép. Ariège, 137 S 3, États récapitulatifs des produits des mines et usines à fer de l’Ariège (...)
  • 239 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, dossier relatif à la cémentation, 1817-1818.

109Il n’y a pas de conservatisme systématique dans la sidérurgie ariégeoise. L’installation de fours de cémentation et d’usines à faux l’atteste. Si les tentatives d’introduire la houille dans la réduction directe ont été un échec, le charbon de terre a fini par s’imposer dans la métallurgie de transformation. Les enjeux techniques ne sont en rien comparables, et les Pyrénées ariégeoises sont emportées dans un mouvement général en France. L’obligation faite aux martinets de n’utiliser que du charbon de terre pour réchauffer le métal, bien que lente à être acceptée, en est un témoignage supplémentaire. Nombreux sont les refus d’autorisation de construction de martinets à partir des années 1760. Ils sont motivés par le surplus de consommation de combustible qu’entraîneraient de nouveaux ateliers. En 1769, 1770, 1771, le seigneur de Brassac fait plusieurs demandes de reconstruction de martinets, il essuie un rejet. Il renouvelle sa demande en 1776, en expliquant qu’en 1771, il ne possédait que 30 arpents de bois, ce qui est à l’origine du refus, mais il vient d’acquérir dans les terres de Cadarcet et de Baulou 74 arpents de bois supplémentaires. Il fait aussi valoir que cet établissement « procurerait un avantage réel pour le commerce en général et pour les habitants de Brassac en particulier… dans le pays de l’univers le plus serré et le plus peuplé ». Ces motifs touchent l’intendant qui donne un avis favorable sur une seconde requête, la reconstruction est autorisée228. Toujours dans ces années 1776-1778, une autre reconstruction d’un martinet voisin, à Bruges, sur la même commune est accordée à la condition de n’employer aucun charbon provenant des bois de Brassac229. En l’an XIII encore, le martinet de Laprade à Vicdessos ne devra pas utiliser d’autre combustible, charbon de toutes essences, que celui provenant des forêts de Vergniès, propriétaire de la forge de Laprade230. Et pourtant, depuis la découverte du charbon de terre (registres du conseil d’État du 13 novembre 1789), on n’emploie plus que la moitié du charbon de bois pour le service des martinets et les cloutiers ne se servent dans leurs ateliers particuliers que de charbon de terre231. L’autorisation de construire un martinet, à côté de la forge de Niaux (1787), est donnée « à la charge suivant l’offre [du maître de forges lui-même] de ne consommer que du charbon de terre ou bien du charbon de bois de ses propres domaines, environ 250 arpents de bois plus que suffisants pour un martinet »232. Cette condition se rencontre encore tardivement, en 1824 ; l’ordonnance précise que le combustible sera la houille ou le charbon de bois, pourvu qu’il soit acheté dans les coupes du domaine233. Une belle analyse est avancée par l’ingénieur en chef des Mines, le 19 janvier 1809 : « le nombre des martinets établis dans quelques forges et dans quelques communes comme Ganac, n’est point en proportion avec les besoins du commerce ; la grande consommation en bois que nécessite le travail des nombreuses forges du département, n’a pu permettre aux propriétaires de ces usines de les compléter en y construisant des martinets qui auraient ajouté à la pénurie du combustible. Mais cet inconvénient cesse pour les lieux où l’on peut se procurer de la houille à un prix qui n’excède pas le bénéfice du parage des fers »234. La substitution du combustible minéral au charbon végétal ne s’est pas faite sans réticence. Les propriétaires de martinets font savoir dans une pétition que le charbon de bois utilisé dans « la vieille routine » permet de mieux perfectionner les fers, d’en parer une plus grande quantité et « donne moins de souci que le charbon de pierre utilisé que dans le cas où il est impossible de s’en procurer d’autre »235. L’action volontariste des administrations a fini par triompher. En 1809, le conservateur de la 13e division des Eaux et Forêts, Dralet, annonce avec force que la cherté du charbon de bois ne permet pas aux propriétaires de martinets de faire usage de ce combustible et qu’ils sont dès lors forcés de se servir du charbon de terre ou de cesser leur travail sous peine de pertes considérables. L’emploi obligatoire de la houille est contrôlé : le martinéteur doit se soumettre à toutes les visites que les agents forestiers voudront faire. Les bâtiments adjacents à l’atelier et les dépendances sont aussi inspectés, aucun charbon de bois ne peut être déposé dans l’établissement ni à 200 mètres dans les environs236. L’économie réalisée grâce à la substitution du combustible dans ce type d’atelier n’est certes pas négligeable, mais reste, cependant, marginale. Une forge emploie 12 000 sacs de charbon par an, tandis qu’un martinet n’emploie que 650 sacs237. Les Pyrénées ariégeoises possèdent une vingtaine de martinets dans les années 1780, auxquels il faut ajouter un nombre un peu supérieur de boutiques de cloutiers. La consommation de l’ensemble des ateliers de transformation du fer est à peine supérieure à celle d’une forge travaillant pendant 12 mois. Dans les années 1832-1833, les martinets à fer ont consommé 2 930 quintaux de houille à environ 6,50 francs238. La situation des établissements métallurgiques n’en demeure pas moins difficile, à cause de « l’éloignement des carrières de charbon de pierre dont le transport augmente le prix dans le département »239.

  • 240 B. Gille, Histoire de la métallurgie, op. cit., p. 33.
  • 241 R. Marconis, Midi-Pyrénées, XIXe-XXe siècles. Transports -Espace-Société, op. cit., tome I, p. 253.

110Complexité et diversité, adaptation aux fluctuations conjoncturelles de l’écosystème, ces caractéristiques de l’acquisition du charbon de bois sont essentielles pour comprendre comment la forge à la catalane, au-delà de sa sobriété en combustible, a été capable de se maintenir dans un environnement forestier difficile. À cette complexité répond la recherche d’économies de combustible par la quasi totalité des moyens dont dispose une activité métallurgique. Malgré ses difficultés d’approvisionnement en charbon de bois, la sidérurgie directe ariégeoise a gardé son efficacité à la fois grâce à la permanence du traité d’échange, à une régulation du nombre des forges fondée essentiellement sur l’élimination des usines les plus « faibles », c’est-à-dire celles qui souffrent des plus grandes difficultés d’approvisionnement, à un recours de plus en plus important au marché dans une zone d’achalandage de plus en plus vaste et, aussi, aux innovations et ajustements techniques nettement perceptibles du XVIIe au XIXe siècle. Le redéploiement des approvisionnements, à la fois géographique et technique, avec une nouvelle répartition des combustibles à l’intérieur de la filière sidérurgique - charbon de bois réservé à la forge, charbon de terre au martinet - complète les dispositions prises. La forge à la catalane figure parmi les procédés sidérurgiques « les moins dévoreurs » de combustible. Loin de l’archaïsme, elle est l’élément moteur d’une industrie qui gagne. L’étude des moyens d’accès au combustible nuance fortement l’idée généralement partagée que les régions du sud de L’Europe ont conservé « un instrument à demi-primitif », mais qui, consommant infiniment moins de bois, convenait parfaitement à des régions où les forêts sont rares et se régénèrent difficilement240. La forêt et le combustible ne sont pas les seules caractéristiques de la sidérurgie qui doivent être prises en compte, l’explication est plus globale. Il en est de même si l’on considère le combustible minéral. L’absence de bassin houiller à proximité des Pyrénées ariégeoises et le coût prohibitif de l’acheminement des charbons de terre de Carmaux par la route n’ont pas réellement joué, par défaut, en faveur de la multiplication des forges à la catalane241. Les raisons de cet essor sont ailleurs. La question du haut fourneau ne se pose pas en ces termes, en tous cas pas uniquement, tout est plus compliqué ! D’autant que le coût du transport du charbon de bois est loin d’être négligeable et que les forges sont présentes sur un marché concurrentiel. Elles se sont développées grâce à leurs qualités propres et pas seulement pour des raisons négatives.

  • 242 Pour une comparaison avec les différentes régions de montagne où se développa une industrie sidérur (...)
  • 243 J. Cantelaube, « Politique d’autorisation d’usines et évolution de la métallurgie ariégeoise aux XV (...)

111La sidérurgie à la catalane a su créer les conditions d’un équilibre avec la société242. Mais des tensions sont toujours sous-jacentes, prêtes à surgir au moindre aléa de la conjoncture, au plus petit événement local. Un mot vient immédiatement à l’esprit pour définir cette situation : précarité, alors que nous savons que le procédé direct est moins agressif pour l’écosystème que la méthode indirecte. L’histoire de la forge à la catalane, à l’époque de sa toute puissance, jusque dans les années 1850, est loin d’être comparable à un long fleuve tranquille. Les rapports de force de cette industrie à la montagne avec les communautés sont toujours à la limite de la rupture, avec périodiquement des crises conjoncturelles paroxystiques dans des vallées de plus en plus surpeuplées : hausse du nombre des délits forestiers, attaques et incendies de châteaux et de forges lors de crises politiques. La difficulté est que les intérêts contradictoires qui opposent les droits d’usage au charbonnage sont aussi ressentis intimement par un grand nombre d’individus. Ainsi, le montagnard qui, un jour, résiste au forestier et au maître de forges ou à ses représentants qui cherchent à l’exclure de la forêt, le lendemain travaille pour l’industriel, charbonne ou transporte le minerai, le combustible ou le fer. L’appréciation des communautés sur les avantages et les inconvénients qu’apporte une forge varie dans le temps et dans l’espace, y compris dans les vallées où il n’existe pas d’usine mais dont les forêts sont charbonnées pour des forges lointaines. C’est aussi une preuve irréfutable de l’importance de la sidérurgie directe dans l’écosystème et la société des Pyrénées ariégeoises. Décrire les activités liées au travail du fer de leurs habitants confère une dimension rationnelle à la fidélité au procédé direct, loin d’une simple acceptation résignée, conséquence de la routine. Il n’est pas question de nier les abus commis par les maîtres de forges, surtout à partir de la Monarchie de juillet qui pratique « le plus complet libéralisme ». Il y a déjà bien longtemps que les forges ne roulent plus uniquement sur leurs propres forêts et qu’elles s’approvisionnent par achats dans le commerce, sans compter que tous les propriétaires de bois ne sont pas maîtres de forges et que certains sidérurgistes trouvent plus d’intérêt à vendre leurs charbons qu’à les brûler dans leur propre usine. Libéralisme certes, mais la concurrence des forges entre elles est un élément contraignant qui limite le laisser faire intégral243.

112Malgré leur immensité, les forêts, hors de la sidérurgie, rapportent très peu, la forge est donc le seul débouché intéressant sur le plan financier pour leurs propriétaires, simples particuliers, communautés ou État. La richesse de la montagne se limite à celle de quelques maîtres de forges, souvent gros propriétaires fonciers. Le patronat métallurgique participe des logiques sociales et économiques que nous essayons de découvrir.

2/ Une industrie qui confère richesse et pouvoir aux maîtres de forges

  • 244 Arch. dép. Ariège, 5 J 16, dénombrement d’Alos, 1777 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 164, Montgailhard.

113La façon dont les forges se procurent le charbon de bois a permis d’esquisser une première typologie des maîtres de forges, c’est-à-dire des propriétaires, quel que soit le mode de faire-valoir de l’usine. L’approvisionnement en minerai est caractérisé par le monopole de la mine de Rancié, cela signifie que le maître de forges n’a pas besoin d’avoir ses propres mines de fer. Sous l’Ancien Régime, les privilégiés disposent du cours d’eau, fournisseur d’énergie, même si l’État exerce un contrôle. Sur la terre d’Alos, « il y a […] une petite rivière dont la propriété est au seigneur », Philippe Joseph de Cabalby. Mais, la communauté d’Alos veut faire respecter ses droits d’usage, il ne faut pas que l’activité de la forge gêne le travail des habitants qui doivent pouvoir arroser leurs prés (transaction d’avril 1762)244. Les maîtres de forges, leurs fortunes et leurs mentalités, jouent un rôle prépondérant dans la vie de la montagne ariégeoise et dans l’évolution de la sidérurgie.

- Qui sont-ils ?

114L’historiographie pyrénéenne considère la forge comme un élément d’un domaine agro-pastoral. Elle offre un débouché à des forêts qui resteraient sans emploi. La croissance de la demande de métal renforce cette orientation de l’économie domaniale. Le domaine agro-pastoral renferme les trois sources principales de revenus de la montagne ariégeoise : le pâturage loué au bétail « étranger », la forêt alimentant la forge et offrant un terrain de pacage en libérant d’autant le pâturage lucratif, enfin la forge source du plus grand profit. Il en est ainsi à Saint-Paul, Allens, Rabat, Miglos, en Lordadais, sur l’Aston, à Luzenac, au Castelet, à Ascou, à Orgeix, à Orlu, en Donnezan depuis son engagement en 1711, dans le Couserans et sur la terre de Mirepoix.

- Le poids des nobles, propriétaires des domaines sylvo-pastoraux

  • 245 Arch. dép. Ariège, 138 S 5 et archives privées.

115Un seul seigneur ecclésiastique est maître de forges, l’abbé de Foix. Il possède deux forges dans ses domaines voisins de Savignac et de Perles et Castelet. La noblesse par contre est très présente puisque le travail du fer n’entraîne pas de dérogeance. La grande et ancienne noblesse, noblesse de cour, est présente : le marquis de Lordat, gentilhomme d’honneur de Monsieur, le marquis de Rochechouart-Faudoas, seigneur d’Ascou, lieutenant général des armées du roi, les Foix-Rabat, les Sales-Gudanes dont le château est reconstruit en 1750, les Lévis-Mirepoix, la princesse de Robeck, le comte Sabran dans la région de Massat. On trouve aussi des aristocrates locaux : le seigneur d’Allens, le baron de L’Étang, la famille de Miglos, Sirgant d’Ercé, la famille de Roquemaurel, le seigneur d’Alos, Saint-Jean de Pointis dans le Couserans et à Surba, pour ne citer que quelques exemples. La noblesse occupe la place prépondérante. Sur les trente-neuf usines des Pyrénées ariégeoises recensées dans les années 1780, vingt-huit, soit 72 %, appartiennent à des aristocrates. L’étude régionale laisse apparaître cependant une situation plus contrastée. Les huit forges du Couserans ont toutes des propriétaires nobles. Le comte d’Ercé possède les forges d’Aulus et d’Ercé. Son fils, en épousant Mlle d’Alos, devient maître de la forge d’Alos. La Forge vieille d’Oust est à de Roquemaurel, la Forge neuve d’Oust à Mlle de Polignac qui épouse le comte de Chambors. Le vicomte de Pointis dispose de la forge d’Ustou. La forge de Lispartens au Port appartient au comte de Sabran qui possède aussi la forge de Rabat, dans le comté de Foix. La seule exception pourrait être la forge de Canadelle à Boussenac, propriété du comte de Rochechouard qui la vend le 29 décembre 1787 à Prat, habitant de Saurat. En fait, s’en débarrasse plutôt, puisque cette usine en mauvais état ne travaille pas. De plus, Prat achète non seulement la forge mais l’ensemble de la seigneurie de Boussenac245. La situation du diocèse civil de Mirepoix est encore plus simple. Cinq des sept forges appartiennent à des membres de la famille Lévis-Mirepoix. Le marquis de Mirepoix possède quatre usines, celle de Queille, une à Villeneuve d’Olmes, une troisième à Campredon et la dernière au Carla de Roquefort. La princesse de Robecq est propriétaire de la forge de Bélesta et le marquis de Portes de la forge de Manses. La forge de Celles est la propriété du marquis de Létang. La situation est plus complexe dans le comté de Foix. Lors de l’enquête de 1772, 53,5 % des forges appartiennent à des aristocrates, soit quinze sur les vingt-huit usines du comté. Le plus célèbre est le marquis de Gudanes qui a possédé jusqu’à six forges et qui en fait encore travailler trois vers 1786 dans son vaste domaine de l’Aston qui allie l’étendue des forêts à l’exploitation de ses propres minerais, relayés par le Rancié pas très éloigné. D’autres grands seigneurs l’accompagnent, le marquis d’Usson, commandant pour le roi de la province, propriétaire des forges de Mijanès et de Bonnac, le comte de Sabran à Rabat, Bellissen-Durban à Tourné, Lafont de Sentenac, Fornier de Savignac, de Luppé à Niaux, le marquis d’Orgeix, le marquis de Moncassin.

  • 246 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, documents 25, 28, 36.

116Le rôle de la noblesse persiste au XIXe siècle. Il a certes diminué de façon conséquente, mais s’il n’est plus dominant, il n’en demeure pas moins important. Sur les trente-sept forges recensées au début de l’Empire, dix appartiennent à des aristocrates, soit 27 % du total. On retrouve les familles de maîtres de forges de l’Ancien Régime : les enfants Lévis (Campredon et Villeneuve d’Olmes), Fornier de Savignac (Celles), Thonel d’Orgeix, d’Allens, Lafont de Sentenac (Estaniels), le baron de Castelnau, Bellisen-Durban (Tourné), Roquemaurel (Oust), Mme d’Ercé, née Cabalby (Alos), le marquis de Portes (Manses), Saint-Jean de Pointis (Ustou). Mais de grandes familles d’aristocrates maîtres de forges ont disparu : Sales-Gudanes, de Polignac à Oust, Sabran dans le Massatois, le prince de Robecq dont un fils a épousé une fille de la Rochefoucauld en 1761 à Bélesta. En 1812, douze nobles possèdent en tout ou en partie une forge sur les quarante du département, soit 30 % des propriétaires. Viennent s’ajouter à la liste précédente Méric de Moncassin pour la forge de Saint-Paul et de Luppé pour celle de Niaux. Tous deux étaient déjà maîtres de forges avant 1789. En 1824, sur les quarante-sept forges ou projets de construction, dix-neuf sont entre les mains de nobles, soit 40,5 % du total. On assiste aussi à la réapparition d’anciens industriels de l’Ancien Régime : M. de Lordat reconstruit la forge de Luzenac, ou encore de Vendomois, héritier de la famille de Miglos, qui désire rétablir la forge de Junac246. Dans les années 1830-1840, la noblesse possède encore quinze forges, c’est-à-dire environ 30 % des 50 à 57 feux de l’Ariège. L’arrivée la plus remarquable est celle du vicomte Falentin de Saintenac qui fait construire la forge à deux feux du Mas d’Azil en 1836.

- Les roturiers, les bourgeois, les marchands de fer

  • 247 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, fol. 67, 107, 245, 438-448, 587.
  • 248 Arch. dép. Ariège, 2 B 4, fol. 90, 195, 217 ; Arch. dép. Ariège, 2 B 5, fol. 7 ; Arch. dép. Ariège, (...)

117Certaines forges en copropriété sont partagées entre maîtres de forges nobles et bourgeois. Lors de l’enquête de 1772, quatre forges ont plusieurs propriétaires : c’est le cas de la forge d’Orlu, partagée entre la famille d’Orgeix et Abat, ou encore de plusieurs forges de Vicdessos, celles de Cabre, de La Vexanelle à de Ville Bénagues et à Vergniès Laprade ou de la Forge neuve d’Auzat à de Ville Bénagues et à Rouch. Elles représentent 14,8 % des forges de cette époque. Inexistantes dans le Couserans et la terre de Mirepoix sous l’Ancien Régime, des forges bourgeoises ont toujours travaillé dans le comté de Foix, dès l’apparition de la mouline. Au XVIIe siècle, maître Bélesta, notaire royal d’Ax, et les habitants de Mérens possèdent chacun une forge qu’ils tiennent « à titre d’alberge et inféodation » du roi. Des habitants du Bosc, Bernard dit Las Baissas et Jean Roumingou, ont la forge de La Cabirole, dans la Barguillère, inféodée par le roi. Les forges de Vicdessos sont tenues par « plusieurs particuliers de ladite vallée » : Jean Antoine Galy, marchand à Vicdessos, Mathieu Cazes, Bertrand Mantouille, Capoulat Escaich, François Cambon del Sauzel, Jean François Vergniès. Antoine Darnaud de Foix est propriétaire de la forge du Merchandier, près de Foix247. La famille Rousse a une forge sur le ruisseau de Siguer en 1670. Elle ajoute à son patrimoine sidérurgique une forge sur le ruisseau de Suc en 1701 et une autre sur le Vicdessos en 1740. Au XVIIIesiècle, se retrouvent les mêmes forges et, le plus souvent, les mêmes familles. Pierre et Jean Arnaud, marchands ferriers, sont propriétaires de la forge de La Cabirole, puis Étienne Pauly, négociant à Foix ; Jean-Paul Corraze, bourgeois habitant la forge de Lacombe ; Jean-Baptiste Pagès, habitant de Serres, propriétaire de la forge des Esqueranes ; Jean-Baptiste Delpla, négociant de Saurat, possède la forge de La Mouline ; Chambrière, avocat au Parlement, et dame Vergniès, celle de La Vexanelle ; Joseph et Antoine Fabas ont une forge à Siguer248. Dans l’enquête de 1772, 28,5 % des forges appartiennent à des bourgeois, soit huit sur les vingt-huit usines du comté.

118Comment expliquer le poids de la bourgeoisie dans la sidérurgie du comté de Foix ? Il est remarquable que toutes ces forges soient situées dans le haut comté, au cœur de la région sidérurgique, à proximité de la mine de Rancié. Deux sont installées à Auzat, trois à Vicdessos, une à Siguer, deux à Saurat et une dans la Barguillère (La Cabirole). Autre point commun, aucune de ces forges n’est rattachée à un domaine forestier particulier. La forge de Siguer a le droit de charbonner dans les forêts royales, elle recourt aussi au commerce. Les forges d’Auzat et de Vicdessos s’approvisionnent depuis 1347 en charbon grâce à l’échange avec le Couserans et au commerce. Les usines des Esqueranes et de La Mouline exploitent la vallée de Saurat et la vallée de Massat. Elles sont aussi autorisées à utiliser les forêts royales de la Barguillère. Cette autorisation est une source de conflits avec les forges voisines de Foix. La forge de La Cabirole a été créée pour exploiter les forêts de la Barguillère, la forêt d’Andronne, en particulier, comtale puis royale. Outre leur situation géographique, toutes ces forges tenues par des roturiers ont en commun d’avoir été anciennement inféodées par le comte de Foix. Là réside, sans aucun doute, l’explication essentielle. Dès le Moyen Âge, les comtes ont donné à des communautés fortes et actives, à leurs membres les plus dynamiques, la possibilité d’exploiter les atouts dont elles disposaient. Ainsi, les comtes retiraient du fer des revenus non négligeables et maintenaient des populations dans des zones frontières ingrates.

119La situation a évolué au XIXe siècle. L’historiographie nous apprend que la bourgeoisie a tiré profit de la saisie par la Nation des biens des émigrés. Dans les Pyrénées ariégeoises, les acheteurs sont, pour l’essentiel, des personnes dont l’activité est liée au travail du fer. On trouve au premier rang des fermiers de forges : les frères Avignon, acquéreurs de la forge de Bélesta, étaient fermiers de cette forge et de celle de Sainte-Colombe-sur-l’Hers ; Croux acquiert la forge de Queille dont il était le régisseur. Iché, fermier de la forge de Campredon, Guillaume Fonquernie, fermier du martinet, Pierre Debosque, déjà maître de forges et Jean Canal s’associent pour l’achat de la forge et du martinet de Campredon. Le cas de Debosque est révélateur, il est ou devient, dans les années 1795-1797, copropriétaire des forges de Mérial, de Gesse dans l’Aude et de Campredon. Gomma, fermier de la forge de Celles, devient coacquéreur de la forge de Rabat. Quelques maîtres de forges, Pierre Astrié, récent acheteur de la forge et du domaine du Castelet, est adjudicataire des forges de Château-Verdun. Dominique Vergniès Bouischère rachète quatre mois de la forge de La Vexanelle qui appartenaient à son frère. Puis vient le groupe des « négociants ». La plupart sont marchands de fer. Il semble évident qu’ils désirent posséder la source même de leur commerce et multiplier ainsi leurs bénéfices. Certains sont déjà marchands et maîtres de forges. Gomma de Celles achète la forge de Rabat ; son frère, négociant à Ax, devient propriétaire de la forge de Mijanès. Pauly, négociant de Foix, prend la forge d’Oust ; Gabarrou de Lavelanet celle du Carla de Roquefort ; Rousse, négociant d’Ax, celle d’Orlu. Galy aîné, marchand de Massat, acquiert celle de Lispartens. Un notaire, Rodière, achète la forge de Mijanès avec Gomma. Bergasse-Laziroules et Saint-André indiquent comme profession « cultivateurs », lors de l’achat de la forge, bois et montagnes de Rabat et de Gourbit. Mais cette profession est inexacte. En effet, Georges Bergasse-Laziroules, propriétaire de la forge de La Mouline, appartient à une ancienne famille de Saurat et il gère les importantes propriétés de son père. De même, Saint-André appartient à une ancienne famille bourgeoise de Tarascon. Pour apprécier la réalité du transfert de propriété, il est indispensable de se placer dans le moyen terme. Après l’amnistie consulaire, les émigrés cherchent à récupérer leurs biens. La famille Lévis-Mirepoix récupère sans difficulté la forge et le martinet de Villeneuve d’Olmes que la Nation n’avait pas vendus. Les autres nobles devront essayer de racheter les usines avec plus ou moins de succès. Les enfants Lévis-Mirepoix deviennent propriétaires de la moitié de la forge de Campredon en 1810, grâce à divers actes d’acquisition. L’autre moitié reste à Iché, l’un des acheteurs de ce bien national. Le fils de Sirgant d’Ercé rachète la forge d’Aulus, le 30 janvier 1810, pour le prix de 3 000 francs. Elle avait été acquise comme bien national pour 2 550 livres. D’Orgeix et Abat commencent par racheter 1/5 de la forge d’Orlu. Fornier de Savignac retrouve la forge d’Ascou et la vend en 1807 à Gomma. Cette même année, le même Fornier achète la forge de Celles. La Révolution n’a guère entamé la puissance des maîtres de forges aristocrates. Les familles Celery d’Allens, Thonel d’Orgeix, de Luppé, Lafont de Sentenac, Roquemaurel, Bellisen-Durban, Lévis-Mirepoix, Sirgand d’Ercé, Fornier de Savignac, Saint-Jean-de-Pointis, rétablissent leur situation. Certains bourgeois ont profité des biens nationaux pour renforcer leur part dans le travail du fer : la famille Astrié acquiert les forges et les domaines du Castelet et de Château-Verdun. Avignon aîné de Bélesta connaît une belle réussite, un tiers de sa fortune est en biens nationaux. L’exemple le plus éloquent est celui de Jean Croux. Sous l’Ancien Régime, il était commis aux forges, régisseur des forges de Villeneuve d’Olmes et de Queille qui appartenaient au marquis de Lévis-Mirepoix. Il se porte acquéreur de la forge et du martinet de Queille, vendus comme biens nationaux.

  • 249 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, documents 25, 28, 36.

120Les maîtres de forges bourgeois se sont emparés du premier rôle. Au début du siècle, sur les trente-sept forges recensées, vingt-sept appartiennent à des bourgeois, soit 72 % du total. On retrouve les anciennes familles de maîtres de forges de l’Ancien Régime. Les frères Rousse (Siguer et Niaux), Delpla Gouëites (Saurat), Pagès (Saurat), Bergasse-Laziroules (Saurat), Pons d’Arnave (La Cabirole), ainsi que la plupart des maîtres de forges de Vicdessos. Viennent s’ajouter à la liste précédente les acheteurs de biens nationaux que nous venons de rencontrer et que nous retrouverons tout au long du siècle. Avignon aîné, Philippe Gomma d’Ax (Ascou), Gomma Cadet (Urs), Astrié de Gudanes, Astrié de Perles et Castelet, Jauze (Saint-Paul), Gabarrou de Lavelanet, Iché (Campredon), Ané Pescajou (Aulus), Bordes à Oust, Croux à Saint-Quentin. On trouve aussi des hommes qui ont construit leur usine pendant la Révolution et l’Empire, Ruffié à Foix (Planissoles), les frères Fauré à Saint-Pierre-de-Rivière, Fontaine à Montgailhard. En 1824, sur les quarante-sept forges ou projets de construction, vingt-huit usines sont entre les mains de bourgeois, soit 59,5 % du total. On peut ajouter à cette liste les frères Berthoumieu de Toulouse à Rabat, Galy à Massat249. Dans les années 1830-1840, sans surprise, la bourgeoisie renforce son rang, elle possède environ 70 % des 50 à 57 feux de l’Ariège.

- Le cas particulier de Vicdessos

  • 250 Arch. dép. Ariège, 1 B 11, pièces 134-135, partage d’une forge, 17 juin 1684.
  • 251 Arch. dép. Ariège, 1 B 189, pièces 164-167, forge de Capounta, 1768 ; Arch. dép. Ariège, 1 B 268, p (...)
  • 252 Arch. dép. Ariège, 1 C 165.

121En 1772, comme depuis de nombreux siècles, les six forges de la vallée de Vicdessos sont partagées entre plusieurs personnes que les documents nomment « copropriétaires » et « consorts », plus de quinze copropriétaires au total dont certains possèdent des parts dans plusieurs établissements. On rencontre les mêmes familles tout au long de la période à la catalane. Elles sont souvent les héritières de lignées qui sont depuis longtemps dans le travail du fer. Cette « multipropriété » ne se rencontre que dans la vallée de Vicdessos, bien que des associations de deux ou trois propriétaires, à part égale, existent dans le Capcir ou le Conflent. Ainsi, en 1684, Jean-Baptiste Malhaurens possède 2/3 de la forge de Capounta qu’il a hérités de son aïeul. Il les a vendus à Sébastien Galy contre la somme de 3 000 livres. En 1650, François Deguilhem avait acheté la moitié du tiers restant250. Cette usine, au XVIIIe siècle, est divisée en douzièmes dont disposent l’abbé Chambrière, Chambrière avocat, Vergniès Laprade, Galy, Antoine Joulieu, Barbe, Vergniès Majou, Vergniès Dufort, notaire251. La Forge neuve d’Auzat est partagée entre de Ville Bénagues, juge criminel de la sénéchaussée de Pamiers, Bonnair, Tournié. La Vexanelle est au même de Ville Bénagues, à Vergniès et à Tournié, négociant à Vicdessos. L’usine de Laprade à Vergniès Laprade. La forge de Guilhe appartient à Vergniès Bouischère, Deguilhem et Alaman. Vergniès Bouischère possède 5/6 de l’usine, « l’autre sixième appartient à d’autres particuliers dont il l’afferme ». La forge de Cabre est à François Ville et à Lacaze252. Le nombre de copropriétaires pour une même forge diminue au XIXe siècle où les 2/3 de la forge de La Vexanelle appartiennent à Tournié, parmi les autres propriétaires on trouve Vergniès. Il en est de même pour la forge de Capounta à Cambon Cadet et Cie, pour la Forge neuve d’Auzat à Victor Vergniès-Bouichère, puis à Deguilhem et Cie ; la forge de La Prade est la propriété de Jean-Paul Rousse ; la forge de Guilhe appartient toujours à la famille Vergniès Bouischère ainsi que la forge de Cabre. Est-il possible d’expliquer cette copropriété éclatée ? De nombreux maîtres de forges ont des fortunes relativement modestes, or les bourgeois de Vicdessos considèrent que la charte de 1293 les autorise à construire autant de forges qu’ils le désirent ou le peuvent. Cette liberté, pour être utilisée, nécessite des moyens financiers, ce qui peut entraîner l’obligation d’alliances avec d’autres personnes. Ce système a pu aussi se développer à l’occasion de partages familiaux successifs, des héritages dans des familles qui, avec le temps, se sont séparées en plusieurs branches. La famille Vergniès offre un bel exemple de cette évolution. On trouve ainsi des Vergniès Bonheur, Vergniès de La Prade, Vergniès Majan, Vergniès du Fort qui se partagent les forges de Capounta, La Prade, La Vexanelle par exemple.

  • 253 Arch. dép. Ariège, 1B 169, pièces 106-113, forge de Laprade, 1760 ; Arch. dép. Ariège, 1 B 189, piè (...)
  • 254 Archives privées, M. Dusurget.

122Chaque copropriétaire a le droit d’utiliser la forge pendant un temps défini, proportionnel au montant de sa part, c’est-à-dire concrètement qu’il a droit à un certain nombre de feux. Ainsi, 1/12 de la forge de Capounta correspond à 20 feux. Chacun doit impérativement utiliser ses propres matières premières et une tuyère qui lui est personnelle, parce que cette pièce d’un coût élevé s’use sous l’action du feu et s’abîme rapidement. Chaque consort dispose souvent de ses propres outils. L’équipe des forgeurs, par contre, demeure inchangée. Cette copropriété correspondant à un nombre de feux à faire dans un temps précis est source de conflits et les contestations sont nombreuses, surtout si le travail de la forge a été ralenti ou arrêté par des incidents. Autre source de problèmes : le non respect de la durée du temps de travail imparti à chacun. Prétexte aussi à des accusations de vols de minerai ou de charbon, à des reproches d’avoir utilisé une tuyère appartenant à un autre copropriétaire253. Les liens familiaux existant entre les consorts n’atténuent en rien les différends. Les litiges entre les trois frères Vergniès, copropriétaires de la forge de Laprade, en offrent un bel exemple. Pour tenter d’éviter les problèmes, les six copropriétaires de la forge de Capounta ont élaboré et signé le 10 novembre 1768 un nouveau règlement en neuf articles qui codifie leurs rapports. Le temps de travail accordé par douzième reste inchangé : six jours utiles, distraction faite des jours ou du temps des réparations, ou des chômages dus aux aléas climatiques. Le tour de travail est précisé. La veuve de Jean-Baptiste Chambrière commencera « pendant trente six jours de suite pour les six portions douzièmes » qu’elle possède, puis viendront Louis Escaich, en second rang, pendant six jours ; en troisième rang Jean Vergniès Laprade, propriétaire d’un sixième de la forge, pendant douze jours ; Galy ou son fermier et Jean Vergniès Dufort l’occuperont pendant douze jours et enfin Deguilhem pendant six jours (article 1). Chacun des copropriétaires peut céder son temps de travail en tout ou en partie. Le temps qui n’est pas utilisé est perdu (article 2). Celui qui occupe la forge est tenu d’avertir « ses consors des majeures réparations » à faire par un billet signé. « Sans cet avis toutes les réparations qu’il fera resteront pour son compte et ne pourra actionner ses consors pour le remboursement des avances qu’il aura faites ». Tous les copropriétaires doivent se rendre à la forge « pour y délibérer sur les moyens de faire promptement lesdites réparations ». Les réparations qui n’excèdent pas 12 livres doivent être faites sans ces avis (article 3). Dans son souci d’éviter toute contestation, le règlement précise quelles sont les réparations majeures : reconstruction ou « réparations considérables » du réservoir, réfection du mail et de la bogue, remplacement des soucs ou de l’un d’eux, changement de la pierre du mail, des arbres de la trompe et du ceutre. Le temps passé à réparer sera perdu par tous. Mais des délais sont fixés : 24 heures seulement pour le manche du mail, pour mousser la trompe en entier ; deux fois 24 heures pour le « recouvrement des aqueducs ». Toutes les autres réparations seront réputées « menues » et il ne sera pas décompté du temps au copropriétaire qui les aura faites (article 4). Toutes les réparations seront inscrites sur « un livre commun » par l’ouvrier, le foyé ou le maillé s’ils savent signer, « sinon il en sera fait mention au fonds du compte » (article 5). Toutes seront réglées lors d’une assemblée de tous les copropriétaires, selon l’article 3, à la fin de chaque « tour » et chacun des consorts devra payer sans délai « selon la portion qui le concerne » (article 6). Se procurer un manche de marteau est difficile, c’est pourquoi l’article 7 aborde précisément cette question. Chacun des copropriétaires en fournira « un bon pour chaque portion douzième » et celui « qui sera de tour » sera obligé d’en tenir un toujours prêt à la forge afin qu’il ne soit employé que 24 heures pour le placer ; dans le cas contraire, le consort concerné sera privé lors de son prochain travail « d’autant de temps utile qu’il en aura par sa négligence fait employer au-dessus des 24 heures ». La veuve Chambrière commencera à fournir six manches correspondant à ses six portions de douzième et ainsi de suite pour les autres. Les outils de la forge de Capounta sont communs à tous les copropriétaires. Il en sera fait un inventaire signé par tous et ils seront pesés. Les outils sont remis à celui qui doit occuper la forge et il les rendra « à son consort immédiat en même nombre, qualité et poids ». En cas d’excédent de poids, il en sera fait mention par celui qui l’aura fourni sur le livre commun comme réparation (article 8). Dans le neuvième et dernier article, les copropriétaires se donnent la possibilité de modifier ou de compléter ce règlement après une délibération entre eux tous254.

  • 255 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1 à 3, fonds d’Outrelaize (Calvados), affaire des forges du Couserans (...)
  • 256 Arch. dép. Ariège, 1 C 41.

123Lors de la présentation du statut des maîtres de forges, nous avons souvent rencontré les mêmes noms de famille tout au long de la période à la catalane. Par conséquent, à la question « comment devient-on maîtres de forges ? » il est possible de répondre : par naissance et héritage. De véritables dynasties d’industriels se sont constituées. On rencontre ensuite des négociants, des fermiers enrichis qui acquièrent des forges. Enfin, à l’occasion d’alliances familiales, de mariages. Le comte de Chambors, en épousant Mlle de Polignac, devient le maître de la Forge neuve d’Oust255. Une femme peut être maître de forges, Mlle de Polignac, orpheline, mais aussi des veuves qui prennent la suite de leur mari défunt, comme par exemple Claire Vergniès, veuve de Jean-Baptiste Chambrières, héritière d’une partie de la forge de Capounta. La concentration de plusieurs usines entre les mains d’une même personne ou d’une même famille révèle une emprise sur l’activité sidérurgique de la région, comme par exemple, pendant l’Ancien Régime, la famille d’Ercé dans le Couserans, et surtout les Lévis-Mirepoix dans le pays d’Olmes, le marquis de Gudanes qui produit à lui seul jusqu’à un tiers du fer du comté de Foix. Il écrit, en 1764, au ministre Choiseul, « Ma fortune fait celle de la province »256. Des exemples de moindre ampleur peuvent être pris dans la bourgeoisie, comme celui des frères Rousse ou de certains maîtres de forges de Vicdessos. La concentration des usines est moins marquée au XIXe siècle. Certes nous retrouvons les enfants Lévis-Mirepoix ou Astrié, successeur du marquis de Gudanes, mais ils disposent de moins d’usines que leurs prédécesseurs. Le marquis d’Orgeix, propriétaire de la forge d’Orgeix, construit la forge de Bénagues ; la famille de Pointis possède les forges d’Ustou et de Surba. Ruffié ajoute la forge de Planissole (Foix) à celle de Lacombe. La famille Vergniès Bouischère a la forge de Guilhe et celle de Cabre, elle projette d’en construire une autre à Nalzen où elle possède des forêts. Cette emprise est d’autant plus marquée que les forges à la catalane ont des volumes de production très voisins. Seule la durée du roulement de l’usine introduit des différences.

