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Vêture & Pouvoir

 | 
Christine Aribaud
, 
Sylvie Mouysset

Corps de ville, corps visible

Vêtement et fonctions municipales à Toulouse (XIIIe-XVe siècle) : du texte à l’image

François Bordes

Texte intégral

  • 1 F. Piponnier et P. Mane, Se vêtir au Moyen Âge, Paris, Adam Biro, 1995, p. 152.
  • 2 Cf. par exemple C. de Mérindol, « Signes de hiérarchie sociale à la fin du Moyen Âge d’après les vê (...)
  • 3 G. Duby (dir.), Histoire de la France urbaine, t. 2 : La ville médiévale, Paris, Seuil, 1980, p. 60 (...)
  • 4 Voir en particulier l’étude remarquable d’A. Rigaudiere, Saint-Flour, ville d’Auvergne au bas Moyen (...)

1Dans l’histoire renouvelée du vêtement médiéval, la part réservée à celui des oligarchies urbaines dans le cadre de leurs fonctions officielles apparaît extrêmement réduite. Françoise Piponnier et Perrine Mane ne lui consacrent que quelques lignes1 et nombre d’autres chercheurs se contentent de reprendre les mentions sur Toulouse du regretté Philippe Wolff2. Les historiens des villes ne se montrent guère plus prolixes : dans le tome de l’Histoire de la France urbaine consacré au Moyen Âge, Jacques Rossiaud n’en traite que dans un paragraphe consacré aux cérémonies civiques3, et les divers colloques ou congrès récents ayant pour thème les sociétés urbaines médiévales consacrent ce silence par une absence manifeste de communications ou d’articles sur le sujet. Seules quelques monographies, étayées par une solide documentation et de rigoureux dépouillements, offrent des données fiables qu’il serait nécessaire de mettre en perspective4.

2Il faut peut-être expliquer en partie cette pénurie par l’absence de sources que l’on observe effectivement pour bon nombre de communautés. Tel n’est pas le cas de Toulouse, qui a la chance de conserver deux types de documents permettant de croiser le regard sur le vêtement consulaire : il s’agit d’une part de textes constitués par les archives comptables des trésoriers de la ville, et d’autre part d’images, celles de l’exceptionnelle, bien que mutilée, collection des enluminures ornant les Annales manuscrites de la cité.

  • 5 P. Wolff, Commerces et marchands de Toulouse (vers 1350 – vers 1450), Paris, Plon, 1954, p. 239-240 (...)
  • 6 Nous nous réservons de traiter, dans un autre cadre, de l’évolution vestimentaire de ces derniers a (...)

3Philippe Wolff, le premier, s’était plongé dans l’étude des finances toulousaines et les éléments qu’il avait mis en relief ont depuis lors, comme nous l’avons noté plus haut, servi de références à la plupart des ouvrages généraux sur l’histoire urbaine5. Mais, outre que la période qu’il analysait s’arrêtait en 1450, certaines pièces lui avaient échappé ou n’étaient pas encore classées à l’époque. Nous avons donc entrepris un dépouillement systématique de l’ensemble des documents de comptabilité depuis le XIVe siècle jusqu’en 1531, date importante de l’histoire vestimentaire des capitouls avec le remplacement des doublures de fourrure par celles de soie qui prévaudront jusqu’à la Révolution. Le corpus ainsi constitué se compose d’une soixantaine de documents dont les deux tiers fournissent des éléments précis, tant sur les vêtements des capitouls que sur ceux de leurs officiers6.

Ce que disent les textes

  • 7 Variantes : folraduras, foldraduras.

4Il faut tout d’abord préciser quelques points lexicologiques, d’autant que tous ces documents sont rédigés en occitan, unique langue du commerce et de la gestion des affaires à Toulouse jusqu’aux années 1520. Le vêtement capitulaire se compose de trois pièces : la rauba (robe), le mantel (manteau) et le capairon (chaperon). Il est complété par des éléments de doublure, appelés en 1343 garniduras, puis garnimens et enfin, à partir des années 1450, forraduras (fourrures)7.

