1À Toulouse comme ailleurs, les registres notariés recèlent des actes fort divers qui sonnent pour l’historien comme autant d’échos de la vie quotidienne médiévale. Il serait pourtant hasardeux de prendre ces documents pour argent comptant et croire qu’ils collectent tous les actes quotidiens : malgré l’influence croissante de l’écrit et du droit, malgré un esprit procédurier galopant, les hommes du moyen âge ne dérangeaient le notaire que lorsque l’affaire en valait la peine, lorsqu’ils souhaitaient garantir leur action par la force de l’instrumentum publicum. On se doute alors que les transactions d’un montant très modeste – un ou deux deniers par exemple – probablement très nombreuses, voire les plus nombreuses, ne passaient pas devant notaire, sauf lorsqu’elles étaient comprises dans des totaux beaucoup plus importants. De toutes petites sommes apparaissent ainsi dans des comptes tenus pour recouvrer des créances, des loyers, des oblies, mais aussi dans les estimations des inventaires et les listes de prix des ventes aux enchères1.

2Le corpus des inventaires toulousains n’est pas très important aux xiv^e et xv^e siècles, atteignant une quarantaine de documents, celui des ventes à l’encan encore plus faible, moins d’une dizaine2. Pourtant ces documents sont très précieux pour ceux qui souhaitent approcher cette fameuse culture dite matérielle, identifier et décrire les objets les plus hétéroclites de la vie quotidienne, entrevoir, en parcourant ses pièces, une demeure simple ou riche, comprendre les marqueurs sociaux et codes culturels à travers la restitution d’un décor, mesurer un train de vie, de l’opulence à la ruine.

3L’inventaire est en effet rarement demandé lorsque la prospérité et la bonne fortune sont là, mais plutôt lorsque les dettes menacent un ménage, risquant de mettre à mal dot et douaire, lorsque des héritiers sont sous curatelle et tutelle, lorsqu’une succession délicate s’annonce. Les menaces sont nombreuses en ces temps, les travaux de Maurice Berthe en témoignent. Dans Toulouse, pestes et catastrophes surviennent sans coup férir, autour de Toulouse, les hommes de guerre pillent les marchands, ruinent les récoltes, et encore faut-il compter avec les aléas climatiques. Il n’en faut guère davantage pour que les prix des aliments s’envolent, que le marché stagne, que la richesse d’hier fonde, que la Roue de Fortune tourne rapidement. Ici ce sont des épouses qui, se sentant menacées, sollicitent l’estimation pour hypothèque des biens de leur mari. Ailleurs, des tuteurs et curateurs soucieux demandent l’inventaire, voire la vente à l’encan, pour solder les dettes qui obèrent la succession, pour payer les exécutions testamentaires3… Juges et inquantatores font alors éventuellement leur travail après que le notaire, aidé des exécuteurs testamentaires, des curateurs, parfois des héritiers, a patiemment dressé l’inventaire.

4Malgré une documentation lacunaire4, ces deux types de documents permettent de réfléchir à la valeur et au prix des choses5, deux mesures qui ne semblent pas se penser et s’exprimer de la même manière sous la plume des notaires. Pour ce faire, nous avons choisi de nous intéresser ici aux inventaires et ventes compris entre 1356, pour le premier, et 1416, pour la dernière, parce que ce sont les plus anciens conservés et surtout parce que cette période est marquée par une relative stabilité monétaire, précédant une phase très perturbée6. Homogénéité et stabilité relatives n’excluent en rien, pourtant, les accidents et malheurs déjà cités et les réactions qu’elles ont pu provoquer.

I. L’inventaire : estimer ou prendre la mesure de la valeur des choses

5Les inventaires rencontrés visent plusieurs objectifs qui induisent des modalités particulières d’estimation et de rédaction.

6Le premier est de faire estimer des biens pour les faire hypothéquer et garantir la dot et l’augment d’une épouse dont le mari est de plus en plus écrasé de dettes, cas prévu par les Coutumes de Toulouse7.

