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Le travail dans la ville

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Georges Hanne

Première partie. Les données de la comparaison

Chapitre premier. Contextes : la France et l’Espagne des lumières

Texte intégral

  • 1 C’est précisément cette question que se sont posés les auteurs de Aux origines du retard économique (...)

1L’objectif principal de cet ouvrage est d’apporter un éclairage à la question du changement social à l’aube de l’industrialisation et plus particulièrement de la place et de l’organisation du travail au sein des sociétés urbaines à la fin de l’époque corporative. L’Espagne de Ferdinand VII donne à cet égard l’occasion d’une sorte de test pour mesurer le poids de l’organisation corporative, le rôle tenu par sa persistance, comparativement à la situation française marquée par l’abolition brutale et définitive des anciennes institutions professionnelles. Au stade initial, notre attention se fixe approximativement sur les années 1760-70 et s’efforce de saisir les deux objets d’étude dans leur cadre national avant que celui-ci n’ait eu à subir les bouleversements inter-séculaires expérimentés par les deux pays. Il s’agit d’appréhender à travers deux organismes urbains appartenant à deux ensembles politiques distincts les relations entre fonctions économiques et corps sociaux à une époque où cette question était partout en Europe un sujet de débat et un enjeu de pouvoir. Cependant, bien que notre interrogation ne porte pas sur le parcours historique de l’Espagne en tant que telle, ce peut être aussi l’occasion d’envisager une nouvelle fois dans quelle mesure les difficultés rencontrées par ce pays au moment de l’entrée dans l’âge industriel n’ont pas leurs racines dans la période antérieure1.

A) Les présupposés d’une comparaison Franco-Espagnole

  • 2 Cf. notamment ceux qui ont eu tendance à tenir pour quantité négligeable la contribution de l’Espag (...)

2La mise en œuvre d’une étude comparative ayant pour cadre général la France et l’Espagne au XVIIIe siècle ne peut ignorer la question historique de leurs relations à cette époque et doit par ailleurs tenir compte de la place qu’occupe respectivement la production historienne de chacun des deux pays dans l’historiographie nationale de l’autre. À ces deux niveaux, tout en se gardant des tendances franco-centristes qui ont pu à certains moments biaiser l’approche de l’Espagne par les historiens français2, il faut bien admettre que les impacts réciproques ne sont pas équivalents, l’influence de la France sur l’Espagne au XVIIIe siècle, de même que celle de l’historiographie française consacrée à l’Espagne, l’emportant sur les courants de sens contraires.

1. Afrancesamiento et modèle français

  • 3 La Guerre de Succession a d’ailleurs joué sans doute un rôle non négligeable dans la formation d’un (...)
  • 4 La gallomanie des milieux éclairés a fait l’objet d’une analyse par Daniel H. Pageaux, « Nature et (...)
  • 5 Jusqu’aux années 1970 l’influence française était généralement considérée comme essentielle que ce (...)
  • 6 Cf. notamment à ce sujet François Lopez, Juan Pablo Forner et la crise de la conscience espagnole a (...)
  • 7 José Miguel Caso González, « Historia de una vileza », Historia 16, Extra VIII, 1978, p. 153. Le th (...)
  • 8 Il est d’ailleurs significatif que les aperçus synthétiques récents qui traitent de l’influence fra (...)
  • 9 Cf. Christian Hermann, « Introduction », ibid., p. 9.
  • 10 Ce n’est pas le lieu de mentionner les multiples ouvrages qui traitent de la question, dont le nomb (...)

3La période qui s’étend entre la Guerre de Succession d’Espagne3 et la Guerre d’Indépendance apparaît comme celle au cours de laquelle l’influence française a été la plus importante et le thème de l’afrancesamiento a fait l’objet d’une abondante littérature du XVIIIe siècle4 à nos jours5. S’il est indéniable que l’Espagne a été touchée comme la plupart des autres pays européens par le rayonnement intellectuel des penseurs français, il ne faut pas pour autant négliger le fait que les idées énoncées, et parfois mises en application, dans l’Espagne de la seconde moitié du XVIIIe siècle ont aussi des racines chez les auteurs espagnols des époques antérieures, non seulement chez les pré ilustrados du début du siècle, dont le Père Feijoo est sans doute la figure la plus remarquable, mais aussi chez les arbitristes du siècle précédent6. Mais pour que le thème de l’afrancesamiento soit devenu au XIXe siècle un enjeu fondamental du débat idéologique et politique national en Espagne7, il a fallu la double fracture causée par la Révolution française, puis par l’occupation napoléonienne, dont les impacts outre Pyrénées ont complètement surdéterminé la réflexion sur la nature et le sens des relations entre les deux pays à l’époque des Lumières8. D’une part, et le cas de l’Espagne n’est pas ici à proprement parler singulier, « la sacralisation du modèle français », pour reprendre une formule de Christian Hermann, a commandé une vision qui revenait à positionner l’Espagne « dans le classement des élèves de la classe de la révolution»9. D’autre part, les plaies laissées par la Guerre d’Indépendance et la situation politique qu’elle a contribué à engendrer ont dramatisé la question du rôle de la France dans les origines de l’évolution historique de l’Espagne contemporaine10, ce conflit ayant pris un caractère fondateur dans la construction de l’histoire nationale.

4L’approche comparative de terrain doit justement permettre de voir si les thèmes qui faisaient l’objet de débats en France dans les milieux éclairés au XVIIIe siècle ont été repris par les ilustrados et en quelque sorte plaqués sur les situations concrètes expérimentées de l’autre côté des Pyrénées ou si l’écho qu’ils y ont trouvé s’explique simplement par la similitude des problèmes auxquels se trouvaient confrontés les hommes des Lumières sur les deux versants de la chaîne frontalière. La problématique de la révolution, qui n’a ici sa place que dans la mesure où on envisage celle-ci dans la durée et non comme un événement qui marque le passage brutal entre deux régimes politiques, peut nous conduire à envisager dans quelle mesure la seconde moitié du XVIIIe siècle peut être considérée en Espagne comme l’amorce de l’entrée dans l’ère libérale. Là aussi une démarche trans-nationale doit permettre de voir si les situations qui prévalaient vers 1770 de part et d’autre des Pyrénées manifestent de profonds écarts ou offrent au contraire beaucoup de ressemblances. Au demeurant se pose la question, que nous aborderons dans la troisième partie, de la validité du concept de révolution dans le cas espagnol.

