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Le travail dans la ville

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Georges Hanne

Première partie. Les données de la comparaison

Chapitre 2. Entités : deux métropoles régionales d’ancien régime

Texte intégral

1La mise en parallèle des cadres nationaux donne la mesure de l’écart de développement entre les deux états monarchiques, tout en faisant apparaître la similarité des structures sociales et politiques ainsi que des problèmes débattus dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Mais au delà de contextes nécessairement marqués par le mouvement européen des Lumières, les deux métropoles sont aussi le produit d’une sédimentation historique de longue durée que l’on doit saisir à l’échelle régionale et locale.

A) Les chances décalées de la primatie politique

2L’histoire de chacune des deux grandes cités fait apparaître des différences qui ne sont sans doute pas moins importantes que celles tenant aux données physiques de leur environnement naturel. Un point commun rapproche cependant Toulouse et Saragosse au XVIIIe siècle, le fait qu’elles aient eu toutes deux, dans un passé plus ou moins reculé, un prestige supérieur à celui dont elles jouissaient alors ainsi qu’une fonction de commandement plus affirmée.

1. Une empreinte romaine plus marquée à Saragosse

  • 1 Miguel Beltrán Lloris, « El alto imperio », Historia de Aragón – I. Generalidades, Zaragoz (...)

3À cet égard la domination de Rome apparaît plus déterminante à Saragosse, née de la colonie fondée par Auguste au début de son principat entre 24 et 19 av. J.-C., à l’occasion de la pacification de l’Espagne. Selon Pline l’Ancien, Caesaraugusta était au Ier siècle de notre ère à la tête d’une des circonscriptions qui subdivisaient les provinces de l’Hispanie. Le Conventus Juridicum Caesaeaugustanum formait un immense territoire qui ne comprenait pas moins de 52 cités et qui s’étendait, non seulement sur l’Aragon actuel, mais aussi sur la Rioja, la Navarre et une partie des provinces de Lérida, de Madrid et de Guadalajara1. Pas plus que Tolosa en Narbonnaise, Caesaraugusta ne tenait cependant de rôle dirigeant en Tarraconaise, le handicap de la continentalité ayant certainement joué dans les deux cas contre une promotion au niveau provincial par rapport aux cités maritimes qui, des deux côtés des Pyrénées, ont servi de résidence au gouverneur. Toulouse, quant à elle, subissait les effets d’une position déjà excentrée par rapport à la circonscription administrative dans laquelle elle se plaçait, tandis que sur son flanc occidental d’autres cités recevaient des fonctions de commandement sur l’Aquitaine, telles que Bordeaux, Auch ou Lugdunum Convenarum (aujourd’hui Saint-Bertrand de Comminges).

2. La promotion toulousaine du Haut Moyen Âge

  • 2 Juan Ángel Paz Peralta, « El periodo hispano visigodo », Historia de Aragón - I., p. 109-1 (...)

4La fin de l’Empire et l’avènement des royaumes barbares se sont avérés en revanche plus bénéfiques au plan des fonctions politiques pour Toulouse que pour Saragosse. Toutes deux sont passées au cours du Ve siècle sous le contrôle des Wisigoths, la première entre 416 et 418, au moment où l’empereur a donné à ceux-ci le statut de fédérés, la seconde en 456, après une vingtaine d’années de domination suève. La période wisigothique n’a duré qu’un peu moins d’un siècle en Aquitaine, mais durant cette séquence Toulouse devint résidence royale et épicentre d’un royaume qui à son apogée s’étendait du sud de l’Espagne à la Loire et aux Alpes, tandis que Saragosse devait attendre encore plus de cinq siècles pour occuper une fonction capitale. Au cours des trois siècles de l’Espagne wisigothique, la cité de l’Èbre est restée au second plan derrière Tarragone2, plus proche de la Septimanie, langue de territoire qui s’étendait de la Catalogne au Rhône, désignée aussi plus tard sous l’appellation de Gothie, et qui devait être maintenue hors de l’emprise franque jusqu’à la conquête arabe et au-delà.

  • 3 Michel Labrousse et Philippe Wolff, « Les Temps obscurs », in Histoire de Toulouse, Toulou (...)
  • 4 Saragosse joue indirectement un rôle dans la faveur dont bénéficie Toulouse, puisque l’éch (...)
  • 5 Michel Labrousse et Philippe Wolff, « Les temps obscurs », in Histoire de Toulouse, p. 43- (...)

5Tout le reste de la Gaule wisigothique était passé en effet sous domination franque à la suite de la défaite d’Alaric face à Clovis en 507. La fonction politique de Toulouse à l’époque wisigothique eut cependant une manière de prolongement au sein de la marche d’Aquitaine, constituée dès le règne de Dagobert en 630. Durant le dernier siècle des Mérovingiens, la ville continue à tenir la première place au sein d’un duché d’Aquitaine largement autonome. Elle est aussi une des résidences des rois francs, sans doute en souvenir de la brillante cour que la cité avait abritée à l’époque d’Euric et d’Alaric II3. Au VIIIe siècle, à l’aube des temps carolingiens, l’importance politique de la ville va se trouver encore renforcée en raison de l’intensité des menaces qui pèsent sur les franges méridionales du royaume franc : Gascons à l’Ouest, mais aussi et surtout Sarrasins au Sud et à l’Est où ces derniers ont pris le contrôle de l’ancienne Gothie. Après le désastre de Ronceveaux, Charles choisit de s’assurer la loyauté des franges méridionales du Regnum francorum en laissant à l’Aquitaine un titre de royaume au sein duquel Toulouse jouit d’une primauté de fait. Cela tient à la position stratégique qu’elle occupe aux yeux des Carolingiens, puisqu’elle sert de base de départ aux expéditions qui vont permettre la constitution de la nouvelle marche d’Espagne4. Au cours de celles-ci s’illustrent les premiers comtes de Toulouse, dont le rôle politique commence à se manifester au moment où s’opère le déclin des pouvoirs impérial et royal5.

3. Saragosse musulmane, puis reconquise

  • 6 Celui-ci fut d’abord un émirat dépendant théoriquement du califat abbasside, avant de deve (...)
  • 7 Pierre Guichard, « Apogée de l’Islam andalou. Xe siècle - début XIIIe siècle », chapitre I (...)
  • 8 José María Lacarra, Aragón en el pasado, Madrid, Espasa-Calpe, 1979 (1ère édition 1972), p (...)

6C’est justement à cette époque, à l’apogée de la féodalité en terre chrétienne, que Saragosse cesse d’appartenir au royaume cordouan6 dont elle dépendait depuis la conquête de 714. Avec le passage de la péninsule aux Sarrasins, la ville s’était déjà trouvée à partir de 746 en position de commandement sur une vaste province qui comprenait, au faîte de la domination musulmane, non seulement toute la vallée de l’Èbre, mais aussi la Navarre et la Catalogne actuelles. Après l’éclatement d’Al Andalus en 1031 et contrairement à ce qu’expérimentent Toulouse et la plupart des villes chrétiennes à l’époque féodale, les capitales des Taifas bénéficient d’une véritable promotion politique, les institutions étatiques subsistant sans grande modification sous les pouvoirs locaux héritiers du califat7. Ainsi en 1044, la ville, qui comme les autres métropoles provinciales d’Al Andalus était jusqu’alors restée confinée dans le rôle de relais d’une organisation étatique fortement centralisée, accède au rang de capitale royale sous la dynastie des Beni-Casi. Selon certains historiens, la nouvelle conjoncture aurait alors permis à Saragosse d’atteindre un développement et un rayonnement comparable justement à celui de Cordoue8.

  • 9 Ana María Navarro Ferrer, « Geografía urbana… », 1962, p. 30.

7La prise de la ville en 1118 par Alphonse le Batailleur n’entraîne pas pour elle de relégation durable, puisqu’elle est bientôt promue capitale du royaume d’Aragon. Celui-ci, issu du modeste comté qui au IXe siècle tirait son nom d’un petit affluent pyrénéen de l’Èbre, était gouverné par des souverains navarrais depuis le début du Xe siècle, mais était devenu indépendant au XIe siècle. La place primatiale n’est cependant acquise durablement qu’à partir de 1137, après une brève période pendant laquelle Ramiro II avait cédé la cité à Alphonse VII de Castille en échange de son soutien contre la Navarre9.

4. Des principautés aux grandes monarchies : un rôle politique qui s’amoindrit

  • 10 Philippe Wolff, Histoire de Toulouse, édition de 1958, p. 61.

8En deçà des Pyrénées, à partir du milieu du IXe siècle, alors que s’affirme le pouvoir des dynasties comtales, les destinées de Toulouse et de l’Aquitaine se dissocient. C’est d’ailleurs la trahison du comte de Toulouse qui ouvre en 849 les portes de la ville à Charles le Chauve et met un terme à la sécession de l’Aquitaine. Parmi les grandes principautés issues du démembrement de l’Empire, celle que constituent les comtes Raymond regarde surtout vers la Méditerranée, de la Provence à la Catalogne et même jusqu’en Orient. Au sein de cet État féodal, Toulouse n’a plus de véritable fonction de commandement, les comtes y séjournant rarement et étant le plus souvent représentés par leur vicomte ou viguier. Comme au temps de la Narbonnaise, la ville se trouve excentrée au sein de l’entité à laquelle elle appartient et son rayonnement ne tient guère en fait à une fonction proprement politique. Selon Philippe Wolff, Toulouse perd alors « ce rôle de capitale qu’elle avait exercé […] plus tôt, […] à l’époque où Paris s’y essayait. ». Plus tard au XIIe siècle, l’autorité des comtes de Toulouse est d’ailleurs « battue en brèche par les grands vicomtes comme les Trencavel de Béziers » et le roi de France intervient à nombreuses reprises en leur faveur, les soutenant aussi bien contre leurs vassaux que contre leurs pairs aquitains ou catalans10.