7À quelques mois d’écart en 1391, l’épouse d’un scarcelier (fabricant de bourses) de la rue Servinières et celle d’un lanassier (marchand de laine) présentent une requête devant la cour des capitouls. La première a apporté en 1362, acte à l’appui, une dot de 100 florins, le lit et les vêtements, et a reçu un augment de 35 florins ; la seconde a constitué une dot de 40 livres tournois petites, le lit et les vêtements, et a reçu un augment de 20 livres tournois petites, l’acte de 1384 prouvant ses dires8. Les deux maris se sont appauvris, sont pressés par les créanciers et les deux femmes demandent que leurs biens leur soient hypothéqués pour mettre à l’abri dot et augment.

8Suit une liste de biens immobiliers et mobiliers, de l’hôtel au grasalet (petite jatte, écuelle) en passant par les arpents de vigne ou de terre, des meubles, de la vaisselle, du linge de lit et de table, des vêtements, éléments qui laborieusement mis bout à bout atteignent les sommes demandées.

9La description, suivie d’une estimation chiffrée, va à l’essentiel : localisation du bien foncier ou immobilier, son état et éventuellement sa superficie9 ; nature, matériau et appréciation qualitative de tel ou tel objet10.

10Logiquement, les deux épouses font insérer dans la liste lit(s), vêtements et ce qui leur apporterait soit la somme demandée en cas de vente contrainte, soit le cadre d’un train de vie à peu près à leur convenance : coffres, tables, chaises, maie, armoire ou étagères, vaisselle de préparation et de service d’étain, luminaires, bassines et autres ustensiles de métal, linge de maison…

11Comme nous l’avons déjà relevé ailleurs, les objets de métal quel que soit leur usage, du plus trivial au plus raffiné (du seau à l’aiguière), le lit et le linge de maison, à la valeur à la fois marchande et plus symbolique, sont proportionnellement les biens les mieux estimés11. Ces deux inventaires ne mentionnent que par raccroc des pièces et sont donc de peu de secours pour étudier la maison même si l’on a le sentiment que les objets inventoriés le sont dans l’ordre de la visite. Ces objets composent surtout des lots cohérents et atteignent des sommes rondes12.

12Ces deux épouses ont eu raison de se montrer prévoyantes : les registres fiscaux démontrent que leurs maris ont continué à s’appauvrir13.

13Tous les autres inventaires sont dressés post mortem14, que le défunt soit ab intestat ou non. Il s’agit tantôt pour les exécuteurs testamentaires, les tuteurs ou curateurs d’héritiers mineurs de se couvrir et de garantir de grosses successions, telles celles des apothicaires et épiciers Guilhem del Pont ou Jean Capelle, du marchand drapier Guilhem Azémar, tantôt les successions s’annoncent fort délicates et l’inventaire est dressé dans un contexte de crise familiale et financière. On a déjà vu comment la fortune de noble Bertrand Tornier est fort mal en point, comment ses héritiers directs disparaissent des affaires toulousaines dans les années qui suivent15. Quant aux copieux inventaires du boursier Jacques de Laval ou du sédier Pierre Vaquier, si riches de détails pour l’historien, ils sont suivis de ventes à l’encan…

14Point commun à ces inventaires, exception faite des deux inventaires pour hypothèque pré-cités, aucune estimation chiffrée n’est attribuée à chaque item ou globalement. Le notaire se contente de décrire très soigneusement les objets mobiliers : leur valeur – et non leur prix – découle de cette minutieuse description.