2. Un regard français sur l’Espagne

  • 11 La marque de la production historienne française est d’autant plus forte que je n’ai pas initialeme (...)
  • 12 Concernant le XVIIIe siècle, les travaux d’historien français comme Gaspard Delpy (L’Espagne et l’e (...)
  • 13 Très emblématique de ce courant, qui remonte à Menéndez y Pelayo, auteur d’une fameuse Histoire des (...)
  • 14 C’est le cas notamment de l’Historia de España dirigée par Manuel Tuñon de Lara dont le tome VII, C (...)
  • 15 Cf. notamment sur le premier aspect les travaux de Pierre Ponsot, « Des immigrants français en Anda (...)

5Quoi qu’il en soit les pages qui suivent sont le produit d’un regard porté sur l’Espagne depuis la France et doivent beaucoup à l’historiographie française consacrée au monde hispanique11. L’abondance de cette dernière, mais aussi sa qualité ainsi que la place qu’elle occupe en Espagne-même12 renvoient à la situation politique du pays à l’issue de la guerre civile, qui a freiné le développement de la production historienne et a longtemps infléchi de façon partisane son contenu dans le sens justement d’une dénonciation de l’influence française depuis l’époque de l’Ilustración13. Au cours de la période suivante, celle de l’après-franquisme, c’est cependant plutôt l’image d’une collaboration entre historiens espagnols et hispanistes français qui doit être mise en avant et qui se manifeste à l’occasion notamment de colloques et d’ouvrages collectifs auxquels participent des chercheurs venus des deux côtés des Pyrénées14. Les recherches menées sur la présence française en Espagne à l’époque moderne et sur l’émigration espagnole en France à l’époque contemporaine15, comme l’analyse des regards croisés des uns et des autres marquent aussi la volonté de rendre plus explicite le point de vue de chacun.

  • 16 Cf. dans le cas de la perception de la France par les intellectuels français après la guerre de 187 (...)
  • 17 Cf. Joseph Pérez, « L’Espagne et la modernité », Aux origines du…, p. 155-169.
  • 18 Ne serait-ce que du fait de la géographie qui fait de la France le point d’amarrage de la péninsule (...)
  • 19 Julian Juderias, La Leyenda negra – Estudio acerca del concepto de España en el extranjero, Madrid, (...)

6La façon de penser les identités nationales, dans la construction desquelles le travail des historiens a une grande part, repose inévitablement sur un positionnement des pays par rapport à leur voisins, dont l’un en vient parfois à occuper presque tout l’horizon16. Dans le cas de l’Espagne la relation à la modernité a été depuis le XVIIe siècle la question très sensible mais incontournable17, posée aussi bien par les observateurs étrangers que par les Espagnols eux-mêmes, qui était sous-jacente dans l’appréhension et l’interprétation de l’histoire hispanique. L’accent était mis par la même occasion sur les singularités à l’égard d’un modèle européen dont la France représentait l’occurrence la plus immédiatement envisageable18, que ce soit pour les réaffirmer, quitte à rendre responsable l’étranger des malheurs de l’Espagne, ou pour y voir au contraire l’impossible adaptation du pays au monde contemporain. L’évolution de l’Espagne au cours du dernier quart de siècle permet aujourd’hui d’échapper une fois pour toutes à la pesanteur de la fameuse légende noire espagnole19 et d’envisager avec sérénité la façon dont le pays est entré dans l’ère industrielle en espérant pouvoir éviter les deux écueils que constituent la transposition des schémas français sur le terrain espagnol et l’a priori postulant une irréductible singularité hispanique en Europe.

B) Les données démographiques et économiques

  • 20 Jean Bérenger et Jean Meyer rangent l’Espagne de Philippe V parmi les puissances moyennes aux côtés (...)
  • 21 Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de Français, Paris, Fayard, 1966.
  • 22 Cf. sur ce point Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire du climat depuis l’an mil, Paris, Flamarion, 196 (...)
  • 23 La dernière grande crise à l’échelle européenne intervient en 1710. Cf. Michel Denis, Noël Blayau, (...)
  • 24 Avec notamment la disparition de la peste au-delà des années 1730.

7Au milieu du XVIIIe siècle, le siècle d’or espagnol est une époque depuis déjà longtemps révolue, qui a été suivie par une phase de déclin de la puissance hispanique dans l’ordre des rapports de force internationaux20. La domination exercée par Louis XIV en Europe est au contraire une donnée d’un passé récent durant le règne de son arrière-petit-fils. Pour autant, si la politique de puissance du Grand Roi a eu de funestes conséquences pour les populations voisines, notamment pour les habitants de l’Espagne, qui a été durant plus d’une décennie l’enjeu des rivalités entre la France et les autres puissances européennes, elle a eu aussi certains effets néfastes sur les conditions de vie des Français21. La prépondérance politique et militaire à l’échelle européenne n’apparaît d’ailleurs pas a posteriori comme le meilleur gage de prospérité ou de dynamisme économique, sauf peut-être dans le cas de la suprématie navale britannique qui peut être considérée comme une condition favorable du décollage économique. Il faut par ailleurs faire une part aux effets de l’évolution au XVIIIe siècle des relations internationales, qui jusqu’à la Révolution française n’ont donné lieu qu’à d’assez brefs affrontements sur le continent. Mais la bonne conjoncture générale du siècle des Lumières, qui se manifeste de façon assez semblable des deux côtés des Pyrénées, résulte surtout de la conjonction de l’évolution du climat22, qui en moyenne a permis de meilleures récoltes et a fait disparaître la famine23, et de l’amélioration du contexte épidémiologique24.

1. Population et urbanisation

  • 25 Daniel Roche, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993, p. 440 et Jean-Pierre Dedieu, L’Epagne d (...)
  • 26 Marc Marti, Ville et campagne dans l’Espagne des Lumières (1746-1808), Saint-Étienne, Publications (...)
  • 27 Pierre Chaunu, La civilisation de l’Europe des Lumières, Paris, Flamarion, 1971, p. 55.
  • 28 Marc Marti, Ville et campagne…, p. 27.
  • 29 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme et Lumières 1652-1783, Paris, Hachette, 1993, p. (...)