Les draps

  • 8 Nous employons les abréviations classiques de l. (livres) s. (sous) d. (deniers) t. (tournois). Les (...)
  • 9 Les seules mentions de couturiers que nous ayons trouvées concernent les robes de certains officier (...)

5La matière première qui apparaît dans les textes pendant toute la période est le drap, sans autre précision de nature. Avant d’être travaillées, les pièces de tissu passaient entre les mains de baissaires ou retondaires (tondeurs de draps), auxquels le trésorier versait pour leur travail une rémunération relativement fixe de 3 l. t. au XVe siècle et de 4 l. t. au siècle suivant8. Aucun document ne concerne la confection du vêtement par les sartres, et l’on peut penser que chaque consul recevait sa part de drap et prenait à sa charge la façon de sa robe9.

  • 10 D’après le compte de 1343, une pièce contenait 15 cannes, constituée elle-même de 8 pams ou empans.
  • 11 2 pièces et demi de garance et 1 de morat en grana en 1416-1417 (A.M.T., CC 2326 n° 14), 3 pièces d (...)
  • 12 Il est extrêmement difficile de connaître d’après les textes les dimensions et la couleur des chape (...)
  • 13 A.M.T., CC 2336/44 (1463-1464), CC 1866 p. 53 (1464-1465) et CC 1868 p. 44 (1469-1470).
  • 14 A.M.T., AA3/254.

6Les quantités de draps achetés aux marchands toulousains varient bien évidemment en fonction du nombre des capitouls, qui ne fut définitivement fixé à 8 qu’en 1438 : elles peuvent atteindre plusieurs « pièces10 » lorsque 12 magistrats président aux destinées de la cité11. À partir de 1438, leurs vêtements furent taillés le plus fréquemment dans 20 cannes de drap pour les manteaux et chaperons12 (2 cannes et demi pour chacun des 8 capitouls, soit environ 4,50 m.), et 24 cannes pour les robes (3 cannes pour chacun, soit environ 5,40 m.), le tout mi-partie depuis les années 1350. Nous ne connaissons malheureusement pas la largeur de ces étoffes. Seuls trois documents mentionnent en 1463, 1464 et 1469 des draps de Lille del grant le ou del petit le13. On peut noter ici que les 5 cannes et demi que recevait ainsi chaque capitoul à son entrée en fonction ne dépassaient que de très peu les 5 cannes de drap de France fixées en 1390 par le règlement du Conseil du roi et de la chambre des comptes14.

7Les prix des draps dépendaient bien sûr d’une part de la qualité de l’étoffe et de l’ autre des variations du marché, étroitement liées aux éventuelles difficultés d’ approvisionnement. La tendance brute entre 1370 et 1530 (cf. tableau) fait apparaître une augmentation continue ds dépenses vestimentaires de la ville (consuls et officiers confondus).

  • 15 Les « creux » s’expliquent en bonne partie par une documentation incomplète pour les années représe (...)
  • 16 L’écart augmente dans le dernier quart du XVe siècle en raison de l’accroissement du nombre des off (...)

8Les frais des seules robes capitulaires suivent la même courbe15 et constituent la majeure partie de ces dépenses, l’écart entre les deux lignes représentant la part des livrées des officiers16. Si l’on établit une moyenne des draps ainsi payés à chaque capitoul lors de son élection, elle s’élève à la somme non négligeable de 86 l. 6 s. 5 d. t.