- Le faire-valoir de la forge

124Nobles ou bourgeois, tous les propriétaires de forges ne font pas travailler eux-mêmes leur usine. Certains la régissent directement avec l’aide d’un facteur, d’autres confient la gestion à des fermiers ou la mettent en régie. Le terme de « maître de forges » est ambigu, il désigne à la fois celui qui possède la forge et celui qui est à la tête de l’atelier : le propriétaire de l’usine, le propriétaire-exploitant ou le fermier. L’enquête de 1772 présente une rubrique pour les propriétaires de la forge et une, distincte, pour les exploitants. Au niveau national, la distribution des forges entre faire-valoir direct et fermage correspond à la taille de l’usine et du domaine attenant. Ce critère, logique lorsque l’on considère une petite unité de production directe d’un côté et des unités de tailles supérieures (sidérurgie indirecte) de l’autre, n’est guère opérant dans les Pyrénées ariégeoises puisque les forges à la catalane sont des usines de même taille.

- La gestion directe par le propriétaire

  • 257 Arch. dép. Ariège, 1 C 165, lettre de Gudanes, le 16 juin 1772.

125Le marquis de Gudanes exprime d’une façon saisissante la volonté de diriger personnellement ses trois forges : « Je veux me concentrer dans les détails de ma fabrique »257. En 1772, huit des vingt-huit forges du pays de Foix sont gérées personnellement par leur propriétaire, soit 28,5 % du total. Les seigneurs de la haute Ariège s’occupent eux-mêmes de leurs ateliers, les marquis de Bonnac, de Gudanes, le marquis d’Orgeix, M. d’Allens, le seigneur de Niaux ou les propriétaires de la forge de Capounta. Une nuance est apportée par celles, au nombre de neuf, qui sont « en régie » pour reprendre le terme de l’enquête, c’est-à-dire qu’elles sont dirigées par une sorte de directeur technique, le régisseur ou « facteur », simple employé du propriétaire de l’usine. Elles représentent 32 % de l’ensemble. Les forges en faire-valoir direct constituent donc 60,5 % du total des usines.

- La gestion par un fermier

  • 258 Arch. nat., 436 AP 382, 1735, 1744, 1749.
  • 259 Arch. nat., 436 AP 48, 1746, 1756 ; Arch. nat., 436 AP 366, 1755, 1758.

126Dans l’enquête de 1772, neuf forges du comté de Foix sont affermées, soit 32 % du total. Il s’agit essentiellement des usines appartenant à des nobles, le comte de Sabran (Rabat), M. de Fontillou (Urs), de Rochechouart (Ascou), de Bernon (Saint-Paul), le baron de Miglos (Junac). Il en est de même des deux forges de l’abbé de Foix. La forge d’Orlu, copropriété de Moreau, Abat et de Fontfroide est affermée à Boulié. Il faut ajouter à cette liste trois forges de Vicdessos, La Vexanelle, la Forge neuve d’Auzat. Toutes les forges de la famille Lévis-Mirepoix sont gérées par un fermier, ainsi que celle de Bélesta qui appartient à Louis-François de La Rochefoucauld, duc d’Estissac, ou encore celle de Mlle de Polignac (Oust neuve). La location de la forge est souvent intégrée dans un bail général concernant l’ensemble du domaine du seigneur. L’usine sidérurgique dans ce cas est parfois sous-affermée ensuite par le fermier général. En 1735, Charles de Moly, seigneur de Queille, conclut un bail à ferme de la terre et forge de Queille à Jean Vinié, marchand de Villeneuve d’Olmes, pour six ans (1735-1741), moyennant une rente de 1 800 livres par an. Le 5 octobre 1744, les deux mêmes personnes signent un contrat pour la terre et la forge de Queille, pour six ans, du 1er novembre 1744 au 1er octobre 1750, au prix annuel de 1 650 livres, payables en deux termes égaux, l’un à Pâques et l’autre à la Toussaint. Enfin, le 23 janvier 1749, nouveau contrat entre les deux, toujours pour la terre et forge de Queille, et la somme de 1 400 livres, payables en deux termes, et trois douzaines de chapons258. Berdié est fermier général des forges et montagnes du marquis de Lévis-Mirepoix avec lequel il a passé un « bail à ferme de la Montagne qui comprend forges et martinets à clous à Villeneuve ». En 1759, le domaine de la montagne comprend aussi les forges de Villeneuve et Barthalé et le martinet de Villeneuve259. La ferme des forges et montagne se fait, alors, sur le pied de 21 000 livres annuelles. Vers 1758, le marquis de Mirepoix possède dans ses domaines les forges de Villeneuve, Barthalé, Campredon, la forge d’Ilhat, dite du Carla, et celle de Queille. Le marquis de Portes afferme la terre de Portes, consistant en la forge, deux moulins à eau, trois moulins à vent, la métairie de Roques, une tuilerie et toutes les autres terres dépendantes, ainsi qu’une partie des forêts, pour la somme de 24 000 livres par an. Mais à partir du bail commençant le 1er janvier 1788, il afferme seulement la forge, le martinet et les terres qui en dépendent, quelques prés et un moulin, ainsi qu’une partie de la forêt de Manses. La rente est alors fixée à 11 000 livres par an, en trois paiements. D’autres exemples de baux pourraient être pris pour les forges et domaines du comte de Sabran, ou encore pour les domaines de Perles et Castelet et de Savignac de l’abbé de Foix dont la forge du Castelet est affermée 1 700 livres en 1789.

- Les conditions du fermage

  • 260 Arch. nat., 436 AP 48, 1659.
  • 261 Arch. dép. Ariège, 2 B 2628.
  • 262 Arch. dép. Ariège, E 420, fol. 171-179 verso, 5 mars 1738.
  • 263 Arch. nat., 436 AP 389, forge de Villeneuve.

127Les baux sont conclus ou renouvelés avant l’échéance des précédents. Le propriétaire évite ainsi une interruption de paiement et le fermier, qu’il reste ou qu’il parte, a le temps de prendre ses dispositions. Deux indicateurs, en dehors des modalités techniques, permettent de définir le fermage : la durée des baux et leur montant. Les baux sont de courte durée, 4, 6, 8 et 9 ans le plus souvent. La rente demandée par le bailleur a été en constante augmentation tout au long de la période à la catalane. Ainsi, le 12 février 1627, Louise de Lévis, dame d’Audou, baille la forge de Bélesta à Bernard Clauzel et à Jean Labeur, forgerons, qui contractent envers elle une obligation de 1 200 livres. L’afferme de la forge de Montferrier achevée le 1er octobre 1659, « il s’en retirait de rente la somme de 3 200 livres par an, deux pourceaux, six oies, six chappons et six settiers de blé gabach ». À la même époque, l’afferme de la forge de Villeneuve « donnait de rente toutes les années la somme de 2 760 livres et six settiers de blé gabach » ; celle de la forge de Laprade à Montferrier, 1 500 livres par an, payables en trois termes égaux. À cette date, octobre et novembre 1659, les baux de ces trois forges, arrivés à échéance, n’ont pas été renouvelés260. En 1704, la forge ferrale de La Cabirole paie 10 quintaux de fer chaque année de redevance suivant le fief du 9 avril 1565261. Le 5 mars 1738, Alexandre de La Rochefoucauld afferme pour 4 ans, commençant le 1er novembre 1738, la baronnie de Bélesta, Fougax et L’Aiguillon dont la forge et le martinet à Jean-Baptiste Alizet, de Bélesta, pour la somme de 10 000 livres par an, en deux parts égales, plus 20 setiers de blé au prix de 9 livres le setier et le prêt d’un homme et d’un cheval lorsque le seigneur sera à Bélesta262. Au début des années 1780, l’afferme des forges de Villeneuve, Campredon et Queille se monte à 4 000 livres par an. La forge, la ferrerie de Villeneuve sont affermées le 5 frimaire an VII, pour 6 ans à compter du 1er nivôse an VII pour finir le 1er nivôse an XIII, à Joseph Lacube, notaire à Villeneuve, moyennant 3 000 francs de rente annuelle. Il faut y ajouter la ferme du martinet : 500 francs. Le même Joseph Lacube renouvelle son bail par un acte du 16 germinal an XII pour 2 années qui commencent le 11 nivôse an XIII, 1er janvier 1805, et 3 800 livres payables en quatre parts, de trois en trois mois terme échu, y compris 5 000 charges de charbon à prendre des forêts de Léran, Vilhac, Roubichoux et Baure263. Le 4 pluviôse an VI, Dorothée Sans de Saurat baille la forge de Canadelle à ses frères pour 9 années, moyennant la rente annuelle de 1 000 francs ou quarante-cinq quintaux de fer.

128Les martinets sont aussi affermés seuls, la durée du bail est semblable à celle des forges, mais, logiquement, le montant du bail est beaucoup plus faible. Celui de Villeneuve, avec un pré attenant, est affermé le 1er février 1767 pour 6 années, du 1er janvier 1768 au dernier décembre 1773, pour la rente annuelle de 360 livres par Jean et autre Jean Ribes, cloutiers de Villeneuve d’Olmes. La rente annuelle du martinet se monte à 276 livres (84 livres pour le pré). Les preneurs doivent travailler tout le fer qui leur sera porté par les banalistes. Ils sont tenus, enfin, de faire les réparations nécessaires à l’atelier, à concurrence de 3 livres. Si la réparation excède cette somme, le marquis paiera la différence.

  • 264 Terre de Portes, archives privées, M. Kapfer.

129La forge et le martinet de Manses qui appartiennent au marquis de Portes offre une étude de cas intéressante puisque nous disposons de la série complète des baux de 1775 à 1820. L’afferme de la forge et du martinet de Manses est faite habituellement pour 8 ou 9 ans. Exceptionnellement, un bail est signé le 3 janvier 1792 pour 4 années, commençant le 1er janvier 1792 et finissant le dernier décembre 1795. Les événements révolutionnaires expliquent cette durée plus courte et l’effet rétroactif, deux jours, de la prise d’afferme. De plus, on assiste à un changement de fermier. Le montant annuel des différents baux est en constante augmentation : 11 000 livres par an de 1788 à 1796, 12 000 livres de 1796 à 1803, 16 000 francs de 1804 à 1812 et enfin 17 000 francs annuellement de 1813 à 1820. À cette rente en argent, il faut ajouter des redevances en prestations et en nature à partir de 1792. Chaque année, le fermier devra fournir au marquis 24 piles de bois « rangées en bûchers dans la cour du château » ou 36 stères de bois (18 piles) en 1813 ; à partir de 1804, le prix de la pile est fixé à 10 francs. Puis 12 charges de charbon de bois, et seulement 6 charges dans le bail de 1813. De plus, 40 livres de sucre, puis 50 livres à partir de 1804, 1 quintal de chandelle de bonne qualité, 1 quintal d’huile d’olive fine, un demi-quintal d’huile de lin et 1 quintal de savon. Plus 9 quintaux de fer de la qualité choisie par le marquis, brut, paré ou chevillé, et enfin un cochon gras de 3 quintaux, 12 paires de poules et 12 paires de chapons. Enfin, « toutes les fois que M. et Mme de Portes voudront aller de Portes à Toulouse et de Toulouse à Portes », les fermiers devront fournir un homme et deux chevaux de trait tout harnachés. Ce type de redevances est moins important dans le bail de 1813, et l’obligation de fournir homme et chevaux a disparu. Seule la quantité de métal a augmenté, 10 quintaux soit environ 400 kg de fer. Le paiement annuel est échelonné en trois puis quatre parts égales à partir de 1796, les dates de paiement sont soigneusement indiquées264.

  • 265 Arch. dép. Ariège, E 420, fol. 171-179 verso, 5 mars 1738.
  • 266 Arch. nat., 436 AP 49, 1755, 1758.
  • 267 Arch. dép. Ariège, 12 L 70, pièce 5.

130Les affouages sont un point crucial du bail. Le fermier de la forge de Queille, peut faire couper le bois qui lui sera nécessaire pour faire cuire la mine de la forge « aux arbres dépendant » de la terre de Queille à l’exception des chênes. Les forêts du marquisat de Mirepoix doivent fournir chaque année 5 000 charges de charbon de bois aux fermiers des forges de Villeneuve et Barthalé. Leur exploitation par le fermier ne doit pas les appauvrir. Le preneur, de son côté, cherche à obtenir la meilleure rentabilité. Ainsi, le bail de la forge de Bélesta précise qu’il est permis au fermier de faire du charbon, à ses frais et sans rien payer au seigneur, dans les forêts seigneuriales de tout le bois de hêtre, buis et autre espèce de « gabelle » et des pointes des sapins qui seront vendus aux marchands de bois. De plus, en cas de besoin supplémentaire de charbon, le seigneur s’engage à fournir au fermier du bois de sapin pour faire 1 000 charges par an, chaque arbre sera préalablement marqué « du marteau du seigneur ». Cependant, pour ces sapins, le fermier devra payer 10 sols par charge de charbon. Enfin, le fermier peut faire 200 charges de charbon avec les « dépouilles des arbres exploités par le moulin à scie du seigneur », sans rien payer que la façon265. Depuis 1753, le bail des forges et montagne du marquisat de Mirepoix est passé pour la somme de 21 000 livres parce que, chaque année, les fermiers se sont vus attribuer 2 000 charges de charbon supplémentaires (soit au total 7 000 charges) qui devaient être prises dans la forêt de sapins de l’Agré. Or, en 1758, cette forêt est « épuisée », incapable de fournir le supplément de charbon. En conséquence, les fermiers demandent à ce que la rente soit réduite à 17 000 livres, somme qui était demandée avant 1753, puisque de nouveau 5 000 charges seulement sont fournies266. Le marquis de Portes précise avec un grand soin la partie de ses forêts de Manses qu’il afferme pour l’affouage de la forge et du martinet, fixe avec précision les modalités de l’exploitation, oblige le fermier à utiliser les places de charbonnières qu’il a lui-même choisies pour en faciliter la surveillance, toujours les mêmes dans les différents baux. Le 14 octobre 1792, le district de Quillan passe avec Debosque un bail de 1, 2, 3 ou 9 ans pour la forge de Bélesta, avec 3 prés et 3 terres labourables, contre la somme annuelle de 12 000 livres en assignats, plus le droit de prendre 2 000 charges de charbon dans la forêt de Bélesta. Cette dernière clause n’a pu être tenue parce que la Nation a vendu cette forêt. Le fermier demande donc une diminution de la rente267.

  • 268 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, 1812, 1819, 1824 ou sans date par exemple.
  • 269 Arch. dép. Ariège, 14 M 15, 1821 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 17, 1824-1848.
  • 270 Arch. dép. Ariège, Z° 2226, état des forges du département de l’Ariège, 1810.

131Les enquêtes du XIXe siècle ne donnent guère de précision sur le mode de gestion de la forge. Les demandes de construction ou de conservation de la forge ne s’intéressent qu’aux titres d’autorisation et aux propriétaires. Les états ne dressent que la liste des propriétaires d’usines. La rubrique la plus précise s’intitule : état nominatif des propriétaires ou fabricants268. Un état des forges qui s’approvisionnent aux mines de Rancié donne, cependant, une idée de la répartition des modes de faire-valoir. Ainsi, vers 1820, sur les quarante-trois forges du département, seules cinq sont affermées ou en régie, soit 11,6 % du total. Il s’agit des forges de Saint-Paul dont Jauze de Saurat et d’Anglade sont les fermiers, de La Cabirole avec Capdeville comme fermier, de Château-Verdun avec Espi de Foix, de Niaux avec Rousse de Tarascon. La forge d’Alos, enfin, a un régisseur, Lamarque, maire de la commune. On peut ajouter en 1819, la forge de Mijanès avant qu’Alexandre d’Orgeix et Abat l’achètent à Ollivier ; Astrié d’Ax en est alors le fermier. La présence d’un fermier est notée à Engomer, Lavignes en 1824- 1825. En 1839-1840, la forge de Manses à Jules Paris et Cie ; la forge du Mas d’Azil qui vient d’être construite par le vicomte Falentin de Saintenac, est affermée à Mathieu Marrot ; la forge d’Alos à Félicien Loubières ; celle de Tourné à Castelnau-Durban à André Fournier qui, l’année précédente, était fermier de l’usine d’Engomer269. Incontestablement, l’impression est très nette d’une plus forte et plus attentive présence du maître dans son usine. Le rédacteur de l’état des forges du département de l’Ariège attribue l’amélioration du procédé à la catalane du début du siècle « peut-être aussi au séjour habituel des propriétaires sur leurs forges, qui précédemment y étaient comme étrangers »270. L’expression importante ici est « séjour habituel ».

132Le mode de gestion de l’usine n’offre guère de clef pour comprendre le maintien du procédé direct, d’autant que, au long de son histoire singulière, le statut de la forge a pu changer. De même, un maître de forges peut être à la fois propriétaire d’une forge et fermier d’une autre, à l’image de Rousse ou de Jauze, ou encore diriger personnellement une usine et en bailler une autre comme M. de Fontfroide ou Astrié. De nombreuses combinaisons de faire-valoir sont possibles. Il est bien évident que les modes de faire-valoir ont une forte influence sur les bénéfices que l’on peut attendre du travail du fer. Quel est le plus lucratif de la rente ou du profit ? Les conditions de roulement de la forge sont déterminantes pour donner une réponse, les modes d’approvisionnement en charbon de bois en particulier.

- Les revenus tirés de la sidérurgie

133Il n’est guère possible de décrire avec précision les revenus tirés du travail du fer parce que nous manquons cruellement de comptabilités d’usines. De plus, s’il est intéressant de connaître les bénéfices de telle ou telle forge, il est indispensable de raisonner sur l’ensemble de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises. Mais il est nécessaire, auparavant, de connaître le niveau des investissements obligatoires pour mettre une forge en état de marche et pour l’approvisionner en matières premières.

- Les dépenses : le prix de la construction d’une forge et le fonds de roulement

  • 271 Arch. dép. Ariège, 138 S 8, Engomer, 1812.
  • 272 Arch. dép. Ariège, 138 S 4, Guilhot, 1820.
  • 273 Arch. dép. Ariège, 1 C 165.

134Commençons par un bref rappel du prix de la construction. Au XVIIIe siècle, 5 000 ou 6 000 livres suffisent pour une forge. Tronson du Coudray considère qu’évaluer la dépense à 10 000 livres est exagéré. Il en connaît qui n’ont pas coûté la moitié de cette somme. Muthuon, en 1808, écrit que le coût de la construction est de l’ordre de 20 à 25 000 francs. Il précise immédiatement qu’il s’agit d’un « capital modique ». Cette évaluation est confirmée par l’ingénieur en chef des Mines qui estime qu’une fort belle forge ne coûte pas plus de 20 à 25 000 francs271. Si le coût de la construction augmente au cours du siècle, le prix reste toujours inférieur à 30 000 francs272. Ainsi, en 1835, le devis de la forge de Cabre, construite sous la direction de Jules François, se monte à 28 052 francs. Cette évaluation est aussi celle de Richard, « on évalue à moins de 30 000 francs la dépense d’établissement de toute l’usine non compris la valeur du terrain et celle de la chute d’eau ». Le prix de la construction d’une forge à la catalane est donc relativement peu élevé, à la mesure des possibilités financières pyrénéennes. Mais, pour établir une usine, une autre dépense doit être prise en compte : la mise en activité. En 1772, par exemple, le roulement de la forge de Bonnac demande « d’un bout de l’an à l’autre près de 40 000 livres de fonds »273. Au XIXe siècle, les ingénieurs des Mines considèrent que le capital en roulement ne dépasse jamais 40 000 francs qui ne sont avancés que pendant six mois dans la plupart des cas. Richard le porte à 30 000 francs, essentiellement pour les approvisionnements, que le maître de forges aura récupérés au bout de six mois, grâce à la vente du fer.

  • 274 Tronson du Coudray, Mémoires sur les forges catalanes, op. cit., p. 129-141.
  • 275 Bibliothèque de l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris, M. Chevalier, élève ingénieur, « M (...)

135Une comparaison avec la sidérurgie indirecte, en termes économiques, s’impose parce qu’elle éclaire le choix réitéré de la sidérurgie directe des Pyrénées ariégeoises. Cette comparaison, grand classique de la métallurgie du fer, constitue le cœur des mémoires de Tronson du Coudray. La conclusion de sa démonstration est lumineuse : la forge à la catalane fait gagner « les trois quarts sur les frais d’établissement ». Mais les avantages économiques de la méthode directe ne s’arrêtent pas là, l’économie sur la dépense de charbon « est de la moitié »274. En 1827, Michel Chevalier, le futur grand économiste Saint-Simonien, reprend cette comparaison avec les hauts fourneaux au bois. Le prix de revient de 100 de fer obtenus dans une usine constituée d’un haut fourneau et de deux feux d’affinerie est de 62,70 francs, alors que le prix coûtant de 100 de fer à la catalane est de 40,962 francs seulement. La forge à la catalane exige un capital total de 70 000 francs (prix de la construction et fonds de roulement), qui « n’est au plus que le quart de celui nécessaire pour un haut fourneau et deux feux d’affinerie, 300 000 à 350 000 francs. C’est-à-dire que pour la même quantité de fabrication, le procédé des forges ordinaires exige un capital au moins double de celui nécessaire pour une forge catalane, et produit un bénéfice beaucoup moindre ». L’élève ingénieur complète sa démonstration en faisant une comparaison plus moderne avec la méthode anglaise. Il emprunte les termes de son raisonnement à Héron de Villefosse : le prix coûtant de 100 de fer fabriqué à la houille en France est de 53,66 francs, « on voit que l’avantage est encore ici du côté du procédé catalan et, de plus, pour une même quantité de fabrication, le procédé anglais exige deux fois et demie de capitaux que celui des Pyrénées ». La conclusion est sans ambiguïté : « de tous les procédés connus pour fabriquer le fer, celui du Pays de Foix est le plus avantageux sous tous les rapports »275. Cette affirmation d’un spécialiste est représentative d’une opinion largement partagée. Elle montre à l’évidence que des logiques économiques recevables sous-tendent le choix des maîtres de forges pyrénéens.

- Les revenus et les bénéfices tirés de la forge à la catalane

  • 276 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, commerce des fers.
  • 277 Arch. dép. Ariège, 1 Q 1 090, forge et martinet de Bélesta, 1794-1826.
  • 278 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., tome II, p. 139.
  • 279 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 358-359.
  • 280 J. François, Recherches les gisements, op. cit., p. 53-54, 334-335.

136Le 1er mars 1753, le marquis de Gudanes constate, à propos du compte général de l’entrée et de la sortie des fers du pays de Foix, que « sur près de 2 millions d’affaires en 6 ans, il ne reste aux propriétaires et fermiers des forges qu’une action de 50 000 livres sur 376 000 livres de matière invendue »276. Vers 1790, le revenu annuel de la forge et du martinet de Bélesta est estimé à 4 650 livres277. Puis, dans les années 1810, on estime qu’une forge peut produire jusqu’à 25 000 francs par an. Cependant, un grand nombre de maîtres de forges, ceux qui ne disposent pas, en tout ou en partie, du combustible, ne retirent pas 2 000 francs de leur usine. Le terme moyen du bénéfice retiré annuellement est de 7 811 francs278. Dans la décennie suivante, les forges qui font 1 000 massés par an donnent un profit moyen de 5 600 francs environ. Il s’agit d’un maximum, prenant en compte les conditions d’approvisionnement en charbon de bois les plus favorables. Que le bénéfice ne soit pas plus considérable s’explique par la concurrence qui naît du grand nombre de forges, par le prix élevé des matières premières et de la main d’œuvre, et enfin par les difficultés des transports. Dans les années 1830, toujours pour une forge qui a un roulement de 10 mois ou 1 000 feux, le bénéfice annuel est estimé à 7 000 francs, auquel il faut soustraire les intérêts du capital engagé évalués à 4 000 francs au total, c’est-à-dire que le bénéfice net est de 3 000 francs par an et par forge. Ainsi, sans aucun travail sérieux de sa part, celui qui fait construire une forge et qui la laisse travailler, retire réellement 15 % de son capital. Un maître de forges compétent et actif peut retirer 20 % de l’argent qu’il a placé dans une forge à laquelle il consacrerait tous ses soins et qui ne serait située qu’à une faible distance d’une grande route279. Dans les années 1840 enfin, le bénéfice est évalué aux environs de 3 500 francs. Les experts estiment que ce chiffre pourrait être dépassé si le maître de forges disposait d’avances suffisantes pour acheter des charbons à un prix avantageux. Mais cela arrive rarement. Pour le département, les états statistiques de 1835 à 1842 permettent de calculer le niveau des bénéfices de la sidérurgie. La fabrication du fer a produit un bénéfice net de 283 101 francs en moyenne par an. En comparaison, le bénéfice créé par le parage des fers est de 39 534 francs et celui né du travail des aciers se monte à 286 113 francs. Au total pour l’ensemble de l’activité sidérurgique, les bénéfices annuels se portent à 608 653 francs280. Certes les bénéfices tirés de la sidérurgie à la catalane demeurent difficiles à quantifier avec précision, il est par contre plus facile d’apprécier la fortune des maîtres de forges. Les possibilités financières de ces hommes devraient fournir des indications intéressantes pour comprendre le maintien du procédé direct.

- Fortune et notabilité des maîtres de forges

  • 281 C. Pailhès, Histoire de Foix et de la Haute Ariège, op. cit., p. 139-140 ; pour les Traversier, voi (...)
  • 282 Le choix de Mirepoix, outre la qualité des travaux de Jean Cazanave, ne manque pas d’intérêt pour n (...)

137La métallurgie et le commerce du fer sont le meilleur moyen d’ascension sociale dans les Pyrénées ariégeoises. Enrichis par leur activité ou fonction, marchands, hommes de loi et officiers achètent des terres, mais aussi des forges, souvent après en avoir été fermiers, et en bâtissent d’autres. Par leurs investissements, ils participent ainsi à l’essor industriel. La consécration est l’achat d’une seigneurie qui apporte le prestige, souvent la noblesse et permet de s’allier aux anciennes familles. Les exemples les plus célèbres, tous marchands au XVIe siècle, sont les Fornier, procureurs du roi et seigneurs de Savignac, d’Orlu et de Garanou en 1600 ; les Munyer, surintendants des forêts de la haute Ariège, qui achètent la seigneurie d’Orgeix où leur succéderont les Thonel en 1642 ; les Aymeric qui acquièrent celle d’Orlu en 1573 et les Traversier, très présents dès la fin du XIIIe siècle, anoblis au début du XVIe, qui sont propriétaires de moulins et de forges entre Ax et Tarascon et dans le Vicdessos, seigneurs d’Arnave, Croquié, Allens, Château-Verdun, barons enfin d’Alliat et de Niaux281. La famille Astrié, originaire d’Ax, donne l’exemple d’une longue et puissante lignée de maîtres de forges. Le premier connu est Balthazar Astrié (1643-1715), maître de la forge de Roquefort-de-Sault, père de Jean-Pierre Astrié de La Place, maître de forges à Ax, et de François Astrié qui prend sa suite à Roquefort et dont les héritiers, les Astrié du Castelet, seront aussi maîtres de forges et acquerront de la Nation le domaine du Castelet. Au milieu du XVIIIe siècle, les maîtres de forges de Vicdessos, qui ont acquis toutes les bonnes terres de la vallée, déplacent leurs investissements vers la vallée de l’Ariège, mais aussi vers Pamiers, tels les Ville devenus seigneurs de Bénagues, ou même vers l’Espagne. La Révolution et les biens nationaux offrent une belle occasion de promotion. Avignon aîné de Bélesta, fermier de forges, connaît une belle réussite, un tiers de sa fortune est en biens nationaux. L’exemple le plus éloquent est celui de Jean Croux. Sous l’Ancien Régime, il est commis aux forges, régisseur des forges de Villeneuve d’Olmes et de Queille qui appartiennent au marquis de Lévis-Mirepoix. Il se porte acquéreur de la forge et du martinet de Queille. En l’an XI, il possède 40 000 francs de capitaux dont les deux tiers sont en biens nationaux. La puissance de l’industrie sidérurgique se marque donc par le rôle déterminant qu’elle a joué dans l’ascension sociale de nombreuses familles. Malgré les exemples que nous venons de donner et qui concernent uniquement la fonction de maîtres de forges, peu d’études sur cette question ont été réalisées. Elles sont encore moins nombreuses sur les familles qui sont restées marchands de fer. Nous disposons pourtant de l’exemple de la réussite sociale de la famille Malroc à Mirepoix, au XVIIIe siècle, anoblie par leurs charges et dont les revenus sont du niveau d’un parlementaire toulousain. L’aïeul des Malroc, Jean, négociant en objets de fer est à l’origine d’une des plus grosses fortunes, de la région. Son descendant, Guillaume, conseiller du roi, auditeur à la cour des comptes, aides et finances de Montpellier, possède divers domaines, dont la moitié de la seigneurie de Lafage282. Les quelques cas présentés prouvent cependant que la sidérurgie est un levier efficace.

- Les niveaux des fortunes des maîtres de forges

  • 283 J. Sentou, Fortunes et groupes sociaux à Toulouse sous la Révolution, 1789-1799. Essai d’histoire s (...)
  • 284 L. Bergès et M. Cours-Mach, Grands notables du Ier Empire, Ariège-Gers, Paris, 1985, p. 8. L’essent (...)
  • 285 D. Woronoff, L’industrie sidérurgique en France, op. cit., p. 115-122.

138L’essentiel est d’apprécier le rang des maîtres de forges dans le classement des fortunes des Pyrénées ariégeoises. Il est à remarquer que la sidérurgie est la seule activité industrielle présente dans les groupes de notables. On trouve en 1805, des militaires 34 % des notables, des hommes de lois 24 %, des propriétaires terriens 18 %, des maîtres de forges 10 %, des négociants 6,5 %, des membres de l’administration 6,5 %, et des professions libérales 1,7 %. Jean Gabriel Charles Méric de Moncassin dispose d’une fortune de 137 887 francs, qui le place dans la treizième tranche des fortunes toulousaines. Ses biens immobiliers du comté de Foix, dont la forge de Saint-Paul, sont évalués à 80 000 francs et procurent un revenu de 3 200 francs283. La place des maîtres de forges parmi les 30 contribuables les plus imposés du département de l’Ariège pour l’an IX (1800-1801) illustre la puissance de la profession : 7° Pons d’Arnave, 11° Avignon, 13° Delpla, 19° Rousse, 28° Astrié, 29° Bergasse-Laziroules. Si l’on élargit le champ de la comparaison aux « soixante propriétaires les plus distingués », ils sont 11 à exercer cette activité en 1805 et représentent 18 % des notables. Les familles bourgeoises y sont largement majoritaires (huit contre trois d’origine noble), et pour la plupart établies dans le pays de Foix. Les fortunes de tous les maîtres de forges ne sont pas connues, mais sur les 7 estimées avec précision, 3 représentent un capital compris entre 150 000 francs et 200 000 francs, et 2 atteignent 300 000 francs. Si aucune de ces familles n’est titrée par l’Empire, seront anoblies sous la Restauration : Astrié et Delpla-Goueïtes, et les Thonel d’Orgeix recevront en 1816 le titre de marquis284. Le nombre de maîtres de forges déclarés est réduit de moitié en 1813. Mais ces listes ne sont pas un reflet fidèle de la réalité. En effet, de nombreuses personnes figurant dans la catégorie des propriétaires terriens, dans celle des fonctionnaires et dans celle des négociants, sont aussi propriétaires de forges. Des militaires, comme Celery d’Allens ; des fonctionnaires, tel Fornier de Savignac, par exemple, préfet de l’Ariège du 14 juillet au 15 août 1815, sont maîtres de forges. Il en est de même pour les négociants Rives et Domec ou pour les hommes de loi Pons d’Arnave ou Saint-André. On est frappé, sans être vraiment étonné, par la concentration des fortunes dans la haute Ariège, autour d’Ax, de Tarascon, de Vicdessos, terre d’élection de la sidérurgie. La richesse des maîtres de forges est manifeste dans les zones de forte concentration métallurgique. Il existe des lignées familiales nobles comme bourgeoises qui, malgré de multiples activités ou sources de revenus, restent fidèles au travail du fer au long des siècles. Ces familles ont créé des liens matrimoniaux entre elles, renforçant leur poids dans l’industrie sidérurgique. Le niveau des fortunes des maîtres de forges ariégeois les situe dans la cohorte des fabricants d’envergure moyenne de l’ensemble de la France285.

- La notabilité et l’influence politique

139Au pouvoir économique, il faut ajouter le pouvoir politique. La noblesse des maîtres de forges domine les États de Foix. De la même manière, les grandes familles nobles priment dans le Couserans et le pays d’Olmes. Au niveau local, les maîtres de forges bourgeois règnent sur le consulat de Vicdessos ou de Saurat. Cette puissance est symbolisée par le château et la maison bourgeoise à l’aspect imposant qui contraste fortement avec les autres habitations. Le XIXe siècle, malgré les changements de régimes, confirme et renforce l’influence politique de ces hommes, tant au niveau local qu’à un niveau plus large. Les maîtres de forges sont massivement présents sur les listes électorales du système censitaire. Le vicomte Falentin de Saintenac, la plus grosse fortune du département avec 4 000 francs de cens, est maire de Pamiers, la plus grande ville de l’Ariège. Jérôme-Stanislas Astrié de Gudanes est un personnage considérable de la haute Ariège, maire des Cabannes, anobli le 3 avril 1824. Même parcours pour François-Georges Delpla-Goueites, maire de Saurat, anobli en 1816. Derrière eux, on dénombre seulement quelques dizaines d’électeurs pour le haut pays de Foix. En 1826, le canton d’Ax compte 16 électeurs, 15 pour la seule ville d’Ax, maîtres de forges et propriétaires, et un pour Perles-et-Castelet : Pierre Astrié, maître de forges. Le canton des Cabannes compte 3 électeurs : Jean-André Anglade, fermier de forge (en 1830 Clément Anglade, propriétaire, maître de forges, ancien juge de paix) ; Jérôme-Stanislas Astrié, maître de forges, Jean-François Gomma, maître de forges à Urs. 13 électeurs pour le canton de Tarascon, dont 8 pour le chef-lieu avec le maire Paul Rousse, Pons d’Arnave et Saint-André, Georges Bergasse-Laziroules, ancien député à Rabat ; François-Georges Delpla-Goueites à Saurat ; Guillaume Pagès à Saurat et François-Stanislas Celery d’Allens d’Arnave. Enfin, le canton de Vicdessos compte 5 électeurs, tous maîtres de forges : François-Louis Rousse à Siguer et les quatre autres à Vicdessos, Tournier et la famille Vergniès Bouischère. On dénombre 71 électeurs seulement pour la haute Ariège (sur un total de 359 pour l’ensemble du département), loin derrière la sur-représentativité du bas pays et ses 182 électeurs pour les seuls cantons de Pamiers, Mirepoix, Saverdun, Le Fossat et Le Mas d’Azil.

140Les maîtres de forges sont omniprésents au niveau local, monopolisant les fonctions de maires et de conseillers municipaux. Presque tous ont été, à un moment ou à un autre, maire de leur commune, même ceux qui, comme Jean Croux, maire de Saint-Quentin, préfèrent s’occuper de leurs affaires plus que de politique. Ils sont aussi très présents au niveau du canton et de l’arrondissement qu’ils président souvent, à l’instar d’Avignon pour le canton de Bélesta, de Bellissen-Durban pour celui de Labastide de Sérou, de Rousse président du canton de Tarascon, dont le frère Jean-Paul est « l’homme fort ». Ils sont nombreux au Conseil général, Celery d’Allens, Vergniès Bouischère ou encore Michel, conseiller général du canton de Saint-Girons. Thonel d’Orgeix, conseiller général du canton d’Ax, profite de son influence politique pour essayer de désenclaver sa région, c’est à lui que l’on doit le prolongement de la route de Tarascon à Ax. Certains cumulent les fonctions à l’image de Lucien Saint-André qui est maire de Tarascon, conseiller général et viguier de la vallée d’Andorre. D’autres, moins nombreux, se retrouvent au niveau national, le marquis de Portes, membre de la Chambre des Pairs, Fornier de Savignac et Falentin de Saintenac, membres de la Chambre des députés.

  • 286 C. Pailhès, Histoire de Foix et de la Haute Ariège, op. cit., p. 139-140.

141Grâce à la forge, mais aussi grâce à l’exploitation de leur patrimoine foncier, à la spéculation sur l’élevage par la gazailhe (véritable instrument de prêt à intérêt), au produit des moulins et des scieries, les nobles et les bourgeois, négociants, notaires, avocats acquièrent la maîtrise de la vie économique tout en monopolisant les fonctions politiques. Cette emprise sociale, accompagnée par l’accaparement des meilleures terres et même de l’activité pastorale, contribue à aggraver les conséquences du surpeuplement des Pyrénées ariégeoises. Mais par contre, elle explique en partie la grande vitalité des petits centres locaux (Tarascon, Saurat, Vicdessos, Ax, etc.)286. La fortune des maîtres de forges (son niveau et sa composition), les modes de gestion des forges offrent donc quelques éléments sociaux et économiques qui dévoilent des logiques permettant de mieux comprendre le choix réitéré de la méthode directe (les gains qu’elle apporte, les revenus qu’elle permet de distribuer, le prestige qu’elle confère) et son maintien dans la longue durée.