8Dès lors il s’agit d’évaluer comment cette bonne conjoncture européenne s’est traduite pour chacun des deux royaumes en fonction de ses potentialités et de ses caractères particuliers et comment les gouvernants ont su en tirer parti. La première et la plus évidente des disparités est d’ordre démographique, qui fait figurer sur des territoires de superficie presque équivalente 28 millions de sujets du côté français à la veille de la Révolution et seulement un peu plus de 10 millions à la même époque du côté espagnol25, soit un rapport qui est presque de trois à un. Avec une densité kilométrique de 52,8 habitants d’une part et seulement de 20,9 de l’autre26, on est en présence de deux types d’espaces différents, dont le niveau d’occupation et donc de développement n’est pas identique, l’Espagne illustrant selon Pierre Chaunu une catégorie intermédiaire entre une Europe des Lumières où la densité s’élevait au-dessus de 40 habitants au km2 et les zones marginales par rapport au cœur économique et culturel où elle ne dépassait pas 1027. Pourtant il semble nécessaire de nuancer quelque peu ce constat par l’appréciation des niveaux de croissance, car de ce point de vue la partie espagnole de la péninsule ibérique n’a rien à envier à la France, puisque l’accroissement démographique y a été de l’ordre de 60 % entre le début du XVIIIe siècle et l’invasion française, date à laquelle la population espagnole aurait atteint le chiffre de 12 millions28, tandis qu’entre les années 1700 et la Révolution le nombre des sujets du roi de France n’a guère augmenté que de 30 % y compris l’apport dû à l’extension territoriale29. L’Espagne a donc connu au XVIIIe siècle une phase de croissance exceptionnelle qui la plaçait sur la voie d’un rattrapage relativement aux autres pays d’Europe occidentale.

  • 30 Pour la France de 1806, 18,8 % d’après Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire de la France urbaine – Tom (...)
  • 31 Il faut aussi prendre garde au fait que la grande dimension de certains territoires municipaux en E (...)
  • 32 Elles sont 88 en 1780 et 95 en 1794 d’après Bernard Lepetit, Les villes dans la France moderne, Par (...)
  • 33 Marc Marti, Ville et campagne..., p. 31.

9Par ailleurs la part des villes dans les deux populations paraît avoir été approximativement du même ordre, le taux d’urbanisation espagnol de 1826 étant presque identique à celui de la France vingt ans plus tôt, soit environ 18,5%30. La mise en parallèle manque cependant de fiabilité en raison de l’imprécision de la définition de la ville dans chacun des pays et de la difficulté à identifier un seuil entre espaces rural et urbain31. Plus significatives sont sans doute les données qui concernent les villes d’une certaine importance. Avec ses 90 cités de plus de 10000 habitants dans les années 178032, la France disposait d’une armature de villes moyennes et grandes au moins deux fois plus fournie que celle dont bénéficiait l’Espagne, puisque celle-ci n’aurait eu selon le censo de 1787 que 40organismes urbains situés au-dessus du même seuil33. Mais l’écart est bien inférieur à celui des chiffres de population globale et la disparité dans les deux cas prend tout son sens en replaçant les données dans l’espace, ce qui renvoie directement à la façon dont celui-ci était parcouru et maîtrisé.

2. Les transports, pierre d’achoppement et modernisation programmée

  • 34 Cf. sur ce point l’étude limitée à la Castille de David. R. Ringrose, Transportation and economic s (...)
  • 35 Marc Marti, Ville et campagne..., p. 33.
  • 36 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 172-173.
  • 37 Cf. Marc Marti, Ville et campagne..., p. 35. Le directeur de l’école, Augustin de Bétancourt, fait (...)
  • 38 Cf. Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 173 et Marc Marti, Ville et campagne...(...)
  • 39 Patrick Verley, La Révolution industrielle, Paris, Gallimard, 1997, p. 21-23 dans l’introduction et (...)
  • 40 Trente des 47 capitales régionales restaient au début du XIXe siècle à l’écart des axes radiaux et (...)

10Le véritable handicap de l’Espagne ne résidait-il pas en effet surtout dans les difficultés qu’elle rencontrait à relier et à rassembler la mosaïque des unités locales et régionales qui la composaient34? L’absence d’une véritable politique des transports avant les dernières décennies du XVIIIe siècle s’ajoute ici aux données structurelles qu’impose la géographie, mais aussi l’histoire. Toujours est-il que le trafic par bêtes de somme restait à la fin du XVIIIe siècle incomparablement supérieur à celui qui s’accomplissait par l’intermédiaire d’un matériel roulant35. En France l’administration des Ponts et Chaussées avait commencé à s’organiser dès la fin du règne de Louis XIV. Mais c’est surtout à partir de 1743, sous l’impulsion de Trudaine qui en est alors chargé, et grâce au système de la corvée, instauré en 1738, que les conditions de la circulation des biens et des hommes à l’intérieur du royaume se sont trouvées complètement transformées, la durée moyenne des trajets étant divisée par deux en quelques décennies36. Alors même qu’en Espagne les conditions naturelles auraient nécessité une politique particulièrement active en ce domaine, la création de l’école du corps des Ingenieros de Caminos n’est intervenue qu’en 1802, soit un demi-siècle après la fondation de l’école française des Ponts et Chaussées37. Les efforts n’ont pourtant pas été inexistants, surtout dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, mais se sont concentrés sur quelques portions d’itinéraires à partir de la capitale et sur des ouvrages ostentatoires qui étaient souvent peu adaptés aux besoins de l’économie, car répondant surtout à des finalités politiques. Avec trois fois moins de routes susceptibles de recevoir un trafic sur roues que la France38, l’Espagne, plus que tout autres pays d’Europe Occidentale, restait fractionnée en une multitude de marchés locaux n’ayant entre eux que peu de liaisons. Si l’on considère que parmi les conditions d’émergence de l’industrialisation la formation d’un vaste marché de consommation intérieure est l’une des plus déterminante39, on ne peut que constater le lourd handicap qui pesait sur la monarchie espagnole. La fragmentation de l’espace national avait également des conséquences négatives sur l’équilibre du commerce extérieur, ainsi que le montre l’ouverture commerciale des provinces maritimes, l’approvisionnement en cas de difficultés alimentaires, notamment en blé, étant généralement plus aisé et moins coûteux à partir des pays étrangers que des autres régions espagnoles40.

3. L’agriculture : blocages partiels contre probables progrès

  • 41 Ibid. p. 50. La différence s’expliquerait essentiellement par un choix différent dans la ventilatio (...)
  • 42 La différence ne devait en tout cas pas être importante puisqu’en 1830 l’agriculture occupait encor (...)
  • 43 Marc Marti, Ville et campagne..., p. 100.
  • 44 Cf. Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 176 ; Jean-Charles Asselain, Histoire é (...)
  • 45 Cf. Jean-Pierre Amalric, « Dans les Espagnes du XVIIIe siècle : Une agriculture bloquée ? », Aux or (...)
  • 46 Ces conditions sociales sont en effet d’une extrême diversité et les chances d’une accumulation de (...)