9Les documents comptables nous renseignent également, et de façon plus précise, sur la qualité, la couleur et l’origine géographique des draps réservés aux consuls toulousains. Il paraît évident, lorsque l’on analyse les types de tissus composant leur vêtement (annexe n° 1), que les capitouls prisaient à la fois la finesse et les couleurs vives. L’écarlate s’impose comme une constante dès 1343, en particulier pour le manteau pour lequel on utilise les étoffes les plus précieuses. C’est d’ailleurs à cet élément le plus visible de « l’uniforme » capitulaire que les attentions les plus délicates semblent s’attacher pendant près d’un siècle et demi. Ce n’est qu’au tournant des XVe-XVIe siècles que l’on assiste à une harmonisation complète du vêtement et que l’on taille robes et manteaux dans les mêmes draps luxueux. Et c’est également à partir des années 1490 que les capitouls donnent encore un peu plus d’éclat à leurs habits en les faisant réaliser en tissus d’écarlate et de noir dont la finesse, mentionnée par les documents, justifie le prix élevé (de 11 à 16 l. t. la canne). À titre de comparaison, les draps réservés aux officiers à la même époque, qui ne comportent jamais de mention de qualité, coûtent en moyenne 2 l. t. la canne. Seul le trésorier semble privilégié : on lui offre chaque année une robe de mescla de Perpignan à 5 l. 2 s. 6 d. t. la canne.

  • 17 D’après le manuscrit A.M.T., BB 267 (« Remarques sur les tableaux qui sont dans les registres de l’ (...)

10Contrairement à une idée reçue, les vêtements des capitouls n’ont pas toujours été mi-partie de rouge et de noir (annexe n° 1). Si la partition semble être la règle dès la seconde moitié du XIVe siècle, l’opposition entre le vif et le sombre ne s’impose véritablement qu’à partir des années 1420, avec une vogue évidente du vert-noir jusqu’en 147017. C’est à cette dernière date que le noir pur, associé à l’écarlate rouge, donne aux vêtements capitulaires leur couleur définitive. Il est intéressant de noter à ce sujet la composition subtile entre garance, écarlate et sanguine qui prédomina dans les deux premières décennies du XVe siècle.

  • 18 Pendant tout le XVe siècle cependant, des draps d’Angleterre de moindre qualité servaient à confect (...)

11Un certain nombre de textes permet également d’analyser l’origine des tissus achetés par les autorités de la cité, et d’affiner et compléter l’étude de Philippe Wolff sur le commerce des draps à Toulouse (annexe 2). Ils mettent en évidence trois grandes périodes. La première, qui correspond aux années 1390-1420, voit la prédominance des draps flamands de Bruxelles et Malines. Puis, entre 1420 et 1470, les capitouls abandonnent ces centres de production au profit de celui de Lille ; parallèlement, les centres normands de Rouen et de Montivilliers, déjà en filigrane depuis le début du siècle, se positionnent avant de devenir dans la dernière période (à partir de 1470) les principaux fournisseurs du chapitre consulaire. Les draps de Rouen sont même dès le début du XVIe siècle les seuls qui servent à confectionner les robes et manteaux des magistrats de la ville. On peut noter par ailleurs que des difficultés d’approvisionnement ont pu parfois occasionner l’achat de tissus d’origine différente. Ce fut certainement le cas en 1420, lorsque furent achetés des draps d’Angleterre18 (garance vermeille et estorgo), en 1444 d’autres de Florence (garance) et en 1500 puis 1502 de Paris (noir fin).

Les fourrures

12Si l’on analyse maintenant les fourrures qui doublaient le vêtement des capitouls toulousains, on se rend compte que les renseignements fournis par les documents comptables n’ont pas la même précision. Comme nous l’avons vu plus haut, on les englobe sous les termes génériques de « garnitures » puis de « fourrures », et aucun détail supplémentaire n’apparaît.

  • 19 A.M.T., CC 1846 p. 93.
  • 20 A.M.T., CC 1848 p. 100.

13Il faut préciser tout d’abord que cette doublure ne fut pas dès le début réservée aux seuls consuls. En 1343, par exemple, elle orne également les robes des sonneurs de trompettes19, et celles de dix officiers en sont pourvues encore en 136220. Une distinction lexicologique renvoie peut-être à cette époque à une différence de qualité ou de technique : les textes indiquent des garnimens pour les vêtements des consuls et emploient le vocable de folraduras pour ceux des officiers. À partir des années 1370, plus aucune mention de fourniture de fourrure n’apparaît pour ces derniers.

  • 21 A.M.T., CC 1856 fol. 32v°.