3/ Une industrie qui innerve la société montagnarde

142La forge et la forêt sont deux des piliers de l’économie des Pyrénées ariégeoises, sources de profits pour les notables, de revenus pour les hommes de la forge, à la fois paysans et ouvriers. Nous avons tenté d’explorer les logiques techniques, économiques, environnementales grâce auxquelles il est possible de comprendre la fidélité renouvelée au procédé direct. Nous avons aussi commencé à étudier les logiques sociales qui éclairent son maintien, en montrant la puissance des industriels dans cette région montagneuse et en mettant en valeur la qualité des savoir-faire, irremplaçables pour certains, des travailleurs professionnels (forgeurs, mineurs, charbonniers), et la place que les uns et les autres occupent dans la société rurale. Nous avons aussi évoqué les possibilités de pluriactivités données à des paysans, ouvriers occasionnels. Il est nécessaire maintenant de nous arrêter plus longuement sur cet aspect qui contribue fortement à l’attachement des Pyrénées ariégeoises à la sidérurgie directe. La forge à la catalane, économe en combustible, capable de se maintenir dans un environnement dégradé, produisant dans des conditions économiques acceptables un métal réputé et recherché sur un marché concurrentiel interrégional et, pour certaines qualités, national, correspond aussi aux besoins vitaux d’une société rurale pauvre et surpeuplée qui lui doit en grande partie de pouvoir survivre grâce au travail qu’elle offre. La sidérurgie est une source d’activités complémentaires pour l’ensemble de la société rurale.

143Est-il vraiment nécessaire de rappeler l’exiguïté des exploitations ? La poussée démographique, qui atteint son maximum au XIXe siècle, s’accompagne de défrichements (artigues) de plus en plus à la limite des terroirs cultivables, faits aux dépens de la forêt, grignotée sur ses lisières et dans ses clairières. De ce contexte contraignant naît la nécessité d’ouvrir de « multiples soupapes de sûreté » selon la formule de Jean-François Soulet, qui peuvent être des pratiques malthusiennes (célibat, vocations religieuses, coutume successorale), le fait de profiter des possibilités offertes par l’Espagne, des solidarités entre les hommes des deux versants, et surtout de mettre à profit la diversité des ressources de la montagne (chartes communales, privilèges, accès à la forêt, étendue du domaine pastoral communautaire, défrichements), les activités d’appoint (appel de main-d’œuvre même modeste) offertes par l’industrie, l’artisanat à des spécialistes ou non, l’exploitation forestière, les mouvements migratoires enfin. C’est, à l’évidence, dans ce cadre qu’il faut apprécier l’impact de la production du fer par le procédé direct dans la société des Pyrénées ariégeoises.

  • 287 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, statistique industrielle, arrondissement de Saint-Girons ; Arch. dép. A (...)

144Seule la sidérurgie à la catalane, créatrice de richesses, offre une respiration à la société montagnarde aux fortes tendances autarciques. Pendant l’année 1814, les forges du département ont occupé 300 ouvriers ; 396 ouvriers forgeurs et 991 ouvriers du fer au total dans 83 usines en 1832- 1833. De 1835 à 1842, la sidérurgie à la catalane a employé, chaque année, 420 mineurs, 530 charbonniers, 595 ouvriers métallurgistes. Si nous considérons l’aspect financier : l’extraction du minerai crée une valeur de 172 300 francs, le charbonnage produit une richesse de 642 720 francs, les salaires des ouvriers se montent à 371 649 francs, les transports à l’usine et l’exportation des fers à 848 300 francs par an. La production représente 2 394 251 francs. Cette industrie donne, pour le travail des fers marchands, un bénéfice annuel de 850 451 francs. Il faut ajouter le parage des fers bruts, 61 960 francs, et le travail des aciers, 315 116 francs. Il est, enfin, nécessaire de joindre à ce bilan la valeur découlant des transports des fers bruts à parer ou à cémenter, des charbons de terre, puis l’exportation des fers et aciers marchands, le parcours pris en compte est celui qui reste dans les limites du département, soit 169 200 francs. En 1845, selon les maîtres de forges ariégeois, l’activité sidérurgique emploie dans les départements de l’Ariège, de l’Aude et des Pyrénées-Orientales 1 200 ouvriers mineurs, 1 200 rouliers ou muletiers, 300 forgeurs, 10 000 martinéteurs, ouvriers pour les faux et limes ; les propriétaires de forêts vendent annuellement 500 000 stères de bois287. Cette puissance industrielle ouvre des possibilités de suppléments (souvent les seules entrées de numéraire) à une agriculture de subsistance repliée sur elle-même, arc-boutée sur ses droits d’usage.

- Par les revenus qu’elle distribue autour de la forge et du travail du fer

  • 288 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 136-137.
  • 289 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, document sans date (vers 1740-1750) sur l’exploitation des eaux et des f (...)
  • 290 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, mémoire de Vincens de Ville, seigneur de Bénagues, 25 février 1745.

145Le tableau dressé en 1669 par Louis de Froidour, administrateur venu de l’extérieur et homme désireux de connaître la société dans laquelle il doit intervenir, donne toute la mesure de la place de la sidérurgie dans les Pyrénées ariégeoises, et reste vrai pour l’ensemble de la période à la catalane : « c’est en la culture des mines, que consiste toute la richesse dudit pays, le fer étant la seule denrée qui peut y attirer de l’argent et qui donne à vivre à plus de dix mil personnes qui sont employées les unes à tirer la mine, d’autres à la transporter, d’autres à façonner le fer dans les forges, d’autres à le débiter et le transporter pour le vendre dans les provinces de Languedoc, de Guyenne, et d’autres pays circumvoisins. De manière que le pays estant fort peuplé et le commerce du fer y ayant attiré quantité de monde. Si la mine de fer venait à manquer les habitants dudit pays seraient contraints estants réduits à la dernière misère de sortir du dit pays pour trouver ailleurs de quoi subsister d’autant plus qu’il est accablé de dettes »288. L’alternative est clairement indiquée d’une façon dramatique : ou le travail du fer perdure et se développe ou l’émigration définitive devient inévitable. La sidérurgie à la catalane vivifie l’ensemble de la société agro-pastorale. Dans le haut pays « le peuple ne subsiste donc que par l’exploitation des mines et le travail des forges »289. L’explication est simple : « le commerce des fers est la seule ressource tant pour les habitants de la vallée de Vicdessos que pour ceux de la province de Foix et de celle du Languedoc, non seulement pour payer les charges au Roy, mais même pour pouvoir faire subsister leurs familles. Il y a plusieurs forges construites dans l’une et dans l’autre province d’où le menu peuple retire tous les avantages, aussi plusieurs seigneurs de ces deux provinces crûrent-ils, en 1720, que pour augmenter le bonheur du peuple ils devaient construire de nouvelles forges »290.

  • 291 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, statistique industrielle et manufacturière du canton d’Ax, 1811-1812-18 (...)
  • 292 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, forge de Bonnac.
  • 293 Arch. dép. Ariège, 138 S 5, forge de Brassac.
  • 294 voir par exemple : Arch. dép. Ariège, 138 S 28, Cabre, avis et arrêté du préfet du 12 août 1825 ; A (...)

146Il est indispensable, pour avoir une idée plus précise, de rester au plus près de l’usine. Une forge commande de nombreuses activités de charbonnage et charriage en amont, de transport, de clouterie et travaux métallurgiques en aval, créant un véritable tissu industriel. Les ouvriers professionnels de la sidérurgie à la catalane, mineurs, forgeurs et charbonniers, donnent l’impulsion à cette industrie et assurent sa puissance, puisqu’ils sont à l’origine du métal qui assure la pérennité de la vie de la société. Hors de la forge, le jeu entre professionnels et occasionnels est toujours ouvert en fonction des besoins de l’usine, formidable atout social du procédé direct grâce à la dispersion géographique des forges. Il n’est guère possible de quantifier le courant vivifiant que déverse la sidérurgie, que ce soit pour recenser les personnes employées ou pour calculer le montant global des sommes d’argent introduites dans la montagne. À la rubrique « nombre d’ouvriers travaillant isolément pour leur compte », le rédacteur de la statistique du canton d’Ax constate : « Il est difficile d’établir la valeur. Souvent le propriétaire ne peut l’établir lui-même au juste : le nombre variant suivant le travail dans cette localité », cette réponse concerne les forges d’Ascou, du Castelet, d’Orgeix et d’Orlu291. Cette main-d’œuvre présente plusieurs caractéristiques : elle rassemble des ouvriers qui travaillent toujours à l’extérieur de la forge, elle concerne systématiquement des paysans, elle mélange des professionnels pour qui le charbonnage et le voiturage tendent à devenir l’activité principale et des travailleurs occasionnels pour qui ces activités ne sont que l’un des aspects de leur pluriactivité. Le plus souvent, les professionnels viennent de l’extérieur alors que les intermittents de la forge sont des locaux qui renforcent périodiquement les travailleurs à temps plein de l’usine. En 1749, le marquis de Bonnac explique que l’établissement de la forge qu’il désire ériger « sera encore d’un avantage très considérable… parce qu’[elle] fournira au suppliant l’occasion de faire travailler plus de mille habitants de son marquisat et des environs qui sont pour la plus grande partie de l’année sans occupation, en les employant soit à couper les bois, les façonner, charbonner, transporter, soit à tirer et voiturer la mine, soit aux manœuvres de la forge et au transport et le débit des fers qui en proviendront, ce qui en répandant de l’argent dans les environs, augmentera le débit et la consommation des denrées »292. Quelques années plus tard, en 1769, le seigneur de Brassac fait valoir que la forge dont il demande l’autorisation « procurerait un avantage réel pour le commerce en général et pour les habitants de Brassac en particulier… dans le pays de l’univers le plus serré et le plus peuplé ». Cet argument emporte la décision de l’intendant qui donne un avis favorable à sa demande de construction293. Cette faculté de la sidérurgie à la catalane à dynamiser la société rurale est si reconnue que, lors de l’instruction des demandes de construction ou d’agrandissement de forges, l’administration compte systématiquement parmi les considérants favorables l’apport de « nouveaux moyens de subsistances pour les habitants de [la commune] et les populations voisines » ; même s’il s’agit d’un modèle administratif, cet argument est décisif, à tel point qu’il est repris pour les communes de la plaine. Le 3 avril 1840, le maire de Saverdun à propos du projet de forge à la catalane et aciérie : « je m’empresse de déclarer que cet établissement est vu avec satisfaction par les habitants de cette commune qu’il peut contribuer au développement rapide de ses intérêts matériels, et qu’en introduisant un peu de mouvement et d’esprit industriel dans un canton jusqu’ici exclusivement adonné aux travaux de l’agriculture, il peut être pour l’avenir du pays une source féconde de ressources et une cause nouvelle de prospérité »294.

  • 295 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., t. 2, p. 139.
  • 296 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, enquête sur le travail de 1848, cantons des Cabannes, de Foix.

147La place essentielle et unique de la forge tient donc au fait qu’elle est une des rares activités à offrir la possibilité d’une occupation supplémentaire à une population rurale de plus en plus nombreuse qui cherche à tout prix à vivre en autarcie. Toutes les monographies d’usines concordent : aux 8 forgeurs, ouvriers internes, systématiquement présents dans une forge à la catalane, avec un commis et un garde-forge, s’ajoutent les ouvriers externes, charbonniers, muletiers, voituriers, charrieurs, traginiers, dont le nombre, difficile à apprécier, dépend du temps de roulement de la forge et de ses périodes de travail par rapport au calendrier agricole. Ce nombre peut varier d’une cinquantaine à une centaine de personnes, des paysans qui vivent à proximité de l’usine et qui, charbonniers ou transporteurs occasionnels, participent aussi à l’approvisionnement de la forge en combustible. Selon Dralet, une forge emploie 112 personnes : ceux chargés de couper le bois, de fabriquer le charbon, de le transporter ; ceux occupés à l’extraction ou au charroi du minerai ; ceux qui transportent le métal, et ceux qui transforment le fer en barre en « diverses marchandises ». Il ajoute à la liste les hommes qui entretiennent les bâtiments, les outils et harnais, et enfin ceux qui fournissent les vivres et parvient, en réalité, au total à 120 ouvriers295. Au tout début du XIXe siècle, sur cette base, on peut admettre que la métallurgie des Pyrénées ariégeoises occupe environ 7 000 montagnards pour une population qui se situe alors autour de 220 000 habitants pour l’ensemble du département et environ 130 000 pour sa partie montagneuse. À l’échelle du temps et de la région, ce n’est pas négligeable ! Vers le milieu du siècle, dans le canton des Cabannes, « Indépendamment des vingt hommes [forgeurs, commis et gardes forge], les deux forges occupent un grand nombre de charbonniers, de voituriers pour le transport des mines et dans l’ensemble répandent parmi tous les ouvriers qui s’y occupent plus de 60 000 francs ». Le canton de Foix apporte quelques rares précisions : en plus des forgeurs, chacune des forges emploie 100 « individus muletiers, charbonniers, mineurs ou rouliers en tout environ 800 hommes »296.

  • 297 Arch. dép. Aude, L 791, renseignements sur les forges à la catalane du district de Quillan, 12 mess (...)

148L’étude de cas d’une forge permet de mieux comprendre comment la sidérurgie parvient à tisser sa toile d’araignée sur la société rurale. Cette description concerne la forge de Bélesta, mais elle est présentée par son auteur comme pouvant être étendue à toutes les forges du district. En plus des 8 ouvriers forgeurs, venus de la région de Tarascon, cette usine dispose de 25 à 30 charbonniers ou bûcherons dont le nombre varie « un certain temps de l’année ». Elle donne du travail « à beaucoup de voituriers qui transportent la mine de fer de Tarascon (marché de la mine de Tarascon), les voituriers qui l’achètent dans ce dernier lieu, et qui vont la vendre à la forge de Bélesta, sont de la vallée de Lesponne, des villages de Saint-Paul, Celles, Saint-Cirac, Roquefixade et autres lieux voisins », c’est-à-dire de communes situées sur le trajet entre Tarascon et Lavelanet-Bélesta. Indépendamment de ces voituriers, le fermier est obligé d’avoir 6 ou 9 mulets au moins et 2 ou 3 conducteurs pour le transport du charbon, l’évacuation des fers et pour les approvisionnements en vin, grains etc., bref tout ce qui est nécessaire à « l’entretien tant des individus que des bêtes de somme ». Il faut en outre que le fermier « s’aide pour les transports (presque tous à dos de mulet à cause de l’inégalité des terrains et défaut des chemins) des bêtes de somme des villages et hameaux voisins tels que chevaux, mulets et ânes appartenant à divers particuliers auxquels on paye un salaire convenu »297. Il est possible de prolonger cette présentation quelques dizaines d’années plus tard. La statistique industrielle du canton de Lavelanet indique la valeur des produits qu’établissent les « ouvriers travaillant isolément pour leur compte » :

Les ouvriers externes des forges du pays d’Olmes en 1811, 1812, 1813

forge

ouvriers
1811

valeur
(francs)

ouvriers
1812

valeur
(francs)

ouvriers
1813

valeur
(francs)

Villeneuve

44

65 000

40

58 500

36

52 650

Bélesta

44

65 000

40

58 500

36

52 650

Campredon

44

65 000

40

58 500

36

52 650

Carla

22

33 400

20

30 060

18

27 054

  • 298 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, statistique industrielle du canton de Lavelanet, 1811, 1812, 1813.

149Les observations qui accompagnent ces chiffres précisent que le nombre des ouvriers, il s’agit des charbonniers et des voituriers, varie et qu’ils sont « disséminés dans les communes rurales », sans plus de détails. Le prix moyen de la journée de ces ouvriers est de 1,25 franc pour les charbonniers, de 2 francs pour les voituriers avec les chevaux298.

  • 299 Jean Terson. Mémoires d’un apôtre Saint-Simonien, op. cit., p. 36.
  • 300 P. Morère, « L’Ariège avant le régime démocratique. L’ouvrier. - II. Les forgeurs », Bulletin de la (...)

150Il est un peu artificiel de séparer les différentes activités des ouvriers intermittents, c’est pourtant la meilleure façon de montrer la grande variété des tâches et leur extrême volatilité temporelle. Elles exigent des compétences et des savoirs variables, tous les paysans peuvent y trouver une place. Ainsi, ceux qui charbonnent, près de chez eux la plupart du temps quand ils habitent un village où se trouve une forge, plus loin dans le cas contraire, font vivre les personnes qui sont à leur charge. Les charbonniers rencontrés par Jean Terson dans les années 1830 « formaient deux familles dont les femmes, enfants et vieillards caducs ou infirmes habitaient le village au nombre d’une quinzaine de personnes »299. Mais surtout, ils offrent du travail à leurs proches et aux autres, essentiellement le transport du charbon fabriqué. En effet, « faire cuire » le charbon exige un savoir-faire que tous ne possèdent pas, par contre tous sont capables de porter le combustible, à dos (charrieurs) ou avec des bêtes de somme. Si le charrieur connaît mal la véritable contenance du parsou de la forge qu’il livre, il ne reçoit pas le salaire, bien faible, de 75 centimes à 1,25 franc par jour, qui devrait lui revenir après un effort aussi pénible, surviennent alors d’âpres discussions avec le commis de forge qui cherche à le duper, parfois même des procès. Des femmes aussi portent le charbon sur le dos, elles sont payées bien souvent à raison de 0,10 franc par voyage. À la forge d’Orgeix, elles arrivent à faire 8 à 9 voyages par jour. Femmes de charbonniers, parties à pied de leur village, Rabat ou Saurat, elles ont emporté dans leur besace des pommes de terre et du pain de seigle. Elles rentrent chez elles après une saison, sans avoir dépensé un sou, rapportant toutes leurs âpres économies300.

  • 301 Arch. dép. Ariège, 14 M 171, forge d’Engomer, 1824-1825.
  • 302 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, forges et martinets du canton de Foix, 1811-1812-1813.
  • 303 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, arrondissement de Pamiers, 1811-1812-1813.

151La « voiture » d’une forge est plus complexe, au point « que l’on ne saurait fixer, même approximativement le nombre de voituriers, tous réunis ils s’élèveront peut-être à 200 » à la forge d’Engomer, ce qui paraît exagéré. « Un tiers d’entre eux conduit trois bêtes de somme, les deux autres tiers en conduisent seulement un ou deux. Le premier tiers se compose de mulets qui vont dans les coupes les plus éloignées et portent chacun deux sacs. Ils reçoivent 1,50 franc par sac, chaque mulet fait donc une journée de 3 francs. Le deuxième tiers est composé de petits mulets ou d’ânes très forts qui portent un sac et demi, ils vont également dans les coupes éloignées à 1,50 franc par sac. Le restant est ce qu’on appelle « la petite voiture » composée de bourriques. C’est la voiture du pauvre, celle de toute la Balaguère, d’Engomer et des environs ». Si des hommes conduisent les deux premières voitures, il suffit de jeunes filles ou d’enfants pour la dernière, ils ne portent qu’un sac et un quart. S’ils se rendent parfois dans les coupes éloignées, ils ne s’occupent le plus souvent que des plus proches. Cette voiture touche de 1 franc à 1,02 franc par sac. « Le temps qu’elle employe au transport est limité par la quantité de charbon à extraire »301. Les forges du canton de Foix utilisent 50 bêtes pour le transport, prix moyen par bête y compris les journées de 25 conducteurs : 2 francs302. À ces trois types de voiture, s’ajoutent pour les forges les mieux situées, desservies par une route, des rouliers. La forge de Manses emploie une cinquantaine d’ouvriers (bûcherons, charbonniers, voituriers, rouliers) dont beaucoup appartiennent aux communes environnantes303.

  • 304 R. Garmy, La « Mine aux mineurs » de Rancié, 1789-1848, op. cit., p. 231.
  • 305 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, 1781-1783, affaire Montgrenier.

152Les renseignements sur le transport du minerai sont un peu plus nombreux parce que ce commerce est très concentré, exclusivement celui du minerai de Rancié. Les voituriers sont d’abord natifs de la vallée de Vicdessos elle-même. La mine est une source de revenus que les personnes écartées de son exploitation entendent bien mettre à profit. Les villages les plus proches s’étant réservé la fonction de mineurs, seul le transport du minerai reste possible. Certes, Sem, placé sur le chemin entre la mine et Vicdessos, fournit à la fois des mineurs et des muletiers. Mais la plupart des voituriers viennent de Lercoul, de Laramade, d’Illier et de diverses autres communes du canton, spécialisées dans le transport par muletage du minerai et du charbon. Le tiers des habitants de Suc et Sentenac, qui est situé sur le chemin de l’échange avec le Couserans, est constitué de voituriers, d’après les registres paroissiaux. En 1851, d’après le recensement, il y a encore 10 voituriers à Suc. Mais beaucoup de muletiers qui travaillent pour le compte des magasiniers ou des maîtres de forges sont les femmes et les enfants des mineurs : vers 1840, ils possèdent les quatre cinquièmes des bêtes de somme de la vallée304. De plus, il arrive que des veuves de mineurs achètent des mulets et s’occupent du transport du minerai. Au XVIIIe siècle, dans le cadre de l’échange, 300 mulets conduits par 130 personnes sortent tous les jours de Vicdessos pendant 9 mois de l’année, traversent la montagne pour se rendre dans le Couserans par les ports de Lhers et de Saleix305.

  • 306 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, affaire de Niaux, informations du 9 août 1756.
  • 307 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 622.
  • 308 Arch. dép. Ariège, 14 M 183, 3ème trimestre 1872.
  • 309 Arch. nat., F14 8986.

153Autre grand axe de muletage, complété à partir de 1757 par le roulage, le transport vers Tarascon et les forges éloignées de la vallée à partir des magasins de Cabre. Première constatation, les femmes sont toujours présentes. Sur les 32 voituriers qui s’arrêtent à la forge de Niaux et transportent du minerai, un jour de l’été 1756, 13 sont des femmes (40 % du total), c’est dire l’importance de la main-d’œuvre féminine dans cette activité. Toutes et tous sont originaires de communes de la vallée de Vicdessos, 7 de Sem, 3 des Espasses (Capoulet), 6 de Junac, 1 d’Arconac, 4 de La Ramade, 3 de La Pujade (Niaux), 1 de Vicdessos et 1 de Goulier306. Ce trafic est entre les mains des voituriers à bât de Laramade, Niaux, Capoulet, Junac et Miglos et des rouliers de Tarascon. Du fait de la situation des routes, le roulage n’a eu longtemps qu’une importance réduite. Jusqu’au XIXe siècle, l’emploi de la charrette resta inconnu du paysan de la montagne. L’enquête de 1812 sur le roulage montre qu’à cette époque, seule la route de Toulouse à Foix était le siège d’un trafic régulier ; dans les autres directions, les transports restaient rares et casuels. Procédé nouveau, le roulage était encore exposé aux attaques des muletiers ; en 1797, ceux-ci avaient coupé les ponts de Nalzen, sur la route de Foix à Lavelanet, et de La Ramade, sur celle de Vicdessos à Tarascon, afin d’empêcher le passage de leurs concurrents307. En 1872, les entrepôts de minerai de Cabre emploient 24 hommes de peine, plus 50 ou 60 rouliers. Au total, cette année-là, Rancié compte 450 mineurs et 250 voituriers308. Mais le grand trafic est celui du fer au long de la vallée de l’Ariège vers Toulouse, celui qui emploie le plus grand nombre de rouliers. On estime en 1853 que les voituriers ariégeois font 200 000 francs de bénéfice annuel en transportant à Toulouse près de 6 000 tonnes de fer309.

  • 310 Arch. dép. Ariège, 3 J 4, procès-verbaux des États de Foix ; Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Mijanès, (...)

154Deux dernières informations donneront toute la portée de l’offre de pluriactivité de la sidérurgie à la catalane et de l’importance que lui attachent les paysans ariégeois. Le 30 novembre 1750, les États de Foix délibèrent sur « une voiture à roue » utilisée pendant l’été par Chambrière, de Vicdessos, pour transporter du charbon de Pamiers à Vicdessos. Les États s’y opposent car, disent-ils, cela ruinerait une partie des habitants. Au siècle suivant, le conseil municipal de Mijanès est opposé au transfert de la forge dans la vallée de l’Ariège parce que « les habitants manqueront de travail »310. La sidérurgie à la catalane étire des pseudopodes de plus en plus profonds dans la société agro-pastorale pyrénéenne. Elle est « la seule industrie de l’Ariège qui fait vivre la plus grande majorité des habitants et qui fait travailler tant de monde : de 4 à 500 mules ou chevaux descendent journellement le minerai, puis transport par charrettes vers les forges, de même pour le fer… plus d’un millier d’individus sont occupés à ces travaux

  • 311 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, lettres de Morlière père, propriétaire des forges de Berdoulet, aux sén (...)
  • 312 C. Thibon, Pays de Sault. Les Pyrénées audoises au XIXe siècle : les villages et l’État, op. cit., (...)

155… Le sol de nos montagnes n’est pas assez étendu et assez arable pour leur donner du travail ; la misère les forcera d’aller ailleurs, d’émigrer, femme et enfants pour pouvoir se nourrir… Ce n’est pas tout le mal qui peut arriver ; mais encore, si les propriétaires qui vendent leurs bois pour en faire du charbon ne trouvent pas à le vendre avec avantage : ils les défricheront, ce cas arrivant, le pays manquera de combustible, le gouvernement y perdra aussi, pour la vente des bois domaniaux »311. Hors des Pyrénées ariégeoises, les démographes expliquent la croissance exceptionnelle de plus de 100 % de la population de Belvianes, Roquefort et des villages de la vallée de la Boulzane, Montfort et Gincla (Aude), entre 1789 et 1836, par l’activité des forges à la catalane dont l’essor est lié à l’immigration de forgeurs et de charbonniers ariégeois312. Cette corrélation entre la croissance démographique et le travail du fer prouve toute l’importance de l’appoint sidérurgique. Mais, en ces temps d’augmentation démographique, l’apport métallurgique est vital compte tenu de la faiblesse du système cultural. Ainsi, l’attachement à un procédé technique, à première vue archaïque, obéit à des logiques de vie, à des rationalités économiques et sociales et, pourquoi pas, à des systèmes de pensée cohérents. Mais les largesses de la sidérurgie ne s’arrêtent pas là, elles ont aussi une influence certaine dans les régions de la plaine.

- En renforçant la complémentarité montagne-plaine

  • 313 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, mémoire au sujet des nouvelles forges que l’on projette de construire da (...)
  • 314 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 74 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 27, Va (...)
  • 315 M. Casteran, « La viticulture en Basse-Ariège depuis la Révolution », Bulletin de la Société Ariége (...)

156Les habitants de la montagne ont un besoin impérieux de la plaine et de ses produits. Un mémoire du milieu du XVIIIe siècle exprime très clairement cette « réciprocité de commerce », « un autre commerce très considérable pour les bas diocèses de Mirepoix et d’Aleth et pour ceux de Saint Papoul, Carcassonne et Narbonne qui fournissent journellement aux pays de montagne dans lesquels sont situées les forges, les grains, vins et autres denrées dont les plaines abondent et dont on ne trouvera plus le débit, si la consommation qui s’en fait dans la montagne, vient à cesser. Cette réciprocité de commerce est d’une assez grande conséquence pour mériter l’attention de l’assemblée des États de Languedoc »313 : complémentarité entre la montagne, dispensatrice de minerai, puisque des forges sont installées dans la plaine, de métal, de main-d’œuvre, de travail et la plaine pourvoyeuse de charbon de bois mais aussi, tout autant indispensables, de grains et de vin pour ne prendre que deux exemples. Ils constituent l’essentiel du fret de retour du voiturage et du roulage. La vallée de Vicdessos importe, à elle seule, chaque année plus de 12 000 setiers de grains ; plus de 50 charrettes, chaque semaine, transportent le grain de Pamiers vers Tarascon et Vicdessos314. Aux XVIIIe et XIXe siècles, le développement du vignoble de la plaine (autour du Mas-d’Azil, Pamiers, Varilhes, vallée du Douctouyre) est lié à la consommation de la montagne, particulièrement à celle des travailleurs de la sidérurgie315.

  • 316 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Montgailhard, les maîtres de forges du département de l’Ariège au préf (...)

157Les maîtres de forges décrivent ce qu’ils nomment « le seul commerce d’échange qui ne soit pas imaginaire » : d’un côté, l’arrondissement de Foix, celui des montagnes, couronnées de bois, avec des ouvriers qui exploitent les mines et les forêts ; de l’autre côté, l’arrondissement de Pamiers, celui des plaines fertiles, avec de nombreux agriculteurs, qui produisent d’abondantes moissons, est le grenier du département. Les montagnards portent à leurs voisins, en échange des denrées qu’ils leur offrent, le minerai et le fer indispensable à leurs besoins journaliers. Mieux, les administrateurs considèrent que la sidérurgie constitue et résume toutes les ressources du département pour le paiement de l’impôt. Car, sans les forges, les contrées agricoles et les vignobles de la plaine ne trouveraient dans la montagne « que des consommateurs insolvables »316. Ainsi le travail du fer innerve la société ariégeoise, et, dans le même temps, est un agent de continuité territoriale, acteur d’une unité économique, sociale et politique pas forcément évidente. Il faut reconnaître cependant que la richesse de la montagne glisse vers la plaine et vers Pamiers, proche de Toulouse, située à un carrefour entre le nord et le sud, l’est et l’ouest. Au milieu du XVIIIe siècle, les maîtres de forges et négociants en fer de la vallée de Vicdessos, les fameux coulias ont mis la main sur les terres des ouvriers et journaliers devenus ainsi leurs fermiers ; quand ils ont acquis ainsi, par le biais des ventes à pacte de rachat, toutes les bonnes terres de la vallée de Vicdessos, ils déplacent leurs investissements vers la vallée de l’Ariège, vers Pamiers, tels les Ville devenus seigneurs de Bénagues, ou même vers l’Espagne.

- En organisant l’espace autour du travail du fer

  • 317 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 639, bureau de Tarascon, 21 novembre 1874 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 640, (...)

158Il est enfin une façon de synthétiser les multiples facettes du rôle de la sidérurgie dans les Pyrénées ariégeoises : décrire l’organisation géographique à plusieurs échelles, mais assurant toujours la continuité spatiale des Pyrénées ariégeoises, élaborée par cette industrie. D’abord dans la vallée de Vicdessos, autour de la mine de Rancié. Les villages les plus proches, Sem, Goulier, Olbier, se sont réservé le monopole de l’extraction du minerai. Ces mêmes villages, et d’autres plus éloignés fournissent les muletiers et les voituriers. Certains se contentent du transport entre la place du minier et Vicdessos ou Cabre, en empruntant un trajet obligatoire pour éviter les fraudes. D’autres, originaires de communes de la vallée qui ne sont pas membres du consulat de Vicdessos, vont jusqu’à Tarascon ou approvisionnent directement les forges lointaines. Un grand nombre assurent l’échange avec le Couserans. Le bourg de Vicdessos concentre les différents aspects de la sidérurgie : magasins de minerai, de charbon, forges et magasins de fer. Autour de la forge, quelle que soit la situation géographique de l’usine, gravitent, en cercles de plus en plus grands, des ouvriers professionnels et occasionnels de la commune, de la vallée, de la région de Tarascon, de la plaine, du Languedoc ou d’Espagne. La diffusion locale du travail est favorisée par la pratique de la préférence que les habitants prennent grand soin à préserver. La commune de Miglos impose à la société minière anglaise à qui elle a concédé l’exploitation des terrains communaux l’engagement d’employer « les ouvriers de la commune de préférence à tous les autres et à tour de rôle de façon que tous seront employés, pourvu toutefois que les dits ouvriers effectueront les travaux au prix des étrangers établis jusqu’à ce jour ». Cette démarche est rigoureusement identique à l’attitude des mineurs de Rancié face au travail dans la mine. Les simples particuliers agissent de la même façon. Un paysan de Miglos qui loue une parcelle à la société minière lui impose de ne commencer les travaux qu’après la récolte, et surtout de « l’occuper ou un de ses fils au prix courant des travaux »317. La répartition géographique des forges à la catalane sur l’ensemble des Pyrénées ariégeoises favorise la dispersion de l’influence et de l’impact du travail du fer sur la totalité du territoire, y compris là où il n’existe pas de forge. La sidérurgie directe, grâce à la petite taille de ses établissements éparpillés dans la montagne, irrigue par un réseau serré de capillaires toute la région, en tissant une sorte de toile d’activités multiples aux mailles très serrées qui enserre l’ensemble de la population montagnarde. C’est là un atout des petits ateliers, caractéristiques de la sidérurgie directe en général et du procédé à la catalane en particulier, élément social et économique supplémentaire de l’explication du choix réitéré du direct. Enfin, les villages des trois cantons de Tarascon, des Cabannes et de Vicdessos sont les uniques pourvoyeurs de forgeurs. Puis viennent les communes de la Barguillère, Le Bosc en particulier, mais aussi Saurat et Freychenet, villages spécialisés dont les habitants fournissent l’essentiel des charbonniers professionnels.

  • 318 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 2, Forge neuve d’Oust. La forge d’Ustou est construite en 1716.
  • 319 Arch. dép. Ariège, 3 J 16.
  • 320 Saubiac, « Les amendements des terres en Ariège », Annales agricoles, littéraires et industrielles (...)
  • 321 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, demande de rétablissement d’une forge à Montgailhard, 1745.

159Il ne faut pas passer sous silence les effets négatifs que peut avoir cette mainmise de la sidérurgie sur les activités des paysans. Ainsi, si M. de Pointis, seigneur d’Ustou, affirme que depuis que sa forge a cessé « les habitants étaient dans la misère », ceux-ci rétorquent que « avant que cette forge existât, les habitants ne sentaient aucun des maux qu’ils éprouvent aujourd’hui »318. Au milieu du XVIIIe siècle, un certain nombre de notables, opposés à la construction de nouvelles forges, déplorent qu’une forge occupe beaucoup de monde pour « la faction du charbon », pour son transport à la forge, pour le charroi de la mine et la voiture du fer qu’elle fait. « Les paysans qui trouvent ce travail moins rude que celui des terres qu’ils travaillent bien souvent à bras dans les penchants des montagnes se donnent volontiers à la voiture et au service des forges d’autant mieux que c’est un revenu bon pour eux où il ne pleut ni ne gèle ni ne grêle au lieu que les produits des terres sont sujet à se perdre par les pluies abondantes qui emportent jusqu’à la terre quelquefois sur les penchants, que les hivers font souvent périr… on donne occasion au peuple de la campagne de se distraire de la culture des terres, on ne défrichera plus les terres incultes comme l’on fait journellement et de plus on risque de faire abandonner une partie de celles qu’on [cultive] devenant des friches, ce qui serait un grand préjudice pour le haut pays de Foix et pour les pays de montagnes du Languedoc et de la Guyenne qui avoisinent ce pays car comment ces pays se sont-ils soutenus dans la disette des grains des années dernières, les pays des plaines voisins ne leur ayant fourni que bien peu de grains, c’est que les terres cultivées avec soin et défrichées de nouveau ont produit heureusement dans ces dernières années en partie des gros grains et en partie des menus, et par là ils se sont tirés d’affaire ce qui prouve qu’il ne faut pas détourner le peuple de la culture des terres par l’établissement de nouvelles forges »319. Les arguments des opposants rendent, en creux, hommage à l’apport de la sidérurgie dans la lutte contre la précarité de la société agro-pastorale. En 1847 encore, Saubiac se plaint de ce que, dans la région prépyrénéenne, les petits propriétaires et métayers abandonnent, avec leurs animaux, l’exploitation une partie de l’année pour effectuer des transports, notamment celui du minerai ; pendant leur absence, femmes et enfants exploitent seuls le domaine320. Ce qui est dit au niveau général et aussi répété au niveau local. Le subdélégué refuse énergiquement la reconstruction de la forge de Montgailhard parce que : « l’occupation de ces personnes deviendrait très désavantageuse aux biens fonds de Montgailhard et des environs dont la culture surtout des vignes qui sont très considérables, serait considérablement négligée et peut-être abandonnée »321.

  • 322 J.-Fr. Soulet, « La civilisation matérielle d’autrefois », Les Pyrénées, de la montagne à l’homme, (...)

160Le réseau de capillaires que l’industrie à la catalane a su étendre à l’ensemble des Pyrénées ariégeoises, grâce à des ramifications de plus en plus fines, lui a permis d’apporter des possibilités de travail et de rémunération supplémentaires dans la vallée la plus reculée. L’activité sidérurgique rend la vie plus supportable aux hommes de la montagne. Elle impulse de l’énergie loin des montagnes. Il importe de mettre la métallurgie du fer en perspective avec l’évolution de l’ensemble des Pyrénées. La force du système économique pyrénéen tient surtout à l’élasticité des ressources montagnardes, autrement dit aux possibilités d’ouvertures de vannes diverses, chaque fois que monte le niveau de population. Or ce mécanisme se bloque durant les XVIIIe et XIXe siècles, au point de faire basculer une partie du monde pyrénéen dans la misère parce que les remèdes habituels, les défrichements ou les migrations saisonnières, se révèlent inefficaces322. C’est alors que la forge donne toute sa mesure. En symbiose avec son milieu, derrière cette activité industrielle, se profilent une stratégie, des sensibilités et des rationalités qui enracinent le système sidérurgique direct dans un pays, des hommes, une culture et peut-être, mieux une conscience, sans toutefois éliminer les conflits et les réactions défensives d’une société partagée dont les membres sont en concurrence dans des lieux indispensables aux uns et aux autres. Les valeurs paysannes, la tradition collective qui perçoit la vie économique et le milieu écologique comme quelque chose de limité peut jouer en faveur de la tradition de la méthode directe mais est rédhibitoire pour le procédé indirect, dévoreur de forêts, et dont la société ne sait comment il pourrait trouver sa place dans l’écosystème dégradé, d’autant qu’obligatoirement ses hommes devront venir de l’extérieur. Les activités complémentaires qui favorisent la monétarisation de l’économie, accroissent en outre les possibilités d’échange et renforcent la dynamique des places de foires et de marchés des Pyrénées ariégeoises, n’auraient plus le même caractère.