  • 11 J. Ángel Sesma Muñoz, « Aragón medieval », in Aragón en su historia, Saragosse, Caja de Ah (...)
  • 12 Ainsi que le montre la carence de personnel gouvernemental commun aux différents territoir (...)
  • 13 Ana María Ferrer Navarro, « Geografía urbana… », p. 30.

9C’est la dynastie des comtes de Barcelone qui, à partir de 1137, se trouve justement en charge du royaume aragonais. Cela ne remet pas en cause la primatie politique de Saragosse sur l’Aragon, mais ne lui donne pas de position dominante dans le conglomérat politique auquel celui-ci se trouve désormais rattaché. La confédération catalano-aragonaise constitue en effet une vaste et puissante entité politique, qui s’accroît du Roussillon dès la fin du XIIe siècle, des Baléares ainsi que du royaume maure de Valence et de la Sicile au XIIIe, de la Sardaigne au début du XIVe, du royaume de Naples enfin au XVe siècle sous la nouvelle dynastie d’origine castillane à laquelle elle échoit en 141211. Cet agglomérat, que l’on nomme par un raccourci un peu trompeur la couronne d’Aragon, ne constituait pas cependant un véritable État unifié12 et n’avait pas de capitale officielle définie. Comme résidence de la cour, les souverains préféraient généralement d’autres villes à Saragosse : Lérida, plus centrale par rapport à l’ensemble de leurs possessions, Barcelone ou Tarragone, ouvertes sur la mer, vers et au-delà de laquelle se tournent leurs ambitions, et aussi moins rétives à l’autorité d’un prince catalan13. L’union avec la Castille, préparée dès 1469 par le mariage de Ferdinand II avec Isabelle, puis par la régence de celui-ci sur la Castille sous le règne de leur fille (Jeanne la Folle) et devenue effective à l’avènement de leur petit-fils Charles Ier, bientôt élu à la tête du Saint Empire, ne fait qu’amoindrir encore la position politique de Saragosse.

  • 14 Philippe Wolff, Histoire du Languedoc, Toulouse, Privat, 1967, p. 218-220.
  • 15 Comme celle d’être exemptée des charges du logement des gens de guerre.
  • 16 Henri Gilles, « La création du Parlement de Toulouse », in Jacques Poumarède et Jack Thoma (...)

10En deçà des Pyrénées, les difficultés rencontrées par les comtes Raymond au XIIe siècle avaient contribué à resserrer leurs liens avec Toulouse, sur la fidélité de laquelle il leur fallait absolument compter. Mais ici aussi l’entité politique au sein de laquelle la ville peinait à faire figure de vraie capitale se trouve bientôt placée sous l’autorité d’une personnalité extérieure en même temps qu’elle est englobée dans un ensemble beaucoup plus vaste où sa position n’a plus rien de centrale. En 1271 le processus d’incorporation au royaume de France, occasionné par la croisade albigeoise, s’achève par le rattachement de l’ancien comté de Toulouse au domaine royal. Les anciennes possessions des comtes Raymond se trouvent alors divisées en trois sénéchaussées, dont celle de Toulouse14. Faut-il pour autant considérer ce changement comme une déchéance pour la ville ? Peut-être pas si l’on admet que son dynamisme et son rayonnement ne tenaient pas à sa position au sein de la principauté, mais justement à l’autonomie que l’usage lui laissait à l’égard du pouvoir comtal. Le passage sous l’autorité royale à l’issue de la crise albigeoise ne représente pas à terme de remise en cause à cet égard, Toulouse ayant bénéficié de franchises importantes de la part des souverains15, et débouche sur un progressif enrichissement institutionnel de la ville qui culmine avec la création du Parlement en 144416, installé définitivement en 1469.

B) Le rôle ambivalent de l’autonomie régionale

11L’affirmation des États monarchiques à la fin de l’époque médiévale et au cours des temps modernes peut sembler à première vue peu propice au rayonnement des deux villes, les autonomies locales, provinciales, mais plus encore urbaines, ayant été progressivement réduites par le développement de l’absolutisme. La réalité est toutefois plus complexe.

1. La formation plus ou moins achevée des entités régionales

12Si Saragosse et Toulouse ont toutes deux eu à assumer au cours du Moyen Âge des fonctions de capitale, les conséquences n’en ont pas été identiques sur les relations de chacune des deux villes avec son environnement régional à l’époque moderne. D’une façon générale l’identification réciproque entre l’Aragon et sa capitale incontestée était nettement plus affirmée que celle de Toulouse avec le Languedoc. Cela tient à la différence des situations géographiques des deux villes dans leur région historique respective, mais aussi à un écart en ce qui concerne la charge identitaire inhérente à cette dernière, la personnalité de l’Aragon restant semble-t-il au XVIIIe siècle plus vivace que celle du Languedoc.

  • 17 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse sous l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 2000, p. 370-373.
  • 18 Francho Ch. Nagore y Chorche Cortès, « El Aragonés », in Los Aragoneses, p. 273-295, p. 27 (...)
  • 19 Ibid., p. 291 ; Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 373.

13Pourtant cette vigueur ne repose pas sur une culture régionale plus vivante, car paradoxalement l’occitan reste à la veille de la Révolution d’un usage oral très majoritaire dans le Toulousain, y compris dans la ville elle-même17, alors que l’aragonais comme langue populaire tend déjà au XVIIIe siècle à être cantonné dans la zone pyrénéenne, une grande partie du reino ayant été déjà gagnée par l’emploi du castillan18. Dès le XVIe siècle, à la suite de l’avènement de la dynastie castillane au début du XVe siècle, l’aragonais avait cessé d’être utilisé dans les documents écrits, un processus similaire se produisant de l’autre côté des Pyrénées à la même époque en faveur du français. Dans un cas comme dans l’autre la langue régionale ne donne plus lieu au siècle des Lumières qu’à quelques rares publications19.

14La ligne de partage importante sépare la pratique orale des patois, dans toute leur variété au sein même des langues régionales, et l’usage de l’écrit pour lequel la langue nationale s’impose presque exclusivement. Qu’il y ait moins de différences entre les parlers d’Aragon et ceux de Castille qu’entre le gascon ou l’occitan et le français importe en définitive assez peu, car les particularismes ne s’appuient pas au XVIIIe siècle sur des fondements linguistiques, comme ce sera le cas au siècle suivant. À une époque où la langue et la culture populaire ne sauraient constituer un enjeu politique, la contestation de la légitimité du pouvoir central consiste essentiellement en un rappel des privilèges et des libertés grâce auxquels les élites locales prétendent en se plaçant sur le terrain des institutions et de l’histoire se réapproprier ou conserver pour elles-mêmes les bénéfices inhérents à une structure sociale fondamentalement inégalitaire.

  • 20 Cf. Marcel Durliat, Philippe Wolff, « Reconversion et maturation (XIIIe siècle) », in Hist (...)

15Or, en remontant dans le temps, on observe que l’identité aragonaise a commencé à se forger quand l’Aragon s’est trouvé réuni à la Catalogne. À peu près au même moment, le processus de formation d’une identité régionale en Languedoc n’a pu se réaliser au sein d’une entité politique propre, puisque la croisade albigeoise dès le début du XIIIe siècle s’est soldée par l’incorporation pure et simple des possessions des comtes de Toulouse au domaine du roi de France. Outre-Pyrénées, les coutumes et les privilèges aragonais se sont au contraire progressivement constitués dans le cadre préservé du reino, même si le souverain n’en était autre que le comte de Barcelone. Quelles qu’aient été les intentions de ce dernier, il ne disposait pas des mêmes forces que le roi de France pour réduire les ferments d’une identité aragonaise qui a réussi à imposer la promulgation des fueros aragonais face à l’entité catalane. Par ailleurs la reconquête nécessitait une mobilisation commune des deux principautés, associées sous une même autorité, en même temps qu’elle satisfaisait leur volonté d’extension. Le Languedoc, de son côté, avait perdu dès le XIIIe siècle l’indépendance dont jouissaient de fait les grandes principautés féodales avant l’affirmation des États monarchiques. Toulouse cependant a reçu les fruits de l’intégration de l’entité languedocienne dans le domaine royal. La fondation de son Université, comme celles de son Parlement, de son siège métropolitain et de nombreuses institutions religieuses ont été autant de conséquences, à terme bénéfiques à son rayonnement, de la conquête de la province par les hommes du Nord20.

2. Réduction ou préservation de l’autonomie

  • 21 Ibid., p. 9.
  • 22 Eloy Fernández Clemente, « La historia : epoca moderna y contemporánea », in Los Aragonese (...)

