Le travail dans la ville
|Conclusion
Texte intégral
1Deux questions essentielles sous-tendent la mise en œuvre des pages qui précèdent. Une première interrogation porte sur l’organisation corporative et sur la façon dont celle-ci déterminait la configuration des économies et des sociétés urbaines. A-t-elle été ou non un facteur de blocage au développement économique ? A-t-elle empêché la mobilité sociale en verrouillant l’accès des métiers ? Parallèlement un questionnement plus ouvert envisage quels changements sociaux ont expérimentés les sociétés urbaines au moment où commençaient à se mettre en place de nouvelles modalités de production, tant au plan des techniques que de l’organisation du travail, qui s’accompagnaient d’une transformation à la fois de la taille des unités de fabrication et du type des acteurs économiques qui y étaient impliqués. L’application de cette double problématique à deux cités qui n’ont nullement été des foyers de l’industrialisation, part du postulat que celles-ci n’en ont pas moins été confrontées à un processus de mutation en profondeur entre le dernier tiers du XVIIIe siècle et le milieu du XIXe.
2L’approche comparée entre France et Espagne met à profit la discordance dans la fin de l’Ancien Régime et dans les niveaux de développement économique, mais aussi les ressemblances dans l’appareil institutionnel et dans la dynamique réformatrice et libérale. Pour autant la mise en parallèle des deux pays à l’époque de l’affirmation de l’État-nation n’est pas ici essentielle, mais bien plutôt la mise en évidence d’écarts et d’équivalences entre configurations sociales locales. C’est l’occasion de dessiner un modèle alternatif d’évolution vers la société industrielle qui corresponde aux cités de l’intérieur ne participant pas directement aux interfaces littorales et plus particulièrement aux métropoles provinciales du sud de l’Europe occidentale, a priori moins réceptives que les régions du nord aux nouvelles modalités de production. Enfin l’application systématique et concrète au stade de la recherche de terrain de la démarche comparative constitue en elle-même un mobile de l’étude. Au terme de cette dernière il s’agit d’apprécier dans quelle mesure, en offrant un instrument de mesure tangible et fiable à l’appréciation des phénomènes observés, elle a permis d’apporter un nouvel éclairage sur chacun des deux versants de l’enquête.
A) – Modalités communes et différenciées de l’ancien régime
3La première et la plus évidente des conclusions que l’on puisse formuler est que les deux villes présentaient vers les années 1770 un faisceau assez extraordinaire de ressemblances.
1. Identité du modèle économique et social
4L’abondance et la profondeur des similitudes tiennent évidemment d’abord aux critères qui ont présidé au choix de deux terrains d’étude permettant de mener à bien une étude comparée : ordre de grandeur démographique ; implantation géographique relativement éloignée des espaces maritimes ; proximité de la chaîne pyrénéenne en situation frontalière, qui limite les échanges avec le pays voisin mais dont la présence n’est pas sans influence sur la destinée de chacune des deux villes ; site riverain d’un cours d’eau majeur que le développement urbain a depuis longtemps franchi ; situation au carrefour de plusieurs axes de circulation essentiels ; importance de l’aire de rayonnement du fait d’une incontestable suprématie dans un rayon de plus de cent kilomètres ; envergure de l’appareil administratif et judiciaire ; fonction religieuse très affirmée ; rôle culturel dû entre autres à la présence d’une grande et ancienne université ; place essentielle de la terre dans l’assise des élites locales pour deux métropoles situées chacune au cœur d’une région céréalière exportatrice. Tels sont les caractères que l’on savait ou pensait être largement partagés par les deux cités.
5Mais si cet ensemble de points communs, auquel il faudrait ajouter la survivance sous une forme ou une autre d’un particularisme régional, était déjà plus ou moins présent à l’esprit au point de départ de l’enquête parallèle qu’on s’est proposée de mener, celle-ci n’en a pas moins eu pour premier mérite de les confirmer. Reste cependant à savoir jusqu’à quel point cet ensemble d’analogies se répercute sur les caractères des économies urbaines et sur la composition des spectres socioprofessionnels qui s’y développaient. Or il est clair que les similitudes mises en évidence à cet égard traduisent et prolongent largement le jeu de miroir auquel on vient de se livrer.
a) Deux cités profondément cléricales
- 1 Cf. chapitre 5.
- 2 Jean-Claude Perrot, Caen au XVIIIe siècle – Genèse d’une ville moderne, Paris, Mouton et É (...)
6La mise en relation des chiffres proposés par différents travaux historiographiques1 débouche ainsi sur une quasi équivalence en ce qui concerne le poids humain du clergé, soit à environ un actif sur huit dans chacune des deux villes. Il y a derrière ce caractère partagé une grande singularité de la métropole languedocienne par rapport à la plupart des autres villes françaises. Pour ne prendre qu’un point de comparaison, celui de Caen étudié par Jean-Claude Perrot fait apparaître que les membres de l’Église ne représentaient guère qu’un actif sur quatorze à une date cependant antérieure à la Commission des réguliers2.
7La place tenue matériellement par l’Église et la façon dont elle imprégnait le quotidien de tous les habitants par son influence ont-elles été des éléments plutôt défavorables au plein développement des fonctions économiques des deux cités ? De ce point de vue, la divergence sensible de leur évolution au début du XIXe siècle, après que la Révolution française a considérablement diminué la position sociale du clergé et détruit l’essentiel de son assise foncière, alors que la dezamortización restait embryonnaire de l’autre côté des Pyrénées, tendrait à prouver que le poids de l’Église était effectivement un élément négatif dans les conditions du développement économique. Encore faudrait-il faire la part des fonctions liées au ministère de Dieu et du rôle de la propriété ecclésiastique, même si, à travers l’exercice de la charité par exemple, les deux avaient partie liée. Il est clair en tout cas que la situation matérielle de l’Église, et surtout des institutions monastiques, pesait lourdement sur l’économie de chacune des deux villes et de leurs environs. Directement d’abord par le biais des prélèvements qu’elle engendrait et dont on peut supposer que le plus clair du produit se trouvait détourné d’un éventuel investissement productif au bénéfice de dépenses somptuaires ou d’œuvres charitables ; mais aussi à travers leur emprise sur le sol et l’ampleur de leur fortune immobilière qui freinaient ou empêchaient des aménagements de l’espace urbain et de ses marges conformes aux règles de la rationalité économique et leur occupation par des unités de production ou d’autres établissements ayant une fonction économique marquée. La puissance matérielle était du reste un vecteur de l’influence morale. Ainsi la multiplicité des couvents dans chacune des deux villes permettait aux corps de métier de tenir leurs assemblées dans les locaux dont les religieux leur laissaient un usage périodique pour honorer leur saint patron et développer des liens confraternels qui instituaient une sacralisation de l’organisation corporative.
b) Organisation corporative et reproduction professionnelle
- 3 Georges Hanne, « Les Barbiers-perruquiers de Toulouse et leurs employés à la fin de l’Anci (...)
- 4 Steven L. Kaplan, La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001. Sur la question de l’appli (...)
8Le grand nombre des communautés professionnelles et leur vitalité dans les deux métropoles régionales ont donc partie liée avec la puissance matérielle et morale du premier ordre. Si l’égalité relative de l’effectif global du monde corporatif n’est obtenue qu’en faisant abstraction du fait qu’à Toulouse les petits commerçants étaient regroupés dans un corps qui les rattachaient à la Bourse des marchands, l’essentiel est que dans chacune des deux villes une majorité des actifs impliqués dans l’économie urbaine relevait d’un organisme corporatif, ce caractère étant cependant plus marquée encore à Toulouse qu’à Saragosse. Car, contrairement à l’idée que les corporations n’étaient plus dans les dernières décennies de l’Ancien Régime en France qu’une sorte d’archaïsme et de survivance, il faut souligner qu’en l’occurrence l’imprégnation de l’économie urbaine par la structure corporative était plus importante sur le terrain toulousain, qu’à Saragosse. Qui plus est, l’analyse de la composition onomastique des listes des professionnels incorporés laisse entrevoir que les liens de parenté jouaient dans l’accession à la maîtrise un rôle plutôt moins important sur les rives de l’Èbre. Mais il est vrai que la maîtrise aurait représenté un seuil moins difficile à franchir et en tout cas moins net à Saragosse, où il était devenu fréquent que des artisans sans ouvrage se mettent au service d’un de leur collègue, tandis qu’au bord de la Garonne l’exemple des perruquiers montre qu’il n’y avait qu’une mince coïncidence entre les patronymes des employés et ceux de leurs patrons3. Contrairement à ce qui s’est passé dans le ressort du parlement parisien et dans certains autres avec la mise en œuvre d’un néocorporatisme après l’échec de l’abolition éphémère de 17764, les corporations toulousaines donnent donc le sentiment d’avoir gardé un degré de vitalité élevé. Celui-ci dépassait en tout cas celui des gremios saragossans à la même époque et l’appartenance à un corps de métier avait à Toulouse des implications plus fortes qu’à Saragosse.
- 5 Edward Shephard, « Social and Geographic Mobility of the Eighteenth-Century Guild Artisan (...)
- 6 Cela rejoint un débat déjà ancien entre historiens quant à la fonctionnalité du système co (...)
9Au total cependant, l’enquête parallèle montre surtout que la parenté tenait dans le monde des métiers à peu près la même place dans les deux villes, où environ quatre nouveaux entrants sur dix étaient des fils de maîtres. Cette proportion et le fait que la réitération de la reproduction professionnelle sur plusieurs générations ait été semble-t-il assez rare indiquent par ailleurs que la part tenue par les liens familiaux en ligne directe était loin de verrouiller l’accès aux corps de métier. Les cas de Toulouse et de Saragosse donnent l’impression de correspondre assez bien au modèle dégagé dans le cas de Dijon par Edward Shephard5. Selon cet auteur, le monde des métiers dijonnais occupait une position transitionnelle dans les itinéraires de mobilité à la fois sociale et géographique étalés sur plusieurs générations qui existaient entre des couches d’origine rurale immigrées à la ville et les milieux de la judicature et plus généralement de l’encadrement social fortement représentés dans la métropole bourguignonne. Il est assez clair en tout cas qu’à Toulouse et à Saragosse comme à Dijon, les métiers urbains n’étaient pas sclérosés par la domination sans partage d’un mode de recrutement endogène et que si la structure corporative représentait un facteur de blocage, c’était plutôt au plan économique qu’au niveau social6.
c) Pesée de l’économie urbaine : une équivalence relative
- 7 La place des commerçants se révèle être dans les deux cas du quart, soit environ un vingti (...)