  • 323 Voir l’exemple de la métallurgie du Montenotte, A. Dewerpe, L’industrie aux champs. Essai sur la pr (...)

161La nécessité d’un recours aux activités d’appoint est portée par la précarité du sort des familles paysannes. Le système à la catalane permet de les ordonner et de leur donner un sens. Le système est cohérent avec le milieu naturel, les structures démographiques et socio-économiques (microfundia, autosuffisance et autoconsommation dans un contexte d’essor démographique). La survie dans des terroirs ingrats a imposé une stratégie d’appoint par l’industrialisation rurale. Du maître de forges au paysan, charbonnier ou voiturier occasionnel, la diversité sociale du système à la catalane est servie par de nombreuses personnes, facteur essentiel de sa pérennité, de sa réussite globale. Il s’est ainsi constitué un maillage social fait des ouvriers internes (forgeurs), des ouvriers externes (mineurs, charbonniers, voituriers), des professionnels et des occasionnels, des hommes mais aussi des femmes et des enfants. La continuité industrielle est ancrée dans la cohésion très forte du milieu montagnard, organisé en un système qui relie structure agraire, nature des terroirs et des exploitations, charge humaine des vallées et ressources complémentaires. Mais les marges de manœuvre, y compris celles de la sidérurgie directe, sont limitées par les évolutions de l’écosystème. Les Pyrénées ariégeoises présentent un véritable modèle industriel : un minerai d’une origine unique qui est le premier élément et l’élément fondateur de la fidélité des Pyrénées ariégeoises à la réduction directe ; des conditions d’approvisionnement en charbon de bois, avec, au fur et à mesure que les siècles s’écoulent, un recours grandissant au commerce de plus en plus lointain ; la recherche concomitante et soutenue, jamais démentie, d’économie du combustible. Un savoir-faire spécifique, apanage d’un petit groupe de spécialistes, implanté dans une petite région, mais qui fait bénéficier de son tour de main une vaste aire technique ; des produits bruts, réputés et reconnus sur des marchés régionaux, interrégionaux, parfois nationaux ; des axes de circulation du métal privilégiés et une commercialisation particulière. Ces caractères originaux peuvent être associés à l’industrie rurale, rendant lisible un dispositif socio-économique au sein duquel la sidérurgie est un facteur pivot de la société rurale323.

162Ainsi, des logiques sociales et économiques fortes sous-tendent la fidélité des Pyrénées ariégeoises à la réduction directe et à sa forme moderne, la forge à la catalane. Il est cependant difficile de parler d’un équilibre entre les besoins de la sidérurgie et les besoins des communautés montagnardes. Une tension latente, dans un monde conflictuel, est toujours présente, avec des périodes de crises aiguës, en cas de difficultés économiques, politiques, ou tout simplement de conditions climatiques inhabituelles avec des répercussions sur les cultures et sur l’élevage ; ou encore lorsque les avantages collectifs tirés du travail du métal deviennent plus faibles que les contraintes que l’activité sidérurgique impose aux montagnards. Les moyens utilisés alors par la population pour manifester attestent d’une réaction sociale collective qui revêt des formes folklorique. Dans un tel contexte, il est difficile d’imaginer les avantages qu’aurait pu apporter le procédé indirect.

163La longue survivance de techniques jugées archaïques permet de comprendre qu’en fait un savoir-faire reste rationnel, adéquat dans un écosystème à condition qu’il soit adapté au niveau technique des hommes qui l’utilisent, que les conditions de production ne soient pas trop agressives pour le milieu, que la production satisfasse la demande et que les prix demeurent compétitifs. Cet enracinement du procédé direct s’explique aussi par des raisons sociales. La forge à la catalane est une pierre angulaire de la société agro-pastorale. L’écosystème des Pyrénées ariégeoises a atteint un objectif que l’on peut considérer comme remarquable : malgré sa pauvreté, il a supporté une pression démographique à la limite du surpeuplement. Le système technique à la catalane participe à ce résultat, soulage ces conditions de vie très dures. L’apport pastoral et forestier est vital dans la mesure où les terres cultivables ont atteint leurs limites, où le relief en empêche l’extension avec la qualité des sols (problème de la fumure), où les saisons sont courtes, souvent trop sèches ou trop humides. La conjonction de ces trois sources de revenus, difficile à réaliser même pour les plus riches, bénéficie à la sidérurgie directe qui, à son tour, permet à la société montagnarde de supporter l’excédent d’hommes tant que le milieu écologique n’est pas trop dégradé et tant que les conditions modernes de production du métal constituent une concurrence raisonnable. Il faut veiller, cependant, à ne pas privilégier et surestimer la place de la sidérurgie dans la société par rapport au système agro-pastoral. Une autre solution est, conjointement, de plus en plus souvent choisie au XVIIIe siècle, puis de façon massive au XIXe siècle, celle de l’émigration, d’abord temporaire puis définitive.

  • 324 Voir les analyse proposées par Christian Thibon pour les Pyrénées audoises et par Jean-François Sou (...)

164Les habitants des Pyrénées ariégeoises, jouant des possibilités du milieu, ont construit au cours des siècles un système original, fondé en grande partie sur les contraintes de la vie pastorale. À compter de la fin du XVIIe siècle, au moment où la forge à la catalane s’impose sans partage, ce mode de vie se trouve considérablement bouleversé par des mesures centralisatrices et « uniformisatrices » du pouvoir central. Ainsi, tout le système de vie de cette population est mis en cause. Cette constatation donne à la fois un contexte psychologique, intellectuel, et fournit une clef pour comprendre le choix réitéré du procédé direct, élément primordial des Pyrénées ariégeoises. Mieux, la population pyrénéenne rejette « tout un mode de vie. Si l’on n’accepte pas cette idée globalisante… on risque de rendre inexplicable une partie des comportements de cette population »324. L’intégration de cette région à l’ensemble français à compter du dernier tiers du XIXe siècle correspond à l’incontestable amélioration des conditions de vie dans une montagne dégradée qui se vide de sa population, à de nouvelles conditions politiques et économiques, à l’essor de la sidérurgie indirecte et à la disparition de la sidérurgie directe. En dernière analyse, le maintien du procédé direct s’explique par un enjeu, la sauvegarde du tissu socio-économique, la reproduction voire le renforcement des formations sociales d’une économie rurale particulière.

C/ Une industrie qui repousse les limites des Pyrénées ariégeoises

165Dralet a parlé de « la manie » pyrénéenne du défrichement pour élargir le terroir cultivable, l’élasticité des Pyrénées ariégeoises à la catalane présente un autre visage de cette manie qui rend supportable la vie dans la montagne. La renommée flatteuse de leurs ateliers sidérurgiques marque le premier élargissement des Pyrénées ariégeoises sur une vaste échelle. Cette célébrité leur vaut d’être considérées comme un modèle, même dans des régions éloignées de l’Europe. Mais cette réputation intellectuelle et scientifique doit être accompagnée d’un retour sur le terrain. Il existe une aire technique de la forge à la catalane. Ses contours sont précisés par le type d’usine en roulement, toujours le même, atelier éponyme de cette zone sidérurgique. Le vocable utilisé pour désigner la forge sert souvent pour délimiter l’espace : forge ou farga. Mais dans le cas qui nous intéresse, cela est insuffisant, d’autres éléments doivent être pris en compte. Le facteur à la fois le plus révélateur et le plus sûr pourrait être le forgeur, son origine et son savoir-faire. Cependant, l’aire technique à la catalane ne constitue qu’un des niveaux d’observation de la filière de la réduction directe et s’inscrit dans une vaste zone pyrénéenne et méridionale qui, entre mer et océan, regroupe d’autres forges de réduction directe. Espace de la forge à la catalane, espace de la forge biscayenne, espace de la forge navarraise, sur les deux versants des Pyrénées, peuvent s’imbriquer comme le montre la description que Dietrich laisse de son voyage sidérurgique dans les Pyrénées. La frontière des unes et des autres n’est ni infranchissable ni définitive, d’autant que ces usines sont très proches du point de vue de leurs aménagements techniques. Cette proximité métallurgique conduit certains à considérer que seuls les modes opératoires changent d’un espace à l’autre. Or, nous avons cherché à montrer que la réalité technique, sociale et économique est plus complexe. Ainsi, l’origine des ouvriers permet par exemple de faire apparaître, malgré une très grande proximité, la distinction entre méthode à la petite catalane et méthode à la catalane, marquée aussi par des bas fourneaux différents, à l’intérieur d’un même espace technique. Les migrations des forgeurs ariégeois et leur présence effective dans les forges ont ainsi contribué à définir une grande partie de l’aire technique à la catalane.

166Limites extérieures certes, mais un espace technique se caractérise aussi par ses mouvements internes. Or, nous ne pouvons nous satisfaire complètement de la notion d’aire technique. Des rapports plus complexes se sont tissés entre les régions d’accueil non seulement des forgeurs ariégeois, mais encore de leurs compatriotes mineurs, charbonniers, voituriers, et leur « patrie » d’origine. Ils dessinent des Pyrénées ariégeoises élargies qui concourent fortement à la puissance de la sidérurgie directe ariégeoise hors de son jardin. Une sidérurgie qui dilate l’espace pyrénéen, franchit les limites administratives du comté de Foix et du département et incorpore, dans une certaine mesure, son voisinage. L’idée n’est pas de dire qu’il y a annexion, ce qui serait exagéré, mais d’exhumer les interactions qui jouent, dans les deux sens, entre les Pyrénées ariégeoises et les régions voisines, inventant une géographie et une histoire complexes. La métallurgie du fer des Pyrénées ariégeoises appartient aux sidérurgies qui gagnent. Elle draine, à son profit, une partie des richesses que créent les sidérurgies de l’aire technique à la catalane grâce aux hommes qu’elles y envoient. Nous sommes loin des simples liens familiaux qui peuvent les unir avec des maîtres de forges extérieurs au comté de Foix, avec le Béarn par exemple, loin aussi des liens religieux, le protestantisme, qui sont mentionnés entre les Cévennes et le Mas d’Azil. Matières premières, hommes du fer, forges, tous les éléments de l’industrie sidérurgique, tous et chacun d’eux, alimentent ces courants convergents qui, finalement, agrandissent les Pyrénées ariégeoises et illustrent la puissance de leur industrie sidérurgique. Sur les pas des hommes de la forge, elles repoussent leurs frontières vers le Languedoc, le Roussillon, la Gascogne, mais aussi vers l’Espagne et l’Andorre. Il reste cependant difficile, voire impossible, pour l’historien, de rendre compte à l’aide de chiffres de ces Pyrénées ariégeoises aux frontières dilatées. Les hommes, les matières premières et les revenus nés de la sidérurgie, échappent en grande partie à toute tentative de quantification, seuls les mouvements de flux et reflux peuvent être décrits.

1/ Les migrations des forgeurs et l’aire technique à la catalane

  • 325 E. Baraldi, « Pratici (techniciens) et pratiques sidérurgiques dans la zone méditerranéenne entre l (...)
  • 326 F. Lassus, « Forgerons comtois dans les forges des Pyrénées atlantiques au XIXe siècle : Banca et L (...)

167La circulation des techniciens et la diffusion des pratiques sont des questions qui ont attiré l’attention des historiens. Pendant plusieurs siècles, des sidérurgistes expérimentés, à la réputation bien établie, se sont déplacés dans l’Europe du XIVe au XIXe siècle. Les exemples des spécialistes génois, brescians et bergamasques sont bien connus325. Ils apportent avec eux des procédés innovants, reconnus pour leur supériorité sur ceux dont ils prennent la place. Au XIXe siècle, des forgerons comtois sont venus travailler dans les forges des Pyrénées atlantiques, à Banca et Larrau. À partir de 1825, ils ont été les vecteurs d’un renouvellement des techniques sidérurgiques. Mais la méthode comtoise était déjà entrée dans une phase de décadence. C’est donc une technique dépassée que les maîtres de forges pyrénéens importent dans leur région. Elle n’a pu donner qu’un sursaut d’énergie temporaire à l’industrie locale326.

  • 327 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p 451, 453.

168Entre ces deux cas de figure, qu’en est-il des forgeurs à la catalane ariégeois ? La tradition, peu importe ici qu’elle soit vraie, bien plus intéressante est la perception qu’ont les hommes du fer ariégeois, la tradition donc rapporte que, jusqu’au début du XVIIe siècle, des forgeurs étrangers venaient travailler dans les Pyrénées ariégeoises. À partir de cette date, on assisterait à un renversement complet de situation : avec la nouvelle méthode, les forgeurs ariégeois se rendent à leur tour dans d’autres régions qui désirent utiliser la méthode à la catalane. Ils donnent alors naissance à une aire technique dans laquelle ce procédé sidérurgique est non seulement présent, mais où il peut avoir un rôle exclusif. Autour d’un noyau dur à proximité immédiate du comté de Foix, ses limites varient, sorte d’organisme vivant en expansion ou au contraire en contraction. Elle connaît aussi des variations dans le temps avec une extension maximale dans la première moitié du XIXe siècle. La seule caractéristique invariable est la présence des forgeurs ariégeois, garants de l’authenticité de la méthode mise en œuvre. L’aire à la catalane se définit aussi par le vocabulaire technique qui, de façon plus générale, délimite des aires techniques régionales. Qui dit langue, dit hommes qui véhiculent ce langage technique ! Toujours dans les Pyrénées, à la même époque, les forgeurs navarrais et biscayens migrent aussi vers des régions où leur savoir-faire est apprécié. Le propriétaire de la forge de Larrau, au Pays basque, explique à Dietrich que le travail biscayen était en usage dans son usine, mais que, mécontent des résultats, « elle a constamment ruiné ses propriétaires », il vient d’engager 3 ouvriers du comté de Foix afin de former les siens. Le minerai de la forge de Larrau, traité à la manière du comté de Foix par les forgeurs ariégeois qui se trouvaient à Béon, a donné du bon fer et en quantité327. Exemple du jeu de fluctuations aux frontières, rencontre de deux procédés directs mais différents, zone de contact aux limites de l’influence de chacune des deux techniques, sorte de front pionnier pour l’une et l’autre.

  • 328 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 612 à 6 645, bureau de Tarascon, an VIII à 1885 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 (...)

169Lorsqu’il fait la recension des archives dont il dispose pour étudier les migrations des hommes du fer ariégeois, l’historien est frappé par le petit nombre d’informations précises qu’il en tire, au-delà de remarques d’ordre général. Il est donc important de faire des recherches méthodologiques pour savoir quelles séries d’archives il serait possible d’utiliser, en plus de celles habituellement dépouillées, pour répondre à la question simple : où se rendent les forgeurs ariégeois ? La recherche des passeports indispensables pour circuler hors du département est peu fructueuse. Par contre, les registres de l’enregistrement des actes sous seing privé du bureau de Tarascon, puis à partir de 1842 de celui de Vicdessos, laissent apparaître un très grand nombre de procurations données par des forgeurs à leur épouse, leur père, à un membre de leur famille, parfois à un étranger, « pour régir ses biens », « pour gérer et administrer ses biens et affaires », « pour agir » ou encore « à l’effet de lui gérer et administrer ses biens ». Ces procurations ne peuvent s’expliquer que par l’absence prévue du forgeur. Parfois, mais cela est assez rare, le lieu extérieur au canton est mentionné328. Pour obtenir des renseignements sur les forgeurs hors des Pyrénées ariégeoises, les travaux des auteurs des XVIIIe et XIXe siècles sont précieux, ainsi que ceux des historiens des zones d’accueil. Si la géographie de ces déplacements est relativement facile à dresser, savoir de façon documentée comment les forgeurs partent hors de leurs villages est un peu plus compliqué.

- Pourquoi partir et dans quelles conditions ?

  • 329 Tronson du Coudray, Mémoires sur les forges catalanes, op. cit., p. 65.

170Le procédé sidérurgique qui se consolide dans les Pyrénées ariégeoises au XVIIe siècle fait preuve sans aucun doute d’une supériorité technique, au moins en comparaison avec les procédés les plus proches, du Languedoc, du Couserans, du Comminges, de Bigorre, du Béarn, du Roussillon même et aussi de Catalogne, d’Andorre, d’Aragon, bref, avec les deux versants des Pyrénées. Tronson du Coudray explique que « la supériorité des forges du pays de Foix, tant à l’égard de la construction que par la conduite du travail, est tellement reconnue dans toute la partie des Pyrénées qui est de notre côté, qu’on en a imité ou qu’on en imite journellement les proportions, et qu’on en tire des ouvriers le plus qu’on peut »329. Qui fait appel aux forgeurs ariégeois ? Les maîtres de forges appartiennent à la noblesse ou à la notabilité sociale, ils sont parfois marchands et mêmes simples fermiers de forges. Les techniciens choisis ont toujours une position professionnelle reconnue, des tâches bien définies. Maîtres ouvriers, foyé, maillé, escola, ils doivent savoir tout faire, ce qui les rend autosuffisants dans une forge. Mais ils peuvent être également accompagnés par d’autres spécialistes qui assurent d’autres fonctions indispensables à la bonne marche de l’usine : charbonniers, mineurs parfois, martinéteurs, régisseurs ou facteurs de forges. La zone d’origine de ces ouvriers est le comté de Foix, les villages autour de Rabat, Saurat, Les Cabannes, Tarascon, Vicdessos, petite région où existe une ancienne tradition de production de fer et centre sidérurgique le plus important des Pyrénées ariégeoises. Tous sont engagés pour faire ce qu’ils font déjà chez eux. C’est dire que ces mouvements ne sont pas fortuits, il s’agit de pratiques habituelles. Le spécialiste est le truchement qui, sans trop de difficultés, apporte des profits aux propriétaires de forges et aux marchands qui opèrent dans le pays d’accueil. Les forgeurs ariégeois sont des hommes au savoir-faire irremplaçable !

  • 330 J.-F. Soulet, Les Pyrénées au XIXe siècle. Organisation sociale et mentalités, op. cit., tome I, p. (...)
  • 331 J. Nadal et E. Giralt, La population catalane de 1553 à 1717. L’immigration française, op. cit., p. (...)
  • 332 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, requête aux États de Foix contre l’interdiction d’aller travailler en Es (...)
  • 333 Arch. dép. Aude, 14 M 102, Notice sur l’état actuel de la fabrication du fer dans le département de (...)

171Ainsi, les raisons du choix des maîtres de forges convaincus des avantages de la méthode à la catalane dans les régions où le minerai rend possible son emploi sont immédiatement perceptibles. Ils ne peuvent s’adresser à personne d’autre qu’aux forgeurs ariégeois. Les migrations saisonnières pour aller chercher du travail sont une vieille tradition pyrénéenne. Au XVIIe siècle, il s’agit d’une pratique déjà ancienne très courante. Chaque année, des groupes d’hommes partent pour plusieurs mois, essentiellement vers l’Espagne, pour y exercer de nombreux métiers330. Ces mouvements s’expliquent par la nécessité de ressources complémentaires pour lutter contre la misère qui règne dans les hautes vallées. Ce courant, d’après tous les témoignages, est puissant, mais il n’est pas possible de le quantifier. Cependant, l’étude conduite à partir des registres de l’hôpital de Barcelone, de 1553 à 1717, permet d’en donner certaines caractéristiques pour la Catalogne : la jeunesse, l’absence de spécialisation, le grand nombre des Commingeois, et l’augmentation du pourcentage des Pyrénéens parmi les immigrants, entre le milieu du XVIe et le milieu du XVIIe siècle331. Les forgeurs ariégeois s’insèrent dans ce flux, mais ce sont des migrants spécialisés. Engagés avant leur départ, ils ne vont pas à l’aventure, connaissent leur destination avec précision. En outre, si dans les régions d’accueil existe une pénurie de main-d’œuvre compétente dans le domaine de la sidérurgie, ces hommes exerçant un savoir-faire bien spécifique sont recherchés. Nous sommes loin des ouvriers agricoles qui constituent le gros des troupes des immigrants. Certes, les forgeurs sont beaucoup trop nombreux pour le nombre de forges des vallées de Saurat, de Rabat, de Vicdessos, de l’Ariège autour de Tarascon et de Château-Verdun ; ils le sont encore pour l’ensemble des Pyrénées ariégeoises. En 1765, la communauté de Saurat déclare qu’il est notoire « qu’il y a dans le comté la moitié plus » de forgeurs « qu’il ne faut » pour faire rouler les usines qui sont dans la province332. Or, grâce à leur savoir-faire unique, ces hommes bénéficient d’une réputation incomparable. C’est pourquoi il est systématiquement fait appel à eux dès qu’un maître de forges veut mettre en œuvre la méthode à la catalane. En 1825, l’ingénieur en chef des Mines Brochin déclare que « le département de l’Ariège ou l’ancien comté de Foix est la pépinière des ouvriers propres aux forges à la catalane »333.

- Des salaires attractifs

  • 334 Arch. dép. Aude, 14 M 102, 1825.
  • 335 D. Woronoff, L’industrie sidérurgique en France, op. cit., p 177, 179.
  • 336 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 33.
  • 337 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, (...)
  • 338 O. Codina, De fer et de laine. Économie et société des vallées andorranes de 1575 à 1875, op. cit., (...)
  • 339 P. Vilar, « Élan urbain et mouvement des salaires. Le cas de Barcelone au XVIIIe siècle », Revue d’ (...)

172Ainsi donc, libérés de la seule nécessité de trouver une embauche, les forgeurs sont attirés loin de leur village par les hauts salaires qui leur sont proposés. Il faut avoir toujours présent à l’esprit la double règle, spécifique au monde de la sidérurgie à la catalane, qui préside à la formation du salaire des forgeurs : inélasticité de la demande de travail régulée par les trois cantons ariégeois autour de Tarascon, et obligation de proposer des sommes alléchantes, véritables salaires d’appel, pour décider les ouvriers à venir, d’autant que plusieurs régions, en plus des Pyrénées ariégeoises, ont impérativement besoin d’eux. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les maîtres de forges du Languedoc offrent aux ouvriers, selon leur spécialité, des salaires supérieurs d’une à quatre livres par massé à ceux pratiqués dans le comté de Foix. Il en va de même pour les forges des diocèses d’Alet, Rieux, Limoux. La règle générale est toujours la même : les forgeurs exigent un salaire d’autant plus élevé que la campagne sidérurgique doit avoir une moindre durée et que l’usine est plus éloignée de leur pays334. En 1810-1811, si l’on compare les salaires et le pouvoir d’achat des forgeurs dans les Pyrénées, on constate que, en Ariège, ils touchent 0,79 franc de salaire moyen pour un quintal métrique de fer, ce qui correspond à un pouvoir d’achat de 3 litres équivalent-blé. Dans l’Aude, le salaire moyen est de 0,91 franc, soit 3,2 litres de blé. Dans les Basses-Pyrénées enfin, le salaire est de 1 franc, ce qui permet l’achat de 3,5 litres de blé. Dans l’aire technique à la catalane, le salaire individuel demeure donc confortable. Il s’agit de départements où le prix du froment est traditionnellement plus élevé que dans la France intérieure. L’équivalent-blé se situe dans la moyenne nationale. La faible productivité unitaire des forges des Basses-Pyrénées où il n’existe pas uniquement des forges à la catalane, crée une disparité du simple au double entre ce département et l’Ariège ou l’Aude. Les Pyrénées-Orientales, pour lesquelles nous manquent les taux de salaires, semblent un peu en retrait, quant au pouvoir d’achat des forgeurs, sur l’Ariège335. En résumé, dans les premières décennies du XIXe siècle, le salaire mensuel est d’environ 150 francs pour le foyé, le maillé et les deux escolas. Leurs valets sont naturellement moins payés et leurs salaires mensuels sont en moyenne de 37,50 francs pour les pique-mines et de 22 francs pour les miaillous. Dans les années 1830-1840, le salaire moyen, dans les usines éloignées de l’arrondissement de Foix, s’élève à 0,50 franc par quintal pour chaque maître, et 0,25 franc pour chacun des pique-mines, alors que, dans la haute Ariège, il est seulement de 0,45 franc pour les maîtres et de 0,225 franc pour les piquemines336. La masse salariale distribuée chaque année dans les forges béarnaises est généralement supérieure à 10 000 francs entre 1834 et 1866, ce qui représente des revenus proches de 2 000 francs par an pour les maîtres ouvriers, revenus supérieurs à ceux de l’Ariège. De plus, le montant des fargades est plus élevé en Béarn, 6, 12 et 18 francs337. Des salaires élevés, des primes plus fortes, sont aussi proposés en Espagne, en Catalogne et en Andorre338. En 1788, les maîtres de forges catalans promettent aux forgeurs du Vicdessos un salaire double de celui qu’ils touchent dans le pays de Foix339.

- Comment les forgeurs sont-ils engagés ?

  • 340 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, (...)
  • 341 O. Codina Vialatte, J.-M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio (...)
  • 342 Ibidem, p. 143.
  • 343 Arch. dép. Ariège, 3 J 4, procès-verbaux des États de Foix, 28 novembre 1771 ; H. Tierchant, Si le (...)

173Aucun contrat n’a été retrouvé dans les registres des notaires des cantons d’origine des métallurgistes et dans ceux des lieux d’accueil. Quelques exemples d’engagement permettent, cependant, de connaître les modes de recrutement. À commencer par le plus répandu : le maître de forges ou son régisseur vont « louer les forgeurs » dans la région de Tarascon, en général ils restent sur place plusieurs jours pour constituer leur équipe. Des avances sont faites aux ouvriers engagés. Assurance du respect de la parole donnée, cette pratique doit être banale. La foire d’automne de Tarascon, le 30 septembre, à la descente des troupeaux des estives, rendez-vous très fréquenté par les populations des hautes vallées avoisinantes, est aussi l’occasion de contacts et d’engagements entre maîtres de forges et ouvriers. Mais le maître de forges, ou son représentant, ne se déplace pas toujours dans la région de Tarascon. En 1793, les ouvriers de la forge d’Arthez-d’Asson et de Nogarot, dans le Béarn, étant repartis chez eux, le régisseur a dû envoyer « des exprès dans le pays de Foix pour rappeler les ouvriers, ou en recruter d’autres »340. Il arrive aussi que le fermier de l’usine et le foyé, chef de la brigade des forgeurs, discutent de la composition de l’équipe par courrier. Ainsi, le 9 septembre 1866, le foyé Jean Régnier, des Cabannes, déconseille dans une lettre adressée au régisseur de la farga Rossell, Antoine Fournier, de Siguer, d’engager Félicien Maurie de Luzenac, maillé, pour la campagne qui va commencer341. Au fur et à mesure que se succèdent les campagnes de travail, des liens professionnels, peut-être même amicaux, ont dû se créer entre le maître de forges et les travailleurs. Ces rapports humains ne peuvent que faciliter le recrutement des ouvriers, d’autant plus facilement que les brigades sont caractérisées par une très forte endogamie. Ainsi, 45 % des forgeurs cités dans la documentation de la farga Rossell ont des liens familiaux directs avec un autre ouvrier qui travaille ou a travaillé à la forge342. Il est de l’intérêt bien compris de l’industriel et des ouvriers d’avoir une équipe dont les membres s’entendent bien, puisque la maladresse d’un seul ou des antipathies gênantes pour le travail diminuent la production et par conséquent les revenus du premier et le salaire des seconds. Une personne inconnue ou qui n’a pas encore fait ses preuves est difficilement acceptée dans une brigade. Les maîtres de forges espagnols utilisent les services « d’embaucheurs ». Ce sont tantôt des Ariégeois, tantôt des Espagnols, « des émissaires espagnols » disent les industriels d’Orlu, de la baronnie de Château-Verdun et de Vicdessos ; ainsi, Manuel Mendigonia qui engage des forgeurs pour des maîtres de forges catalans ; en six mois, il persuade une cinquantaine d’ouvriers de partir en Espagne. Il est arrêté à Vicdessos à la mi-octobre 1788343. Il existe de véritables réseaux de recrutement.

- Comment se déplacent-ils ?

  • 344 Arch. dép. Ariège, 15 M 2, enquête sur le travail agricole et industriel, canton de Foix.
  • 345 P. Morère, « L’Ariège avant le régime démocratique. L’ouvrier. - II. Les forgeurs », Bulletin de la (...)
  • 346 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 166.
  • 347 O. Codina Vialatte, J.-M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio (...)
  • 348 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, (...)
  • 349 Arch. dép. Aude, 14 M 102, Notice sur l’état actuel de la fabrication du fer dans le département de (...)

174Les informations sur les mouvements des ouvriers ariégeois vers les forges éloignées sont peu nombreuses, même pour les usines les mieux documentées. Une règle est pourtant intangible : les forgeurs ne sont jamais suivis par leur famille344. D’anciens forgeurs ont laissé le récit de ces trajets vers des forges lointaines : départ à pied, par groupe, avec sur le dos un paquet de 40 à 50 kg qui comprend des « provisions, vêtements, gourde en peau de chèvre gonflée de vin ». S’il faut traverser la montagne par les ports élevés vers l’Espagne ou l’Andorre, « un chevreau pour deux hommes, treize heures pour franchir le port d’Auzat » ou le port de Siguer. Obligation de mettre un passe-montagne lorsque la bourrasque souffle. Le 14 août 1766, un homme est resté 4 jours et demi dans la neige et en est sorti vivant. Le docteur François Pilhes rapporte qu’« il est aux extrémités du Pays de Foix des villages bâtis au pied ou vers le sommet des montagnes qui séparent la France de l’Espagne. Les paysans qui les habitent ne trouvent point leur subsistance dans la culture des terres voisines, parce que la nature sauvage ne leur offre en ces climats que des rochers pelés ; forcés de porter leur industrie dans le royaume voisin, ils y travaillent aux forges ». Chaque année plusieurs d’entre eux succombent au passage du port de Siguer. En février 1765, un forgeur des Cabannes, saisi par le froid et épuisé, meurt345. Ces déplacements se font généralement par brigade de huit ouvriers dont certains sont unis par des liens familiaux. On peut imaginer que plusieurs brigades se réunissent, lorsqu’elles partent pour des forges voisines ou proches. « Ces gens ne viennent jamais s’établir sur une forge que par brigades assorties, c’est-à-dire, qu’il y a le fondeur qu’ils appellent foyé, le marteleur, ses aides et le pileur de mines. Ces brigades sont pour l’ordinaire composées de frères, de cousins ou autres parents ». La description que donne Genssane pour les forges des diocèses d’Alet et de Rieux est valable pour l’ensemble de l’aire technique à la catalane. La solidarité familiale qui fortifie les liens entre ouvriers est un atout de plus lorsque les hommes sont éloignés de leur vallée. Cette cohésion renforcée entre les ouvriers est conforme à la mentalité traditionnelle des montagnards pyrénéens346. Les indications connues pour les forges d’Andorre et du Béarn montrent que parfois les forgeurs se déplacent aussi individuellement. La forge du Serrat, en Andorre, offre plusieurs exemples d’arrivée d’un seul ouvrier. Quant à la farga Rossell, en 1873, sa production est arrêtée, le temps de trouver un escola remplaçant. En 1875, au milieu de la campagne, 2 nouveaux escolas arrivent à la forge, les frères Pagès de Saurat347. En juillet 1858, à Nogarot, venue de l’escola Pagès « en remplacement de Jauze qui avait demandé à se retirer » ; en décembre 1864, sont remarquées les arrivées du maillé Galy et du pique-mine Jauze de Saurat ; le mois suivant, c’est le tour d’un autre pique-mine, Alexandre Maury. À partir de 1857, le Grand Livre de la forge de Nogarot mentionne les « frais de route » ou « indemnités de voyage » remboursés aux forgeurs, à raison de dix francs par trajet depuis Foix348. Cette pratique est une règle générale, les frais de voyage sont à la charge des maîtres de forges349.

- Pour aller où ?

  • 350 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 147-148 ; Arch. dép. Aude, 14 M 102, (...)
  • 351 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 166.
  • 352 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 613 à 6 645, bureau de Tarascon ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 991- 6 992, bur (...)

175Le constat est bien connu et répété à satiété : « On trouverait difficilement une forge, depuis le Comminges, jusqu’en Roussillon, dans laquelle la plupart des ouvriers ne soient natifs du comté de Foix. Ils se répandent même jusque dans le Béarn ». L’enquête sur le travail de 1848 constate que « le département de l’Ariège… fournit aux départements voisins les forgeurs nécessaires »350. Dans les nombreuses forges des diocèses d’Alet, Rieux, « on ne connaît que les forgerons du pays de Foix »351. Ce flux de main-d’œuvre est le mieux établi, le plus original de la sidérurgie. Il est né au XVIIe siècle et se perpétue jusqu’aux dernières décennies du XIXe siècle, jusqu’à la disparition des forges à la catalane352. Ces déplacements des hommes constituent un trait structurel essentiel de la sidérurgie à la catalane. Ni les guerres, ni les secousses politiques ne parviennent à l’interrompre. Les forgeurs ariégeois, il faut le rappeler avec force, bénéficient d’une sorte de monopole d’emploi dans l’aire technique à la catalane.

- Dans le Languedoc

  • 353 Baron Trouvé, Description générale et statistiques du département de l’Aude, 1818, p. 653.

176D’abord, en toute logique, dans les régions proches des Pyrénées ariégeoises, le Languedoc en particulier l’Aude où se retrouvent aussi des habitudes anciennes. « Tous les forgeurs employés aux forges du département de l’Aude viennent de celui de l’Ariège. Ceux de la vallée de Vicdessos sont surtout très estimés : c’est là qu’il faut aller les chercher et payer leur voyage toutes les fois qu’on reprend le travail »353. À Quillan dont les forges sont considérées comme les plus innovantes du département, les ouvriers viennent d’Unac, Rabat et Saurat ; dans les forges du plateau de Sault et de la région de Limoux, des Pyrénées audoises en un mot. On trouve aussi des forgeurs ariégeois dans les forges des Corbières, les usines d’Auriac, Padern, Saint-Pierre des Champs, et de la Montagne Noire, avec celles des Martys, de Saint-Denis ou de Montoulieu. Soit, au total, 19 feux à la catalane, mais il faut reconnaître que les noms des ouvriers sont peu rapportés dans la documentation.

  • 354 Cordier, « Mémoire sur la forge à la catalane de Monségou », Journal des Mines, tome 27/1, n° 157, (...)
  • 355 M. Wienin, « La Forge Méjean à Peyregrosse. Commune de Saint André de Majencoules (Gard) », La farg (...)

177Dans le Tarn, à la forge de Monségou, les ouvriers que l’on fait venir de l’Ariège changent chaque année. Chacun des 4 maîtres touche 13,25 francs par 100 myriagrammes, les deux pique-mines n’ont que la moitié. Les deux valets reçoivent seulement 5 francs par semaine. Mais les escolas sont obligés de les nourrir et de leur donner en sus 1,20 franc par jour354. On trouve aussi des forgeurs ariégeois à Rabastens-sur-le-Tarn, au Saut-du-Tarn et à Castres. Les forges de la région d’Arques dans le Lot utilisent les services des ouvriers pyrénéens, ainsi que celles de l’Aveyron. Toujours dans le Languedoc, mais bien plus loin du comté de Foix, vers 1770, M. de La Houillère, brigadier du roi, commandant de Salses dans le Roussillon, érige une forge, près du martinet de La Baume, sur la commune de Cendras, dans les Cévennes. Il fait venir des ouvriers de Foix qui réalisent des essais prometteurs. En 1808, une forge à la catalane est construite à Peyregrosse sur la commune de Saint-André (Gard), les ouvriers viennent de l’Ariège355. En octobre 1836, Hillarion Cambon, de Vicdessos, demeure à la forge de Peyregrosse. On rencontre aussi les forgeurs ariégeois dans les forges à la catalane du Comminges et de la Haute-Garonne, Arbas, Guran, Cierp où demeure Cyrile Piquemal de Rabat en octobre 1864, Gaud (Saint-Béat), Touille et Toulouse. Plus à l’ouest, dans les Hautes-Pyrénées, ils se rendent dans les forges de Nistos et d’Hêches où en février 1830 travaille un escola de Saurat.

- Dans le Béarn

  • 356 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, (...)

178Les liens politiques et économiques entre le Béarn et le comté de Foix sont bien connus depuis que le comte de Foix a hérité du Béarn et quitté les Pyrénées ariégeoises. En 1793, un maître de forges béarnais expose que ses ouvriers sont « presque tous natifs du Pays de Foix ». Dans le Grand Livre de la forge de Nogarot, hormis quelques valets d’escola et seulement pour de courtes périodes, tous les forgeurs connus sont ariégeois ou portent des patronymes qui les rattachent indiscutablement à des familles de forgeurs de ce département. Le va-et-vient incessant entre le Béarn et l’Ariège ne concerne que de modestes effectifs. Les forges d’Asson, de Nogarot et de Béon travaillent en alternance et n’occupent qu’une ou deux brigades de forgeurs tout au plus. Ainsi, dans le Béarn, sur seize forgeurs dont l’origine exacte est connue, dix viennent de Saurat et cinq de Brassac ou de ses environs immédiats356.

- Dans le Roussillon

  • 357 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 8 S 2, 1812 ; Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 8 S 1, 1812 ; Arch. d (...)
  • 358 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Mijanès.
  • 359 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 852 à 6 862, 8 012 à 8 014, tables de successions et absences, bureau de T (...)