16À l’époque moderne cependant, le Languedoc a vécu des heures de résistance à l’absolutisme, avec le duc de Montmorency et Gaston d’Orléans, mais la ville de Toulouse n’y a guère participé, de même qu’elle n’a pas pris part à la Fronde quelques années plus tard21. En Aragon, l’affaire Antonio Pérez en 1591, qui est aussi l’expression d’une résistance au progrès de l’État royal, met au contraire en évidence l’attachement de la capitale et de ses habitants aux institutions et aux coutumes aragonaises22. Dans les deux cas la rébellion fait long feu et ces épisodes manifestent sans doute une progressive dissociation des intérêts des élites et des populations locales face au pouvoir royal. Du côté aragonais cependant, le décalage semble aussi important entre la capitale et les autres localités, la première paraissant nettement plus mobilisée que les secondes pour la défense et la préservation des fors. Si aucune des deux entités régionales n’avait les moyens de s’opposer de façon frontale à l’autorité monarchique, chacune s’efforçait cependant de préserver une certaine autonomie administrative et une instance de représentation.

  • 23 José. A. Armillas Vicente, « De los Decretos de la Nueva Planta a la Guerra de la Independ (...)
  • 24 Le droit civil aragonais, à la différence de ce qui s’est produit pour le royaume de Valen (...)
  • 25 Cf. sur ce point le travail de Christine Langé, Pouvoir royal, pouvoir foral – La capitain (...)
  • 26 Elíseo Serrano Martín, « Aragón en la Monarquía de los Austrias », in Historia de Aragón – (...)
  • 27 José A. Armillas Vicente, « De los Decretos de la Nueva Planta a la Guerra de Independenci (...)

17En Languedoc, les états provinciaux se sont maintenus jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, mais en Aragon l’issue de la Guerre de Succession, défavorable au parti choisi par la majorité de la noblesse aragonaise23, a entraîné l’abolition définitive des fueros24, l’imposition brutale d’un nouveau système administratif et fiscal et s’est traduite par la déchéance de l’ancienne capitale. Celle-ci était en effet le siège de la Diputación, qui continuait sous les Austrias à figurer comme le véritable gouvernement du reino, mais aussi celui du Grand Justicier d’Aragon, dont, il est vrai, les attributions avaient été notablement rognées depuis la fin du XVIe siècle, ainsi que la résidence du vice-roi, dont la nationalité constituait un enjeu important25. Or toutes ces institutions disparaissent au terme des décrets de Nueva Planta de 1708-1711. N’oublions pas enfin l’abolition des cortes d’Aragon, au sein desquels les députés de Saragosse jouissaient d’une certaine prépondérance26, même si cette disparition a été quelque peu compensée par la représentation aux cortes de Castille de six puis de sept cités aragonaises, dont bien sûr la capitale déchue27.

  • 28 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII. Cap. I. El absolutismo borbónico », (...)
  • 29 Joseph Pérez, Histoire de l’Espagne, p. 415.
  • 30 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII. Cap. II. Aragón y la nueva dinastía (...)
  • 31 Ibid., p. 329-331.

18Ainsi, alors que dans le cas du Languedoc l’intégration au sein du royaume de France n’est plus au XVIIIe siècle un objet de conflit ou d’amertume, en Espagne le processus d’homogénéisation des coutumes et des institutions a été à la fois tardif et brutal et a été vécu par les ressortissants des pays de l’ancienne couronne d’Aragon comme une domination de la Castille. L’assimilation forcée a été en effet fondamentalement le résultat d’une situation de guerre à l’issue de laquelle l’Aragon faisait figure de territoire conquis28. Le cas de la Navarre et du Pays Basque qui n’avaient pas choisi le parti du prétendant autrichien et qui ont réussi à préserver leur autonomie en est a contrario la preuve29. S’il n’y a pas lieu ici de s’interroger sur les antécédents qui peuvent expliquer les choix des élites aragonaises, il convient de souligner l’impact à long terme de la Guerre de Succession sur la résistance des identités régionales face à la volonté d’homogénéité nationale de l’État central. Les deux pièces maîtresses du nouveau dispositif mis en place par la nouvelle dynastie sont d’une part le capitaine général ou gouverneur, qui représente l’autorité militaire mais a aussi la haute main sur la justice puisqu’il préside l’Audiencia, et d’autre part l’intendant, qui est le véritable administrateur de la province30. Or, durant tout le règne de Philippe V, et même au-delà, les difficultés d’accession aux charges administratives locales sont pour les élites aragonaises, comme pour celles des autres territoires de l’ancienne couronne d’Aragon, un sujet de mécontentement, qui donne lieu à de fréquentes récriminations de leur part31.

  • 32 Bartolomé Bennassar, Bruno Tollon, « La stagnation (vers 1630 – vers 1715) », in Histoire (...)
  • 33 L’opposition parlementaire se manifeste à l’occasion de l’enregistrement des édits fiscaux (...)
  • 34 Jacques Godechot, Bruno Tollon, « Ombres et lumières sur Toulouse (171-1789) », in Histoir (...)
  • 35 L’utilisation du particularisme provincial par l’opposition parlementaire est un phénomène (...)

19Cité provinciale restée depuis la fin des guerres de religion à l’écart de la vie politique du royaume, au point qu’elle fait figure de ville sans histoire32, Toulouse voit pourtant au XVIIIe siècle se manifester à certaines occasions un attachement de la population aux prérogatives des institutions locales. C’est notamment le cas quand il s’agit de s’opposer à la politique réformatrice du gouvernement monarchique qui vient heurter les intérêts et les prétentions des parlementaires toulousains33. La cour supérieure, créée au XVe siècle pour faire dire la loi du roi, semble paradoxalement être devenue au XVIIIe siècle le symbole du droit de représentation des sujets et, par la même occasion, d’une forme de particularisme local qui s’exprime quand le gouvernement entend imposer des réformes à l’ensemble du royaume. L’opposition des parlementaires toulousains n’est pas un trait singulier, si ce n’est peut-être par la virulence dont elle fait preuve, mais on doit relever que la rentrée en fonction des magistrats à l’issue des épreuves de force qui les opposent à la monarchie est à chaque fois marquée par de grandes manifestations d’allégresse populaire34, preuve de leur influence dans la ville. En réalité cependant, si l’opposition des parlements provinciaux en général et du tribunal toulousain en particulier se focalise sur les représentants directs du pouvoir royal, intendants ou commandant en chefs, son caractère particulariste reste assez superficiel. Les mobiles essentiels ne sont pas différents de ceux autour desquels se rassemblent les magistrats parisiens, mais il est probable que le soutien de la population locale résulte pour une part de la volonté de celle-ci d’afficher un esprit d’indépendance à l’égard d’un « despotisme ministériel » émanant de Versailles. Pour autant ce particularisme ne se rattache pas à une entité régionale définie et n’a ni fondement historique réel au cours des siècles précédents, ni contenu politique cohérent35.

  • 36 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII. - cap. II. Aragón y la nueva dinast (...)
  • 37 Il était en même temps corregidor de la ville.
  • 38 Jean-Pierre Amalric, « Les Élites : genèse… », in Histoire des Espagnols, p. 589-624, p. 5 (...)

20Il n’en va pas de même de l’autre côté des Pyrénées, alors que l’usage du singulier pour désigner l’ensemble des possessions ibériques du monarque commence seulement à s’imposer. La vivacité du patriotisme régional s’exprime particulièrement chez les élites des anciens pays de la couronne d’Aragon. Le Memorial de 1760, adressé communément au souverain par les députés des quatre villes capitales à l’occasion de la prestation de serment de son héritier devant les Cortes générales, déplore à la fois que l’administration des territoires dont ils sont issus échappe aux naturels de l’ancienne couronne d’Aragon et que ces derniers soient par ailleurs écartés des charges les plus importantes de la monarchie36. Quelques années après, en 1766, survient la vague des révoltes populaires, phénomène d’envergure nationale, mais qui a aussi une dimension régionale. Après ceux de Madrid, les événements survenus à Saragosse sont en effet sans doute les plus importants parmi les dizaines d’occurrences qu’on a pu relever à travers toute l’Espagne. Parallélisme entre les deux côtés des Pyrénées, il est significatif que la figure visée, à Saragosse comme dans beaucoup d’autres localités, celle de l’Intendant37, représentant essentiel du pouvoir central et chargé de mettre en œuvre les projets de réforme fiscale. Les motines aboutissent au renvoi d’Esquilache, à un recentrage de l’équipe gouvernementale sur les naturels de la péninsule au détriment des Italiens et à la nomination d’Aranda, grand seigneur aragonais à la tête du Conseil de Castille, c’est-à-dire en tant que véritable premier ministre38.

  • 39 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII. cap. V. Los políticos aragoneses », (...)

21En réalité cependant, le fameux « parti aragonais » est surtout désigné comme tel par référence à l’origine de celui qui en fait figure de chef et ne semble pas porteur d’une aspiration à plus d’autonomie pour l’Aragon. La conception du pouvoir royal qui est celle du comte d’Aranda allie la volonté de réformer la monarchie par le haut et celle de redonner une place prépondérante à la haute aristocratie −et à la fonction militaire qui lui est attachée − dans le gouvernement du royaume39. L’expression, employée pour caractériser le groupe rallié à cette philosophie politique et les réseaux d’influence tissés autour de son promoteur avec l’arrière-pensée probable de le discréditer chez ceux qui appartiennent à des clientèles rivales, manifeste pourtant que l’identité aragonaise peut encore servir de repère dans la seconde moitié du XVIIIe siècle pour désigner un courant de pensée et d’action politique qui n’a pourtant qu’un rapport lointain avec la question de la place dévolue à l’Aragon dans une monarchie espagnole sur la voie de l’unification.