15La valeur mesurée est en effet bien plus importante ici qu’un prix fixé car ces biens ne sont pas destinés à être immédiatement vendus, sauf dans les cas des ventes à l’encan mentionnées (où d’ailleurs le même registre regroupe les deux phases d’une même opération). Dans la majorité des cas, ces biens doivent être administrés et conservés pour des héritiers mineurs, puis leur être restitués à leur majorité. La fixation d’un prix, d’une valeur chiffrée, n’est pas leur objectif premier. L’inventaire sert plutôt alors à dresser la liste des objets pour s’assurer qu’ils ne seront pas dilapidés ou détournés, tout en prenant la mesure de la succession, dans le détail et globalement.

16L’appréciation est donc plus qualitative que quantitative et les mots se substituent à des sommes. Le vocabulaire employé par les notaires est à la fois récurrent, pour ne pas dire lassant, mais aussi très précis, fin et adapté, ce qui permettra, le cas échéant, de traduire en chiffres actualisés au moment d’une éventuelle vente ou liquidation, en fonction des cours et des jeux de l’offre et de la demande du moment, ce qui a été noté des mois ou des années auparavant.

17Outre la mention de la nature précise de l’objet et sa description, du plus courant au plus exceptionnel, outre la hiérarchie des essences des bois16, des métaux17, des draps18, les termes les plus courants qui permettent d’évaluer tel ou tel bien indiquent son état, novus (rarement), vetus ou ce qui manque (sine cauda, sine carva, sine pedibus, sine cuvercle, sine fundo…). Le degré d’usure relève d’un vocabulaire riche et adapté à l’objet décrit : un meuble peut être cassé (fractus, ruptus, quasi ruptus…), cuçonné (artesonatus), le linge peut être usé, rapiécé, rapetassé, déchiré, troué, mité, brûlé (usatus, petassatus, laniatus, perforatus, blasitus, ardatus)…

18Lorsque l’objet est dans l’entre-deux, ce qui est souvent le cas, les notaires usent alors abondamment d’une expression qui signifie parfaitement la médiocrité, oscillant d’une valeur moyenne à faible, d’un objet qui est dit « de valeur modique » (modici valoris) ou « valant peu » (parvum valens).

19Il y a enfin les objets très courants, très communs, ce qu’atteste l’archéologie, mais curieusement absents des inventaires. Ainsi les vaisselles de terre et de bois, les plus répandues pourtant, sont proportionnellement fort peu citées dans les inventaires car elles ne valent justement presque rien. Seules sont notées certaines pièces de vaisselle de bois ou de terre qui ont une particularité, de forme ou de décor, par exemple peint19.

20Enfin, si les inventaires les plus anciens ou les inventaires pour hypothèque se contentent de lister des biens sans énumérer les pièces dans lesquelles ils sont répertoriés, les suivants, à partir de celui de Guilhem del Pont (1369), détaillent les types de biens (fonciers, immobiliers, mobiliers) et structurent la liste des biens meubles en fonction de l’ordre de la visite de la ou des demeure(s). Malgré les incertitudes et les interrogations suscitées par le vocabulaire géographique employé, la maison transparaît à travers le nombre de pièces indiquées ou d’autres indices cités çà et là qui donnent à imaginer une visite par niveau et par possibilité de circulation20.

21L’impression qui se dégage alors est celle d’une estimation globale de l’héritage, qui va de pair avec la prise de possession des lieux par les proches, les tuteurs et curateurs qui en général accompagnent le notaire, ainsi que d’autres témoins, ce qui engage la responsabilité des uns et des autres jusqu’au moindre escabeau. Le document et ses enjeux sont ainsi progressivement révélés à la manière de poupées russes emboîtées, la valeur mesurée, mais non prisée, étant au cœur de l’affaire.

22On se doute qu’en la matière, de la valeur au prix fixé d’un bien, la vente à l’encan ou la vente contrainte relèvent d’une toute autre logique et de mécanismes différents, ce que les actes notariés laissent entrevoir.