179Si la présence des forgeurs ariégeois en Languedoc et dans le Béarn ne souffre guère de contestation, elle doit être fortement nuancée pour le Roussillon. Et pourtant, au XIXe siècle, les préfets et les ingénieurs des Mines écrivent que tous les forgeurs des Pyrénées-Orientales viennent de l’Ariège. En 1812, les forges du Conflent sont « construites selon la méthode de l’Ariège », par contre une seule forge de l’arrondissement de Prades est « à la française »357. Les historiens du Roussillon n’ont guère étudié l’origine des forgeurs présents dans les forges catalanes. Assurément, l’existence de forgeurs catalans est indiscutable. Cependant, vers 1818, les forgeurs de la forge de Puyvalador (Pyrénées-Orientales) « sont exclusivement du canton des Cabannes, Tarascon et Saurat »358. Les tables de successions et absences des bureaux de Tarascon, des Cabannes et de Vicdessos, attestent de la présence de forgeurs ariégeois dans le département des Pyrénées-Orientales. Les communes où roulent des forges apparaissent clairement : en 1828, un forgeur d’Albiès meurt à Ria, un autre à Prades en 1839 par exemple. Le 7 novembre 1828, le travail du foyé Alexis Galy à la forge de Ria est payé chez le notaire de Saurat. En septembre 1861, Jean Rivière, des Cabannes, est forgeur à Ria. En réalité, les communes de Ria, Prades, Sahorre, Nyers, Arles, Corsavy, Vinca, Mont-Louis, Saint-Paul-de-Fenouillet, Saint-Geniès (Argelès), Thuir, Moulis et Perpignan où Jean-Baptiste Teulière est commis de forge, sont mentionnées à de nombreuses reprises tout au long du XIXe siècle, toujours liées à un forgeur359.

- En Espagne

  • 360 J. Nadal et E. Giralt, La population catalane de 1553 à 1717. L’immigration française, op. cit., p. (...)
  • 361 F. de Zamora, Diario de las viajes hechos en Cataluna (1787-1788), Barcelone, 1973, p. 160.
  • 362 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p 115-117. Tous les fonds d’archives confirment l’ (...)
  • 363 C. Bourret, Les Pyrénées Centrales du IXe au XIXe siècle : la formation progressive d’une frontière(...)
  • 364 J. A. Salas-Ausens, « Les Français en Espagne dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Les França (...)
  • 365 Arch. dép. Ariège, 1 C 159, lettres du comte de Saint Florentin au marquis de Gudanes, Versailles, (...)
  • 366 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 613 à 6 645, bureau de Tarascon ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 991- 6 992, bur (...)
  • 367 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 613 à 6 645, bureau de Tarascon.

180Les historiens Nadal et Giralt remarquent que le travail des métaux constitue l’unique groupe artisanal de l’immigration où prédominent les Pyrénéens et les Pré-Pyrénéens. Ils expliquent cette exception par le fait que dans ces limites territoriales se trouve inclus le comté de Foix « où le travail du fer et l’émigration des forgerons sont de lointaines traditions ». Les localités situées dans le comté de Foix fournissent, en effet, le groupe le plus nourri de forgerons enregistré sur le littoral catalan360. La démonstration de ces deux historiens est d’autant plus probante qu’ils signalent parmi les autres Pyrénéens un forgeron venant de Gincla, un de Castelnau-Durban et deux de Saint-Lizier (Couserans), c’est-à-dire des lieux où travaillent habituellement les forgeurs fuxéens. Leur présence en Catalogne est aussi confirmée par les récits des voyageurs361. L’origine ariégeoise des forgeurs qui travaillent dans la vall Ferrera est une constante aux XVIIIe et XIXe siècles. Pendant la Révolution et pendant « la guerre des Français », des tentatives sont faites pour les remplacer, mais les travailleurs catalans ne donnent pas satisfaction. Les maîtres de forges espagnols interviennent pour que l’ordre de chasser les Français ne concerne pas les ouvriers des forges362. Une situation similaire se rencontre en Urgell et en Ripollès363. Des forgeurs ariégeois sont présents à Lérida et à Prats de Mollo. Dans la haute Ribagorzana (Aragon), l’académicien des Sciences, Malesherbes, lors de son voyage de 1767, fait étape à la forge de San Juan de Plan, où se trouvent des ouvriers ariégeois. L’état civil de Rabat nous apprend qu’un forgeur, originaire de Rabat, y est mort en 1793. Durant toute cette période, l’usine est dirigée par un Français, Jean Jaulieu, de Vicdessos. Il y meurt en décembre 1809364. En 1764, 1771 et 1786, les autorités françaises constatent que les forgeurs ariégeois passent en Espagne en grand nombre365. Au XIXe siècle, la présence de forgeurs ariégeois en Aragon est attestée par différentes sources. Dans le haut Aragon, ils sont aussi dans les forges d’Huesca et de Bielsa ; en Catalogne, dans les forges de Lérida (1869), de Fournals (10 avril 1797). Sont encore cités en Espagne les lieux de Cabouru et de Baga366. Des forgeurs ariégeois se rendent aussi dans la région de Bilbao. Cyrille Galy, forgeur de Rabat, passe un acte sous seing privé devant le chancelier du consulat de France de cette ville, le 4 avril 1860. Il est rejoint par sa femme, Marie Bonnans, de Rabat elle aussi. Le 3 septembre 1864, les deux époux, toujours depuis Bilbao, donnent procuration à Georges Galy, forgeur de Rabat367. Les forgeurs ariégeois vont peut-être plus loin, engagés par Vincent Vasquez, maître de forges de Galice, membre de la Société des maîtres de forges de l’Ariège, en 1836.

- En Andorre

  • 368 O. Codina, De fer et de laine. Économie et société des vallées andorranes de 1575 à 1875, op. cit., (...)
  • 369 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio (...)

181Le développement de la sidérurgie andorrane est très lié aux Pyrénées ariégeoises : les constructeurs de forges, les forgeurs viennent du comté de Foix. Du XVIIe au XIXe siècle, la main-d’œuvre qualifiée des forges andorranes est originaire des vallées voisines des Pyrénées françaises368. À la farga Rossell, par exemple, en septembre 1866, le foyé vient des Cabannes, le régisseur de Siguer, le maillé de Luzenac. En 1875, le foyé est de Luzenac, l’un des deux escolas est d’Albiès et l’autre de Verdun. Deux autres escolas sont originaires de Saurat. Les exemples pourraient être multipliés à loisir. Le foyé Jean Régnier des Cabannes y travaille sans interruption de 1864 à 1872. Au total, l’équipe de la farga Rossell est modifiée à huit reprises en 28 ans de fonctionnement, de 1845 à 1877. Ce qui est finalement peu369.

  • 370 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 852 à 6 862, 8 012 à 8 014, tables de successions et absences, bureau de T (...)

182Certaines destinations sont plus lointaines, parfois même très lointaines, et ressortent de déplacements individuels, sans que nous en sachions beaucoup plus. On note la présence de forgeurs de Rabat à Agen (1835 et 1849), à Bordeaux (1873) ; de Saurat à Saint-Gilles en Vendée ; de Rabat à Nîmes, Marseille (1872) ; des Cabannes à Fréjus (5 juin 1844 et 1846) ; de Verdun à Liancourt (Oise). Un forgeur de Surba est en Californie en 1850, et un autre de Rabat demeure au Mexique (8 mai 1854)370.

  • 371 R. Ferra, Etude démographique, économique et sociale d’un village de l’Ariège aux XVIIIe et XIXe si (...)
  • 372 L. Goron, « Les migrations saisonnières dans les Pyrénées au début du XIXe siècle », Revue Géograph (...)
  • 373 E. Gueymard, « Mémoire sur les forges catalanes de Pinsot, situées dans l’arrondissement de Grenobl (...)

183Sur les registres de l’état civil de Rabat, pendant la Monarchie de Juillet, très nombreuses sont les déclarations de naissance effectuées par un témoin, « le père forgeur étant absent »371. Les forgeurs fuxéens fournissent la main-d’œuvre des forges de l’Ariège, des départements voisins, de l’Andorre et de la Catalogne, de quelques unes de l’Aragon, la plupart, sinon même la totalité de leurs ouvriers. Pour certains auteurs, dans l’Aude (16 forges) et les Pyrénées-Orientales (18 forges), l’industrie du fer n’utilise que des ouvriers ariégeois. Ce sont là les seules indications que nous ayons sur l’importance chiffrée de ces migrations, elles intéressent environ 500 forgeurs pour chaque campagne. C’est bien leur spécialisation et leur réputation d’habileté qui les entraînent ainsi hors de leur pays372. Il faut insister, on rencontre des forgeurs originaires des Pyrénées ariégeoises dans toutes les véritables forges à la catalane, y compris lors des tentatives les plus éloignées, dans le Dauphiné par exemple. En 1816, les ouvriers de la forge de Pinsot viennent de l’Ariège. Le prix de la main-d’œuvre est de 3,50 francs pour chaque quintal de fer. Il faut y ajouter 50 centimes environ pour l’indemnité accordée aux forgeurs comme frais de voyage373. Les forgeurs ariégeois sont bien considérés comme les mieux qualifiés pour contribuer à l’expansion du procédé à la catalane. En 1803, le préfet de l’Aveyron, voulant construire une forge à la catalane, fait venir des forgeurs de l’Ariège. L’origine des ouvriers est une garantie de réussite. Les déplacements interrégionaux et même internationaux éclairent les types de complémentarité existant entre pôles sidérurgiques, mais ils ne concernent qu’une minorité d’ouvriers internes. L’espace de recrutement privilégié de cette main-d’œuvre coïncide avec la zone sidérurgique la plus réputée de la technique choisie. L’aire de recrutement et d’emploi définit une aire technique cohérente, caractérisée par un système technique (une filière) homogène, avec des fronts pionniers. C’est le cas de la sidérurgie à la catalane dont l’élément moteur est constitué par les forgeurs des Pyrénées ariégeoises et par leur savoir-faire.

- La durée des migrations

  • 374 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, (...)

184Ces migrations sont temporaires, d’une durée variable. Plusieurs facteurs, inhérents à la forge à la catalane, comme à toute usine métallurgique hydraulique, entrent en compte pour fixer la durée d’une campagne sidérurgique. Plus que les approvisionnements en minerai et surtout en charbon de bois, qui ont une influence directe sur la durée de roulement de l’atelier, l’état des cours d’eau est déterminant. Ainsi, il existe une grande différence entre l’est et l’ouest de la chaîne des Pyrénées, l’existence d’un étiage estival. En règle générale, le chômage estival dure de juillet-août à septembre-octobre. Mais, dans les Pyrénées-Orientales, aux maigres plus précoces et plus prolongés, le travail s’arrête dès le mois de mai et ne reprend qu’en novembre, soit environ six mois plus tard. Il en va autrement dans les Pyrénées occidentales où l’étiage n’est pas suffisamment prononcé, les années normales, pour interrompre le travail des forges. Ainsi, la production de la forge de Nogarot ne cesse-t-elle que cinq semaines entre mars 1834 et juin 1838 ; de même, entre décembre 1851 et février 1856, on ne relève que quelques journées de chômage, en juin 1852 et décembre 1853. Au surplus, pendant les périodes d’inactivité de la forge de Nogarot, les forgeurs peuvent être occupés à Béon ou à Asson374. D’ailleurs, comme pour les Pyrénées ariégeoises, la période d’activité des forges ne peut s’encadrer entre des dates rigoureusement fixes. La durée de travail a une influence directe sur la rémunération des forgeurs payés à la tâche, qui exigent un salaire d’autant plus élevé que la campagne est plus courte.

185Les déplacements des forgeurs, comme ceux de la plupart des paysans pyrénéens, sont considérés en principe comme des migrations hivernales. Or, la réalité, liée aux périodes de travail des forges, est plus nuancée. La saison commence, selon le climat des régions d’accueil, soit à la Saint-Jean, soit au mois de septembre, parfois même un peu plus tard. Généralement au début de l’automne, la brigade conduite par le foyé arrive à la forge. Leur présence dans l’usine est longue et dure normalement le temps de la campagne. Les forgeurs ne font que « des migrations momentanées », les plus longues de 6 mois à un an. L’usage est qu’ils retournent chez eux à la fin de chaque campagne. Dans tous les cas, le chômage d’été, à partir d’avril ou de juin, permet aux forgeurs, comme le dit le préfet de l’Aude, de « retourner dans l’Ariège, pour visiter leur famille et leur propriété ». Tel est le schéma classique de cette migration ouvrière. Cependant, le travail est souvent interrompu pour les fêtes de Noël, malgré les difficultés d’un retour à l’entrée de l’hiver, à travers les montagnes et au milieu des neiges. De façon plus générale, il n’est pas rare que, pendant la durée de la campagne, les forgeurs éprouvent le besoin de revenir momentanément dans leur village. La durée d’une campagne aux forges de Gincla est communément de 7 mois, rarement 8 jusque vers 1825, date à partir de laquelle le travail n’est plus interrompu que pendant 3 ou 4 semaines au plus « par le besoin que les forgeurs éprouvent de faire un ou deux voyages par an, dans leur pays pour voir leur famille et y régler leurs affaires d’intérêt ». Le cas des forges audoises peut être généralisé. Il est bien entendu que les frais de ces allers et retours sont à la charge du maître de forges. À la fin de la campagne, le maître de forges offre un dîner de départ aux ouvriers.

  • 375 L. Goron, « Les migrations saisonnières dans les Pyrénées au début du XIXe siècle », Revue Géograph (...)

186Durant l’absence des forgeurs, le travail agricole incombe de façon classique aux femmes et aux enfants restés au village, y compris la culture des terres et les soins au bétail. Les hommes les aident durant le chômage estival qui correspond aux plus gros travaux agricoles. Certains de leurs contemporains doutent, cependant, qu’ils mettent réellement la main à la pâte. Ils considèrent que le travail qu’ils vont chercher au dehors n’est plus un travail complémentaire, mais bien leur occupation essentielle, sinon même exclusive. Et en effet, leur renommée professionnelle les entraîne ainsi hors de leur pays, tout autant sinon plus que la nécessité. Le préfet de l’Aude, en 1825, fait remarquer que la plupart d’entre eux ont des propriétés, que « plusieurs possèdent des capitaux de 50 000 et 60 000 francs ». C’est pourquoi, ajoute-t-il, « l’on peut croire que, de ces ouvriers au travail lucratif, et qui rentraient assez bien lestés d’argent, beaucoup ne consacraient pas ces mois de repos à faire chez eux les récoltes et à y préparer les terres pour les semailles suivantes ». Ils ne sont déjà plus tout à fait des paysans se contentant de combler par une occupation extérieure les lacunes du calendrier agricole de la montagne et complétant par un salaire d’appoint les maigres revenus d’un sol ingrat et d’une propriété exiguë. Ils tendent à devenir des ouvriers spécialisés, presque totalement détachés de la terre, et qui laissent probablement à leur famille les plus lourds soucis de l’exploitation agricole375. Ils ne faut pourtant pas oublier que les salaires gagnés à la forge servent à agrandir avec opiniâtreté la propriété foncière.

- Ce que les forgeurs rapportent

  • 376 M. Taillefer, « Les Pyrénées ariégeoises vues par les membres d’une société savante du XVIIIe siècl (...)
  • 377 En octobre 1846, le syndic des vallées d’Andorre qui est aussi maître de forges se plaint auprès du (...)
  • 378 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio (...)
  • 379 L. Goron, « Les migrations saisonnières dans les Pyrénées au début du XIXe siècle », Revue Géograph (...)
  • 380 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6619.

187Laissons la parole aux anciens forgeurs telle que Morère la transcrit : ils rapportent à la maison une gourde de vin de Roussillon, un gigot et surtout les douros et les pièces d’or, tout ce qu’ils ont gagné (quelques centaines de francs). Les forgeurs qui travaillent dans la région apportent 25 à 30 francs par semaine, les pique-mines une douzaine de francs, tous des provisions pour les jours suivants et pour les enfants un morceau de pain de la fargue. Le résultat financier des ces migrations est, au minimum, que les ouvriers « reviennent après quelques mois pourvus d’un gain suffisant pour soulager l’indigence impatiente de leurs familles »376. Les forgeurs ariégeois sont attirés par les hauts salaires qui leur sont proposés, aussi n’est-il pas nécessaire de revenir sur cette question. Il s’agit simplement de rappeler un ordre de grandeur. Les gains sont élevés pour les ouvriers attachés aux forges, dont les occupations, très spécialisées, sont bien rémunérées. Il ne faut pas oublier, cependant, que si le maître de forges fournit aux ouvriers la viande, le pain, le sel, l’huile et la part de vin qui correspondent à leur salaire, la quantité de vivres reçue est insuffisante, d’autant que dans certaines forges ils doivent acheter leur pain eux-mêmes377. Ils sont donc obligés de compléter leur nourriture en s’approvisionnant au magasin attaché à la forge, laissant ainsi une partie de leurs gains sur place. En 1850, les dépenses du maillé de la farga Rossell pour compléter son approvisionnement en pain, viande et vin, représentent 20 % du salaire qu’il a touché pendant toute la campagne. La même année, les escolas dépensent 35 % de leurs gains. En 1864, les forgeurs laissent, globalement, de 21,58 à 23,44 % de leurs salaires, le montant des suppléments alimentaires varient, selon le statut de l’ouvrier, de 7 à 30 % du salaire. Les vivres que consomment les valets sont à la charge du maître ouvrier. Au total, en 1866, l’alimentation a nécessité l’achat de 34 kg de viande, 203 kg de pain et de 463 litres de vin. En 1868, sont achetés 32 kg de viande, 94 kg de pain et 375 litres d’huile. Cette année-là, la consommation de vin, salaires et achats, est de 807 litres en 8 semaines, et 603 litres en 5 semaines, soit 1,7 et 2,1 litres par ouvrier et par jour378. Finalement, lorsque les forgeurs reviennent d’Andorre ou de Catalogne, ils ont touché un salaire mensuel d’environ 150 francs pour le foyé, le maillé et les deux escolas, et en moyenne de 37,50 francs pour les pique-mines et de 22 francs pour les miaillous, « frais de nourriture et d’entretien déduits »379. Ainsi, c’est donc environ 900 francs chacun que les maîtres ouvriers apportent à leur famille pour 6 mois de travail, 225 et 132 francs pour leurs valets. Autre exemple, le 7 novembre 1828, le travail du foyé Alexis Galy à la forge de Ria lui a rapporté 833,20 francs, mais nous ignorons la durée de son séjour380.

- Mais des effets pervers

  • 381 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, (...)

188Mais ces migrations peuvent avoir des inconvénients à la fois pour le pays de départ et pour les pays d’accueil. Certes, le maître de forges a tout intérêt à conserver ou à voir revenir une brigade qui lui a donné satisfaction. Trop d’indications manquent pour apprécier l’influence réelle de ce truisme. Dans le Béarn, l’homme d’affaires du marquis d’Angosse écrit, en septembre 1797 : « j’ai envoyé chercher les forgeurs, et j’ai pris des précautions pour que ce soit de meilleurs ouvriers que les précédents »381. Mais il semble que, dans la plupart des cas, la forge retienne l’ouvrier, le foyé surtout, mais aussi la totalité de la brigade. L’usine fonctionne de préférence avec ceux qui l’ont en grande partie entretenue, réparée, qui ont donné les mesures du creuset, placé la tuyère, disposé le marteau, forgé les outils.

- Pour les Pyrénées ariégeoises

  • 382 Arch. dép. Ariège, 1 C 159, lettres du comte de Saint Florentin au marquis de Gudanes, Versailles, (...)
  • 383 Arch. dép. Ariège, 3 J 4, procès-verbaux des États de Foix, 28 novembre 1771.

189L’attraction des forges lointaines sur les forgeurs pèse sur la sidérurgie ariégeoise, dans la mesure où elle exerce une pression sur les salaires, favorable aux ouvriers. Mais le risque le plus grand est celui de manquer de main-d’œuvre, d’autant que « les Espagnols ont établi près de notre frontière un nombre considérable de forges et qu’ils y attirent par l’avantage du salaire beaucoup de charbonniers, mineurs, forgerons et voituriers » au point que, en 1764, les maîtres de forges ariégeois s’inquiètent du préjudice qu’ils peuvent subir. L’affaire remonte jusqu’à Versailles qui décrète l’interdiction d’aller travailler en Espagne, sous peine d’emprisonnement pour ceux qui seront surpris passant dans ce pays. Le marquis de Gudanes, maître de forges emblématique du pays de Foix, est chargé de mettre en place les mesures coercitives. Immédiatement, les communautés de Saurat, Vicdessos, Junac, qui abritent les hommes du fer, protestent énergiquement contre cette interdiction, parce qu’alors, « une infinité d’ouvriers qui sans cela [la liberté d’aller travailler en Espagne] seront exposés à mourir de faim eux et leurs familles »382. De nouveau, en 1771, les États de Foix sont confrontés à ce problème383. Toujours pas de solution efficace, puisque, en 1786 et en 1788, l’intendant du Roussillon et du pays de Foix avoue son impuissance à faire respecter les édits interdisant aux forgeurs d’aller travailler à l’étranger. À la difficulté passagère de recruter des ouvriers compétents, s’ajoute le développement durable d’une concurrence susceptible de menacer l’industrie sidérurgique des Pyrénées ariégeoises, grâce au savoir-faire de ses propres ouvriers.

- Pour les régions et les pays d’accueil

  • 384 Tronson du Coudray, Mémoires sur les forges catalanes, op. cit., p. 66-67.
  • 385 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio (...)

190Il ne faut pas exagérer les risques courus par les Pyrénées ariégeoises, la position des usines étrangères est bien plus délicate. La forge qui accueille les forgeurs ariégeois est en position de faiblesse dans la mesure où elle n’a guère le choix de sa main-d’œuvre. Le maître de forges mécontent peut certes congédier l’ouvrier ou la brigade qui ne le satisfait pas, il est toujours obligé de s’adresser aux Ariégeois. Mais il s’agit d’un des rares cas où l’industriel est en position de force, l’ouvrier « manque au massé », c’est-à-dire que le massé rend un produit en métal inférieur à la normale, sans que le forgeur puisse se justifier « par des raisons valables telles que des accidents survenus aux trombes, au creuset ou au marteau », c’est donc que l’ouvrier a mal fait son travail. Il ne peut invoquer la mauvaise qualité du minerai, « parce qu’il n’est reçu que lorsqu’il est jugé bon par [lui] », ni celle du charbon de bois puisqu’il en a aussi contrôlé la qualité. « Il ne reste par là, pour la diminution du produit, que des raisons qui peuvent être personnelles aux forgerons ; telles qu’un grillage insuffisant dans les forges où la mine a besoin d’être grillée, ou un mélange mal proportionné de mine grillée avec de la mine crue dans celles où ce mélange a lieu ; ou enfin le peu d’attention dans la manière de charger le fourneau ou de conduire le feu… C’est singulièrement du défaut d’attention dans la manière de charger le fourneau, et de conduire le feu, que proviennent les plus ordinaires et les plus considérables diminutions dans les produits »384. L’ouvrier renvoyé doit quitter immédiatement la forge pour éviter tout risque de malversation et décourager toute tentation de détériorer le fourneau, la trompe ou le marteau. Mais la production est arrêtée le temps de trouver un ou des remplaçants, période d’inaction plus ou moins longue selon l’éloignement de la forge. À l’inverse, un forgeur peut abandonner la brigade à tout moment. À la farga Rossell, en 1864, Félicien Maurie, maillé de Luzenac, quitte la forge pour aller à la forge de Bielsa. Le régisseur de la forge andorrane doit alors, à son tour, « arracher » le maillé de la forge de Llavorsi. Parfaite illustration de la puissance du spécialiste reconnu, de la surenchère des salaires et de l’impuissance du maître de forges ! Le cas contraire existe aussi : le chef de la brigade décide de renvoyer un ou plusieurs forgeurs qui ne lui donnent pas satisfaction. En 1875, au milieu de la campagne, toujours à la farga Rossell, le foyé Lin Bonnel de Luzenac demande au régisseur de se défaire des 2 escolas, Bernard Roques d’Albiès et Vidal Alrieux de Verdun. Le propriétaire de la forge ne peut qu’obtempérer : ils sont remplacés par les frères Pagès de Saurat que le foyé considère « supérieurs »385. C’est qu’un mauvais escola fait perdre de l’argent à toute la brigade ! La remarque de Carlos Mas sur la quantité de charbon utilisée pour fabriquer 100 kg de fer forgé qui ne diminue pas dans les forges de la vall Ferrera, alors que l’économie de combustible est notable dans les forges ariégeoises, conduit à se poser des questions sur l’attitude des forgeurs lorsqu’ils sont dans des usines éloignées des Pyrénées ariégeoises. Faut-il conclure que, payés à la tâche, ils utilisent le combustible sans retenue lorsqu’ils travaillent dans la vall Ferrera pour obtenir une production la plus substantielle possible ? Mais cela ne se ferait qu’au détriment du maître de forges et des bénéfices qu’il tirerait de son usine.

  • 386 Arch. dép. Hérault, C 5657, enquête de 1764 sur les mines de la Province de Languedoc.

191La présence, obligée, des forgeurs ariégeois peut aussi être considérée comme un handicap, un frein au développement local. Tel est, en 1764, le sentiment des rédacteurs de l’enquête sur les mines du Languedoc : « On est persuadé qu’il seroit possible de tirer un meilleur parti de ces mines si l’on trouvoit facilement des mineurs et des forgerons dans ce païs, mais on est obligé de les faire venir à grand fraix du païs de Foix et, quoiqu’on leur assure de forts salaires, l’attachement qu’ils ont pour leur païs les dispose peu à favoriser par leur travail les exploitations en Languedoc. Le seul moyen pour remédier à cet inconvénient seroit de former des forgerons dans les lieux même des exploitations »386. Ce sentiment est renforcé par l’attitude des ouvriers ariégeois qui tiennent à l’écart les travailleurs locaux. Cet attachement des forgeurs à leur « secret » et leur volonté farouche de le préserver maintiennent le pays d’accueil dans la dépendance des Pyrénées ariégeoises et de leurs hommes du fer, véritable subordination. L’hégémonie ariégeoise laisse ainsi peu de place à l’émergence d’une main-d’œuvre strictement autochtone. Il peut arriver qu’un indigène soit valet d’escola pendant quelques semaines : c’est l’unique brèche connue dans le monopole des forgeurs ariégeois. Cela se vérifie aussi bien dans les forges audoises et béarnaises que dans les ateliers andorrans et espagnols. Une telle attitude limite la diffusion de leur savoir-faire et interdit l’accès au métier de forgeur aux nombreux travailleurs qui sont à la lisière de la production du fer. C’est pourquoi la main-d’œuvre employée dans les forges étrangères à la haute Ariège se réduit dès le XVIIIe siècle à un petit groupe de spécialistes qui, au fil du temps, ont durablement imposé un salaire plus élevé au-delà d’une certaine distance de leurs lieux d’origine.

192Les migrations plus ou moins durables, plus ou moins lointaines, qui caractérisent la communauté des forgeurs à la catalane des Pyrénées ariégeoises apparaissent comme une dimension essentielle des rapports des hommes et du travail. Elles sont aussi un des aspects par lesquels ces rapports façonnent la société montagnarde. Cette mobilité révèle des forgeurs qui utilisent toutes les possibilités de l’offre de travail dans une aire technique étendue où ils bénéficient du monopole d’embauche et qui en jouent collectivement, c’est-à-dire qu’ils s’informent les uns les autres sur les opportunités d’emploi et sur le niveau des salaires, faisant preuve de solidarité. La circulation de ces informations est facilitée par la proximité géographique : l’étroitesse de la zone d’origine des forgeurs, trois cantons contigus autour de Tarascon, dont la foire est le véritable épicentre de l’engagement des équipes d’ouvriers. Facilitée aussi par l’étroitesse de cette main-d’œuvre très spécialisée qui renforce sa cohésion par la pratique d’une très forte endogamie professionnelle. Les forgeurs ariégeois ont su se réserver une aire de travail qui dépasse les limites territoriales de leur région d’origine. Pouvons-nous aller jusqu’à dire qu’il existe un authentique marché de l’emploi dans l’aire technique à la catalane ? Le schéma classique qui oppose, d’un côté l’univers des compagnons qualifiés très mobiles, et de l’autre celui des paysans-ouvriers proto-industriels qui le sont moins, ne s’applique guère aux Pyrénées et à la sidérurgie à la catalane.

  • 387 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1, Fonds d’Outrelaize, forge du Couserans.
  • 388 Combes, « Mémoire sur les deux forges catalanes de Gincla et de Sahorre », Annales des Mines, op. c (...)
  • 389 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 612 à 6 645, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Tarascon (...)
  • 390 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La farga Rossell. El zenit de l’obtencio d (...)
  • 391 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 8 S 2, rapport de l’ingénieur des Mines, 1812, cité par Véronique I (...)

193Les forgeurs entraînent dans leur sillage d’autres spécialistes eux aussi réputés : constructeurs de forges, régisseurs ou facteurs et martinéteurs. Et enfin, bien que leur savoir-faire soit très partagé par les populations qui les accueillent, les voituriers ; avec les mineurs et les charbonniers, ils contribuent à la cohérence de la filière à la catalane installée hors des Pyrénées ariégeoises et participent à l’enrichissement de leur pays natal. Ainsi, des Ariégeois érigent ou achètent des forges hors de leur pays, tout en conservant des liens avec lui, y revenant périodiquement. Ils se rencontrent aussi bien en France qu’en Espagne. Le 13 septembre 1776, Vergniès, « l’un des meilleurs maîtres de forges du pays », revenant d’Espagne où il possède la forge de Bielsa pour rejoindre sa vallée natale de Vicdessos, s’arrête à la Forge neuve d’Oust qui marche très mal. Véritable expert, il propose des solutions pour l’améliorer387. Jean Bernadac, né à Larcat et propriétaire des Cabannes, loue en l’an X (1801-1802) la forge de Mérial (Aude) qui appartient à Debosque d’Espéraza. L’expert chargé d’évaluer l’état de l’usine est Astrié du Castelet. Vers 1820, Bernadac construit la forge de Sahorre (Pyrénées-Orientales), après avoir « travaillé longtemps dans les forges des Pyrénées et surtout dans celles du département de l’Ariège »388. Raymond Lin Capdeville, de Castenau-Durban, dont le père, né à Luzenac, était commis de forge, est fermier de la forge de Quillan à partir de 1797 ; il possède aussi un entrepôt dans cette ville audoise. Il prend par la suite des intérêts dans la forge de Touille (Haute-Garonne). De retour à la forge de Castelnau-Durban, il dispose d’un magasin pour ses fers à Tarbes. Viguier est copropriétaire de la forge de Montoulieu dans l’Aude (1810). Casimir Vergniès Bouischère possède la forge de Guran dans la Haute-Garonne (1851). Le 22 février 1853, Antoine Denjean, prêtre, desservant la paroisse de Lapège, dans la vallée de Vicdessos, achète la forge de Gesse (Aude). Un Ariégeois est maître de forges à Hèches en 1866. Enfin, le maître de la forge de Baga (Espagne) est originaire des Cabannes (1867)389. Au XVIIe siècle, les premières forges andorranes sont édifiées selon un modèle diffusé par les forgeurs de Vicdessos et de Siguer. Les constructeurs de la forge de Canillo, en Andorre, érigée dès 1643 avec une trompe, viennent de Miglos. En 1842, le plan de la farga Rossell est dessiné par un ingénieur de Tarascon. Les travaux sont réalisés de 1842 à 1845. Des mineurs de Rancié participent à l’édification de l’obriou de l’usine et à la création des infrastructures hydrauliques. La trompe est érigée sous la direction de techniciens ariégeois. Deux maillés, de Castelnau-Durban, dont Antoine Burronet, dirigent l’élaboration des marteaux390. Les forges des Pyrénées ariégeoises ont fait la preuve de leur supériorité à l’intérieur de l’aire technique à la catalane. Il est donc facile de comprendre pourquoi les sidérurgies voisines font confiance à ce type d’usine, à leurs constructeurs. Le plus bel hommage rendu à leur qualité est la description des forges du Conflent (Pyrénées-Orientales) « construites selon la méthode de l’Ariège »391.

  • 392 C. Reynaud, « Moulins à fer et forges catalanes : mise en place d’une proto-industrie dans les Pyré (...)
  • 393 Arch. dép. Ariège, 1 R 55, listes de conscription, canton des Cabannes.
  • 394 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 852 à 6 862, tables des successions et absences, bureau de Tarascon, 1825- (...)
  • 395 B. Gille, Les forges françaises en 1772, op. cit., p. 139. Dans cette enquête, d’autres Languedocie (...)
  • 396 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La farga Rossell. El zenit de l’obtencio d (...)

194Les fermiers de forges d’origine ariégeoise sont nombreux à exercer loin de leur région natale. Dans l’Aude, ils sont déjà présents au XVIe siècle : en 1562, Jacques Vaquier de Quérigut est fermier de la forge d’Escouloubre ; en 1564, c’est Jehan Cazilhac, maître forgeur de Villeneuve-d’Olmes, qui afferme cette forge. En 1715, un charpentier de Luzenac construit une trompe neuve à la forge de Roquefort de Sault. En 1776, Jean Antoine Roussel, marchand ferrier d’Ax, est fermier de cette forge, il est remplacé par Astrié, négociant d’Ax, lui aussi. Astrié, père et fils, sont, à partir de 1781, fermiers des forges de Sainte-Colombe-sur-Guette et de Counozouls. Maurel et les frères Avignon, marchands, tous de Bélesta, sont fermiers de la forge de Sainte-Colombe-sur-L’Hers392. En 1830, Alexandre Pagès, des Cabannes, est commis de forge à Padern393. Des garde-forges originaires des Cabannes et de Gourbit travaillent aux forges de Quillan et de Niort (Belcaire). Lin Bonnel est directeur des forges de Gincla. En 1840, un Ariégeois est régisseur de forge aux Martys394. Sans vouloir multiplier les exemples, il faut aussi noter la présence des Ariégeois dans le Roussillon : en 1772, la forge de Balcera, dans le Capcir, qui appartient à M. de la Houlière, est exploitée par Avignon et Cordier, négociants languedociens395. Au XIXe siècle, un régisseur de forge, originaire des Cabannes est à Saint-Geniès près d’Argelès (Pyrénées-Orientales) ; un commis de forge à Perpignan en 1872. Dans la Haute-Garonne, la forge d’Arbas a un commis de forge de Vicdessos. En Andorre, la forge de Moles est arrentée à Pierre Verdier de Villeneuve d’Olmes en 1762396. Jean Baptiste Bonnesi et Honoré Bonnet, habitants d’Ax, afferment la forge del Comu de Canillo entre 1749 et 1761. Ils remplacent « Arrie », lui aussi d’Ax qui a tenu l’usine de 1737 à 1740. Bonnet est le dernier locataire de la forge de Ransol, puisque la commune décide de la démanteler. Les usines appartenant à la famille Areny d’Andorre, celle du Serrat et celle d’Ordino sont régies par la même personne : Auger. Un commis de forge, né à Siguer, est en Andorre où le régisseur de la forge d’Ordino est originaire de Vicdessos.

  • 397 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 117, 118, 120.
  • 398 Les relations ne sont pas à sens unique même si l’intensité des deux courants n’est pas comparable, (...)

195La vall Ferrera présente une belle illustration de l’implication des hommes des Pyrénées ariégeoises dans l’administration des sidérurgies voisines. La famille Astrié d’Ax, très liée au travail du fer, est très présente. En 1754, les deux frères Astrié, Joseph et François, s’installent à Alins et arrentent l’ancienne forge. Ils signent un nouveau contrat en 1755. À la fin de cette année, Joseph entreprend l’érection de la forge nouvelle d’Alins et Llavorsi. Les deux frères sont encore présents en 1762, 1763. En 1768, ils apparaissent à la nouvelle forge de Llavorsi qui comprend aussi un martinet. Joseph n’a pas achevé la construction en 1768, mais il cherche à louer l’usine d’abord à un Français « Juan Pierres ». Par la suite, un de ses fils se rend en France pour recruter un « maître de forges » expérimenté. Ribera, lui aussi originaire de France, régit des forges dans la vall Ferrera, il reste plus de vingt ans à la forge d’Ainet, qui sera arrentée par les frères Astrié. La forge de Llavorsi a elle aussi un facteur français, nommé Pierrot, qui a commencé comme garde-forge. De 1779 à 1790, les forges d’Alins et de Llavorsi sont aussi dirigées par un Français, Pere Julia, le premier d’une lignée de trois générations d’administrateurs. À sa mort, il est remplacé par un compatriote, Rausi, qui gère ces usines de 1790 à 1803. Antoine Julia, fils de Pere, restera aux forges de Castellarnau durant 50 ans, de 1792 à 1842. Il est d’abord garde-forge, puis facteur et, à partir de 1809, administrateur. En 1842, il laisse l’administration à son frère Baptiste qui, dès 1818, est facteur de Llavorsi, de la forge d’Alins. Baptiste Julia est encore administrateur en 1870 et son fils Joseph est facteur de Llavorsi397. Dans la plupart des cas, le nouvel arrivé ou le jeune héritier d’une lignée qui entreprend une carrière d’administrateur, commence par exercer la fonction de garde-forge, puis ayant acquis une connaissance de sa fonction et de l’expérience, il devient commis, régisseur ou facteur. La tradition familiale, l’engagement d’hommes nouveaux dans les Pyrénées ariégeoises assurent la continuité de la présence ariégeoise dans la direction des forges de cette région catalane. Jean Jaulieu, de Vicdessos, est administrateur de la forge de San-Juan-de-Plan. Toujours en Espagne, on peut noter en 1829 la présence d’un commis de forge de Verdun, d’un natif d’Auzat ; un autre est à la forge de Fournols en 1797 ; en 1869, un commis de forge de Verdun est à Lérida398.

  • 399 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 852 à 6 862, tables des successions et absences, bureau de Tarascon, 1825- (...)
  • 400 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 991 ; Arch. dép. Ariège, 1 R 40 à 1 R 56, listes de conscription ; Arch. d (...)

196Des spécialistes, enfin, de moindre importance travaillent aussi dans les mêmes régions. Des forgerons de Saurat, de Verdun, de Pech, de Saleix, se rencontrent à Bages, près de Thuir, à Céret (Pyrénées-Orientales) ; un marteleur de Saurat à Saint-Paul-de-Fenouillet dans le même département ; d’autres se retrouvent aux Martys dans l’Aude. Hors de l’aire technique à la catalane, ils sont présents à Bordeaux, à Marseille et jusqu’à Oran. Un maréchal-ferrant de Mercus est à Navarrenx399. Plus nombreux sont les martinéteurs ariégeois qui se rendent dans des usines proches de forges à la catalane, dans le Béarn par exemple mais aussi à Toulouse, à Touille dans la Haute-Garonne où Saurat, originaire de Foix, est surveillant d’atelier, au Saut-du-Tarn. Ils sont originaires des mêmes villages que les forgeurs, mais la majorité d’entre eux vient de la Barguillère400.

