Chapitre III. Les hommes du fer dans les Pyrénées ariégeoises : les mineurs de Rancié
p. 327-396
Texte intégral
1La forge à la catalane a un retentissement certain sur la société dans laquelle elle se développe. Révélatrice des possibilités et des limites de l’écosystème, des aptitudes et des incapacités des hommes, des résistances, des conditions économiques de la vie en société, bref, du jeu social et économique, elle joue sa propre partition dans la polyphonie de la vie de la montagne. La communauté montagnarde est constituée de groupes différenciés aux stratégies sociales et économiques parfois, ou à certains moments, complémentaires, parfois, ou à certains moments, concurrentes. Déterminer les interactions de la sidérurgie et de la société pyrénéenne est une démarche susceptible d’apporter un éclairage puissant, complétant et renforçant les explications que la technique donne au maintien du procédé direct. La question, toujours ouverte, est de comprendre pourquoi les Pyrénées ariégeoises ont choisi de rester fidèles à la réduction directe tout en adoptant une nouvelle forge. Il s’agit par conséquent d’explorer, au-delà de la technique métallurgique, un espace considéré comme connu où un procédé sidérurgique réputé archaïque a pu subsister jusqu’à la fin du XIXe siècle, et de voir si, lorsque l’on s’attache à expliquer cette fidélité, il révèle aussi des spécificités.
2Dans les montagnes ariégeoises, du XVIIe au XIXe siècle, le discours des contemporains est unanime. La description donnée en 1669 par Louis de Froidour est saisissante : « c’est en la culture des mines, que consiste toute la richesse du dit pays, le fer estant la seule denrée qui peut y attirer l’argent et qui donne à vivre a plus de 10 000 personnes qui sont employés les uns à tirer la mine, d’autres à la transporter, d’autres à façonner le fer dans les forges, d’autres à le débiter et le transporter pour le vendre dans les provinces de Languedoc, de Guyenne, et autres pays circumvoisins. De manière que le pays est fort peuplé et le commerce du fer y ayant attiré quantité de monde. » Le réformateur insiste et fait une supposition pour donner pleine conscience du poids de la sidérurgie dans la vie des Pyrénées ariégeoises : « Si la mine de fer ou le bois venait à manquer les habitants du dit pays seraient contraints estants réduits à la dernière misère de sortir du dit pays pour trouver ailleurs de quoy subsister d’autant plus tôt qu’il est accablé de dettes ». C’est dire d’une façon très éloquente que le travail des forges est non seulement « utile et avantageux au pays de Foix notamment au haut pays de Foix où sont les dites forges et les forêts qui leur fournissent du bois », mais encore qu’il est absolument nécessaire et que « si par manque de bois ou par quelque autre inconvénient elles venaient à cesser, il faudrait que la moitié du peuple qui habite toutes ces montagnes les désertassent pour aller chercher ailleurs de quoi vivre et de quoi subsister ». La conclusion est sans ambiguïté : arrêter les forges serait le plus grand mal qui puisse être causé dans ce pays1.
3Le tableau peint par quelqu’un venu de l’extérieur est en tout point identique à celui que dressent les Pyrénéens eux-mêmes, parfaitement conscients de la place qu’occupe la sidérurgie dans la vie de leur montagne. Au point que le discours apparaît stéréotypé ! De 1669 à 1860, les mêmes arguments se retrouvent, quelle que soit la personne qui parle ! Ces points communs ne sont guère difficiles à débusquer. En premier arrive toujours l’affirmation que « l’industrie des forges, unique ressource d’une nombreuse population ne peut être remplacée par aucune autre »2, d’autant que le relief accidenté et la pauvreté des sols constituent un lourd handicap. Le discours est récurrent3. L’ingénieur en chef des Mines d’Aubuisson constate, dans une lettre du 12 mai 1836, que « les forges catalanes sont la source de la prospérité, je dirais presque de la vie du département de l’Ariège »4. L’explication suit immédiatement, elles offrent du travail à « un nombre considérable de personnes », une seule usine peut fournir à « plus de mille habitants ». L’énumération des occupations est scandée comme une litanie : « en les employant soit à couper les bois, les façonner, charbonner, transporter, soit à tirer et voiturer la mine, soit aux manœuvres de la forge et au transport et le débit des fers qui en proviendront »5. Source de travail, mais aussi pourvoyeuses de monnaie, souvent les seules, avec un double avantage, « répandant de l’argent dans les environs », elles augmentent « le débit et la consommation des denrées et en même temps le produit des Droits de sa Majesté », tout en facilitant « le recouvrement des impositions ordinaires ». Les délibérations des États de Foix répètent à satiété, pendant tout l’Ancien Régime, que la grande industrie du pays, sa seule richesse est l’industrie du fer. Ainsi, en 1746, elles insistent : « l’argent ne circule plus dans la province… à cause de la décadence du commerce du fer »6. Un mémoire, imprimé à Foix en 1845, explique que les forges des Pyrénées, dites à la catalane, sont « l’industrie mère et principale de sept départements méridionaux, les Pyrénées-Orientales, l’Aude, la Haute-Garonne, l’Ariège, les Hautes-Pyrénées, les Basses-Pyrénées et le Tarn ». Cette série de clichés constituent encore en 1860 la pensée officielle des élites locales. L’adresse aux sénateurs du maître de forges Morlière, pourtant homme de progrès, illustre de façon saisissante la permanence de ces lieux communs. « Soixante forges en Ariège, la seule industrie du département qui fait vivre la plus grande majorité des habitants et qui fait travailler tant de monde : de quatre à cinq cents mules ou chevaux descendent journellement à bât le minerai, puis transport par charettes vers les forges, de même pour le fer, … plus d’un millier d’individus sont occupés à ces travaux… le sol de nos montagnes n’est pas assez étendu et assez arable pour leur donner du travail ; la misère les forcera d’aller ailleurs, d’émigrer, femme et enfants pour pouvoir se nourrir… ce n’est pas tout le mal qui peut arriver ; mais encore, si les propriétaires qui vendent leurs bois pour en faire du charbon ne trouvent pas à le vendre avec avantage, ils les défricheront, ce cas arrivant, le pays manquera de combustible, le gouvernement y perdra aussi, pour la vente des bois domaniaux. Les habitants de l’Ariège méritent un meilleur sort, payant très régulièrement les impôts et fournissant de très bons soldats »7. Discours stéréotypé et cependant reflet d’une incontestable réalité8.
4Les Pyrénées ariégeoises présentent un véritable système productif qui prend sa source dans des minerais de fer d’une origine unique, la mine de Rancié, élément fondateur de l’unité de l’aire technique à la catalane de ces montagnes. Cette mine est l’un des atouts maîtres de la métallurgie directe, elle est le pôle autour duquel s’organise et se maintient sur la longue durée le travail du fer. Ainsi, la réputation du minerai de Rancié est, sans conteste, un élément fort, avec la forêt et l’eau, de la recherche des logiques qui sous-tendent le choix réitéré de la méthode directe. En 1869, l’ingénieur des Mines Mussy l’affirme avec force : « la facilité du traitement du minerai de Rancié à la forge à la catalane a retardé dans l’Ariège la transformation, déjà ancienne en France, de l’industrie métallurgique »9. Mais, et il faut insister, il n’existe pas un déterminisme implacable. Si les données naturelles constituent un grand avantage, elles ne sont pas suffisantes. La façon dont elles sont mises en œuvre entre aussi en ligne de compte. L’étude plus détaillée des hommes du fer que sont les mineurs permettra d’approfondir la description de ce système technique et la compréhension de ses ressorts.
A/ Le minerai de fer de Rancié, minerai unique de la sidérurgie directe des Pyrénées ariégeoises
1/ Les mines de fer de la montagne ariégeoise et leur exploitation sporadique
5Hellot, lorsqu’il publie la traduction du livre de Schlutter, l’accompagne d’un état des mines du royaume de France, dont celles des Pyrénées, offrant, malgré de nombreuses imperfections, un premier tableau assez complet de leur richesse en mines de fer10. Le baron de Dietrich a repris cette description, l’a complétée en allant sur le terrain à la recherche des gisements11. Au XIXe siècle, François, Mettrier reprennent la description des mines de fer, et ajoutent parfois des notations historiques12. Presque tous les gisements de fer des Pyrénées ariégeoises ont été, à un moment ou à un autre, exploités. Certes les variétés de minerais sont nombreuses, mais elles présentent, pour la plupart, des caractéristiques intéressantes pour la sidérurgie. Il s’agit souvent d’hématite à forte teneur (de 40 à 60 % de fer), se prêtant bien à la réduction directe. Une cinquantaine de sites ont connu une activité d’extraction aux XVIIe, XVIIIe ou XIXe siècles. Ils sont, pour la plupart, situés dans la zone des forges à la catalane. Mais cette coïncidence ne permet pas de conclure que les usines se sont installées sur le minerai, les ressources locales n’ont joué, au mieux, qu’un rôle d’appoint.
6Certains gisements sont exploités par le seigneur dans le cadre de l’économie domaniale, comme à Château-Verdun, à Alos où le minier est exploité jusqu’à ce que, au XVIIIe siècle, les forgeurs refusent d’en travailler le minerai ou encore dans la terre de Mirepoix, à Montségur et Montferrier13. Mais le plus grand nombre des gîtes est exploité par la communauté, ce qui est conforme à la tradition pyrénéenne. La mine de fer de Lercoul (5 galeries au XVIIIe siècle) est la propriété indivise des villages de la vallée de Siguer ; les habitants de la vallée de Carol ont le droit, grâce à une transaction de 1722, d’exploiter les mines de fer du Puymorens en payant une redevance au descendant du concessionnaire désigné par le roi d’Aragon. Vers 1770, les consuls de Camurac décident de faire exploiter une mine de fer, afin de procurer du travail aux habitants durant la morte-saison14. En 1837, les habitants de Montségur rouvrent une mine abandonnée depuis un siècle. L’industrie extractive est aux mains de paysans, subordonnée au travail agricole. Les mines de Larcat « ont toujours été abandonnées aux habitants de ce village qui ne s’y tenaient qu’autant que les neiges les empêchaient d’aller en forêt faire du charbon pour les forges de Château-Verdun ». En 1669, à Alzen, des mines de fer sont exploitées, « dont le commerce fait subsister partie des habitants ». La technique d’exploitation est à la fois rudimentaire et d’une grande insécurité. Les mineurs-paysans exploitent le gisement avec des outils d’une grande simplicité. Les méthodes d’abattage demeurent essentiellement artisanales. Pour Dietrich, les mineurs du comté de Foix sont forts inexpérimentés. Ils ne s’attaquent qu’au minerai en masse et sont incapables d’exploiter les filons, faute de savoir établir des dispositifs d’aération et d’écoulement des eaux. Les exploitations sont souvent des trous, plus ou moins étançonnés de rondins. Le travail est dangereux, ainsi à Larcat où les accidents sont fréquents, 4 ou 5 tués ou blessés au cours des 3 mois d’hiver.
- Quelques mines en exemple
7Le 18 octobre 1779, les États de Foix chargent l’abbé Bélot d’inspecter les mines ; sa mission est claire : « en [des mines] procurer de plus abondantes, indiquer aux ouvriers une meilleure méthode pour les exploiter et les mettre en œuvre »15. Il n’est pas possible de présenter tous les gisements, seuls sont mentionnés ceux qui apparaissent le plus fréquemment dans les archives, c’est-à-dire ceux dont l’extraction a été active pendant un temps relativement long. Mais les mines les plus importantes sont situées sur un même gisement qui, long de 19 km et large de 2 à 4 km, englobe les mines de Vicdessos, les plus célèbres, mais aussi celles de Lercoul, Miglos et Château-Verdun16.
8Vers 1750, les fermiers de la terre de Rabat exploitent des mines sur les montagnes de Rabat et de Gourbit. À la même période, les fermiers des 2 forges de la vallée de Saurat utilisent le minerai de la mine de Caillardé dont l’exploitation est difficile et onéreuse. La communauté de Saurat, pour les encourager, leur promet de les dédommager en cas de perte. Il se présente encore des mines aux endroits appelés Saraute, Sirarède et le Quié ; on s’en servait anciennement, on en transportait en Couserans mais les mêmes difficultés en firent cesser l’extraction. La vallée de Siguer possède plusieurs mines à La Canal et Lercoul ; un autre minier, celui de Labède, est exploité chaque jour par 8 ou 9 mineurs. Son minerai, bien qu’il ne soit pas très riche, est vendu sur la place de Tarascon. « Les bons maîtres des forges ne s’en servent guère »17. En 1751, Matias Augé, jurat du minier de Lercoul, nommé par la communauté de Siguer, veut faire travailler à la découverte d’un second minier. Il se heurte au refus des mineurs de Sem qui le menacent (octobre). Le 23 août 1756, le seigneur de Niaux écrit aux consuls de Siguer qu’il désire ouvrir un minier dans leur terroir, il propose 1 sol pour chaque 500 pesant de minerai. Mais il doit faire face à l’opposition d’un autre maître de forges, le baron de Miglos. Devenu plus prudent, M. de Niaux rappelle à Rousse, propriétaire de la forge de Siguer, qu’il est censé ne pas avoir besoin de mine puisqu’il a cédé un minier au marquis de Gudanes. En 1786, le minier de la montagne de Lercoul occupe 25 mineurs, sur lesquels le consul de Siguer a la police. Ils sont surveillés par un jurat. Au siècle suivant, le 18 janvier 1830, le préfet de l’Ariège envoie au préfet de la Haute-Garonne un avis annonçant que François de Thonel, marquis d’Orgeix, habitant Ax, et Alexandre de Thonel, chevalier d’Orgeix, habitant Toulouse, demandent une concession située dans la commune de Lercoul18. Dans les années 1870, la mine de Lercoul est vendue à des Anglais qui se disposent à reprendre sur une grande échelle les travaux abandonnés depuis longtemps19. Plusieurs gisements de la baronnie de Miglos ont été exploités. Le minerai est semblable à celui de Sem et de Lercoul. Au milieu du XVIIIe siècle, le baron de Miglos en permet l’exploitation aux habitants de la paroisse sans rétribution. Les paysans y travaillent à temps perdu, ils abandonnent les miniers au plus léger obstacle et en ouvrent d’autres un peu plus loin20. Autour de Massat plusieurs gisements ont été utilisés dans les forges de la vallée.
9Les mines du domaine de Gudanes méritent une mention spéciale à cause du rôle historique qu’elles ont joué21. Elles ont approvisionné les forges de la baronnie de Château-Verdun, mais aussi celles de la vallée de l’Ariège entre Tarascon et Ax. Ces mines, dont celles de Larcat et du Pech, sont actives à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle22. Un acte du 11 juillet 1694 porte quittance de 5 000 livres pour la vente de mine dont on peut faire le charroi des miniers à Luzenac. Mais, en 1698, le produit des mines n’est « qu’une chimère de réputation », « ces miniers se trouvant inférieurs à la rivière d’environ 60 toises, ils étaient inondés ». De 1692 à 1695, il se tirait des miniers de Gudanes 110 à 112 quintaux de mine par jour, vendus 10 sols le quintal poids de 150 livres. Les dépenses d’exploitation sont détaillées : charpentiers pour l’entretien des « pompes canons », cuir pour les pompes, ferrements, poudre, corbeilles. 14 hommes font aller les pompes des mines le jour, 14 la nuit ; 12 hommes nettoient la mine ; 8 mineurs qui gagnent 11 sols par jour et un quart d’huile chacun ; 16 hommes tirent la mine et gagnent chacun 9 sols et un demi-quart d’huile ; 1 ingénieur qui gagne 3 livres par jour23. D’importantes machines hydrauliques rendent l’exploitation possible ; 6 pompes à bras, chacune actionnée par 4 hommes, sont installées dans le minier. Elles déversent l’eau dans un puits d’où elle est aspirée par des pompes mues par 2 grandes roues mises en mouvement par l’Aston. Ces pompes élèvent les eaux dans des encaissements d’où elles s’évacuent dans des canaux en bois qui les conduisent à l’extérieur de la mine. La pompe hydraulique, construite par un Provençal, est située au bout de la terrasse du minier. En 1722, le marquis de Gudanes donne la permission de chercher de la mine au minier des Guissels ; et pourtant les mines sont abandonnées en 1723. L’extraction semble devenir intermittente à partir du milieu du XVIIIe siècle, à la fois du fait de l’épuisement des mines et de la difficulté de lutter contre les eaux (on fit venir en vain des mineurs allemands pour les travaux d’aménagement). En 1786, les mines du domaine, celles du Pech sont noyées et encombrées, seules celles de Larcat sont exploitées pendant les 3 mois d’hiver par 25 mineurs et ne fournissent que la moitié de la consommation des 2 forges qui travaillent encore24. Les tentatives de remise en exploitation au XIXe siècle sont, dans l’ensemble, infructueuses. Lors de la demande de régularisation de la reconstruction de la forge de Château-Verdun à 2 feux, en février 1855, la Direction des Mines considère que la nouvelle usine incitera le propriétaire, M. de Limairac, qui est « d’ailleurs, concessionnaire des mines de Château-Verdun dont la reprise est difficile, et qui ont cependant fourni dans la dernière campagne 400 quintaux de minerai », à entreprendre dans ces mines abandonnées de nouvelles recherches25. Enfin, en novembre 1894, Vieira, ingénieur et directeur des mines de Château-Verdun, demande l’autorisation d’établir sur l’Aston une roue pour actionner les machines d’extraction et d’épuisement des eaux d’infiltration26.
10La mine du Puymorens a, par moments, un rôle régional (sans aucune mesure avec celui de Rancié) : elle approvisionne des forges andorranes et catalanes, mais aussi les forges de Mérens et de L’Hospitalet. La mine est située sur la montagne de Puymorens, entre le comté de Foix et le Roussillon. Son minerai doit payer un droit d’impériage, droit local perçu sur toutes les marchandises et denrées à l’entrée et à la sortie du Roussillon. Chaque charge de minerai doit payer 10 sols. Cette mine avait été inféodée le 3 septembre 1624 par les officiers du roi d’Espagne en Cerdagne à un chirurgien de Puycerda, Pierre Costa, dont les successeurs en ont toujours joui. Le roi d’Espagne puis, depuis la réunion de la vallée du Carol à la Couronne, le roi de France reçoivent la censive et les droits, comme droit domanial de la vallée de Carol. Or, les maîtres de forges de Mérens et de L’Hospitalet, soutenus par le syndic de la communauté de Mérens, refusent vers 1687 d’acquitter ce droit sur le minerai, sous le prétexte que la mine est située sur leur territoire. La montagne de Puymorens est un sujet de contestation entre les habitants de la vallée de Carol et ceux de Mérens qui manquent de pâturages d’été et qui ont besoin de la mine « pour s’affranchir du droit d’impériage de la mine dont ils ne peuvent se passer pour deux ou trois forges de leur contrée »27. Lorsque les forges de L’Hospitalet et de Mérens éteignent leurs feux, le minerai de Puymorens est seulement employé dans les forges de la vallée d’Andorre, « on n’en porte pas dans celles de France »28.
11Toutes ces mines, quelle que soit l’importance de leurs gisements et malgré la qualité de leur minerai, n’ont connu qu’une exploitation intermittente pendant la période à la catalane29. Les maîtres de forges ont tiré très clairement la conclusion : « un résultat négatif dans l’emploi des minerais provenant des montagnes de Larcat et du col de Puymorens a justifié l’abandon de ces prétendues minières, dès longtemps oubliées. Si elles comptaient au nombre de nos ressources en ce genre, les propriétaires des forges fixées dans leur voisinage, celles du Castelet, d’Urs, d’Orgeix, Château-Verdun, Orlu, Mijanès et Puyvalador viendraient-ils s’approvisionner à Rancié, si éloigné de leur consommation ? Quelle vraisemblance ! Quant à la minière de Lercoul, elle n’est qu’une dépendance de celle de Rancié… Rancié est donc la source unique de nos trésors »30.
2/ Les mines de Rancié
12La suprématie du minerai de Rancié est née au Moyen Âge, se perpétue tout au long de l’époque moderne, devient de plus en plus marquée et tourne au monopole à l’époque contemporaine. Cette prédominance s’explique par la qualité du minerai, ses caractéristiques favorables à la réduction directe et la relative facilité à l’extraire en grandes quantités de façon régulière. Mais les données naturelles ne suffisent pas à l’expliquer. Elle trouve son origine dans la politique sidérurgique des comtes de Foix qui organisent, grâce à l’ordonnance de 1356, la commercialisation du minerai de Rancié31. Au fil du temps, cette domination, source de revenus, est confortée par l’interdiction d’utiliser d’autres minerais. Ainsi, le 2 juillet 1565, il est fait défense aux habitants de la Barguillière « et à tous autres ayant moulins à fer » de se servir « de la mine d’Alzen et d’autres que des minières » de Vicdessos et Siguer32. Principaux acteurs de la chaîne de production du métal, les forgeurs, payés à la tâche, soutiennent le monopole du Rancié. Ils connaissent parfaitement ses réactions pendant la réduction et savent les maîtriser, c’est pourquoi ils refusent d’utiliser tout autre minerai qui risquerait d’entraîner une perte d’argent pour eux.
13La mine de Rancié est située sur la commune de Sem dans la vallée de Vicdessos. Ce gisement est présenté comme une montagne de fer. L’exploitation s’étage entre 905 et 1596 m, sommet du pic de la Ganchette ou de Rancié. La description morphologique des gisements montre que le minerai se présente rarement sous la forme de filon. Il constitue un chapelet de corps lenticulaires qui peuvent avoir de grandes dimensions. Ainsi, le Grand Gîte, au cœur de la montagne, a 240 m sur 40 m et 150 m de haut. Mais ils peuvent aussi être beaucoup plus réduits. Des veines calcaires stériles s’entrelacent parfois à l’intérieur des masses de minerai. C’est notamment le cas des affleurements du Poutz ; ceux de La Roque sont très fracturés. Il existe aussi des amas de minerai plus modestes occupant des fractures, sortes de ramifications des grandes lentilles (La Canal, la tranchée du sommet de Rancié par exemple)33. En résumé, le gîte métallifère principal se répartit en trois colonnes. En partant du sommet de la montagne, elles divergent de plus en plus dans les régions profondes où elles sont séparées par de longs espaces stériles. La première colonne de minerai est constituée par l’ensemble des amas proches de la surface. Au milieu du XIXe siècle, ils sont remplacés par des vides et des éboulis. Cette colonne part du sommet de la Craugne pour descendre jusqu’au minier de l’Escudelle, au niveau de Becquey. De forme triangulaire, sa hauteur verticale est de 400 m, sa base a une longueur de 300 m ; sa longueur totale suivant sa pente est de 700 m. La deuxième colonne part de la Roque, 100 m plus haut que la précédente, et descend jusqu’à Becquey. Elle comprend les vides et éboulis de la Roque, de Saint-Louis et Chassepot, du Poutz (région centrale), de l’Auriette, de Sainte-Barbe et de Becquey où se trouve encore du minerai en place au XIXe siècle. Une partie des éboulis de cette colonne, encore riches en minerai, sont recherchés. Elle a une hauteur de 500 m, une largeur assez variable qui atteint parfois 200 m. D’abord très étroite et irrégulière dans la région de la Roque, elle s’évase vers Saint-Louis et Chassepot (150 m) et s’agrandit encore au niveau du Poutz et de l’Auriette pour atteindre un maximum de 250 m. De sa partie haute jusqu’à ce niveau, elle n’est séparée de la première colonne que par quelques mètres de calcaire stérile. Elle commence à se rétrécir à Sainte-Barbe, forme une sorte d’étranglement et augmente de nouveau jusqu’à Becquey (de 180 à 200 m).

La montagne de Rancié et les miniers (Mussy, « Description de la constitution géologique et des ressources minérales du canton de Vicdessos et spécialement de la mine de Rancié », Annales des Mines, op. cit.)
14La troisième colonne, de dimensions beaucoup plus réduites, comprend, aux avancées de la Craugne et du Poutz, sur une hauteur de 120 m, les vides et éboulis de l’Église, de la Cuvette. Cette description donne une idée de la topographie souterraine de Rancié.
- Les différentes variétés de minerais
15L’historien se trouve devant une question importante : quels types de minerais ont été exploités par les sidérurgistes anciens ? La réponse n’est pas facile à donner, bien que les ingénieurs des Mines aient réalisé de nombreuses analyses34. Nous disposons, pour la période à la catalane, des noms que les mineurs et les forgeurs donnaient aux différentes sortes de minerai35. Ils classent les variétés de Rancié en trois catégories principales, les mines « fortes » ou « méné ferrude » (ce sont des hématites), les mines « douces » ou noires (ce sont des fers spathiques plus ou moins décomposés), et enfin les « anis » ou mines pauvres (les minerais pauvres des deux qualités précédentes).
16La « méné ferrude » ou ferrue, la plus riche, comprend toutes les variétés d’hématites, avec une gangue siliceuse. Elle fait feu sous le pic et est dure à exploiter. Sa réduction est plus difficile et rend moins de fer. Elle compose la majeure partie du gisement de Rancié. On appelle lauzude l’hématite noire schisteuse, assez rare, qui se rencontre dans la région de Bellagre. Le fer, sans être cassant, se divise en lits superposés et se soude mal au corroyage. Les mineurs donnent le nom de luzentié au fer micacé, il est peu utilisé seul à la forge parce qu’en trop petite quantité. Les hématites cellulaires sont désignées sous le nom de « mines brûlées ». Assez rares, elles sont mélangées de minerai de cuivre dit verdet. On les rencontre à l’Escudelle. Le bédel (veau) remplit les amas des hématites, il s’agit de toute matière hétérogène qui sert de noyau aux grands blocs d’hématite. Il est généralement noir terreux, très riche en manganèse et parfois en manganèse oxydé.