3. Métropoles et identités régionales

  • 40 Philippe Wolff, « L’épreuve des temps » in Histoire du Languedoc, p. 235-263, p. 255-256.
  • 41 Elíseo Serrano Martín, « Aragón en la Monarquía de los Austrias », in Historia de Aragón – (...)

22En définitive, il apparaît que Toulouse et Saragosse s’insèrent dans des entités territoriales qui offrent des caractères assez dissemblables. Alors que l’Aragon a eu une identité politique propre durant au moins huit siècles, le Languedoc a simplement maintenu sous l’autorité directe du roi de France une unité administrative héritée du comté de Toulouse et qui s’exprime à travers les états provinciaux, reconnus par le souverain dès le milieu du XIVe siècle40. Le Languedoc ne constituait pas de fait une entité politique cohérente et réellement indépendante avant son intégration au domaine royal. La cité garonnaise n’a donc plus de rôle politique depuis le début du XIIIe siècle, mais dès l’époque carolingienne sa position primatiale avait été mise à mal. L’effacement de la fonction de commandement se manifeste à l’époque moderne par le fait que le représentant du pouvoir royal n’y demeure pas et qu’elle n’occupe pas, comme c’était le cas de la cité de l’Èbre à l’époque où existaient des Cortes et une Diputación d’Aragon41, une position prédominante au sein des états provinciaux. Cette absence d’envergure répond à la position géographique de la ville sur les marges d’une province dont la maîtrise lui échappe.

  • 42 C’est notamment le cas du Conseil d’Aragon qui semble avoir été un organisme dépourvu de d (...)

23Saragosse a expérimenté une réalité fort différente comme capitale d’un royaume qui, entre la fin du XIIe siècle et le début du XVIIIe, est resté solidement ancré à ses fueros et a su préserver l’existence de ses institutions, à défaut d’en maintenir la vitalité jusqu’à l’éradication brutale de 1708. Au fil du temps, la ville n’a fait que s’identifier plus pleinement au reino au centre duquel elle se plaçait et où elle jouissait d’une primauté incontestée. L’Aragon, bien que bénéficiant du couloir de circulation que lui offre la vallée de l’Èbre jusqu’à la Méditerranée, est en effet demeuré un espace de l’intérieur, dont la personnalité s’est précisément formée en contrepoint de celle de son associé maritime, la Catalogne. À l’égard de celle-ci, les Aragonais se sont gardés de toute tendance à l’assimilation passive, cherchant au contraire toujours plus à affirmer leur identité. Ce souci les a conduits à se figer progressivement dans des structures politiques de moins en moins adaptées aux données géopolitiques et au contexte économique de l’époque moderne42. L’abolition des fueros et l’application forcée du modèle castillano-bourbonien à tous les anciens pays de la Couronne d’Aragon a donc fortement contrarié un esprit national entretenu depuis des siècles et a revêtu un caractère traumatisant, tout particulièrement pour l’ancienne capitale.

  • 43 Cf. infra, chapitre 3.

24Toulouse n’enregistre de choc comparable qu’avec la Révolution qui la prive de nombreuses institutions qui l’animaient jusqu’alors et de la présence desquelles elle s’enorgueillissait. Mais les situations n’offrent de ressemblances qu’en apparence, car la Nueva Planta a donné à l’Aragon et donc aussi à Saragosse un cadre institutionnel qui avait déjà fait ses preuves et qui était sans doute mieux adapté aux nécessités politiques et économiques de l’époque que celui qui prévalait jusqu’alors et qui présentait une certaine sclérose. Ainsi, si l’on s’en tient aux résultats concrets, il semble que la Nueva Planta a plus laissé de blessures d’amour propre qu’elle n’a entraîné de régression pour la métropole aragonaise. La dynamique à laquelle la ville participe au cour du siècle de la Ilustración, tant au plan démographique que du point de vue économique ou encore culturel43, tient pour une bonne part à la nouvelle donne politique dans laquelle l’Aragon et sa capitale se trouvent placés.

C) Pouvoirs et espaces urbains

1. Libertés et institutions municipales

  • 44 Le soulèvement a été déclenché par le fait que le pouvoir royal a prétendu par l’intermédi (...)
  • 45 Guillermo Redondo Veintemillas, « Felipe I de Aragón - cap. III - Aragón y la monarquía au (...)
  • 46 Bartolomé Bennassar, « D’autres Espagnols », ch. XII de Histoire des Espagnols, p. 423-456 (...)

25En admettant qu’il ne restait pratiquement plus rien dans la seconde moitié du XVIIIe siècle de l’autonomie régionale en Aragon et relativement peu de choses en Languedoc, qu’était-il advenu des libertés urbaines à la même époque dans les deux métropoles ? A priori, les secondes constituaient un enjeu plus immédiatement perceptible pour les habitants que la première, mais les deux aspects avaient partie liée. Ainsi, à Saragosse, la révolte de 1591 semble avoir été pour une bonne part suscitée par les titulaires des institutions forales aragonaises qui siégeaient dans la ville et y bénéficiaient d’un large soutien populaire en raison des réseaux de clientèle dont ils étaient environnés44. Le peu d’enthousiasme rencontré par la tentative de lever une armée aragonaise manifeste que les habitants des campagnes et des autres localités se sentaient nettement moins concernés par la défense des prérogatives coutumières45. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, l’historiographie a mis en valeur l’image de véritables petites républiques urbaines à la fin du Moyen Âge et même au début des Temps modernes46.

  • 47 Guillermo Pérez Sarrión, « Clases privilegiadas y clases dominantes en el Aragón moderno ( (...)
  • 48 Guillermo Redondo Veintemillas, Las corporaciones de artesanos de zaragoza en el siglo XVI (...)
  • 49 En s’immisçant à Saragosse dans la procédure dite de l’insaculacio qui prévalait dans tout (...)

26À Toulouse comme à Saragosse, la désignation des autorités municipales donnait lieu traditionnellement à des procédures complexes qui étaient censées permettre la représentation des groupes sociaux dominants. Si dans la cité garonnaise la robe longue a progressivement réussi à s’imposer à la tête de l’administration municipale, au bord de l’Èbre il semble qu’au cours du XVIIe siècle se soit produite une progressive fermeture des charges municipales au bénéfice de l’aristocratie, dont les membres ont eu de plus en plus tendance à faire de la capitale régionale leur résidence principale47, et qui s’est soldée par une très sensible régression de la représentation des couches marchandes et artisanales48. Dans les deux cas le pouvoir royal a réussi à influer sur la composition des municipalités en intervenant au niveau de l’élaboration des listes au sein desquelles devaient être choisis leurs futurs membres49.

  • 50 José María Lacarra, Aragón en el pasado, Espasa Calpe, Madrid, 1979, (première édition 197 (...)
  • 51 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII », in Aragón en su historia, p. 329. (...)
  • 52 Il semble qu’à la suite des motines de 1766 la confusion des deux charges ait été remise e (...)
  • 53 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII », in Aragón en su historia, p. 328- (...)

27À Saragosse cependant, en ce domaine aussi, ce n’est qu’avec la nouvelle dynastie que la municipalité tombe définitivement sous la coupe du pouvoir royal. Dès lors les anciens jurats élus disparaissent pour laisser place à des regidores, au nombre de vingt-quatre50, dont les charges vénales et progressivement héréditaires sont monopolisées par les familles de l’aristocratie, à l’instar ce qui s’était produit aux siècles précédents en Castille. Ce système qui aurait pu conduire à une complète mainmise de la noblesse locale sur l’administration de la ville laisse en réalité celle-ci sous le contrôle de la monarchie par le biais du corregimiento. Le corregidor est en effet nommé par le roi selon le modèle castillan et préside l’Ayuntamiento51. De plus, à Saragosse comme dans tous les sièges d’intendance, cette fonction est exercée à partir de1749 par l’intendant lui-même52, qui dispose donc d’un pouvoir considérable dans la ville. Commandant la milice, il est responsable de l’ordre public et de la police et à ce titre peut d’ailleurs avoir des conflits de compétence avec le régent de l’Audiencia53.

  • 54 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 64.
  • 55 Ibid., p. 69.

28En France, et en l’occurrence à Toulouse, la monarchie avait aussi créé à plusieurs reprises des offices municipaux, mais sans pour autant envisager de supprimer les magistratures capitulaires, l’objectif poursuivi étant ici de nature financière54. Effectivement les charges furent rachetées dans la plupart des cas par la municipalité toulousaine, dont le budget s’en trouvait d’ailleurs fortement grevé. Le système de désignation toulousain paraît a priori moins fermé que celui qui prévalait à Saragosse, surtout après les décrets de Nueva Planta, mais il faut relever qu’à travers le Conseil de Bourgeoisie55 les anciens capitouls avaient la haute main sur l’administration municipale et partageaient avec le roi le contrôle de l’accession au capitoulat. Si dans les deux cas l’intendant était un personnage clé, auquel appartenait de fait à Toulouse le choix ultime des huit candidats, le gouvernement royal s’en remettant à son avis, sa tutelle était beaucoup plus directe outre-Pyrénées, même si les difficultés financières rencontrées par les municipalités en France à la fin de l’Ancien Régime justifiaient de plus en plus souvent son intervention, par l’intermédiaire du subdélégué qui le représentait dans la cité garonnaise.