  • 401 J.-F. Soulet, Les Pyrénées au XIXe siècle. Organisation sociale et mentalités, op. cit., tome I, p. (...)

197Les forgeurs ariégeois sont « l’aristocratie des migrants »401. Ils ont ainsi un intérêt vital à ce que le système perdure tel qu’il est, sans trop de changements. Cette attitude, avec celle des administrateurs de forges, des mineurs, charbonniers et voituriers, de tous ces Ariégeois impliqués dans le travail du fer loin de chez eux, ne peut que consolider la fidélité au procédé direct et les logiques économiques et sociales qui sous-tendent le choix réitéré de son maintien.

2/ L’aire de diffusion du minerai de Rancié et les migrations des mineurs

198Il est bien connu que le minerai de Rancié étend sa domination hors des Pyrénées ariégeoises. Son recours s’explique, certes, par l’absence de mines de qualité, mais aussi par la volonté des forgeurs ariégeois de continuer à réduire un minerai qu’ils connaissent parfaitement, même si ceux qui leur sont parfois proposés sont proches de celui de Vicdessos. Il leur est d’autant plus facile de peser sur le choix du minerai que la mine « n’est reçue que lorsqu’elle est jugée bonne par eux ».

  • 402 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, mémoire au sujet des nouvelles forges que l’on projette de construire da (...)
  • 403 Arch. dép. Ariège, 137 S 3 ; Arch. dép. Ariège, 137 S 1 ; J. François, Recherches sur les gisements(...)
  • 404 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, requête du sieur de Niaux à l’intendant.

199Vers le milieu du XVIIIe siècle, toutes les forges du Couserans, les 8 du diocèse de Mirepoix et presque toutes celles, environ 8, du diocèse d’Alet n’emploient d’autre minerai que celui que leur fournit la montagne de Vicdessos. En 1772, 21 forges du Languedoc ou de la Guyenne se pourvoient aux minières de Vicdessos. Dans les années 1780-1790, elles alimentent (en plus des 21 du comté de Foix) les usines du Couserans, du diocèse de Mirepoix, du diocèse d’Alet et même quelques-unes du diocèse de Narbonne, soit au total 50. L’abbé Palassou estime à 40 le nombre de forges approvisionnées par la mine de Sem402. Ce trafic se poursuit au XIXe siècle, avec les forges à la catalane des départements voisins de l’Aude, de la Haute-Garonne, mais aussi des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Orientales, du Tarn. Dans les années 1820, 9 forges situées hors de l’Ariège sont alimentées par le minerai de Rancié : dans l’Aude, Mérial, dont le propriétaire est Lacube de Villeneuve d’Olmes, Sainte-Colombe qui appartient à Rivière, Quillan au général Clauzel, Axat, Roquefort, Counozouls ; Puyvalador dans les Pyrénées-Orientales, Touille dans la Haute-Garonne et Monségou dans le Tarn. Au milieu du siècle, la mine de Rancié fournit 4 feux de la Haute-Garonne, 3 des Hautes-Pyrénées, 4 du Tarn, et en partie 4 feux dans l’Aude. Le minerai est porté jusqu’à 179 km de Sem. Des distances aussi grandes ne peuvent être parcourues que si les voituriers sont assurés d’un retour aux forges des Pyrénées ariégeoises, soit avec des denrées de première nécessité, soit le plus souvent, avec du charbon de bois, essentiellement pour les forges des cantons de Tarascon et de Vicdessos. Par suite d’un aussi long parcours, le prix du minerai rendu à la forge s’élève, vers 1840, jusqu’à 5 et 5,50 francs pour 100 kg et subit ainsi une augmentation de 4 et 4,50 francs. Le prix du transport pour les forges de la plaine est de 0,025 franc pour 100 kg par kilomètre ; il s’élève de 0,05 à 0,07 franc pour les forges de la montagne approvisionnées par charrettes et de 0,10 à 0,13 franc si elles ne peuvent l’être qu’à dos de mulet403. Des tentatives, ponctuelles, sont faites vers l’Andorre et parfois vers l’Espagne, plus précisément vers la vall Ferrera. Aux alentours de 1740, le seigneur de Niaux a acheté des forêts en Espagne et a imaginé de bâtir une forge à Tor. Il demande donc la permission de passer du minerai de France en Espagne, afin que la voiture destinée à ce service puisse rapporter le charbon pour sa forge de Niaux à moindre frais. En effet, les frais de transport seraient « ruineux » si les muletiers se rendaient à vide en Espagne. M. de Niaux ajoute un autre argument : « toute mine de fer qui sort du pays de Foix paye par charge l’équivalent d’une charge de fer, celle qu’il faut pour faire aller la forge d’Espagne portera donc au Roy 3 000 livres »404. Le projet est finalement abandonné. Cet épisode est révélateur de la manière dont les maîtres de forges de la vallée de Vicdessos cherchent à utiliser l’avantage que leur donne leur mainmise sur le minerai de Rancié.

  • 405 Combes, « Mémoire sur les deux forges catalanes de Gincla et de Sahorre », Annales des Mines, op. c (...)
  • 406 C. Reynaud, « Moulins à fer et forges catalanes : mise en place d’une proto-industrie dans les Pyré (...)
  • 407 L. Cordier, « Sur la forge à la catalane de Monségou », Journal des Mines, tome 27/1, n° 157, janvi (...)

200Il est facile de comprendre que, à l’intérieur de ce vaste cadre géographique, il arrive que le Rancié, malgré sa qualité et le désir des forgeurs, soit parfois abandonné et remplacé pendant des périodes plus ou moins longues, provisoirement donc, soit en totalité, soit partiellement. Il peut aussi être mélangé à des minerais locaux dans les forges les plus éloignées de la haute Ariège ou dans celles proches de mines de fer aux minerais acceptables par les ouvriers, fournissant seulement un complément d’approvisionnement. Certes, toutes les forges des Pyrénées audoises utilisent le minerai de Rancié. Mais les forges de Quillan réduisent aussi celui de Villerouge (Aude) et celles de Gincla, Montfort, Sainte-Colombe-sur-Guette, Roquefort-de-Sault et Counozouls, celui de Fillols dans le massif du Canigou (Pyrénées-Orientales). De fait, ce recours à des minerais importés représente un surcoût non négligeable pour les forges audoises. D’après Rivals, en 1767 le minerai payé à la mine de Fillols 1 livre 9 deniers le quintal poids de marc, revient, rendu à Gincla, à 2 livres 1 sou 9 deniers, soit plus du double. Au début des années 1820, le minerai traité est pris en totalité aux mines de Fillols parce que M. Rivals, propriétaire des forges de Gincla, est devenu concessionnaire de ces mines. Le désir de Rivals est d’alimenter son usine et presque toutes celles du département de l’Aude, qui devront s’approvisionner à Molitg, où un entrepôt de minerai a été construit. Mais les chemins pour aller de Gincla à Fillols sont très mauvais, plus difficiles encore que celui qui mène à Quillan. Les transports ne peuvent se faire qu’avec des ânes ou des mulets. Les frais de transport sont évalués à 3 ou 4 francs par quintal métrique, pour une distance qui est à peu près de 38 km405. En 1788, la forge de Saint-Denis abandonne le minerai de Lagrasse, trop pauvre, pour celui de Rancié. La forge de Gesse, quant à elle, l’emploie pour 1/3 de sa consommation totale. Les forges des Corbières et de la Montagne Noire préfèrent s’approvisionner aux mines de Palairac et de Villerouge, plus proches406. Mais toutes ces forges, en particulier celles des districts de Quillan et de Limoux restent fidèles au minerai de Sem pendant toute la période à la catalane. La forge de Monségou dans le Tarn présente un autre cas. Elle utilise « une mine de fer brun, hématite ou compacte, mélangée d’un quartz et de chaux carbonatée ferrifère (fer spathique) » de mines situées près de Lacaune, à 16 km environ de l’usine. Le minerai rendu à la forge revient à 48 francs la tonne dont 36 francs pour l’extraction et 16 francs pour le transport, un âne portant 60 kg. Or, il se trouve que la reprise du travail de la forge est souvent retardée par le manque de minerai. C’est pourquoi son propriétaire, M. Vieux, de Brassac (Tarn), passe des contrats avec des voituriers ariégeois. Le 1erjanvier 1822, il signe un accord avec quatre rouliers de Saurat pour transporter pendant un an tout le minerai à partir du magasin de Cabre, pour le prix de 2,85 francs le quintal de 150 rendu à Brassac. Si cela n’est pas possible, le chargement sera laissé à Castres, mais alors le coût du transport entre Castres et Brassac sera déduit. Le fret de retour jusqu’à Saurat est constitué par du charbon de terre du Tarn (Minière de Ravin) qui est évalué à 7,50 francs le baril, ce qui fait 3 francs par balle407.

  • 408 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, mémoire au sujet des nouvelles forges que l’on projette de construire da (...)
  • 409 Arch. dép. Ariège, 1 C 161, mémoire au sujet des mines de la vallée de Vicdessos.

201Les maîtres de forges ariégeois, et particulièrement ceux de Vicdessos, n’oublient pas que le minerai de Rancié est un véritable atout dans la lutte commerciale qui les oppose aux industriels des régions voisines. Ils contrôlent, ou à tout le moins ils peuvent tenter de contrôler, l’approvisionnement en matière première de certains de leurs concurrents. Le premier argument avancé pour s’opposer à de nouvelles constructions de forges est simple, utilisé tout au long de la période à la catalane : « l’on s’aperçoit déjà depuis quelque temps que la mine de fer devient rare à Vicdessos ». Tous les prétextes sont bons. En 1827-1828, les maîtres de forges ariégeois, soutenus par le préfet de l’Ariège, protestent parce qu’il n’y a pas eu d’affichage en Ariège de la demande de construction d’une forge à Toulouse. Il est vrai que la loi de 1810 sur les mines ne l’impose pas. En effet, elle ne prescrit l’affichage que dans le chef-lieu du département, de l’arrondissement, dans la commune où sera située l’usine et dans le lieu de résidence du demandeur. Les maîtres de forges estiment cependant que le préfet de la Haute-Garonne a délibérément tenté de leur cacher cette construction408. Parfois, la manœuvre est plus dissimulée : au milieu du XVIIIe siècle, les consuls de la vallée de Vicdessos, qui sont aussi maîtres de forges, interdisent le travail dans les miniers du Tartié et de Lauriette, sous prétexte que le minerai est de mauvaise qualité. En réalité, il s’agit de « rendre la matière rare » pour peser sur la concurrence409.

202Le cas de Rancié est loin d’être unique dans les Pyrénées, les mines du Canigou, la mine basque de Somorrostro ont de nombreuses caractéristiques semblables. La zone de diffusion du minerai de Rancié a des dimensions réduites comparée à la zone dessinée par les déplacements des forgeurs ariégeois à l’intérieur de l’aire technique à la catalane. Les mineurs se déplacent, eux-mêmes, loin de leur mine. Ils repoussent les limites géographiques fixées par le commerce du minerai de Sem et, mettant leurs pas dans ceux des sidérurgistes, ils participent directement à la définition d’une aire d’influence plus étendue en se rendant dans les mines de régions qui n’utilisent pas le minerai de Rancié.

- Les migrations des mineurs de Rancié

  • 410 R. Soueix, « L’émigration dans le Vicdessos au XVIIIe siècle (d’après les registres des notaires) » (...)
  • 411 Arch. dép. Ariège, 1 R 36, 1 R 45, 1 R 85, 1 R 95, listes de conscription, canton de Vicdessos.

203La supériorité de Rancié se marque aussi par la réputation de ses mineurs. Il est patent que la technique de ces mineurs-paysans est rudimentaire. Or, ils sont reconnus comme des spécialistes compétents dans les régions voisines de la mine de Sem, et les maîtres de forges n’hésitent pas à faire appel à eux dès que l’extraction du minerai exige des travaux souterrains plus délicats. La plupart sont de simples mineurs, mais certains sont qualifiés de « conducteurs de mineurs » et de maîtres mineurs. Au-delà de la reconnaissance de leur supériorité technique, la présence des mineurs hors de Rancié et de l’Ariège doit aussi être mise en rapport avec celle de leurs compatriotes forgeurs qui jouent le rôle moteur pour l’ensemble de la filière à la catalane ariégeoise et aussi avec celle des maîtres de forges et des administrateurs venus des Pyrénées ariégeoises (vall Ferrera, Andorre par exemple). Il existe certes des décalages chronologiques entre les migrations des forgeurs et celles des mineurs, mais les lieux et les méthodes de recrutement sont exactement les mêmes. Les raisons et les conditions des déplacements saisonniers des mineurs de Rancié sont identiques à celles qui poussent les forgeurs sur les chemins des forges éloignées. Les quelques différences que l’on peut noter s’expliquent par les spécificités du statut des mineurs et de leur métier. Sem, Goulier et Olbier fournissent l’essentiel du contingent des ouvriers migrants. Il faut cependant noter, sans surprise, que les mineurs sont bien moins présents dans les courants migratoires que les forgeurs ou les charbonniers, et que les villages miniers connaissent une émigration saisonnière proportionnellement moins élevée que les autres communes. La continuité du travail ne rend pas obligatoire une migration saisonnière, sans compter le revenu sûr qu’apporte la mine puisque chacun des mineurs de l’office doit être employé. Cependant, il existe un courant d’émigration temporaire, parfois sur plusieurs années, vers des régions voisines où les minerons de Rancié sont appréciés410. L’ensemble de l’aire d’influence de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoises est concernée par ces mouvements. En 1811, par exemple, Ignace Maury, habitant Sem, travaille aux mines de Lagrasse ; en 1820, Pierre Malapeyre, de Goulier, est absent lors de la conscription parce qu’il est à la forge de Bielsa ; de même, en 1860, Barbe, de Goulier, est conducteur de mines en Espagne où il réside ; enfin, en 1870, Nan, de Goulier, est mineur résidant à Sahorre (Pyrénées-Orientales)411. La zone d’influence des mineurs de Vicdessos s’étend sur les deux versants des Pyrénées ; le versant sud comprend, au moins, l’ensemble de la région qui va du col de la Bonaïgue à celui d’Envalira.

204Le courant le mieux établi est orienté vers la vall Ferrera et vers l’Andorre voisines. En Pallars Sobirà, les mineurs, « menyarons », sont des gens du pays mais aussi des travailleurs venus de France. Ainsi, lors de la recherche et de l’ouverture des mines du Pallars au XVIIIe siècle, il est fait appel à la main-d’œuvre originaire de Sem, Olbier et Goulier. En Andorre, en 1747, deux mineurs de Goulier sont engagés par Guillem Areny pour approvisionner les deux forges du Serrat et d’Ordino. L’étude la plus précise porte essentiellement sur la mine de la Coma de Ransol. Toutes les brigades de mineurs viennent des Pyrénées ariégeoises. Les Andorrans représentent moins de 3 % du total des mineurs recensés et moins de 1 % des brigades connues. La part des ouvriers de la Principauté est plus importante tant que l’extraction se fait de façon superficielle, mais, dès que le travail exige le percement de galeries, le recours à des spécialistes devient obligatoire. C’est pourquoi, à partir de 1759, les ouvriers autochtones disparaissent complètement jusqu’au début du XIXe siècle. Par la suite, ils refont une timide apparition et représentent moins de 1 % des contrats enregistrés entre 1817 et 1876 (0,3 % pour l’ensemble de la période). Dans tous les cas, il s’agit de mineurs ariégeois ou de leurs descendants qui se sont installés dans les vallées andorranes. Les deux zones d’origine des mineurs les plus présentes sont celles délimitées par les communes de Lercoul/Siguer/ Laramade et Olbier/Sem/Goulier. La première est majoritaire au XVIIe siècle, puis elle laisse la place à la seconde à partir du XVIIIe siècle. Entre 1700 et 1800, les mineurs originaires de ce secteur passent de 42 % des contrats à plus de 60 %. Cette prééminence ne semble pas être spécifique à l’Andorre. Les autres mineurs ariégeois sont originaires de Saleix, Vicdessos, Junac et Miglos où se trouvent des mines, dans la vallée de Vicdessos et les derniers de Pech et d’Albiès près de Château-Verdun dans la vallée de l’Ariège où est située l’autre mine de fer historique des Pyrénées ariégeoises. Le facteur de la forge, l’administrateur, est responsable de l’embauche des mineurs, mais il ne traite qu’avec les maîtres mineurs. Pour cela, il se rend aux foires de Siguer, Vicdessos et Tarascon. Les mineurs sont directement embauchés par les maîtres mineurs lors de la formation des brigades, composées de cinq ou six mineurs. Dans la majorité des cas, le chef de brigade et les mineurs qui la composent sont originaires de la même commune qui, en Andorre, donne son nom à la brigade, sans aucune référence aux ouvriers qui les forment. Les liens de parenté sont aussi très importants et l’on observe des lignées de mineurs qui, de père en fils, travaillent à la Coma de Ransol, entourés de leurs cousins et neveux.

  • 412 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p 160 et note 107 ; D. Mas i Canalis, « Auge i dec (...)

205En Andorre, mais cela est vrai pour l’ensemble des Pyrénées, la campagne d’extraction commence lorsque l’accès à la mine située en altitude est possible et que la place du minier est dégagée de la neige et de la glace. Le travail ne commence guère avant la fin du mois de mai ou le début du mois de juin. Le gros de l’extraction est réalisé en juin et juillet. De fait, en Andorre, entre la dernière semaine de juillet et les deux premières d’août, le nombre des mineurs se réduit de près de moitié. Le travail prend fin entre septembre et octobre. Certains des mineurs qui restent dans la principauté durant l’été participent au transport du minerai entre la mine et la forge, s’ils possèdent des animaux de bât. À la Coma de Ransol, la charge de minerai est payée 16 deniers barcelonais en 1737 et 17 deniers en 1772, soit une augmentation à peine supérieure à 6,25 %. Mais avec la valeur de la charge de minerai entre 1619 et 1629, 12 deniers barcelonais, la hausse est de 33,33 % en presque un siècle. En réalité, elle est plus réduite. En effet, le salaire des mineurs est effectivement payé en monnaie française alors que la monnaie barcelonaise est utilisée pour les comptes, c’est-à-dire que la valeur réelle du salaire dépend du change entre ces deux monnaies. L’augmentation réelle n’est que de 27,5 % au milieu du XVIIIe siècle par rapport au début du XVIIe siècle. Le pouvoir d’achat des mineurs stagne au XVIIIe siècle. Mais cette stagnation est corrigée par la croissance de la production, puisqu’ils sont payés à l’extraction qui passe de 352 tonnes par an en moyenne au début du XVIIIe siècle à 678 tonnes dans les années 1780- 1790. La comptabilité des forges du Serrat, d’Ordino et de La Massana met en évidence un doublement de la somme annuellement déboursée par le maître de forges pour chaque mineur dans la première partie du XVIIIe siècle. Par la suite, si la croissance de la production se poursuit, le gain du mineur se stabilise parce que l’augmentation de l’extraction n’implique plus un allongement de la durée des campagnes, une main-d’œuvre plus nombreuse est engagée. Au XIXe siècle, l’optimum de l’extraction aux mines de Ransol se situe entre 1807 et 1817, puis la tendance générale s’oriente à la baisse. Parallèlement, le salaire par charge a nettement augmenté : il atteint 67,5 deniers barcelonais en 1810 (15 sous français) et 80 deniers en 1868, soit un doublement du pouvoir d’achat effectif par charge de minerai. Cette hausse des salaires s’explique principalement par les difficultés des maîtres de forges andorrans à recruter les mineurs. L’augmentation de la demande de minerai en Ariège, associée à la baisse de l’extraction dans les mines andorranes, rend la migration en Andorre moins attractive et moins lucrative pour les mineurs ariégeois. Cette difficulté à engager des mineurs oblige les Andorrans à se tourner vers d’autres localités. Ainsi ils se rendent à la foire de Tarascon pour prendre contact avec les mineurs de la zone de Château-Verdun et compléter ainsi les brigades qu’ils avaient déjà engagées, soit en renouvelant les contrats, soit à l’occasion des foires de Siguer ou de Vicdessos. La situation reste pourtant préoccupante pour eux, obligeant les facteurs à se déplacer à plusieurs reprises en Ariège pour embaucher des mineurs, sans toujours parvenir à former les brigades au mois de mai, début de la campagne d’extraction. La proximité géographique entre la Coma de Ransol et les hautes vallées du Vicdessos permet aux mineurs de faire venir leur ravitaillement de leurs villages d’origine, distants de guère plus de quatre heures de marche. Ce qui explique que les dépenses faites pour et par les mineurs en Andorre sont fort réduites. Dans les comptes des forges, le montant de ces frais équivaut globalement à 20 % de celui qui figure sur les comptes des forgeurs qui étaient cinq à six fois moins nombreux (période 1776-1876)412. Cette dernière remarque confirme une nouvelle fois que les Ariégeois sont attirés hors de leurs vallées par des salaires plus élevés, et qu’ils rapportent en Ariège la plus grande partie de l’argent gagné, en limitant au maximum les dépenses sur leur lieu de travail.

  • 413 Arch. dép. Ariège, 1 C 159 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 16.

206Les migrations des mineurs, même si elles n’atteignent pas l’ampleur de celles des forgeurs, produisent les mêmes effets et les maîtres de forges ariégeois se plaignent du manque de minerai. En 1764 et 1765, ils parviennent à faire interdire aux mineurs d’aller travailler en Espagne ou « sur la frontière »413. Et pourtant, en 1786, l’intendant reconnaît son impuissance à faire respecter les édits. À la mi-octobre 1788, Manuel Mendigonia est arrêté à Vicdessos où il recrute des mineurs de Rancié pour les maîtres de forges catalans, en leur promettant un salaire double de celui qu’ils touchent dans le pays de Foix. En six mois, Mendigonia a déjà persuadé une cinquantaine de travailleurs de partir en Espagne. Les mineurs de Rancié participent ainsi à l’extension des Pyrénées ariégeoises. Ils contribuent à l’enrichissement et à la renommée de l’industrie à la catalane ariégeoise. Ils nous ont permis d’apporter des nuances à la zone d’influence de cette dernière, la géographie des migrations des mineurs n’est pas exactement celle des migrations des forgeurs.

3/ Les migrations des charbonniers ariégeois

  • 414 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 45.

207« Les charbonniers ariégeois jouissent dans le pays d’une assez grande réputation », cette remarque explique pourquoi les maîtres de forges, hors des Pyrénées ariégeoises, font appel à eux414. Il faut veiller à bien faire la différence entre les charbonniers envoyés au loin par les maîtres de forges ariégeois pour l’approvisionnement de leurs forges et ceux qui sont appelés par les administrateurs des forges étrangères pour alimenter en charbon leurs propres usines. Dans le premier cas, le charbon de bois est transporté en Ariège, alors que, dans le second, le charbon est consommé sur place, dans les forges de la région d’accueil des charbonniers. La zone de migration des charbonniers ne doit pas être confondue avec la zone d’achalandage en charbon de bois des usines ariégeoises. Cette dernière est à la fois plus complexe et plus diffuse, en perpétuelle expansion, de plus en plus large. Elle est essentiellement tournée vers l’intérieur des Pyrénées ariégeoises, courant énorme et vital pour la sidérurgie à la catalane fuxéenne, sans aucune solution de remplacement possible. Le courant migratoire des charbonniers, au contraire, est du même type que ceux des forgeurs et des mineurs, avec de simples nuances apportées par les spécificités de ce métier.

  • 415 L. Goron, « Les migrations saisonnières dans les Pyrénées au début du XIXe siècle », Revue Géograph (...)
  • 416 Lefebvre, « Notice sur le combustible employé dans les usines à fer des départements des Hautes et (...)
  • 417 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., Tome II, p. 189, note 1.

208Il semble que les Pyrénées ariégeoises soient les seules à envoyer hors de chez elles des charbonniers professionnels415. Les charbonniers basques, cependant, se déplacent loin de leur pays. Sur le versant français, ils travaillent pour les forges de Baïgorry et de Larrau et quelquefois pour celle d’Urdos dans les Pyrénées-Atlantiques. La règle générale est que les paysans des environs des forges les approvisionnent416. Cette vocation particulière des montagnards du Pays de Foix est une conséquence directe du développement très ancien de la métallurgie, ainsi que de la renommée de la sidérurgie à la catalane ariégeoise. Il part chaque année environ 500 charbonniers des cantons de Foix, de Tarascon et des Cabannes, pour aller travailler dans les forges de la Catalogne et de l’Andorre417.

Les migrations professionnelles des mineurs, charbonniers et forgeurs ariégeois

  • 418 Arch. dép. Ariège, 1 R 29 à 1 R 95, listes de conscription.
  • 419 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 612 à 6 645, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Tarascon (...)
  • 420 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Mijanès.

209La commune du Bosc dirige vers l’Espagne la plus grande partie de ses migrants, le canton de Vicdessos en envoie, de son côté, vers l’Andorre, ainsi que le canton de Tarascon, d’où il en sort 80. Ils émigrent de la mi-mai ou de la mi-juin jusqu’à la fin d’octobre pour aller charbonner dans les hautes forêts des vallées de l’Andorre et de la haute Catalogne afin d’y préparer le combustible nécessaire à la campagne d’hiver. En toute logique, les communes de départ des charbonniers sont celles dont les habitants sont spécialisés dans cette profession, celles du canton de Tarascon avec principalement Saurat, celles du canton de Foix, de la Barguillère avec le Bosc, et de Freychenet, au-dessus de Saint-Paul-de-Jarrat. D’autres communes enfin participent à ces mouvements de façon moins massive, à l’image de Massat, de Fougax ou de la vallée de Vicdessos. La zone de migration des charbonniers ariégeois comprend d’abord les régions voisines du Languedoc et du Roussillon418. Les charbonniers de Saurat se rencontrent dans le département de l’Aude, à Belvianes, Roquefort, dans les villages de la vallée de la Boulzane, Montfort et Gincla par exemple, à Sainte-Colombe où Maury de Saurat « semble s’y être marié et installé » (1806), à Gesse et enfin à Quillan. Ils travaillent aussi à Touille (Haute-Garonne), à Bruniquel (Tarn-et-Garonne) et à la forge de Monségou (Tarn). Ils sont aussi présents dans les Pyrénées-Orientales : en 1841, un charbonnier de Saurat est dans la forêt de Pazilla419 ; vers 1818, les charbonniers de la forge de Puyvalador « sont ceux fournis par le canton de Saurat », par contre, le transport du charbon de bois à la forge est fait par les habitants de Puyvalador420. Ils peuvent encore être à Perpignan comme à la forge de Mosset où Blazy de Saurat « exerce son état de charbonnier depuis environ six mois ».

  • 421 R. Soueix, « L’émigration dans le Vicdessos au XVIIIe siècle (d’après les registres des notaires) » (...)
  • 422 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 175 et note 23, p. 218, note 139. Cabanade ou c (...)
  • 423 J. A. Salas-Ausens, « Les Français en Espagne dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Les França (...)
  • 424 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio (...)
  • 425 Arch. dép. Ariège, 1 R 85, listes de conscription, canton de Tarascon, 1860 ; Arch. dép. Ariège, 1  (...)

210Leur présence est forte en Espagne et en Andorre. C’est par les ports du haut Vicdessos qu’ils gagnent, comme les forgeurs, les vallées andorranes ou la vall Ferrera. Des charbonniers de Vicdessos sont présents dans les villages de la haute Noguera à Alins, Areu, Tabescan et Lladorre421. Des charbonniers ariégeois sont attestés en 1788 dans la vall Ferrera. D’une façon plus générale, lorsque les maîtres de forges ont des difficultés pour trouver des charbonniers dans leur vallée, ils font appel à une main-d’œuvre venue de France. Ainsi, en 1816, les habitants d’Areu demandent aux facteurs des forges de la vall Ferrera un prix plus élevé pour le charbon. Les facteurs refusent et l’alcade interdit aux habitants de charbonner. Les régisseurs font alors venir des charbonniers de France. En 1822, les charbonniers d’Areu exigent un paiement d’avance de 40 ou 50 quintaux de fer. Le régisseur des forgeurs pense alors à faire appel aux charbonniers français, bien qu’il « n’en passe pas beaucoup à cause de la rigueur du contrôle à la frontière ». Nouvelles difficultés de passeports en 1824. Il en est ainsi tout au long du siècle. En 1866, un garde-forge se rend en France pour faire venir 5 cavanades de charbonniers422. Dans la haute Ribagorzana, en 1791, 18 charbonniers et 10 porteurs français travaillent à la forge de San-Juan de Plan423. Souvent les hommes de Saurat, du Bosc, de Serres, sont dits « en Espagne » où ils exercent leur « profession de charbonniers » environ six mois de l’année, sans plus de précision. En Andorre, le charbon qui est employé à la forge Rossell est majoritairement fabriqué par des ouvriers venus d’Ariège, principalement de la Barguillère, de Ganac, Sentenac et Le Bosc. Le reste de la main-d’œuvre est surtout originaire des vallées de Saurat et de Massat. Ces charbonniers ont produit 95,6 % du charbon livré à la forge. La situation à la forge Areny est identique : 97,4 % du charbon sont élaborés par des ouvriers ariégeois424. Des destinations plus lointaines, mais beaucoup plus rares, doivent être ajoutées : les Landes, le grand duché de Berg et, dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’Algérie où des charbonniers de Saurat exercent leur métier à Mascara et à Médéa425.

  • 426 O. Codina, De laine et de Fer. Économie et société des vallées andorranes de 1575 à 1875, op. cit., (...)
  • 427 Arch. dép. Ariège, 1 C 159, 1764.
  • 428 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, requête aux États de Foix contre l’interdiction d’aller travailler en Es (...)

211Les modalités des émigrations temporaires des charbonniers sont semblables à celles des forgeurs. Le contrat est généralement fixé à la fin de la période précédente. L’administrateur de la forge, qui est aussi généralement ariégeois, se déplace aux foires de Tarascon et de Foix pour rencontrer les chefs de brigade et engager le nombre de charbonniers prévu par rapport aux secteurs que l’on a décidé d’exploiter. Il s’agit de déplacements collectifs, les cavanades rallient ensemble les forêts dans lesquelles elles doivent travailler. Les liens familiaux sont aussi nombreux dans une même équipe. Portet, charbonnier du Bosc, est absent lors du tirage au sort, il s’est rendu en Espagne avec son père depuis la Pentecôte de l’an XIV. Les charbonniers après une absence de quatre à six mois seulement, reviennent d’Andorre ou de Catalogne avec 150 francs chacun, « frais de nourriture et d’entretien déduits », somme appréciable pour l’époque, selon le préfet de l’Ariège, et même 300 francs selon Dralet qui estime que les 500 charbonniers du pays de Foix rapportent au total 150 000 francs. Les règlements faits par les forges andorranes donnent une bonne description des rémunérations des spécialistes ariégeois. Selon le change appliqué et le prix fixé par charge, la production d’une « cabanada » d’un charbonnier varie de 94 à 110 livres tournois en 1723-1730 à 125-175 livres entre 1737 et 1780, puis de 225-475 entre 1800 et 1810, à 218-500 livres entre 1840 et 1850. Pour finir, de 234 à 484 livres tournois entre 1866 et 1876. Au cours de cette période, le change entre la livre barcelonaise et la livre tournois était passé de 1 pour 3 à 1 pour 2,5. Lors de la crise du début du XIXe siècle, il est de 1 pour 2 au moment où les salaires sont les plus hauts, puis il se stabilise à 1 pour 2,5 pour le reste de la période. Même en tenant compte de l’inflation, ces chiffres montrent qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un salaire permettant de vivoter comme l’affirment les membres de la communauté de Saurat. En équivalent blé sur le marché andorran, cela représentait respectivement 100/117, 116/162, 118/206, 133/291 et 116/239 setiers de blé426. Devant cet important courant de migration hors des Pyrénées ariégeoises, les maîtres de forges locaux s’alarment de la même manière qu’ils l’avaient fait face aux migrations des forgeurs et dans la même protestation. En 1764, ils cherchent à faire interdire le passage en Espagne où la promesse de salaires élevés attire de nombreux charbonniers. Le subdélégué demande alors aux marguilliers des paroisses du Bosc, de Serres, de Brassac et de Ganac de lui remettre sous huitaine « un catalogue exact de tous les cloutiers, voituriers, charbonniers, mineurs, forgerons et autres ouvriers des forges et embaucheurs natifs ou habitants des dites paroisses dans lequel il sera spécifié le royaume, province, paroisse et lieu où chacun des dits ouvriers se trouve présentement occupé » et il leur enjoint « de faire défense à tous les susdits ouvriers présents d’aller travailler hors du royaume à peine d’être punis comme réfractaires rebelles et désobéissants aux ordres du roi ». Le marquis de Gudanes, chargé de faire appliquer ces décisions, fait arrêter et emprisonner dans la tour Ronde du château de Foix, le 24 avril 1764, Raymond Boy dit Loustaud, de La Cabirole, charbonnier de Barguillère, reconnu pour « embaucheur des autres charbonniers du pays qui passent dans les royaumes étrangers »427. La communauté de Saurat, « composée presque toute de charbonniers sans fonds de terre, et par conséquent misérables » ne peut pas accepter cette interdiction qui « priva l’année dernière cette communauté de plus de dix mille francs que les charbonniers rapportent chez eux et dans l’espace d’environ trois mois ». C’est pourquoi, le 28 avril 1765, le conseil politique, en assemblée dans la maison commune, entend « tous les jours les plaintes et gémissements de la plus grande partie de nos habitants à l’occasion des ordres de la cour qui défendent aux charbonniers, minerons et forgeurs d’aller travailler en Espagne pendant l’été, ce qui ne fait qu’augmenter la misère dans le haut comté de Foix, et particulièrement dans cette communauté ». Le conseil ajoute : « Qu’il est notoire qu’il y a dans le comté la moitié plus de charbonniers qu’il ne faut pour exploiter le peu des bois qui sont dans la province, … que cette moitié surnuméraire s’en allaient tous les ans travailler environ quatre mois en Espagne, qu’ils y gagnaient dans ce temps de quoi payer les charges de l’État, de quoi nourrir leurs familles et vivotaient le reste de l’année en travaillant en France, au lieu que depuis ces ordres une partie de ces ouvriers se sont trouver sans travail et ceux qui ont pu être employés sont revenus les mains vides et endettés envers les fabricants lesquels s’étant prévalus de la facilité d’en trouver leur ont augmenté le prix des denrées qui leur ont fourni et diminué celui de leurs travaux, en sorte que les collecteurs sont dans l’impossibilité de faire leurs levées, et que ces misérables crèvent de faim, ce qui les obligent à s’expatrier pour toujours d’un pays qui n’est pas en état de fournir à leur subsistance sans la liberté d’aller travailler où ils peuvent… dont ils ont joui de tous les temps »428. Le tableau est délibérément noirci pour des raisons évidentes.

  • 429 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Mijanès, vers 1818.
  • 430 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio (...)

212La présence des charbonniers ariégeois loin de leur village complète la description de la filière technique à la catalane hors des Pyrénées ariégeoises et reflète la renommée des hommes du fer ariégeois. Elle démontre aussi que leurs savoir-faire sont indispensables au développement d’une industrie sidérurgique à la catalane solide. Il apparaît clairement que ces ouvriers ariégeois opèrent sur un tissu de production en partie préexistant mais aussi que leur intervention offre au procédé à la catalane l’occasion de se répandre et de s’unifier grâce aux solutions plus « modernes » qu’ils apportent. C’est la forge que les techniciens ariégeois diffusent et dont ils assurent le fonctionnement avec l’aide de leurs compatriotes mineurs et charbonniers, qui est l’archétype de la forge à la catalane. Le personnel de la forge de Puyvalador (Pyrénées-Orientales) permet de toucher du doigt les liens qui existent entre les Pyrénées ariégeoises et les différentes régions de l’aire technique à la catalane qui sont sous leur influence. La position géographique de la forge dans le Roussillon, son ouverture sur la Catalogne la prédisposaient à subir les influences catalanes, or « les charbonniers sont ceux fournis par le canton de Saurat, les forgeurs sont exclusivement du canton des Cabannes, Tarascon et Saurat ». Certes, « le transport du charbon de bois à la forge est fait par les habitants de Puyvalador », et « le fer est transporté à Montlouis et de là en Espagne par des charrettes à bœufs du pays ». C’est dire que le marché de cette usine est essentiellement orienté vers la Catalogne et pourtant les techniciens viennent tous de l’Ariège429. La farga Rossell en Andorre offre une autre très belle illustration des relations qui se sont établies entre les Pyrénées ariégeoises et l’aire technique à la catalane. La date tardive de sa création, 1842, en fait le cas emblématique de l’emprise ariégeoise sur certaines sidérurgies voisines alors que le système technique est à son apogée430. Ce modèle peut être généralisé, avec, cependant, de légères corrections, indispensables pour tenir compte d’éventuelles spécificités locales.

  • 431 Arch. nat., F12 1603 ; J. François, Recherches sur les gisements…, op. cit., p. 153.
  • 432 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 59-61 ; il existe 41 forges selon Gallardo i Ru (...)
  • 433 En comparaison, à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle, la Biscaye dispose d’une centaine de ferrerie (...)
  • 434 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 67, 360.
  • 435 « Le procédé est absolument le même que dans le département de l’Ariège », une indemnité de 50 cent (...)