17Viennent ensuite les mines « douces » ou « méné negra », mines noires, les diverses mines spathiques. Elles représentent toutes les variétés qui résultent de la décomposition du fer carbonaté jusqu’à sa transformation en fer hydroxyde. Leur teinte varie du blond au brun le plus noirâtre. Cette mine est poreuse, facile à abattre au pic et à réduire. Pour exprimer la bonté de ce minerai, les mineurs le qualifient de « gra de gabach » (grain de sarrasin). Le minerai est alors noir, très poreux, riche en fer et en manganèse. Cette variété est surtout abondante au niveau de la Craugne. Autre mine spathique, le fer oxydé rouge, très peu hydraté, où la poussière et la trace du pic sont rouges. Ce minerai, sans être « gra de gabach », est très estimé ; il se trouve au Poutz, en masses isolées au centre de la mine entre Orléans et Sainte-Barbe et aux niveaux inférieurs de l’Escudelle et Becquey. Le fer carbonaté blond, pauvre, quartzeux et pyriteux, inexploitable est commun à Becquey et à l’Escudelle. Les mineurs ne le considèrent même pas comme minerai et lui donnent le nom de paillère comme à toute roche encaissante stérile.
18Sous le nom d’anis, les mineurs désignent toutes les mines pauvres ou rejetées par les forgeurs. La pyrite de fer, assez rare, est connue sous le nom de feiche (foie) que les forgeurs redoutent ; la pyrite cuivreuse est appelée « marcassine ». Les pyrites sont rejetées parce qu’elles apportent du soufre et du phosphore incompatibles avec une bonne qualité du métal. Le minerai renferme parfois une « flou de gineste » (fleur de genêt), « l’ochre martiale » de Dietrich. Toute substance blanche qui adhère au minerai, surtout le calcaire encaissant, porte le nom de marbré. Les minerais ferrudes aussi bien que les ménés douces sont plus ou moins riches en manganèse intimement mêlé dans leur masse. En outre, le manganèse oxydé se rencontre fréquemment dans les bédels, dans les salbandes36 argileuses et en enduits pulvérulents sur les concrétions d’hématites. En dernière analyse, Francis Tollon indique que le minerai extrait est principalement composé d’hématite (de couleur rougeâtre), de goethite et limonite (de couleur jaunâtre), contenant de 35 à 50 % de fer. Sa teneur en manganèse est de 3 à 5 % en moyenne. Les lentilles de minerais relativement proches de la surface sont composées d’oxydes de fer et de manganèse. Une salbande d’argile creuse rouge, de quelques centimètres à un mètre de puissance, peut les entourer. En profondeur, le cœur de ces amas est occupé par de la sidérite. Les oxydes de fer sont à la périphérie des amas. La sidérite manganésifère est le minéral originel de l’hématite. L’hématite est l’oxyde de fer le plus répandu dans la partie supérieure des gisements. Elle forme la presque totalité des grandes lentilles dépilées par les mineurs37.
- Les différents miniers
19Une autre réponse possible, complémentaire, consiste à essayer de faire l’histoire des différents miniers et de voir ce que les géologues peuvent nous apprendre sur les minerais qui étaient dans ces gisements à partir des indices minéralogiques qui subsistent. Les miniers, pour lesquels il est possible d’établir une chronologie plus ou moins précise, s’étagent sur le flanc de la montagne de Rancié. En 1760, 10 sont ouverts : La Roque (la Roche), la Craugne (le Grand Vide), le Tartier (l’Éboulis), le Poutz (le Puits), l’Auriette, la Graillère, la Place d’en haut et l’Escuelle, le Bellagre. Dans les années 1810, seuls subsistent l’Auriette et la Craugne. Cette réduction drastique résulte en grande partie du danger d’éboulement.
20Du bas de la montagne, au dessus du village de Sem, en montant, on atteint les miniers de Becquey dont l’exploitation commence à partir de 1825. Un travers-banc de 400 m permet d’atteindre le minerai. Tout au long des 780 m de galerie, se rencontrent six colonnes minéralisées : Espérance, Escudelle d’en bas, Escudelle d’en haut, Grottes, Petit Gîte, Fontaine, Grand Gîte, Petite Veine, constituées de belle hématite et de goethite ; Bellagre, Dietrich parle de « la vieille mine de Bellagre effondrée vers 1769 ». L’Escudelle est abandonné vers 1760. Les veines de minerai de Bellagre et de l’Escudelle rejoignent dans les profondeurs de la montagne celles de Becquey et de Sainte-Barbe, dépilage très ancien, dont l’abandon date de la fin du XVIIIe siècle. Puis viennent La Graillère, délaissée en 1855 après le dépilage d’un amas sur 80 m ; l’Auriette qui s’arrête en 1855 ; le Poutz fermé en 1847 ; le Tartier, très vieux minier complètement effondré depuis plusieurs siècles ; la Craugne dont l’extraction est abandonnée en 1840. On y accédait par le grand travers-banc de Saint-Louis. Tous ces miniers permettent d’atteindre le Grand Gîte, cœur du gisement. En 1800, les miniers de La Roque et de la Craugne s’effondrent et créent un gigantesque affaissement du sol de 150 m de large et 400 m de long, dominé par des falaises de plus de 40 m de haut. Déjà, en vendémiaire an III, la galerie de la minière de la Craugne est bouchée, les mineurs ne peuvent y pénétrer ni pour extraire la mine, ni pour en retirer leurs outils38. Vers 1 500 m, le minier de La Roque d’où l’on extrait de l’hématite. La Canal, entre la Craugne et la Roque, est un amas dépilé très anciennement sur 200 m de profondeur et 40 m de largeur moyenne. Ce niveau rejoint celui du Poutz par une série de galeries, dont le travers-banc de Saint-Louis qui permet l’exploitation du Grand Gîte situé sous la Roque. Enfin, la Tranchée du sommet de Rancié, qui s’étend sur plus de 200 m de longueur et 20 à 50 m de large. Sa profondeur dépasse souvent 15 m. Elle est considérée comme un vestige de l’exploitation médiévale. Ainsi, la montagne de Rancié est creusée dans tous les sens et les principaux amas ont été totalement dépilés. Les grands vides ainsi créés ont provoqué d’énormes effondrements39.
21La « propension naturelle du minerai de Rancié » est de donner directement des fers doux et des aciers. Le plus grand nombre des minerais est de qualité supérieure. Ainsi, la teneur considérable en eau des fers hydroxydés et hématites de Rancié explique, pour une large part, la facilité du traitement de ces minerais par la méthode directe. Si l’on ajoute l’absence complète de toutes matières nuisibles aux opérations métallurgiques, telles que soufre ou phosphore, il est facile de comprendre leur réputation. Cette excellence est double, donner au traitement direct des aciers persistants ou des fers doux, et, après corroyage, des fers nerveux et ductiles. Disposer d’un minerai de grande qualité ne suffit pas, faut-il encore être capable de l’exploiter de façon à permettre un approvisionnement suffisant et régulier des forges qui le transforment en métal.
B/ Les mineurs et le mode d’exploitation de la mine de Rancié
22« Ce minier de Vicdessos… est par son abondance un des miracles de la nature et par l’extraction un de ceux de l’humanité… on n’en trouvera pas un pareil dans l’univers »40. Tous les habitants de la vallée de Vicdessos ont le privilège de l’extraction, de la recherche et de la vente du minerai de fer de Rancié. Les 8 communes qui constituent le consulat de la vallée de Vicdessos sont considérées comme concessionnaires de la mine, « conformément aux anciens usages » rappelle le règlement de 1833. Il atteste l’existence d’une mémoire longue des mineurs et des maîtres de forges que révèle le rappel constant de la charte fondatrice de 1293 ou du règlement de 1414 jusqu’au cœur du XIXe siècle. Ce recours à la mémoire est utilisé pour défendre une situation, des pratiques reconnues profitables par la population qui vit dans la montagne. Le pouvoir royal, quant à lui, a parfaitement compris quelle volonté, au-delà de la sidérurgie, a présidé à l’octroi de ces privilèges. Il sait, en effet, que ces enjeux sont toujours présents. Un édit du 18 février 1696 rappelle à propos « de ce pays de montagnes frontières et limitrophes d’Espagne, fort stériles et d’ailleurs fort misérables », les privilèges accordés par les comtes de Foix à la communauté de Vicdessos « pour pouvoir faire habiter ce pays afin de conserver la France par cet endroit ». Dans tous les cas, nous retrouvons, une fois encore, une forte continuité qui, certes, répond à des besoins, mais qui doit aussi obéir à des logiques sociales et économiques. Il faut interroger ces logiques, chercher si les règles et les attitudes qu’elles ont induites sont restées immobiles ou si, au contraire, elles se sont adaptées à un contexte changeant, tout en s’abritant, toujours, derrière les chartes médiévales.
23La mine de Rancié doit sa célébrité à sa réputation de « mine aux mineurs ». Cette formule semble avoir été forgée quelque temps avant les années 1890, époque où elle sonne comme un slogan41. Elle se retrouve dans l’historiographie de la mine. Au XIXe siècle, le sentiment de propriété collective, qui n’a jamais cessé d’exister, reste très fortement ancré chez les mineurs. Au-delà des clichés, il émerge parfois de la documentation. Il est rare que les archives restituent la parole des gens simples. Leurs pensées se traduisent le plus souvent par des attitudes, des actes d’insoumission qu’il est nécessaire d’interpréter. Leurs opinions ne s’expriment que de façon indirecte sous la plume de notables. C’est pourtant le cas, malgré la prudence qui s’impose devant des documents dont l’origine se trouve dans le refus collectif d’une communauté confrontée à un projet de modernisation de la mine élaboré par une société privée. Cette contestation, dont les élites de la vallée ont pris la tête, apporte, lors des enquêtes d’utilité publique de 1862 et de 1865, une série de réponses souvent stéréotypées et visiblement dictées. Mais elles laissent parfois transparaître le sentiment intime des mineurs. Ils accusent les ingénieurs de vouloir « faire le bien des propriétaires de la mine, malgré les propriétaires eux-mêmes », c’est-à-dire eux, les mineurs qui seraient alors réduits à l’état d’ouvriers payés à la journée, « d’ouvriers mercenaires », sans tenir compte de leurs droits, consacrés pourtant par les chartes médiévales. Toujours selon eux, avec l’application du projet de modernisation, ils ne seraient plus les maîtres et en peu de temps leur « belle mine » serait épuisée et les derniers vestiges de leur propriété disparaîtraient. Ne pouvant plus alors subvenir aux besoins de leurs familles, ils seraient obligés « de déserter [leur] patrie qui [leur] tient à cœur ». L’analyse de la situation est claire : « le peuple mineur qui est seul propriétaire et seul a le droit et intérêt à améliorer son exploitation » doit s’opposer aux projets de quelques étrangers sans droit sur la mine et sans respect pour les usages locaux. En 10 jours, 8 à 900 signatures sont recueillies à Vicdessos42. C’est que cette modernisation ne concerne pas seulement les mineurs mais toute une société montagnarde qui gravite autour de la mine. Ces enquêtes éclairent le véritable rapport qu’entretiennent les mineurs avec la mine. La perception qu’ils en ont relève d’une conception patrimoniale, ils entendent la gérer « en bons pères de famille », la formule traditionnelle sourd derrière leurs propos. C’est pourquoi, comme pour la méthode de réduction directe, les mots d’archaïsme et de routine utilisés pour qualifier le mode d’extraction doivent être approfondis. Derrière les façons de faire des mineurs, il faut chercher la logique d’un système social et économique. Cette logique correspond aux nécessités de survie d’hommes vivant dans un milieu rude et ingrat. Elle se marque par un double impératif, ce que les mineurs désignent comme leurs « libertés ancestrales » : du travail pour le plus grand nombre et pour le plus longtemps possible, avec un respect scrupuleux de l’égalité entre eux dans une mine qu’ils considèrent comme la leur. Ainsi, ils sont plus occupés à préserver ces « libertés ancestrales » qu’à chercher à innover. Ces désirs expliquent la persistance d’une technique d’extraction rudimentaire que la structure géologique du gisement rend possible, proche des pratiques agricoles, exigeant une nombreuse main-d’œuvre de mineurs43.
1/ L’ordonnance de 1414 et les règlements de la mine
24Lorsque l’historien tente de comprendre le mode d’exploitation de la mine de Rancié, les méthodes de travail des mineurs, la commercialisation du minerai, il doit impérativement se pencher sur les chartes et les règlements qui ont régi l’activité de la mine au cours des siècles. Il n’est certes pas question d’en présenter une description exhaustive, mais plus simplement de fixer le cadre réglementaire de l’approvisionnement en minerai de la sidérurgie directe des Pyrénées ariégeoises.
- L’ordonnance de 1414
25Le texte fondateur est la charte octroyée par le comte de Foix en 1293, constamment rappelée tout au long de l’histoire de la mine. En réalité, il faut attendre la charte de 1304 pour que les droits de la communauté de Vicdessos sur le minerai soient clairement énoncés : la liberté d’extraction est consentie à chacun de ses membres. En 1355, le comte lui accorde aussi l’exclusivité de l’extraction. L’ordonnance de 1414 précise et organise l’extraction et la commercialisation du minerai sous le contrôle de prud’hommes désignés par les consuls. Son but est simple : il s’agit d’encadrer le travail des mineurs, de sorte qu’ils livrent une quantité régulière de minerai. Tout est prévu pour que le minerai soit de qualité et la mine correctement entretenue. Tout cela au moindre coût puisque le mineur est payé à la tâche, que l’entretien de la mine ne donne lieu à aucune rémunération et que, en outre, le prix de vente auquel le mineur peut prétendre est bloqué au plus bas. Une claire volonté de rationaliser le travail du mineur au service d’intérêts qui lui échappent transparaît dans ces mesures. Si la mine demeure juridiquement communautaire, elle est exploitée et contrôlée au profit d’une minorité de notables qui s’enrichissent en revendant ou en transformant le minerai sans avoir en rien contribué aux frais de son extraction. Dès le XVe siècle, alors que la sidérurgie devient une véritable activité industrielle, le mineur de Rancié est incontestablement en voie de prolétarisation44.
26Malgré de nombreux arrêts et ordonnances (24 août 1688, 18 janvier 1696, 24 juin 1706, 21 juin 1722 par exemple), la mine et les mineurs de Rancié sont toujours régis par l’ordonnance de 1414 au début du XVIIIe siècle. Parmi les nombreux arrêts qui viennent s’ajouter à cette ordonnance, il est indispensable de mentionner l’ordonnance du 19 décembre 1719 qui crée, pour la première fois, un fonds destiné à l’entretien de la mine. Elle prescrit aux consuls de prendre 1 sol par 150 livres de minerai qui sortent de la vallée, avec l’obligation d’en rendre compte à l’intendant, pour être employé tant à l’entretien des chemins qu’aux autres dépenses nécessaires pour la meilleure administration de la mine45. Mais la perception de ce sol ne se fait pas sans difficulté. Le 16 octobre 1720, l’intendant du Roussillon, à la suite d’une ordonnance de référé au conseil du roi, ordonne au commis établi à Sem de surseoir à l’encaissement et de se contenter de noter les voitures qui passent. L’idée d’un fonds spécial sera reprise, elle a permis de financer des travaux de longue haleine. Ainsi, les dispositions essentielles ont traversé les siècles sous des formes inchangées. L’ordonnance de 1414 est en quelque sorte la matrice des règlements qui l’ont suivie. Les historiens, à la suite des notables de Vicdessos, ont pris l’habitude de présenter le document de 1414 comme un « règlement ». Ce glissement sémantique confère aux arrêts et ordonnances ultérieurs le prestige du comte et l’autorité de l’ancienneté. Les notables de Vicdessos ont tout intérêt à désigner ce texte comme la référence absolue lorsque, en 1731, ils promulguent un véritable règlement général qui précise la discipline à suivre par les mineurs selon des règles imposées par les consuls. C’est pourquoi le règlement de 1731 est accompagné d’une traduction française de l’ordonnance de 1414, témoignage d’une volonté de continuité politique qui révèle les intentions des bourgeois de Vicdessos : renforcer leur domination et confirmer l’exclusion des mineurs.
- Le règlement de 1731
27Il est évident qu’en 3 siècles la situation économique et sociale a évolué. La lutte sourde entre les mineurs et les notables et maîtres de forges de Vicdessos s’exaspère. Le changement essentiel est l’essor démographique généralisé. Tous les villages, y compris ceux des mineurs, ont vu leur population augmenter (celle de Goulier est estimée à 706 habitants en 1765). Auzat est, au XVIIIe siècle, le plus peuplé, sa population est presque le triple de celui du bourg de Vicdessos. Or, c’est Vicdessos qui détient le pouvoir politique, administratif et économique. Le conseil de la vallée est dominé par la bourgeoisie de ce village, ce qui entraîne une forte animosité entre celle-ci et les habitants des autres villages du consulat qui se jugent opprimés46. Ainsi, jusqu’au début du XVIIIe siècle, les villages miniers sont représentés par un consul sur les 4 qui dirigent le conseil de la vallée. Or le 24 juin 1706, ce conseil politique décide de nommer lui-même les 4 consuls, abandonnant leur élection au suffrage direct et supprimant, de fait, le consul issu des villages miniers. Les notables de Vicdessos renforcent ainsi leur mainmise sur la vallée. Un arrêt du parlement de Toulouse de 1717 confirme cette décision. La pièce se joue à 4 personnages, les mineurs, les notables de Vicdessos sur le plan local, les maîtres de forges étrangers qui reçoivent l’appui d’un personnage secondaire, les États de Foix, où ils sont nombreux, et le roi, héritier des comtes de Foix, qui tente de rendre des arbitrages. Quoi qu’il en soit, le roi, par l’intermédiaire de son représentant, l’intendant, donne le plus souvent raison aux consuls de Vicdessos dont il est le suzerain direct, acceptant mal l’indépendance des États de Foix. Les différents souverains, Henri IV (1610), Louis XIII (1611) et Louis XIV (1659) confirment les anciennes chartes. En réalité, la lutte pour la direction de Rancié et la maîtrise du minerai oppose les États de Foix aux consuls et notables de Vicdessos, les mineurs sont écartés du jeu.
28Le procès-verbal, rédigé par les consuls de la vallée de Vicdessos et placé au début du nouveau règlement de 1731, rappelle les circonstances immédiates qui ont présidé à sa rédaction. Il en constitue, en quelque sorte, le préambule. Il est urgent de répondre aux plaintes des voituriers et des maîtres de forges qui déplorent la mauvaise qualité du minerai, sa rareté et l’augmentation de son prix, alors que la mine est dans un triste état parce que les jurats ne sont pas assez attentifs à son entretien. De plus, ils ne vérifient pas le minerai avant qu’il soit exposé sur la place du minier. Cette absence de vigilance sur la qualité du minerai a pour conséquence la fabrication d’un métal de mauvaise qualité. La hausse des prix du minerai s’explique d’abord parce que les jurats n’obligent pas les mineurs « à donner la mine au prix réglé ». De plus, les habitants de Sem, les plus proches de la mine, ont pris l’habitude, contraire à la charte de 1414, de prendre « la plus grande partie de la mine qui se tirait du minier » afin de la vendre chez eux, à Sem, « au prix qu’ils veulent », qui est jugé « excessif » par les voituriers, les maîtres de forges et les consuls de Vicdessos. Autre conséquence de cette élévation du prix, les mineurs n’extraient qu’une seule volte par jour parce qu’elle leur rapporte autant que quatre vendues au prix décidé par les consuls. Les horaires fixés par la charte ne sont plus respectés, les mineurs entrent dans la mine à midi ou plus tard alors que l’heure officielle est fixée à 8 heures en été. Ainsi, une faible quantité de mine est extraite journellement, ce qui maintient un prix élevé et ralentit le travail des forges qui manquent de minerai.
29C’est dans ce contexte que le conseil du roi promulgue un nouveau règlement préparé par les consuls de la vallée le 21 août 1731. Il confirme le pouvoir des notables de Vicdessos, tout en accordant certaines concessions aux maîtres de forges étrangers à la vallée, au détriment des « minerons » (mineurs). Cet acte, en 34 articles, est très complet au point de vue de la police de la mine et est caractérisé par la sévérité de ses dispositions. L’esprit et la lettre du règlement de 1731 s’inspirent donc de l’ordonnance de 1414. L’article I commence ainsi : « Nous ordonnons que le règlement du 15 novembre 1414, et autres faits à ce sujet… seront exécutés selon leur forme et teneur, sur les peines y contenues ». Le plus grand nombre des 34 articles illustre le désir des consuls de ne négliger aucun détail. La surveillance, le contrôle de l’extraction et de la commercialisation du minerai échappent encore davantage à la libre décision du mineur toujours sans grande qualification technique47. Ce règlement de 1731, de plus en plus contesté par les mineurs, reste en vigueur jusqu’en 1789. Les mineurs et paysans mettent alors à profit les événements révolutionnaires pour se séparer de Vicdessos, devenu le chef-lieu de la vallée. Sans entrer ici dans les détails de cette période agitée et complexe pour le pays et pour la mine de Rancié, nous retiendrons seulement les éléments qui aident à comprendre les logiques qui sous-tendent le maintien réitéré de la sidérurgie directe48. La grande crainte des notables, anciens consuls de Vicdessos, est de perdre la police de la mine de Rancié, à travers l’éclatement de la communauté de la vallée et la formation de municipalités autonomes. De plus, la loi de juillet 1791 invite le pouvoir exécutif à s’immiscer dans l’exploitation des mines qui sont mises à la disposition de la Nation. Après de nombreuses péripéties, l’administration départementale, pressée par la municipalité de Vicdessos, prend le 11 juin 1796 un arrêté en 7 articles concernant la mine de Rancié49. Cet arrêté est communiqué aux jurats dans les jours qui suivent. Il marque la reprise en main de l’activité de la mine par les notables et maîtres de forges de Vicdessos.
- Le règlement de 1805
30Au sortir de la période agitée de la Révolution, il est indispensable d’établir pour la mine de nouvelles règles qui prennent en compte le nouveau contexte politique et social. Le règlement est élaboré par Brochin, ingénieur ordinaire, en résidence à Carcassonne, chargé du service de l’Ariège et donc de la mine de Rancié depuis 180250. Promulgué le 29 juin par le préfet, le règlement de 1805 marque une forte rupture, il organise la mainmise de l’administration sur la mine grâce à l’intervention dans sa préparation du corps des Mines. En effet, alors que le règlement de 1731 a été rendu grâce à l’accord mutuel des autorités politiques locales, approuvé par les États de Foix, celui de 1805 est caractérisé par la disparition de l’influence des consuls de la vallée de Vicdessos. Il comporte 42 articles. Ce qui frappe dans ce règlement, c’est le double souci de la sécurité des mineurs et de la conservation d’une « propriété d’intérêt national »51. Pour la première fois dans les dispositions édictées, l’influence d’une autorité technique compétente se fait sentir. Mais pendant quelques années encore, cette direction reste fictive et l’exploitation continue comme par le passé sous la surveillance des jurats. L’action des ingénieurs de l’État ne devient réellement effective que vers 1811, avec la nomination de d’Aubuisson. Depuis cette époque, les travaux de Rancié ont toujours été dirigés par les ingénieurs des Mines. En septembre 1806, le chantier du Toudis s’effondre, la Craugne, au-dessus, est menacée car les piliers de soutènement n’ont pas été respectés. Le préfet, conseillé par Brochin, interdit les chantiers voisins en faisant murer les entrées. En contrepartie, un nouveau gîte est ouvert à La Roque, exploité par 150 mineurs. Mais les éboulements continuent. En 1810, la galerie d’entrée de la Craugne s’affaisse. C’est dans ce contexte qu’arrive d’Aubuisson, nommé ingénieur en chef, en résidence à Toulouse, le 2 mai 1811. Il occupe ce poste jusqu’à sa mort en septembre 1841. Pendant 30 ans, il joue le rôle essentiel à Rancié, à tel point qu’il est possible de parler d’un véritable règne de d’Aubuisson52. À partir de 1814, il est secondé sur place à Vicdessos par l’ingénieur ordinaire dont le plus célèbre est Jules François, présent de juin 1834 à juin 184153. D’Aubuisson indique au préfet que « plus des trois quarts de [son] temps et de [son] travail sont consacrés au service de ces mines. C’est en très grande partie pour elles que le gouvernement [lui] fait environ 7 000 francs de traitement »54. Le 9 septembre 1841, à son décès, les maires de la vallée de Vicdessos veulent faire célébrer un service funèbre en son honneur dans l’église du chef-lieu. Deguilhem, maire de Vicdessos, explique au préfet, au nom des maires de la vallée, les raisons de ce souhait : « Nous devons le témoignage public de notre reconnaissance et de nos regrets à la mémoire d’un homme qui pendant trente ans a si puissamment contribué à la prospérité de l’établissement dont il a dirigé l’exploitation et par suite au bien-être de la contrée ». Le ministre accède à cette demande parce que « l’administration ne peut qu’applaudir à cet hommage rendu à un homme qui a été si utile et dont la perte doit inspirer tant de regrets. Ces regrets ont dû surtout se manifester parmi les habitants et les ouvriers de ces communes aux intérêts desquels il s’était entièrement dévoué »55.