10Autre ressemblance à souligner, l’ensemble des professionnels indépendants impliqués dans l’économie urbaine formait dans la seconde moitié du XVIIIe siècle une masse démographique d’un ordre de grandeur approximativement équivalent, correspondant à un quart environ de la population active à Toulouse et à un cinquième à Saragosse si l’on ne prend pas en compte les troupes nombreuses qui y stationnaient. Plus encore, au sein même de l’économie urbaine, une fois éliminés les effets de la disparité des sources, les parts respectives des spécialistes de l’échange7 et celle des producteurs indépendants voués aux activités de transformation étaient très proches, le différentiel des effectifs étant un peu moindre en ce qui concerne la fonction commerciale que l’économie productive, où il est plus représentatif de l’écart démographique. Dans les deux cas cependant, la sphère de l’économie urbaine représente un volume d’emploi nettement plus important si l’on y inclut la masse de la main-d’œuvre dépendante qui y était impliquée, dépassant alors 37 % des actifs à Toulouse vers 1770 et atteignant quelque 28 % à Saragosse en 1723.
- 8 À Caen la proportion était d’environ 45 % d’après Jean-Claude Perrot, Caen au XVIIIe…, p. (...)
11Dans un cas comme dans l’autre la sphère de l’économie productive et des échanges n’occupait donc qu’une forte minorité de la population, fraction qui dans d’autres cités représentait près de la moitié du volume de l’emploi8. Ce constat montre en tout cas que la ville ne saurait se définir à l’aide de critères strictement économiques, comme par exemple la minoration de la place tenue par la mise en valeur de la terre et que des éléments de nature politique, culturelle et sociologique sont à prendre en considération. Les espaces urbains font d’abord figure de lieux de concentration de catégories sociales marquées du signe de la domination, celle-ci s’effectuant directement à travers l’exercice de pouvoirs, mais aussi de façon plus subtile par le biais d’un contrôle des conduites sociales.
d) Correspondance des fonctions économiques
12Au demeurant la correspondance des fonctions économiques, traduite par les positions occupées par certaines branches professionnelles, est souvent remarquable. Ainsi en est-il de la faiblesse du poids humain des métiers attachés au travail des métaux ou de la relative modestie de la place de l’habillement, du moins en ce qui concerne l’artisanat reconnu et très majoritairement masculin qui s’y consacrait officiellement, ou encore de la prépondérance du secteur alimentaire, qui occupait un actif sur huit ou six parmi ceux qui étaient mobilisés par l’économie urbaine. Dans ce dernier cas, si les pratiques de consommation faisaient encore dans les deux métropoles une place importante aux nourritures, qui devaient représenter une part importante des budgets, il ne semble pas en revanche que le rayon de chalandise des produits alimentaires locaux ait été très étendu. Par ailleurs la correspondance entre les deux terrains de l’enquête existe aussi en ce qui concerne les effectifs, aussi bien au niveau des professions les plus exercées qu’à celui des activités génératrices d’un faible volume d’emploi.
e) Le rôle essentiel du service domestique
13Cependant l’économie urbaine marchande ne recouvrait que très partiellement, même en ville, la sphère des tâches matérielles. Pour l’immense majorité de la population la charge de ces dernières retombait sur les membres de la famille stricto sensu, mais dans bon nombre de cas elle incombait aussi, et dans une proportion considérablement plus forte en milieu urbain qu’à la campagne, à tout un monde de serviteurs. La prolifération de ces derniers reflétait non seulement la richesse d’une couche, nécessairement étroite, de vrais nantis, mais également l’aisance de strates intermédiaires qui représentaient une forte minorité des habitants. Or la place tenue par la domesticité parait avoir été d’environ un actif sur quatre dans chacune des deux villes. Certes, cette évaluation doit d’être nuancée à Saragosse si l’on considère que le terme de criado désignait parfois des individus qu’on peut considérer comme des assistants du chef du foyer dans son activité professionnelle plus que comme des gens de maison à proprement parler.
14Il reste néanmoins clair que le volume d’emploi généré par le service domestique représentait dans les deux cités une masse comparable à celle qui répondait aux principales fonctions économiques urbaines, même si dans le cas de Toulouse l’avantage revenait indéniablement à ces dernières. Si on se limite à la sphère de la subordination en revanche il ne fait pas de doute que la condition de serviteur était vécue par beaucoup plus de Toulousains et de Saragossans que celle correspondant à un emploi de type salarial. L’une et l’autre ne s’opposaient d’ailleurs pas nécessairement, surtout en Espagne où la séparation entre les tâches domestiques et professionnelles n’était pas claire. La profusion des domestiques ne manquait pas quoi qu’il en soit d’avoir des effets sur la tonalité générale et la nature même des relations qui se tissaient entre les différentes couches de la société.
f) L’expérience ordinaire du travail dépendant
- 9 Ce ratio qui est plutôt un minimum à Toulouse pour les décennies précédant la Révolution, (...)
- 10 Cette image est d’ailleurs paradoxalement véhiculée par Rosa María Blasco Martínez et Jesú (...)
- 11 Il faudrait d’ailleurs aussi tenir compte de l’apprentissage pour avoir une meilleure idée (...)
15À condition de considérer qu’une fraction des travailleurs embauchés dans les ateliers artisanaux saragossans étaient désignés comme criados, le rapport qui s’établissait au sein du monde du travail urbain entre maîtrise et subordination n’était pas foncièrement différent à Saragosse de ce qu’il était à Toulouse, à savoir environ un employé pour deux acteurs indépendants9, en dépit de l’image souvent colportée par l’historiographie espagnole10. Il existait dans chacune des deux villes, à côté d’une multitude de petits ateliers familiaux, un certain nombre d’unités de production dont le niveau d’activité nécessitait l’embauche permanente d’une main-d’œuvre salariée plus ou moins abondante. L’existence d’une forte minorité d’unités économiques qui avait recours au travail d’éléments extérieurs à la famille stricto sensu signifie qu’une majorité d’individus impliqués dans l’économie urbaine et plus encore dans le secteur productif faisait l’expérience à un titre ou un autre d’un rapport entre patron et ouvrier11.
g) Complémentarité entre artisanat et institutions d’encadrement
16Le nombre des similitudes, voire des équivalences dans l’organisation économique et dans la composition socioprofessionnelle paraît donc refléter l’identité du type général des deux cités, pressentie au point de départ de l’enquête. Cette confirmation prend toutefois un relief particulier dans le cas d’une étude comparée qui met en parallèle deux pays dont l’un peut être considéré comme étant encore à la pointe du développement économique et de la modernisation, tandis que l’autre fait figure de retardataire, voire à certains égards d’élément archaïque à l’échelle de l’Europe occidentale.
17Les deux cités relevaient en effet d’un même modèle économique et social marqué par la coexistence de larges groupes appartenant aux élites traditionnelles et de couches artisanales nombreuses, l’activité des seconds étant assez largement conditionnée par la demande de consommation des premiers. Par ailleurs les fonctions religieuse, administrative et judiciaire auxquelles se rattachaient la présence et l’importance numérique des élites, offraient sans doute une possibilité d’ascension sociale aux milieux artisanaux, puisque la relative ouverture des métiers laisse supposer l’existence d’une sortie par le haut compensant les entrées par le bas. La proximité des configurations sociales et des organisations économiques rejoint d’ailleurs celle des préoccupations des couches supérieures, dans des sociétés qui restaient structurées par un même type de régime, au plan des institutions organisant leur fonctionnement, comme à celui des représentations qui les sous-tendaient.
2. Singularité des économies locales
18Une fois mise en évidence l’identité du modèle social, il devient surtout instructif de faire l’inventaire des singularités qui se manifestent dans la ventilation des effectifs par branches d’activité et de prendre la mesure des écarts.
a) Une économie saragossane qui reste sous l’empire du besoin
19La place occupée à Saragosse par la chaîne de transformation des produits alimentaires traduit ainsi celle qu’y tenait la terre. Le secteur des activités de transformation semble y avoir été directement rattaché à la sphère du travail agricole dont les rythmes continuaient à scander le temps des habitants. Mais si dans une certaine mesure la disponibilité et la mise en valeur des ressources naturelles sont en cause, l’ampleur relative, en termes d’emploi, de la production des denrées comestibles est surtout le reflet de la structure de la consommation saragossane. De la même façon, l’importance prise au bord de la Garonne par la filière viande ou, inversement, la part relative des actifs impliqués dans la panification à Saragosse traduisent le différentiel de la richesse globale entre les deux villes. L’aisance d’une fraction non négligeable de Toulousains transparaît également dans le nombre des professionnels qui se consacraient à la préparation des mets.
b) Amorce et retard de la révolution vestimentaire
20En revanche, l’habillement, qu’on conçoit pourtant comme un besoin moins essentiel que l’alimentation, ne met pas en jeu de disparité remarquable en faveur de Toulouse. Cependant, au-delà de la relative équivalence des effectifs des professions reconnues et le plus souvent structurées en corps qui y étaient consacrées, trois éléments sont ici à prendre en considération. D’abord, l’existence attestée à Toulouse d’un nombre assez important de commerçants spécialisés dans la vente ou la revente de vêtements et d’objets de toilette, alors qu’à Saragosse aucune indication ne permet de supputer la présence de professionnels de ce type, qui apparaissent au demeurant par la suite sur les répertoires fiscaux. En second lieu, la branche vestimentaire toulousaine se singularise par la place qu’y prend le travail féminin tandis que, là aussi, les sources aragonaises restent muettes, alors même que les femmes n’étaient pas systématiquement exclues du décompte des actifs imposables. Enfin, plus sûrement cette fois, la différence des revenus moyens dans la branche constitue un indice fiable du fait que la consommation vestimentaire était source de bénéfices globalement plus importants dans la cité languedocienne que dans celle de l’Èbre. En définitive il parait probable que l’habillement ait été plus dynamique dans la première que dans la seconde et ait donné lieu à une gamme plus large de métiers de niveaux diversifiés qui répondaient à une demande plus soutenue.
c) Le textile : survie ou dispersion
- 12 On peut se reporter au cas de Grenade (cf. Georges Hanne, « Société et propriété… ») ou à (...)