II. Fuit factus inquantus publicus : à quel prix ? La vente à tout prix

23Le prix, fixé cette fois, ne relève pas seulement de la valeur de l’objet mais aussi des circonstances mêmes de la vente qui pèsent très lourdement. Le vendeur ou ses héritiers sont contraints à la vente, doivent au plus vite obtenir de l’argent frais, sont donc acculés à vendre, parfois à moindre prix. Mais dans le cadre particulier d’une vente aux enchères, l’acquéreur peut emporter l’objet ou un lot dès la première offre ou à la suite d’enchérissements successifs, qui peuvent correspondre ou s’écarter, voire « dévisser », des prix usuels du marché…

24Il serait tentant de s’appuyer sur ces listes d’objets, parfois précédemment décrits dans l’inventaire puis estimés de façon chiffrée dans la vente, pour étudier les échanges et la valeur des choses, au-delà des diversités et perturbations monétaires du temps. Les conditions de ces ventes, et les prix qui en découlent, disent pourtant bien plus des enjeux sociaux que des seuls rapports entre prix et marché21.

25Les ventes à l’encan au Moyen Âge dans le Midi de la France ont peu à peu été contrôlées par les autorités municipales. Aux xiv^e et xv^e siècles, des encanteurs publics (inquantatores publici) officient pour la ville, à Toulouse comme ailleurs22. En 1290, Bernard de Fumel obtient l’office et est nommé par les consuls de Toulouse inquantator publicus. Il pourra employer deux ou trois agents. Ils pourront vendre dans la ville et le faubourg des pièces d’argenterie, des vêtements et étoffes, des fourrures, des ustensiles de ménage, des livres, des chevaux et des têtes de bétail gros et menu, des comestibles. Bernard de Fumel a promis aux consuls de vendre loyalement tout ce qui lui aura été confié et de rendre ce qu’il n’aura pas vendu. À titre de salaire, il percevra un denier tournois par sol toulousain au-dessous de 10 sols ; pour 10 sols, 3 deniers ; pour 20 sols, 6 deniers et ainsi de suite. En garantie, il a donné aux consuls l’hypothèque sur tous ses biens, s’est soumis à la contrainte de corps et a prêté serment sur les quatre Évangiles, avec promesse de tenir secret le nom des vendeurs, à moins d’ordonnance des consuls ou des juges royaux. En cas de différend avec les vendeurs, il recourra à l’arbitrage des consuls23.

26Les registres notariés citent bien les inquantatores publici ou inquantator publicus ville Tholose, laissent entendre et voir la procédure de la vente publique : elle a été annoncée, criée, sonnée24 et se déroule en des lieux bien définis.

27Ainsi, en 1371, Bernard de Barta, « inquantator public de la rue du Carmel », procède à la vente des biens de feu Jacques Hélie, qui habitait rue du Carmel. Le notaire précise que la vente aux enchères a lieu « dans la rue du Carmel comme de coutume »25.

28Le cas du sédier Pierre Vaquier mérite l’attention car nous possédons à la fois le fort long inventaire après décès et une vente à l’encan qui se déroule en quatre séances. Pierre Vaquier demeurait dans un bel hôtel rue de la Dalbade et ses biens meubles sont vendus à l’encan les 23 janvier, 22 et 25 février, puis le 30 juin 141626. Pierre Rosselli « inquantator publicus ville Tholose » semble diriger les opérations mais trois autres inquantatores sont mentionnés parmi les acquéreurs, Guillelmus de Burgo, Bernardus Blanqueti et Johannes de Podio. Sont-ils aussi impliqués dans cette vente, comme assistants de P. Rosselli, ou sont-ils seulement des acheteurs bien informés ? Le 22 février, la vente se fait précise-t-on, au carrefour de la Dalbade (in quadriviis de Albate27), de nouveau le 25 (« audit carrefour », in dicto compito). Dans les deux cas, la vente a lieu dans la rue où habitait le défunt mais en des lieux visiblement bien définis et connus de tous28.