31Lorsque d’Aubuisson arrive à Rancié, seuls 2 miniers sont exploités, l’Auriette et la Craugne en très mauvais état, « les ouvriers y ont sans cesse la mort en équilibre sur leur tête et un rien peut rompre cet équilibre et les anéantir sous des milliers de quintaux de pierre ». L’ingénieur en chef s’attache alors à appliquer le règlement de 1805. Sous sa direction, une première tranche de travaux est réalisée de 1812 à 1819 pour améliorer l’accès à l’Auriette et à la Craugne. Une nouvelle galerie d’entrée est percée, le passage Chassepot du nom du préfet de l’Ariège, qui facilite l’entrée à la Craugne. La galerie Saint-Louis est ouverte en 1818, au-dessus de la Craugne, pour permettre l’utilisation de brouettes, innovation révolutionnaire à Rancié ! Dès 1812, le Bellagre est de nouveau ouvert. Mais en 1819, la grande place de la Craugne s’effondre, entraînant une quinzaine de chantiers d’extraction qui continueront à s’affaisser pendant les dix années suivantes. Une deuxième tranche de travaux s’étire de 1819 à 1825. Elle doit permettre l’exploitation d’anciens miniers, mais aussi d’en ouvrir de nouveaux au pied de la montagne, à proximité de Sem, grâce au creusement de la galerie de Becquey (de 1820 à 1825) qui atteint un important gisement. D’Aubuisson finance tous ces travaux par un fonds spécial alimenté par une taxe de 5 centimes par quintal de minerai vendu. Il reçoit aussi des subventions du Conseil général. Ne trouvant pas en haute Ariège une main-d’œuvre suffisamment compétente, l’ingénieur en chef recrute 5 mineurs allemands (Saxons et Tyroliens) pour percer les galeries Saint-Louis et Becquey.
- Le règlement de 1833
32Pour mettre la mine de Rancié en conformité avec la loi sur les mines du 21 avril 1810, les maires de la vallée de Vicdessos formulent, au nom des huit communes de l’ancien consulat, dès le 27 septembre 1813, une demande en concession. Les habitants de la vallée réclament, sous le nouveau régime légal, la consécration de leurs privilèges. La difficulté est de savoir comment formuler un acte qui attribue indéfiniment la propriété de la mine à la fois « à tous et à chacun » et à l’État. La solution est loin d’être évidente puisqu’il faut attendre 1833 pour voir paraître l’ordonnance de concession de la mine de Rancié et le règlement qui lui est annexé. Entre temps, le Conseil général des Mines avait dû donner 6 fois son avis56. Le nouveau règlement de 97 articles très détaillés est promulgué le 31 mai 1833. Il donne la concession nominativement aux communes de Vicdessos, Auzat, Suc et Sentenac, Saleix, Goulier et Olbier, Sem, Orus, Illier et Laramade (article 1). L’exploitation continuera suivant les anciens usages (article 3). Mais surtout, le règlement de 1833 donne aux ingénieurs des Mines la direction de tous les travaux et au préfet de l’Ariège l’administration générale de la mine. Les autorités locales ne s’y sont pas trompées, elles ont vigoureusement protesté. La conclusion est simple, la réglementation devient plus précise, l’intervention de l’administration plus directe, le règlement de 1833 se caractérise par le fait que « le point de vue technique y est traité avec un luxe de détails ». La charte de 1414 avait 8 articles, le règlement de 1731, 34, celui de 1805, 42 et celui de 1833, 97 : « Il y a progression sinon progrès ». Proposer les travaux à exécuter, diriger les travaux en cours, donner au préfet des avis, tel est le rôle de l’ingénieur ordinaire en station à Vicdessos et de l’ingénieur en chef en résidence à Toulouse. L’État est devenu le véritable maître de la mine. La fiction de la concession aux communes est cependant admise. Ce règlement détermine en outre les conditions dans lesquelles doivent être faits les travaux et l’emploi du fonds d’octroi créé le 24 germinal an XI, administré par le préfet et consacré aux travaux de la mine, d’après les projets de budget rédigés par les ingénieurs des Mines et approuvés par le directeur général des Ponts et Chaussées et des Mines, sur l’avis du Conseil des Mines. L’arrêté préfectoral du 25 octobre 1853 et le décret du 25 mars 1855 ont trait à des détails de discipline concernant les mineurs, ils parachèvent le règlement de 1833. Ce dispositif réglementaire est complété par l’ordonnance du 25 mai 1843 qui crée un fonds de secours, grâce au versement mensuel à la caisse de secours d’une faible partie du travail de chaque mineur. Ce fonds qui s’élève chaque année à un chiffre jugé assez considérable par les ingénieurs est distribué aux mineurs malades, aux invalides, aux veuves et aux orphelins. Il sert aussi à contracter des abonnements auprès des médecins locaux pour des soins gratuits pour les mineurs et leurs familles. Les blessés à la mine sont soignés en dehors de cet abonnement et aux frais de l’administration. Cette caisse de secours est administrée par une commission de 4 anciens mineurs et présidée par un des jurats.
33Les derniers règlements sont marqués par le développement du rôle des techniciens pour moderniser l’exploitation. Ce mouvement cristallise la résistance des groupes sociaux, aux intérêts divergents, les notables et maîtres de forges de Vicdessos, les maîtres de forges étrangers à la vallée et les mineurs. Le minerai est un enjeu de premier ordre. Les mineurs qui, à l’intérieur de ce cadre réglementaire, extraient le minerai, n’ont qu’un seul désir : assurer le maintien d’une exploitation qui fournit du travail au plus grand nombre possible d’entre eux. Or, la vallée de Vicdessos, comme l’ensemble des Pyrénées ariégeoises, connaît un grand essor démographique. Goulier (974 habitants en l’an XII et 1 510 en 1841), le village minier, est plus peuplé que Vicdessos (856 habitants en l’an XII et 1 142 en 1841)57.
2/ Les minerons au travail dans la mine
34Des huit communes du consulat de Vicdessos, ce sont essentiellement les habitants de Sem, Goulier et Olbier qui exploitent le gisement. Ils bénéficient de leur proximité géographique. Ceux de Goulier et Olbier, été comme hiver, parviennent à la mine après une marche de près d’une heure, à travers pâturages et bois, par des sentiers de montagne. Au milieu du XIXe siècle, sur les 1387 habitants de Goulier et Olbier, 298 sont mineurs. Le rejet de l’étranger est clairement énoncé dans l’article XIV du règlement de 1731 : « les étrangers n’y peuvent être admis sous aucun prétexte », seul est accepté celui qui a épousé une fille de mineur58. Le mineron de Rancié baigne dans un milieu ayant une véritable tradition minière, de père en fils. Ce type de filiation présente bien des avantages, car le métier est difficile et on ne s’improvise pas mineur. Il faut de la résistance physique et l’habitude, « une habitude quasi héréditaire », être familiarisé dès son plus jeune âge avec le travail de la mine et ses exigences. L’endogamie qui se réalise dans un cadre géographique restreint favorise et renforce, en contrepartie, la perpétuation des habitudes de travail, la fidélité à ces pratiques, avec l’inconvénient d’un manque de formation réellement technique. Les minerons constituent un groupe social cohérent avec des codes et des rites qui lui sont propres dans un milieu hostile59. Ils ont un solide esprit de corps, soudé par les liens familiaux, les rapports étroits entre ses membres, leurs traditions communes, bref par l’appartenance à une même communauté géographique et politique, et enfin par les règlements de la mine qui entérinent et garantissent leur exclusivité d’emploi. Picot de Lapeyrouse donne une description sans complaisance : « les mineurs de la vallée de Vicdessos sont des paysans grossiers qui cherchent la mine au hasard et l’arrachent sans précaution comme sans connaissance »60. De fait, ces mineurs-paysans ont toujours été mal considérés. L’exemple le plus connu est celui de l’ingénieur des Mines Burdin qui, à peine arrivé à Vicdessos en 1816, demande avec force son changement : « le plus grand désagrément de ma position, écrit-il à l’ingénieur en chef, est d’être au milieu de quatre ou cinq cents demi-sauvages, qui vous détestent d’autant plus, que vous vous donnez plus de soins pour leur être utile »61.
35Quant aux techniques minières qu’utilisent ces mineurs-paysans, il ne faut pas en rester aux affirmations de Picot de Lapeyrouse. Un document de 1764 donne une vision plus précise : « l’extraction se fait en roche, on détache la mine des filons avec la poudre et des pioches ; et lorsque les filons sont épuisés on perce le roc pour en découvrir d’autres »62. Cette méthode est possible parce que, selon une opinion rapportée à la fin du XVIIIe siècle, « à Rancié la nature vient au secours du mineur ». Et en effet, le gisement situé dans une formation karstique se trouve dans des roches tendres (des calcaires dolomitiques du Dévonien) très diaclasées63. La roche encaissante permet de creuser des galeries sans obligation de boisage. Les fissures assurent l’aération des travaux souterrains ; d’après les ingénieurs des Mines, Rancié est « bien aérée ». Ce phénomène est confirmé par les visiteurs qui parcourent les « galeries où l’on sent toujours un vent froid, d’autant plus fort qu’il y a plus de différence entre la température de l’intérieur et celle de l’atmosphère »64. Le seul exemple de ventilation artificielle est la construction d’une trompe comme ventilateur de la galerie Becquey. En 1820, lors de son creusement, vers le milieu de la galerie, les mineurs se plaignent du manque d’air respirable, leurs lumières ne brûlent que très difficilement, et les ingénieurs qui dirigent les travaux réclament un ventilateur. D’Aubuisson se borne à faire redresser l’entrée de la galerie qui présentait un petit coude gênant la circulation naturelle de l’air. Mais, pour les travaux à venir, il préfère installer une trompe comme machine soufflante en 1825. Il est aidé par l’ingénieur Marrot et par Barbe, conducteur principal des travaux65. En 1854, Victor de Chausenque mentionne aussi la présence dans le minier de l’Auriette d’un ventilateur mû par un enfant dont le service dure 12 heures. Le problème de l’exhaure n’est pas primordial parce que les eaux ont un écoulement naturel. Pourtant, en 1786, le minier de Bellagre, le plus bas de la montagne, est abandonné depuis de nombreuses années parce que ses fonds qui donnaient pourtant de l’excellent minerai, sont noyés. Dietrich pense qu’une galerie d’écoulement serait facile à creuser. L’ingénieur en chef d’Aubuisson dirige le percement de cette grande galerie d’écoulement, dite Becquey, d’une longueur de 372 m, mise en communication à son extrémité avec les anciens travaux d’exploitation par un puits de 36 m de long. Elle permet en outre l’exploitation d’un « énorme massif de minerai absolument intact ».
36De plus, les conditions géologiques de la mine autorisent l’utilisation d’un outillage très simple, semblable à celui du paysan : pics, pelles. Une telle rusticité est à l’origine de la réputation d’archaïsme des moyens d’extraction du minerai. La présence des mineurs de Rancié en Andorre et en Espagne, lorsqu’il s’agit de créer une véritable mine avec des travaux souterrains tendrait à prouver que leur technique n’est pas aussi rudimentaire qu’on l’affirme et qu’ils bénéficient d’une véritable réputation de spécialistes. En 1872-1873, 1875, des mineurs de Rancié se rendent à la mine de Puymorens66. En réalité, le mode d’exploitation est parfaitement adapté au milieu naturel comme aux conditions de production et à la demande de mimerai. Cela se vérifie pour la plupart des mines de fer. Ainsi, sur le plan technique, la mine de Rancié n’a rien d’exceptionnel. L’exploitation souterraine des minerais en amas se fait sous forme de vastes salles, que l’on nomme au XIXe siècle « salles de dépilage », mode d’exploitation qui prévaut classiquement dans les mines de fer. Ce travail en minière, qui a pour principal avantage d’être relativement économique, n’est pas en soi un signe d’archaïsme. Ce qui compte dans cette forme d’exploitation n’est pas tant la date de la mise en valeur que la disposition des dépôts métallifères67.
- Les mineurs dans la mine68
37Les mineurs avec « une hotte sur le dos, une lampe à la bouche, une pioche sur l’épaule, un briquet, de l’amadou, du coton, une pierre, une petite corne remplie d’huile à la ceinture », pénètrent dans la mine à 8 heures en été et 9 heures en hiver69. Ils y restent onze heures du 1er mars au 1er novembre (sortie à 19 heures), sept heures du 1er novembre au 1er mars (sortie à 16 heures), ils peuvent sortir plus tôt si la tâche assignée est terminée (le règlement de 1833, art. 40, adopte les heures de celui de 1731, art. V). Il est formellement interdit aux mineurs d’entrer dans la mine après l’heure édictée (1731, art. VI) ; de plus, le matin, tout l’office des minerons doit entrer au minier ensemble (1731, art. VII). S’éclairant avec une lampe à huile, le « calel », ils travaillent encore aux XVIIIe et XIXe siècles à la masse, au pic et au coin, selon des techniques très proches de celles employées au Moyen Âge70. La poudre est aussi utilisée, bien que son emploi ne soit pas obligatoire. Dietrich note que la consommation de poudre est quelquefois de vingt quintaux par an, mais que les mines exploitées lors de son passage en exigent à peine le quart. « Ils se servent d’aiguilles de fer pour faire jouer la mine au lieu d’aiguilles de cuivre, et s’exposent par là à de nombreux et funestes accidents »71.

Le gourbatier de Rancié (O. Rieulx de la Porte, Journal de voyage, Tarn, Gard et Pyrénées, op. cit.)
38Les jurats donnent le signal, les mineurs se bousculent pour arriver à la meilleure place. Suivant l’importance du gîte, ils se groupent par brigades de 4 à 20. Les jurats les répartissent par brigades (ou postes) de 4 à 5 au moins. Dans les endroits où ne se présente évidemment aucun danger, les jurats peuvent établir des postes de 2 à 3 mineurs (1833, art. 44). Après avoir suspendu sa lampe au premier rocher commode, le mineur frappe et brise le minerai avec son pic. Lorsqu’il en a arraché une quantité suffisante, il le met dans sa hotte, la charge sur ses épaules, reprend sa lampe à la bouche et regagne ainsi l’entrée des galeries où il vend son minerai aux muletiers72. Mais, le plus souvent, une certaine division du travail existe : le peyrier ou abatteur arrache la mine et le gourbatier ou porteur de la hotte d’osier (gourbilho) dont la charge forme l’unité d’extraction, la volte d’environ 60 kg, enlève et transporte le minerai le long des 400 à 600 m de galerie à parcourir pour sortir de la mine. Au XVIIIe siècle, de petites voltes de 75 livres (environ 30 kg) sont portées par de jeunes garçons de 10 ans. En 1896, Villot, inspecteur général des Mines, voit encore passer un « porteur à dos », le gourbatier ou gorbalier, sa lampe entre les dents, qui évacue 90 à 100 kg de minerai dans une « panière reposant en haut sur ses omoplates, en bas sur une sorte de coussin (gorp), maintenu sur les reins par deux bretelles passant sous les aisselles portées sur les épaules, monte des rampes de 25 m de hauteur verticale pour franchir les marches glissantes qui l’amènent à la voie de Sainte-Barbe, puis, de là, plié sous ce faix, parcourt dans la même galerie tortueuse, bossue et pleine de flaques d’eau, 600 m horizontalement pour arriver au jour ». Cette façon d’opérer est attestée au début du XVe siècle. Il conclut que Rancié a le droit de se dire le « conservatoire du portage à dos »73.
39La masse du gîte de minerai est divisée en une série de piliers en forme de losanges inclinés ayant à peu près 7 à 10 m de côté. Puis les minerons procèdent au dépilage, en recoupant d’abord en 4 chacun de ces piliers par des galeries de traverses et, suivant le plus ou moins grand danger du travail, ils enlèvent ou laissent comme piliers de soutènement les petits « stocs » ainsi découpés, de préférence ceux constitués de minerai pauvre, aux étranglements des amas dans les régions où les roches du toit et du mur se rapprochent. Les mineurs s’avancent toujours en descendant depuis la surface et s’attachent à suivre le minerai. S’il est abondant, ils marchent en large taille sur 3 ou 4 m de large et 2,50 à 3 m de haut. Quand il manque au front, ils reviennent attaquer, sur de fragiles échafaudages, les soles et les plafonds. Ils ne tardent pas ainsi à former de grands vides d’où l’eau et les éboulements les chassent. Ils s’attaquent alors à un affleurement voisin. Ce mode d’exploitation, consacré par l’usage, ne permet guère que d’enlever les deux tiers du minerai, l’autre tiers restant à l’état de pilier de soutènement. Quand le dépilage est terminé, il est fréquent, après un temps plus ou moins long qui peut atteindre plusieurs dizaines d’années, que les piliers s’écrasent, les roches du toit et du mur s’éboulent et l’amas est, comme disent les mineurs, transformé en éboulis terreux avec de gros blocs épars de minerai qui ont tendance à descendre à la base des éboulis. Dans ces éboulis, les minerons s’avancent par des petites galeries boisées, attaquent le minerai en blocs épars abandonnés par les anciens, et les exploitent au fur et à mesure de leur découverte. À l’Auriette par exemple, en 1812, 400 mineurs ouvrent des petits chantiers où ils recherchent, brisent et extraient les blocs de minerai qui y sont enfouis. Ils travaillent sous des voûtes formées de quartiers de roches et de fragments de la couche métallifère, sans liaison, s’appuyant simplement les uns contre les autres. Les mineurs pénètrent dans les chantiers (miniers) par des galeries, les couxières, plus ou moins bien boisées et souvent sujettes à des éboulements. Le règlement de 1833 prévoit l’exploitation dans les éboulis (art. 10 à 13). Ces façons de faire expliquent la topographie souterraine de la mine de Rancié.
40Depuis le début du XIXe siècle, l’administration des Mines qui a été chargée de la direction des travaux a adopté une méthode d’exploitation plus rationnelle. Les premiers plans des miniers en exploitation sont levés par d’Aubuisson afin de connaître l’allure du gîte et d’en étudier l’aménagement. L’ingénieur en chef poursuit un double but : d’abord régulariser et rendre sûres, d’accès facile, les galeries d’exploitation ; puis, aménager rationnellement l’exploitation et fixer un bon système de recherche de ressources pour l’avenir. Dès 1812, de grands travaux sont dirigés par les ingénieurs des Mines : construction de galeries de recherche, de galeries d’écoulement, de nouvelles galeries d’exploitation74. Ainsi, de 1812 à 1819, sont successivement améliorées les galeries de l’Auriette et de la Craugne, pratiqué le percement de Saint-Louis (220 m de long) et explorés les parages inférieurs de la Craugne. Des recherches sont tentées sur le minier de La Roque, et celui de Bellagre est ouvert. De 1819 à 1825, des communications sont établies entre les galeries d’exploitation de l’Auriette, de la Craugne, de Saint-Louis et l’entrée de La Roque afin de permettre aux mineurs de s’échapper en cas d’effondrement de l’une d’elles. Entre-temps, de 1820 à 1829, la galerie Becquey est creusée. Elle facilite les travaux avancés de Bellagre et de l’Escudelle où, à côté de petits massifs, les ingénieurs sont tombés sur les éboulis des anciens (1831 à 1833). Des recherches sont conduites à l’Auriette (1833-1835) où se trouvent la plupart des chantiers exploités dans les années 1840, et notamment les nouveaux miniers du Poutz. Pour rendre plus facile et surtout moins dangereuse l’exploitation de la Craugne qui se faisait par les grands vides de Chassepot, une galerie de service général est ouverte (1834 à 1838) au niveau de l’ancien minier du Poutz sur une longueur de 493 m. Cette galerie, sensiblement horizontale, sert à l’exploitation de la Craugne, du Poutz et des parties supérieures de l’Auriette. La grande galerie de Sainte-Barbe est ouverte à partir de 1848, l’exploitation régulière est conduite au cours des années 1860.
41Le mode d’exploitation explique l’état déplorable de la mine. Son usage est communautaire, à l’imitation du droit d’usage régissant les estives (pâturages d’été), mais son exploitation est individuelle et pas toujours respectueuse des règlements collectifs, en particulier dans le domaine de la sécurité. Le travail des mineurs est dangereux. Bien plus, les mineurs ne savent pas conserver les piliers de soutènement que les règlements leur imposent de laisser, « il faut des soins de chaque instant pour garantir de leurs atteintes les piliers dont l’écrasement menace leur vie et leurs ressources ». « C’est sur ces débris des voûtes, débris faciles à exploiter que les mineurs acharnés comme les oiseaux de proie sur les cadavres dont un champ est jonché, s’empressent à l’envie de terminer la tâche journalière qu’ils ont à remplir, ne s’inquiétant d’ailleurs en aucune manière du danger qui plane sur eux »75. Ils s’acharnent à aller chercher le minerai dans les éboulis. À la fin du XIXe siècle, l’inspecteur général Villot tire la conclusion : « L’effondrement du gîte est devenu la loi générale » de la mine de Rancié. L’explication est simple : mineurs, jurats (ils perçoivent 1,25 centime pour chaque charge de minerai), administrateurs, se préoccupent plus des quantités de minerai extrait, de la police de la mine qu’ils ne s’inquiètent de la sécurité. Ainsi, dans l’espace de 242 jours ouvrables par an, il se produit en moyenne 61 sinistres dus à des éboulements, 1 ou 2 provoquant la mort, 8 à 12 des blessures graves entraînant parfois une incapacité de travail pour la vie. Villot constate que, de 1876 à 1894, les travaux de Rancié ont été « de 6 à 8 fois plus meurtriers que ceux des autres mines de fer du reste de la France ». Dans toute l’Ariège, et jusque dans les départements voisins, on voyait des mineurs demander l’aumône « et traîner leurs membres mutilés ».
- Le nombre de mineurs
42Le nombre des mineurs n’a pas été fixé par les règlements. Il n’est guère possible d’en donner une idée précise avant le XVIIIe siècle. En 1764, « il y a environ deux cents travailleurs habitants de cette vallée seuls en droit par leurs privilèges d’y ouvrir des miniers, qui sont journellement occupés à l’extraction de ces miniers »76. Dietrich, Picot de Lapeyrouse comptent environ 300 « minerons tant grands que petits ». Au XIXe siècle, les statistiques permettent de connaître leur nombre année par année et son évolution. Ils sont jusqu’à 455 en 1816. L’administration décide alors de mettre un terme à cet accroissement qu’elle juge « abusif ». Un arrêté préfectoral limite leur nombre à 378, avec la possibilité de l’augmenter ou de le diminuer en fonction de la demande de minerai. Ainsi, en 1838, le préfet le porte à 400 pour satisfaire une consommation en hausse. Par la suite, le constat fait par tous les techniciens est sans ambiguïté : les mineurs sont trop nombreux, 250 hommes suffiraient largement là où 400 minerons travaillent. Le renouvellement des mineurs est peu important à cause de cette réglementation, 10 à 20 par an, 14 nominations en 1840, 21 en 1841, 10 en 1844, 13 en 1848. L’enquête sur le travail pour le canton de Vicdessos indique que la mine emploie 340 hommes et 100 enfants au-dessus de 16 ans77 ; 440 mineurs sont recensés en 1852, dont 40 enfants de moins de 15 ans. Dès les années 1856-1858, les statistiques donnent environ 550 mineurs à Rancié. Mais ensuite, le nombre varie suivant les aléas de la conjoncture économique, 300 seulement par exemple en 1859, pour remonter à 400 dès 1861 et à 450 vers 1872. Pour la période qui nous intéresse, le record semble dater du 4e trimestre 1873 avec 560 ouvriers. Parallèlement le nombre de voltes journalières est porté à 5 ou 6, parfois jusqu’à 8. Dans l’année qui suit on retrouve 410 ou 420 mineurs, avant que ce nombre se stabilise autour de 40078. Mais il faut immédiatement préciser que depuis 1859 les forges à la catalane ne sont plus les seules consommatrices du minerai de Rancié.
3/ Les quantités de minerai extraites
43Quelles quantités de minerai de fer ont été extraites de la mine de Rancié avant les premières décennies du XIXe siècle ? Il est très difficile de répondre à cette question. Mussy a calculé le cubage total des vides et éboulis de ce qu’il nomme « les anciens travaux », 1 093 070 m3, ce qui correspond à un poids de 4 700 201 tonnes, la densité du minerai étant d’environ 4,30. L’exploitation de cette mine s’est poursuivie pendant au moins six siècles, même si les travaux n’ont sans doute pas été continus et ont dû subir des interruptions, il considère donc que l’extraction annuelle moyenne a été de 7 800 à 7 900 tonnes79. Mettrier, en 1893, estime que la masse de minerai extraite jusqu’en 1810 peut atteindre 3 730 000 tonnes ; 1 570 000 tonnes entre 1811 et 1893. Entre 1893 et 1929, la mine a donné environ 900 000 tonnes ; au total, la mine de Rancié aurait produit plus de 6 000 000 de tonnes de minerai80.
44Les archives donnent pourtant quelques éléments d’appréciation intéressants avant 1810. Sans trop nous attacher à l’exactitude, elles nous offrent cependant des ordres de grandeur d’une exploitation multiséculaire. L’approche la plus simple et peut-être la plus sûre est de considérer, modestement, le nombre de forges approvisionnées par la mine à telle date. En multipliant ce nombre par la consommation d’une forge, il est possible d’avoir une idée approximative de l’extraction de minerai. Mais toutes les usines n’ont pas la même durée de roulement. Ainsi, les registres de la réformation des forêts indiquent que, en 1667, 43 forges du pays de Foix, du Couserans et du marquisat de Mirepoix utilisent le minerai de Vicdessos ; que pendant 24 heures de travail, il faut 30 quintaux de minerai (soit 1,230 tonne)81. En 1772, la mine « fournit à l’usine de 48 forges ». Il faut pour chacune 32 quintaux de minerai chaque jour (1,312 tonne), ce qui fait, au total, 1 536 quintaux par jour (62,976 tonnes)82. Dietrich a calculé que la consommation en minerai du pays de Foix se monte à 203 500 quintaux (8 343 tonnes environ) par an et celle du Couserans à 36 516 quintaux (1 498 tonnes), soit au total environ 9 850 tonnes. La production annuelle est estimée entre 10 000 et 15 000 tonnes à la fin du XVIIIe siècle. Elle augmente ensuite, et apparaît précisément dans les archives du service des Mines, grâce à la loi sur les mines de 1810. Il devient alors possible de dresser un tableau de l’extraction du minerai de Rancié. Le calcul du salaire des mineurs, des frais et du prix de vente est fait pour 100 kg de minerai83.