- 13 Jean-Michel Minovez, L’impossible croissance du Midi toulousain ? Origine d’un moindre dév (...)
21Tel n’était apparemment pas le cas de la branche située en amont dans la filière vestimentaire, en raison essentiellement de l’importance prise à Saragosse par le travail de la soie. Car la branche lainière, qui était la plus développée dans le Toulousain, nécessitait dans l’ensemble un moindre niveau de qualification et était plus dispersée. Elle procurait une activité complémentaire à beaucoup de foyers ruraux et constituait l’occupation principale de certains d’entre eux comme le montre l’examen des registres de capitation des localités avoisinantes12. Par ailleurs il est clair que les lieux du plus grand développement de la manufacture ne se situaient pas à Toulouse même ou dans ses environs immédiats, mais bien plutôt dans l’Albigeois et le Comminges13 et plus encore dans la généralité de Montpellier, à Carcassonne ou Lodève, tandis que la cité de l’Èbre figurait en revanche comme place textile d’importance en Aragon, la concurrence la plus dangereuse venant ici de la principauté voisine.
d) La mesure du dénivelé
22À un niveau plus global enfin, l’appréciation des données de la comparaison diffère selon qu’on est attentif aux ordres de grandeur ou qu’on cherche à interpréter les disparités existantes. Ainsi, bien que la pesée de l’économie urbaine exprime une certaine analogie puisque dans les deux cités celle-ci ne mobilisait qu’une minorité des habitants, il n’en reste pas moins qu’elle représentait un gros tiers, voire près des deux cinquièmes des actifs à Toulouse et en occupait seulement au maximum trois sur dix à Saragosse et à peine un sur quatre en tenant compte des militaires.
3. Facteurs et signes d’un écart de développement
a) Aux marges de l’économie urbaine
- 14 Cf. Guillermo Pérez Sarrión, Agua, agricultura y sociedad en el siglo XVIII – El Canal Imp (...)
23L’écart tient en partie au fait que la population agricole était considérablement plus nombreuse dans la capitale aragonaise. La différence de dimension des territoires municipaux n’est pas ici en cause puisqu’en réalité, la plus grande partie des habitants des noyaux secondaires de peuplement situés sur le término saragossan n’entrent pas dans le décompte14. En revanche l’étendue de ce territoire cultivable conditionnait indéniablement toute la vie de la cité de l’Èbre et plaçait les questions touchant à l’appropriation de la terre et à sa mise en valeur au cœur des préoccupations des élites locales, à un degré sans doute très supérieur à ce qu’il pouvait en être à Toulouse. Au-delà de la disparité des découpages administratifs, la disposition du peuplement dans les deux milieux environnants fait aussi contraste. L’agglomération urbaine saragossane n’avait autour d’elle, dans un rayon pouvant atteindre plusieurs dizaines de kilomètres en certaines directions, aucune localité qui atteignit un millier d’âmes et quelques-unes seulement qui dépassaient le demi-millier. Les aldeas situées sur le territoire de la capitale aragonaise, comme celles qui aux confins de celui-ci relevaient des términos voisins, constituaient le plus souvent de très petites unités de population (cartes).
- 15 La croissance démographique des ces noyaux de peuplement a été d’ailleurs semble-t-il au m (...)
- 16 Les brassiers pouvaient représenter jusqu’à près de la moitié de la population, comme dans (...)
24Il est vrai qu’aux abords immédiats de la métropole languedocienne, les agglomérations de plus de deux milliers d’habitants n’étaient qu’en nombre très restreint − Muret à une quinzaine de kilomètres, Grenade à une bonne vingtaine, Fronton à une petite trentaine −, mais il existait un assez grand nombre de gros villages qui atteignaient ou dépassaient le millier d’habitants15. Ainsi la population à vocation agricole − la masse profuse des brassiers − s’agglomérait dans les villages ou les bourgs qui environnaient la cité garonnaise16 et où les journaliers pouvaient trouver à louer leurs bras. Dans l’Aragon médian la propension naturelle des ruraux démunis à venir dans la ville principale, où ils trouvaient comme leurs homologues toulousains des opportunités diversifiées de gains et de moyens de survie, était encore renforcée par l’absence de foyers de peuplement de quelque importance alentours. La cité de l’Èbre faisait à la fois figure de centre d’embauche pour les travaux saisonniers agricoles et de pôle d’attraction urbain majeur, ce dernier caractère se trouvant accentué par l’écart de dimension qui distinguait fortement la capitale régionale des autres cités aragonaises.
25Néanmoins la masse des indigents dans la métropole languedocienne ne peut être bien perçue et encore moins mesurée à l’aide des registres de l’impôt personnel d’Ancien Régime. Ces miséreux que la documentation fiscale ne nous permet pas de saisir ne formerait-ils pas le pendant des jornaleros saragossans ou du moins des plus mal lotis d’entre eux ? Les résultats du recensement toulousain de 1821, dont on peut penser qu’il était assez exhaustif dans son approche de la population résidente, montrent en tout cas une augmentation de la masse des travailleurs agricoles dépendants par rapport aux registres de la capitation, même si l’écart relativement à la proportion calculée à partir du censo aragonais de 1787 ne disparaît pas pour autant. L’inscription d’un individu comme brassier dans le recensement de 1821 à Toulouse aurait donc une signification approximativement identique à celle de jornalero à Saragosse quelque 34 ans plus tôt.
26Dans un cas comme dans l’autre cependant, le véritable indigent, vieillard démuni, malade sans soutien, mendiant sans abri, ne relève-t-il pas d’une autre espèce sociale que celui qui peut et veut louer la force de ses bras dès que l’occasion s’en présente ? Répondre par l’affirmative revient à considérer que si miséreux il y avait au bord de l’Èbre, c’est dans la sphère de l’inactivité ou plutôt de l’absence d’état qu’ils ont été relégués par les réalisateurs du censo, tandis qu’à Toulouse leur éventuelle présence sous l’Ancien Régime ne concernait pas ceux qui tenaient les rôles de capitation. Ce raisonnement aboutit à admettre que le nombre des travailleurs agricoles était nettement supérieur à Saragosse qu’à Toulouse, même en faisant abstraction en ce qui concerne la première des hameaux de peuplement rural qui se situaient sur son territoire.
b) La supériorité du dynamisme commercial toulousain
27Si le poids humain relatif de l’économie productive et de la sphère des échanges semble avoir été assez similaire d’une ville à l’autre, deux différences essentielles sont cependant à souligner en ce qui concerne la seconde.
- 17 Antonio Peiró Arroyo, « Comercio de trigo y desindustrialización : las relaciones económic (...)
28La première réside dans l’écart des niveaux de fortune du monde du commerce, qui traduit probablement une plus sensible opulence des milieux négociants à Toulouse, reflet sans doute d’un rayon d’action plus vaste et d’un volume d’affaires plus important. Nul doute d’ailleurs que dans un cas comme dans l’autre il s’agissait majoritairement de commerce de produits agricoles et plus particulièrement de grains. Mais il est probable, c’est du moins ce que nous dit l’historiographie aragonaise17, que la maîtrise dans la région de Saragosse en échappait pour une grande part aux acteurs économiques locaux, ce qui n’était apparemment pas le cas dans le Toulousain.
- 18 Le censo de 1723 présente ce degré de précision (cf. Rosa Maria Blasco Martínez et Jesús M(...)
29Une autre divergence, qui est en partie le corollaire de la précédente et qui ne semble pas être entièrement réductible à la disparité des sources, concerne les activités de service. Le volume des flux de marchandises et l’intensité de la circulation paraissent avoir généré à Toulouse une multiplication des acteurs économiques spécialisés dans le portage des matières et des biens, alors que le nombre des personnes mobilisées par ce type d’activités restait très faible à Saragosse, même d’après les sources comportant une taxinomie professionnelle précise18. Les difficultés de circulation dans une Espagne encore peu modernisée en ce domaine constituent un premier élément d’explication, même si le recours plus systématique au bord de l’Èbre aux animaux bâtés se traduit par l’importance numérique de ceux qui les conduisaient. A contrario le rôle de Toulouse comme place commerciale centrale, à partir de laquelle s’effectuait une redistribution vers d’autres destinations, n’est pas pour rien dans la disparité entre les deux cités.
c) Quelsmaîtres ? Combiendeserviteurs ?