213La forge et le procédé qui y est mis en œuvre déterminent l’aire technique à la catalane qui s’étend sur les deux versants des Pyrénées, du XVIIe au XIXe siècle. En France, l’enquête nationale sur l’Industrie de 1811 mentionne le Tarn, le Lot, le Lot-et-Garonne, les Basses-Pyrénées, l’Aude, l’Ariège et les Pyrénées-Orientales. La Corse y figure aussi. Vers 1840, la partie française comprend : les Basses-Pyrénées, les Hautes-Pyrénées, la Haute-Garonne, l’Ariège et les Pyrénées-Orientales431. En Espagne, cette aire technique s’articule autour de la Catalogne et pousse jusqu’en Aragon (Bielsa, Huesca). En Catalogne, les plus anciens établissements sont ceux datés du XVIIe siècle dans le Ripollès. Par contre, les forges de la Cerdagne, de la Selva, du Gironès et du Pallars Sobirà sont plus tardives432. La période la plus active de cette sidérurgie se situe entre 1750 et 1850. Il en est de même pour les usines d’Andorre. Au début du XIXe siècle, Dralet en comptabilise 123 sur les deux versants des Pyrénées, 41 en Ariège, 36 entre le Roussillon et l’Aude, 41 en Catalogne et 5 en Andorre433. Fixer les limites de l’aire technique à la catalane permet de mettre en évidence deux pôles : la Catalogne et les Pyrénées ariégeoises qui fonctionnent comme des foyers diffuseurs, organisés autour des deux zones minières les plus importantes : le Canigou et la montagne de Rancié qui ont de nombreuses caractéristiques communes. Des centres miniers secondaires sont rattachés à l’un ou l’autre de ces deux foyers principaux, par exemple les mines de la vall Ferrera et de l’Andorre au pays de Foix. Ainsi, à l’intérieur de cette aire, les Ariégeois ont su organiser durablement une zone d’influence, la plus vaste et la plus homogène : les Pyrénées ariégeoises élargies. Complexité intérieure de l’aire technique à la catalane donc, puisque la vall Ferrera et l’Andorre, régions incontestablement catalanes, sont, à l’évidence, liées au pôle ariégeois par les hommes du fer (mineurs, charbonniers, forgeurs et administrateurs) qu’elles emploient quasiment exclusivement, alors qu’elles expédient l’essentiel de leur production vers le marché catalan. Le Roussillon, lui aussi, connaît une situation complexe, inattendue au vu de l’historiographie catalane : on relève de fortes influences ariégeoises dans le personnel de la forge et dans l’aménagement des usines, alors qu’une partie de la production est orientée vers l’Espagne et qu’une autre est dirigée vers le Languedoc. Dans les forges audoises, enfin, la plupart des forgeurs sont aussi originaires des Pyrénées ariégeoises alors qu’une partie du minerai vient du Roussillon et que la production est écoulée dans le Languedoc. Cette souplesse (la dichotomie plus ou moins nette entre l’origine géographique des ouvriers de grande renommée et la zone de vente du métal, produit reconnu, à la réputation bien établie, répondant à une demande spécifique) est un argument supplémentaire fort qui justifie le choix répété du procédé direct. Être ainsi capable de tirer parti, au mieux de ses intérêts, des diverses possibilités offertes par l’environnement géographique, technique et économique pour développer une activité industrielle parfaitement intégrée dans son écosystème, apparaît comme une preuve d’une action délibérée en faveur d’une méthode nouvelle, mieux renouvelée, et non comme une résignation à conserver un procédé dépassé. Se pose alors avec acuité la question du transfert de technique. Un point est certain : les forges de Catalogne, de la vall Ferrera en tout cas, d’Aragon et d’Andorre présentent « une ressemblance quasi totale » avec celles des Pyrénées ariégeoises434. Mais il n’est pas pour autant possible d’envisager un transfert, puisque les forgeurs ariégeois verrouillent l’accès à leur savoir-faire. Il serait plus exact, au contraire, de parler de désir de préserver une aire d’embauche qui dépasse largement les limites du territoire d’origine. L’expansion de cet espace des Pyrénées ariégeoises élargies se heurte cependant à d’autres sidérurgies directes, à la navarraise et à la biscayenne vers l’ouest ; mais aussi à la sidérurgie indirecte vers l’ouest (Landes), vers le nord et l’est (Dordogne, Bruniquel, Tarn). Cet espace possède enfin des fronts pionniers vers le Pays Basque, l’Aveyron, le Gard, et, plus lointains, le Dauphiné et l’Isère435.

  • 436 À la forge de Monségou, dans le Tarn, « les ouvriers changent chaque année ; on les fait venir des (...)
  • 437 C. Thibon, Pays de Sault. Les Pyrénées audoises au XIXe siècle : les villages et l’État, op. cit., (...)

214Les Pyrénées ariégeoises à la catalane sont caractérisées par les mouvements migratoires des hommes de la forge. Ces courants sont orientés vers l’extérieur, mais permettent de ramener en Ariège, en espèces sonnantes et trébuchantes, une partie du produit de leur travail dans les régions éloignées : salaires des forgeurs, mineurs, charbonniers, voituriers et régisseurs. Le bilan est largement positif, mais très difficile à quantifier précisément. L’ensemble de ces salaires d’appoint contribue à la prospérité relative des Pyrénées ariégeoises. L’aire technique sous influence ariégeoise comprend aussi bien les relations complémentaires et réciproques entre le bas pays et la montagne, que celles établies de part et d’autre de la ligne frontière ; toutes deux sont indispensables à la vie pyrénéenne. La sidérurgie à la catalane est, encore une fois, dans le droit fil d’une tradition solidement établie, mais, et c’est son rôle singulier, elle les porte à un point encore jamais atteint. Ainsi, il est possible de considérer que certaines des forges à la catalane extérieures au département participent au système sidérurgique ariégeois. L’origine ariégeoise du personnel technique de ces usines est un trait structurel, tout au long de la période à la catalane. Administrateurs, facteurs, garde-forges, aux salaires fixes, forgeurs, payés à la tâche, bien qu’ils achètent leurs provisions et leurs aliments sur place, charbonniers, mineurs et voituriers, tous apportent une richesse supplémentaire en France. Le minerai de Rancié contribue lui aussi à repousser les limites, en rattachant, dans des mesures variables, le Tarn, l’Aude, la Haute-Garonne aux Pyrénées ariégeoises436. En sens contraire, c’est-à-dire par des sorties d’argent hors du département, l’aire d’approvisionnement en charbon de bois de plus en plus vaste concourt, elle aussi, à l’élargissement du système technique ariégeois. Si l’on ajoute ensuite à cette forte présence les importations de fer ariégeois dans certaines de ces régions, l’influence de la sidérurgie des Pyrénées ariégeoise prend toute son ampleur. Les contours de sa zone d’influence sont flous et changeants suivant les périodes, alors que ceux de l’aire technique à la catalane sont beaucoup plus nets. Cette constatation renforce l’idée que le voisinage fait partie, à des degrés divers, de l’écosystème ariégeois et qu’il ne faut pas se contenter de la notion d’aire technique basée sur la répartition géographique de la seule forge. La superposition de ces deux « territoires » n’est jamais totale, à la fois dans l’espace et dans le temps. Les conséquences de cet ascendant des Pyrénées ariégeoises ne sont pas négligeables pour les pays d’accueil. Elles sont évidentes sur le plan social et économique et existent même sur le plan humain. Un exemple très révélateur est donné par le département de l’Aude où, entre 1789 et 1836, la croissance démographique exceptionnelle (plus de 100 %) de Belvianes, de Roquefort et des villages de la vallée de la Boulzane, Montfort et Gincla, est liée à l’activité des forges qui bénéficie d’une immigration professionnelle de forgeurs et de charbonniers d’origine ariégeoise (Auzat, Rabat, Saurat)437. Parfois, les hommes du fer ariégeois se sont durablement installés dans les régions où ils sont allés travailler, en France comme en Espagne. Une dernière conséquence historique non négligeable est à noter sur le plan géopolitique, la permanence des liens et des relations entre les hautes vallées espagnoles, andorranes et les Pyrénées ariégeoises, un certain sentiment traditionnel d’unité au-delà des monts.

  • 438 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 125, 132-133.

215Les mouvements à l’intérieur de l’aire technique à la catalane sont complexes, mais en aucun cas unilatéraux, même s’ils sont déséquilibrés. Le bilan est, in fine, favorable aux Pyrénées ariégeoises puisqu’il est possible de dire, certes sans pouvoir le quantifier, qu’elles reçoivent plus qu’elles ne donnent. Cet « enrichissement » doit être pris en compte lorsque l’on cherche à comprendre la fidélité à la réduction directe. Le système à la catalane que maîtrisent parfaitement les Ariégeois leur offre la possibilité de drainer vers leurs villages une partie des richesses qu’ils ont contribué à créer en travaillant pour des sidérurgies lointaines, en détournant vers les Pyrénées ariégeoises une partie, même faible, des profits qui découlent de l’activité industrielle. La sidérurgie des Pyrénées ariégeoises, caractérisée par la production de fer en barres, dispose ainsi d’une sorte de plus-value apportée au métal brut, en repoussant ses frontières, alors que trouver des revenus supplémentaires est indispensable. L’aire à la catalane « n’est ni résiduelle ni désuète »438. Les solutions que ce procédé met en pratique gardent leur efficacité. Dans les premières décennies du XIXe siècle, les deux grandes familles de procédés sidérurgiques ont pour foyers principaux en France la Franche-Comté et les Pyrénées ariégeoises qui, tous deux, envoient leurs forgeurs dans des usines lointaines.

216L’étude de la sidérurgie à la catalane des Pyrénées ariégeoises au plus fort de sa puissance a permis de mettre en évidence les mécanismes, les logiques techniques, sociales, économiques et culturelles susceptibles d’expliquer le maintien tardif du procédé direct de réduction. Le système à la catalane montre qu’il n’est pas figé, mais que, au contraire, grâce à des aménagements et à des innovations (à la fois dans le procédé et dans les appareils), il marche vers son optimum technique. Le large éventail de pluriactivités, permanentes et intermittentes, que cette industrie propose aux hommes de la montagne, leur permet de subsister dans un environnement difficile et ingrat, dans une société modeste qui se paupérise. Mieux, lorsqu’il s’agit de développer une filière technique complète, puis d’assurer son essor industriel, le recours aux hommes du fer ariégeois est indispensable. Que nous considérions le cas d’une industrie ancienne qui se développe grâce à l’adoption d’une variante nouvelle du procédé direct (Languedoc, Guyenne, Roussillon et vall Ferrera) ou le cas de la naissance d’une activité industrielle à partir d’une technique innovante (Andorre), la présence des mineurs, des charbonniers et surtout des forgeurs ariégeois est la condition sine qua non du succès. Les logiques économiques et sociales extérieures viennent alors renforcer le choix réitéré du procédé direct dans les Pyrénées ariégeoises. Pendant environ deux siècles, du milieu du XVIIe au milieu du XIXe siècle, le système productif à la catalane, version moderne du procédé direct, sert de référence, au point que, dans les années 1830-1840, il est toujours considéré comme offrant des solutions rationnelles à des régions qui disposent d’un minerai identique au minerai de Rancié. À la condition, cependant, de recevoir quelques améliorations ! C’est que ses partisans sont parfaitement conscients des faiblesses qui le minent et des changements « révolutionnaires » que connaissent les conditions de production et de commercialisation de la sidérurgie française.

Notes

1 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 194.

2 El Tratado de Metalurgia, op. cit., p. 78-84.

3 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 125, 132-133.

4 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, Montgailhard, 1745.

5 C. Pailhès, D’or et de sang. Le XVIe siècle ariégeois, op. cit., p. 66 ; Arch. dép. Pyrénées-Atlantiques, B 1093 ; Arch. dép. Ariège, 1 J 287.

6 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 176-180.

7 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 138, 750 ; 1 B 51 ; 5 E 713, f° 37. Pays d’Olmes, Arch. dép. Ariège, 46 J 48 ; Arch. dép. Haute-Garonne, B, Table de Marbre, 1 A 11 (2), f° 226 et (4), f° 301.

8 J. de Lahondes « Les diocèses de Mirepoix et de Rieux sous Louis XIV », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1887, p. 129-143.

9 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 311, 313, 542.

10 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 244-245.

11 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 313.

12 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 265.

13 Arch. dép. Ariège, 5 E 1027, acte n° 36.

14 Arch. dép. Ariège, 138 S 6, Cazenave.

15 Arch. dép. Ariège, 2 B 30, f° 334.

16 Arch. dép. Ariège, E, liasse LXVI, n° 50, fonds de l’Évêché de Pamiers, cité dans Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1895-1896, p. 287.

17 Cette forge est présentée comme abandonnée en 1694.

18 Archives du Ministère de la Guerre, château de Vincennes, mémoire de l’intendant d’Andrezel : art. 5, section 1, pièce 29, 1720. La forge de Savignac s’est arrêtée vers 1670, Arch. dép. Ariège, 8 EDT HH1.

19 B. Gille, Les forges françaises en 1772, Paris, 1960, p. 144-151.

20 Arch. dép. Ariège, 1 C 165.

21 Arch. dép. Ariège, 1 C 40-41 ; 3 J 16 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 16.

22 Arch dép. Ariège, 1 C 165, forge de Mijanès.

23 Arch. dép. Ariège, 138 S 6.

24 Arch. dép. Ariège, 138 S 28.

25 Arch. dép. Ariège, 1 C 164.

26 Mérens, L’Hospitalet, Arch. dép. Ariège, 3 J 35 ; Luzenac, Arch. dép. Ariège, 3 J 29 ; Château-Verdun, Arch. dép. Ariège, 1 C 164 ; Montgailhard, Arch. dép. Ariège, 1C 164 ; Auzat, Arch. dép. Ariège, 5 E 1060, actes n° 17, 22 octobre 1722, n° 31, 21 décembre 1722 ; Brassac, Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 289 ; Ganac, Arch. dép. Ariège, 13 J ; Pays d’Olmes, Arch. dép. Ariège, 46 J 48 ; Le Carla, Arch. dép. Ariège, E 421, f°239 ; Bonnac, Arch. dép. Ariège, 1 C 164 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 165 ; Mijanès, Arch. dép. Ariège, 1 C 165 ; Manses, archives privées ; Couserans, Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1-3 ; Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 138, 258.

27 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 324.

28 J. Cantelaube, « Les hommes et le fer en Ariège pendant la Révolution », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, op. cit., p. 97-106.

29 Montgailhard, Arch. dép. Ariège, 138 S 13 ; Saint-Pierre, Arch. dép. Ariège, 138 S 21 ; Planissoles, Arch. dép. Ariège, 138 S 9 ; pour toutes, Arch. nat., F14 4 300, dossier A.

30 Arch. dép. Ariège, 138 S 1.

31 Arch. dép. Ariège, 138 S 19.

32 Arch. dép. Ariège, 138 S 4.

33 Arch. dép. Ariège, 138 S 8 ; Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., tome II, p. 146-147 ; G. Bacrabere, « Histoire d’une fonderie de canons (1793-1866). L’Institut Catholique de Toulouse », Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, tome XLIX - 1989, p. 207-243.

34 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 325 ; Mussy, « Traitement du minerai de fer de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 169 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 183.

35 Arch. dép. Ariège, 137 S 1.

36 Arch. dép. Ariège, 138 S 6, Capoulet-Junac, 1842-1851 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 10, Illier-Laramade, 1835-1848 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 15, Niaux, Forge neuve ; Arch. dép. Ariège, 138 S 7, Château-Verdun.

37 Arch. dép. Ariège, 102 S 252, Tarascon, forge Esquirol ; Arch. dép. Ariège, 138 S 12, Le Mas d’Azil, 1836-1853 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 24, Tarascon, 1847-1862 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 24, Tarascon, Saut del Teil, 1855-1863 ; Arch. dép. Ariège, 102 S 105, Foix.

38 Arch. dép. Ariège, 14 M 17.

39 Arch. dép. Ariège, 14 M 181.

40 Arch. dép. Ariège, 138 S 18, Pamiers, 1857-1870.

41 V. Izard, Les montagnes du fer, op. cit., tome I, p. 312-313, 346, 394.

42 Arch. nat., F12 1603.

43 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., tome II, p. 140-142.

44 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 60-62.

45 R. Uriarte, Estructura, desarrollo y crisis de la siderurgia tradicional vizcaina (1700-1840), op. cit., p. 147 ; I. Carrion, La siderurgia guipuzcoana en el siglo XVIII, , op. cit., p. 332.

46 E. Baraldi, M. Calegari « La forge à la génoise comme facteur de l’écosystème des Apennins en Méditerranée septentrionale (XVe-XVIIIe siècle) », La farga catalana en el marc de l’arqueologia siderurgica, op. cit., p. 489.

47 Arch. dép. Ariège, 138 S 4, Bénagues, mars 1820 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 16, Niaux ; Arch. dép. Ariège, 138 S 15, Niaux, forge neuve, 30 avril 1827 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 9, Berdoulet, 1832.

48 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, réponses du subdélégué à la requête du marquis de Montgailhard, 3 mai 1745 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 41, en particulier : magasin des fers de Foix, 21 mars 1751 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 7, Marque des fers, 1731-1746 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 16, Mémoire au sujet des nouvelles forges que l’on projette de construire dans le pays de Foix et la province de Guyenne.

49 Arch. dép. Ariège, 1 C 165, état des forges et fourneaux, observations, 1 avril 1772.

50 B. Gille, Les forges françaises en 1772, op. cit., p. 144-151.

51 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 225, 273.

52 D. Woronofff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 136.

53 Arch. dép. Ariège, Z° 2226. Jérôme Bonhôte a pu, grâce à un document des Archives nationales, attribuer la rédaction de cet état à l’ingénieur des Mines Brochin et dater de 1807 la constitution de la statistique ; J. Bonhôte, C. Fruhauf, « La métallurgie au bois et les espaces forestiers dans les Pyrénées de l’Aude et de l’Ariège », Forges et Forêts, op. cit., p. 166, note 79.

54 Arch. dép. Ariège, 137 S 1 ; Arch. dép. Ariège, 137 S 3 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 17.

55 Arch. dép. Ariège, 137 S 2.

56 Arch. nat., F14 4487.

57 Jules François indique 57 feux de 1840 à 1843.

58 Arch. dép. Tarn-et-Garonne, 219 S 1, fonderie de Bruniquel, 1809-1834. Lettre de l’ingénieur en chef des Mines d’Aubuisson au préfet du Tarn-et-Garonne, le 27 septembre 1812, après une visite à Bruniquel.

59 M. Arnoux, « Matières premières, innovation technique, marché du fer : les logiques de la carte sidérurgique de l’Europe (XIIIe-XVIe siècle) », Gli insediamenti economici e le loro logiche, op. cit., p. 13.

60 Arch. dép. Ariège, 1 B 8135,79, 1728-1729.

61 Arch. dép. Ariège, 46 J 41.

62 Arch. dép. Ariège, 1 B 145190-192, forge de Bonnac, 1753.

63 Arch. dép. Ariège, 1 B 281134-140, forge de Laprade, 1789.

64 Arch. dép. Ariège, 1 B 107233, forge de Capounta, 1739-1740.

65 Arch. dép. Ariège, 3 J 2, procès-verbaux des États de Foix.

66 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, Engomer, 1825.

67 Arch. nat., K 1162 ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 2, R 14, 1788.

68 C. Pailhès, « Les pays d’Ariège et l’autorité sous l’Ancien Régime », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1991, p. 13-14, 19 ; Pamiers, Arch. dép. Tarn-et-Garonne, C 512, f° 126 v°, État général des domaines dont le roy jouit dans la généralité de Montauban, de 1686.

69 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., p. 136.

70 Arch. dép. Ariège, 1 C 40, 1737-1741 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 41, vers 1750 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 5, procès-verbaux des États de Foix ; Arch. dép. Ariège, 3 J 7, Marque des fers : 1731- 1746.

71 Arch. dép. Ariège, 1 J 74, 1734 ; Arch. dép. Ariège, 1 B 79265-268, Mérens, 1727-1728. Parmi les contestataires, en juillet 1687, l’un des habitants de L’Hospitalet s’appelait Jérôme Astrié, ascendant de cet Astrié, fermier des forges, qui a occasionné la dispute avec le fermier de l’impériage.

72 Arch dép. Ariège, 1 C 165, forge de Mijanès, octobre 1772.

73 Arch. dép. Ariège, 3 J 3, procès-verbaux des États de Foix ; Arch. dép. Ariège, 3 J 7.

74 Arch. dép. Ariège, 2 L 274 ; Arch. dép. Ariège, 1 J 274 ; A. de Saint-Blanquat-Parmentier, « Documents inédits ariégeois sur 1789… les cahiers de doléances du Couserans », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1989, p. 105-147 ; Arch. dép. Ariège, 2 L 10, 13 août 1791.

75 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 137, 139-140.

76 Castillon d’Aspet, Histoire du comté de Foix depuis les Temps Anciens jusqu’à nos jours, 1852, p. 395.

77 Arch. dép. Ariège, 3 J 16 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 164 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 160, 11 décembre 1764 ; Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 338.

78 C. Pailhès, « Les pays d’Ariège et l’autorité sous l’Ancien Régime », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, op. cit., p. 24.

79 L’ouvrage de référence est la thèse de Michel Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., en particulier le chapitre sur la vie de relation, p. 607-647. La citation se trouve p. 607.

80 Arch. dép. Ariège, 3 J 17, lettre du 27 mai 1749.

81 C. Verna, Le temps des Moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), op. cit., p. 137-149, 213-223.

82 J. Bonhôte, J. Cantelaube, C. Rouaix, Forges et Forgeurs de l’Ariège, op. cit., p. 29.

83 Arch. dép. Ariège, 1 B 21199, Saurat, forge de La Mouline, novembre 1773.

84 Arch. dép. Ariège, 1 B 179171, forge de Niaux ; Arch. dép. Ariège, 3 J 7, marque des fers, 1731-1746 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 41, mémoire des États de Foix, 31 janvier 1746.

85 G. Frêche Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières (vers 1670-1789), 1974, p. 48, 61, 64.

86 G. Larguier, Le drap et la laine en Languedoc, Narbonne et Narbonnais (1300-1789), Perpignan, 1996, t. II, p. 824.

87 L. Dutil, L’état économique du Languedoc à la fin de l’Ancien Régime, 1750-1789, op. cit., p. 543.

88 J. Bousquet, « Mines et travail du fer en Rouergue et à l’entour au début du Moyen Âge. Problèmes de documentation », Mines et Mineurs, p. 112 ; Chroniques de Languedoc, tome V, p. 318.

89 Cité par Michel Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 636.

90 P. Dardenne, Essai sur la statistique du département de l’Ariège, op. cit., p. 248.

91 J.-B. Mercadier, Ébauche d’une description abrégée du département de l’Ariège et du pays d’Andorre, Foix, an IX, p. 68.

92 Arch. dép. Hérault, C 6558, 1778, mémoire sur le diocèse de Rieux par Thomas, subdélégué, p. 8.

93 Lahondes, « Les diocèses de Mirepoix et de Rieux sous Louis XIV », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1887, p. 129-143.

94 Arch. dép. Hérault, C 3600, mémoire du directeur Garipuy, 15 octobre 1748.

95 Arch. dép. Ariège, 138 S 15, Niaux.

96 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, canton de Tarascon, 1832.

97 G. Arnaud, Histoire de la Révolution dans le département de l’Ariège (1789-1795), Toulouse, 1904, p. 439 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 265, Auzat ; Arch. dép. Ariège, 1 C 164, requête du sieur de Niaux ; A. Sirgant, « Contribution à l’étude du commerce sous le Ier Empire », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1933, p. 139-150 et 1937, p. 412-423.

98 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 254-256.

99 O. Codina, De fer et de laine. Économie et société des vallées andorranes de 1575 à 1875, op. cit., vol. II, p. 298-322 ; vol. III, p. 592.

100 Arch. dép. Ariège, 46 J 41 ; Arch. dép. Ariège, 46 J 49 ; Arch. nat., 436 AP 366 ; Arch. nat., 436 AP 206 ; Arch. nat., 436 AP 389 ; Arch. nat., 436 AP 388.

101 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1 ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 2 ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 3, Forge neuve d’Oust.

102 B. Gille, Les origines de la grande industrie métallurgique en France, Paris, 1947, p. 136-143 ; E. Labrousse, Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au XVIIIe siècle, Paris, 1933, tome II, p. 349.

103 Arch. dép. Ariège, 138 S 28, Cabre. En 1818, la dépense totale, à la forge de Cabre, se monte à 41,20 francs pour fabriquer 100 kg de métal. Le quintal de fer se vend alors à 50 francs, ce qui donne un bénéfice de 8,80 francs par quintal pour le maître de forges.

104 Arch. dép. Ariège, 14 M 17, le sous préfet de Pamiers, 1825.

105 Arch. dép. Ariège, 14 M 18, 3ème trimestre 1856, canton d’Ax ; 4ème trimestre, canton de Tarascon.

106 La structure du prix d’un quintal de fer fabriqué à la forge de Quillan dans l’Aude, en 1813, est caractérisée par l’équipollence (22 %) de la part du minerai avec celle du charbon de bois : G. Langlois, « L’exploitation du fer à Villerouge et Palairac (Aude, XVIIIe-milieu XIXe) : une absence de techniques ? », Les techniques minières de l’Antiquité au XVIIIe siècle, Paris, 1992, p. 212.

107 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 140.

108 Les prix sont tirés de : Arch. dép. Ariège, 1 B 52296 ; Arch. dép. Ariège, 1 B 8140, forge de Niaux ; Arch. dép. Ariège, 1 B 145190-192, forge de Bonnac, 1753 ; B. Gille, Les forges françaises en 1772, op. cit., p. 144 ; Arch dép. Ariège, 1 C 165, forge de Bonnac, octobre 1772 ; Arch dép. Ariège, 1 C 165, forge de Mijanès, octobre 1772 ; Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 225 ; la Forge neuve d’Oust, Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1 ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 2 ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 3 ; le pays d’Olmes, Arch. dép. Ariège, 46 J 41 ; Arch. dép. Ariège, 46 J 49 ; Arch. nat., 436 AP 366 ; Arch. nat., 436 AP 206 ; Arch. nat., 436 AP 389.

109 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., tome 2, p. 136-137 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 10, forge de Campredon, réponses à l’enquête de 1811.

110 Arch. dép. Ariège, 138 S 28, forge de Cabre.

111 R. Marconis, Midi-Pyrénées, XIXe-XXe siècles. Transports-Espace-Société, op. cit., tome I, p. 432-433.

112 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 136.

113 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f°134-140.

114 Arch. dép. Ariège, 3 J 3, procès-verbaux des États de Foix.

115 Le directeur des usines de Saint-Antoine, à messieurs les maîtres de forges du département de l’Ariège, imprimé, p. 7.

116 Arch. dép. Ariège, E 4, 1672, dénombrement par villes, f° 19, Vicdessos ; f° 24, Saurat ; f° 47 v, Siguer ; f° 48 v, Foix ; f° 124, baronnie de Château-Verdun.

117 M. Chevalier, L’Ariège, Ouest-France, 1985, p. 44-45.

118 L’analyse de l’industrie textile est tirée de : J.-M. Minovez, L’impossible croissance en Midi toulousain ?, op. cit., p. 57, 60, 115, 116, 120-122, 155-156, 169.

119 Arch. dép. Haute-Garonne, 12 M 12.

120 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 599-605.

121 Arch. dép. Ariège, 138 S 11 ; Arch. nat., 436 AP 406.

122 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 18, R 3, Mémoire sur le Languedoc par l’intendant Ballainvilliers, 1788, Diocèse de Mirepoix, p. 85.

123 Bibliothèque municipale de Toulouse, manuscrit 721, mémoire sur la généralité de Montauban, fol. 162.

124 P. Braunstein, « Métallurgie à la campagne », Études Rurales, op. cit., p. 10-11.

125 Sur les origines de la politique forestière née du développement de la sidérurgie hydraulique, voir C. Verna, Le temps des moulines. Le fer et son exploitation du comté de Foix à la vicomté de Béarn (fin du XIIe siècle-fin du XVe siècle), op. cit., tome I, p. 137-168.

126 Arch. dép. Ariège, 1 B 34268-288, Ascou.

127 Arch. dép. Ariège, 102 S 166.

128 J. Bonhôte, J. Cantelaube, P. Drillaud, Inventaire des vestiges de la métallurgie à la catalane en Ariège au XIXe siècle. Étude d’archéologie industrielle, 1985-1987, DRAC Midi-Pyrénées.

129 J. Bonhôte, Forges à la catalane et évolution forestière dans les Pyrénées de la Haute-Ariège. Pour une histoire de l’environnement, thèse de doctorat de l’Université de Toulouse-Le Mirail, 1992, 425 p.

130 B. Davasse, La forêt du charbonnier et les forêts des paysans dans les Pyrénées de l’est (du Moyen Âge à nos jours). Étude d’écologie historique : aspects biogéographique, écohistorique et anthracologique. Contribution à une histoire de l’environnement, thèse de doctorat de l’Université de Toulouse-Le Mirail, 1998, 434 p. ; voir aussi D. Galop, La forêt, l’homme et le troupeau. Six millénaires d’anthropisation du massif pyrénéen de la Garonne à la Méditerranée. Contribution palynologique à l’histoire de l’environnement et du paysage pyrénéen, thèse de doctorat de l’Université de Toulouse- Le Mirail, 1997, 322 p.

131 Les charbons de bois permettent aussi la datation de l’emplacement où ils ont été trouvés. Il est ainsi possible de connaître les essences d’arbres présentes à un moment donné, ce qui permet, avec précaution, de reconstituer une forêt disparue.

132 J. Bonhôte, J. Cantelaube et J.-P. Métailié, « Forges à la catalane et paysages d’industrie en Ariège », Monuments Historiques, n° 181, mai-juin 1992, p. 49-53.

133 C. Fruhauf, Forêt et Société. De la forêt paysanne à la forêt capitaliste en Pays de Sault sous l’Ancien Régime vers 1670-1791, Toulouse, 1980, 302 p., 3 cartes h. t. ; J. Bonhôte, C. Fruhauf, « La métallurgie au bois et les espaces forestiers dans les Pyrénées de l’Aude et de l’Ariège », Forges et Forêts. Recherche sur la consommation proto-industrielle de bois, op. cit., p. 151-212.

134 J. Bonhôte, Forges et Forêts dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 56-70, 111-114, 129- 135, 148-158 ; B. Davasse, Forêts, charbonniers et paysans dans les Pyrénées de l’est du Moyen Âge à nos jours, op. cit., p. 87-103 ; D. Galop, « Approche palynologique de l’impact de la métallurgie sur les forêts de la vallée de Quioulès (Pyrénées ariégeoises, France) », Protoindustries et histoire des forêts, op. cit., p. 257-270 ; Id., La forêt, l’homme et le troupeau. Six millénaires d’anthropisation du massif pyrénéen, de la Garonne à la Méditerranée. Contribution palynologique à l’histoire de l’environnement et du paysage pyrénéens, thèse de doctorat de géographie de l’Université de Toulouse-Le Mirail, 1997.

135 J.-F. Soulet, « La civilisation matérielle d’autrefois », Les Pyrénées de la montagne à l’homme, op. cit., p. 289-297.

136 C. Pailhès, Histoire de Foix et de la haute Ariège, op. cit., p. 139-140 ; P. Poujade, « Les paysans et la terre dans le pays de Foix et la vallée de l’Ariège au XVIIIe siècle », Le notaire, le paysan et la terre dans la France méridionale à l’époque moderne, Toulouse, 1999, p. 65-99.

137 Affouage : droit des habitants à prendre le bois nécessaire à leur chauffage. Ce terme est aussi utilisé pour désigner l’approvisionnement des forges en charbon de bois. Marronnage : droit de certaines communautés à prendre dans les forêts les arbres nécessaires à la construction et aux réparations de leurs maisons.

138 C. Pailhès, « Les pays d’Ariège et l’autorité sous l’Ancien Régime », op. cit., 1991, p. 14- 15, 18-19, 39.

139 P. Braunstein, « Métallurgie à la campagne », Études Rurales, op. cit., p. 11-12 ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 2, Mémoire pour les habitants d’Ustou contre M. de Pointis, imprimé 1788.

140 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, 30 janvier 1827, lettre du directeur des Mines au préfet de l’Ariège.

141 C. Verna, Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), op. cit., p. 115-135 ; 311-312.

142 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Montgailhard, les maîtres de forges du département de l’Ariège au préfet, 20 août 1824.

143 Arch. dép. Ariège, 1 B 25, pièce 66, 3 décembre 1692 ; pour la vallée d’Ascou, J. Bonhôte, Forges et Forêts dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 69-72, 76.

144 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, enquête sur le travail agricole et industriel, canton de Foix.

145 Arch. dép. Ariège, 1 R 29 à 1 R 95, listes de conscription, an XIII-1870 ; Arch. dép. Ariège, 1 R 316, classe de l’année 1880.

146 « Cabanade » : il s’agit d’une équipe de charbonniers ne dépassant pas huit hommes ; ce terme désigne aussi le travail que peut faire cette équipe.

147 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, enquête sur le travail agricole et industriel, cantons de Foix, d’Ax.

148 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 680-681.

149 Arch. dép. Ariège, 102 S 69, Le Bosc, 12 octobre 1842.

150 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1, Forge neuve d’Oust, 1777.

151 Les renseignements concernant le charbon de bois lui ont été fournis par M. Casse, propriétaire de bois, capitaine du génie, « habitué par la nature même de sa profession à se rendre compte avec exactitude de ses opérations ». Il ajoute que ce sont « les seules valeurs numériques données dans cet ouvrage » qu’il n’aura pas constatées par lui-même. Or, les informations fournies par les maîtres de forges furent toutes fausses après vérification ; T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 45.

152 J. Bonhôte, C. Fruhauf, V. Izard, « Le charbonnage dans les Pyrénées : une pratique généralisée mal connue », La forêt charbonnée, op. cit., p. 33-47 ; J. Bonhôte, Forges et Forêts dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 32-36.

153 Dans la vallée de Massat, de façon délictueuse, les charbonniers transportent hors des remises des jeunes bois de hêtres, de chênes et de sapins « traînés par les vaches », 30 ou 35 « traînées » dans un cas ; Arch. dép. Ariège, 15 J 6, Massat, 1748.

154 Jean Terson. Mémoires d’un apôtre Saint-Simonien, présentation de Daniel Fabre, Carcassonne, 1979, p. 37.

155 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, enquête sur le travail agricole et industriel, canton d’Ax.

156 Les charbonniers basques ou béarnais qui travaillent dans les Pyrénées occidentales gagnent environ 0,75 franc par jour, non compris la nourriture évaluée à 0,50 franc ; Lefebvre, « Notice sur le combustible employé dans les usines à fer des départements des Hautes et des Basses-Pyrénées », Annales des Mines, tome XI, 1837, p. 580.

157 Arch. dép. Ariège, 15 J, Massat, XVIIe, XVIIIe siècles ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1 à R 3, Forge neuve d’Oust, XVIIIe siècle ; Arch. dép. Ariège, 15 M 21, enquête sur le travail agricole et industriel, cantons de Foix, d’Ax ; T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 45-46 ; Jean Terson. Mémoires d’un apôtre Saint-Simonien, op. cit, p. 36-37.

158 Ibidem, p. 36.

159 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer dans les forges catalanes du département de l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 488-489.

160 Dardenne, Essai sur la statistique du département de l’Ariège, op. cit., 1805, chapitre sur l’état des forêts.

161 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 167-17 ; J. Bonhôte, J. Cantelaube et J.- P. Métailié, « Forges à la catalane et paysages d’industrie en Ariège », Monuments Historiques, op. cit., p. 51.

162 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., t. 2, p. 13-16.

163 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 768-769.

164 J. Bonhôte, C. Fruhauf, « La métallurgie au bois et les espaces forestiers dans les Pyrénées de l’Aude et de l’Ariège », Forges et Forêts. Recherches sur la consommation proto-industrielle de bois, op. cit., p. 156 ; Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 137.

165 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 138.

166 Arch. dép. Ariège, 15 J 7, bail à ferme de la forge d’Ercé fait le 1 juillet 1750.

167 Chablis : abattis d’arbres ou de branches provoqués par le vent ou d’autres phénomènes naturels (neige, avalanche, orage, etc.).

168 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 2, Forge neuve d’Oust, 1770-1780.

169 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, document sans date (vers 1740-1750).

170 J. Bonhôte, C. Fruhauf, « La métallurgie au bois et les espaces forestiers dans les Pyrénées de l’Aude et de l’Ariège », Forges et Forêts. Recherches sur la consommation proto-industrielle de bois, op. cit., p. 174-177.

171 Arch dép. Ariège, 1 C 165, forge de Mijanés, octobre 1772.

172 Arch. dép. Ariège, sous-série 2 B, plaintes portées devant la juridiction forestière de la Maîtrise de Pamiers ; C. Pailhès, « Les pays d’Ariège et l’autorité sous l’Ancien Régime », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1991, p. 48.

173 Ibidem, p. 45-59.

174 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 171.

175 P. Morère, « Notes sur l’Ariège avant le régime démocratique. I. - Le paysan », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1912-1913, p. 90.

176 F. Baby, La Guerre des Demoiselles en Ariège, op. cit., p. 39.

177 Ibidem, p. 38-54.

178 Arch. dép. Ariège, 2 U 18, affaire d’Allens, instruction, 1831 ; affaire de la forge de Luzenac, instruction, 1830 ; Arch. dép. Ariège, 3 U 65, pillage de la forge d’Arnave, plainte de Jean-Baptiste d’Allens, le 13 mars 1831 et 14 mars 1831, procès-verbal du juge de paix du canton de Tarascon ; pillage et incendie de la forge de Luzenac, procès-verbal du juge de paix du canton de Luzenac, 25 août 1830.

179 P. Morère, « Notes sur l’Ariège avant le régime démocratique. I. - Le paysan », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, op. cit., p. 91.

180 J. Bonhôte, C. Fruhauf, « La métallurgie au bois et les espaces forestiers dans les Pyrénées de l’Aude et de l’Ariège », Forges et Forêts. Recherches sur la consommation proto-industrielle de bois, op. cit., p. 204-208.

181 Arch. dép. Ariège, 138 S 25, forge de Teilhet ; Arch. dép. Ariège, 138 S 26, forge d’Ustou ; Arch. dép. Ariège, 138 S 6, forge de Junac, an XII, 1822.