Extraction du minerai de Rancié de 1811 à 1868
années | quantités | salaire | taxe pour | frais de | frais de | prix du |
1811 | 166 824 | 1 | 0,083 | 0,916 | 0,25 | 2,25 |
1820 | 186 120 | 0,916 | 0,083 | 0,916 | 0,16 | 2,08 |
1825 | 156 000 | 0,916 | 0,083 | 0,833 | 0,16 | 2 |
1830 | 145 146 | 0,916 | 0,083 | 0,833 | 0,16 | 2 |
1835 | 161 387 | 0,916 | 0,083 | 0,833 | 0,16 | 2 |
1840 | 248 797 | 0,916 | 0,083 | 0,66 | 0,16 | 1,83 |
1845 | 135 956 | 0,916 | 0,083 | 0,66 | 0,16 | 1,83 |
1850 | 184 090 | 0,916 | 0,083 | 0,66 | 0,16 | 1,83 |
1855 | 240 5706 | 1 | 0,083 | 0,66 | 0,083 | 1,83 |
1856 | 232 039 | 1 | 0,083 | 0,66 | 0,083 | 1,83 |
1857 | 185 774 | 1 | 0,083 | 0,66 | 0,083 | 1,83 |
1858 | 157 521 | 1 | 0,083 | 0,66 | 0,083 | 1,83 |
1859 | 188 726 | 0,916 | 0,083 | 0,66 | 0,16 | 1,83 |
1860 | 164 773 | 0,916 | 0,083 | 0,66 | 0,16 | 1,83 |
1861 | 178 781 | 1 | 0,083 | 0,58 | 0,083 | 1,75 |
1862 | 161 981 | 1 | 0,083 | 0,58 | 0,083 | 1,75 |
1863 | 126 337 | 1 | 0,083 | 0,50 | 0,083 | 1,67 |
1864 | 108 528 | 0,916 | 0,083 | 0,50 | 0,166 | 1,67 |
1865 | 143 482 | 0,910 | 0,083 | 0,41 | 0,166 | 1,58 |
1866 | 179 518 | 0,916 | 0,083 | 0,33 | 0,166 | 1,50 |
1867 | 210 643 | 0,916 | 0,083 | 0,33 | 0,166 | 1,50 |
1868 | 272 060 | 0,916 | 0,083 | 0,33 | 0,166 | 1,50 |

Extraction du minerai de Rancié de 1811 à 1868
45La tendance structurelle est sans contestation possible à la hausse. Elle répond à la montée en puissance de la sidérurgie à la catalane et à l’essor de la demande de ses fers et aciers. Le XIXe siècle confirme cette forte tendance séculaire. 1840 est l’année de la plus forte production de la première moitié du siècle avec 24 879 tonnes, puis vient 1868 avec 27 200 tonnes, pour atteindre à la fin du siècle 30 000 tonnes. Quant à 1817, elle est l’année la plus faible de la première moitié du siècle, avec 13 076 tonnes de minerai extrait. Mais l’année la plus basse est 1864 avec 10 852 tonnes. Il faut prendre en compte à partir de 1859-1860 le fait que deux hauts fourneaux sont mis à feu dans l’Ariège, le lien entre la mine de Rancié et la forge à la catalane n’est plus exclusif. On peut considérer que, pendant les vingt premières années du XIXe siècle, la moyenne annuelle est supérieure à la moyenne des dernières années de l’Ancien Régime. Puis, elle est constamment en hausse. Ces résultats marquent l’élan général de la production industrielle au cours de la première moitié du XIXe siècle. À y regarder de plus près, des baisses conjoncturelles peuvent être distinguées. Peut-on parler de crises et comment les expliquer ? Première remarque, elles semblent indépendantes des incidents et accidents de la mine. Les éboulements de 1819, 1834, 1835, 1836, 1839, les hivers rigoureux de 1837 et 1840, la grève de 1818, les troubles de 1814, 1830 et 1848 ont bien ralenti l’extraction, mais ils n’expliquent pas réellement les variations que nous avons notées. Par contre, le parallélisme entre les mouvements de l’extraction du minerai et ceux de la production des fers à la catalane, malgré de légers décalages, révèle, mais c’est une évidence, les liens qui unissent le travail de la mine et le travail des forges. Les crises de Rancié coïncident avec les crises dont souffrent les forges. De plus, les alternatives d’essor et de dépression qui se succèdent régulièrement épousent aussi le rythme, dans ses grands mouvements, des crises cycliques nationales.
46Quoi qu’il en soit, en 1847, année moyenne pour Rancié, la production est de 18 753 tonnes, contre 3 463 694 tonnes sur le plan national, soit environ 0,55 % du minerai extrait en France. Dix ans plus tard, l’Ariège produit 18 577 tonnes de minerai de fer et 15 753 tonnes en 1858. Au niveau national, on estime que la quantité des minerais prêts à passer aux fourneaux en 1858 ne peut guère excéder 2 270 000 tonnes, c’est-à-dire que le minerai de Rancié représente 0,7 % de la production française84. À la même date, le département voisin de l’Aude dont de nombreuses forges consomment le minerai de Rancié, donne 664 tonnes en 1857 ; 420 tonnes en 1858. Les Basses-Pyrénées extraient 4 338 tonnes en 1857 et 5 161 tonnes en 1858, consommées dans le département. Les Pyrénées-Orientales produisent 11 039 tonnes en 1857 et 10 257 tonnes en 1858 qui approvisionnement les forges à la catalane du département et de l’Espagne. La mine de Rancié est bien au premier rang dans les Pyrénées françaises. La mine de Somorrosostro, sur le versant espagnol, qui approvisionne, entre autres, les forges de la Biscaye, est cependant la plus grande mine de fer pyrénéenne. Elle se caractérise, comme la mine de Rancié, par le manque de rationalité de son exploitation et l’interdiction des étrangers.
4/ Les prix du minerai de Rancié et leur évolution
47Le prix du minerai n’est pas le même au départ de la mine selon la personne qui l’achète, à cause de la distinction établie entre les habitants de la vallée de Vicdessos et les étrangers (il s’agit d’une donnée structurelle). Puis, de façon habituelle, ce prix augmente en fonction de l’éloignement de la mine et du mode de transport. Chartes et règlements organisent la vente du minerai. La charte de 1414 fixe le prix, « les mineurs ne pourront prendre que huit deniers pour chaque quintal de minerai. Ils feront autant de voyages que leur commanderont les préposés ». Il est précisé, d’autre part, que le prix de la mine transportée dans la vallée sera de 16 deniers le quintal (environ 61 kg). Le prix du minerai n’est donc pas libre, ce principe restera, mais n’empêchera pas les notables de Vicdessos de demander un prix élevé. En 1669, le minerai se vend 7, 8, 10 jusqu’à 15 ou 16 sols la charge, les habitants de la vallée paient au roi 2 liards par charge et les étrangers 1 sol. Ordinairement, la mine prise à la minière revient à 12 sols la charge composée de 2 quintaux et quelquefois un peu plus ou un peu moins à proportion du travail qu’il y a à faire pour la tirer et du nombre des voituriers qui viennent la chercher. Elle vaut 20 sols à Saurat, 28 sols en Barguillère, 36 sols à Ascou, Orgeix, Castelet, Perles et autres lieux et 22 sols à Allens85. Les habitants de Vicdessos livrent le minerai à un prix jugé exagéré, les maîtres de forges protestent. Une ordonnance des États de Foix du 18 janvier 1696 règle la question et fixe le prix à 4 sols les 150 livres. En 1711, le minerai de Vicdessos varie de 27 à 28 sols la charge rendue à Château-Verdun. En 1723, devant l’augmentation des denrées, les consuls de Vicdessos élèvent le prix de 5 sols à 5 sols et 4 deniers par quintal pour les habitants de la vallée et à 7 sols et 4 deniers pour les « forains », les étrangers à la vallée de Vicdessos. Les abus continuant, un nouveau règlement est promulgué en 1731 qui porte le prix du minerai à 4 sols la volte pour les habitants de la vallée et à 6 sols pour les étrangers, sur la place du minier de l’Escudelle et non ailleurs (art. XV à XIX). De plus, toute personne qui vendra la mine à Vicdessos doit le faire à 6 sols et il est défendu aussi de la vendre « à plus haut prix » aux forges (art. XXVII). Dans les années 1780, les consuls autorisent les mineurs à prendre 5 sols 6 deniers des habitants de la vallée, et 7 sols 6 deniers des étrangers. Cette augmentation n’est pas considérée trop forte par rapport à 1731, comparée à celle du prix des denrées et du fer. Les habitants de la vallée sont toujours servis de préférence aux étrangers.
forges | prix du minerai (sols) | durée du roulement (mois) | consommation annuelle (quintaux) |
Orgeix | 36 | 3 | 3 300 |
Orlu | 38 et 39 | 5 à 6 | 6 600 |
Ascou | 37 | 7 à 8 | 7 700 |
Mijanès | 51 | 5 | 5 500 |
Castelet | 35 | 7 à 8 | 4 800 |
Urs | 30 | 6 | 4 120 |
Gudanes | 25 | 12 | 16 460 |
Saint-Paul | 25 |
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Celles | 1 livre 5 sols | 7 à 8 | 5 500 |
Allens | 25 | 2 à 3 | 1 375 |
Niaux | 21 | 12 | 7 544 |
Vicdessos | 12 à 13 |
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Siguer | 18 | 12 | 12 100 |
Rabat | 27 | 3 | 2 200 |
Lacombe |
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| 6 600 |
Esqueranes | 26 à 28 | 10 | 8 800 |
La Mouline | 23 | 7 à 8 | 6 600 |
La Cabirole | 36 | 6 à 7 | 6 600 |
Estaniels | 38 | 5 | 3 450 |
Tourné | 50 | 7 à 8 | 4 800 |
Couserans | 2 livres 6 sols |
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Prix du minerai de Rancié dans les forges du comté de Foix en 1786
(d’après Dietrich)
48La moitié seulement du minerai de la forge de Mijanès vient de Rancié, l’autre moitié provient des mines d’Escarou, près d’Olettes, et de Prades de Conflent en Roussillon, à 48 sols le quintal de 160 livres. De même, les 3 forges de Gudanes ne consomment que la moitié de minerai de Rancié, le reste provient des mines de Larcat et le quintal revient alors à 13 sols. Le prix élevé du minerai à la forge de Celles s’explique parce qu’elle doit acquitter une taxe de 7 sols 6 deniers de droit de sortie du minerai car elle est située dans le Languedoc, comme les forges de la terre de Mirepoix. Le prix donné pour le minerai de Rancié, rendu à la forge de Tourné, concerne un quintal de 180 livres et non de 160 livres comme pour les autres usines. La forge d’Arbas, qui utilise pour moitié le minerai de Rancié le paie au prix de 3 livres 8 sols ; celui qu’elle tire d’une mine de la terre d’Arbas revient à 10 sols. On comprend facilement pourquoi le seigneur d’Arbas tient tant à se libérer de l’échange avec le Vicdessos.
49À partir du règlement de 1805, un prix de vente unique est officiellement fixé, chaque année, par le préfet après avis d’une commission. Le règlement de 1833 renforce le pouvoir de l’administration. Le prix de vente est toujours fixé annuellement par le préfet après avis d’une commission. En 1858, le prix moyen du minerai en France oscille sensiblement de département à département. Le minerai qui se vend 20 francs la tonne dans le Haut-Rhin, 17 francs dans l’Aude, vaut dans la Meuse, la Haute-Marne et la Vienne, 13,10 francs, 12,40 et 11,90 francs. La différence de prix s’explique par l’importance des travaux souterrains qui entraînent les prix les plus élevés, tels que les fers lithoïdes associés à la houille et les minerais en filons des Pyrénées de l’Ariège, où la tonne vaut alors 18,3 francs86.
- Structure du prix du minerai

Structure du prix du minerai de fer en 1811 et 1868
50La part du salaire des mineurs dans le prix du minerai de fer dans les entrepôts de Vicdessos, occupe la première place même si, tout au moins dans les premières décennies du XIXe siècle, elle est talonnée par les frais de muletage de la mine aux magasins de Cabre. Puis, au cours du siècle, la tendance longue est à l’augmentation de la part du salaire, de 44 % en 1811 à 61 % du total en 1866-1868. C’est en 1840 qu’elle franchit les 50 %, dès lors elle devient incontestablement l’élément essentiel. Par contre, la part des frais de transport diminue d’environ 50 %, de 41,65 % du prix total en 1811 à 22 % en 1868. La diminution est constante tout au long de la période, au fur et à mesure que le contexte sidérurgique change. Par contre, les frais de magasin qui représentent 11 % du prix total en 1811, baissent jusqu’à 4,5 % en 1855, date à laquelle ils s’alourdissent pour atteindre 11 % du prix total en 1866, c’est-à-dire qu’ils retrouvent un niveau supérieur à celui du début du siècle. Certes, ces frais ont doublé (de 0,083 à 0,16 franc), mais, dans le même temps, le prix de vente du minerai aux maîtres de forges diminue. Le montant de la taxe pour l’entretien des miniers, fixé par les règlements de 1805 et 1833, reste inchangé ; et pourtant, sa part dans le prix du minerai, s’alourdit : de 3,6 % en 1811, elle passe à 6 % du total en 1868 puisque le prix de référence baisse.
51En réalité, lorsque l’on considère la structure du prix du minerai, on est frappé par l’importance du prix du transport, non seulement, comme il est logique, de la mine à la forge, mais, plus grave, de la mine au pied de la montagne de Rancié. Les muletiers qui achètent le minerai sur la place du minier le transportent, non plus seulement comme auparavant à Tarascon, mais à Cabre, hameau de Vicdessos, depuis que la route est carrossable entre ces deux villes (1778-1784). À Cabre, le minerai est vendu à des entreposeurs qui traitent directement avec les maîtres de forges ou leurs agents. Ainsi, le port par les bêtes de somme entre les différents miniers et Cabre se fait par des rampes à la pente raide. Le prix du transport de 100 kg est de 0,66 franc. C’est-à-dire qu’il est deux fois et demie plus élevé que sur une route carrossable en montagne et treize fois et demie plus que par un système de plans inclinés. Il faut ajouter 0,083 franc de droit sur le minerai, 0,16 franc de frais d’entrepôt et de magasin à Cabre. De sorte que la valeur du minerai à Cabre est de 1,82 franc les 100 kg, soit le double du prix de vente sur le carreau de la mine (0,91 franc). C’est pourquoi les maîtres de forges, quelle que soit la situation géographique de leur forge, espèrent beaucoup de l’établissement de moyens de transport plus économiques qui rendraient le minerai meilleur marché. L’établissement d’un « couloir en pente » pour l’évacuer entre la mine et la route à Cabre permettrait de diminuer son prix. Les projets sont nombreux, mais ils se heurtent à la résistance de la population, des muletiers en particulier.
52Quant au transport jusqu’aux forges, il reste onéreux. Ainsi en 1811, la statistique industrielle du canton de Lavelanet indique un prix du minerai de 4 francs le quintal métrique. Les transports de la mine et du charbon sont plus coûteux parce que ces forges sont situées dans un pays montueux87. D’une façon plus générale, en 1824, les maîtres de forges de l’Ariège expliquent au préfet que, « en 1789, l’extraction de 75 kg de minerai valait 30 centimes, tandis que celle de 60 kg, depuis l’accroissement des fourneaux de fusion, en vaut 65. Le prix de cette matière s’élevant en proportion de l’éloignement des usines, il est constant que les forges d’Alos, Oust, Aulus, Touille, Engomer achètent au prix de 3 francs cette dernière quantité, payée 4 francs par M. Vieux de Castres, dans le département du Tarn »88. Dans les années 1840, Rancié alimente exclusivement 57 feux de forges dans l’Ariège, 4 dans la Haute-Garonne, en partie 4 feux dans l’Aude et 4 dans le Tarn. Le minerai est transporté à environ 180 kilomètres de la mine. De telles distances ne peuvent être parcourues qu’à la condition d’un retour assuré dans la haute Ariège, soit en denrées de première nécessité, soit en charbon de bois pour les forges des cantons de Tarascon et Vicdessos. De tels parcours expliquent que le prix du minerai rendu à la forge s’élève jusqu’à 5 et 5,50 francs les 100 kg dans les années 1830-1840, soit une augmentation d’environ 4 francs. En moyenne, le prix du transport pour les forges de la plaine est de 0,025 franc pour 100 kg par kilomètre. Il monte à 0,05 et 0,07 franc pour les forges de la montagne approvisionnées par charrettes et à 0,10 et 0,13 franc lorsqu’elles le sont à dos de mulet89.
53Ainsi, la mine de Rancié, grâce à ses différents chantiers, grâce au travail des mineurs et à leurs méthodes d’exploitation, a été capable au cours des siècles de répondre à la demande croissante des maîtres de forges d’une grande partie de l’aire technique à la catalane, des Pyrénées ariégeoises au Tarn, de la Haute-Garonne à l’Aude. Mais cette réponse doit son efficacité à un encadrement et à une surveillance accrus des mineurs. En effet, les modalités d’extraction fondées sur la charte de 1414 soumettent les ouvriers aux notables de Vicdessos. Il faudra attendre 1731 pour qu’un nouveau règlement adapte les conditions d’exploitation de la mine à l’évolution sociale et économique de la montagne pyrénéenne et à l’évolution des conditions techniques du travail du fer. Puis, au XIXe siècle, s’abritant, toujours, derrière un statut qui trouve ses racines au Moyen Âge, l’État, représenté sur place par le préfet et les ingénieurs des Mines, prend en main l’extraction du minerai pour soutenir l’essor industriel. Cette succession de règlements permet d’entendre faiblement la voix ténue des mineurs à travers les pratiques, les refus d’obéissance qu’ils opposent à la remise en cause de leurs droits.
C/ « La mine aux mineurs » : les mineurs et leurs combats pour défendre « leurs libertés »
54Le poids de la main-d’œuvre ne suffit pas pour faire de la mine de Rancié « la mine aux mineurs ». Si un âge d’or a éventuellement existé, il n’est plus, au XIXe siècle, qu’un mythe véhiculé par les mineurs eux-mêmes. Des historiens et des érudits locaux ont fait, à leur tour, de cette mine le symbole d’une société égalitariste. Ils sont les artisans de la diffusion de cette illusion. Leur vision idéalisée repose sur leur interprétation d’usages collectifs énoncés dans les chartes médiévales. Ils estiment, pour la plupart, que, depuis la fin du XIIIe siècle, lorsque le comte de Foix reconnaît à chaque homme de la communauté de Vicdessos le droit d’extraire le minerai, le pouvoir central, quel qu’il soit, cherche à réglementer les franchises qu’il a consenties sans y parvenir car, disent-ils, les mineurs font toujours la loi. René Garmy a montré l’illusion que constitue, pour les ouvriers, la « mine aux mineurs » au cours de la première moitié du XIXe siècle. Survivance d’un privilège féodal, cette mine de fer, propriété collective et indivise des habitants de la vallée, s’organise, selon lui, beaucoup plus sur le modèle des communautés villageoises que sur un modèle de type collectiviste. La mine appartient en effet à tous, tant aux pauvres qu’aux riches. Mais ce sont ces derniers qui en tirent le plus de profit90. En réalité, le problème ne se pose pas en ces termes, l’important est le pouvoir de décision, la direction effective de la mine et de son exploitation. Le mode de fixation du prix de vente du minerai est le véritable révélateur du rapport de force. Les notables ont su s’emparer de la gestion de la mine qui demeure toujours juridiquement communautaire. Ils contrôlent les mineurs-paysans (système de surveillance et de punitions pour rendre l’extraction régulière, indépendante de la volonté du mineur), interdisent la vente directe à un étranger à la vallée et fixent au plus bas le prix de vente au sortir de la mine, excluant ainsi le mineur de toute plus-value. À l’époque qu’étudie Garmy, le préfet, aidé par l ’administration des Mines, dispose du pouvoir et gère la mine au profit de la bourgeoisie des maîtres de forges, les mineurs étant de plus en plus « prolétarisés », achèvement d’un processus commencé dès le XVe siècle91. L’histoire de la mine de Rancié est celle d’une lutte qui s’est perpétuée pendant 5 siècles, du XVe au XIXe siècle, entre les mineurs d’un côté, les notables de Vicdessos et les maîtres de forges des Pyrénées ariégeoises de l’autre. Au XIXe siècle, l’administration toute puissante, personnifiée par le préfet, impose son rôle d’arbitre. Ce climat d’affrontement est loin de la vision irénique de « la mine aux mineurs ». Mais avant de décrire les tensions qui opposent notables et ouvriers, il est nécessaire de s’arrêter sur la situation sociale du mineur.
1/ « La condition des mineurs est dure et misérable »
55Le travail à la mine, s’il n’est pas la condition suffisante, est un élément indispensable à la vie des ces paysans dans la haute vallée. Picot de Lapeyrouse constate que « ceux qui embrassent la profession de mineurs sont les plus pauvres de la vallée ». « La condition des mineurs est dure et misérable » écrit le préfet de l’Ariège, le 26 novembre 1845. Dure parce qu’ils exploitent avec témérité leurs mines, sans se préoccuper du danger auquel ils s’exposent, et qu’ils se donnent gratuitement un « excès de peine », car « ils ne s’ouvrent pas de routes aisées pour la sortie du minerai »92. Misérable parce que leur travail est peu rémunérateur. Chaque mineron, ou chaque association de mineurs, travaille pour son compte. Aucun d’entre eux ne s’intéresse à autre chose qu’au produit du jour, et tous regarderaient comme perdu le temps qu’ils emploieraient à faciliter des accès commodes aux chantiers.
- Le salaire
56Le salaire journalier du mineron dépend du prix du minerai et du nombre de voltes qu’il a extrait. Or, ni la valeur, ni la quantité ne sont laissées à l’appréciation du mineur qui doit se plier aux règlements. Depuis la promulgation de celui de 1731, alors que la valeur de la volte est de 4 et 6 sols, les ouvriers peuvent gagner entre 24 et 30 sols parce que les jurats ne veillent pas avec un grand soin à ce que le prix prévu ne soit pas dépassé. Mais, en règle générale, leur plus fort gain journalier n’est presque jamais supérieur à 20 sols. C’est cette somme qui est indiquée pour 1789. En 1793, la hotte est passée de 5,5 sols à 12 sols. L’extraction étant en moyenne de 3 voltes par jour, le gain journalier se monte à 36 sols. En juillet 1797 (28 messidor an V), les mineurs exigent ouvertement 12 sols pour une volte, alors que le prix officiel était fixé depuis peu à 10 sols. Ainsi, le prix a doublé en 8 ans, chaque mineur gagne en moyenne 36 sols par jour93. Au XIXe siècle, le salaire reste relativement stable : de 1811 à 1868, il oscille entre 0,91 et 1 franc pour 100 kg de minerai94. C’est dire que le salaire journalier varie de 2 à 2,45 francs pour les hommes, 1 franc pour les enfants. Le prix de la volte de 60 kg se maintient entre 0,55 et 0,60 franc. Mais les variations de la demande des forges pèsent souvent d’une manière fâcheuse sur le gain du mineur. Le nombre de voltes augmente, 3 vers 1816, 4 de 1817 à 1837 et 5 à partir de 1857. C’est d’ailleurs le moment où le préfet augmente le nombre des mineurs. En 1818, d’Aubuisson estime que le mineur gagne 1,30 franc pour 4 heures et demie de travail. Le salaire annuel s’élève alors à 250 francs. En 1848, les mineurs gagnent en moyenne 2 francs par jour de travail ; les enfants de moins de 16 ans, 1 franc par jour. Dans cette enquête, « la somme jugée indispensable à un ouvrier seul et à un ménage composé du mari, de la femme et de deux enfants en bas âge » est de 500 francs pour un homme seul et de 900 francs pour un ménage. Ces chiffres comparés au salaire annuel d’un mineur, environ 484 francs, plus 242 francs pour un enfant à la mine, donnent la mesure du niveau de vie des minerons95. En 1853, époque de prospérité relative, le mineur gagne annuellement 500 francs sur lesquels il ne lui reste que 400 francs. Vers 1858, les hommes ne gagnent plus que 1,50 franc environ par jour, selon le rapport de l’ingénieur en chef des Mines. Le prix de la volte augmente de 0,05 franc au 1er trimestre 1872, soit une hausse de 0,82 franc par tonne. Par contre, en 1878, la Société Métallurgique de l’Ariège qui est quasiment devenue la seule consommatrice du minerai de Rancié a imposé une baisse du prix d’achat de 2 francs par tonne, décision qui a une influence négative sur le revenu des mineurs96. Une information essentielle doit être donnée pour apprécier la valeur réelle du salaire, le nombre de jours de travail. Le calendrier des mineurs comporte de nombreuses fêtes religieuses et professionnelles. L’office des minerons chôme à Pâques, du jeudi saint au mardi suivant ; le 3 mai, jour de la fête locale de Sem ; le 4 mai, jour de la consécration de l’église de Goulier et le 29 septembre, fête patronale du village ; le 16 mai, anniversaire de la consécration de l’église de Sem ; le 29 juin, fête locale d’Olbier ; le 24 octobre, jour de dévotion pour les mineurs ; le 24 novembre, fête des jurats, sans compter les fêtes de nombreux saints particulièrement vénérés par les mineurs. En 1828, l’administration supprime 50 jours chômés, il reste encore 56 jours de fête sans compter les dimanches. Les dimanches, jours de fête, accidents, chômage pour assurer « le droit au travail » de tous les mineurs, le résultat est que l’année comprend 220 à 250 jours de travail, en moyenne 242 jours ouvrables. Enfin, en cas de crise économique, de ralentissement du travail des forges, les mineurs ne travaillent plus que 3 ou 4 jours par semaine.