30La différence quant au volume global de l’emploi généré par les deux économies urbaines renvoie enfin à la place, plus importante au bord de l’Èbre, de l’élite et des couches qui n’étaient pas directement impliquées dans la production. Cette disparité s’observe d’abord pour les ecclésiastiques, surtout si l’on se place dans les dernières décennies de l’Ancien Régime du côté français, mais plus encore en ce qui concerne la noblesse, sensiblement plus nombreuse en Aragon et à Saragosse en particulier qu’à Toulouse. Mais, en ce domaine également, les caractères démographiques et géographiques de chacune des deux régions se font peut-être sentir. Sur les rives de la Garonne, les familles nobles et celles dont la richesse les plaçait sur la voie de l’anoblissement ou leur permettait de se comporter en aristocrates avaient en effet au moins deux résidences. L’une se trouvait à Toulouse même, où certains de leurs membres exerçaient une charge, au Parlement ou dans d’autres instances judiciaires, et où tous avaient en tout cas des occupations et un faisceau de relations à entretenir, qui pouvaient passer par les loges maçonniques, les académies ou les confréries de dévotion, et trouvaient l’occasion dans les salons ou les salles de spectacles ou de jeux, comme au moment des fêtes ordinaires ou des festivités à caractère exceptionnel, de mener un train de vie constitutif de leur position sociale. Cela ne formait néanmoins qu’une partie de leur quotidien, car dans le Toulousain peut-être plus encore que partout ailleurs, la clef de la reconnaissance sociale résidait dans un ancrage foncier et plus précisément domanial qui supposait l’entretien et l’occupation d’un château ainsi que la perception de rentes provenant des terres qui l’environnaient et souvent l’exercice de droits seigneuriaux à l’égard des paysans qui les mettaient en valeur. Or une fraction de cette noblesse, qui vivait de fait entre un hôtel particulier et une demeure rurale, s’acquittait de l’impôt personnel dans la localité correspondant à la seconde, bien qu’en réalité elle passa au moins la moitié de son temps à Toulouse.
- 19 Pour autant la proportion de l’état nobiliaire était à Saragosse inférieure à ce qu’elle é (...)
31Les conditions de vie propres au milieu physique de la partie médiane de l’Aragon et à l’absence de noyaux consistants de peuplement dans les environs immédiats de la ville diminuaient au contraire les attraits de la villégiature dans les maisons rurales situées à proximité de Saragosse19. Par ailleurs il est certain que la fonction militaire, dont est restée longtemps privée ou soulagée, c’est selon, la métropole languedocienne, participait notablement dans la capitale aragonaise à renforcer la part d’une noblesse qui accaparait tous les grades supérieurs. Si la terre et le patrimoine foncier urbain étaient en revanche appropriées par l’aristocratie dans une proportion au moins équivalente au bord de la Garonne que sur les rives de l’Èbre, il faut aussi tenir compte ici des caractères du régime seigneurial qui dans cette partie de l’Aragon participaient à créer pour l’aristocratie locale les conditions de la domination sociale.
32La possible sous-représentation des élites nobiliaires à Toulouse relativement à l’impact réel de leur présence peut d’ailleurs contribuer à expliquer que le volume de la domesticité n’y ait pas été moindre qu’à Saragosse, ainsi qu’on aurait pu s’y attendre puisque le nombre des serviteurs était un élément essentiel du rang et du statut social. Mais il faut aussi rappeler que la noblesse aragonaise était fortement clivée et que la partie proprement aristocratique de l’ensemble de la strate nobiliaire était en définitive assez mince. Les infanzones et autres hidalgos avaient un train de vie considérablement plus modeste et ne pouvaient se permettre de gager une multitude de gens de maison. Par ailleurs la proportion des domestiques dans une ville tient également à l’épaisseur des étages intermédiaires du corps social et l’on doit constater qu’à Toulouse les foyers qui disposaient au moins d’une servante constituaient une forte minorité. La régression apparente de la place de la domesticité entre 1723 et 1787 à Saragosse ne pourrait-elle pas alors signifier que les décennies qui séparent les deux dates n’ont pas donné lieu à un développement de la bourgeoisie dans la capitale aragonaise ? Effectivement la progression numérique des couches les plus dynamiques, notamment dans la sphère des échanges, et celle du monde des serviteurs varient à Toulouse dans le même sens, en dépit du fait que l’abondance de la domesticité constituait sans doute une limite ou un frein au développement économique.
d) Un élément discriminant : le poids des classes intermédiaires
33Le dénivelé qui se distingue dans le dynamisme économique des deux villes ne provient-il pas alors essentiellement de la relative atonie de la demande locale à Saragosse ? Les secteurs non directement impliqués dans la production, comme l’armée ou l’Église, y formaient une forte proportion de la population, qui prélevait une part importante des richesses produites sans passer par les circuits de l’échange, mais ne généraient que peu de consommation sur le marché. À l’inverse, dans la métropole languedocienne, le monde de la judicature, celui de la rente laïque ou encore du négoce et de la marchandise participaient d’une richesse ou d’une aisance qui trouvaient matière à dépenses.
34La cité de l’Èbre aurait donc souffert d’un déficit de classes intermédiaires urbaines, dû à la fois à sa ruralité et à une différenciation sociale particulièrement marquée mettant en présence une masse de travailleurs au bord de l’indigence et des groupes sociaux que leur fonction, leur statut ou leur richesse dispensaient d’une intervention directe dans l’économie. La conscience de ces freins n’était d’ailleurs pas absente dans les secteurs les plus éclairés de l’élite, qui dans les dernières décennies du XVIIIe siècle n’ont pas ménagé leurs efforts pour tenter d’impulser un surcroît de dynamisme à l’économie aragonaise. Toulouse, où la problématique du progrès économique faisait sans doute l’objet d’un traitement moins systématique, semble en revanche avoir bénéficié d’un environnement plus fertile en ressources et plus dense au plan démographique, mais aussi d’un rôle judiciaire et administratif particulièrement développé qui avait des retombées directes et indirectes sur le volume de la demande.
B) – Rythmes et sens d’évolution au XIXe siècle
35Dès le moment où l’on met en parallèle l’évolution les deux cités au cours des premières décennies du XIXe siècle, il apparaît néanmoins que vers 1770 les différences qui les opposaient restaient marginales
1. De l’évidence de la divergence à l’hypothèse du décalage
a) Modalités et mesure de l’écartement, repérage des pistes explicatives
36À la fin des années 1820, la capitale aragonaise avait sans doute à peu près récupéré le niveau de population atteint six décennies auparavant, la sphère de l’économie urbaine retrouvant un volume apparent d’emploi équivalent. Pourtant la distribution des unités économiques imposées entre le secteur productif et celui des échanges s’était complètement transformée, le premier ayant perdu un tiers de son effectif, tandis que le nombre des commerçants avait plus que doublé. La cité garonnaise, qui se trouvait dès le début des années 1820 au début d’un puissant mouvement de reprise démographique, avait été de son côté le théâtre de transformations économiques et sociales essentielles qui étaient passées par un accroissement, de l’ordre de la moitié, de l’ensemble des actifs impliqués dans la production et la commercialisation des biens, tandis que reculaient la part des couches vouées à l’encadrement de la société ainsi que celle de la domesticité.
37Avant de s’engager dans l’explication socio-économique d’une divergence aussi nette entre les deux villes, il faut d’abord savoir dans quelle mesure il est légitime de déduire des données dont on dispose de part et d’autre l’évolution effective des volumes d’emploi. A priori deux possibilités de déformation de l’image qui nous est renvoyée peuvent être mises en avant : soit l’erreur éventuelle est inhérente à la documentation et provient d’une inadéquation entre les sources utilisées aux deux dates de référence, soit il faut admettre qu’une transformation essentielle s’est produite en amont, dont les archives utilisées ne rendent pas compte et qui biaise les informations qu’elles fournissent.
38La première supposition ne peut être évoquée qu’à propos de Toulouse, puisque la nature des sources ne varie pas sur le versant espagnol de l’étude, mais il semble bien qu’à condition d’exclure le travail féminin, dont d’ailleurs en valeur absolue l’augmentation de la part est surtout sensible dans le monde de la domesticité, on ne puisse renvoyer purement et simplement la progression de l’économie urbaine à la disparité des sources, d’autant que la meilleure prise en compte de la partie la plus misérable de la population sur le recensement de 1821 par rapport à la capitation, pour réelle qu’elle fusse, se retrouverait plutôt dans l’augmentation importante du nombre des journaliers agricoles.
- 20 Dans ce cas il y aurait un gonflement très sensible de la main-d’œuvre salariée, totalemen (...)
39La seconde possibilité est plutôt envisageable dans le cas de Saragosse car, à l’inverse de la vision proposée par la documentation française, les répertoires fiscaux aragonais ne font apparaître que les unités économiques et non l’effectif des travailleurs dépendants. Le degré d’incertitude est ici plus important, mais il semble improbable que la concentration des entreprises et la prolétarisation des agents économiques les plus faibles aient été très marquées à Saragosse. À Toulouse en tout cas, les sources donnent au contraire le sentiment que s’est produit un phénomène de multiplication des initiatives, résultant pour une part de l’ouverture du champ professionnel après l’abolition des corporations. À cet égard l’hypothèse contraire, qui reviendrait à considérer la forte augmentation, en valeur absolue mais aussi relative, des indépendants comme un pur artefact produit par l’utilisation d’un autre type de source, pourrait éventuellement permettre de faire se rejoindre les trajectoires des deux cités20.
b) Sous-traitance et production domestique : l’ambiguïté des conditions laborieuses
40Mais avant d’explorer cette piste, ne doit-on pas souligner que la frontière entre indépendance et subordination, entre vente du produit du travail et perception d’une rétribution pour ce dernier est sans doute devenue plus floue que jamais en France au début du XIXe siècle, après que la disparition de la structure corporative a abaissé la barrière morale et sociale entre maîtres et compagnons. Dés lors que les artisans ayant pignon sur rue ont perdu la possibilité de contrôler eux-mêmes et de poursuivre ceux qui travaillaient sans exercer licitement de façon indépendante − ce qui supposait généralement une appartenance à la corporation − et sans être placé officiellement chez un maître, il devient beaucoup plus difficile de circonscrire étroitement le champ d’une activité et le nombre de ceux qui la pratiquaient. Ce n’est que lorsque les conditions techniques de la production imposent la mise en place de grandes unités de production et entraînent une parcellisation des tâches, c’est-à-dire en certains domaines fort tard dans le XIXe siècle, voire au XXe siècle, que le décompte départageant entrepreneurs et travailleurs dans une branche redevient une opération valide et fiable.