29La confrontation de l’inventaire et de la vente à l’encan des biens meubles de Pierre Vaquier, en 1415-1416,29 confirme que les deux types d’actes ne relèvent pas de la même logique de conception et d’écriture, même s’ils participent tous deux d’une même opération, solder une succession visiblement délicate pour deux héritiers mineurs.

30L’inventaire estime les biens en les décrivant de façon qualitative, en passant d’une pièce à l’autre de l’hôtel. La vente publique se déroule en quatre séances30, donne la liste de 171 acheteurs différents qui se sont portés acquéreurs de 371 items et indique les prix auxquels ces biens sont partis… Les sommes sont notées en monnaie de compte, en sous et deniers31, le notaire précisant parfois, pour les deux ventes de février 1416 réunies dans la même liasse, qu’il s’agit de sous, deniers et oboles toulsas32, or la monnaie toulsa est aussi dans Toulouse une monnaie réelle33. L’examen du document incite cependant à penser qu’il s’agit bien de monnaie de compte puisque des mentions de paiements (en gros, en blancs…) sont insérées en plusieurs endroits et correspondent à une somme exprimée en sous, deniers, oboles toulsas34.

31La plupart des sommes ne se montent qu’à quelques deniers (de 2 à 25 deniers, le plus souvent entre 5 et 15 deniers), qu’à quelques sous, le plus souvent entre un et 5 sous, seuls 40 articles dépassent les 5 sous, et seulement 12 atteignent ou dépassent les 10 sous.

32Ainsi partent à deux deniers,

Item quoddam agresserium (pot à graisse) Johanni de Podio, spillerius de Albate
Item quoddam scannumlum (un tout petit banc) absque pedibus, Bernardo del Puech
Item duos scandelos (escabeaux) Bernardo Tibaudi de Albate
Item duos postes (planches) Petro dem Casc de Albate
Item unum frustrum staminie (un morceau d’étamine) Petro Rosselli

voire à un et demi :

Item unum crucibolum Arnaldo de Ruffiaco

33Les prix ne montent guère plus haut, jusqu’à 5 ou 6 deniers, pour un tabouret perforé, un petit coffret, des cribles, un calelh ou lampe à huile (3 d.), des chapeaux (un chapeau de paille noir pour 6 d. tol., 3 vieux chapeaux pour 4 d.), un drap peint ou un bouclier (4 d.), une poêle, des candélabres (5 d.), une échelle (5 d. 1/2), de la passementerie de Paris ou de Limoges (6 d.), des feuilles de laiton (7 d.)…

34Atteignent ou dépassent les 10 sous :

Item XI uncias de lambre (11 onces d’ambre) Ramundo de Bosco, 15 s.
Item II percas vellium de cirico (2 perches de voiles de soie) Johanni de Vinhas in hostaleria Johannis de Borda carrerie En Blanquardi, 21 s.
Item quadam magedam avietis pro tenendo vindemiam (une maie de sapin pour la vendange) Johanni Costau paratori, 10 s. tol.
Item quodam bretz novum (un berceau neuf) Martino de Podio ferrier, 10 s. tol.
Item quasdam cortinas viridis coloris cum virgis (des courtines vertes et leurs tringles) Magistro Hugoni la Costa, 13 s. 5 d. tol.
Item quoddam archalectum cum scannis (un lit-coffre avec des bancs) Pey Roberii specierio Salini, 10 s. 1 d.
Item quoddam pannum ad ponendum ante chaminum (un pare-feu) Petro Yssonis 13 s. 1/2 1 d.
Item quamdam culcitram cum pulvinari sive cossena Guigoni Chauchat, 24 s. 2 d.
Item unum caquabrum magnum (un grand chaudron) Magistro Petro de Galano 12 s. 6 d.
Item unum parvum armasium infra quem sunt X caychioti Johanni Lapeyra, 11 s. 3 d.
Item duos magnos cofredos ferratos Magistro Petro de Galano 25 s. 1 d.
Item unam caxam nogueri Poncio Regis, 12 s. 4 d.