57Le mineur-paysan peut en outre compter sur le travail de sa famille, les garçons d’environ 10 ans portent le minerai hors de la mine, les fillettes du même âge conduisent des convois de mulets qui, à raison de 3 ou 4 voyages par jour, parcourent le chemin de Cavaillères pour livrer le minerai aux magasins de Cabre. Ce travail est cependant « mal payé ». S’ajoute aussi le produit de quelques lopins de terre cultivés par sa femme et par lui, au sortir de la mine.
- Les dépenses obligatoires
58Pour apprécier à sa juste valeur le revenu du mineur, il est indispensable de prendre en compte les dépenses qui lui incombent pour qu’il puisse travailler. Ainsi, de son salaire journalier médiocre, il faut encore déduire les frais de ses outils, l’huile de sa lampe et la poudre qu’il emploie, ce qui diminue considérablement ses gains. Ainsi, en 1818, d’Aubuisson précise que le mineur gagne 1,30 franc par jour, frais déduits. Ces frais à la charge du mineur sont : 0,20 franc d’huile par jour, 0,0125 franc par volte pour le forgeron qui entretient le pic ou la pioche, il reste donc au mineur 1,27 franc sur un salaire de 1,50 franc, estime l’ingénieur en chef. En 1853, sur les 500 francs que le mineur gagne annuellement, on doit retrancher 45 francs pour l’achat d’huile, 55 francs pour les réparations d’outils, soit 100 francs.
59De plus, jamais comptabilisées et pourtant obligatoires et pesant sur le temps de travail du mineur, il faut ajouter de nombreuses corvées gratuites. L’ouvrier doit déblayer les passages encombrés par les éboulements, entretenir les chantiers. L’article VIII du règlement de 1731 impose aux jurats une visite quotidienne des miniers avant l’entrée de l’office. Ils sont accompagnés « du nombre des minerons qu’ils jugeront à propos de prendre avec eux », pour leur ordonner les « réparations à faire ». À partir du règlement de 1805, c’est l’ingénieur des Mines qui ordonne aux jurats les travaux à commander aux mineurs. Cette pratique est conservée par le règlement de 1833, art. 65. Le mineur doit aussi aller « aux forêts couper, préparer et transporter les bois nécessaires aux étançons ». Il doit enfin obligatoirement extraire des voltes supplémentaires, une volte extraite à tour de rôle pour le monteur d’horloge de Sem qui rythme les entrées et sorties de la mine et, à partir de 1843, 2 voltes mensuelles pour la caisse de secours.
- Comparaison avec le salaire d’autres ouvriers
60En 1789, 3 catégories de travailleurs ont des revenus connus avec une précision suffisante pour permettre une comparaison : les mineurs, les forgeurs, les voituriers. En moyenne, les gains journaliers des forgeurs se montent à 90 sols, ceux des voituriers à 40 sols et ceux des mineurs à 20 sols. Si l’on compare avec les ouvriers parisiens, en 1789-1790, un forgeur de Vicdessos aurait gagné 2 fois plus que les compagnons cordonniers, serruriers, charpentiers ou bourreliers et davantage qu’un charron, ouvrier spécialisé très apprécié qui gagne 2 à 4 livres. Un voiturier de Vicdessos et des environs aurait un revenu égal aux compagnons précédemment cités. Sous réserve d’un approfondissement des sources, la supériorité des revenus des travailleurs de Vicdessos sur ceux des compagnons parisiens semble pouvoir s’expliquer « par les formes de monopole d’emploi qui s’étaient établies au cours des siècles dans la vallée. Les mineurs étaient pratiquement tous des habitants de la vallée. Les forgeurs, les voituriers, liés aux notables du bourg, eurent pendant longtemps le quasi monopole des transports à condition qu’ils sachent se plier à la règle « commune » établie par les consuls »97.
61Plus instructive est la comparaison avec les autres habitants de la vallée. L’intendant, en 1789, reprenant les observations intéressées des consuls et officiers municipaux de Vicdessos, affirme que « le mineur gagne la meilleure journée de tous les habitants du pays ». Et il continue, « les mineurs se plaignent que leur journée n’atteint pas 1 livre (soit 20 sols) mais ils en imposent ; elle atteint quelquefois jusqu’à 30 sols par jour… les manouvriers du pays ne gagnent que 10 sols par jour et demie ». De plus, le mineur bénéficie de nombreux avantages, le « manouvrier » est obligé de commencer sa journée à 6 heures du matin alors, dit-il, que le mineur n’entre à la mine qu’à 10 et 11 heures. Or, en réalité, nous savons que le mineur commence à 8 heures en été et à 9 heures en hiver. Le manouvrier ne peut gagner sa journée qu’avec le beau temps. Le mineur, au contraire, s’occupe tous les jours parce que ni la neige, ni la pluie, ni les glaces, « rien ne met obstacle à son travail ». Dernier avantage pour le paysan-mineur, tandis que « pour le commun des manouvriers, il faut être dans l’adolescence pour pouvoir gagner sa journée, chez les mineurs, un père de famille occupe tous ses enfants depuis l’âge de 6 ans, ainsi cette profession est plus lucrative ». L’intendant, reprenant toujours les affirmations des notables de Vicdessos, conclut que personne n’oblige les mineurs à rester travailler dans la mine, cette profession est libre, « les mineurs en prendraient toute autre, si, elle leur présentait les mêmes avantages ou des profits assurés »98. Ce discours qui illustre les arrière-pensées de la bourgeoisie de la vallée ne doit pas être pris à la lettre. La réalité est moins favorable aux mineurs. Vers le milieu du XIXe siècle, les enquêtes montrent que les ouvriers chez qui l’aisance est la plus grande sont les forgeurs travaillant régulièrement. Les 4 ouvriers maîtres gagnent en moyenne 6,25 francs par jour, les deux valets 1 franc chacun et enfin les deux pique-mines 3 francs chacun. Les mineurs ou ouvriers travaillant à l’exploitation des mines tiennent le second rang avec 2 francs par jour99. Ce maigre salaire fait que le mineur-paysan et sa famille connaissent des conditions de vie difficiles100. L’article XXXI du règlement de 1731 en donne la mesure, « il se trouve que les minerons sont insolvables ». Le recours au crédit et à l’emprunt auprès des notables de Vicdessos est par conséquent inévitable.
- La domination des coulias
62Dans cette vallée reculée, au climat rigoureux, les approvisionnements sont difficiles, les champs petits et maigres produisent peu. Les terres cultivables dans la vallée de Vicdessos ne représentent que 10 % de la superficie totale ; on parle d’une « propriété naine », 86 % des propriétaires de Vicdessos disposent de moins de 5 hectares101. Les mineurs doivent acheter les denrées indispensables à la vie. D’autre part, les maîtres de forges de Vicdessos ont souvent constitué des groupements de commerçants, les coulias102. Ils sont tout à la fois entreposeurs de minerai, marchands de fer, détaillants de produits alimentaires qui constituent le retour des exportations de minerai et de fer. Dès lors, lorsqu’ils achètent le minerai, ils se gardent bien de le payer comptant et proposent aux mineurs, à la place d’un paiement en argent, tout ou partie de rémunération en nature : denrées de première nécessité, grains, farine, sel, huile, morue salée, etc…, souvent même le tissu pour les vêtements. Marchandises souvent défraîchies, denrées parfois avariées, ces produits sont non seulement de qualité inférieure, mais encore à des prix prohibitifs103. Parfois même, leurs détracteurs les accusent de peser le minerai avec des poids et des balances truqués et de falsifier les livres de comptes. L’article 79 du règlement de 1833 confirme cette pratique en s’y opposant. Le mineur endetté et pressé par le besoin est contraint d’accepter le mode de paiement en nature. L’ingénieur en chef Vène parle « des prix exagérés que les magasiniers peuvent imposer à la misère ». En 1856, il dénonce les maîtres de forges « qui considèrent les forges comme une annexe forcée d’un magasin d’épicerie et paient le minerai et la main-d’œuvre de denrées vendues à 50 % de bénéfice ». Garmy qualifie ce système fort avantageux pour les coulias de sweating-system104.
63Le mineur subit une pratique encore plus redoutable pour lui, la vente à pacte à rachat qui s’accompagne d’intérêts usuraires. Cette forme d’emprunt aboutit à un accaparement foncier. Le mécanisme est bien connu : le mineron s’endette au-delà de ses capacités de remboursement, il emprunte auprès du notaire avec des hypothèques qui conduisent à son expropriation et à la saisie de ses biens. Il possède des terres qui ne lui fournissent, au mieux, guère plus d’un mois de nourriture, il les cède en garantie au coulia pour une valeur inférieure à leur valeur réelle parce qu’il se réserve le droit de les racheter. Or, comme il est rarement capable de se libérer de ses dettes, le prêteur devient alors propriétaire à bon compte d’une terre dont le mineur, ancien propriétaire, s’est transformé en fermier, c’est-à-dire qu’il doit en payer la location. Devant une pratique aussi scandaleuse, l’évêque de Pamiers envoie, en 1722, trois frères de la Doctrine Chrétienne prêcher une mission à Vicdessos pour convaincre les coulias d’utiliser des méthodes plus « morales », de ne livrer que des denrées marchandes et d’abandonner la pratique des pactes à rachat. Les trois frères rédigent un règlement, mais rien ne change105. Au milieu du XVIIIe siècle, les maîtres de forges et négociants en fer de la vallée de Vicdessos, par le biais de ces ventes, ont acquis toutes les bonnes terres. Représentants élus de la communauté, les coulias s’opposent aux innovations contraires à leur intérêt immédiat, même lorsqu’elles seraient favorables à la production minière. Ils sabotent la création d’un magasin central où le mineur pourrait vendre le minerai à son vrai prix, d’une caisse de secours en cas de maladie ou d’accident. Ils empêchent la construction de chemins, l’amélioration des transports, l’installation de wagonnets en 1860, le projet de plan incliné de l’ingénieur Mussy en 1862. Ils protestent en 1864-1865 devant le projet de chemin de fer et de plans inclinés présenté par Palotte père et fils, maîtres de forges à Pamiers et Berdoulet. Les magasiniers, écrit Villot, « sont la plaie de Rancié ». Maîtres de forges, propriétaires aisés, commerçants, notables, notaires disposant du pouvoir financier et du pouvoir politique, ils sont des intermédiaires « onéreux » pour les mineurs. Au point que Jules François peut écrire que « les dettes du seul village de Goulier dépassent de beaucoup la valeur de tous les meubles et immeubles qui le composent »106. Salaire peu élevé, expropriation, saisie de ses bêtes de somme, de ses champs et de sa maison, la misère est le lot du mineur.
64L’enquête sur le travail de 1848 nous renseigne sur la nourriture des mineurs qui, semblable à celle des autres habitants des Pyrénées, consiste en laitage, pomme de terre et pain de seigle. Elle nous offre enfin des informations sur l’état sanitaire des mineurs qui travaillent dans des lieux humides. Ils souffrent de « fluxion de poitrine » et de rhumatismes, sans compter les nombreux accidents auxquels ils sont exposés, éboulements, chutes de blocs « qui les enveloppent, les écrasent ou les laissent estropiés pour toujours ». C’est pourquoi l’administration a créé un fond de secours pour les mineurs malades ou infirmes et pour les veuves et les orphelins. Ces fonds proviennent de 2 voltes supplémentaires que les mineurs extraient tous les mois et dont le prix de la vente est versé entre les mains du secrétaire des jurats. Ces fonds de secours sont distribués par une commission de répartition dont les membres sont nommés tous les ans au mois de janvier par le préfet107.
65Leur travail est peu rémunérateur. Astreints aux chômages, exploités par les intermédiaires, les « entreposeurs » des archives, personnages influents de la vallée, les mineurs sont, en réalité, pauvres. D’abord à cause des règlements qui établissent un prix maximum, sans possibilité de tirer profit des hausses éventuelles du prix du fer. Mais par contre, ils sont sensibles à la baisse du prix du métal qui ralentit le roulement des forges. De plus, le préfet est l’ordonnateur du fonds spécial (droit perçu à la vente du minerai), délivre les mandats pour le paiement des dépenses faites sur ce fonds, nomme tous les ans, sur la proposition de l’ingénieur des Mines, les membres de la commission de secours (instituée par ordonnance du 25 mai 1843). Le préfet distribue, mais seuls les mineurs contribuent. « Défiants et soupçonneux », les minerons se méfient des étrangers, « ils les regardent presque toujours d’un œil sombre et inquiet ». Le jugement de d’Aubuisson est sans appel, « ce sont les moins aimables et surtout les moins aimants de tous les mineurs que j’ai vus, principalement à l’égard de leurs supérieurs et de leurs chefs, quels qu’ils soient ». En fait, « l’homme de Rancié craint toujours qu’on ne vienne attenter à sa propriété et lui enlever le droit de travailler aux mines »108.
2/ Les atteintes aux « libertés » des mineurs
66La description que nous venons de faire montre à l’évidence toute la précarité de la situation économique, sociale et politique des mineurs. Elle permet de mieux comprendre l’acharnement des minerons à combattre toute action qu’ils estiment menacer ce qu’ils considèrent être « leurs libertés » ancestrales. Derrière le rappel inlassable de la charte de 1293, que veulent dire ces hommes lorsqu’ils font référence à « leurs libertés » ? D’abord et avant tout le droit de propriété sur la mine dont ils estiment disposer et qui est à l’origine du monopole d’embauche dont ils bénéficient. Mais aussi, conséquence logique de cette possession, le « droit au travail » qui est le leur. C’est-à-dire que tous peuvent extraire le minerai, sans que leur nombre soit limité, et pour le plus longtemps possible. Ils ne peuvent enfin pleinement exercer ces droits que si une égalité rigoureuse est maintenue entre eux. Ainsi se présente « le peuple mineur », l’office des mineurs des règlements. L’analyse des chartes et des règlements qui organisent l’extraction et la vente du minerai éclaire les tensions existant entre la représentation d’eux-mêmes qui habite les mineurs et les réalités qu’ils affrontent quotidiennement.
67Les 34 articles du règlement de 1731 traduisent la volonté des consuls de ne négliger aucun détail. La surveillance, le contrôle de l’extraction et de la commercialisation du minerai échappent à la libre décision du mineur. Le règlement de 1805 organise la mainmise de l’administration sur la mine de Rancié. Quant au règlement de 1833, il fait de L’État le véritable maître de la mine même si la fiction de la concession aux huit communes de la vallée est maintenue. Certes, le droit des mineurs à disposer du minerai, qui, fruit de leur travail, reste leur entière propriété, est constamment proclamé (règlement de 1731, art. XIII ; de 1833, art. 4). Mais, en réalité, les conditions impératives mises à l’extraction et à la commercialisation le réduisent à néant. Voyons dans le détail comment s’organise cette dépossession des mineurs.
- Les modes de désignation des jurats
68Les personnes qui règlent la vie de la mine sont les jurats. Ils sont chargés de l’application du règlement. Or, leur mode de nomination est un véritable enjeu de pouvoir. Article I du règlement de 1731 : les 4 jurats préposés au minier sont désignés à vie par les consuls. La Révolution apporte un changement, l’habitude s’établit pour un temps de faire participer l’assemblée des mineurs à leur nomination. La municipalité de Sem s’arroge le droit de les nommer. Le 11 juin 1796, l’administration départementale, pressée par la municipalité de Vicdessos, prend un arrêté en 7 articles concernant la mine de Rancié109. Le 19 juin, Vicdessos nomme les nouveaux jurats, conformément à l’article 3, symbole de la reprise en main de la mine par les notables et maîtres de forges. Dans le règlement de 1805, les 4 jurats sont nommés par le préfet à partir d’une double liste établie à la pluralité des suffrages par l’assemblée des mineurs de Sem, Goulier et Olbier. Ils sont renouvelés chaque année par moitié et sont rééligibles. Ils gardent la plupart de leurs anciennes attributions et doivent, de plus, faire exécuter les travaux ordonnés par les ingénieurs des Mines. Le maire de Sem les contrôle. Le règlement de 1833 laisse aux jurats toutes leurs anciennes attributions ayant pour objet la conservation de la mine (art. 31 à 60). Mais il donne aux ingénieurs des Mines la direction de tous les travaux. Ils sont choisis par le préfet, d’après une double liste de candidats, dressée d’un côté par les maires de la vallée et d’un autre par l’ingénieur des Mines en station à Rancié. Le préfet en les nommant cherche bien souvent le candidat offrant des garanties politiques plutôt que des connaissances techniques. Les autorités locales ont vigoureusement protesté contre ces articles. Ainsi, il apparaît clairement que les mineurs ont très rarement disposé de la faculté de nommer eux-mêmes les personnes chargées de la surveillance de l’extraction du minerai. Jusqu’au XIXe siècle, les jurats désignés par les consuls font appliquer le règlement édicté par les consuls. Puis vient le temps de l’administration. Où est le pouvoir des mineurs, « la mine aux mineurs » ?
- Les jurats et les quantités de minerai extraites
69Leurs pouvoirs, dans le cadre des règlements, sont étendus, ils instituent leur domination sur les mineurs et sur leur activité. D’abord, ils veillent au respect des heures de travail, des heures d’entrée et de sortie de la mine, c’est dire que la durée du travail échappe au mineur (règlement 1731, art. V). Cette disposition est renforcée par l’interdiction faite aux minerons de pénétrer dans la mine après l’heure fixée (art. VI et VII). Les règlements de 1805 et de 1833 (art. 40) conservent les heures de travail fixées en 1731. Ils décident journellement du nombre de voltes de minerai à extraire par chaque mineur. Les jurats étant l’émanation du consulat, les notables de Vicdessos, qu’ils soient marchands de minerai ou maîtres de forges, déterminent par leur intermédiaire les quantités extraites : « Chaque jour les jurats, en entrant au minier, régleront les voltes que les mineurs devront faire » (1731, art. XI) ; « avant que les mineurs entrent, les jurats leur prescrivent le nombre de charges ou voltes de minerai que chacun d’entre eux devra extraire dans la journée, conformément aux ordres qui auront été donnés par le préfet, d’après les besoins du commerce » (1833, art. 43). La volte est fixée à 60 kg. La règle qui permet de calculer le nombre de voltes à extraire est simple : les jurats puis le préfet doivent faire en sorte que tous les voituriers qui se présentent puissent charger leur voiture pour satisfaire les besoins du commerce, c’est-à-dire clairement en fonction de la demande. De plus, les jurats doivent veiller à ce que les mineurs ne fassent pas plus de voltes que le nombre qu’ils ont indiqué.
- Les jurats et la qualité du minerai
70Le contrôle de la qualité du minerai fait aussi partie de leurs attributions. « Lorsque les jurats reconnaîtront de mauvaise mine dans les ouvrages, feront défense aux minerons de plus travailler en ces endroits » (1731, art. IX). L’ordonnance de 1414 parle d’un contrôle déjà très ancien, ils doivent jeter les voltes de minerai de mauvaise qualité « par la montagne en bas, comme on l’a anciennement pratiqué ». Une ordonnance de 1719 précise que les jurats « ne le jetteront plus par la montagne, mais le feront enterrer ». Ils « veilleront à ce que les mineurs n’exploitent point le minerai de richesse et de qualité inférieure à ce qui aura été réglé » (1833, art. 75). Placés à l’entrée de la mine, ils vérifient le nombre de voltes extraites, inspectent les charges, jettent les terres et les pierres à l’écart, vendent le minerai suspect au profit de la caisse dont les fonds ainsi constitués sont consacrés aux travaux de la mine. Cette volonté d’offrir au marché une matière première de qualité est tout à l’avantage des maîtres de forges. Certes, elle ne se fait pas au détriment du mineur, mais fait, malgré tout, peser des soupçons de malhonnêteté sur lui.
71La détermination des quantités de minerai extraites, le contrôle de la qualité échappent aux mineurs, qu’en est-il de la fixation du prix de vente ? L’article XIX du règlement de 1731 est sans ambiguïté : « Nous ordonnons aux minerons de donner le quintal de la mine aux voituriers à six sols, à peine de confiscation de la mine… défendons… aux voituriers, tant de la vallée qu’étrangers, d’en donner au-delà ». Le règlement de 1805 stipule que le prix de vente du minerai est fixé chaque année par le préfet après avis d’une commission composée de 4 mineurs élus et de 4 maîtres de forges désignés par l’administration. Les mineurs peuvent demander une augmentation du prix de vente, mais seulement par une pétition remise au maire de Sem ou aux jurats pour être transmise au préfet. À partir de 1833, le préfet continue à le fixer chaque année, « d’après le prix des denrées servant à la subsistance des mineurs, et le prix du fer sur les forges du pays ». Il a pris auparavant l’avis d’une commission composée de 4 maîtres de forges désignés par lui et de 4 mineurs qui débattent du prix de vente et le soumettent à son approbation (1833, art. 76). Le prix est affiché sur les places des mairies et une copie est adressée à chacune des forges du département pour éviter tout prix frauduleux. Les mineurs ne peuvent vendre le minerai au-dessus du prix fixé. Les conditions de sa commercialisation sont minutieusement organisées par les règlements. Quantité extraite journellement, prix de la volte constituent le revenu du mineur, or il ne maîtrise ni l’un ni l’autre.
- Les jurats et le contrôle technique de l’extraction et de la mine
72À cette tutelle économique contraignante pour les mineurs de Rancié, s’en ajoute une autre qui est technique. Au signal, les mineurs de l’office doivent « entrer tous ensemble » (1731, art. VII). Les jurats leur indiquent leur place, fixent le nombre des ouvriers pour chaque chantier d’extraction. Les jurats doivent faire tous les jours une visite des miniers « pour voir s’il y a du risque avant que de faire entrer tout l’office, et au cas il se trouvera qu’il y ait des réparations à faire » ; ils prennent avec eux le nombre de minerons « qu’ils jugent à-propos » (1731, art. VIII). Ils dirigent les travaux d’entretien, de construction et de réparation des galeries (couxières). L’un des points les plus essentiels de leur surveillance concerne les piliers de soutènement. L’article X du règlement de 1731 leur est consacré : « les jurats auront toute sorte d’attention pour laisser des piliers pour soutenir le minier, auxquels ils feront des marques pour que les mineurs les reconnaissent, et leur feront défense d’y toucher ». Le règlement de 1805 précise qu’ils doivent veiller scrupuleusement au respect de ces piliers de soutènement, à ce que les rampes de communication entre les différents étages d’extraction soient bien établies, de largeur au moins égale à 5 pans (environ 1,15 m). Les articles 39, 40, 75 du règlement de 1833 exigent qu’ils marquent « ostensiblement sur les diverses faces visibles » les massifs de minerai à conserver. Lorsqu’il faudra effectuer des travaux de secours, d’entretien ou de réparation, les jurats désigneront le nombre des ouvriers nécessaires en les choisissant à tour de rôle sur la liste des mineurs. Ce qui frappe dans ces règlements du XIXe siècle, c’est le double souci de la sécurité des mineurs et de la conservation d’une « propriété d’intérêt national ». Les jurats doivent s’assurer que les mineurs ne travaillent pas isolément, mais par groupe de 5 ou 6, pour des raisons de sécurité.
73En ce qui concerne la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements, tous les habitants de la vallée ont le droit de rechercher de « nouvelles mines dans les miniers communs » en vertu des privilèges accordés par les comtes de Foix, mais ils devront avertir les jurats qui examineront si le minerai découvert est abondant et de bonne qualité. Les consuls donneront alors « la jouissance des dites mines pour un temps convenable » à ceux qui les ont découvertes. Les autres minerons ne peuvent pas troubler la jouissance qui leur a été accordée. À mesure que ce minerai deviendra plus abondant, les jurats, sur ordre des consuls, y établiront un plus grand nombre de minerons (1731, art. XII). Hors « l’étendue [des] miniers communs », le rôle des consuls et des jurats est identique lors de la découverte de nouveaux gisements. La seule restriction est que les recherches ne peuvent se faire « qu’à neuf manches de pioches de distance des ouvertures » déjà faites (1731, art. XIII).
- Au xixe siècle, le relais est pris par les ingénieurs des Mines
74Le règlement de 1805 apporte une grande nouveauté. Si les jurats gardent la plupart de leurs anciennes attributions, ils doivent, de plus, faire exécuter les travaux ordonnés par les ingénieurs des Mines. Celui de 1833 précise que l’exploitation continuera à avoir lieu suivant les anciens usages (art. 3), laisse aux jurats toutes leurs anciennes attributions ayant pour objet la conservation de la mine. Mais surtout, il donne aux ingénieurs des Mines la direction de tous les travaux et au préfet de l’Ariège l’administration générale de la mine. La conclusion est simple, la réglementation devient plus précise, l’intervention de l’administration plus directe. Proposer des travaux à exécuter, diriger les travaux en cours, donner au préfet des avis, tel est le rôle de l’ingénieur ordinaire en station à Vicdessos et de l’ingénieur en chef, en résidence à Toulouse. L’État est devenu le véritable maître de la mine. Ce règlement détermine en outre les conditions dans lesquelles doivent être faits les travaux, l’emploi du fonds d’octroi créé en germinal an XI, administré par le préfet et consacré aux travaux de la mine, d’après les projets de budget rédigés par les ingénieurs des Mines et approuvés par le directeur général des Ponts et Chaussées et des Mines, sur l’avis du conseil des Mines. La création du poste de conducteur-chef des travaux dans le règlement de 1833 renforce le pouvoir des ingénieurs. En effet, le conducteur des travaux, directement sous les ordres de l’ingénieur des Mines, payé sur le fonds spécial, est chargé d’exécuter les mesures prises par l’ingénieur. Le premier, Barbe, est un ancien mineur. Il réside sur place, lève les plans, commande les jurats.