- 21 Steven. L Kaplan, « Les corporations, les “faux-ouvriers” et le faubourg Saint-Antoine, au (...)
41La séquence intermédiaire, celle précisément qui retient notre attention, peut être envisagée comme une sorte d’apogée des travailleurs en chambre. Le travail à domicile, soit en sous-traitance pour un acteur économique exerçant la même activité, soit à la pièce pour un marchand fabricant ayant le contrôle de la filière de production en amont et en aval, était d’ailleurs déjà à l’époque corporative une pratique fort répandue malgré le fait qu’elle ait été généralement illégale ou du moins théoriquement circonscrite dans l’espace21. La suppression de ces limites a très probablement multiplié les occurrences de ce genre de situation tout en lui faisant perdre son caractère spécifique et marginal, dans la mesure où l’aspect occulte et informel perdait en grande partie sa raison d’être. En bien des domaines l’exercice d’un métier ne nécessitait pas l’ouverture d’un fonds de commerce et la patente ne représentait d’ailleurs pour l’État qu’une recette fiscale assez minime, l’intérêt du fisc se concentrant sur les impôts indirects.
c) Transposition sur le terrain espagnol dans un contexte d’érosion de la structure corporative
- 22 Geneviève Bertrand, Les corps de métiers à Toulouse depuis le début du XVIIIe siècle jusqu (...)
42Une fois postulée la mise en place de cette nouvelle donne de ce côté-ci des Pyrénées, ne peut-on imaginer qu’une évolution du même genre se soit produite sur l’autre versant ? Certes, différence essentielle, l’abolition des corporations n’y a été que très éphémère, mais certaines d’entre elles, − assez nombreuses, se sont néanmoins effectivement éteintes et nombre de celles qui restaient en vie dans les années 1820 étaient sur la voie de la dissolution. Il semble du reste que les gremios espagnols, tout du moins à Saragosse, aient eu dès le XVIIIe siècle plus de difficultés à faire respecter leurs droits exclusifs que les corporations françaises, notamment à Toulouse, où celles-ci avaient réussi à se maintenir dans la plupart des activités urbaines et à garantir le respect au moins formel de leur monopole22. Il n’est pas alors improbable que les répertoires industriels, qui correspondaient bien à l’organisation corporative des métiers, aient perdu progressivement leur exhaustivité et qu’une fraction de plus en plus importante des acteurs économiques aient renoncé à un exercice indépendant déclaré, au bénéfice d’un travail pour le compte et par l’intermédiaire d’un entrepreneur, s’exemptant par la même occasion du poids de la contribution au titre de leur activité. La forte progression du monde du commerce parallèlement à l’effondrement du secteur productif pourrait alors correspondre pour une part au cas du travail à façon pour un marchand qui devient aux yeux de l’administration fiscale le seul acteur économique visible et imposable.
43Par ailleurs, tant qu’une profession conservait un organisme corporatif, ceux qui y appartenaient continuaient à être répertoriés comme membres du gremio et nous apparaissent comme des agents économiques autonomes, quand bien même ils ne tenaient pas ou plus boutique ouverte, soit qu’ils aient été réduits au chômage, soit qu’ils aient été en situation provisoire ou durable d’employés auprès de collègues mieux lotis, ainsi que le montre le cas des individus répertoriés comme maestros jornaleros. Mais une comptabilité de cette sorte n’avait plus lieu d’être quand s’était dissoute la corporation et que l’intervention autonome sur le marché devenait le seul critère de reconnaissance possible, celui de l’admission dans les rangs d’un groupe disposant de droits spécifiques ayant perdu sa signification. On peut par ailleurs supposer que le système de prélèvement mis en place dans le cadre de la Nueva Planta avait perdu de son efficacité, dès lors que les organismes corporatifs n’étaient plus là pour en assurer le fonctionnement en répartissant de façon autonome les sommes exigées entre leurs membres et qu’une partie plus ou moins importante du travail et des produits échappait de fait à la vigilance de l’administration des contributions.
44Les processus qu’on vient d’évoquer permettent en tout cas de rapprocher les parcours socio-économiques des deux villes. La proposition mettant en cause la validité d’une ventilation de l’emploi entre patrons et ouvriers à Toulouse peut se combiner avec celle qui suggère que la déperdition des effectifs du secteur productif à Saragosse n’est pour partie que l’effet d’une renonciation à un exercice officiel et indépendant de la part d’une fraction des artisans. La jonction de ces deux hypothèses explique qu’un écart aussi marqué se manifeste dans les années 1820 entre l’une et l’autre cité et laisse supposer que celui-ci n’est pas le reflet fidèle d’une réelle divergence socio-économique.
d) Une concentration industrielle seulement amorcée
- 23 Celle-ci dénombre quelque 160 établissements considérés comme des fabriques qui donnaient (...)
45L’ensemble du scenario qu’on vient d’échafauder laisse de côté l’hypothèse d’une transformation plus franche et plus profonde des structures de production correspondant au plan économique à la création et au développement d’un certain nombre de fabriques usinières et au plan social à la prolétarisation des travailleurs qui y auraient été employés. Or, si l’on compare la statistique industrielle toulousaine du début des années 182023 aux données de la capitation, il y a tout lieu de penser que le nombre des travailleurs partageant leur condition d’ouvrier avec au moins une dizaine d’autres individus qu’ils côtoyaient au sein d’une même unité de production a enregistré une assez sensible augmentation en un demi-siècle. Toutefois l’installation de quelques établissement d’une envergure supérieure au simple atelier artisanal semble un phénomène parallèle à la multiplication de petits producteurs travaillant de façon isolée, ceux-ci expérimentant aussi souvent une situation de dépendance mais sur un autre mode que les employés d’usines.
- 24 On doit souligner cependant que les critères ayant présidé à la qualification comme fabriq (...)
46À Saragosse aussi l’amorce d’une concentration de la production, dans quelques rares secteurs qui ne sont d’ailleurs pas les mêmes qu’à Toulouse, se dessine à travers les enquêtes diligentées par le gouvernement en 1824 ou en 183224. Pour autant il est clair que le développement des quelques établissements échappant au modèle de l’atelier artisanal n’a pas représenté au bord de l’Èbre un basculement de la structure du monde du travail urbain, qui permette de rendre compte de la plongée spectaculaire du nombre des unités de productions et plus particulièrement de la disparition de près de 750 artisans. Inversement à Toulouse la très forte croissance du volume global de l’emploi dans le secteur productif ne saurait pour l’essentiel être mis à l’actif d’une poussée de croissance du factory system. En revanche il y a lieu de croire que le même phénomène d’amplitude modérée se produisant dans chacune des deux villes a participé, compte tenu de la disparité des sources, à accroître l’importance de l’écart qui semble s’être creusé entre elles. Dans un cas comme dans l’autre cependant les mutations les plus remarquables et en tout cas la croissance la plus vigoureuse étaient encore à venir.
e) Une évolution décalée dans le temps
- 25 María Rosa Jiménez, Espacio urbano y sociedad…, op. cit.
47C’est ce que nous montre clairement le padrón saragossan de 185725, qui met en évidence une explosion du volume de l’emploi dans l’ensemble des activités de transformation. Le constat à propos de beaucoup de métiers d’un triplement au moins des effectifs par rapport aux chiffres des acteurs indépendants imposables quelque trente ans auparavant peut être interprété dans un sens similaire à celui de la progression toulousaine observée au cours de la période antérieure. Dans un cas comme dans l’autre il faut d’ailleurs laisser une place au changement de perception inhérent à la disparité de l’instrument d’analyse, une source de type démographique succédant à une documentation de nature fiscale.
48Mais on ne peut s’empêcher de penser que l’on assiste de part et d’autre des Pyrénées au déroulement d’un processus de même nature qui a été enclenché à des époques distinctes avec la disparition des organismes corporatifs. Dans les années 1820 en effet la structure corporative avait été à Toulouse brutalement démembrée depuis déjà trois décennies tandis qu’elle se maintenait à Saragosse dans une fraction, désormais minoritaire mais encore importante, de l’activité économique spécifique au milieu urbain. Dans la capitale aragonaise l’effritement des corps de métiers, puis leur disparition produisent dans la documentation des effets apparemment contradictoires à quelques décennies d’intervalle. D’une part, le recul des gremios au début du XIXe siècle est comme on l’a déjà montré une possible raison de l’effondrement du secteur productif tel qu’il apparaît sur les cabreos de industria. Si l’appartenance corporative suffisait en effet à l’inscription d’un acteur économique dans le répertoire quel que soit son degré d’indépendance réelle, pour les professions, toujours plus nombreuses, qui n’avaient plus d’instance collégiale, la prise en compte fiscale résultait nécessairement de l’autonomie et du contact direct avec le marché. D’autre part, l’achèvement quelques lustres plus tard du processus de décomposition des corporations est sans doute à l’origine d’une multiplication du nombre des acteurs économiques déclarant aux agents recenseurs faire profession d’un métier relevant de la sphère de l’économie urbaine, du fait de l’ouverture du champ professionnel à la suite de la disparition définitive et complète des corps qui prétendaient en contrôler l’accès.
49Ainsi, si la perception du phénomène est particulièrement spectaculaire au vu du recensement de 1857, ce n’est pas seulement parce que la croissance démographique et économique ne prend un tour vraiment vigoureux que dans le second tiers du siècle, mais aussi parce que le prisme de la documentation a des effets inverses selon le type d’archives exploitées et que le mouvement d’expansion et de libéralisation des initiatives professionnelles amorcé dès les premières décennies du siècle devient subitement manifeste après une longue phase de silence documentaire. On ne peut alors qu’être frappé par le fait que les trajectoires des deux villes se suivent à quelques années d’intervalle, le retard de Saragosse dans la mutation du régime économique et des institutions qui l’encadrent étant par ailleurs renforcé par les péripéties malheureuses que la cité de l’Èbre a vécues durant la Guerre d’Indépendance et plus tard lors de la première guerre carliste.