14Si, en 1343, le trésorier de la ville payait directement les pelissiers (marchands de peaux), dès le milieu du XIVe siècle les comptes ne font plus état que d’une somme globale remboursée à ce même trésorier, sans que l’on sache comment, ni auprès de quel fournisseur il l’utilisait. Cette somme représentait une dépense importante pour la cité (entre 120 et 260 l. t.), atteignant même le record de 480 l. t. en 142021. Ce sont certainement ces dérives qui expliquent qu’à compter de 1450, une somme désormais fixe de 146 l. 13 s. 4 d. soit consacrée aux fourrures des vêtements des capitouls (18 l. 6 s. 8 d. pour chacun d’eux).

  • 22 G. de Lafaille, Annales de la ville de Toulouse depuis la réunion de la Comté de Toulouse à la cour (...)
  • 23 A.M.T., BB 9 fol. 149r°.
  • 24 Pour Lafaille, op. cit., t. 2, p. 72-73 : « Letisse est un terme de vieux gaulois, qui ne se trouve (...)
  • 25 Ibid., fol. 149v°.
  • 26 Ibid., fol. 155v° (délibération du 9 décembre 1531).
  • 27 Ibid., fol. 156.

15Cette situation se poursuivit jusqu’en 1531, année de l’abandon des lourdes peaux des manteaux et de leur remplacement par des étoffes plus légères. Lafaille n’a pas manqué de relever ce changement vestimentaire important : « Les manteaux de cérémonie des Capitouls estoient anciennement doublez d’hermines ou d’une autre fourrure blanche, et jusques icy ces magistrats les avoient toujours portez de cette sorte. Cette doublure rendoit ces manteaux incommodes, particulièrement en esté, saison dans laquelle se font presque toutes les processions où les Capitouls portent les huit bâtons du dais : si bien que plusieurs en avoient esté en danger de mort. Ce fut pour cette raison que cette année, par une délibération du Conseil, on changea cette doublure en celle d’un satin blanc22 ». Ce fait est largement confirmé par la délibération du grand conseil général tenu le 24 juin 1531 et chargé, entre autres dossiers, de ce délicat problème. Les capitouls s’y plaignent qu’ils portent « les robes et manteaulx de drap et escarlate fourrés de peaux, qu’est ung merveilleux poix et fais à ceulx qui sont chargés les porter, et mesmement en temps d’été, tellement que au moyen de ce, ceste année, en y a eu aulcuns desdictz capitoulz qui en sont venus en inconvenient de maladie où sont encore de present detenus23 ». Après avoir entendu divers avis, le conseil décida de conserver ces robes et manteaux tels qu’ils étaient jusqu’alors, en particulier avec leurs fourrures d’ornement, mais qu’on remplacerait effectivement la doublure de peau des manteaux par du satin ou du damas blanc, « avec ung bord autour de letisses24 », et sans omettre de préciser que le prix de ces nouvelles doublures ne devait pas excéder le prix habituel que les magistrats recevaient au titre des fourrures25. Mais lorsqu’il s’agit au mois de décembre suivant de mettre en œuvre cette décision, à l’occasion des élections, les nouveaux capitouls ne manquèrent pas de s’insurger. Ils remontrèrent en particulier au conseil que « à ladicte doublure de chascun desdictz manteaulx fault six cannes de satin ou damas qui coustera cinq livres ou plus la canne », et qu’il n’était absolument pas question qu’ils payent sur leurs deniers propres le supplément nécessaire à cet achat26. Ils convainquirent la majorité des conseillers, et obtinrent en partie gain de cause. Le grand conseil statua en effet que « lesdictz manteaulx seront du tout doublés de satin blanc bon et suffisant à l’honneur de la ville, et prendront ung chascun desdictz capitoulz trente six livres tournois pour tondures de draps des robbes et manteaulx, fourrures de peaulx blanches, doublures de satin blanc, façon d’iceulx et armines acoustumées tant seulement, et ne sera permis aux capitoulz qui auront esté esleux et receus à l’office de capitoulat prendre ny achapter le drap, fourrure ny doublures des robbes et manteaulx des capitoulz anciens leurs predecesseurs, ains seront neufz, sur peyne d’esmende arbitraire ausdictz capitoulz et chascun d’eulx qui seront trouvés faisant le contraire27 ».