35Sont emportés, entre 5 et 9 sous, des coffres et coffrets, deux draps peints et autres tissus de choix (de la toile blanche, du voile double de Paris, de la soie), 3 banquiers bleus, des bourses, un autre berceau, pas neuf, un mortier de pierre, un autre archalectum, un armasium à 4 étagères, 2 plats d’étain, 5 belles pièces de vêture (manteaux, houppelande, gonelle), divers ustensiles de métal (seau de cuivre, tiges de fer, chenêts de fer, une serrure, un stilladorium plumbi)…

36La majorité des biens part donc à des prix forts attractifs, entre 10 deniers et 3 à 4 sous, en fonction de la nature, de la qualité de l’objet, de son état, de sa vétusté, autant d’éléments qui ont été préparés par l’inventaire.

37Certains de ces articles sont neufs, en particulier ceux qui étaient proposés à la vente dans la boutique du sédier : des pièces de passementerie, des coupons de tissus, des accessoires vestimentaires (aumônières, ceintures, grelots et petites pièces métalliques à coudre sur les vêtements), des draps peints.

38Mais tous les autres objets, sauf exception notée, sont d’occasion : les meubles de la boutique (les coffres, coffrets, comptoirs, dispositifs d’éclairage) et surtout tout ce qui équipait l’agréable demeure du sédier.

39Tous ces critères, que le rapprochement avec l’inventaire permet souvent de confirmer35, mais aussi ce que nous ne pouvons percevoir (le déroulement de la vente, l’envie de plusieurs acquéreurs vis-à-vis du même objet…) expliquent des variations notables des prix entre des objets de la même famille.

40On pourrait multiplier les exemples de variantes entre la description et l’estimation qualitative de l’inventaire et les variations des prix pratiqués lors de la vente, pour la vaisselle, le reste du linge de maison, les ustensiles les plus divers…

41On retiendra que malgré la pression de la vente contrainte, qui rend les objets plus accessibles, et malgré les mécanismes des enchères, les hiérarchies de valeur ou d’estime, que nous avions déjà remarquées à travers les inventaires36, se répercutent grosso modo dans les prix de la vente à l’encan : les objets les plus chers sont les articles de métal (la vaisselle ou des objets tout à fait utilitaires) mais aussi les draps et le linge, les beaux vêtements.

42Quant aux pièces de mobilier tout dépend de leur modèle, matière et travail : ainsi une caisse cassée est lâchée à 11 deniers, tandis que la majorité des coffres ou coffrets tourne entre 3 et 5 sous, mais de grands coffres ferrés ou de noyer sont emportés à plus de 12 sous37…

43C’est bien l’attractivité des prix qui fait le succès des enchères mais ce sont aussi les liens de voisinage. Dans le cas de la vente des biens meubles de Pierre Vaquier, 171 acquéreurs différents sont nommés, avec parfois la mention de leur métier et/ou de la rue dans laquelle ils résident.

44La plupart de ces hommes38 viennent des alentours immédiats de la rue de la Dalbade. La proximité géographique joue à plein et l’on peut sans difficulté imaginer qu’ils connaissaient le sédier, son affaire et sa demeure. Pris entre la curiosité malsaine, voire une certaine jouissance à faire de bonnes affaires sur le dos des autres, mais aussi dans les mécanismes de la sociabilité et de l’entraide, les liens de voisinage se nouent autour de ces enchères et sont bien visibles.

45On retrouve d’abord des hommes liés à la succession de Pierre Vaquier. Si les deux tuteurs demeurent en toute logique en dehors de la vente, on remarque que des témoins mentionnés dès l’inventaire quelques mois auparavant se portent acquéreurs : le notaire, Maître Guillaume Rollandi, Jean Viguerii, témoin39, Arnaud de Roffiac, gaynier de la rue Gaytapuech et qui est le plus gros acquéreur (il achète 21 articles)40.