2. La redistribution des actifs dans la grille socioprofessionnelle
a) Le volume de la domesticité : contraction brutale contre maintien prolongé
- 26 Si on limite la comparaison aux actifs masculins la progression n’est que de 872 éléments.
- 27 Nous nous sommes ici volontairement limités aux actifs masculins.
50Dans le cas de Toulouse la croissance de l’économie urbaine outrepasse très largement celle de la population alors même que le taux d’activité masculin paraît rester stable. On compte environ deux milliers et demi d’actifs supplémentaires impliqués dans la transformation, la commercialisation des matières et des biens ou dans les services marchands nécessaires à ces opérations, qui représentent au total sans doute quelque dix milliers de personnes en plus, c’est-à-dire nettement plus du double du croît démographique le plus probable. Il ne s’agit pas d’un glissement à partir du secteur primaire, puisque celui-ci rassemble près de mille deux cents actifs supplémentaires26, le gain étant ici il est vrai largement l’effet d’un basculement à partir du monde de l’indigence qui échappait à la fiscalité, mais également sans doute d’un renforcement du courant migratoire à partir des campagnes. En revanche la domesticité masculine a enregistré une déperdition de plus de la moitié de son effectif, soit près de 800 personnes, tandis que les secteurs d’encadrement social auraient perdu environ un demi millier d’actifs27, le recul des élites d’Ancien Régime n’étant qu’en partie compensé par les progrès de la rente bourgeoise. En définitive le changement le plus évident dans la localisation et la nature des activités consiste en un basculement entre la sphère du service domestique et les unités économiques productives et/ou commerciales qui occupent désormais, quel que soit le statut des acteurs qui y interviennent, une masse humaine plus lourde que le monde de la domesticité.
- 28 María Rosa Jiménez, Espacio urbano y sociedad…, p. 72.
- 29 Antonio Moreno Amárcegui, Guillermo Pérez Sarrión, « Población y estructura social de Zara (...)
- 30 Bartolomé Bennassar, L’Homme espagnol – Attitudes et mentalités, XVIe-XIXe siècles, Paris, (...)
51À Saragosse, en l’absence d’un recensement pour la première moitié du XIXe siècle, aucune information ne nous permet d’avoir une vision des déplacements qui ont pu s’opérer entre les principaux groupes sociaux. On en est donc réduit à examiner le sens de l’évolution à partir des résultats du padrón de 1857. Or les sirvientes sont à cette époque près de cinq mille28, quand les criados étaient environ trois milliers et demi en 178729, ce qui correspond à une très faible régression de leur part par rapport à l’ensemble de la population, alors même que l’usage du second terme semble avoir connu une acception plus large que le premier. Faut-il alors considérer qu’une partie de la différence provient d’une meilleure prise en compte du personnel féminin ? Il semble pourtant assez peu probable que les servantes aient été exclues du décompte dans le censo de Floridablanca. On sait par ailleurs que les domestiques restaient en Espagne une composante essentielle de la société au milieu du XIXe siècle30, plus encore qu’ils ne l’étaient en France sous la Restauration. Les exemples de Toulouse et de Saragosse le confirment amplement puisque l’on compte dans la première un domestique pour dix-huit habitants en 1821, quand la seconde en comporte encore un pour treize en 1857. En revanche soixante ans auparavant, en 1787, la proportion est à peine supérieure, tandis que du côté français, en se reportant il est vrai à une date un peu antérieure, aux environs de 1770, le chiffre est de un pour onze, voire pour dix si l’on n’accorde aucune part à l’indigence. Sur ce plan la Révolution a bien représenté un changement brutal, qui n’a pu se produire dans un pays comme l’Espagne qui a mis plusieurs décennies à en finir avec l’Ancien Régime.
b) Le commerce : des progrès communs mais une différence de nature et d’envergure
52La modification vraiment remarquable à Saragosse réside dans l’essor très net des activités commerciales, alors même que l’ensemble de l’économie urbaine est en stagnation et que le secteur productif enregistre un profond recul. L’interprétation de ce dernier aspect exige beaucoup de circonspection, mais le cabreo de industria offre certainement une meilleure représentativité en ce qui concerne les professions commerciales car la structure de l’emploi propre à ce type d’activité laisse moins de place à l’embauche de salariés, main-d’œuvre dépendante qui n’apparaît pas sur les répertoires fiscaux. La divergence observée dans l’évolution quantitative des effectifs entre le commerce et l’artisanat, alors que les possibilités de distorsions relatives aux sources sont moins à craindre pour le premier que pour le second, est d’ailleurs un indice supplémentaire que le poids humain de ce dernier a été en partie occulté. Quoi qu’il en soit, la progression des activités d’échange dans les deux cités, manifeste une réelle similitude, puisque dans les deux cas la progression en valeur absolue du nombre de commerçants y a été de plus de sept cents éléments, hors activité féminine.
53À Saragosse, le nombre des professions commerciales a doublé et la croissance des effectifs correspond surtout à des métiers qui n’étaient organisés en corporation. Ainsi peut-on penser que la progression traduit pour une part le basculement de l’activité à partir du secteur artisanal structuré en corps et traditionnellement impliqué dans la commercialisation de ses productions vers le travail libre, s’exerçant en dehors de la sphère des gremios, parfois concurremment avec eux, et pour lequel l’intervention sur le marché en tant qu’acteur économique indépendant reste la seule qualité discriminante aux yeux du fisc. Ce schéma interprétatif est validé par le fait que l’élargissement des milieux spécialisés dans l’échange ne traduit pas un essor du négoce, mais bien plutôt une prolifération d’acteurs de faible ou de moyenne envergure, la sphère de la marchandise ne générant pas au total un revenu global plus important qu’un demi siècle auparavant.
- 31 Carlos Forcadell Alvarez, « Población y crecimiento agrario en el Aragón del siglo XIX », (...)
54C’est là une différence assez notable par rapport au monde du commerce à Toulouse où, bien que l’on ne dispose pas pour le XIXe siècle de moyen d’évaluation des niveaux socio-économiques, l’évolution de la terminologie laisse supposer que le nombre des négociants et de ceux qui se livraient à un commerce de gros a très sensiblement progressé, doublant peut-être même entre 1770 et 1820. La mise en évidence de l’écart est renforcée par le double constat de la nette progression du portage des marchandises à Toulouse et de l’absence de dynamisme du secteur des transports à Saragosse. Ainsi, si dans les deux cas l’extension de l’économie monétaire est patente, la masse des produits faisant l’objet d’une commercialisation et le rayon d’action des opérations commerciales n’ont sans doute pas progressé au même rythme. Plus que jamais l’ancienne capitale aragonaise apparaît dans les années 1820 comme le grand centre de redistribution des produits agricoles provenant d’un vaste hinterland presque entièrement rural et au sein duquel les autres unités urbaines d’importance accusent un profond déclin31. La cité garonnaise est en revanche le théâtre de mutations plus profondes et surtout plus précoces, qui passent par l’affirmation des couches bourgeoises.
c) Les branches productives : beaucoup de divergences mais sans doute quelques convergences
- 32 La disparition des albañiles sur les cabreos en est l’illustration.
- 33 L’exemple de Lille montre d’ailleurs que la structure corporative tendait en France dans c (...)
55Le renforcement de la disparité entre les deux villes se manifeste également si l’on observe l’évolution suivie par les différentes branches productives. Le fait que les acteurs économiques qui semblent connaître le sort le plus favorable à Saragosse soient les propriétaires de fours et de moulins, montre que la ville ne fait que renforcer au début du XIXe siècle le rôle qu’elle avait déjà au siècle précédent. L’évolution particulièrement spectaculaire à Toulouse du secteur du bâtiment manifeste le réaménagement de l’espace urbain, favorisé par la fin de l’emprise foncière des institutions religieuses, alors que cette mutation essentielle ne se produit que bien ultérieurement et beaucoup plus progressivement du côté espagnol. Toutefois la contraction remarquable des effectifs des professionnels déclarés du secteur de la construction dans la capitale aragonaise amplifie certainement l’atonie, au demeurant sans doute bien réelle de la ville en ce domaine, dans la mesure où l’exercice de ces métiers échappait sans doute désormais dans une large mesure au prélèvement fiscal32. C’est ici un exemple parfait de l’impact de la désagrégation des corps de métier sur le degré de visibilité d’une activité et sur le volume des effectifs déclarés qui y étaient impliqués. Inversement le secteur alimentaire donnait lieu généralement à un exercice déclaré, parce que surveillé des autorités en raison de sa relation avec le maintien de la paix sociale dans une cité où une masse considérable de journaliers restait aux frontières de l’indigence33.
- 34 Ronald Aminzade, « Reinterpreting Capitalist Industrialization : Studies of Nineteenth-Cen (...)
56Même si à propos des autres secteurs l’interprétation des données fiscales n’a rien d’évident, il semble assez clair qu’un glissement se produit à Saragosse à partir de l’artisanat productif traditionnel vers les activités commerciales. Reste à savoir si le phénomène reflète une invasion du marché local par des productions exogènes où s’il s’agit pour l’essentiel de l’expression du mouvement de sortie hors des gremios d’un nombre de plus en plus grand de professionnels, dont une partie seulement déclare leur activité. Au bord de la Garonne en revanche l’essor de la plupart des branches d’activités est indéniable et semble renvoyer dans certains cas à une forme de concentration économique, comme dans la métallurgie, mais aussi en ce qui concerne certaines productions vestimentaires, comme la chapellerie et probablement la chaussure34. Par ailleurs le dynamisme du travail des cuirs peut être envisagé comme le reflet de l’intensification de la circulation, non seulement dans le cas de la région toulousaine, mais également dans celui de l’Aragon où les tanneries saragossanes semblent avoir atteint une certaine envergure au début du XIXe siècle. On a en tout cas ici l’exemple d’un secteur d’activité dont le développement s’inscrit d’abord dans le renforcement de productions traditionnelles participant d’un système technique ancien et qui était appelé à disparaître ou du moins à s’effacer quelques décennies plus tard.