  • 56 Ibid., p. 64 et 75. Cf. également Robert A. Schneider, « Les parlementaires dans la vie mu (...)
  • 57 Jean-Pierre Dedieu, L’Espagne de 1492 à 1808, Paris, Belin, 1994, p. 111.
  • 58 Juan-Jaime López González, Zaragoza a finales…, p. 29-35.
  • 59 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVII - cap. II – Aragón y la nueva dinastí (...)

29Mais le Capitole se trouvait confronté à une autre institution, le Parlement, qui était représenté dans les différents conseils municipaux et qui jouissait d’une influence certaine sur la désignation des édiles. Les parlementaires toulousains n’en étaient pas moins en constant conflit de compétence avec la justice capitulaire et l’exacerbation des rivalités les poussait à impulser des campagnes d’opinion qui mettaient en cause la municipalité et son mode de fonctionnement56. À cet égard il n’y a pas de doute que le poids politique de la cour supérieure et son influence dans la vie de la cité étaient bien plus importants à Toulouse qu’à Saragosse, où la nouvelle audience créée par Philippe V sur le modèle des chancelleries castillanes était chargée de faire appliquer les mêmes lois que ces dernières selon les termes du décret de 170757. Il semble d’ailleurs que l’Audiencia de Saragosse, dont le ressort se limitait à l’Aragon, ait été souvent placée sous la présidence du Capitaine général58 qui présidait déjà par ailleurs le tribunal du Real Acuerdo59. Par ailleurs les magistrats qui composaient les cours outre-Pyrénées ne jouissaient pas de l’indépendance que leur aurait procurée la propriété de leur charge, la monarchie n’ayant jamais accepté le principe de la vénalité des offices judiciaires, même si elle a parfois adopté des pratiques qui s’y rattachaient.

  • 60 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 75-79.

30La situation du Parlement toulousain était fort différente puisqu’il s’agissait de la cour de justice supérieure provinciale dont la fondation était la plus ancienne (1444) et celle dont le ressort était le plus étendu après celui du tribunal parisien. Imbus du prestige attaché à leur ancienneté, détenteurs héréditaires de leur charge depuis souvent plusieurs générations, ce sont au XVIIIe siècle les parlementaires qui représentent à Toulouse, à l’instar de ce qui se passe dans la capitale elle-même et dans d’autres cours provinciales, la principale force de résistance à la politique royale, les capitouls se plaçant d’ailleurs généralement du côté de la monarchie et cherchant à utiliser le conflit pour affaiblir un pouvoir local concurrent60.

2. Les cités et leur territoire

a) Domination et/ou appropriation des campagnes environnantes

  • 61 Ibid., p. 35.
  • 62 Le corregimiento de Saragosse avait une extension de 7934 kilomètres carrés. Cf. José Fran (...)
  • 63 José María Lacarra, Aragón en el pasado, Espasa Calpe, Madrid, 1979 (1e éd. 1972), p. 202- (...)
  • 64 Joseph Pérez, Histoire de l’Espagne, p. 417-418.
  • 65 Jean-Pierre Amalric, « Dans les Espagnes du XVIIIe… », in Aux origines du…, p. 17-18. Cf. (...)

31Avec le contrôle de la justice royale, placée sous l’autorité du capitaine général, et la mise en tutelle de la municipalité par le commissaire royal, le jeu était bien moins ouvert à Saragosse. Il reste que les municipios recouvraient une réalité assez différente des villes françaises et que leurs représentants avaient un rôle et une puissance que les gouvernements urbains n’ont jamais atteints en France. Cette différence renvoie notamment à l’étendue du territoire sur lequel les grandes villes espagnoles exerçaient leur autorité, le cas de Saragosse étant particulièrement significatif. Avec ses 11820 hectares61, le gardiage de Toulouse formait cependant un territoire municipal particulièrement vaste par rapport à celui de la plupart des autres grandes villes françaises. Pour autant, il ne représentait guère qu’un douzième de l’ensemble du término municipal saragossan, qui était, il est vrai, le plus étendu dans la moitié septentrionale de la péninsule. De plus, ce territoire était entouré d’un espace encore beaucoup plus vaste sur lequel s’exerçait l’autorité du représentant de l’État qui avait la haute main sur l’administration de la ville62. Les partidos des municipes espagnols étaient en effet au XVIIIe siècle la circonscription administrative de base sur laquelle le corregidor exerçait sa tutelle, l’ancien reino aragonais étant quant à lui divisé en 13 corregimientos63 et formant à la suite de la réforme de 178564 une des 32 provincias qui étaient censées diviser rationnellement une Espagne unifiée. Relais essentiel du pouvoir royal, les corregimientos étaient aussi la traduction de l’emprise institutionnelle des ciudades sur des campagnes environnantes où les communautés d’habitants n’avaient pas, à l’instar des consulats qui existaient dans la partie méridionale du royaume de France, d’instances représentatives propres, et où, dans le cas de l’Aragon médian, les noyaux de population étaient très espacés65.

  • 66 Bartolomé Bennassar, Bruno Tollon, « Ombres et… », in Histoire de Toulouse, p. 370-373.
  • 67 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII », in Aragón en su historia, p. 340- (...)

32Capitale régionale incontestée, la cité de l’Èbre se plaçait au centre d’un immense territoire dont elle avait la disposition et sur lequel les autorités municipales pouvaient mener à bien les projets qu’elles décidaient de mettre en œuvre, ainsi qu’on l’observe avec l’extension des superficies irriguées. De plus les limites de l’espace urbanisé, qui ne correspondaient pas à Saragosse, comme c’était le cas des remparts toulousains, à des barrières d’octroi, présentent un caractère moins net qu’à Toulouse du fait que les murailles de pisé jouxtaient souvent les propriétés conventuelles qui enserraient la cité. Si la forte attraction de la cité garonnaise, sa croissance, la richesse des élites sociales qui y demeuraient et y exerçaient leur fonction se traduisaient au XVIIIe siècle par un urbanisme particulièrement actif66, au bord de l’Èbre les préoccupations prioritaires des autorités municipales touchaient plutôt aux condition d’exercice des activités agricoles et à l’utilisation de l’espace qui en découlait. Ainsi la révolte de 1766 se produit dans le contexte d’une opposition entre la puissante Casa de Ganaderos, qui regroupait les grands propriétaires de bétail, et l’intendant qui poursuivait à travers l’exercice du corregimiento de Saragosse un projet populationniste et qui était à ce titre favorable à l’extension des cultures au détriment des terrains de pâture67.

b) Une structure assez similaire de l’espace urbain

  • 68 Il s’agit de la contraction du mot arrabal qui signifie faubourg.

33Différenciées par l’étendue de leur territoire, les deux villes sont par contre rapprochées par celle de leur espace urbain, qui dans les deux cas comprend un peu moins de deux cents hectares et se répartit en trois noyaux, dont les deux principaux sont situés sur une même rive du fleuve au bord duquel elles se sont développées (annexes 85 et 86). Sur la rive droite de la Garonne viennent se loger la cité et le bourg Saint-Sernin, tandis que l’ancienne Caesaraugusta et ses abords immédiats, entre l’enceinte antique et celle plus tardive de pisé, ainsi que le faubourg San Pablo occupent la rive sud de l’Èbre. Face à ce double pôle, l’un remontant à l’époque romaine, l’autre au Moyen Âge, se dresse dans les deux cas un troisième élément, situé de l’autre côté de la rivière, le faubourg Saint-Cyprien, à l’ouest de Toulouse, et le quartier d’Altabas, appelé aussi simplement Rabal68, au nord de Saragosse.

  • 69 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 34.
  • 70 Rosa María Blasco Martínez, Zaragoza en el siglo XVIII (1700-1770), Saragosse, Librería Ge (...)
  • 71 Ibid.

34Les caractéristiques de ces deux derniers quartiers sont assez similaires, s’agissant dans les deux cas des entrées des ponts qui commandent la traversée du cours d’eau et qui constituent donc une sorte d’appendice par rapport à une ville qui s’est développée sur l’autre rive. Zones d’habitat populaire, subissant les risques d’inondation, surmontés cependant à Toulouse par la construction d’une nouvelle digue supportant le cours Dillon69, les deux faubourgs se différencient cependant assez nettement par leurs activités, Altabas concentrant les activités industrielles polluantes (teinturerie, tannerie, abattoir, lavoir)70, tandis que Saint−Cyprien est surtout marqué par la présence des deux principales institutions hospitalières de la ville, l’Hôtel-Dieu et La Grave. Par ailleurs si le faubourg toulousain est inclus dans l’enceinte, qui commence d’ailleurs à être détruite à la fin du XVIIIe siècle pour laisser place à de grandes allées arborées qui vont progressivement donner naissance à une ceinture de boulevards, le Rabal apparaît plus nettement comme une annexe de la cité et, sans solution de continuité avec la campagne environnante, présente un caractère sensiblement moins urbain71.