11Le retard relatif de l’Espagne se lit aussi, et peut-être surtout, à travers la place et les caractères de son agriculture. Bien qu’il ne soit pas facile à cet égard d’effectuer le départ avec les autres secteurs d’activités, puisque le censo de Floridablanca en 1787 fait apparaître que 70,5 % de la population active était employée aux travaux agricoles, tandis qu’à dix ans d’intervalle celui dit des Frutos y Manufacturas débouche sur le chiffre de 66%41, il n’est pas certain que le poids humain du secteur primaire ait été sensiblement moins élevé en France qu’outre-Pyrénées42 et donc que le volant de main-d’œuvre disponible pour des tâches non agricoles, notamment pour les activités de transformation, y ait été beaucoup plus important. Mais la différence était sensiblement plus marquée concernant la part de l’agriculture dans le produit national qui aurait été de 64 % du côté espagnol43, alors que selon certains auteurs le produit industriel et artisanal égalait en valeur celui de l’agriculture en France à la veille de la Révolution44. Au demeurant, même s’il est difficile d’établir à cet égard des estimations nationales fiables, il ne fait guère de doute que les rendements agricoles moyens étaient sensiblement inférieurs au-delà des Pyrénées. L’explication peut sans doute en être faite en se référant aux conditions naturelles de l’Espagne intérieure et au blocage technique sur lequel débouchait le système céréalier du secano qui prévalait sur la majeure partie du territoire45, mais doit aussi accorder une part aux conditions sociales de l’agriculture espagnole, quoique à cet égard il faille se méfier de tout manichéisme46.

4. Des rythmes de croissance décalés

  • 47 Patrick Verley, La Révolution…, p. 304.
  • 48 Edward Anthony Wrigley, « Le processus de modernisation et la Révolution industrielle en Angleterre (...)
  • 49 Gonzalo Anes, El Antiguo Régimen : los Borbones (Historia de España Alfaguara dirigée par Miguel Ar (...)

12Ces disparités se manifestent dans la différence des rythmes de croissance économique, celle-ci ayant été particulièrement forte en France, sans doute plus que partout ailleurs en Europe au XVIIIe siècle, y compris en Grande Bretagne47. Ainsi, si on admet avec E. A. Wrigley que la Révolution industrielle juxtapose deux phénomènes distincts, une maximalisation des techniques et des conditions pré-industrielles de production, d’une part, et de l’autre, l’avènement d’une nouvelle technologie fondée essentiellement sur le recours à des sources d’énergie qui permettaient aux activités de transformation de s’affranchir de leur dépendance à l’égard de l’agriculture48, il semble que la France se présentait à la fin du XVIIIe siècle comme la puissance économique ayant le mieux réussi dans la première voie. Sans parler de la seconde, qui n’était qu’une perspective lointaine outre Pyrénées, il est certain que l’Espagne de Charles IV restait très en deçà des résultats français dans le parti qu’elle tirait du système de production traditionnel, à tel point qu’il n’est pas déplacé de parler à son sujet de stagnation économique49, l’augmentation de la production ne faisant au mieux que compenser celle de la population.

  • 50 Jean-Pierre Amalric, « Dans les Espagnes profondes : paysans et citadins », chapitre XVI de Histoir (...)
  • 51 Michel Morineau, Les faux semblants d’un démarrage économique – Agriculture et démographie dans la (...)
  • 52 TERRIER Didier, Histoire économique de la France d’Ancien Régime, Paris, Hachette, 1998, p. 197.
  • 53 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 176.
  • 54 Selon Gonzalo Anes, El Antiguo Régimen…, p. 199, si une enquête du type de celle réalisée sous l’ég (...)
  • 55 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780 à 1802, Paris, SEDES, 1985, p. 155.

13L’économie espagnole reposait en effet essentiellement sur une agriculture qui ne progressait en définitive que par la mise en exploitation de nouvelles terres, nécessairement moins fertiles, ce qui ne pouvait qu’entraîner une décroissance progressive des rendements50. Même si un phénomène du même ordre peut également s’observer en deçà des Pyrénées, peut-être faut-il être à cet égard un peu moins pessimiste que Michel Morineau51, car les indéniables progrès des transports, la diversification des cultures, les améliorations ponctuelles apportées aux techniques culturales ont entraîné au cours du XVIIIe siècle une augmentation du produit agricole que l’on peut situer dans une fourchette de 25 à 40%52, tout en minorant la proportion de ceux qui y étaient mobilisés, ce qui a permis dans le même temps de tripler la production artisanale et manufacturière53. Dans le même temps le produit industriel espagnol ne semble pas avoir enregistré de progrès et aurait même plutôt diminué proportionnellement au nombre d’habitants54 du fait de ses retards techniques et de la concurrence étrangère, particulièrement française. Pourtant à la fin du siècle, à partir de 1765, la croissance espagnole semble prendre un nouveau rythme qui contraste avec les difficultés que commence à rencontrer la France dans les deux dernières décennies de l’Ancien Régime55.

5. Conjoncture et structure du commerce : parité et disparité

  • 56 La paix de Versailles en 1783 lui permet de rétablir des relations normales avec ses colonies et de (...)
  • 57 Elles sont multipliées par cinq entre 1778 et 1798, quand les réexportations ne le sont que par tro (...)
  • 58 Ainsi, selon Jean-François Bourgoing, Tableau de l’Espagne moderne, Paris, 1803, 3 vol., les bas de (...)

14Cet essor renvoie d’ailleurs pour une part au fait que l’Espagne a remis la main sur ses colonies américaines56, car autant son commerce intérieur reste languissant, autant ses échanges extérieurs se développent, constitués pour moitié du commerce avec les Indes. Il est vrai qu’il s’agit pour une grande part de réexportations de produits étrangers, mais, au sein de l’essor global, ce sont les productions estampillées nationales qui progressent le plus vite57. En réalité toutefois la plus grande partie de celles-ci étaient des produits étrangers sur lesquels de soi-disant fabricants nationaux avaient simplement apposé leur marque58. Les marchandises d’origine française étaient d’ailleurs les plus nombreuses parmi les réexportations étrangères, à commencer par les draperies du Languedoc. Quant aux produits nationaux à proprement parler, il s’agissait pour l’essentiel, aussi bien à destination des colonies que des pays étrangers, de productions agricoles, comme les vins, l’huile ou la laine, et de matières premières comme le mercure d’Almadén ou de produits bruts comme le fer en barres. L’Espagne était par contre importatrice de produits manufacturés, notamment textiles, tout en faisant aussi appel aux céréales étrangères. Le commerce extérieur espagnol était donc caractéristique d’un pays sous-développé et restait, qui plus est, extrêmement déficitaire et donc directement dépendant des ressources en métal précieux provenant de l’empire américain. L’essor commercial doit enfin être replacé dans le contexte d’une croissance rapide des échanges internationaux à partir du début du XVIIIe siècle, croissance qui nécessairement a surtout bénéficié aux pays ayant une large ouverture maritime et plus encore un débouché sur l’Atlantique.