3. Une voie de développement parallèle à l’industrialisation
57En définitive les cas de Saragosse et de Toulouse semblent illustrer un modèle d’évolution dont le déroulement serait intervenu parallèlement à ce qu’on désigne généralement sous le nom d’industrialisation.
a) La place de la parenté, trace de la structure corporative
- 35 En l’occurrence l’appartenance familiale déterminait assez souvent le coût de l’entrée dan (...)
- 36 Noblesse et monarchie l’illustrent parfaitement.
58À côté des aspects économiques, la persistance ou l’effacement des liens existant entre le métier et l’appartenance familiale indiquent dans quelle mesure le champ professionnel continuait au début du XIXe siècle à être conditionné par l’insertion des individus au sein de groupes qui permettaient ou qui avaient permis d’accéder à certains droits particuliers35, la famille traduisant à certains égards, comme les communautés professionnelles ou territoriales ou les ordres, la même structure corporative propre à la société holiste d’Ancien Régime36. Or l’évolution de la place tenue par la parenté dans les choix et la carrière professionnels des acteurs économiques met en relief deux phénomènes apparemment contradictoires. D’une part en effet l’exemple de Saragosse semble indiquer que la famille jouait un rôle beaucoup plus faible dans les branches professionnelles non structurés en gremios ; d’autre part celui de Toulouse laisse entrevoir que la transmission du métier est restée aussi fréquente dans la génération qui a suivi l’abolition des corporations qu’elle ne l’était dans les dernières décennies de l’époque corporative.
59Trois éléments d’explication peuvent à cet égard être avancés si l’on suppose que les cas des deux villes ont finalement assez peu de raisons de s’opposer. Le premier est que l’organisation corporative d’un métier à Saragosse répondait à certains caractères de spécialisation qui favorisaient la propension à la reproduction professionnelle des familles qui les exerçaient. Le second est que les changements sociaux, les habitudes familiales ne se transforment pas de façon mécanique sous l’impact des transformations institutionnelles. Enfin il faut aussi considérer que si la disparition des corps est loin d’avoir détourné leurs anciens membres de transmettre leur profession à leurs fils, elle a sans doute permis à beaucoup d’autres jeunes gens d’accéder à un statut d’artisan indépendant. Reste évidemment que les débuts du XIXe siècle peuvent être considérés comme une époque de transition et que le nombre des acteurs établis à leur compte était appelé sans doute à se réduire au cours des décennies suivantes. Mais la disparition des corporations ne paraît pas avoir représenté une solution de continuité dans le recrutement des individus exerçant des métiers qui conservaient leur position au sein de l’économie urbaine.
b) Des sociétés urbaines en mutation
- 37 René Leboutte, « Les bassins industriels en Europe. Production et mutation d’un espace 175 (...)
60On assisterait alors à un glissement progressif vers la subordination des anciens artisans, au cours d’une phase qui voit la question du statut perdre de sa signification, plutôt qu’à une brutale transformation de la condition des travailleurs mobilisés par les activités de transformation qui s’accompagnerait d’un changement radical de leurs origines familiales, géographiques et sociales. Contrairement à cette seconde voie, la première est caractérisée par un étalement dans le temps du passage entre le petit atelier artisanal, assez souvent de dimension familiale, et l’établissement de type usinier. Une évolution de ce type correspondrait surtout aux grandes villes, pour lesquelles le schéma de la révolution industrielle s’applique en fait souvent assez mal à l’exception de celles qui s’insèrent dans des bassins industriels37.
61Au cours de la première époque de l’industrialisation, celle-ci a en effet plutôt touché des nébuleuses de petites villes et de villages et un nombre restreint d’unités urbaines de grande dimension. Les premiers établissements industriels qui s’y sont développés recrutaient d’abord parmi les paysanneries environnantes, qui pouvaient souvent se maintenir dans leur milieu de vie originel, et étendaient ensuite leur rayon d’attraction en donnant lieu alors à de forts mouvements de transfert de population et à la concentration de masses de prolétaires coupés de leur attaches rurales. Les villes situées hors des principaux bassins d’industrialisation, qui pour la plupart ne correspondent pas à ce modèle de changement, n’en ont pas moins connu une très forte croissance et plus encore sans doute que par le passé ont attiré à elles des cohortes de ruraux et de montagnards qui y trouvaient des opportunités d’embauche démultipliées. Car, en ville, le volume de l’emploi gonflait aussi bien dans les activités commerciales, que dans les services, mais aussi souvent dans le secteur productif lui même. La place tenue dans ces grandes cités par le monde du travail se serait alors renforcé en même temps que se multipliaient les initiatives donnant naissance à de nouvelles unités économiques. Ce dynamisme avait très probablement plus ou moins partie liée avec l’industrialisation accélérée qui intervenait ailleurs au même moment, à travers notamment les approvisionnements en biens intermédiaires. Mais il avait aussi un ressort social avec le développement de couches de consommateurs jouissant d’une aisance moyenne et s’inscrivait dans un développement général des échanges qui permettait de tirer meilleur profit des ressources locales grâce à la valorisation des avantages comparatifs et d’étendre l’aire de chalandise des produits.
62Enfin les transformations enregistrées par les économies urbaines ont été aussi à la mesure des changements intervenus dans l’ordre du politique, qui ont instauré de nouveaux équilibres entre les groupes sociaux, donné cours à un nouvel état d’esprit et à de nouvelles formes de relations sociales en même temps qu’ils mettaient en place, selon des rythmes nationaux singuliers, de nouveaux cadres juridiques qui participaient plus ou moins à encourager l’initiative économique. La France a réalisé cette mutation en très peu de temps et au prix d’une crise révolutionnaire particulièrement dramatique. L’Espagne, comme beaucoup d’autres pays, a suivi une trajectoire moins nette et les changements en profondeur ont été réalisés de façon plus progressive et ont pu apparaître à certains égards comme freinés, voire empêchés dans leur course durant le premiers tiers au moins du XIXe siècle. Pour autant l’évolution de la capitale aragonaise dans les décennies qui ont suivi semblent indiquer au bout du compte que le retard économique relatif de l’Espagne, qui avait des origines antérieures, s’est accusé à une époque encore plus tardive.
63Sous ce rapport, comme en ce qui concerne la caractérisation économique des villes qui n’ont pas été des pôles d’émergence de l’industrie, la leçon la plus sûre que l’on puisse tirer des pages qui précèdent est qu’il faut se garder des images toutes faites, dont la production résulte souvent de la transposition dans le temps et dans l’espace de phénomènes réels mais dont l’occurrence se trouve décalée au cours de l’élaboration théorique. Même, et peut-être surtout, au cœur des régions les moins favorables aux nouvelles modalités de production et dans lesquelles les fruits de la terre restaient la principale source de richesse et la possession du sol le vecteur essentiel du prestige social, les plus grandes villes, loin de connaître la stagnation et l’atonie, ont au contraire expérimenté un renforcement de leur rôle de place centrale, une amplification de leur animation dans la plupart des domaines et ont été marquées par de profonds changements de la société qui les habitait.
c) L’ancien et le nouveau : modernisation et intensification à l’heure de l’industrialisation
- 38 Edward Anthony Wrigley, « Le processus de modernisation et la Révolution industrielle en A (...)
64L’évolution sociale de Saragosse et de Toulouse au début du XIXe siècle donne l’impression que révolution industrielle et changement social ne sont pas nécessairement liés par une relation de cause à effet. Ce constat va dans le sens du schéma de Wrigley38 qui distingue deux mouvements distincts qui se superposent pour une part, un processus de modernisation intervenant sans grand changement au plan technique antérieurement et concurremment à celui de l’industrialisation à proprement parler. Les effets du premier semblent se faire sentir aussi bien dans la capitale aragonaise que dans la cité garonnaise, qui sont toutes deux, avec une intensité plus ou moins marquée, le théâtre de transformations importantes au tournant du siècle, alors qu’elles ne ressortent nullement du type du centre industriel, mais font au contraire figure de villes profondément enracinées à la terre qui les entoure et qui continue pour l’essentiel à fonder la richesse et la position sociale de leurs élites. Pour autant l’avènement d’un nouveau mode de production n’a pas été sans influence dans les deux cités, que ce soit indirectement, ou en raison du fait qu’aucune d’elles n’était non plus un désert industriel. En définitive, s’il y a un modèle qu’on peut ici contester c’est celui qui conduit à opposer sans nuance dans l’espace et le temps les foyers techniquement novateurs qui ont connu la rupture de la révolution industrielle et les lieux qui ne feraient qu’en subir les effets pour expérimenter bientôt une situation de sous-développement.
65Deux raisons peuvent être avancées pour refuser ce clivage. D’une part, la révolution industrielle participe d’un changement plus global et aux aspects plus diversifiés que celui qui touche le mode de production dans les activités de transformation, le secteur des services connaissant une progression aussi importante et parfois supérieure que celles-ci, dont les villes, surtout les plus grandes, ont été les premières à bénéficier. D’autre part, le secteur secondaire lui-même a connu un développement multiforme et qui souvent n’a pas donné lieu dans un premier temps à des changements radicaux du mode de production : les techniques mises en œuvre, les sources et les formes d’énergie utilisées, l’organisation du travail, la structure des entreprises sont souvent restées semblables à ce qu’elles étaient au milieu du XVIIIe siècle et ne se sont modifiées que très progressivement au cours du XIXe. Car bien des branches d’activités n’ont pas connu de révolution technologique dès l’aube de l’industrialisation. La plupart d’entre elles, tout en étant indirectement touchées par cette dernière en raison des échanges entre les différents secteurs, ont surtout continué à se développer sur les mêmes bases qu’auparavant et en fonction d’une dynamique globale qui n’est pas réductible aux mutations ponctuelles enregistrées dans certains secteurs productifs. Même si cette formulation peut paraître paradoxale, en termes quantitatifs mais aussi par les incidences sur la société, la première moitié et sans doute les deux premiers tiers du XIXe siècle ont été plus que toute autre époque celles de l’eau, du moulin, du cheval et de l’outil manuel, plus que celles du charbon, de la vapeur, du chemin de fer et de la machine.