46Les encanteurs sont aussi présents dans la liste des acquéreurs. On a vu que ces agents étaient rémunérés ad valorem. Faut-il lire leur nom comme un acte d’achat indépendamment de cette rémunération ou comme l’une des facettes de leur commission ?

47L’encanteur n’est pas nommé dans le préambule de la vente du 23 janvier, mais il l’est pour les ventes suivantes (Pierre Rosselli). D’autres noms d’encanteurs sont aussi listés, à titre d’assistants ou comme acheteurs particulièrement initiés à ce type de vente ?

Vente du 23 janvier 1416 (n. st.) :

Préambule : Anno Domini M° IIII C XV et die XXIII mensis januaris fuit factus inquantus de bonis infrascriptis qua fuerunt Petri Vaquerii.
… Item II duodenae annulorum vocatorum vergas, Petro Rosselli, 10 d.
Item unum alium cofredum de parisius de VII ferris Guillelmo de Burgo, inquantatori carrarie de Cordenis, 22 d
Item unam bursam de cirico Bernardo Blanqueti inquatatori, 6 d 1/2
Item quasdam laytissas Johanni de Podio inquantatori 2 s
(somme totale de cette vente : 9 £ 1 s 9 d tol 1/2)

Vente du 22 février 1416 (n.st.) :

Préambule : Anno Domini M° CCCC^mo XV° die XXII februaris in quadriviis de Albate,
Petrus Rosselli inquantator vendidit ad inquantum bona mobilia infrascripta sub preciis et personnis infrascritptis qua bona fuerunt Petri Vaqueri…
… Item quodam fonile inquantator 5 d tol
Item quemdam calatum Johanni de Podio, 7 d tol
Item quoddam antiquum pannum depictum Johanni de Podio 12 d ob
Item alium telerium inquantatori 10 d tol
Item quoddam linteamen fractum Johanni de Podio 10 d tol
Item quamdam mapam fractam et quamdam parvam Johanni de Podio 8 d ob
Item duos gandeletos cum una tibieria ferri inquantatori 5 d tol

Vente du 25 février :

Die mensis XXV februaris, in dicto compito, fuerunt vendita bona sequentia.
Item quoddam armasium cum quatuor stagnis inquantatori 8 s tol
Item quemdam jupponem fustani inquantatori 2 s 1/2 1 d tol (somme totale des 2 ventes 40 £ 4 s 10 d tol)

Vente du 30 juin 1416 :

Préambule. Inquantus factus de bonis et rebus que condam fuerunt Petri Vaqueri sederii
Tholose per Petrum Rosselli inquantatorem ville Tholose anno Domini M° quadringentesimo sexto decimo et die XXX mensis junii que omnia bona fuerunt vendita in modum qui sequuntur.
… Item duas virgas ferri Johanni de Podio inquantatori 5 s 5 d
Item quandam lanternam Petro Rosselli inquantatori 5 d
Item unum parvum caychetum longum Petro Rosselli 7 d 1/2
Item unum parvum cofredum Johanni de Podio inquantatori 16 d
Item unum alium cofredum Johanni de Podio 15 d 1/2
Item unum alium caychiotum Johanni de Podio 10 d 1/2
Item unum debanadorium Petro Rosselli inquantatori 5 d
Item unam caxam de fagio cum IIIIor pedibus Johanni de Podio inquantatori 3 s 3 d
Item unum cofredum Johanni de Podio 15 d
Item unum cofredum parvum Johanni de Podio 16 d 1/2
Item quandam quantitatem lapidum ad acuendum dalhos Johanni de Podio inquantatori 20 d 1/2
Item duo tapicia Johanni de Podio 3 s 9 d
Item unum frustrum staminie Petro Rosselli 2 d
Item alium capellum palee Petro Rosselli 6 d
Item parvum capellum nigrum de palha Johanni de Podio 6 d tol

(somme totale de la vente 30 £ 6 s 11 d tol)

48Petrus Rosselli et Johannes de Podio semblent les plus impliqués dans la vente (Bernard Blanqueti n’est cité qu’une fois, en passant). Leurs achats sont les plus nombreux dans la dernière vente, le 30 juin 1416, ce qui incite à penser qu’ils se paient au moins en partie de cette façon. En partie seulement, car les sommes mises bout à bout restent en deçà du taux de rémunération prévu41.