  • 59 Jean-Charles Asselain, Histoire économique…, p. 55.
  • 60 Ibid., p. 58.

15De ce point de vue la France n’était d’ailleurs pas en reste et a enregistré pour le moins un doublement (en monnaie constante) de la valeur de son commerce extérieur entre le début du règne de Louis XV et les années précédant 178959. Mais, à la différence de l’Espagne, la France présentait une balance commerciale excédentaire, sauf durant les dernières années de l’Ancien Régime qui enregistrent une inversion de la tendance séculaire. Surtout, disparité essentielle avec l’autre monarchie bourbonienne, la France fait figure au XVIIIe siècle de pays industrialisé, puisque les articles manufacturés représentent plus de la moitié des exportations (sans prise en compte des réexportations)60. Le commerce extérieur français avec l’Espagne et ses colonies était particulièrement intense et actif (au sens où il était dominé par les négociants français), l’empire espagnol procurant à la France de réguliers et substantiels excédents, même si une certaine érosion s’est fait sentir à la fin du siècle avec les progrès de la concurrence anglaise. Globalement, c’est le secteur du commerce colonial, là aussi, qui enregistre la plus forte hausse, et celle-ci n’est pas fondamentalement remise en cause par les pertes consécutives au traité de Paris. La traite des esclaves est un point fort de ce commerce, qui fait la fortune de négociants et d’armateurs bordelais et nantais, alors qu’elle échappe complètement aux Espagnols.

16D’une façon générale la France semble donc avoir tiré meilleur parti que l’Espagne du mouvement général d’intensification des échanges mais dans les deux pays la croissance reposait largement sur l’envolée du commerce colonial, alors même que la période inter-séculaire qui sépare 1789 de 1815 allait voir l’effondrement de cette économie atlantique. Parallèlement, si le marché national restait dans le cas français insuffisamment développé pour soutenir un processus d’industrialisation rapide qui permette de faire face à la puissance britannique, en Espagne il était à peine à un stade embryonnaire, laissant le pays dans l’impossibilité de faire son entrée dans l’ère industrielle. Au nord des Pyrénées les nouvelles possibilités de circulation, un début de spécialisation régionale, les progrès de l’urbanisation, l’enrichissement de certaines couches sociales à partir notamment du grand commerce et les investissements auquel celui-ci donnait lieu constituaient un faisceau de facteurs favorables à l’éclosion d’un marché de consommation pour les productions artisanales et industrielles, tandis que sur le versant méridional de la chaîne ces différents caractères faisaient partiellement ou complètement défaut.

C) Des sociétés en voie de transformation plus ou moins rapide

17Le retard espagnol dans le processus de modernisation et d’industrialisation renvoie aussi aux caractéristiques de la société espagnole, qui ont eu leur part dans le manque de productivité de l’économie et dans l’insuffisance du marché de consommation.

1. La place et le rôle des élites traditionnelles

a) Le poids de l’Église et de l’aristocratie dans la société

  • 61 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 114. La part du clergé était encore plus forte, de l’ordre (...)
  • 62 Guy Cabourdin et Georges Viard, Lexique historique de la France d’Ancien Régime, Paris, Armand Coli (...)
  • 63 Marc Marti, Ville et campagne..., p. 95 et Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 132.
  • 64 Jean-Charles Asselain, Histoire économique…, p. 30 et Didier Terrier, Histoire économique de la Fra (...)
  • 65 Hors du realengo, qui comprenait surtout le territoire des grandes villes, le seigneur pouvait avoi (...)

18Le poids des élites traditionnelles était incontestablement plus lourd en Espagne qu’en France. D’après le cadastre de La Ensenada, près de 15 % des terres de la couronne de Castille étaient propriété ecclésiastique, mais la part du revenu national qui revenait à l’Église était sans doute plus proche de 20%61, alors que de l’autre côté des Pyrénées les biens du clergé représentaient seulement 10 % du patrimoine foncier national62. Par ailleurs plus de la moitié de la superficie était en Espagne sous le régime du mayorazgo (majorat) et, de même que les biens de mainmorte, ne participait pas au marché de la terre63. En France les mutations foncières ne subissaient pas les mêmes entraves et la part de la propriété nobiliaire se situait entre 20 % et 25%64. La mainmise foncière et la domination sociale exercée par l’aristocratie et par l’Église passait aussi en Espagne par le régime seigneurial qui gardait sans doute plus de force qu’en deçà des Pyrénées, car sur les terres qui étaient hors du realengo (plus de la moitié du total), le pouvoir du seigneur se substituait plus ou moins complètement à la justice et à l’administration du roi65, alors même qu’en France le domaine royal avait fini par s’étendre à la quasi-totalité de la surface du royaume.

  • 66 Guy Cabourdin et Georges Viard, Lexique historique…, p. 65.
  • 67 Cf. Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 112. Joseph Pérez fait cependant observer que ce chiffr (...)
  • 68 Ce chiffre issu des évaluations faites au XVIIIe siècle et colporté par l’historiographie a été rem (...)
  • 69 Daniel Roche, La France des Lumières, p. 369.
  • 70 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 109-110.

19Numériquement, les membres des deux premiers ordres pesaient aussi sensiblement moins lourd, sans doute environ trois fois moins, dans le royaume de Louis XVI que dans celui de Charles III. On peut évaluer l’effectif du clergé français à quelque 130000 individus en 178966, soit 0,46 % de la population du royaume, tandis qu’en Espagne les ecclésiastiques étaient en 1766 près de 15000067, soit 1,48 % de la population nationale. En ce qui concerne la noblesse, le recensement de Floridablanca fait état de 480000 individus, soit 4,7 % de la population, alors qu’en France les membres de familles nobles ont pu être évalués à 400000 au maximum à la fin de l’Ancien Régime68, mais étaient sans doute plus proche de 30000069, soit à peine plus de 1 %. Il est vrai que la situation de bien des nobles dans le nord de la péninsule était très éloignée d’un mode de vie aristocratique70.

b) L’imprégnation de la société par les deux ordres privilégiés

  • 71 Cf. Jean-René Aymes « L’Espagne en mouvement…, in Les révolutions…, p. 31-32.
  • 72 Miguel Artola, Antiguo Régimen y revolución liberal, Barcelone, Ariel, 1991 (1e éd. 1978).
  • 73 À propos de l’attitude de la noblesse française vis-à-vis « des formes nouvelles de l’économie », c (...)