Ce que montrent les images

  • 28 Nous connaissons aujourd’hui 18 feuillets conservés, dont seize aux Archives municipales de Toulous (...)

16La comparaison des textes que nous venons d’analyser avec les « portraits » des consuls toulousains depuis la fin du XIIIe siècle jusqu’au XVIe va nous permettre d’affiner cette étude28.

  • 29 B.n.F., latin 9187.

17La première des représentations du chapitre de la ville se trouve dans le manuscrit des commentaires sur la coutume de Toulouse conservé à la Bibliothèque nationale de France29. Les douze magistrats y sont figurés en groupe, lors de la cérémonie de prestation de serment mutuel avec le viguier. Leurs robes et manteaux sont encore loin d’être uniformisés : si le rouge domine (il semble même y avoir du rouge clair et du rouge plus foncé), deux manteaux sont bruns et un autre bleu, couleur qui apparaît également sur quelques manches des robes. Leurs chaperons sont rabattus sur leurs épaules et quelques-uns portent une sorte de bonnet ; l’un d’eux semble coiffé d’un bonnet ressemblant fort à un béret, ce qui constituerait l’une des plus anciennes représentations de ce couvre-chef.

18Un demi siècle plus tard, en 1352-1353, le premier feuillet conservé des Annales manuscrites les représente en simarres mi-parties d’amarante et d’écarlate (fig. 24), deux nuances de rouge que l’on retrouve sur la peinture que Joan Negrier réalisa pour l’année 1392-1393. Cinq des douze capitouls portent leur chaperon sur la tête, un chaperon dont la visagière est le seul élément visible.

  • 30 Feuillet conservé à la Pierpont Morgan Library de New-York (M 717v°) ; voir l’article à paraître : (...)
  • 31 Et non vertes et écarlates comme l’affirme Robert Mesuret dans la notice qu’il consacre à cette enl (...)

19L’année suivante, en 1353-1354, la partition brun-rouge est de mise (fig. 25), comme elle le sera en 1372-137330, puis en 1367-136831, 1410-1411 et 1411-1412.

  • 32 D’après le manuscrit A.M.T., BB 267, la partition de 1303 était de rouge et de bleu.
  • 33 P. Wolff, op. cit., appendice IV p. 270 ; d’après A.M.T., BB 267, loc. cit., c’était également le c (...)

20Certaines couleurs plus étonnantes pour notre regard contemporain sont également présentes sur les enluminures que nous avons conservées32. En 1409- 1410, c’est l’harmonie du violet avec le rouge qui a la faveur des capitouls (fig. 26), alors qu’en 1438-1439 le peintre Guiraut Salas représente les consuls tenant le dais au-dessus du dauphin Louis dans des tenues mi-parties de rouge et de vert (fig. 27). On pourrait croire dans ce dernier cas qu’il puisse s’agir d’une dénaturation de la couleur noire, mais le compte des robes de cette année fait bien apparaître l’achat de draps vert de Rouen33.

21La partition de rouge et de noir alterne jusqu’à cette période avec les précédentes compositions. On la trouve en 1368-1369, ainsi que l’année suivante, puis de nouveau en 1393-1394 et en 1412-1413, de façon suivie à partir de 1434-1436 et semble-t-il régulièrement depuis 1440 (fig. 28). Nous n’avons malheureusement conservé aucun des feuillets correspondant aux années où les capitouls achetèrent du drap vert-noir (1450-1451, 1453-1454, 1454-1455 et 1464-1465), et nous ne pouvons donc savoir si l’enlumineur avait représenté avec précision cette nuance.

  • 34 D’après les mentions retrouvées, et conformément à l’analyse de R. Mesuret, Les enlumineurs du Capi (...)

22L’époque de la Renaissance fait surtout apparaître une évolution du chaperon, mais qui semble tardive par rapport aux modes des grandes cours : modifié en 1437- 1438 (fig. 29), il disparaît dès 1500-1501 en tant que couvre-chef34. Remplacé par une sorte de bonnet, il s’est transformé en un symbole de pouvoir porté sur l’épaule sous forme d’épitoge (fig. 30).