75Toutes les dispositions des règlements successifs, dont l’application est contrôlée par les jurats, sont accompagnées d’amendes et de peines sévères en cas de non respect. Les attributions de police et de surveillance technique des jurats sont détaillées avec une grande minutie. Le montant des amendes fixées par le règlement de 1731 oscille entre 3 et 25 livres, le plus souvent 10 livres. Les peines sont aggravées en cas de récidive et accompagnées de « peines de droit ». Enfin, le minerai extrait ou vendu irrégulièrement est confisqué. Pour bien prendre toute la mesure du montant de ces amendes, il faut se rappeler que, en règle générale au XVIIIe siècle, le plus fort gain journalier du mineur ne dépasse presque jamais 20 sols. L’article XXIX décrit la procédure que doivent suivre les jurats en cas de contravention au règlement. La lourdeur financière de ces sanctions est illustrée par l’article XXXI : « comme il se trouve que les minerons sont insolvables, et pour mieux les contenir dans leur devoir, et à suivre le présent règlement », ils resteront emprisonnés, « dans la maison de ville, jusqu’après avoir payé les amendes ». Dans le règlement de 1805, les jurats dressent les procès-verbaux des infractions qu’ils transmettent au maire de Sem. L’article XII précise que si le jurat ne sait pas écrire, c’est le maire de Sem qui le rédige. Le règlement de 1833 s’étend sur la discipline d’une façon très détaillée. Chaque soir, les jurats se réunissent, un secrétaire nommé par le préfet leur est adjoint. Ils font le rapport des contraventions relevées, amende de 1 franc, doublée en cas de récidive. Ils délibèrent, et le secrétaire consigne sur un registre le résultat de leur délibération. Les amendes se montent à 750 francs par mois en 1867.
76Les jurats peuvent aussi exclure les ouvriers de l’office de 2 à 30 jours (1833, art. 67), le préfet pour un temps variable de 2 mois à 2 ans ; il peut aussi prononcer leur radiation (art. 68). De plus, les règlements indiquent que toute coalition ou intelligence entre les mineurs pour un refus d’obéissance aux ordres des jurats « est passible de l’exclusion des mines sans préjudice de l’application des dispositions de l’article 415 du Code pénal, relatives aux ouvriers coalisés » (art. 69 et 80). L’arrêté préfectoral du 25 octobre 1853 et le décret du 25 mars 1855 ont trait à des détails de discipline concernant les mineurs, ils complètent le règlement de 1833. Le gouvernement semble plus préoccupé de maintenir les mineurs dans l’obéissance que d’assurer leur bien-être ou même leur sécurité.
77Le mode de rémunération des jurats renforce leur emprise sur les mineurs. L’article XXX du règlement de 1731 ordonne que les coupables paieront 40 sols aux jurats. Le règlement de 1833 perpétue, à son tour, la tradition née en 1414 qui voulait que soit donné aux jurats un salaire, « à savoir, la huitième partie de toutes les amendes auxquelles ceux qu’ils auront dénoncés seront condamnés ». Ils ne s’en privent pas, car le produit de ces amendes tombe dans leur caisse.
- « L’office des mineurs »
78Seul un homme originaire de la vallée a le droit d’extraire le minerai en vertu des privilèges accordés par les comtes de Foix et toujours confirmés. Tous les mineurs doivent être placés sur les chantiers, ils sont tous égaux et jouissent au même titre du « droit au travail », c’est-à-dire qu’ils sont tous occupés, sans préférence entre eux, aux travaux de la mine. L’obligation d’employer tout l’office à la fois est impérative. Ce qui conduit les ingénieurs à conclure que les mineurs travaillent « le moins possible ». Cette constatation se traduit par 2 types de remarques : l’office pourrait abattre et extraire par journée moyenne 3 ou 4 fois plus que la quantité de minerai nécessaire aux forges, et, d’autre part, d’Aubuisson déclare, en 1827, que sur 400 mineurs, 200 à 250 pourraient faire le travail. L’administration, au XIXe siècle, s’empare progressivement du pouvoir de nommer les mineurs. Dans un premier temps, un arrêté préfectoral du 13 décembre 1817 réglemente le nombre des mineurs ; de nouveaux mineurs ne sont acceptés qu’en cas de besoin. Les habitants des 8 communes de la vallée de Vicdessos qui désireraient travailler aux mines doivent en faire la demande au préfet qui peut l’accepter ou la refuser. Le 16 avril 1821, un autre arrêté précise qu’il ne sera admis un nouveau mineur qu’à raison de 2 places vacantes et qu’il sera fait une enquête « sur la conduite et les services du père » lorsqu’un fils de mineur postulera. Le règlement de 1833, enfin, renforce les pouvoirs du préfet. L’office des mineurs est limité, il n’est plus livré au libre arbitre des habitants de la localité. L’entrée d’un ouvrier dans l’office est réglée par le concours commun de l’administration et de la municipalité. Leur nombre est déterminé par le préfet d’après les besoins et la liste des ouvriers arrêtée par lui chaque année. Les mineurs sont inamovibles et sans limite d’âge. Ils continuent « à se payer eux-mêmes de leur travail par la vente des charges ou voltes de minerai qui leur sera prescrit d’extraire » (art. 64), ce qui fait dire à Villot que les mineurs, autrefois propriétaires du minerai abattu, deviennent pour ainsi dire des fonctionnaires. Or le mineron continue à parler de « son » minerai. L’action des ingénieurs s’exerce aussi dans un autre domaine : d’Aubuisson fait appliquer à Rancié la loi qui interdit aux enfants de moins de 10 ans l’accès aux chantiers souterrains, ce qui est mal accueilli par les mineurs qui y voient une baisse de revenu. Dans le règlement de 1833, les jurats doivent interdire l’entrée de la mine aux enfants de moins de 10 ans, aux ouvriers ivres ou malades et aux étrangers sans autorisation. L’inspecteur général des Mines tire la conclusion qui, selon lui, s’impose après une expérience qui a duré au moins six siècles : il est « rigoureusement vrai de dire que la charte de Roger-Bernard, dont le développement naturel, a conduit à ce corps privilégié, fermé, de l’Office des Mineurs, a été la boîte de Pandore, pour les villages miniers »110.
79Le corollaire de cette mise sous tutelle est l’appauvrissement du mineur, son endettement auprès des revendeurs de minerai de Vicdessos dont il dépend pour ses besoins quotidiens. L’évolution réglementaire que nous venons de décrire nous a conduits loin de la vision idyllique de « la mine aux mineurs » ! À l’époque de la forge à la catalane, alors que le mythe est toujours véhiculé par les mineurs eux-mêmes, les notables de la vallée et le pouvoir central cherchent à limiter les privilèges qui ont été consentis par les comtes car, disent-ils, les mineurs font toujours la loi. Or, face à ces empiétements, ces derniers ont constamment lutté pour défendre ce qu’ils considèrent comme leurs libertés imprescriptibles. « Population disposée à prendre feu » selon le mot de d’Aubuisson, les mineurs multiplient révoltes, grèves à propos des salaires, à propos d’innovations, insurrection ou agitation au moment de la Révolution de 1789, en 1830, en 1848. Les grands mouvements populaires sont l’occasion pour les minerons de s’affranchir des règlements, du contrôle des jurats, des ordres des ingénieurs. Au début de la Révolution, ils ont pris les armes contre les consuls de Vicdessos. Sous l’Empire, ils suspendent les travaux pendant un mois pour forcer le préfet à augmenter le prix du minerai. En 1814, les voituriers s’insurgent, la troupe s’installe à Vicdessos, Niaux, Capoulet ; en 1818, mécontents du prix imposé, les mineurs se mettent en grève, le préfet arrive dans la vallée avec des soldats. En janvier 1831, ils suspendent les travaux, brisent les portes des galeries, rompent le pont sur lequel passent les muletiers, chassent les commis préposés à la perception, dispersent les poids, brisent les balances. Ces actions entraînent l’intervention de la force armée. L’année 1848 connaît une agitation, des rixes. En 1858, les muletiers déclenchent une grève à cause de la crise des forges dont la demande est presque nulle. À partir de 1860, les communes de la vallée, les particuliers, les entrepreneurs et les industriels, les mineurs, devant les difficultés grandissantes et les conflits sans cesse renaissants avec l’administration, s’élèvent contre le régime perpétué et aggravé par le règlement de 1833 et demandent sa suppression. L’ingénieur en chef Vène, en octobre 1845, résume les rapports entre notables et mineurs : lorsque les maîtres de forges semblent s’intéresser aux mineurs, « leurs manifestations ne sont ni franches ni sincères » ; ils font le plus souvent la loi à l’ouvrier « propriétaire de Rancié », lui imposent un salaire maximum. Autre exemple en 1808, un groupe de maîtres de forges demande la concession légale des mines de Rancié pour 50 ans. L’opposition des communes de Sem, Goulier, au nom de 420 mineurs, est immédiate. Le préfet refuse l’autorisation, craignant « de réduire les habitants au désespoir ». Les mineurs de Rancié, parmi beaucoup d’autres, illustrent le registre préindustriel de la protestation de masse, caractérisé par la spontanéité, la défense des droits acquis, l’opposition à la mise en place de nouvelles méthodes ou de nouvelles règles de production, avec la participation de l’ensemble du groupe, dans ce cas des mineurs et de leurs familles, membres d’une même communauté d’une haute vallée pyrénéenne111.
80Si l’approvisionnement en charbon de bois qui oppose classiquement sidérurgistes et communautés rurales a été longuement étudié par les historiens, l’approvisionnement en minerai a été négligé. C’est qu’un conflit peut en cacher un autre. Les mineurs de Rancié, au nom de droits qu’ils qualifient d’ancestraux, luttent sans relâche contre les notables de Vicdessos qui tirent les bénéfices de l’extraction du minerai, sans avoir fait d’investissements, sans avoir contribué financièrement à l’exploitation et à l’entretien de la mine qui reposent exclusivement sur les mineurs. Un autre antagonisme, tout aussi important, oppose maîtres de forges de la vallée de Vicdessos et maîtres de forges étrangers à la vallée pour le contrôle de l’approvisionnement en minerai de fer ou pour sa libre disposition. Les intérêts économiques en jeu sont primordiaux, brider la concurrence ou, au contraire, se libérer d’un carcan. L’historien est frappé par la complexité de l’accès au minerai qui éclaire, en plongeant profondément dans la société pyrénéenne, le choix réitéré du procédé direct.
D/ Les maîtres de forges et l’accès au minerai de Rancié
81L’importance de l’approvisionnement en minerai n’est pas à démontrer. Dans le cas des Pyrénées ariégeoises, la question ne réside ni dans la qualité du minerai, ni dans l’ampleur du gisement. Elle réside parfois dans la quantité de minerai extrait. Il s’agit d’obtenir régulièrement une matière première de qualité. En effet, répondre à la demande d’un marché en expansion exige un approvisionnement sûr et suffisant. Le minerai ne doit pas constituer un goulet d’étranglement. Les maîtres de forges de Vicdessos comme ceux étrangers à la vallée sont confrontés à ce problème, mais selon des modalités différentes établies à l’origine par l’ordonnance de 1414. L’approvisionnement de l’extérieur de la vallée est contingenté, car sous la surveillance sourcilleuse des notables de Vicdessos112. La question du minerai se pose aussi pour les forges de Vicdessos parce que les modalités d’extraction fondées sur le libre accès à la mine et les modes de commercialisation concernant tous les habitants de la vallée mettent en jeu des intérêts contradictoires.
82Les différents minerais se présentent rarement tels quels dans le commerce. Cela s’explique par l’état des chantiers. De plus, lorsque le manque de bons minerais se fait sentir, les mineurs attaquent du minerai médiocre que, souvent, leurs prédécesseurs avaient négligé. Ainsi, la qualité du minerai se détériore sans qu’il soit vraiment possible de l’éviter, d’autant plus que le mode d’exploitation, au pic et au coin, de blocs entourés de terres stériles favorise le mélange des qualités. Pour ne rien dire des fraudes des mineurs et des voituriers113. Jules François a pu calculer que le minerai marchand, le minerai « bon et marchand » des archives, se compose en moyenne de 6/13 de minerai en roche de toutes qualités et de 5/13 de minerai en petits fragments et à l’état terreux. Il a analysé des mélanges de minerais (500 à 600 kg) pris dans les magasins des forges de Cabre, de La Vexanelle, de Guilhe, de La Prade, de Niaux vieux, de Bélesta et de Villeneuve. Il constate que le minerai marchand est souvent « bon »114. La conclusion est que les maîtres de forges doivent apporter beaucoup d’attention et de soin à l’achat du minerai de fer.
1/ Les modes de vente et la commercialisation du minerai
83Le marché du minerai est établi à l’entrée de chaque galerie, sur un terreplein, souvent constitué par les stériles, « la place du minier ». La vente est immédiate, une partie du minerai est stockée dans des sortes de cabanes en pierres sèches. Les procès-verbaux des délibérations des États de Foix portent la trace des réalités du marché du minerai de Rancié et des tensions qui le caractérisent. Le 8 décembre 1695, par exemple, l’assemblée a été informée que les habitants de Vicdessos, « sous prétexte d’une préférence qu’ils disent avoir par leurs privilèges de prendre des mines aux miniers du dit lieu », prennent le minerai « par force et à un prix qui leur plait aux minerons qui tirent la mine des dites minières », ce qui trouble le commerce et porte un grand préjudice aux maîtres de forges des autres lieux parce que, lorsque les voituriers se rendent au minier pour acheter le minerai, les habitants de Vicdessos viennent alors « sous le prétexte de la dite préférence enlever la mine » pour la revendre ensuite à ces mêmes voituriers qui sont obligés, pour ne pas s’en revenir vides, d’aller charger au prix qu’ils veulent aux magasins qu’ils font. Des années plus tard, le 23 décembre 1728, le consul de la ville d’Ax dépose une requête devant les abus qui se commettent journellement au minier de Sem « par le débit qu’on y fait de mauvaise matière de mine ». Les États ordonnent aux consuls de Vicdessos de faire exécuter le règlement de 1414 « à peine d’en demeurer responsables »115.
- Les modalités de la vente et les règlements
84Au cours des siècles, des intermédiaires se sont immiscés entre le mineur, rétribué par la vente directe du minerai qu’il a extrait, et le maître de forges. Les muletiers qui, à l’origine avaient ce commerce en mains, sont remplacés par des magasiniers. Des entrepôts sont créés à Sem, ce qui permet aux muletiers de ne pas monter jusqu’à l’entrée des galeries. La politique des consuls s’oppose toujours à la création de grands entrepôts qui pourraient peser sur le prix du minerai. En effet, les consuls fixent le cours du minerai, or, maîtres de forges, ils ont intérêt à le maintenir au plus bas, avec une forte différence avec le prix payé par les étrangers. C’est pourquoi les consuls luttent contre les habitants de Sem et leurs entrepôts qu’ils limitent à la très faible quantité de 6 quintaux. Les mineurs soutiennent les consuls dans cette politique de restriction. En effet, l’ordonnance de 1414 fixe le prix du minerai à 2 sols de moins pour les habitants de la vallée, or les étrangers n’achètent plus qu’à Sem, et ne montent plus jusqu’à la mine. N’ayant que des acheteurs locaux, les mineurs vendent leur minerai au prix uniforme de 4 sols le quintal au lieu d’en vendre une partie à 6 sols. Les 2 sols supplémentaires leur échappent ! En 1729, à la suite d’une grève des mineurs, les consuls rendent un jugement qui réglemente sévèrement les magasins de Sem, avec une forte amende en cas de non respect. Entre-temps, des magasins ont été ouverts à Vicdessos et à Cabre, au pied du chemin de Cavaillères. De plus, d’autres entrepôts, très importants, sont créés à Sabart et à Tarascon, à l’abri de la juridiction des consuls de Vicdessos. Le jeu de l’offre et de la demande est ainsi compliqué, rendu aussi plus violent, par les rivalités entre les acheteurs de la vallée et les étrangers. Les premiers constituent un monopole de fait et cherchent à acheter, parfois par la force, tout le minerai avant l’arrivée des muletiers. Le règlement de 1731 est aussi une tentative pour apaiser les tensions du marché du minerai. Les articles XV à XXVIII précisent les conditions de vente du minerai, au prix fixé par le règlement. « Pour ce qui regarde la vente de la mine des grands miniers communs, nous ordonnons qu’elle sera transportée et exposée à la place dite de Lescudelle, et non ailleurs, à laquelle place sera établi un poids à notre diligence, pesant 150 livres avec des balances, le tout bien échantillonné ; auquel poids tout voiturier sera tenu de peser ladite mine » (art. XV). Il est interdit au mineur de vendre le minerai « en chemin, sortant du minier pour venir à la dite place » et au voiturier de l’y acheter (art. XVI). Il est défendu aux habitants de Sem, et à tous autres aussi, d’acheter du minerai si la voiture pour le transporter n’est pas présente « pour ne pas frustrer la voiture qui se trouvera à la place du minier » (art. XXII). De plus, les habitants de Sem ne peuvent pas prendre plus de 2 quintaux de minerai par jour, pour chaque cheval ou mulet, lorsqu’ils veulent apporter le minerai à Tarascon ou hors de la vallée, et plus de 6 quintaux pour l’approvisionnement des forges de la vallée (art. XXIII). Mieux, ils ne doivent « faire aucuns magasins dans leurs maisons, ni vendre de la mine audit lieu », à moins que le minerai soit destiné aux forges de la vallée ou à l’échange avec le Couserans. L’intention est clairement exprimée : il s’agit d’empêcher que ces habitants, qui sont les plus proches de la mine, s’emparent de tout le minerai à un prix fixé par les mineurs, comme ils l’ont pratiqué dans le passé, avec pour conséquence que les voitures, celles de la vallée comme celles de l’étranger, s’en retournaient à vide (art. XXIV). Le but de ces articles est de « rendre la mine plus commune ». Ces mesures, si elles ménagent les intérêts des acheteurs de la vallée, préservent aussi ceux des acheteurs extérieurs.
85Le règlement de 1805 fait obligation aux jurats de décider journellement du nombre de voltes à extraire en fonction de la demande, les notables de Vicdessos perdent ainsi le contrôle des quantités de minerai mises à la disposition des maîtres de forges. Il établit le marché du minerai sur chaque place du minier, équipée d’une balance. Il est interdit de vendre le minerai en dehors de ces places et les acheteurs doivent être servis dans l’ordre strict de leur arrivée, à un prix fixé chaque année par le préfet. C’est-à-dire que, par le biais de l’administration, les maîtres de forges étrangers à la vallée participent désormais à la fixation du prix du minerai. Autre mesure véritablement révolutionnaire, la préférence accordée aux habitants de la vallée a disparu (art. 36), ainsi que l’échange avec le Couserans puisque l’accès au minerai est devenu libre. Dans le règlement de 1833, le prix de vente du minerai est toujours fixé chaque année par le préfet (art. 76). L’un des maîtres de forges de la commission est même chargé, comme délégué du préfet, de surveiller la vente, « création assez inopportune qui faillit renouveler le conflit » avec les mineurs. La qualité du minerai vendu est contrôlée par les jurats, selon les instructions de l’ingénieur des Mines. Les mineurs continuent à commercialiser eux-mêmes le minerai qu’ils ont extrait. Le marché reste installé sur la place des différents miniers. Le gourbatier doit livrer sa charge au muletier qui se présente (art. 86), il ne peut refuser de la lui vendre (art. 87), à moins d’un manque absolu de minerai (art. 86-88). Les muletiers seront toujours servis dans l’ordre strict de leur arrivée, aucun mineur ne peut refuser la vente tant qu’il y aura des bêtes à charger. En cas de contestations entre mineurs et muletiers ou entre muletiers, les jurats font la police, décident « quel muletier doit prendre la charge contestée » (art. 86), et s’assurent en fouillant les cabanes « qu’aucun ne s’en retourne jamais à vide » (art. 88). En effet, sur chaque place d’entrée, les mineurs pourront avoir une cabane où est déposé le minerai de la journée resté invendu (art. 81). Ces cabanes sont construites conformément aux instructions des jurats qui désignent l’emplacement et au plan général arrêté par le préfet (art. 83). Ainsi, « dans l’excavation à ciel ouvert, où est l’entrée, … une multitude de huttes en pierres sèches couvertes de gazon, qui, disposées en rues, ressemblent à une ville de sauvages. Chaque famille a la sienne pour y déposer le minerai qu’elle extrait »116. Véritable marché où affluent gourbatiers et muletiers.
- Le transport du minerai et les muletiers
86Entre les places du minier et le village de Sem ou le hameau de Cabre, sur la route de Vicdessos à Tarascon, au pied de la montagne de Rancié, monte et descend toute une population d’hommes, de femmes et d’enfants accompagnant des mulets qui charrient le minerai, 3 ou 4 bêtes de somme par voiturier117. On rencontre aussi une foule d’enfants et de mulets qui circulent, se croisent, sur ce chemin de la mine à Sem ou à Cabre. Des fillettes de moins de 10 ans conduisent des convois de mulets qui font 3 ou 4 voyages par jour. De Sem à la montagne de Rancié, la pente uniforme est sillonnée dans sa hauteur de longues rampes qui aboutissent, à diverses hauteurs, à 7 ou 8 arrachements qui indiquent les ouvertures des miniers : la Roque, Saint-Louis, La Craugne, l’Auriette, la Graillère, l’Escudelle et Bellagre. Il faut environ une heure et demie pour arriver à l’entrée de la Craugne118. Les muletiers, portant eux-mêmes 30 à 40 kg de minerai sur le dos dévalent les pentes sur 4 à 6 km jusqu’aux magasins de Cabre. Il en existe 6 importants en 1783, appartenant à des coulias. Ils bénéficient, comme maîtres de forges, du prix préférentiel du minerai qu’ils stockent dans les entrepôts et qu’ils vendent plus cher aux étrangers, empochant la plus-value sur le prix de vente à la place des mineurs.
87Les muletiers achètent, les uns pour leur propre compte, les autres pour les magasiniers et les maîtres de forges, d’autres pour le compte des mineurs. Le recrutement des muletiers est plus large que celui des mineurs. Jusqu’aux années 1830, sur les 370 bêtes de somme qui transportent le minerai entre la mine et Cabre, 220, soit les 2/3, appartiennent à des voituriers qui ne sont pas mineurs. Mais, de plus en plus, au fur et à mesure de la ruine des muletiers parce que ce métier devient moins lucratif, le transport est laissé aux mineurs. Ainsi, vers 1840, plus des 4/5 des bêtes de somme appartiennent aux mineurs, conduits par leurs femmes et leurs enfants. Vers 1858-1860, alors que les forges à la catalane subissent une crise, il se présente moins de marchands sur la place du minier. Les mineurs, pressés par le besoin, « sont forcés de transporter eux-mêmes le minerai, ou de le faire transporter à leur frais dans la vallée, à Cabre » où « ils se trouvent en présence des magasiniers, obligés de subir leur loi ». Les entreposeurs qui ont affaire à faible partie se rendent ainsi maîtres des prix de transport. Muletiers et mineurs sont contraints d’accepter une baisse du prix du transport. En 1857, le prix de la volte est de 0,60 franc à la mine, et de 1 franc à l’arrivée à Cabre. Le transport coûte donc 0,40 franc. À Cabre, les magasiniers abaissent le prix à 0,90 franc. Il ne reste pour le transport que 0,30 franc, sans oublier l’habitude du paiement en nature qui minimise encore cette valeur119.
88Du hameau de Cabre, le minerai est porté aux forges par d’autres mulets à travers les montagnes, ou par des charrettes. Ainsi, la route de Vicdessos à Tarascon est parcourue par de nombreuses voitures, chargées au retour de tout ce qui est nécessaire à une population qui n’a presque que du fer. Le transport vers Tarascon et les forges éloignées de la vallée est entre les mains des voituriers à bât qui pendant longtemps ont seuls soutenu le commerce du minerai. Ils sont, depuis 1756, durement concurrencés par les importants rouliers de Tarascon qui, à partir de Cabre, accaparent une grande partie du minerai destiné à l’extérieur. L’abondance de la matière première à Tarascon entraîne une diminution du prix par le simple effet de la concurrence. La situation des muletiers devient de plus en plus difficile, leur exaspération vis-à-vis des rouliers grandit. En 1797, ils détruisent le pont de Laramade pour empêcher le passage de leurs concurrents120. La même année, d’autres coupent le pont de Nalzen, sur la route de Foix à Lavelanet, pour les mêmes raisons.
- Les droits dus au roi
89L’intense activité qui règne autour de la mine de Rancié est aussi une source de revenus pour le roi, héritier des comtes de Foix. La circulation du minerai dans et hors de la vallée de Vicdessos est grevée du droit de péage et de leude. La déclaration du roi, de juin 1680, ordonne que tous les marchands-voituriers et autres qui feront transporter de « la mine de fer et acier des minières de la vallée de Vicdessos » doivent le déclarer aux bureaux du sous-fermier pour s’acquitter des droits de péage et de leude. Il est aussi interdit de le sortir par les chemins de traverse et pendant la nuit, « le tout à peine de confiscation et de cinq cent livres d’amende ». Cette décision royale est rappelée le 30 août 1695. Un contrat de bail de la sous-ferme est fait le 24 février 1694 contre la somme de 1 800 livres. Ces droits sont perçus au pont de Vicdessos et à Siguer. Leur montant est fixé à un sol sur chaque charge de cheval ou de mulet de minerai qui quitte la vallée, et à seulement 6 deniers par charge pour la mine que les habitants de la vallée consomment dans leurs forges. Les frères Fabas sont assignés des droits de leude du minerai travaillé dans leur forge de Siguer ou passé devant le bureau. La leude se monte à 100 livres, depuis le 1er janvier 1744. Ils doivent aussi acquitter 9 livres 13 sols pour la leude de la mine qu’ils ont fait passer à Capoulet121.