Notes
1 Cf. chapitre 5.
2 Jean-Claude Perrot, Caen au XVIIIe siècle – Genèse d’une ville moderne, Paris, Mouton et École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1975, p. 265-266. Le nombre des actifs donné par l’auteur pour les années 1750-1760 est de 8 932, dont 4 165 pour la sphère de la production et 4767 pour les services. Pour donner plus de cohérence à la comparaison, nous y avons adjoints les 1 224 individus classés parmi les inactifs sous la rubrique rentiers, profession non exercée, pas de profession. L’effectif de la population ecclésiastique s’établit selon l’auteur à 786 personnes.
3 Georges Hanne, « Les Barbiers-perruquiers de Toulouse et leurs employés à la fin de l’Ancien Régime », Annales du Midi, n° 229, janvier-mars 2000, p. 78-79.
4 Steven L. Kaplan, La fin des corporations, Paris, Fayard, 2001. Sur la question de l’application des nouveaux cadres en Languedoc, cf. p. 158-161.
5 Edward Shephard, « Social and Geographic Mobility of the Eighteenth-Century Guild Artisan : An analysis of Guild Receptions in Dijon, 1700-90 », Work in France : representation, meaning, organization and practice, Ithaca-London, Cornell University Press, 1986, p. 97-130.
6 Cela rejoint un débat déjà ancien entre historiens quant à la fonctionnalité du système corporatif, les uns comme Steven Kaplan considérant que c’est surtout au plan politique et sociologique qu’il apparaît inadapté au contexte de la seconde moitié du XVIIIe siècle (cf. « Réflexions sur la police du monde du travail », Revue historique, janvier-mars 1979, p. 17-77), tandis que d’autres comme Liana Vardi estiment que la fonction économique, essentielle dans l’organisation corporative, se trouve à cette époque vidée de son sens (cf. « The Abolition of the Guilds during the French Revolution », French Historical Studies, Fall 1988, p. 704-717).
7 La place des commerçants se révèle être dans les deux cas du quart, soit environ un vingtième de l’ensemble des actifs. Celle des artisans étant majoritaire dans les deux cas, la seule réelle différence provient de la part des prestataires de services.
8 À Caen la proportion était d’environ 45 % d’après Jean-Claude Perrot, Caen au XVIIIe…, p. 265-266.
9 Ce ratio qui est plutôt un minimum à Toulouse pour les décennies précédant la Révolution, correspond en tout cas dans la capitale aragonaise aux résultats de l’analyse du censo de 1723. Cf. Rosa María Blasco Martínez, Jesús Maiso González, Las estructuras de Zaragoza…
10 Cette image est d’ailleurs paradoxalement véhiculée par Rosa María Blasco Martínez et Jesús Maiso González qui utilisent l’expression de minifundio artesanal pour caractériser l’entreprise type saragossane. Ainsi que le fait remarquer Bernard Vincent dans son prologue, il faudrait disposer d’éléments de comparaison. Celle que nous avons tenté de mener montre que la situation de l’artisanat n’était pas à Saragosse foncièrement différente de celle qui prévalait à Toulouse ou dans d’autres villes françaises (cf. sur ce point le parallèle effectué à propos des perruquiers avec Rouen : Georges Hanne, « Les barbiers-perruquiers… », p. 72-73), à condition de considérer que beaucoup des criados de sexe masculin étaient bien des employés à caractère professionnel.
11 Il faudrait d’ailleurs aussi tenir compte de l’apprentissage pour avoir une meilleure idée de l’ensemble du travail subordonné dans les activités de transformation.
12 On peut se reporter au cas de Grenade (cf. Georges Hanne, « Société et propriété… ») ou à celui des 7 bourgs étudiés par Georges Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières (1670-1789), 1974, p. 357-358, annexe 12.
13 Jean-Michel Minovez, L’impossible croissance du Midi toulousain ? Origine d’un moindre développement 1661-1914, Paris, Publisud, 1997 et « Les manufactures royales de draps fins du Midi toulousain et leurs entrepreneurs au XVIIIe siècle », Annales du Midi, n° 229, janvier-mars 2000, p. 21- 40.
14 Cf. Guillermo Pérez Sarrión, Agua, agricultura y sociedad en el siglo XVIII – El Canal Imperial de Aragón, 1766-1808, Zaragoza, Institución Fernando el Católico, 1984, p. 459-460.
15 La croissance démographique des ces noyaux de peuplement a été d’ailleurs semble-t-il au moins aussi importante que celle de Toulouse. Serysses-Tolosane par exemple situé pourtant à quelques kilomètres seulement de Muret en venant de Toulouse a vu passer sa population de 638 à 1.050 habitants entre 1730 et 1789 (cf. Jacques Godechot, La Révolution française dans le Midi toulousain, Toulouse, Privat, 1986, p. 12).
16 Les brassiers pouvaient représenter jusqu’à près de la moitié de la population, comme dans le cas de Muret, et souvent au moins le tiers, comme à Grenade (cf. Georges Hanne, « Société et propriété à Grenade-sur-Garonne au début de la Révolution », Annales du Midi, n° 185-186, janvier-juin 1988, p. 133-141, p. 135).
17 Antonio Peiró Arroyo, « Comercio de trigo y desindustrialización : las relaciones económicas entre Aragón y Cataluña », Actas del Simposio sobre las relaciones económicas entre Aragón y Cataluña (siglos XVIII-XX), Huesca, 1990, p. 35-64, p. 56-57.
18 Le censo de 1723 présente ce degré de précision (cf. Rosa Maria Blasco Martínez et Jesús Maiso González, Las estructuras…).
19 Pour autant la proportion de l’état nobiliaire était à Saragosse inférieure à ce qu’elle était dans l’ensemble de l’Aragon en raison de la profusion des représentants de la basse noblesse dans la région pyrénéenne.
20 Dans ce cas il y aurait un gonflement très sensible de la main-d’œuvre salariée, totalement invisible à Saragosse et masqué à Toulouse par l’indifférenciation entre ouvriers et acteurs économiques indépendants.
21 Steven. L Kaplan, « Les corporations, les “faux-ouvriers” et le faubourg Saint-Antoine, au XVIIIe siècle », Annales ESC, mars-avril 1988, p. 353-378 et « Réflexions sur la police du monde du travail », Revue Historique, janvier-mars 1979, p. 17-77.
22 Geneviève Bertrand, Les corps de métiers à Toulouse depuis le début du XVIIIe siècle jusqu’à la Révolution, thèse de Droit, Université de Toulouse, 1951 ; Jeanine Cadars, Les corporations à Toulouse de 1785 à leur suppression, mémoire de DES, Université de Toulouse, 1949 ; Rose-Marie Fouet, Les corporations de métiesr à Toulouse au XVIIIe siècle. Étude économique et sociale, mémoire de maîtrise, Université de Toulouse-le Mirail, 1974.
23 Celle-ci dénombre quelque 160 établissements considérés comme des fabriques qui donnaient du travail à près d’un millier d’employés, même si en réalité les ouvriers qui travaillaient dans des unités de production rassemblant une main-d’œuvre d’au moins dix individus étaient un peu moins de 600.
24 On doit souligner cependant que les critères ayant présidé à la qualification comme fabriques d’environ 250 ateliers saragossans sont encore plus sujets à caution et sans doute moins restrictifs que dans le cas toulousain.
25 María Rosa Jiménez, Espacio urbano y sociedad…, op. cit.
26 Si on limite la comparaison aux actifs masculins la progression n’est que de 872 éléments.
27 Nous nous sommes ici volontairement limités aux actifs masculins.
28 María Rosa Jiménez, Espacio urbano y sociedad…, p. 72.
29 Antonio Moreno Amárcegui, Guillermo Pérez Sarrión, « Población y estructura social de Zaragoza en 1787 : la distribución por estados y profesiones », Estado de los estudios sobre Aragón (1978), Zaragoza, 1979, p. 293-301.
30 Bartolomé Bennassar, L’Homme espagnol – Attitudes et mentalités, XVIe-XIXe siècles, Paris, Hachette, 1975.
31 Carlos Forcadell Alvarez, « Población y crecimiento agrario en el Aragón del siglo XIX », Historia de Aragón – I. Generalidades, Saragosse, Institución Fernando el Católico, 1992, p. 247- 254, p. 251.
32 La disparition des albañiles sur les cabreos en est l’illustration.
33 L’exemple de Lille montre d’ailleurs que la structure corporative tendait en France dans ces professions à survivre à l’abolition des corporations : cf. Gail Bossenga, « La révolution française et les corporations : trois exemples lillois », Annales ESC, mars-avril 1988, p. 405-26, p. 424
34 Ronald Aminzade, « Reinterpreting Capitalist Industrialization : Studies of Nineteenth-Century France » in Work in France, op.cit., p. 393-417 et Class, Politics, and Early Industrial Capitalism – A Study of Mid-Nineteenth-Century Toulouse, France, Albany, State University of New-York Press, 1981.
35 En l’occurrence l’appartenance familiale déterminait assez souvent le coût de l’entrée dans la corporation, sans parler des avantages officieux qui devaient souvent en découler.
36 Noblesse et monarchie l’illustrent parfaitement.
37 René Leboutte, « Les bassins industriels en Europe. Production et mutation d’un espace 1750 – 1992 », EUI Working Paper HEC N° 93/1, Florence, European University Institute, 1993.
38 Edward Anthony Wrigley, « Le processus de modernisation et la Révolution industrielle en Angleterre », Annales E.S.C., n° 2, mars-avril 1973 ; Continuity, Chance and Change – The characters of the Industrial Revolution in England, Cambridge University Press, 1988.
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