20La place importante tenue par l’élite nobiliaire supposait le recours à une très nombreuse domesticité et l’existence d’un artisanat local de luxe, mais n’était guère favorable au développement d’une production en grande série, d’autant que ce modèle de consommation aristocratique était repris aux échelons immédiatement inférieurs de la société. La question du rôle économique tenu par la noblesse en Espagne est cependant un sujet controversé chez les historiens et il semble en tout cas que la situation pouvait être fort variable d’une région à l’autre71. Si certains auteurs comme Miguel Artola décèlent un comportement capitaliste dans l’exploitation de certains grands domaines nobiliaires72, l’implication de la noblesse dans les activités industrielles et commerciales reflète inévitablement les caractères d’une économie espagnole dont les performances restaient très en deçà de celles de sa voisine septentrionale73.

  • 74 Cf. Jean-Pierre Amalric, « Dans les Espagnes profondes : paysans et citadins », chapitre XVI de His (...)
  • 75 Michel Vovelle, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle, Paris, Le Seuil, (...)
  • 76 Cf. le cas de Townsend, Voyage en Espagne, traduction de J.-P. Pictet-Mallet, Paris, 1809 (d’après (...)
  • 77 Ainsi que dans l’ensemble du monde catholique.

21Au-delà des Pyrénées une grande partie des richesses était utilisée dans toutes les catégories sociales aux œuvres religieuses. Ainsi le nombre de messes prescrites pour le repos de l’âme du défunt était couramment de plusieurs centaines dans les testaments des membres de l’aristocratie74. Or, si pour le début du XVIIIe siècle Michel Vovelle a repéré des demandes de messes dans plus de quatre testaments sur cinq chez les notables provençaux, il observe un effondrement à partir des années 175075, la rupture étant particulièrement nette en ce qui concerne la bourgeoisie négociante ou exerçant des professions libérales. La progressive et légère régression de ce type de pratiques outre Pyrénées à la même époque laisse voir que l’Espagne n’en était encore qu’à l’amorce d’un changement de mentalité dans ce domaine. Il semble aussi que le système d’assistance charitable mis en place par l’Église représentait en Espagne des dépenses considérables, dont l’ampleur n’a pas manqué de frapper l’esprit des voyageurs étrangers76. La fréquence de ce type de pratiques, qui n’était peut-être pas sans effet sur l’offre de main-d’œuvre, ainsi que l’importance des sommes consacrées au cérémonial religieux avaient des effets plutôt négatifs sur les secteurs susceptibles d’amorcer un processus de modernisation économique et d’industrialisation. Mais à cet égard il s’agit plutôt d’une différence de degré avec la France que d’une disparité de nature, les mêmes traits sociaux se retrouvant en deçà des Pyrénées77, dans une version moins accentuée.

2. Le mouvement des Lumières

  • 78 Daniel Roche, La France des Lumières…, p. 477-478.
  • 79 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780..., p. 183. L’étude des sociétés économiques constitue un champ (...)
  • 80 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 212, qui se réfère à Daniel Roche, Le Siècl (...)
  • 81 Michel Dubuis, « Les “reales sociedades económicas de amigos del pais”, creuset d’idées nouvelles ? (...)
  • 82 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 182. Pour une approche de la franc-maçonnerie espagnole en (...)
  • 83 Cf. Daniel Roche, La France des Lumières..., p. 392. La franc-maçonnerie française sous l’Ancien Ré (...)
  • 84 Cf. Lucienne Domergue, « Les freins à la diffusion des idées nouvelles » in Aux origines du…, p. 13 (...)
  • 85 Cf. Pierre Grosclaude, Malesherbes, témoin et interprète de son temps, Paris, Fischbacher, 1961.
  • 86 Cf. notamment le livre de Francisco Martí Gilabert, La Iglesia de España durante la revolucíon fran (...)
  • 87 Jean-Pierre Dedieu, « Responsabilité de l’Inquisition dans le retard économique de l’Espagne ? élém (...)

22Des signes d’évolution et de modernisation s’observent cependant dans l’Espagne de Charles III et de Charles IV et la prise de conscience de la nécessité des changements était approximativement semblable à ce qu’elle était en France. Les structures au sein desquelles s’est développé l’esprit des Lumières se sont toutefois plus précocement constituées au nord de la chaîne pyrénéenne. Alors que les premières académies françaises sont apparues sous le règne de Louis XIV, la deuxième moitié du XVIIIe siècle correspondant à un essoufflement du mouvement académique, qui laisse place à une dynamique moins officielle78, la première société espagnole des Amis du Pays n’a été fondée qu’en 1763 et les demandes de fondation auprès du roi se sont multipliées dans les deux décennies précédant l’invasion française79. Par ailleurs la composition sociale des sociétés de pensée françaises, qui comptaient en moyenne 43 % de roturiers80, était sans doute moins aristocratique que celle des Sociétés des Amis du Pays, au sein desquelles la noblesse et les gens d’Église représentaient une très large majorité des adhérents81. Quant à la franc-maçonnerie, elle n’aurait eu que fort peu d’influence en Espagne82, alors qu’en France le nombre des francs-maçons se comptait en dizaines de milliers, certaines loges faisant une assez large place à la bourgeoisie, y compris dans ses strates inférieures83. Enfin l’épanouissement des Lumières a pu être gêné en Espagne par les contraintes apportées à la marge de manœuvre des ilustrados, et notamment par le poids de la censure qui, après s’être relâchée au début des années 1760, avec l’arrivée de Campomanes au conseil de Castille, enregistre un nouveau tour de vis à la suite de la révolte de 176684, tandis qu’en France Malesherbes, directeur de la librairie de 1750 à 1771, maintient le cap d’un libéralisme encadré85. Quant à la présence du Saint-Office en Espagne, spécificité dont l’importance et le sens ont été longtemps matière à polémique86 et angle d’attaque privilégié de la légende noire espagnole, bien qu’on ne puisse tenir l’Inquisition pour principale responsable des difficultés de pénétration des courants de pensée venues de l’étranger, il est indéniable qu’elle a largement « contribué à créer les conditions intellectuelles et mentales qui rendirent difficiles [son] décollage économique […] au XIXe siècle»87, ne serait-ce qu’en participant à la persistance du magistère moral de l’Église.