90Les modalités de la commercialisation du minerai, dès le carreau de la mine, démontrent à l’évidence avec quelle habileté les notables-maîtres de forges de Vicdessos ont su jouer de l’atout maître qu’était le minerai de Rancié pour en tirer le plus d’avantages possibles. Ils ont été capables de conserver la maîtrise des flux du minerai hors de la vallée jusqu’au XIXe siècle.
2/ Les maîtres de forges de la vallée de Vicdessos
91Les maîtres de forges de la vallée de Vicdessos doivent être servis les premiers et bénéficient de conditions d’achat préférentielles qui, outre leur proximité géographique avec la mine, les favorisent face à la concurrence des fabricants « forains ». Quantité de minerai à extraire par jour, qualité de la « mine bonne et marchande », prix, mode de vente, commerce, les notables de la vallée sont les maîtres du jeu et ils en tirent bénéfice. Ils disposent ainsi d’un incomparable moyen de contrôle et de pression sur leurs concurrents, condamnés à utiliser leur minerai. En effet, le règlement de 1731 maintient toujours la préférence locale : « ordonnons aux minerons de distribuer aux voituriers habitants de la vallée, la mine à mesure qu’ils arriveront au minier, par préférence aux voituriers étrangers, conformément au règlement du 15 novembre 1414 » (art. XVII). Mais des précautions sont prises pour éviter que ces muletiers constituent des stocks, il leur est interdit d’en prendre plus de 2 quintaux par jour et par bête, sauf s’ils approvisionnent les forges de la vallée ou s’ils participent à l’échange (art. XXV). L’article suivant favorise aussi l’approvisionnement de la vallée. Il est interdit aux minerons d’avoir des relations privilégiées avec un magasinier, sauf si ce négociant ravitaille les forges de la vallée et concourt à l’échange. Le but affiché est de faciliter le chargement de tous les voituriers, de la vallée aussi bien que de l’extérieur, au fur et à mesure de leur arrivée au minier. En réalité, derrière la proclamation d’une égalité de traitement, la priorité donnée aux maîtres de forges de la vallée est maintenue. Cet avantage est d’autant plus fort que les habitants de la vallée bénéficient d’un prix du minerai préférentiel, « nous ordonnons aux minerons de donner le quintal de la mine aux voituriers de la vallée à quatre sols par provision, et aux voituriers étrangers à six sols » (art. XIX). Le prix du minerai vendu, à Vicdessos, aux habitants de la vallée ne doit pas dépasser 6 sols le quintal. Il est aussi défendu de le vendre à plus haut prix aux forges, « afin que l’égalité du prix se trouve dans ladite vallée ». En cas de non respect de cet article, outre la confiscation du minerai, le vendeur devra payer une amende de 3 livres, et le maître de forges de 10 livres (art. XXVII).
92Les notables de Vicdessos utilisent les règlements de la mine de Rancié comme un bouclier pour protéger leur activité et leurs intérêts et comme une arme pour dominer leurs concurrents. Les consuls qui fixent le prix et les modalités de vente, ne sont-ils pas eux-mêmes maîtres de forges ? De Ville Bénagues, propriétaire de la Forge neuve, est aussi maire de Vicdessos et juge criminel de la vallée, lorsqu’il participe à la rédaction du règlement de 1731. De même Escaich, premier consul, Vergniès lui aussi sera maire, Joseph Deguilhem, conseiller politique ; ils sont tous les 3 cousins germains. Rouch leur oncle, Cambon, leur autre cousin germain, seront à leur tour consuls. Ces liens familiaux renforcent la cohésion sociale de cette caste de maîtres de forges qui imposent leur domination sur la mine et sur le minerai à leur profit quasi exclusif. Notaires, prêteurs, négociants, marchands de minerai, maîtres de forges, les consuls fixent le prix du minerai, non en fonction d’un salaire convenable pour le mineur, mais d’un prix de revient du fer qu’ils souhaitent aussi bas que possible. De plus, comme maîtres de forges, ils bénéficient d’un prix préférentiel d’un minerai qu’ils monopolisent dans des entrepôts et qu’ils vendent plus cher aux étrangers. Maîtres du marché du minerai, ils refusent d’acheter pour, en laissant s’accumuler le minerai sur les places du minier ou dans leurs magasins, donner un prix inférieur au prix fixé. Un exemple suffira : pendant l’année 1731, les mineurs « ne font qu’une volte par jour parce qu’ils la vendent au prix qu’ils veulent, une volte leur vaut autant que quatre », les consuls rassemblent les mineurs et leur ordonnent d’appliquer les « anciens règlements ». Autre exemple des rapports de force entre Vicdessos et les étrangers : vers le milieu du XVIIIe siècle, les consuls de la vallée interdisent le travail dans les miniers du Tartié et de L’Auriette sous prétexte que la mine est de mauvaise qualité. Les maîtres de forges forains protestent alors vivement, « cette démarche n’a été faite, affirment-ils, que pour rendre la matière rare », et ainsi réserver la fabrication à « certaines personnes », c’est-à-dire « par là priver les propriétaires et fermiers des forges des provinces de Foix, de Languedoc et le Couserans, de profiter tant pour le présent que pour l’avenir des avantages de ce commerce du moins autant qu’il plaira aux consuls de la vallée et à leur support de retenir la mine sur des prétextes recherchés »122.
93Les maîtres de forges de Vicdessos exposent clairement leur position à l’occasion des demandes de constructions de forges auxquelles ils s’opposent systématiquement. Ils s’expriment toujours, disent-ils, au nom des « habitants et communautés de la vallée de Vicdessos ». Leurs arguments restent inchangés au cours des siècles. La vallée de Vicdessos renferme dans son terroir les mines de fer. Or, les miniers peuvent à peine fournir du minerai pour les forges « qui sont sur pied ; et ce n’était que par l’attention que l’on avait à veiller à la conservation des miniers, qu’ils se soutenaient et ne le font même aujourd’hui qu’à la faveur d’un petit bois, dont les pièces servent à les étayer, ce bois est presque détruit ». La construction de nouvelles forges demanderait par conséquent de découvrir de nouveaux miniers : la communauté de Vicdessos se trouve dans l’impossibilité de le faire, et si ces autorisations sont données, « on doit s’attendre à l’extinction des mines ». Plus grave, toujours selon eux, l’extraction du minerai devenu rare ne peut « presque plus fournir aux anciennes forges, de façon que celles ci ne font plus autant de travail comme elles faisaient cy devant ». Le roi est lui aussi touché par ce ralentissement du travail des usines parce que les droits du Domanial qui lui reviennent ont considérablement diminué123.
94Les notables de Vicdessos, dans le temps même où ils imposent leur domination aux mineurs, résistent aux tentatives des maîtres de forges étrangers à la vallée pour obtenir un accès plus facile au minerai de Rancié. Les efforts pour briser la mainmise des hommes de la vallée sur le minerai ont commencé dès le Moyen Âge, d’abord en 1356 avec la reconnaissance de la libre exportation du minerai puis en 1414 avec l’ordonnance qui confirme cette liberté et en précise les modalités, dates révélatrices de la volonté politique des comtes de Foix. Le comte qui avait compris qu’il lui serait très difficile, voire impossible, de mettre la main sur l’extraction, a reporté ses exigences financières sur le commerce du minerai.
3/ Les maîtres de forges « étrangers » à la vallée de Vicdessos
95Certes, les notables de Vicdessos ont dû accepter l’exportation du minerai hors de leur vallée. Mais ils ont su s’assurer le contrôle de ce commerce et le garder, organisant la rétention du minerai, son contingentement favorable à leurs intérêts. On a assisté à un véritable marchandage : ce n’est qu’en échange de la concession de franchises et de libertés (exclusivité de l’extraction) que la communauté a lâché son minerai124. Ainsi, les conditions qui ont présidé à la naissance de la circulation et du commerce du minerai expliquent les caractéristiques de l’approvisionnement des forges des Pyrénées ariégeoises jusqu’au XIXe siècle.
- Le cas particulier du Couserans
96Il n’est pas question ici de revenir sur l’échange entre Vicdessos et le Couserans qui a été étudié en détail plus haut. Il suffit de rappeler avec quelle habileté les maîtres de forges de Vicdessos ont su, du XIVe à la fin du XVIIIe siècle, tirer le plus grand profit de l’atout décisif que constitue le minerai de Rancié, non seulement en organisant un approvisionnement en charbon de bois régulier et à moindre coût pour eux, mais aussi en imposant au Couserans le minerai indispensable au prix fort. Le règlement de 1731 favorise l’échange au même titre que l’approvisionnement des forges de la vallée. Les voituriers qui participent à l’échange bénéficient de la préférence accordée à la vallée comme l’ordonne l’article XVII. Ils sont autorisés à transporter plus de 2 quintaux par jour et par bête dans le cadre de l’échange (art. XXV). Les mineurs ne peuvent prendre des coulias que s’il s’agit de fournir du minerai aux forges de la vallée et aux forges du Couserans dans le cadre de l’échange (art. XXVI). De plus, s’il est interdit aux habitants de Sem de stocker le minerai dans leurs maisons et de le vendre au village, la seule exception admise, à part les forges de Vicdessos, l’est « pour le transport en Gascogne pour l’échange du charbon qu’on rapporte pour l’usage » des forges de la vallée (art. XXIV). Ce favoritisme est parfaitement logique puisque le but de l’échange est de pourvoir, dans les meilleures conditions possibles, à l’approvisionnement en charbon de bois des forges du Vicdessos : il s’agit des deux volets complémentaires et indissociables d’une même politique. Quoi qu’il en soit, le quintal de minerai, obtenu par l’échange, revient à 2 livres 6 sols à la forge d’Ercé, alors que la forge de Canadelle (Boussenac), à distance à peu près égale de Rancié, mais qui se fournit sur le marché de Tarascon, ne donne que 36 sols, rendu à l’usine. Cette comparaison éclaire crûment le handicap que constitue ce mode d’approvisionnement pour le Couserans et le Comminges125. Elle permet aussi de comprendre la volonté constante des maîtres de forges gascons de s’en affranchir et d’acheter librement le « minerai marchand »126. Volonté d’autant plus forte que les maîtres de forges des autres régions sidérurgiques, leurs concurrents directs, établissent des entrepôts de minerai à Tarascon, à Foix et à Ax, ou s’approvisionnent directement auprès des marchands de minerai de ces villes. La Révolution met un terme définitif à ce troc séculaire qui avait été tout à l’avantage de Vicdessos et de ses forges. Le règlement de 1805 entérine sa disparition, le marché est libre quelle que soit la destination du minerai.
- Le reste du bassin sidérurgique autour de la mine de Rancié
97La lente émancipation du marché, malgré l’appui des États de Foix dont bénéficient les maîtres de forges étrangers à la vallée, n’aboutit qu’au XIXe siècle, lorsque l’administration établit un véritable marché libre pour toutes les forges. C’en est alors fini de la préférence réservée aux forges de Vicdessos. Cette longue marche pour la maîtrise de l’approvisionnement en minerai de Rancié intéresse une vaste zone géographique. Les limites du grand bassin sidérurgique organisé autour du pôle que constitue la mine de Rancié sont définies par la demande des maîtres de forges. Toutes les Pyrénées et leur avant-pays, depuis les Corbières jusqu’au Comminges, sans parler du versant espagnol, sont intéressées par ce trafic. Comté de Foix, Couserans, diocèse de Mirepoix sont le cœur historique de cette zone. Au fil des siècles s’ajoutent les forges du diocèse d’Alet, de la région de Limoux, les 7 ou 8 forges du pays de Sault et des environs, celles de la région d’Albi et de Lacaune, de Castres avec la forge de Monségou, de l’Aveyron, du Comminges avec les forges d’Arbas et de Touille, et même jusqu’à Alès, ce qui donne des contours fluctuants au bassin sidérurgique né du minerai de Rancié127. Au total, la mine de Sem a approvisionné au moins 43 forges en 1669, plus de 45 vers 1750, 48 en 1772, et plus de 57 au XIXe siècle. Cette zone d’achalandage du minerai de Rancié, aussi vaste soit-elle, ne définit pas l’aire technique à la catalane puisque nombre de forges à la catalane, plus ou moins lointaines, sont situées en dehors et utilisent d’autres minerais, dilatant les limites géographiques de ce procédé direct.
98Le trafic du minerai est plus concentré que celui du charbon, du fait de l’origine unique du minerai mis en vente. Le dispositif de commercialisation donne lieu à de nombreux conflits entre les notables de Vicdessos, arcboutés sur leurs privilèges, et les étrangers. Les premiers choisissent le minerai pour leurs forges, excluent les muletiers étrangers et exigent un prix fort. Les mineurs ne livrent pas toujours un minerai de bonne qualité. Les muletiers étrangers refusent le prix exagéré et cherchent à s’approvisionner directement sur la place du minier. Le chemin de Cavaillères permet d’accéder directement à la mine depuis la route de Tarascon, sans passer par Vicdessos. Désormais, l’utilisation ou la non utilisation de ce passage est un enjeu majeur de la lutte d’influence entre les consuls de la vallée et les maîtres de forges étrangers. Les violentes protestations des consuls ne parviennent pas à empêcher le trafic par ce chemin, ni à restituer à Vicdessos le marché du minerai. Il existe, au début du XVIIIe siècle, dans le village de Sem, de nombreux petits entrepôts établis dans les maisons des habitants. Entrepôts modestes que les marchands de Vicdessos, inquiets de cette concurrence, font surveiller de près. Il ne s’agit en réalité que de muletiers achetant pour leur propre compte le minerai qu’ils vont revendre à l’extérieur de la vallée. Les magasins de minerai les plus importants se trouvent à Cabre, au point d’arrivée du chemin de Cavaillères. Tarascon, grâce à sa situation de carrefour, a aussi des entrepôts. À la fin du XVIIIe siècle, on compte 5 ou 6 marchands de minerai à Tarascon. Rien qu’à l’entrepôt de Sabart, au débouché de la vallée de Vicdessos, une centaine de bêtes de somme des forges de la région d’Ax viennent chaque jour charger du minerai. De fréquentes difficultés surgissent entre les entreposeurs de Tarascon et les gens de Vicdessos qui craignent que Tarascon ne ravitaille directement en minerai les maîtres de forges du Couserans.
99Le règlement de 1731 prend en compte les demandes des maîtres de forges étrangers. « Les voituriers étrangers seront aussi pourvus de mine ; en suivant les règles prescrites par ledit règlement » (art. XVIII), mais à un prix supérieur de 2 sols à celui du quintal de minerai livré aux voituriers locaux (art. XIX). La préférence donnée à Vicdessos est confortée par l’article XXIII, les habitants de Sem ne peuvent pas prendre plus de 2 quintaux par jour pour chaque cheval ou mulet, « lorsqu’ils voudront apporter la mine à Tarascon, ou hors de la vallée ». Une interdiction rigoureusement identique vaut aussi pour les voituriers de la vallée (art. XXV). L’arrêt définitif du conseil du Roi du 16 octobre 1731, annexé au règlement, autorise le passage par le chemin de Cavaillères. Au XIXe siècle, les efforts séculaires des maîtres de forges étrangers sont couronnés de succès. Ils bénéficient aussi de la conjoncture politique et du climat économique et intellectuel favorable à la liberté du commerce. Reprenant l’article 36 du règlement de 1805, le règlement de 1833 fait disparaître la préférence accordée aux habitants de la vallée. Les servitudes demeurent cependant pour les mineurs, ils ne peuvent pas vendre le minerai au-dessus du prix fixé. De plus, rappelons que les 4 maîtres de forges désignés par le préfet débattent avec les 4 mineurs du prix de vente et le soumettent à l’approbation du préfet. L’article 76 précise que le prix sera « affiché sur les places des mairies et copie adressée à chacune des forges du département ». Ce règlement détermine la vente de telle manière qu’un muletier ne s’en retourne jamais à vide, à moins d’un manque absolu de minerai (art. 86 à 88). Les maîtres de forges étrangers sont non seulement parvenus à imposer l’égalité pour l’accès au minerai au nom de la liberté du marché, mais, mieux, ils participent à la fixation du prix du minerai. Les maîtres de forges, électeurs influents et représentants élus, font prévaloir bien souvent leur point de vue. Une brochure favorable aux mineurs, parue en 1818, intitulée : Observations générales sur la situation des mineurs de Rancié par un Ariégeois, montre les maîtres de forges « sollicitant et fatiguant l’administration par des demandes réitérées en réduction du prix du minerai, aveuglés par l’égoïsme »128. Mieux, un maître de forges est chargé, comme délégué du préfet, de surveiller la vente au grand dam des gens de Vicdessos. Les maîtres de forges s’opposent à la création d’un entrepôt général demandée par les ingénieurs des Mines. Les industriels ariégeois prennent le relais de la communauté de Vicdessos à laquelle ils se substituent pour défendre une préférence départementale et non plus seulement de la vallée minière. Ils justifient leur prétention en mettant en avant les anciens règlements. L’étranger est désormais celui qui travaille hors du département.
100Les maîtres de forges ariégeois affirment que « Rancié est donc la source unique de [leurs] trésors »129. On comprend mieux l’acharnement qu’ils ont mis à maîtriser leur approvisionnement en matière première. Avec d’autant plus de détermination que les notables de la communauté de Vicdessos renforcent les privilèges que les règlements leur accordent par des pratiques qui limitent l’exportation du minerai hors de la vallée. Leur action concerne trois domaines essentiels : la quantité, la qualité et le prix, auxquels il faut ajouter des actes délictueux lors du pesage du minerai (poids et balances truqués). La « rareté » du minerai est parfois organisée et entretenue en jouant sur le nombre de voltes journalières, en retenant le minerai dans des entrepôts. Cela présente l’avantages de gêner la concurrence et ensuite d’obtenir et de maintenir des prix supérieurs à ceux fixés par le règlement. Autre moyen de limiter la concurrence, livrer tel ou tel maître de forges étranger de préférence aux autres, « d’en la vue d’empêcher que personne plus ne fabrique ». Ainsi, vers 1750, les notables de Vicdessos fournissent uniquement le marquis de Gudanes. Il est aussi possible de jouer sur la qualité, fournir du minerai de « mauvaise qualité », ou tout au moins ne pas vérifier attentivement la qualité du minerai marchand. Un mauvais entretien des chemins ne peut qu’entraver le commerce130.
4/ Les expédients pour desserrer l’étau du monopole du Rancié
101Le monopole du Rancié résulte aussi de la convergence des intérêts des mineurs et des forgeurs. Les premiers, grâce à des débouchés assurés, ont la certitude d’avoir du travail et des revenus, même s’ils sont peu élevés. Pour les seconds, payés à la tâche, le monopole n’a pas que des avantages : ils connaissent parfaitement les réactions du minerai lors de la réduction dont leur savoir-faire garantit le résultat. Or, il se trouve que l’interdiction faite par plusieurs seigneurs et par des communautés d’extraire du minerai de leurs terrains renforce ce monopole et donne lieu à des fraudes très nuisibles aux forges. Les paysans du pays qui savent où trouver de la mine, en détachent, de nuit, de la plus mauvaise qualité et le mélangent avec celui de Vicdessos. Ils trompent les maîtres de forges en leur donnant au prix du minerai de Rancié une marchandise mêlée que les forgeurs travaillent de la façon habituelle avec dommage. Cette fraude est presque générale dans le comté de Foix131. C’est pourquoi les maîtres de forges ont cherché à diminuer l’impact du minerai de Rancié sur leur activité. Leur action, très inégale, a porté sur deux domaines : l’emploi d’un autre minerai de fer plus ou moins semblable à celui de Vicdessos et l’utilisation d’une plus petite quantité de minerai par feu.
102Les industriels qui sont parvenus à obtenir quelques résultats, plutôt faibles, ont mis à profit les atouts dont ils disposaient. Ainsi, certains ont cherché à acquérir une autonomie partielle en utilisant les gisements situés à proximité de leur forge. On peut alors soutenir sans paradoxe que c’est la localisation des usines qui a commandé l’emplacement d’un grand nombre de mines132. Les exemples d’utilisation, ou de tentatives, très sporadiques, intermittentes, du minerai local, en complément et mélangé avec du Rancié, sont nombreux. Des essais ont été faits à la forge d’Orgeix avec un minerai tiré d’un gisement situé au dessus de la forge d’Orlu. Le minerai pyriteux, grillé et réduit comme s’il s’agissait du minerai de Rancié, a donné beaucoup de fer mais il était rouverain. Le massé a « crevé » sous le marteau et l’exploitation a été abandonnée. M. de Rochechouart a ouvert une mine à l’amont de la vallée d’Ascou, au pied du port de Paillères. Le minerai a été essayé à la forge de Mijanès, mais avec peu de succès. Elle a donc été abandonnée. Cette forge constitue un cas particulier, la moitié de son minerai vient de Vicdessos et coûte, en 1786, 51 sols le quintal de 160 livres. L’autre moitié vient d’Escarron près d’Olette et de Prades de Conflens en Roussillon, elle revient à 48 sols le quintal de 160 livres133. Les forges de Mérens et de L’Hospitalet utilisent un mélange minerai de Puymorens-minerai de Rancié. En 1834, Antoine Bergasse, de Saurat, obtient la concession des mines de fer du quartier de la Garrigue, propriété de la commune de Rabat, qui ont été « redécouvertes par hasard ». En effet, des lampes à huile anciennes et des outils ont été retrouvés, montrant qu’elles avaient déjà été exploitées. On peut supposer qu’elles ont été abandonnées à cause de la mauvaise qualité du minerai. En 1834, 2 000 quintaux sont extraits, mais le minerai est sulfureux, ce qui rend le fer cassant. C’est pourquoi le préfet autorise seulement des recherches pour découvrir un minerai de bonne qualité134. La plupart des forges du pays d’Olmes ont eu un approvisionnement local. Ainsi, la forge de Campredon utilise 8 quintaux et demi de minerai de Rancié par feu, complétés par du minerai de Montferrier. Le souvenir en est resté au XIXe siècle puisqu’il est rappelé que des mines de fer dans la montagne de Saint-Barthélémy ont été exploitées à plusieurs reprises, « mais comme la mine de Sem se trouve beaucoup plus riche », celle de Montferrier a été abandonnée135. Les forges du Couserans, aiguillonnées par l’échange, cherchent elles aussi d’autres sources d’approvisionnement. Les forges de la vallée du Garbet font des recherches de mine à Oust et à Massat, où l’on parle de « trous de mine ». On avait arraché, vers 1750, quelque quantité de minerai dans l’enclos de la métairie de Mantèle appartenant à M. de Polignac, mais il était de mauvaise qualité. La forge d’Aulus ne travaille pas autant que les autres et « son fer est d’une qualité moins bonne parce qu’on n’y met pas en fusion du minerai de Vicdessos uniquement mais qu’on y emploie du minerai extrait furtivement de quelques mines qui existent dans le canton d’Oust »136.
103Les livres des forges du marquis de Mirepoix font apparaître l’emploi de « ferrataille » et de « mâchefer » provenant du triage des scories dont les achats sont portés annuellement à la suite des achats de minerai. Il est cependant précisé que ferrataille et mâchefer sont distribués « en sus de la mine pour la composition des feux »137. De plus, un certain nombre de vieux fers sont récupérés, essieux, lames de scie hors d’usage, pièces cassées du marteau, anciennes bogues, vieux mails, vieilles enclumes, fer de rebut ou magaigne, puis « fondus » et étirés pour être convertis en fer marchand. Mais, de façon générale, les efforts les plus soutenus portent sur la baisse de la quantité de minerai par feu, même si cette diminution entraîne en contrepartie une augmentation de la consommation de charbon. Tous les maîtres de forges, y compris ceux de la vallée de Vicdessos, bénéficient de ce progrès.
104Le monopole de la mine de Sem, en bridant l’exploitation des autres mines, favorise le procédé direct qui, malgré quelques difficultés d’approvisionnement conjoncturelles, se satisfait de la production de cette mine unique. Ce qui ne serait très vraisemblablement pas le cas de la sidérurgie indirecte. La preuve a contrario est apportée dans la seconde moitié du XIXe siècle lorsque les mines de Miglos, Rabat, Puymorens, etc. viennent épauler la mine de Rancié et que, dans le même temps, de grandes quantités de minerais extérieurs au département sont utilisées dans les hauts fourneaux de Pamiers, Tarascon et Berdoulet. D’autre part, ce monopole qui sert les intérêts des notables de Vicdessos conforte l’usage réitéré du procédé direct, bénéficie aussi de la convergence des intérêts des mineurs (le plus grand nombre d’ouvriers, le plus longtemps possible, tout en respectant l’égalité entre eux) et des forgeurs dont la force et la réputation reposent sur leur maîtrise parfaite de la réduction de ce minerai qu’ils connaissent bien. Tout se passe alors comme si les élites, notables et maîtres de forges de Vicdessos, maîtres de forges des Pyrénées ariégeoises, repliés sur leur pré carré pyrénéen, portaient tous leurs efforts sur la maîtrise de leur approvisionnement (quantité, qualité, prix) en charbon de bois et en minerai, faisant main basse sur une matière première de qualité. Étonnamment, ils semblent se préoccuper beaucoup moins de la commercialisation et de la transformation du métal qu’ils produisent, pourtant sources de plus-value.