35Hormis leur situation, les deux autres noyaux secondaires offrent encore moins de ressemblance, puisque San Pablo est un quartier très populeux, aux fonctions essentiellement marchande et artisanale, qui regroupe à lui seul près des deux cinquièmes de la population totale et dont le tracé régulier reflète une création volontariste, tandis que le Bourg Saint-Sernin, qui s’est développé progressivement autour d’un lieu de pèlerinage, est resté voué aux fonctions religieuses, accueillant de nombreuses institutions religieuses ainsi que l’Université. Le parcellaire, caractéristique à San Pablo d’une construction respectant un plan d’ensemble, y est marqué par une assez forte densité de maisons, alors qu’au contraire le Bourg est un espace de faible occupation, parsemé d’un grand nombre d’espaces verts appartenant aux différentes institutions religieuses. À Toulouse, c’est essentiellement le capitoulat de la Daurade et les abords du marché de la Pierre qui abritent les activités commerciales et artisanales. La répartition des activités et des fonctions est donc assez différente, mais la plupart d’entre elles sont partagées par les deux villes et leur importance respective présente bien des similitudes.

  • 72 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 324.
  • 73 Cf. infra, chapitre 5.

36On est frappé dans les deux cas par la place tenue matériellement par les bâtiments à caractère religieux ou dans lesquels les ecclésiastiques jouent un rôle important. À Toulouse comme à Saragosse, la présence d’un lieu de pèlerinage illustre, la renommée du Pilar étant toutefois sans doute plus attractive que celle des reliques de Saint-Sernin, se traduit par l’existence d’un riche et nombreux chapitre attaché à la basilique et qui rivalise avec celui de la cathédrale. La fonction hospitalière est elle aussi caractéristique des deux villes, de même que le rôle universitaire, l’université étant dans un cas comme dans l’autre l’une des plus fréquentées au niveau national, avec il est vrai une fonction scolaire plus affirmée dans la métropole languedocienne, qui est aussi un grande centre de formation du clergé72. Seule la présence du Saint-Office à Saragosse introduit une dissymétrie dans un tableau qui offre beaucoup de similitudes. La prolifération des communautés religieuses qui correspond dans les deux cas à la multiplication des créations à l’époque moderne, constitue notamment un trait distinctif partagé73, qui n’est pas d’ailleurs sans conséquence sur les possibilités de transformation de l’espace urbain.

  • 74 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 37.

37Toutefois, alors que dans la capitale aragonaise les nouveaux établissements formaient une ceinture presque complète autour de la cité, qui s’étendait entre l’emplacement de l’ancien rempart et le mur de pisé d’époque plus tardive et qui constituait de ce fait un espace de transition entre les quartiers proprement urbains et les terrains agricoles, les couvents dernièrement créés à Toulouse l’avaient souvent été hors de l’enceinte. Celle-ci, qui offrait plus de cohérence et dont la fonctionnalité restait plus affirmée qu’à Saragosse, avait déjà été assez largement outrepassée par l’extension de l’espace urbanisé, avec la formation de plusieurs nouveaux faubourgs au cours du XVIIIe siècle le long des axes majeurs de communication, les routes de Paris, de Narbonne et de Castres74. À Saragosse, le processus d’étalement urbain, bien qu’on puisse déjà le déceler, était contrarié et retardé dans la mesure où la ville était entourée d’une auréole verte qui correspondait aux jardins des communautés religieuses.

  • 75 Rosa María Blasco Martínez, Zaragoza en el…, p. 76-77.
  • 76 Ibid., p. 14-15.

38Ce caractère explique pour une part la différence qui s’observe entre les deux cités en ce qui concerne le réaménagement de l’espace urbain. S’il faut souligner l’ampleur exceptionnelle du chantier de la basilique du Pilar75, on doit aussi constater qu’en raison peut-être de son importance et de son coût celui-ci s’effectuait dans un contexte d’assez faible développement urbanistique, en comparaison du moins avec ce qui peut s’observer à la même époque au bord de la Garonne. Un autre trait singulier qui marquait l’espace urbain saragossan était l’empreinte de la période musulmane et plus généralement de la coexistence des trois religions qui avait donné lieu à la formation de quartiers séparés et fermés sur eux-mêmes. La conception de l’occupation de l’espace propre au monde musulman avait produit à Saragosse, comme dans toutes les villes ayant connu la domination islamique, un tracé très irrégulier des rues dans certaines zones où s’étaient multipliées ruelles et impasses, dont certaines existent encore de nos jours76. À Toulouse, si le tracé des voies médiévales était loin d’être régulier, l’alignement des rues sur les deux axes romains restait néanmoins le plus souvent perceptible dans la cité, et le réaménagement de l’espace y était donc sans doute un peu plus favorisé qu’à Saragosse.

D) Situations : carrefour ou zone de contact

39À la fois singularisées et rapprochées par leur passé, plutôt ressemblantes quant à la dimension et aux caractères de leur espace urbanisé, les deux métropoles présentent à première vue une situation géographique assez similaire.

1. Ouverture et centralité

40De part et d’autre de la chaîne pyrénéenne une symétrie se dégage entre deux cités de l’intérieur, chacune étant positionnée sur un axe fluvial majeur qui offre un couloir de communication vers un espace maritime (annexe 81). Si la vallée de l’Èbre ancre Saragosse au monde méditerranéen, alors que la Garonne offre à Toulouse un débouché vers l’Atlantique, dans les deux cas la voie de circulation naturelle est encadrée par les Pyrénées et un massif montagneux ancien, Système Ibérique d’un côté et Massif Central de l’autre. Saragosse paraît cependant plus enclavée que Toulouse, car la vallée de l’Èbre ne permet pas en amont de véritable passage vers l’Atlantique, l’accès à l’Océan étant barré par la chaîne cantabrique où le fleuve prend sa source. À l’inverse l’ouverture maritime de Toulouse est double puisqu’elle dispose, en plus de celui que lui offre la Garonne vers l’Atlantique, d’un débouché méditerranéen – qui n’est d’ailleurs pas le moins important pour elle – par l’intermédiaire d’un seuil mettant en contact deux régions de plaine, le Bas-Languedoc et le bassin Aquitain. Ce passage, emprunté par le Canal du Midi depuis la fin du XVIIe siècle et qui n’a pas son pendant outre-Pyrénées malgré le creusement du Canal Impérial dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, permet le prolongement de la voie fluviale à l’est de Toulouse, la plaçant au milieu d’un axe de circulation à travers l’isthme aquitain (annexe 81).

  • 77 Outre le siège de l’intendance, Montpellier accueillait aussi souvent la réunion annuelle (...)
  • 78 Il est probable que l’affirmation de la personnalité languedocienne de Toulouse se soit su (...)

41Cette position signifie toutefois pour la cité garonnaise une relative excentricité par rapport à la province à laquelle elle appartient. Ce phénomène se traduit en termes institutionnels sous l’Ancien Régime par la division du Languedoc en deux généralités et prive Toulouse d’une véritable primauté au profit de Montpellier77. De fait, c’est le ressort du Parlement qui exprime le mieux l’aire d’influence de la ville qui, tout en conservant une identité languedocienne et un rôle important dans cette province −dans les esprits peut-être plus encore que dans les faits78 −, rayonne aussi vers la Guyenne, la vallée moyenne de la Garonne et le piémont des Pyrénées centrales (annexe 83). À l’inverse Saragosse occupe une position centrale en Aragon, qui facilite sa primauté institutionnelle (annexe 84). La capitale aragonaise, comme la métropole languedocienne, a été dans le passé en position frontalière, tant à l’époque musulmane qu’aux premiers temps de la domination chrétienne avant la reprise de la reconquête, mais ici la frontière, qui s’étend d’est en ouest et non dans le sens méridien comme c’est le cas à Toulouse, a été rapidement franchie et les territoires qui la bordaient ont été conquis et occupés par les Aragonais.

  • 79 Le rappel de ce passé relativement lointain n’est pas hors de propos puisque les barrières (...)

42Rien de tel ne s’est produit au nord des Pyrénées, puisque la prise de contrôle de l’Aquitaine par les rois de France n’a pas modifié les anciennes limites féodales et que le Midi toulousain est devenu par la suite une zone de contact entre le domaine royal et les possessions du duc de Guyenne et, par la même occasion, un enjeu de l’affrontement entre les rois de France et d’Angleterre. De cette époque restent les nombreuses bastides dont est entourée Toulouse, qui ont constitué autant de points d’appui pour résister aux visées expansionnistes du puissant vassal79, ainsi qu’un décalage entre le ressort judiciaire d’un parlement créé au XVe siècle, au moment de la réorganisation de son royaume par CharlesVII, et la circonscription administrative issue de l’ancienne principauté féodale. Le Midi toulousain se présente donc comme un espace de transition entre des domaines voisins, où se rencontrent et se mêlent plusieurs d’influences, tandis que la personnalité de Saragosse et de sa région offre plus de singularité et moins d’ouverture.

2. Réseaux et circulations : des positions différenciées

  • 80 Cf. infra, chapitre 4.
  • 81 Georges Frêche, Toulouse et la…, p. 60-61 ; Bernard L epetit, Les villes dans…, p. 450-451
  • 82 José Francisco Forniés Casals, « Estimaciones cuantitativas para la historia urbana de Ara (...)
  • 83 Jean-Pierre Dedieu, L’Espagne de 1492…, p. 186.