3. Alphabétisation et couches populaires urbaines

  • 88 Jean-Pierre Dedieu, L’Espagne de 1492…, p. 214.
  • 89 Cf. Jean-François Botrel, « L’aptitude à communiquer : alphabétisation et scolarisation en Espagne (...)
  • 90 Claude Larquié, « L’alphabétisation des madrilènes dans la seconde moitié du XVIIe siècle : stagnat (...)
  • 91 Bartolomé Bennassar, « Les résistances mentales », in Aux origines du…, p. 117-131, p. 126.

23Mais, si dans le cas de l’Espagne, l’expression « despotisme éclairé », suppose de mettre davantage l’accent sur le premier terme que sur le second, c’est aussi en raison du niveau culturel de la société. Bien qu’il soit difficile outre Pyrénées, où, à la différence de la France, les registres de mariage ne comportent pas de signature avant le XIXe siècle88, de proposer un chiffre pour le taux d’alphabétisation, il est à peu près certain qu’il était sensiblement inférieur au taux français à la même époque. En 1860 encore, les trois quarts des Espagnols étaient analphabètes89, alors même que les chiffres observés deux siècles plus tôt montrent qu’à cette époque l’Espagne n’accusait aucun retard par rapport à ses voisins, une stagnation, voire un léger recul, semblant se produire dans la seconde moitié du XVIIe siècle90. Peut-on en conclure qu’en ce domaine, comme en d’autres, c’est à partir du règne de Charles II que le pays se serait laissé distancer par des concurrents chez lesquels les indicateurs de développement progressaient fortement ? Sans doute, mais il ne faut pas exclure de probables progrès dans la seconde moitié du XVIIIe siècle car le démantèlement de l’appareil d’enseignement élémentaire résultant des désarmotissements successifs a pu entraîner une régression au XIXe siècle91.

  • 92 Roger Chartier, Les origines culturelles de la révolution française, Paris, Seuil, 1990, p. 81. Sel (...)
  • 93 Cf. Roger Chartier, Les origines de…, p. 88-89 et Daniel Roche, Le peuple de Paris, Paris, Aubier, (...)

24Reste que l’Espagne n’a certainement pas connu le bond en avant enregistré en France au XVIIIe siècle, au cours duquel la proportion des alphabétisés a augmenté des deux tiers chez les hommes, dont semble-t-il près de la moitié savaient lire à la veille de la Révolution, et a pratiquement doublé chez les femmes, dépassant le quart à la fin du siècle92. Mais la dénivellation en ce qui concerne les taux d’alphabétisation n’est-elle pas la traduction des dissemblances dans la structure des classes populaires ? Car c’est en milieu urbain, dans les couches artisanales notamment, que le niveau culturel fait les progrès les plus importants, dont la réalité est attestée en France par un indicateur plus significatif que les simples signatures, la présence de livres dans les inventaires après décès93. Dans un pays qui par ailleurs n’a quasiment pas été touché par le protestantisme, le développement relativement faible du secteur artisanal a donc été en soi un facteur de retard sur le plan culturel.

  • 94 Cf. Pierre Vilar, « Structures de la société espagnole vers 1750 - Quelques leçons du cadastre de l (...)
  • 95 Paul Butel, L’économie française au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 1993,p. 202.
  • 96 D’après une extrapolation à partir des chiffres proposés par Vauban pour le début du siècle, Projet (...)

25L’exploitation du cadastre établi au milieu du siècle par le marquis de la Ensenada ne laisse en effet apparaître que moins de 200000 individus déclarant une activité productive non agricole − pour une Espagne amputée il est vrai de sa capitale et des territoires relevant de l’ancienne couronne d’Aragon94 − soit moins de 3 % de la population totale, ce qui correspond très approximativement à un petit dixième des actifs. En France la proportion des actifs impliqués dans le produit industriel aurait été proche du cinquième95, à une époque certes un peu plus tardive et si l’on transpose les chiffres proposés par Vauban96 pour le début du siècle les seuls employés auraient été environ un million au milieu du XVIIIe siècle. Au total l’écart observé en ce qui concerne le poids des activités de transformation et le nombre des individus qui s’y consacraient est bien plus important que la simple différence démographique. Le faible développement de l’industrie espagnole au sens large et l’étroitesse du salariat urbain qui en découle se traduisent d’ailleurs dans le fait que les compagnonnages français n’avaient pas d’équivalents outre-Pyrénées. Ainsi, au-delà de l’équivalence statistique entre les deux pays en ce qui concerne la proportion des citadins dans la population totale, la place tenue en Espagne par les activités agricoles, y compris en milieu urbain, se traduisait par la domination d’un mode de vie de type rural qui concernait aussi une partie notable des habitants des villes, caractère qui rejaillissait à la fois sur le niveau d’acculturation des masses et sur les capacités d’absorption des biens transformés par le marché de consommation intérieur.

D) Les politiques réformistes et leur impact

26Cette pesanteur sociologique de l’Espagne pouvait également freiner, voire empêcher de façon plus directe les efforts de modernisation.

1. Transformations et blocages dans l’agriculture

  • 97 Cf. sur ce point les pages consacrées aux « Ambitions et réalités d’une réforme agraire » par Jean- (...)
  • 98 Cf. sur ces questions la synthèse de Paul Butel, L’économie française au..., p. 169-184.

27Ainsi la mise en œuvre d’une réforme agraire qui devait permettre d’accroître les rendements s’est heurtée à la résistance des grands propriétaires, particulièrement dans les zones les plus méridionales. Pourtant de part et d’autre des Pyrénées existait une même volonté de réforme chez des plus hauts responsables gouvernementaux. Ceux-ci ont pris des dispositions pour stimuler l’esprit d’initiative, telles que des incitations au partage des communaux, favorisé en Espagne par différentes mesures législatives à partir de 176697 et progressivement autorisé en France dans la plupart des provinces à partir de 176998, ou encore l’autorisation d’enclore sans contraintes qui est accordée à la même époque en France et qui en Espagne vient à bout en 1788 des privilèges séculaires de la Mesta sur les dehesas.

  • 99 Jean-Marc Moriceau, Gilles Postel Vinay, Ferme, entreprise, famille, grande exploitation et changem (...)