49Les autres acheteurs sont les voisins immédiats, les confronts, de l’hôtel de Pierre Vaquier, Bernard de Podio d’un côté42, Maître Jean Servient, de l’autre côté, ou des hommes qui peuvent leur être liés43. Les autres sont les artisans ou les habitants de la rue de la Dalbade ou des rues voisines, entre capitoulats de la Daurade44, du Pont-Vieux45, de la Pierre Saint-Géraud46 ou de la Dalbade47.

50Les professions représentées sont majoritairement, et sans surprise, celles liées à la fabrication des draps ou des vêtements : des sartres, des pareurs, des pellipaires, un teinturier se portent acquéreurs de parties du stock de la boutique, profitent de l’aubaine, choisissent en connaisseurs certains objets plus personnels48… Les artisans du métal (couteliers, stagnier, ferriers, tozorier, spillier, polinayre, balistiers…) sont aussi nombreux car diverses rues du quartier (les rues des Couteliers, des Polinayres…) regroupent ces professions49. Enfin, sont aussi nommés des marchands (un sédier, des épiciers, un apothicaire) ou des hommes à talents (des notaires, un barbier) ou qui affichent des épithètes d’honneur50. Les mêmes rues, les mêmes professions, certains de ces hommes, sont nommés dans les deux livres de comptes de Pierre Vaquier dont la teneur encore « active » est copiée dans l’inventaire : leur lecture indique à quel point le règlement des dettes du sédier ou le non paiement de ses créances plombent sa succession et conduisent logiquement à la vente publique51.

51Le relations de voisinage, la proximité géographique réunissent la plupart des acquéreurs, mais sont aussi importants les liens des affaires, entre rivalités et entraide, dettes et créances, de même que semblent déterminantes les informations détenues par ceux qui de près ou de loin sont liés à la succession de P. Vaquier52 ou ont l’habitude de traiter ce type de dossiers53.

52La valeur et le prix des biens sont donc mesurés et exprimés de façon différente entre les inventaires post mortem, les inventaires pour hypothèque, les ventes à l’encan. Les dossiers les plus complets, qui permettent les rapprochements, tel celui du sédier Pierre Vaquier, le prouvent.

53La crise engendrée par les dettes accumulées, par une succession délicate trouve un dénouement par une liquidation des biens meubles dans laquelle les parties et les hommes de l’art, notaire, capitouls, juge et encanteurs, tentent de concilier l’inconciliable pour obtenir un compromis le meilleur possible entre les intérêts des épouses, des veuves et des héritiers, et l’assainissement d’une situation intenable.

54En sont les difficiles traductions, l’estimation qualitative très précise des biens dans les inventaires, la valeur qui leur est attribuée, soit par des mots (le plus souvent), soit par une valeur chiffrée correspondante dans une logique purement arithmétique (inventaire pour hypothèque) tandis que les ventes à l’encan livrent les prix auxquels finalement ces mêmes biens ont été acquis, dans le contexte particulier des enchères, des contraintes économiques et des enjeux sociaux.. Cela explique que, malgré des logiques différentes, des variations et variantes, les hiérarchies de valeur des objets demeurent relativement cohérentes. Au-delà des jeux d’écriture et d’argent, se lisent surtout les relations humaines, des liens de la famille à ceux des affaires, entre dépendances économiques et information technique, voire délit d’initiés, sans oublier la prégnance d’un voisinage englobant et structurant.

Annexe. Inventaires et ventes à l’encan entre 1356 et 141654-55-56-57-58-59