  • 35 A.M.T., II 625 f° 92.

23Textes et images nous confirment donc ce que, dès 1560, le syndic-archiviste Jean Balard notait avec étonnement : « Capitoulz ou consulz de Thoulouse ont heu les robes de leur capitolat parties le temps jadiz de diverses couleurs comme occulairement apart par le commancement et discours du premier livre des histoires de ladicte ville de Thoulouse auquel et par les peintures estans en icelluy faictes successive[me]nt an pour an desdicts sieurs capitoulz on peult evidemment cognoistre et veoir que lesdictes robbes ont esté quelque fois grizes, quelque fois perses, rouges, verdes, rozades, claires et noires, et que quasi chacun an les sieurs capitoulz muent de couleur depuis l’an 1295 que ledict premier livre des histoires fut comancé35 ».

  • 36 P. Wolff, ibid.

24Il serait fort utile de pouvoir comparer cette variété toulousaine avec celle d’autres villes, en particulier méridionales. Philippe Wolff avait analysé quelques documents de notre région36, mais une recherche systématique dans l’ensemble des pièces comptables consulaires en mettrait certainement à jour de nouveaux. La constitution d’une base de données permettrait d’affiner l’analyse des pratiques vestimentaires des magistrats municipaux et peut-être ainsi de ré-examiner un certain nombre d’idées reçues.

  • 37 A.M.T., BB 10, fol. 196-197.

25En tout état de cause, nos documents confirment l’extrême importance du vêtement cérémoniel urbain dans la Toulouse du bas Moyen Âge. Par la qualité des tissus qui le composent et par la représentation fidèle qui en est donnée dans les peintures des Annales, il s’impose véritablement comme le symbole visible du pouvoir politique dans la Cité. En tant que tel, il va devenir également l’un des signes extérieurs de cette noblesse qu’il importait aux capitouls d’acquérir dans un premier temps, puis de défendre dans un second. C’est ce qui fit, en 1551, l’objet d’un conflit avec le Parlement, que le roi trancha en confirmant l’autorisation accordée aux magistrats municipaux toulousains de porter des vêtements de soie en tant que personnages nobles37.

Annexe 1. Couleurs et tissus des robes et manteaux capitulaires

Annexe 1. Couleurs et tissus des robes et manteaux capitulaires

Annexe 2. Origine géographique des draps capitulaires

Dates

Origine

Type

1385

Montivilliers

gris

1390-1391

Bruxelles

écarlate, garance et brunette

1403-1404

Rouen

sanguine

1403-1404

Bruxelles

garance

1403-1404

Malines

écarlate

1404-1405

Bruxelles

écarlate

1404-1405

Malines

garance

1404-1405

Rouen

englentine

1406-1407

Rouen

sanguine

1406-1407

Montivilliers

sanguine

1406-1407

Malines

garance

1406-1407

Bruxelles

écarlate

1416-1417

Bruxelles

écarlate

1416-1417

Malines

garance

1416-1417

Rouen

morat en grana, sanguine

1420-1421

Angleterre

garance vermeille, estorgo

1438

Rouen

écarlate, rouge et demi graine, vert

1439

Rouen ?

écarlate, rouge et demi graine

 

Lierre

noir

1440

Rouen

écarlate, rouge, vert-noir

1441

Rouen

écarlate, rouge et demi graine, noir

1445

Malines

écarlate et brunette

1445-1446

Florence

garance

1450-1451

Montivilliers

vert-noir

1450-1451

Lille

rouge, brunette

1453-1454

Montivilliers

écarlate, vert-noir

1453-1454

Lille

noir, rouge

1454-1455

Montivilliers

vert-noir

1454-1455

Lille

rouge, brunette

1459-1460

Lille

rouge

1463-1464

Lille

rouge

1464-1465

Lille

noir fin, écarlate, rouge fin en cramoisi

1469-1470

Montivilliers

[noir]