182 Arch. dép. Ariège, 3 J 17.

183 Arch. dép. Ariège, 2 B 2164-68.

184 Arch. dép. Ariège, 1 C 164.

185 Arch. dép. Ariège, 2 B 2164-68.

186 Arch. dép. Ariège, 1 B 16790.

187 Arch. dép. Ariège, 2 B 52276-281.

188 Arch. dép. Ariège, 1 B 2061-34.

189 J. Bonhôte, Forges et Forêts dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 158-161.

190 Arch. dép. Ariège, 3 J 29.

191 Arch. dép. Ariège, 2 B 4, f° 251.

192 Arch. dép. Ariège, 2 B 4, f° 217.

193 Arch. dép. Ariège, 2 B 4, f° 283.

194 Arch. nat., 436 AP 48.

195 Arch. dép. Ariège, 2 B 2660-68.

196 Arch. dép. Ariège, 2 B 2622-28.

197 Arch. dép. Ariège, 15 J 1, Massat.

198 Arch. dép. Ariège, 15 J 4.

199 Arch. dép. Ariège, 5 E 5660. « Gabeille » : aucune définition de ce terme ne figure dans les dictionnaires. Jérôme Bonhôte pense qu’il s’agit très certainement du charbon produit avec des tiges de taillis jeunes (taillis furetés), J. Bonhôte, Forges et Forêts dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 266.

200 Arch. dép. Ariège, 1 B 121223-234, forge de La Mouline, à Saurat.

201 Arch. dép. Ariège, 1 B 165230-244, forge de Niaux.

202 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, 4 octobre 1751.

203 Arch. dép. Ariège, 1 C 41, 4 août 1751 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 164.

204 C. Fruhauf, Forêt et société, de la forêt paysanne à la forêt capitaliste en pays de Sault sous l’ancien régime (vers 1670-1791), op. cit., p. 98, 102.

205 Arch. dép. Ariège, 3 J 4, procès-verbaux des États de Foix.

206 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 175 et notes 22 et 23.

207 Arch. dép. Ariège, 1 J 318.

208 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer dans les forges catalanes du département de l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 488-489.

209 Arch. dép. Ariège, 138 S 26, forge d’Ustou, 17 ventôse an X.

210 M. Chevalier, « Mémoire sur l’affinage du fer dans la vallée de Vicdessos », op. cit., par exemple.

211 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 324.

212 P. Sahlins, Forest Rites. The war of the Demoiselles in nineteenth century, France, op. cit., p. 19.

213 Arch. dép. Ariège, 1 Q 964, Mijanès ; Rabat, 1 Q 1 100 ; Perles et Castelet, 1 Q 480 ; Château-Verdun, 1 Q 1 052 ; Bélesta, 1 Q 1 090 ; Campredon, 1 Q 1 027 ; Queille, 1 Q 1 026.

214 D. Woronoff, L’industrie sidérurgique en France, op. cit., p. 15-53.

215 Ces renseignements sont tirés de la sous-série des Archives départementales de l’Ariège 138 S, classée par ordre alphabétique des communes.

216 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 988, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Vicdessos, 1841-1842 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 617, bureau de Tarascon, 24 septembre 1819, accords pour fourniture de charbon ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 623, 1845 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 627, 1856 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 628, 1858 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 630, 1861.

217 Arch. dép. Ariège, 137 S 3.

218 Arch. dép. Ariège, 138 S 6, Junac, 1822-1824.

219 Arch. dép. Ariège, 138 S 14, Nalzen, 1823-1826.

220 J. Cantelaube, « Politiques d’autorisation d’usines et évolution de la métallurgie ariégeoise aux XVIIIe et XIXe siècles », op. cit., p. 87-104.

221 S. Benoit, « La consommation de combustible végétal et l’évolution des systèmes techniques », Forges et Forêts. Essai sur la consommation proto-industrielle de bois, op. cit., p. 101- 109 ; J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 180-189.

222 Marrot, « Mémoire sur le traitement des minerais de fer dans les forges catalanes du département de l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 488-489.

223 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 138, 1669.

224 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 628, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Tarascon, 27 novembre 1858.

225 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Montgailhard, 20 août 1824.

226 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R1.

227 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 623, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Tarascon, 21 novembre 1845.

228 Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 289, 296-297, Brassac ; Arch. dép. Ariège, 138 S 5, Brassac.

229 Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 314, martinet de Bruges.

230 Arch. dép. Ariège, 138 S 29.

231 Arch. dép. Ariège, 138 S 5, Brassac.

232 Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 338-339, Niaux.

233 Arch. dép. Ariège, 138 S 23, martinet de L’Esquiroulet à Savignac.

234 Arch. dép. Ariège, 138 S 9, martinet de Mouragues.

235 Arch. dép. Ariège, 138 S 10, martinet de Ganac, an IX.

236 Arch. dép. Ariège, 138 S 23, martinet de La Coupière.

237 Arch. dép. Ariège, 2 B 3, f° 289, 296-297, Brassac, 1770-1776.

238 Arch. dép. Ariège, 137 S 3, États récapitulatifs des produits des mines et usines à fer de l’Ariège, du 1er juillet 1832 au 1er juillet 1833.

239 Arch. dép. Ariège, 137 S 2, dossier relatif à la cémentation, 1817-1818.

240 B. Gille, Histoire de la métallurgie, op. cit., p. 33.

241 R. Marconis, Midi-Pyrénées, XIXe-XXe siècles. Transports -Espace-Société, op. cit., tome I, p. 253.

242 Pour une comparaison avec les différentes régions de montagne où se développa une industrie sidérurgique voir : J.-F. Belhoste, « Conséquences de l’essor sidérurgique sur les usages forestiers et les pratiques agraires XVIe-XVIIIe siècles », Études Rurales, n° 125-126, 1992, p. 81-98.

243 J. Cantelaube, « Politique d’autorisation d’usines et évolution de la métallurgie ariégeoise aux XVIIIe et XIXe siècles », Pays pyrénéens et Pouvoirs centraux, op. cit., p. 95-97.

244 Arch. dép. Ariège, 5 J 16, dénombrement d’Alos, 1777 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 164, Montgailhard.

245 Arch. dép. Ariège, 138 S 5 et archives privées.

246 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, documents 25, 28, 36.

247 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, fol. 67, 107, 245, 438-448, 587.

248 Arch. dép. Ariège, 2 B 4, fol. 90, 195, 217 ; Arch. dép. Ariège, 2 B 5, fol. 7 ; Arch. dép. Ariège, 2 B 10, fol. 17 ; Arch. dép. Ariège, 2 B 21, fol. 301-304 ; Arch. dép. Ariège, 2 B 26, liasses 22-28, 60-68.

249 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, documents 25, 28, 36.

250 Arch. dép. Ariège, 1 B 11, pièces 134-135, partage d’une forge, 17 juin 1684.

251 Arch. dép. Ariège, 1 B 189, pièces 164-167, forge de Capounta, 1768 ; Arch. dép. Ariège, 1 B 268, pièces 174-179, 1786.

252 Arch. dép. Ariège, 1 C 165.

253 Arch. dép. Ariège, 1B 169, pièces 106-113, forge de Laprade, 1760 ; Arch. dép. Ariège, 1 B 189, pièces 164-167, forge de Capounta, 1768 ; Arch. dép. Ariège, 1 B 268, pièces 174-179, forge de Capounta, 1786.

254 Archives privées, M. Dusurget.

255 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1 à 3, fonds d’Outrelaize (Calvados), affaire des forges du Couserans, fin XVIIIe siècle.

256 Arch. dép. Ariège, 1 C 41.

257 Arch. dép. Ariège, 1 C 165, lettre de Gudanes, le 16 juin 1772.

258 Arch. nat., 436 AP 382, 1735, 1744, 1749.

259 Arch. nat., 436 AP 48, 1746, 1756 ; Arch. nat., 436 AP 366, 1755, 1758.

260 Arch. nat., 436 AP 48, 1659.

261 Arch. dép. Ariège, 2 B 2628.

262 Arch. dép. Ariège, E 420, fol. 171-179 verso, 5 mars 1738.

263 Arch. nat., 436 AP 389, forge de Villeneuve.

264 Terre de Portes, archives privées, M. Kapfer.

265 Arch. dép. Ariège, E 420, fol. 171-179 verso, 5 mars 1738.

266 Arch. nat., 436 AP 49, 1755, 1758.

267 Arch. dép. Ariège, 12 L 70, pièce 5.

268 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, 1812, 1819, 1824 ou sans date par exemple.

269 Arch. dép. Ariège, 14 M 15, 1821 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 17, 1824-1848.

270 Arch. dép. Ariège, Z° 2226, état des forges du département de l’Ariège, 1810.

271 Arch. dép. Ariège, 138 S 8, Engomer, 1812.

272 Arch. dép. Ariège, 138 S 4, Guilhot, 1820.

273 Arch. dép. Ariège, 1 C 165.

274 Tronson du Coudray, Mémoires sur les forges catalanes, op. cit., p. 129-141.

275 Bibliothèque de l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris, M. Chevalier, élève ingénieur, « Mémoire sur l’affinage du fer dans la vallée de Vicdessos », M 1827/65.

276 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, commerce des fers.

277 Arch. dép. Ariège, 1 Q 1 090, forge et martinet de Bélesta, 1794-1826.

278 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., tome II, p. 139.

279 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 358-359.

280 J. François, Recherches les gisements, op. cit., p. 53-54, 334-335.

281 C. Pailhès, Histoire de Foix et de la Haute Ariège, op. cit., p. 139-140 ; pour les Traversier, voir C. Verna, Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), op. cit., p. 277-281.

282 Le choix de Mirepoix, outre la qualité des travaux de Jean Cazanave, ne manque pas d’intérêt pour notre propos, même si sa situation géographique la place à l’écart du cœur de la zone sidérurgique ariégeoise. Diocèse et principale ville du fief des Lévis sous l’Ancien Régime, le bourg rassemble 612 groupes familiaux. Aux activités commerciales et artisanales traditionnelles favorisées par sa bonne situation au débouché du pays d’Olmes s’ajoute une activité proto-industrielle, le textile, soutenue par les capitaux de quelques marchands-fabricants. De plus, près de 340 familles d’agriculteurs, dont 171 se répartissent entre une cinquantaine de métairies, des hameaux et deux villages, exploitent son terroir. Ainsi, par sa taille, ses fonctions économiques, son rôle politique et administratif, la ville présente une structure sociale qui permet une étude de cas sur l’impact du fer et de son commerce dans la société ariégeoise, hors de la zone mère de la sidérurgie. J. Cazanave, « L’affrontement politique à Mirepoix pendant la Révolution (1788-1799) », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1999, p. 45 et note 7. Voir aussi J. Cazanave, « L’ordinateur au service de l’histoire sociale. La population de Mirepoix à l’époque de la Révolution », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1991, p. 93-105.

283 J. Sentou, Fortunes et groupes sociaux à Toulouse sous la Révolution, 1789-1799. Essai d’histoire statistique, Toulouse, 1969, p. 117.

284 L. Bergès et M. Cours-Mach, Grands notables du Ier Empire, Ariège-Gers, Paris, 1985, p. 8. L’essentiel des informations sur les fortunes des maîtres de forges est tiré de cet ouvrage.

285 D. Woronoff, L’industrie sidérurgique en France, op. cit., p. 115-122.

286 C. Pailhès, Histoire de Foix et de la Haute Ariège, op. cit., p. 139-140.

287 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, statistique industrielle, arrondissement de Saint-Girons ; Arch. dép. Ariège, 137 S 3, situation du département de l’Ariège ; J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 334-335 ; C. Remaury, M. Detraz, « Adolphe Garrigou, 1802-1893 », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, 1983, p. 122, 132.

288 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 136-137.

289 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, document sans date (vers 1740-1750) sur l’exploitation des eaux et des forêts pour les forges ; Arch. dép. Ariège, 1 C 41, 1751.

290 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, mémoire de Vincens de Ville, seigneur de Bénagues, 25 février 1745.

291 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, statistique industrielle et manufacturière du canton d’Ax, 1811-1812-1813.

292 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, forge de Bonnac.

293 Arch. dép. Ariège, 138 S 5, forge de Brassac.

294 voir par exemple : Arch. dép. Ariège, 138 S 28, Cabre, avis et arrêté du préfet du 12 août 1825 ; Arch. dép. Ariège, 102 S 228, Saverdun.

295 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., t. 2, p. 139.

296 Arch. dép. Ariège, 15 M 21, enquête sur le travail de 1848, cantons des Cabannes, de Foix.

297 Arch. dép. Aude, L 791, renseignements sur les forges à la catalane du district de Quillan, 12 messidor an II (30 juin 1794).

298 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, statistique industrielle du canton de Lavelanet, 1811, 1812, 1813.

299 Jean Terson. Mémoires d’un apôtre Saint-Simonien, op. cit., p. 36.

300 P. Morère, « L’Ariège avant le régime démocratique. L’ouvrier. - II. Les forgeurs », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, op. cit., p. 219.

301 Arch. dép. Ariège, 14 M 171, forge d’Engomer, 1824-1825.

302 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, forges et martinets du canton de Foix, 1811-1812-1813.

303 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, arrondissement de Pamiers, 1811-1812-1813.

304 R. Garmy, La « Mine aux mineurs » de Rancié, 1789-1848, op. cit., p. 231.

305 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, 1781-1783, affaire Montgrenier.

306 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, affaire de Niaux, informations du 9 août 1756.

307 M. Chevalier, La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 622.

308 Arch. dép. Ariège, 14 M 183, 3ème trimestre 1872.

309 Arch. nat., F14 8986.

310 Arch. dép. Ariège, 3 J 4, procès-verbaux des États de Foix ; Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Mijanès, demande de transfert en 1817.

311 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, lettres de Morlière père, propriétaire des forges de Berdoulet, aux sénateurs et au préfet, mai 1860.

312 C. Thibon, Pays de Sault. Les Pyrénées audoises au XIXe siècle : les villages et l’État, op. cit., p. 63.

313 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, mémoire au sujet des nouvelles forges que l’on projette de construire dans le pays de Foix et la province de Guyenne, sans date mais vraisemblablement après 1747.

314 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 74 ; Arch. dép. Ariège, 138 S 27, Varilhes, 1824-1846.

315 M. Casteran, « La viticulture en Basse-Ariège depuis la Révolution », Bulletin de la Société Ariégeoises Sciences, Lettres et Arts, 1996, p. 117-118, 121, 123, 126, 134, 138, 144.

316 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Montgailhard, les maîtres de forges du département de l’Ariège au préfet, 20 août 1824 ; J. François, Essai sur l’élaboration du minerai de fer dans le traitement à la catalane, Société des maîtres de forges de l’Ariège, 2e publication, Foix, 1838, p. 51.

317 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 639, bureau de Tarascon, 21 novembre 1874 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 640, bureau de Tarascon, 1er juillet 1874.

318 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 2, Forge neuve d’Oust. La forge d’Ustou est construite en 1716.

319 Arch. dép. Ariège, 3 J 16.

320 Saubiac, « Les amendements des terres en Ariège », Annales agricoles, littéraires et industrielles de l’Ariège, 1847, p. 269-278.

321 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, demande de rétablissement d’une forge à Montgailhard, 1745.

322 J.-Fr. Soulet, « La civilisation matérielle d’autrefois », Les Pyrénées, de la montagne à l’homme, op. cit., p. 289-297.

323 Voir l’exemple de la métallurgie du Montenotte, A. Dewerpe, L’industrie aux champs. Essai sur la proto-industrialisation en Italie du nord (1800-1880), op. cit., p. 334, 411-412.

324 Voir les analyse proposées par Christian Thibon pour les Pyrénées audoises et par Jean-François Soulet pour l’ensemble de la chaîne ; voir aussi J.-Fr. Soulet, C. Thibon, « Dissidence et intégration des Pyrénées à la nation française XVIIIe-XIXe (versant nord) », Le Dictionnaire des Pyrénées, op. cit., p. 240-243.

325 E. Baraldi, « Pratici (techniciens) et pratiques sidérurgiques dans la zone méditerranéenne entre le XIVe et le XVIIe siècle », Savoirs et Savoir-faire industriels en Méditerranée occidentale : XVIe-XXe siècles, colloque international, Corte, 30 juin, 1er et 2 juillet 2000, à paraître ; E. Baraldi et M. Calegari, « Pratica e diffusione della siderurgia « indiretta » in area italiana (secc. XIII-XVI) », La Sidérurgie alpine en Italie (XIIe-XVIIe siècle), op. cit., p. 93-162 ; E. Baraldi, « Ordigni e parole dei maestri da forno bresciani e bergamaschi : lessico della siserurgia indiretta in Italia fra XII e XVII secolo », La Sidérurgie alpine en Italie (XIIe-XVIIe siècle), op. cit., p. 163-213 ; M. Tizzoni, C. Cucini Tizzoni, « Li peritj maestri. L’emigrazione di maestranze siderurgiche bergamasche della Val Brembana in Italia e in Europa (secoli XVI-XVII) », Bergonum, 1993, p. 79-178.

326 F. Lassus, « Forgerons comtois dans les forges des Pyrénées atlantiques au XIXe siècle : Banca et Larrau », Revue d’histoire des mines et de la métallurgie, tome IV, n° 1/2, 1972, p. 91-104.

327 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p 451, 453.

328 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 612 à 6 645, bureau de Tarascon, an VIII à 1885 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 988 à 6 992, bureau de Vicdessos.

329 Tronson du Coudray, Mémoires sur les forges catalanes, op. cit., p. 65.

330 J.-F. Soulet, Les Pyrénées au XIXe siècle. Organisation sociale et mentalités, op. cit., tome I, p. 70-73.

331 J. Nadal et E. Giralt, La population catalane de 1553 à 1717. L’immigration française, op. cit., p. 97-99.

332 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, requête aux États de Foix contre l’interdiction d’aller travailler en Espagne des communautés de Junac et Saurat, 1765.

333 Arch. dép. Aude, 14 M 102, Notice sur l’état actuel de la fabrication du fer dans le département de l’Aude, avec un tableau de situation des forges de ce département à la fin de l’année 1824.

334 Arch. dép. Aude, 14 M 102, 1825.

335 D. Woronoff, L’industrie sidérurgique en France, op. cit., p 177, 179.

336 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 33.

337 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, p. 409-412. L’enquête sur le travail agricole et industriel de 1848 montre que, à Arthez-d’Asson, les quatre maîtres touchent 65 % du total (5 à 6 francs par jour), les deux pique-mines 23 % (4 francs par jour) et les deux valets d’escola 12 % (2 francs).

338 O. Codina, De fer et de laine. Économie et société des vallées andorranes de 1575 à 1875, op. cit., vol. III, p. 632-643.

339 P. Vilar, « Élan urbain et mouvement des salaires. Le cas de Barcelone au XVIIIe siècle », Revue d’histoire économique et sociale, 1950, p. 364-401 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 159, 1764 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 16, requête aux États de Foix contre l’interdiction d’aller travailler en Espagne, 1765 ; H. Tierchant, Si le Sud-Ouest m’était conté (1788-1789), Bordeaux, 1989, p. 31.

340 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, p 371.

341 O. Codina Vialatte, J.-M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio del ferro pel sistema directe, 1842-1876, op. cit., p. 84.

342 Ibidem, p. 143.

343 Arch. dép. Ariège, 3 J 4, procès-verbaux des États de Foix, 28 novembre 1771 ; H. Tierchant, Si le Sud-Ouest m’était conté (1788-1789), op. cit., p. 31.

344 Arch. dép. Ariège, 15 M 2, enquête sur le travail agricole et industriel, canton de Foix.

345 P. Morère, « L’Ariège avant le régime démocratique. L’ouvrier. - II. Les forgeurs », Bulletin de la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, 1914, p. 216-217 ; M. Taillefer, « Les Pyrénées ariégeoises vues par les membres d’une société savante du XVIIIe siècle », Bulletin de la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, 1983, p. 63-71.

346 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 166.

347 O. Codina Vialatte, J.-M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio del ferro pel sistema directe, 1842-1876, op. cit., p. 84-85.

348 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, p 371.

349 Arch. dép. Aude, 14 M 102, Notice sur l’état actuel de la fabrication du fer dans le département de l’Aude, avec un tableau de situation des forges de ce département à la fin de l’année 1824.

350 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 147-148 ; Arch. dép. Aude, 14 M 102, Notice sur l’état actuel de la fabrication du fer dans le département de l’Aude dans l’année 1825 ; Arch. dép. Ariège, 15 M 2, enquête sur le travail agricole et industriel, canton de Foix.

351 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 166.

352 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 613 à 6 645, bureau de Tarascon ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 991- 6 992, bureau de Vicdessos ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 852 à 6 862, 8 012 à 8 014, bureau de Tarascon, 1825-1896 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 7 042 à 7 045, bureau de Vicdessos, 1837-1891 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 336, bureau des Cabannes, 1865-1889.

353 Baron Trouvé, Description générale et statistiques du département de l’Aude, 1818, p. 653.

354 Cordier, « Mémoire sur la forge à la catalane de Monségou », Journal des Mines, tome 27/1, n° 157, janvier 1810, p. 183-184.

355 M. Wienin, « La Forge Méjean à Peyregrosse. Commune de Saint André de Majencoules (Gard) », La farga catalana en el marc de l’arqueologia siderurgica, op. cit., p. 100, 102.

356 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, p. 371-372 ; N. Larrouy, Arthez-d’Asson, fer et charbon, Pau, Marrimpouey, 1989, p. 69-77, présente en réalité des martinéteurs.

357 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 8 S 2, 1812 ; Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 8 S 1, 1812 ; Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 8 S 10, 1806 ; V. Izard, Les montagnes du fer, op. cit., tome I, p. 340-341.

358 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Mijanès.

359 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 852 à 6 862, 8 012 à 8 014, tables de successions et absences, bureau de Tarascon, 1825-1896 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 7 042 à 7 045, bureau de Vicdessos, 1837- 1891 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 336, bureau des Cabannes, 1865-1889.

360 J. Nadal et E. Giralt, La population catalane de 1553 à 1717. L’immigration française, op. cit., p. 148-149.

361 F. de Zamora, Diario de las viajes hechos en Cataluna (1787-1788), Barcelone, 1973, p. 160.

362 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p 115-117. Tous les fonds d’archives confirment l’origine ariégeoise des forgeurs de la vall Ferrera. Il en est de même pour les martinéteurs. Ajoutons que les constructeurs des forges sont aussi français. Parfois, cependant, les forgeurs peuvent être catalans, comme en 1778, à la forge de Llavorsi où des ouvriers catalans finissent la campagne commencée par « dos quadrillas Francesas ».

363 C. Bourret, Les Pyrénées Centrales du IXe au XIXe siècle : la formation progressive d’une frontière, Paris, 1995, p. 327.

364 J. A. Salas-Ausens, « Les Français en Espagne dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Les Français en Espagne à l’époque moderne, Toulouse, 1990, p. 165 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 616.

365 Arch. dép. Ariège, 1 C 159, lettres du comte de Saint Florentin au marquis de Gudanes, Versailles, le 26 mars 1764 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 4, procès-verbaux des États de Foix, 28 novembre 1771.

366 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 613 à 6 645, bureau de Tarascon ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 991- 6 992, bureau de Vicdessos.

367 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 613 à 6 645, bureau de Tarascon.

368 O. Codina, De fer et de laine. Économie et société des vallées andorranes de 1575 à 1875, op. cit., vol. II, p. 305, vol. III, p. 684-694.

369 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio del ferro pel sistema directe, 1842-1876, op. cit., p. 84-85, carte p. 86 ; J. M. Bosch Casadevall, O. Codina Vialatte i A. Vila Mur, « Hipotesis i reflexions sobre la produccio de ferro als Pirineus. Segles XVII-XIX. De la farga del Puntal (1619-1636 ?) a la Farga Rossell (1842- 1876) », Actes del 2 Congrés Internacional d’Historia dels Pirineus de l’11 al 14 de novembre de 1998, Girona, op. cit.

370 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 852 à 6 862, 8 012 à 8 014, tables de successions et absences, bureau de Tarascon, 1825-1896 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 7 042 à 7 045, bureau de Vicdessos, 1837- 1891 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 336, bureau des Cabannes, 1865-1889.

371 R. Ferra, Etude démographique, économique et sociale d’un village de l’Ariège aux XVIIIe et XIXe siècles : Rabat-les-Trois-Seigneurs, op. cit., p. 106.

372 L. Goron, « Les migrations saisonnières dans les Pyrénées au début du XIXe siècle », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, op. cit., p. 255.

373 E. Gueymard, « Mémoire sur les forges catalanes de Pinsot, situées dans l’arrondissement de Grenoble », Annales des Mines, tome 1, 1816, p. 392-393.

374 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, p. 373.

375 L. Goron, « Les migrations saisonnières dans les Pyrénées au début du XIXe siècle », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, op. cit., p. 255-256.

376 M. Taillefer, « Les Pyrénées ariégeoises vues par les membres d’une société savante du XVIIIe siècle », Bulletin de la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, op. cit., p. 63-71.

377 En octobre 1846, le syndic des vallées d’Andorre qui est aussi maître de forges se plaint auprès du ministre des Affaires Étrangères français que ses forgeurs, tous des Cabannes, ne peuvent plus recevoir le pain fabriqué par le boulanger des Cabannes, « exempt de tout droit » comme ils le font depuis de longues années ; Arch. dép. Ariège, 1 J 30, Andorre.

378 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio del ferro pel sistema directe, 1842-1876, op. cit., p. 142-143.

379 L. Goron, « Les migrations saisonnières dans les Pyrénées au début du XIXe siècle », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, op. cit., p. 266.

380 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6619.

381 P. Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), op. cit., tome II, p 373.

382 Arch. dép. Ariège, 1 C 159, lettres du comte de Saint Florentin au marquis de Gudanes, Versailles, le 26 mars 1764 et la réponse du marquis de Gudanes, à Gudanes, le 20 avril 1764 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 16, requête aux États de Foix contre l’interdiction d’aller travailler en Espagne, Junac et Saurat, 1765.

383 Arch. dép. Ariège, 3 J 4, procès-verbaux des États de Foix, 28 novembre 1771.

384 Tronson du Coudray, Mémoires sur les forges catalanes, op. cit., p. 66-67.

385 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio del ferro pel sistema directe, 1842-1876, op. cit., p. 84-85, carte p. 86 ; J. M. Bosch Casadevall, O. Codina Vialatte i A. Vila Mur, « Hipotesis i reflexions sobre la produccio de ferro als Pirineus. Segles XVII-XIX. De la farga del Puntal (1619-1636 ?) a la Farga Rossell (1842- 1876) », Actes del 2 Congrés Internacional d’Historia dels Pirineus de l’11 al 14 de novembre de 1998, Girona, op. cit.

386 Arch. dép. Hérault, C 5657, enquête de 1764 sur les mines de la Province de Languedoc.

387 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1, Fonds d’Outrelaize, forge du Couserans.

388 Combes, « Mémoire sur les deux forges catalanes de Gincla et de Sahorre », Annales des Mines, op. cit., p. 348-349.

389 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 612 à 6 645, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Tarascon ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 991, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Vicdessos.

390 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La farga Rossell. El zenit de l’obtencio del ferro pel sistema directe, op. cit., p. 43, 46, 55.

391 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 8 S 2, rapport de l’ingénieur des Mines, 1812, cité par Véronique Izard.

392 C. Reynaud, « Moulins à fer et forges catalanes : mise en place d’une proto-industrie dans les Pyrénées audoises (XIIIe-XVIIIe siècles) », Bulletin de la Société d’Etudes Scientifiques de l’Aude, op. cit., p. 140-141 ; M.-C. Marty Ferriol, « Les forges à la catalane dans l’Aude, XVIIe et XIXe siècles », Mémoires de l’Académie des Arts et des Sciences de Carcassonne, op. cit., p. 237-238.

393 Arch. dép. Ariège, 1 R 55, listes de conscription, canton des Cabannes.

394 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 852 à 6 862, tables des successions et absences, bureau de Tarascon, 1825-1871 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 612 à 6 645, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Tarascon, an VII-1886.

395 B. Gille, Les forges françaises en 1772, op. cit., p. 139. Dans cette enquête, d’autres Languedociens sont indiqués comme fermiers de forges de la généralité de Perpignan, viguerie de Conflent et de Capcir.

396 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La farga Rossell. El zenit de l’obtencio del ferro pel sistema directe, op. cit., p. 27-29.

397 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 117, 118, 120.

398 Les relations ne sont pas à sens unique même si l’intensité des deux courants n’est pas comparable, il arrive que des personnes du Roussillon ou d’Espagne s’intéressent à des usines des Pyrénées ariégeoises. Ainsi, Olivier, négociant, demeurant à Bourg Madame, devient propriétaire de la forge de Mijanès par acte public du 15 février 1811. En 1661, la forge de l’Espitalet (L’Hospitalet), dans le baillage de Mérens, est donnée en afferme par Roger de Villeneuve, seigneur de Beaumont et autres lieux à Raymond Ollivier, habitant de Planollas dans la vallée de Ribas en Catalogne. Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Mijanès ; Marcailhou-d’Aymeric, Notice historique sur les villages composant le canton d’Ax, 1909, p. 108.

399 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 852 à 6 862, tables des successions et absences, bureau de Tarascon, 1825-1871.

400 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 991 ; Arch. dép. Ariège, 1 R 40 à 1 R 56, listes de conscription ; Arch. dép. Ariège, 1 R 85 et 1 R 316, listes de conscription, canton de Foix. D’autres exemples donnent une idée plus complète de l’activité d’Ariégeois dans les régions voisines dans des domaines liés au travail du fer. Le 27 octobre 1807, le propriétaire de la forge de Gesse déclare que Jean Pierre Forges a travaillé à sa forge environ 45 jours pour voiturer du charbon avec ses deux bêtes, un mulet et un baudet. Un roulier de Saint-Laurent de la Salenque (Pyrénées-Orientales) fait une procuration en faveur d’un habitant de Vicdessos. Une lettre rédigée à la forge de Monségou (Tarn) et datée du 13 avril 1830, affirme qu’une somme de dix francs prêtée à la foire de Tarascon a été rendue à la forge de Mijanès. En 1842, un propriétaire et aubergiste de Gincla veut recouvrir des créances qui lui sont dues dans le canton de Tarascon. Le 28 décembre 1857, Louis Vergé, propriétaire à Prats de Mollo, donne procuration à Pierre Vergé, son frère, forgeur à Tarascon, à l’effet de partager la succession de leur père et mère. Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 612 à 6 645, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Tarascon, an VII-1886.

401 J.-F. Soulet, Les Pyrénées au XIXe siècle. Organisation sociale et mentalités, op. cit., tome I, p. 72.

402 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, mémoire au sujet des nouvelles forges que l’on projette de construire dans le pays de Foix et la province de Guyenne ; Arch. dép. Ariège, 1 C 164 ; Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer et les forges du comté de Foix, op. cit., p. 4-5 ; Palassou, Essai sur la minéralogie des Monts Pyrénées, op. cit., p. 253.

403 Arch. dép. Ariège, 137 S 3 ; Arch. dép. Ariège, 137 S 1 ; J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 153.

404 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, requête du sieur de Niaux à l’intendant.

405 Combes, « Mémoire sur les deux forges catalanes de Gincla et de Sahorre », Annales des Mines, op. cit., p. 329-330.

406 C. Reynaud, « Moulins à fer et forges catalanes : mise en place d’une proto-industrie dans les Pyrénées audoises (XIIIe-XVIIIe siècles) », Bulletin de la Société d’Etudes Scientifiques de l’Aude, op. cit., p. 131, carte p. 134 ; G. Langlois, « L’exploitation du fer à Villerouge et Palairac (Aude, XVIIIe- milieu XIXe ) : une absence de techniques ? », Les techniques minières de l’Antiquité au XVIII siècle, op. cit., p. 205-214 ; G. Langlois, « L’exploitation minière de l’Antiquité à nos jours dans le canton de Durban », Canton de Durban dans les Corbières, op. cit., p. 99.

407 L. Cordier, « Sur la forge à la catalane de Monségou », Journal des Mines, tome 27/1, n° 157, janvier 1810, p. 181, 183 ; Arch. dép. Ariège, 3 Q 618, enregistrement des actes sous seing privé, 1820-1826.

408 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, mémoire au sujet des nouvelles forges que l’on projette de construire dans le pays de Foix et la province de Guyenne ; Arch. dép. Ariège, 137 S 3, opposition des maîtres de forges de l’Ariège à la construction d’une forge à la catalane à Toulouse, 1827-1828 ; Arch. dép.. Ariège, 7 S 12.

409 Arch. dép. Ariège, 1 C 161, mémoire au sujet des mines de la vallée de Vicdessos.

410 R. Soueix, « L’émigration dans le Vicdessos au XVIIIe siècle (d’après les registres des notaires) », Bulletin de la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, 1968, p. 267, 269.

411 Arch. dép. Ariège, 1 R 36, 1 R 45, 1 R 85, 1 R 95, listes de conscription, canton de Vicdessos.

412 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p 160 et note 107 ; D. Mas i Canalis, « Auge i decadència de la siderurgia del ferro a les Valls d’Andorra (1750-1891) », Butlleti del Comitè andorrà de Ciènces historiques, n° 2, 1987, p. 125 ; et surtout O. Codina, De laine et de fer. Économie et société des vallées andorranes de 1575 à 1875, op. cit., vol. III, p. 543-549.

413 Arch. dép. Ariège, 1 C 159 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 16.

414 T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 45.

415 L. Goron, « Les migrations saisonnières dans les Pyrénées au début du XIXe siècle », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, op. cit., p. 243.

416 Lefebvre, « Notice sur le combustible employé dans les usines à fer des départements des Hautes et des Basses-Pyrénées », Annales des Mines, tome XI, 1837, p. 578.

417 Dralet, Description des Pyrénées, op. cit., Tome II, p. 189, note 1.

418 Arch. dép. Ariège, 1 R 29 à 1 R 95, listes de conscription.

419 Arch. dép. Ariège, 3 Q 6 612 à 6 645, enregistrement des actes sous seing privé, bureau de Tarascon, an VII-1886.

420 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Mijanès.

421 R. Soueix, « L’émigration dans le Vicdessos au XVIIIe siècle (d’après les registres des notaires) », Bulletin de la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, op. cit., p. 269.

422 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 175 et note 23, p. 218, note 139. Cabanade ou cavanade : équipe de charbonniers professionnels ne dépassant pas cinq à six personnes. Il est très vraisemblable que ce terme désigne en même temps le travail que peut faire cette équipe.

423 J. A. Salas-Ausens, « Les Français en Espagne dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Les Français en Espagne à l’époque moderne, op. cit., p. 165.

424 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio del ferro pel sistema directe, 1842-1876, op. cit., p. 128-129, carte p. 86 ; O. Codina, De laine et de Fer. Économie et société des vallées andorranes de 1575 à 1875, op. cit., vol. III, p. 556-567.

425 Arch. dép. Ariège, 1 R 85, listes de conscription, canton de Tarascon, 1860 ; Arch. dép. Ariège, 1 R 316, canton de Tarascon, 1880.

426 O. Codina, De laine et de Fer. Économie et société des vallées andorranes de 1575 à 1875, op. cit., vol. III, p. 664-669.

427 Arch. dép. Ariège, 1 C 159, 1764.

428 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, requête aux États de Foix contre l’interdiction d’aller travailler en Espagne, Saurat, 1765.

429 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Mijanès, vers 1818.

430 O. Codina Vialatte, J. M. Bosch Casadevall, A. Vila Mur, La Farga Rossell. El zenith de l’obtencio del ferro pel sistema directe, 1842-1876, op. cit., p. 142-143, carte p. 86.

431 Arch. nat., F12 1603 ; J. François, Recherches sur les gisements…, op. cit., p. 153.

432 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 59-61 ; il existe 41 forges selon Gallardo i Rubio, A. Gallardo i Garriga, S. Rubio i Tuduri, La farga catalana, op. cit., p. 80.

433 En comparaison, à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle, la Biscaye dispose d’une centaine de ferreries, la Guipuscoa environ soixante-quinze, les Asturies treize, la Galice trente. Autre foyer d’une sidérurgie directe, la Ligurie possède une quarantaine de forges.

434 C. Mas, Historia de la farga catalana, op. cit., p. 67, 360.

435 « Le procédé est absolument le même que dans le département de l’Ariège », une indemnité de 50 centimes environ par quintal de fer est accordée aux ouvriers comme frais de voyage à la forge de Pinsot ; E. Gueymard, « Mémoire sur les forges à la catalane de Pinsot situées dans l’arrondissement de Grenoble », Annales des Mines, tome I, 1816, p. 392, 393.

436 À la forge de Monségou, dans le Tarn, « les ouvriers changent chaque année ; on les fait venir des usines du département de l’Ariège… le fourneau, foyer de la forge, présente à peu près la forme et les dimensions ordinaires de ceux de l’Ariège, les trompes sont faites sur le modèle et les dimensions connues de celles de l’Ariège » ; L. Cordier, « Mémoire sur la forge à la catalane de Monségou », Journal des Mines, op. cit., p. 181, 185.

437 C. Thibon, Pays de Sault. Les Pyrénées audoises au XIXe siècle : les villages et l’État, op. cit., p. 63, 78.

438 D. Woronoff, Histoire de l’industrie en France, op. cit., p. 125, 132-133.

Table des illustrations

Légende Les forges des Pyrénées ariégeoises au XVIIe siècle
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/38011/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 76k
Légende Les forges à la catalane des Pyrénées ariégeoises au XVIIIe siècle
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/38011/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 90k
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/38011/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 28k
Légende Les forges des Pyrénées à la catalane ariégeoises au XIXe siècle
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/38011/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 98k
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/38011/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 27k
Légende Le marché régional des fers à la catalane des Pyrénées ariégeoises
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/38011/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 35k
Légende 1. Structure du prix du fer des forges du marquis de Mirepoix (1758)2. Structure du prix du fer de la forge de Cabre (1818)3. Structure du prix du fer des forges des Pyrénées ariégeoises, moyenne départementale (1835)4. Structure du prix du fer des forges des Pyrénées ariégeoises, avec la part des transports, moyenne départementale (1835-1842)
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/38011/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 23k
Légende Prix du quintal de fer de 1797 à 1813
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/38011/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 81k
Légende Prix du quintal de fer de 1807 à 1867
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/38011/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 18k
Légende Production de fer à la catalane et d’acier de cémentationdes Pyrénées ariégeoises (1818-1868)
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/38011/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 21k
Légende Les migrations professionnelles des mineurs, charbonniers et forgeurs ariégeois
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/38011/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 30k

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search