43Une autre différence notable entre les deux villes concerne le réseau urbain régional, qu’elles dominent incontestablement dans un cas comme dans l’autre, mais d’une façon plus ou moins marquée. Certes, dans les deux cas, la métropole est entourée d’une auréole de petites villes situées à quelques dizaines de kilomètres (annexe 82). Mais cette similitude n’est qu’apparente, si l’on considère la taille de ces différents noyaux de population qui, aux alentours de Saragosse, reste dans tous les cas très nettement inférieure à la dizaine de milliers d’habitants, alors qu’il en va tout différemment aux environs de Toulouse80. Ici, on relève la présence, à une soixantaine de kilomètres, des foyers montalbanais et castrais, qui dépassent respectivement 25000 et 10000 habitants dans les années 1780, ainsi que celle de Carcassonne, à moins de cent kilomètres, dont la population atteint les 15000 âmes à la même époque. Le réseau urbain du Toulousain comporte également deux villes qui, situées toutes deux à quelque soixante-dix kilomètres de la métropole, se rapprochent du chiffre de 10000 habitants au cours des décennies prérévolutionnaires avant de l’atteindre sous la Révolution, et plusieurs localités situées à moins de cinquante kilomètres de Toulouse qui dépassent les 5000 habitants. Du sud au nord, ce sont Castelnaudary, Revel, Lavaur, Gaillac, qui forment sur le flanc occidental de la cité garonnaise un chapelet de petites agglomérations, auquel on pourrait adjoindre Auch et Pamiers, à l’est et au sud, qui sont de dimension similaire mais à une distance un peu plus grande de Toulouse81. De l’autre côté des Pyrénées, s’il existe bien trois agglomérations à environ cinquante kilomètres de la capitale régionale, seule Belchite au sud-est s’approche, sans toutefois l’atteindre, du chiffre de 5000 habitants, tandis que Cariñena au sud-ouest et Tauste au nord-ouest n’en ont guère que 3500. À part Saragosse elle-même, aucune cité en Aragon n’a 10000 habitants82 et il n’en existe pas non plus dans les provinces limitrophes à plus de cent, voire de cent-cinquante kilomètres de la cité de l’Èbre83. Ainsi, la suprématie de Saragosse dans le réseau urbain local est-elle indéniablement beaucoup plus affirmée que celle de Toulouse.

44La situation des deux métropoles régionales doit être aussi envisagée par rapport à leur capitale nationale respective. À cet égard, il ne fait pas de doute que la géographie a contribué à maintenir la capitale languedocienne en dehors de l’orbite de Paris, la distance étant renforcée par les obstacles du relief. Sans doute, les conditions générales de la circulation étaient-elles sensiblement plus mauvaises dans l’Espagne de Charles III que dans la France de Louis XV, mais il n’en reste pas moins que la distance séparant la capitale aragonaise de Madrid n’est pas équivalente à la moitié de celle qui existe entre Toulouse et Paris (annexe 81). Quant au Système Ibérique, il ne présente pas d’obstacles naturels sensiblement plus importants à la circulation que les contreforts occidentaux du Massif Central. La situation de la capitale aragonaise se caractérise par le fait d’être à la jonction de plusieurs des routes les plus empruntées entre les pôles urbains les plus développés de la partie septentrionale de la péninsule. Saragosse se trouve en effet au milieu de l’itinéraire qui relie la capitale nationale à celle de la Catalogne, mais aussi de ceux qui vont de Barcelone et de Valence au Pays Basque. Enfin la cité du fleuve ibérique se place au débouché du seul véritable passage à travers les Pyrénées centrales qui relie le bassin aquitain à celui de l’Èbre. Cette situation de carrefour correspond à un site caractérisé par la confluence du Gallego et de la Huerva avec l’Èbre dans lequel ils se jettent tous deux au niveau où s’est édifiée la cité augustéenne, ainsi que par celle du Jalón et du fleuve ibérique à une vingtaine de kilomètres en amont de la ville. Toulouse, quant à elle, bénéficie de sa situation sur l’axe qui relie la Méditerranée et l’Atlantique, Marseille et Montpellier à Bordeaux, mais occupe une position qui est à l’époque moderne sensiblement plus marginale dans l’ensemble français que celle de Saragosse en Espagne. Toutefois les conditions techniques, économiques, mais aussi politiques de l’Espagne minimisent fortement les bonnes potentialités dont semble devoir bénéficier la métropole aragonaise au regard de sa situation.

Notes

1 Miguel Beltrán Lloris, « El alto imperio », Historia de Aragón – I. Generalidades, Zaragoza, Institución Fernando el Católico, 1992, p. 89-98, p. 91-92.

2 Juan Ángel Paz Peralta, « El periodo hispano visigodo », Historia de Aragón - I., p. 109-116, p. 114.

3 Michel Labrousse et Philippe Wolff, « Les Temps obscurs », in Histoire de Toulouse, Toulouse, Privat, 1974 (1e éd. 1958), p. 50 ; Jean Coppolani, Toulouse – Étude de géographie urbaine, Toulouse, Privat-Didier, 1959 (thèse soutenue en 1952), p. 39.

4 Saragosse joue indirectement un rôle dans la faveur dont bénéficie Toulouse, puisque l’échec de Charles devant la cité de l’Èbre a été le prélude à la retraite au cours de laquelle l’arrière-garde franque a été surprise par les Basques. Charlemagne qui envisageait sans doute une reconquête rapide prend alors conscience de la difficulté et décide d’assurer ses arrières.

5 Michel Labrousse et Philippe Wolff, « Les temps obscurs », in Histoire de Toulouse, p. 43-65, p. 58-59.

6 Celui-ci fut d’abord un émirat dépendant théoriquement du califat abbasside, avant de devenir lui-même un califat indépendant sous la dynastie des Omeyades.

7 Pierre Guichard, « Apogée de l’Islam andalou. Xe siècle - début XIIIe siècle », chapitre III de Histoire des Espagnols, p. 84-123, p. 100-102.

8 José María Lacarra, Aragón en el pasado, Madrid, Espasa-Calpe, 1979 (1ère édition 1972), p. 41.

9 Ana María Navarro Ferrer, « Geografía urbana… », 1962, p. 30.

10 Philippe Wolff, Histoire de Toulouse, édition de 1958, p. 61.

11 J. Ángel Sesma Muñoz, « Aragón medieval », in Aragón en su historia, Saragosse, Caja de Ahorros de la Inmaculada, 1980, p. 108-186, p. 163-171.

12 Ainsi que le montre la carence de personnel gouvernemental commun aux différents territoires constitutifs de la Couronne.

13 Ana María Ferrer Navarro, « Geografía urbana… », p. 30.

14 Philippe Wolff, Histoire du Languedoc, Toulouse, Privat, 1967, p. 218-220.

15 Comme celle d’être exemptée des charges du logement des gens de guerre.

16 Henri Gilles, « La création du Parlement de Toulouse », in Jacques Poumarède et Jack Thomas (textes réunis et présentés par), Les Parlements de Province, pouvoirs, justice et société du XVe au XVIIIe siècle, Toulouse, Framespa, 1996, p. 29-39.

17 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse sous l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 2000, p. 370-373.

18 Francho Ch. Nagore y Chorche Cortès, « El Aragonés », in Los Aragoneses, p. 273-295, p. 277-278.

19 Ibid., p. 291 ; Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 373.

20 Cf. Marcel Durliat, Philippe Wolff, « Reconversion et maturation (XIIIe siècle) », in Histoire de Toulouse, p. 119-181, p. 119-125.

21 Ibid., p. 9.

22 Eloy Fernández Clemente, « La historia : epoca moderna y contemporánea », in Los Aragoneses, p. 121-160, p. 126.

23 José. A. Armillas Vicente, « De los Decretos de la Nueva Planta a la Guerra de la Independencia », Historia de Aragón – I, p. 237-246, p. 240.

24 Le droit civil aragonais, à la différence de ce qui s’est produit pour le royaume de Valence, a finalement été préservé, selon les dispositions adoptées en avril 1711. Cf. Joseph Pérez, Histoire de l’Espagne, p. 414-415 et Jesús Delgado Echeveria, « El Derecho », in Los Aragoneses, p. 211-233, p. 216.

25 Cf. sur ce point le travail de Christine Langé, Pouvoir royal, pouvoir foral – La capitainerie générale et le pleito du capitaine de guerre en Aragon – XVe-XVIIe siècles, Toulouse, Thèse de doctorat d’Histoire, Toulouse-le Mirail, 1997.

26 Elíseo Serrano Martín, « Aragón en la Monarquía de los Austrias », in Historia de Aragón – I., p. 211-220, p. 216-217.

27 José A. Armillas Vicente, « De los Decretos de la Nueva Planta a la Guerra de Independencia », ibid., p. 237- 246, p. 242.

28 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII. Cap. I. El absolutismo borbónico », in Aragón en su historia, p. 324-327, p. 327.

29 Joseph Pérez, Histoire de l’Espagne, p. 415.

30 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII. Cap. II. Aragón y la nueva dinastía », in Aragón en su historia, p. 328-335, p. 329.