1469-1470

Lille

noir, rouge

1489-1490

Rouen

noir fin, rouge en grana

1489-1490

Montivilliers

noir

1491-1492

Montivilliers

noir fin, noir

1493-1494

Montivilliers

noir fin

1495-1496

Rouen

écarlate fine, écarlate, noir fin

1495-1496

Montivilliers

noir

1500-1501

Rouen

écarlate fine

1500-1501

Montivilliers

noir fin

1500-1501

Paris

noir fin

1502-1503

Rouen

écarlate fine

1502-1503

Paris

noir fin

1506-1507

Rouen

noir

1508-1509

Rouen

noir fin

1511-1512

Rouen

noir fin

1512-1513

Rouen

écarlate rouge fine, noir fin

1513-1514

Rouen

écarlate rouge fine, noir fin

1514-1515

Rouen

écarlate fine, noir fin

1520-1521

Rouen

écarlate rouge cramoisie fine, noir fin

1523-1524

Rouen

écarlate rouge fine, noir fin

1524-1525

Rouen

écarlate rouge fine, noir fin

1526-1527

Rouen

écarlate rouge fine, noir

1527-1528

Rouen

écarlate rouge fine, noir fin

1528-1529

Rouen

écarlate, noir fin de lunestre

1529-1530

Rouen

écarlate cramoisie, noir de lunestre

Notes

1 F. Piponnier et P. Mane, Se vêtir au Moyen Âge, Paris, Adam Biro, 1995, p. 152.

2 Cf. par exemple C. de Mérindol, « Signes de hiérarchie sociale à la fin du Moyen Âge d’après les vêtements. Méthodes et recherches », dans Le vêtement. Histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen Âge, Paris, Le Léopard d’or, 1989 [Cahiers du Léopard d’or n° 1], p. 196 (et note 96) et p. 207.

3 G. Duby (dir.), Histoire de la France urbaine, t. 2 : La ville médiévale, Paris, Seuil, 1980, p. 600.

4 Voir en particulier l’étude remarquable d’A. Rigaudiere, Saint-Flour, ville d’Auvergne au bas Moyen Âge, t. I, Paris, Presses Universitaires de France, 1982, p. 147-148.

5 P. Wolff, Commerces et marchands de Toulouse (vers 1350 – vers 1450), Paris, Plon, 1954, p. 239-240 et appendice IV p. 269-270.

6 Nous nous réservons de traiter, dans un autre cadre, de l’évolution vestimentaire de ces derniers au Moyen Âge.

7 Variantes : folraduras, foldraduras.

8 Nous employons les abréviations classiques de l. (livres) s. (sous) d. (deniers) t. (tournois). Les sommes en écus ont été converties en livres, sous et deniers sur la base à peu près constante au XVe siècle de : 1 écu = 1 l. 7 s. 6 d. t. ; ce n’est que dans le courant de l’année 1516 qu’on leur donna l’équivalence de 2 l. t.

9 Les seules mentions de couturiers que nous ayons trouvées concernent les robes de certains officiers : sonneurs de trompettes en 1343 (A.M.T., CC 1846, p. 93) et hommes du guet en 1518- 1519 (A.M.T., CC 1882, p. 44).

10 D’après le compte de 1343, une pièce contenait 15 cannes, constituée elle-même de 8 pams ou empans.

11 2 pièces et demi de garance et 1 de morat en grana en 1416-1417 (A.M.T., CC 2326 n° 14), 3 pièces de garance vermeille et 3 pièces d’estorgo en 1420-1421 (A.M.T., CC 1856 fol.32-32v°).

12 Il est extrêmement difficile de connaître d’après les textes les dimensions et la couleur des chaperons, que l’on taillait certainement dans le même drap que les manteaux.

13 A.M.T., CC 2336/44 (1463-1464), CC 1866 p. 53 (1464-1465) et CC 1868 p. 44 (1469-1470).

14 A.M.T., AA3/254.

15 Les « creux » s’expliquent en bonne partie par une documentation incomplète pour les années représentées.

16 L’écart augmente dans le dernier quart du XVe siècle en raison de l’accroissement du nombre des officiers ; dans le courant de l’année 1518-1519, la création de 24 hommes du guet aux couleurs et aux armes de la ville créa une dépense supplémentaire importante.