105Si l’on s’interroge sur la localisation des forges en utilisant plusieurs échelles d’analyse et sur son évolution sur le long terme, la règle générale est que l’on s’installe sur le minerai aussi bien qu’à proximité du combustible. La stabilité apparaît comme le fait essentiel : là où les moulines fonctionnaient à partir du XIIIe siècle, on continue à produire du métal au XIXe siècle. Dans les Pyrénées ariégeoises, le quasi monopole de la mine de Rancié introduit un biais : l’existence d’une activité sidérurgique dans des régions pauvres ou totalement dépourvues de ressources minières, telles que la Barguillère, le Donnezan, le pays d’Olmes et le cas spécifique du Couserans. On cherche à apprécier le rôle des ressources en matières premières et en combustible. En réalité, minerai comme charbon de bois sont transportés sur de longues distances. Très souvent, l’un sert de fret de retour pour l’autre, ces deux trafics sont complémentaires, ce qui évite de trop grands frais de transport. D’autre part, nous savons que les dépenses consenties pour s’approvisionner en l’une des matières premières tendent à s’équilibrer avec celles faites pour obtenir l’autre, selon la position géographique de la forge considérée. Simplement, le charbon joue le premier rôle dans le prix de revient du métal. C’est pourquoi le plus grand nombre des usines se trouve proche des forêts, au moins à l’origine. D’autant qu’un aussi grand nombre de forges ne peut s’installer à proximité de la mine, dans une vallée montagnarde étroite. La recherche de l’eau et d’une chute naturelle ont, bien évidemment, joué un grand rôle. Il faut noter cependant un mouvement de descente des forges vers l’aval, à l’image du déplacement des forges de l’Aston qui sont regroupées par le marquis à proximité du château de Gudanes.
106Dans l’introduction, nous nous demandions s’il existait une conscience historique des mineurs. Le rappel constant et le recours à la mémoire, aux chartes et ordonnances médiévales montrent que cette mémoire est instrumentalisée pour répondre à des préoccupations contemporaines. Les multiples copies et les nombreuses traductions en français qui jalonnent les XVIIe, XVIIIe, XIXe siècles illustrent la perpétuation de cette mémoire. Mais cette mémoire est sélective, en réalité chaque groupe social a la sienne. Celle des mineurs est différente de celle des notables, même si les deux s’accordent sur les libertés et les privilèges que les comtes de Foix ont octroyés aux habitants de la vallée de Vicdessos. Ce recours continuel au passé ne favorise-t-il pas la « fossilisation » de structures mentales qui prédisposent les esprits à réitérer un système technique dans lequel tous les groupes sociaux, à des titres différents, trouvent leur intérêt ? Dans tous les cas, il ne prépare pas à innover d’une façon révolutionnaire. Les interprétations des textes anciens, comme la modernisation du système de production, démontrent, cependant, un souci d’évoluer de façon à répondre aux nouvelles conditions de la société pyrénéenne et du marché du métal tout en préservant les avantages acquis.
107Les enjeux sociaux autour de la mine ont une importance vitale pour les habitants de cette haute vallée, pour la communauté de Vicdessos. Les notables ont su renforcer leur domination sociale, économique et politique, sur les mineurs de Rancié. Laissant les ouvriers défendre leurs libertés ancestrales, c’est-à-dire leur monopole de travail dans la mine, et le respect d’une stricte égalité entre eux, ils ont été capables, observant scrupuleusement, en apparence, la lettre des chartes, ordonnances et règlements, de mettre la main sur le minerai, à leur grand avantage et profit puisque les frais d’exploitation, d’entretien et de recherche reposent exclusivement sur les mineurs. Ces notables, donc, disposent de la réalité du pouvoir que confèrent la maîtrise d’un minerai de qualité et sa position de monopole. Mais leur réussite a été moins grande dans la lutte qui les a opposés aux maîtres de forges étrangers, qui sont parvenus, dans un premier temps, à ébranler les privilèges des maîtres de forges de la vallée de Vicdessos, puis, au XIXe siècle, à les effacer totalement au nom de la liberté du commerce. C’est entre ces intérêts sociaux et économiques divergents et même antagonistes qu’évolue la sidérurgie à la catalane qui gagne en puissance. Traduction de la complexité d’une société qui se développe grâce au travail du fer, ils sont des éléments forts du choix réitéré du procédé direct dans les Pyrénées ariégeoises.
Notes de bas de page
1 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 136-137, 767-768, 775.
2 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Montgailhard, 20 août 1824.
3 Par exemple, Arch. dép. Ariège, 1 C 164, forge de Bonnac, 1749 ; Arch. nat., K 1162 ; Arch. dép. Ariège, 1 Mi 2, R 14, Brassac, 1714, 1739, 1769, 1775.
4 Arch. dép. Ariège, 7 S 18, ancien 137 S 2.
5 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, Bonnac, 1749.
6 Acoquat, Mémoire pour le tiers état de la province et le pays de Foix, 1789, p. 39 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 3, procès-verbaux des États de Foix.
7 Arch. dép. Ariège, 137 S 1, 21 mai 1860.
8 Dans d’autres régions, un discours semblable concerne d’autres activités industrielles : R. Cazals, J. Valentin, Carcassonne, ville industrielle au 18eme siècle, Archives de l’Aude, 1984, 116 p.
9 Mussy, « Traitement du minerai de fer de Rancié dans les usines métallurgiques du département de l’Ariège », Annales des Mines, op. cit., p. 195.
10 Ch.-A. Schlutter, De la fonte des mines, des fonderies, op. cit., tome I, p. 39-45.
11 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 139-218 ; Palassou, Essai sur la minéralogie des monts Pyrénées, Paris, 1781, p. 243-264.
12 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 56-115 ; Mettrier, « Description des gîtes minéraux du haut bassin de la Garonne », Bulletin de la Société de Géographie de Toulouse, 1893, p. 131-154, 236-258, 300-325.
13 Arch. nat., 436 AP 48.
14 Genssane, Histoire naturelle de la province de Languedoc, op. cit., tome IV, p. 164.
15 Arch. dép. Ariège, 3 J 4, procès verbaux des États de Foix.
16 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 64 ; Mettrier, « Description des gîtes minéraux du haut bassin de la Garonne », Bulletin de la Société de Géographie de Toulouse, op. cit., p. 140.
17 Arch. dép. Ariège, 1 C 160, Mémoire en réponse à la lettre de l’intendant du 18 décembre 1764 sur l’état actuel des mines et miniers qui se trouvent dans la subdélégation de Foix ; Mussy, « Description de la constitution géologique et des ressources minérales du canton de Vicdessos et spécialement de la mine de Rancié », Annales des Mines, 6e série, tome XIV, 1868, p. 97, 105-106.
18 Arch. dép. Ariège, 3 J 3, procès verbaux des États de Foix ; Arch. dép. Ariège, 1 B 140115- 117 ; Arch. dép. Ariège, 3 J 16 ; Arch. dép. Ariège, 102 S 220, Saint-Paul de Jarrat.
19 Arch. dép. Ariège, 14 M 183, le préfet de l’Ariège, 18 juin 1872.
20 Arch. dép. Ariège, 135 E supplément D 4, Tarascon, février-mars 1796 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 183, 1874.
21 C. Verna, Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), op. cit., p. 60-67, 164-165.
22 Arch. dép. Tarn-et-Garonne, C 270, février 1677.
23 Arch. dép. Ariège, 3 J 29, Mémoire sur les miniers de Gudanes.
24 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 157-170 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 160, déclaration des consuls de Château-Verdun, 11 décembre 1764.
25 Arch. dép. Ariège, 138 S 7, Château-Verdun.
26 Arch. dép. Ariège, 102 S 90, Château-Verdun ; Vieira, « Les mines de Château-Verdun », Annales des Mines, 9e série, tome 8, 1895, p. 106-121.
27 Arch. dép. Ariège, 1 J 74, arguments de la communauté de Mérens, imprimé de 79 pages, 1734 ; Arch. dép. Ariège, 1 B 79265-268, Mérens, 1727-1728, non paiement du droit de passage des minerais de fer de la mine de Puymorens par Astrié, fermier de la forge de Mérens, 1727-1728.
28 Arch. dép. Ariège, 1 C 160.
29 B.R.G.M., Inventaire minéralogique de la France, Ariège, Bassin versant du Salat, tome 1, n° 11 ; B.R.G.M., Inventaire minéralogique de la France, Ariège, Bassin versant de L’Ariège, tome 2, n° 12 ; B.R.G.M., Carte des gîtes minéraux de la France à 1/500 000, feuille Marseille et feuille Toulouse.
30 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Montgailhard, les maîtres de forges du département de l’Ariège au préfet, 20 août 1824.
31 C. Verna, « Fer et pouvoir : la politique sidérurgique des comtes de Foix (XIIIe-XVe siècles) », op. cit., p. 297-309.
32 Arch. dép. Ariège, E 6, fol. 528.
33 F. Tollon, Étude minéralogique de la région de Vicdessos (Ariège), op. cit., p. 63-65.
34 D’Aubuisson, « Du fer hydraté considéré comme espèce minéralogique », Journal des Mines, volume 28, 1810, décembre, p. 443-466 ; Marrot, « Mémoire sur le gisement, la nature et l’exploitation des mines de fer de Rancié (Ariège) et sur le traitement métallurgique des minerais que l’on en tire », Annales des Mines, tome IV, 1828, p. 301-326 ; T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 68-109 ; J. François, « Résultats comparatifs de l’analyse des minerais de fer de Rancié et de leur traitement à la forge catalane », Annales des Mines, tome XIV, 1839, p. 95-112 ; J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 125-139 ; Mussy, « Description de la constitution géologique et des ressources minérales du canton de Vicdessos et spécialement de la mine de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 275-293.
35 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 349-380 ; T. Richard, Études sur l’art d’extraire immédiatement le fer, op. cit., p. 360-370 ; Mussy, « Description de la constitution géologique et des ressources minérales du canton de Vicdessos et spécialement de la mine de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 273-275.
36 Salbande : nom de deux couches d’épaisseur variable qui accompagnent les filons et les séparent de la roche encaissante. La salbande sur laquelle s’appuie le filon s’appelle le lit, le chevet ou le mur du filon ; celle qui le couvre se nomme le toit du filon.
37 F. Tollon, Étude minéralogique de la région de Vicdessos (Ariège), op. cit., p. 66, 68, 75 ; Carcanagues, « Étude sur la teneur en fer et en manganèse des minerais de Rancié (Ariège) », Annales des Mines, 8e série, tome 5, 1884, p. 115-122 ; C. Verna, Le temps des moulines. Fer, Technique et Société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), op. cit., p. 60-67.
38 Arch. dép. Ariège, 2 L 9.
39 Mussy, « Description de la constitution géologique et des ressources minérales du canton de Vicdessos et spécialement de la mine de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 213-242 ; F. Tollon, Étude minéralogique de la région de Vicdessos (Ariège), op. cit., p. 36-44, 46.
40 Arch. dép. Ariège, 1 C 165, 1772.
41 Villot, « Étude administrative sur les mines de Rancié », Annales des Mines, tome IX, 1896, p. 205, 268.
42 R. Barbé, Recueil des titres… établissant la propriété des mines de fer de Rancié en faveur des huit communes de l’ancienne vallée de Vicdessos, Toulouse, 1865. Les cahiers de l’enquête d’utilité publique de 1862 se trouvent p. 121-127, ceux de l’enquête de 1865, p. 144-220.
43 Les historiens du Moyen Âge considèrent que les formes médiévales de prélèvement survivaient encore au XIXe siècle en Ariège, sur le site des mines de Rancié, en une série de petits chantiers anarchiques creusant la montagne, décrits par les ingénieurs des Mines, qui qualifient de « jardinage » une tradition rurale de la récolte du minerai ; P. Braunstein, « L’industrie à la fin du Moyen Âge : un objet historique nouveau ? », La France n’est-elle pas douée pour l’industrie ?, op. cit., p. 37.
44 C. Verna, Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), op. cit., p. 245-252 ; C. Verna, « Innovation and social changes : the case study of the Vicdessos valley (XIVth-XVIth centuries) », The Importance of Ironmaking, op. cit., p. 185-189.
45 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 117 ; Villot, « Étude administrative sur les mines de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 219.
46 Arch. dép. Ariège, 1 C 86 ; A. Sevin, Une communauté rurale pendant la Révolution française. La vallée de Vicdessos, 1785-An VIII, mémoire de maîtrise, Paris I, 1975, tome I, p. 22, 38.
47 Arch. dép. Ariège, 1 C 159 ; Arch. dép. Ariège, 1 C 162. Les copies du règlement de 1731 sont nombreuses. Dietrich en donne une transcription dans son ouvrage, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 185-200.
48 A. Sevin, Une communauté rurale pendant la Révolution française. La vallée de Vicdessos, 1785- An VIII, op. cit., tome II.
49 Arch. dép. Ariège, L 104, séance du 23 prairial an IV.
50 Arch. dép. Ariège, 8 S 3, ingénieurs des Mines, 1807-1916.
51 Villot, « Étude administrative sur les mines de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 221.
52 D’Aubuisson a rédigé un livre : Des mines de Freiberg en Saxe, publié en 1802.
53 Nous avons la liste des ingénieurs qui se sont succédé à Rancié : Dubosc (à partir de novembre 1814), Burdin et Delseriès (1er janvier 1816), Thibaud (juillet 1820), Lefèvre (mars 1822), Marrot (septembre 1823), Drouot (mars 1828), Boudousquié (juillet 1828), Reverchon (septembre 1831), François (1834-1841), Durocher (juin 1841), Piot (décembre 1841), Dupont (février 1842), Renouf (1845), Benoit (1847), De Cizancourt (1850), Mussy (1860). Quant aux ingénieurs en chef, Vène remplace d’Aubuisson à partir d’octobre 1841, il reste en poste à Toulouse jusqu’en 1864, date à laquelle il cède la place à Furiet qui part à la retraite en 1882, son remplaçant Murgey arrive en juin ; Arch. dép. Ariège, 8 S 3.
54 Arch. dép. Ariège, 8 S 3, lettre du 6 février 1814.
55 Arch. dép. Ariège, 8 S 3, lettres du 6 septembre et 10 novembre 1841. Le service religieux doit être financé par la caisse de la mine. Le préfet tient à surveiller la dépense parce que ce budget est étroit. Finalement, le 10 novembre, le ministère est d’accord pour la dépense du service funèbre (210, 50 francs).
56 Villot, « Étude administrative sur les mines de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 222.
57 R. Jolibert, « La population de l’Ariège de l’an XII à 1982 », Bulletin de la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, op. cit., p. 167-168.
58 Arch. dép. Ariège, 1 C 160, 1764, « il y a environ deux cents travailleurs habitants de cette vallée seuls en droit par leurs privilèges d’y ouvrir des miniers, qui sont journellement occupés à l’extraction de ces miniers ». Arch. dép. Ariège, 8 S 376, 1815-1831, la liste des mineurs de Sem fait apparaître, cependant, la présence d’Allemands et de mineurs originaires d’autres régions françaises.
59 D. Cooper-Richet, Le peuple de la nuit. Mines et mineurs en France XIXe-XXe siècles, Paris, 2002, p. 28.
60 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 15-27.
61 D’Aubuisson de Voisins, Observations sur les mines et les mineurs de Rancié et sur l’administration de ces mines, Toulouse, 1818, p. 14.
62 Arch. dép. Ariège, 1 C 160, 1764.
63 F. Tollon, Étude minéralogique de la région de Vicdessos (Ariège), op. cit., p. 22-23.
64 V. de Chausenque, Les Pyrénées ou voyages pédestres…, 1854, tome II, p. 129.
65 D’Aubuisson, « Expériences sur la résistance que l’air éprouve dans les tuyaux de conduite, faites aux mines de Rancié, en 1825 », Annales des Mines, op. cit., p. 367-475 ; D’Aubuisson, « Expériences faites sur la trompe du ventilateur des mines de Rancié, suivies de quelques observations sur les trompes en général », Annales des Mines, op. cit., p. 211-244.
66 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, avril 1765 ; Arch. dép. Ariège, 14 M 183--4.
67 A.-F. Garçon, « L’innovation au regard du complexe technique minéro-métallurgique armoricain », op. cit., p. 25.
68 Les descriptions du travail des mineurs sont nombreuses. La plupart utilisent l’article de P. Morère, « L’Ariège avant le régime démocratique. II. L’ouvrier - Les mineurs de Rancié », Bulletin de la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, 1912-1913, p. 353-375.
69 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 123-124.
70 Arch. dép. Ariège, 2 L 9. Pendant la Révolution, les mineurs manquent d’huile d’olive, provenant d’Espagne, et de coton pour s’éclairer. L’administration départementale achète de l’huile de noix. Mais les mineurs constatent que cette huile ne convient pas parce qu’elle produit une « grande fumée ».
71 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 182.
72 Mussy, « Description de la constitution géologique et des ressources minérales du canton de Vicdessos et spécialement de la mine de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 267.
73 Villot, « Étude administrative sur les mines de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 237 ; Bibliothèque de l’École des Mines de Paris, 1878 J 604, Journal de voyage, Tarn, Gard et Pyrénées par O. Rieux de la Porte, élève externe de troisième année, août-septembre 1878.
74 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 143-149, avec le tableau des travaux exécutés à Rancié par l’administration des Mines de 1812 à 1843, p. 148-149.
75 Ibidem, p. 156, 159.
76 Arch. dép. Ariège, 1 C 160.
77 Arch. dép. Ariège, 15 M 2, enquête sur le travail agricole et industriel, 1848, canton de Vicdessos.
78 Arch. dép. Ariège, 14 M 181-4, 1856-1884.
79 Mussy, « Description de la constitution géologique et des ressources minérales du canton de Vicdessos et spécialement de la mine de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 253.
80 F. Tollon, Étude minéralogique de la région de Vicdessos (Ariège), op. cit., p. 32.
81 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 138.
82 Arch dép. Ariège, 1 C 165, lettre du marquis de Gudanes, le 12 juin 1772 ; renseignements donnés à l’intendant, 30 juillet 1772.
83 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 152 ; Mussy, « Description de la constitution géologique et des ressources minérales du canton de Vicdessos et spécialement de la mine de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 273.
84 J. Percy, Traité complet de métallurgie, op. cit., tome I, p. LXXXVI.
85 Arch. dép. Ariège, 2 B 31, f° 84, 138-139.
86 J. Percy, Traité complet de métallurgie, op. cit., tome I, p. LXXXVI.
87 Arch. dép. Ariège, 137 S 1.
88 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Montgailhard.
89 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 152-153.
90 R. Garmy, « Un mythe : « La mine aux mineurs » de Rancié (Ariège) de 1805 à 1848 », Le Mouvement social, op. cit., p. 19-52 ; D. Cooper-Richet, Le peuple de la nuit. Mines et mineurs en France XIXe - XXe siècles, op. cit., p. 230 et 386, note 95.
91 Sur la situation des mineurs de Rancié au Moyen Âge, voir C. Verna, « Innovation technique et crise dans le comté de Foix (XIVe-XVe siècles) », Crises et ruptures en histoire, op. cit., p. 109-111, 113-114.
92 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 181, 183.
93 Arch. dép. Ariège, L 104, séance du 23 Prairial An V (16 juillet 1797).
94 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 152 ; Mussy, « Description de la constitution géologique et des ressources minérales du canton de Vicdessos et spécialement de la mine de Rancié », Annales des Mines, op. cit., p. 273.
95 Arch. dép. Ariège, 15 M 2, enquête sur le travail agricole et industriel, 1848, canton de Vicdessos.
96 Arch. dép. Ariège, 14 M 181-4, 1856-1884.
97 A. Sevin, Une communauté rurale pendant la Révolution française. La vallée de Vicdessos, 1785- An VIII, op. cit., tome II, p. 133-134.
98 Arch. dép. Ariège, 145 E supplément 8-7 : observations des consuls et officiers municipaux sur la délibération des mineurs du 21 août 1789.
99 Arch. dép. Ariège, 15 M 2, enquête sur le travail agricole et industriel, 1848, canton de Vicdessos.
100 C. Cau, Un village minier au XIXe siècle, Sem, 1804-1872. Étude démographique, mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-Le Mirail, 1978, p. 41-45.
101 F. Taillefer, « Le Vicdessos, . Étude géographique », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 1939, p. 161-268.
102 Le mot se rencontre par exemple dans l’article XXVI du règlement de 1731.
103 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 158 ; Villot, « Étude administrative sur les mines de Rancié, Annales des Mines, op. cit., p. 228.
104 R. Garmy, La « mine aux mineurs » de Rancié, 1789-1848, Paris, 1943, p. 239 ; E. Barbe, Extraits des minutes de Maître Claude Grandmont, notaire à Vicdessos au XVIe siècle, op. cit., p. 46-47, donne des exemples de cette pratique en 1530.
105 Arch. dép. Ariège, 1 C 163, Extrait du règlement fait par les pères de la doctrine chrétienne au mois de janvier 1722 concernant le commerce qui se fait dans la vallée de Vicdessos en conformité des règlements de Mgr de Caulet ; F. Pasquier, « Rapports entre ouvriers et patrons dans la vallée de Vicdessos en 1722 », Bulletin de la Société Ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, 1895, p. 97-104.
106 J. François, Recherches sur les gisements, op. cit., p. 158.
107 Arch. dép. Ariège, 15 M 2, enquête sur le travail agricole et industriel, 1848, canton de Vicdessos.
108 Picot de Lapeyrouse, Traité sur les mines de fer, op. cit., p. 16 ; D’Aubuisson de Voisins, Observations sur les mines et les mineurs de Rancié et sur l’administration de ces mines, op. cit., p. 13.
109 Arch. dép. Ariège, L 104, séance du 23 prairial an IV.
110 Villot, « Étude administrative sur les mines de Rancié, Annales des Mines, op. cit., p. 234.
111 D. Cooper-Richet, Le peuple de la nuit. Mines et mineurs en France XIXe-XXe siècles, op. cit., p. 230.
112 C. Verna, Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), op. cit., p. 180-182 ; 240 ; 251-252.
113 « Les mineurs de Rancié… tirent plus de mine de leur montagne qu’il n’en existe réellement, c’est-à-dire qu’ils enlèvent avec le minerai du rocher qu’ils vendent mêlé avec la mine, pour peu que la police se relâche », Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 181.
114 J. François, « Résultats comparatifs de l’analyse des minerais de fer de Rancié et de leur traitement à la forge catalane », Annales des Mines, op. cit., p. 104-107.
115 Arch. dép. Ariège, 1 C 207.
116 V. de Chausenque, Les Pyrénées ou voyages pédestres…, 1854, tome II, p. 129.
117 P. Morère, « L’Ariège avant le régime démocratique. II. L’ouvrier - Les mineurs de Rancié », Bulletin de la Société Ariégeoise Sciences, Lettres et Arts, op. cit., p. 362-364.
118 V. de Chausenque, Les Pyrénées ou voyages pédestres…, op. cit., tome II, p. 128-129.
119 Lettres de l’ingénieur en chef Vène des 14 janvier et 15 mars 1858.
120 Arch. dép. Ariège, L 104, séances du 19 nivôse et du 6 ventôse an V.
121 Arch. dép. Tarn-et-Garonne, C 512, état général des domaines dont le roi jouit dans la généralité de Montauban, 1686, fol. 128, Vicdessos ; Arch. dép. Tarn-et-Garonne, C 273, fol. 42, Vicdessos, 30 août 1695 ; Arch. dép. Tarn-et-Garonne, C 457, février 1745 ; Arch. dép. Tarn-et-Garonne, C 505, pièces 103-108, 1659-1741.
122 Arch. dép. Ariège, 1 C 161, mémoire au sujet des mines de la vallée de Vicdessos, sans date, mais vraisemblablement vers 1746-vers 1751.
123 Arch. dép. Ariège, 1 C 164, mémoire de Vincens de Ville, seigneur de Bénagues, 25 février 1745.
124 C. Verna, Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales (XIIIe-XVIe siècles), op. cit., p. 180-182, 209-213.
125 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1 et R 2 ; Arch. dép. Ariège, 1 J 212, délibération de la communauté de Vicdessos sur l’échange des mines avec les charbons des propriétaires des forges du Couserans et de Mijanès, le 25 février 1771.
126 Arch. dép. Ariège, 3 J 16, 1781-1783, les syndics des États de Foix contre le baron de Montgrenier, exploitation des mines de Vicdessos pour la forge d’Arbas, contestation de l’échange.
127 Pour Alès, voir L. Dutil, L’état économique du Languedoc à la fin de l’Ancien Régime, 1750- 1789, op. cit., p. 543 ; pour Monségou, voir Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Montgailhard.
128 D’Aubuisson de Voisins, Observations sur les mines et les mineurs de Rancié et sur l’administration de ces mines, op. cit., p. 39.
129 Arch. dép. Ariège, 138 S 13, Montgailhard ; lettre au préfet, le 20 août 1824.
130 Rareté du minerai : Arch. dép. Ariège, 1 C 160, 3 J 16 ; préférence : Arch. dép. Ariège, 1 C 161, Arch. dép. Ariège, 3 J 16 (1756) ; mauvaise qualité : Arch. dép. Ariège, 1 C 162 (1717), Arch. dép. Ariège, 1 C 165 (1772), Arch. dép. Ariège, 3 J 3 (1716) ; chemins : Arch. dép. Ariège, 1 C 160, Arch. dép. Ariège, 1 C 162 ; prix élevé : Arch. dép. Ariège, 3 J 3 (1694), Arch. dép. Ariège, 1 J 212 (1771) ; fraudes sur les poids et les balances : Arch. dép. Ariège, 1 C 162, Arch. dép. Ariège, 1 C 165.
131 Dietrich, Description des gîtes de minerai, op. cit., p. 224.
132 M. Chevalier La vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises, op. cit., p. 555.
133 Arch dép. Ariège, 1 C 165, forge de Mijanès, octobre 1772.
134 R. Ferra, Étude démographique, économique et sociale d’un village de l’Ariège aux XVIIIe et XIXe siècles : Rabat-les-Trois-Seigneurs, D.E.S., Université de Toulouse-Le Mirail, 1960, p. 139.
135 Arch. nat., 436 AP 206, 1783 ; Arch. dép. Ariège, 137 S 1, statistique industrielle du canton de Lavelanet, 1811, 1812, 1813.
136 Arch. dép. Ariège, 1 Mi 10, R 1, 1768, 1776 ; Arch. dép. Ariège, 137 S 1, statistiques industrielles 1813-1815.
137 Arch. nat., 436 AP 206, comptes de l’administration des forges de Villeneuve, Queille et Campredon, 1772-1791.
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