31 Ibid., p. 329-331.

32 Bartolomé Bennassar, Bruno Tollon, « La stagnation (vers 1630 – vers 1715) », in Histoire de Toulouse, p. 293.

33 L’opposition parlementaire se manifeste à l’occasion de l’enregistrement des édits fiscaux en 1763, mais aussi quand les ministres en charge du pouvoir royal entreprennent précisément de mettre en cause le rôle des parlements en 1769, un scénario un peu similaire se produisant à la veille de la Révolution en 1788.

34 Jacques Godechot, Bruno Tollon, « Ombres et lumières sur Toulouse (171-1789) », in Histoire de Toulouse, p. 337-388, p. 382.

35 L’utilisation du particularisme provincial par l’opposition parlementaire est un phénomène général au XVIIIe siècle, qui a été bien analysé dans le cas de la Provence par Monique Cubells, « Le parlement de Provence et le particularisme provincial au XVIIIe siècle », in Jacques Poumarède et Jack Thomas, Les Parlements…, p. 777-791. En l’espèce la défense des privilèges provinciaux pouvait d’ailleurs se prévaloir d’un certain fondement historique, mais l’essentiel était la façon dont les parlementaires la mettaient en avant lorsqu’il s’agissait de défendre leurs prérogatives dans l’exercice de leur charge mais plus encore de s’opposer aux réformes fiscales qui les touchaient en tant que riches propriétaires fonciers (p. 784-785), alors même qu’ils n’avaient de cesse d’intriguer à Versailles en vue d’obtenir des faveurs du roi.

36 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII. - cap. II. Aragón y la nueva dinastía », in Aragón en su historia, p. 328-335, p. 333.

37 Il était en même temps corregidor de la ville.

38 Jean-Pierre Amalric, « Les Élites : genèse… », in Histoire des Espagnols, p. 589-624, p. 599-600.

39 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII. cap. V. Los políticos aragoneses », in Aragón en su historia, p. 343-346.

40 Philippe Wolff, « L’épreuve des temps » in Histoire du Languedoc, p. 235-263, p. 255-256.

41 Elíseo Serrano Martín, « Aragón en la Monarquía de los Austrias », in Historia de Aragón – I., p. 211- 228, p. 216- 217.

42 C’est notamment le cas du Conseil d’Aragon qui semble avoir été un organisme dépourvu de dynamisme. Cf.Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII », in Aragón en su historia, p. 326-327.

43 Cf. infra, chapitre 3.

44 Le soulèvement a été déclenché par le fait que le pouvoir royal a prétendu par l’intermédiaire de l’Inquisition soustraire Antonio Pérez au tribunal du Grand Justicier d’Aragon.

45 Guillermo Redondo Veintemillas, « Felipe I de Aragón - cap. III - Aragón y la monarquía austríaca » in Aragón en su historia, p 258-266. Bartolomé Bennassar, « Dissidents et frustrés », ch. XIII de Histoire des Espagnols, p. 456-487, p. 463-464.

46 Bartolomé Bennassar, « D’autres Espagnols », ch. XII de Histoire des Espagnols, p. 423-456, p. 439 ; Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 75.

47 Guillermo Pérez Sarrión, « Clases privilegiadas y clases dominantes en el Aragón moderno (siglos XVI-XVIII) : una aproximación », Historia de Aragón II., op.cit., p. 371-391, p. 380-381.

48 Guillermo Redondo Veintemillas, Las corporaciones de artesanos de zaragoza en el siglo XVII, Zaragoza, Institución Fernando El Católico, 1982, p. 158.

49 En s’immisçant à Saragosse dans la procédure dite de l’insaculacio qui prévalait dans toutes les grandes villes des pays de la couronne d’Aragon (cf. Bartolomé Bennassar, « D’autres Espagnols », in Histoire des Espagnols, p. 439) et en désignant à Toulouse les grands électeurs chargés de réduire la liste initiale proposée par les capitouls en charge et surtout en se réservant le choix définitif, sur avis de l’intendant, des huit magistrats municipaux (Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 62).

50 José María Lacarra, Aragón en el pasado, Espasa Calpe, Madrid, 1979, (première édition 1972), 227 p., p. 202-203 et Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII », in Aragón en su historia, p. 328-335. Ces charges étaient réservées exclusivement à la noblesse, 8 pour les nobles titrés et 16 pour les caballeros ou infanzones, c’est-à-dire la moyenne et petite noblesse

51 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII », in Aragón en su historia, p. 329. Le journal de Casamayor nous montre d’ailleurs que les corregidores n’étaient pas semble-t-il le plus souvent d’origine aragonaise. Ceux qui ont exercé la charge à la fin du siècle venaient par exemple du Sud de l’Espagne (Juan-Jaime López González, Zaragoza a finales del siglo XVIII (1782-1792), Zaragoza, Institución Fernando el Católico, 1977, p. 53).

52 Il semble qu’à la suite des motines de 1766 la confusion des deux charges ait été remise en cause et que la monarchie se soit efforcée de contrebalancer quelque peu le pouvoir des regidores en instituant de nouvelles charges dont elle se réservait le choix. À la fin du siècle le corregidor de Saragosse se distingue de l’intendant et est assisté de deux alcades mayores dont le recrutement paraît être similaire à celui des corregidores (ibid., p. 53-54)

53 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII », in Aragón en su historia, p. 328-335.

54 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 64.

55 Ibid., p. 69.

56 Ibid., p. 64 et 75. Cf. également Robert A. Schneider, « Les parlementaires dans la vie municipale et sociale à Toulouse », in Les Parlements de Province…, p. 657-664 et Jean-Luc Laffont, Policer la ville – Toulouse, capitale provinciale au siècle des Lumières, Thèse d’Histoire, Université de Toulouse-Le Mirail, 1997.

57 Jean-Pierre Dedieu, L’Espagne de 1492 à 1808, Paris, Belin, 1994, p. 111.

58 Juan-Jaime López González, Zaragoza a finales…, p. 29-35.

59 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVII - cap. II – Aragón y la nueva dinastía », in Aragón en su historia, p. 328-335. Le Real Acuerdo était un organisme consultatif qui servait de relais du pouvoir royal et qui constituait l’instance à travers laquelle le roi nommait les regidores des municipalités (cf. Guillermo Pérez Sarrión, Agua, agricultura y sociedad en el siglo XVIII – El Canal Imperial de Aragón – 1766-1808, Zaragoza, Institución Fernando el Católico, 1984, p. 142.

60 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 75-79.

61 Ibid., p. 35.

62 Le corregimiento de Saragosse avait une extension de 7934 kilomètres carrés. Cf. José Francisco Forniés Casals, « Estimaciones cuantitativas para la historia urbana de Aragón en la Edad Moderna », Estado actual de los Estudios sobre Aragón, IV, Zaragoza, 1982, p. 279-285, p. 281

63 José María Lacarra, Aragón en el pasado, Espasa Calpe, Madrid, 1979 (1e éd. 1972), p. 202-203.

64 Joseph Pérez, Histoire de l’Espagne, p. 417-418.

65 Jean-Pierre Amalric, « Dans les Espagnes du XVIIIe… », in Aux origines du…, p. 17-18. Cf. également Guillermo Pérez Sarrión, Agua, agricultura…, p. 124 : sur 1366 localités dénombrées en 1766 en Aragon, seuls 291 se trouvaient dans la zone de la dépression centrale.

66 Bartolomé Bennassar, Bruno Tollon, « Ombres et… », in Histoire de Toulouse, p. 370-373.

67 Carlos E. Corona Baratech, « Aragón en el siglo XVIII », in Aragón en su historia, p. 340-342.

68 Il s’agit de la contraction du mot arrabal qui signifie faubourg.

69 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 34.

70 Rosa María Blasco Martínez, Zaragoza en el siglo XVIII (1700-1770), Saragosse, Librería General, 1977, p. 48.

71 Ibid.

72 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 324.

73 Cf. infra, chapitre 5.

74 Michel Taillefer, Vivre à Toulouse…, p. 37.

75 Rosa María Blasco Martínez, Zaragoza en el…, p. 76-77.

76 Ibid., p. 14-15.

77 Outre le siège de l’intendance, Montpellier accueillait aussi souvent la réunion annuelle des états provinciaux. Les chances de la métropole du Bas-Languedoc résultent assez largement des préventions de la cour supérieure de justice de Toulouse à l’égard de l’institution la plus représentative de l’interventionnisme régalien.

78 Il est probable que l’affirmation de la personnalité languedocienne de Toulouse se soit surtout faite après la disparition des anciennes provinces, la fonction culturelle, pour laquelle Toulouse était sans doute la mieux placée, prenant à l’époque romantique une place prépondérante du fait de l’effacement des autres dimensions du fait provincial.

79 Le rappel de ce passé relativement lointain n’est pas hors de propos puisque les barrières d’octroi qui fermaient le faubourg Saint-Cyprien marquaient aussi pratiquement les limites de la province et n’étaient pas sans incidence au plan économique.

80 Cf. infra, chapitre 4.

81 Georges Frêche, Toulouse et la…, p. 60-61 ; Bernard L epetit, Les villes dans…, p. 450-451.

82 José Francisco Forniés Casals, « Estimaciones cuantitativas para la historia urbana de Aragón en la Edad Moderna », Estado actual de los estudios sobre Aragón, IV, Zaragoza, 1982, p. 279-285.

83 Jean-Pierre Dedieu, L’Espagne de 1492…, p. 186.

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