17 D’après le manuscrit A.M.T., BB 267 (« Remarques sur les tableaux qui sont dans les registres de l’Hôtel de ville », peut-être rédigées par Lafaille), la première partition apparaît dans les enluminures en 1303, mais en 1322 les vêtements sont de la seule couleur rouge ; c’est ce qui semble encore le cas en 1343, où seuls sont mentionnés des draps d’écarlate qui donnent d’ailleurs leur nom aux tenues des consuls : las escarlatas dels senhors (CC 1846 p. 91).

18 Pendant tout le XVe siècle cependant, des draps d’Angleterre de moindre qualité servaient à confectionner bon nombre de tenues des officiers de Toulouse.

19 A.M.T., CC 1846 p. 93.

20 A.M.T., CC 1848 p. 100.

21 A.M.T., CC 1856 fol. 32v°.

22 G. de Lafaille, Annales de la ville de Toulouse depuis la réunion de la Comté de Toulouse à la couronne avec un abrégé de l’ancienne histoire de cette ville et un recueil de divers titres et actes pour servir de preuves ou d’éclaircissement à ces Annales, t. 2, Toulouse, Colomyes, 1701, p. 72.

23 A.M.T., BB 9 fol. 149r°.

24 Pour Lafaille, op. cit., t. 2, p. 72-73 : « Letisse est un terme de vieux gaulois, qui ne se trouve dans aucun dictionnaire que je sçache, et que nul peletier ne m’a sçu expliquer : car on ne peut douter qu’il ne signifie une espèce de panne ou de fourrure. C’est dans ce sens qu’il est employé par l’auteur des Arrêts d’amour. Je l’expliquerois icy d’une lisière de fourrure de laquelle on entendoit que ces manteaux fussent bordez, pour marquer qu’ils en avoient esté autrefois doublez » ; La Curne de Sainte-Palaye donne « Letice » et « Lettice » et signale : « La Colombière dit que “letices sont peaux d’hermine sans aucune moucheture” (La Colomb. Th. d’honn. p. 118) ».

25 Ibid., fol. 149v°.

26 Ibid., fol. 155v° (délibération du 9 décembre 1531).

27 Ibid., fol. 156.

28 Nous connaissons aujourd’hui 18 feuillets conservés, dont seize aux Archives municipales de Toulouse, un au Musée des Augustins et un à la Pierpont Morgan Library de New-York ; 26 peintures différentes sur les 209 d’origine.

29 B.n.F., latin 9187.

30 Feuillet conservé à la Pierpont Morgan Library de New-York (M 717v°) ; voir l’article à paraître : F. Bordes, « Sur un feuillet américain des Annales de Toulouse », dans Mémoires de la Société Archéologique du Midi de la France, tome LXI, 2001.

31 Et non vertes et écarlates comme l’affirme Robert Mesuret dans la notice qu’il consacre à cette enluminure dans le catalogue Les enlumineurs du Capitole de 1205 à 1610, Toulouse, musée Paul-Dupuy, 1955, p. 23.

32 D’après le manuscrit A.M.T., BB 267, la partition de 1303 était de rouge et de bleu.

33 P. Wolff, op. cit., appendice IV p. 270 ; d’après A.M.T., BB 267, loc. cit., c’était également le cas en 1362-1363.

34 D’après les mentions retrouvées, et conformément à l’analyse de R. Mesuret, Les enlumineurs du Capitole, op. cit., p. 52-54, il s’agit bien de la peinture de cette année, et non de celle de 1501-1502 comme la présente C. Cau, Les capitouls de Toulouse, Toulouse, Privat, 1990, p. 90-91.

35 A.M.T., II 625 f° 92.

36 P. Wolff, ibid.

37 A.M.T., BB 10, fol. 196-197.

Table des illustrations

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Titre Annexe 1. Couleurs et tissus des robes et manteaux capitulaires
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