28Favoriser l’individualisme agraire avait pour corollaire de libérer le commerce des grains. En ce domaine également un certain parallélisme s’observe, avec du côté français les deux tentatives manquées de 1763-68 et de 1774-76 et du côté espagnol l’échec de l’essai de 1752 et l’apparente réussite de 1765, qui abolit la taxation des prix des céréales et libère leur négoce, jusqu’à ce que Charles IV revienne sur cette mesure en 1790. Ici toutefois les objectifs économiques initiaux de la politique libérale en matière agraire n’ont pu être atteints puisque la production, ainsi qu’on l’a déjà observé, n’a enregistré aucune augmentation notable et que ce sont essentiellement les grands propriétaires terriens et les spéculateurs locaux qui ont bénéficié des nouvelles dispositions. En réalité il convient dans les deux cas de faire la part entre les mesures officiellement promulguées et les tendances profondes. Celles-ci se caractérisaient en France par « une souplesse nouvelle à l’égard des contraintes traditionnelles du fonctionnement de l’économie de marché»99 dès avant les édits de libéralisation et en dépit des désaveux dont ils ont ensuite fait l’objet, tandis qu’en Espagne les conditions de transport ne permettaient pas au commerce céréalier de sortir du cadre local qui devait rester le sien encore durant plusieurs décennies.

2. Du mercantilisme au libéralisme

a) Les cadres et les moyens de l’interventionnisme étatique

  • 100 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 23 et Marcel Marion, Dictionnaire des insti (...)
  • 101 Le secteur minier est doté d’un organisme professionnel de même nature un siècle plus tard en 1781, (...)
  • 102 Ibid., p. 55-57.

29L’attitude des sphères dirigeantes vis-à-vis de l’industrie nationale présente des similitudes des deux côtés des Pyrénées. On peut observer un certain parallélisme au plan institutionnel, avec la création, d’une part, du Conseil de commerce en 1664 dont le fonctionnement se pérennise à partir de 1730100 et, de l’autre, celle de la Junta de comercio en 1679 qui se transforme en 1730 en Junta de comercio y moneda avant de voir en 1747 ses attributions étendues au secteur minier. En France, même si l’on est en droit de considérer que l’interventionnisme étatique a été souvent trop étroitement associé à la personnalité de Colbert, il n’en reste pas moins que son ministère a bien correspondu à une inflexion majeure dans la politique économique de la monarchie et à la mise en place des fondements institutionnels qui serviront de relais à l’action de l’État en matière industrielle jusqu’à la fin de l’Ancien Régime et même au-delà. La première grande mesure de portée générale en ce domaine fut l’instauration du droit de marque sur les étoffes en 1679, la mise en place d’un contrôle sur leur fabrication étant prise en charge en 1689 par le nouveau corps des inspecteurs des manufactures101. Dans le même temps ce terme générique utilisé pour désigner la fabrication d’objets ou de matières industrielles trouve à s’incarner dans des structures de production nouvelles jouissant de la protection du souverain. L’administration royale qui se souciait avant tout de la qualité des productions dans le but d’en assurer la renommée à l’étranger, récompensait des entreprises qui produisaient des marchandises de bonne facture en leur concédant le titre de manufacture royale qui s’accompagnait de la délivrance de privilèges de fabrication et d’avantages fiscaux, comme l’exemption de droits de douane, voire de subventions102.

  • 103 Jean-Pierre Amalric, « Les Élites : genèse, apogée et crise des lumières », in Histoire des Espagno (...)

30À la même époque s’affirmait aussi dans le gouvernement de la monarchie espagnole une volonté de développer un secteur manufacturier et de favoriser les initiatives industrielles dans une perspective financière et commerciale. Dès la fin du XVIIe siècle se développe la pratique du recours à des artisans étrangers capables de transposer en Espagne les techniques modernes déjà en usage en France ou dans d’autres pays européens. Cependant la politique mercantiliste ne prend un tour vraiment résolu outre-Pyrénées qu’après l’arrivée des Bourbons sur le trône. Orry, qui dans la décennie 1730 faisait figure au Contrôle Général de continuateur de Colbert, a joué en Espagne un grand rôle dans la mise en œuvre d’une nouvelle politique financière et a participé à définir les principales orientations du gouvernement de la monarchie en matière économique. Si l’on met à part le cas de l’arsenal de Barcelone que le pouvoir royal avait pris en main dès le XVe siècle, pratiquement toutes les grandes entreprises d’État ont été fondées au XVIIIe siècle. C’est le cas des autres arsenaux navals, sur les côtes espagnoles ou en Amérique, comme des fabriques d’armements que le gouvernement prit directement en main à partir de la fin des années 1750. L’exploitation des monopoles d’État qui constituait depuis longtemps une importante source de revenus pour les finances royales a donné lieu au XVIIIe siècle à la création de grandes fabriques étatiques, comme celle de cartes à jouer à côté de Malaga ou celle de tabac à Séville. Dans le secteur textile enfin des entreprises ont été prises en charge ou dotées de privilèges par l’État, parmi lesquelles la fabrique de draps de Guadalajara créée en 1717 fait figure de prototype103.

b) Les mesures de libéralisation de l’économie

  • 104 Le développement qui suit s’appuie sur Denis Woronoff, Histoire de l’industrie…, p. 64-65.

31À partir de 1750 cependant, en France, mais également dans une certaine mesure en Espagne, la façon dont est appréhendée l’industrie semble enregistrer un renversement de perspective. Jusqu’alors une réglementation sévère et pointilleuse apparaissait comme le meilleur moyen de garantir la qualité, d’assurer la renommée et donc de permettre le développement de l’industrie nationale face à la concurrence étrangère. À partir du milieu du siècle, aux yeux des libéraux et des économistes physiocrates, la réglementation perd sa crédibilité et se trouve accusée au contraire de limiter l’expansion et la modernisation des structures productives. Ainsi en France au cours des trente dernières années de l’Ancien Régime le système colbertiste est-il sérieusement mis à mal104. En 1759 est levée l’interdiction, édictée en 1686 et fort mal observée depuis d’ailleurs, d’importer ou de fabriquer des toiles de coton imprimées dites indiennes. Une deuxième brèche importante dans le dispositif réglementaire résulte de l’arrêt de 1762 qui incite les négociants à contourner par le plat pays le monopole urbain en leur permettant de fabriquer et de vendre toutes sortes d’étoffes aux habitants des campagnes et de tous les lieux où il n’y a pas de corps de métier. Enfin en 1779 est autorisée la fabrication d’étoffes hors de tout contrôle réglementaire pour tous ceux qui renoncent à la garantie administrative concernant la qualité de leurs productions.

  • 105 Jean Sarrailh, L’Espagne éclairée…, p. 543.
  • 106 Ignacio Jordán de Asso, Historia de la economia politica de Aragón, Zaragoza, Guara Editorial, 1983 (...)

32De son côté, aux environs de 1750, l’économie espagnole restait encadrée par une législation particulièrement rigoureuse. Dans le domaine industriel la concession de privilèges aux grandes manufactures d’État était l’axe essentiel de l’action du pouvoir central. Outre les entreprises publiques, certains grands établissements privés étaient également favorisés par le pouvoir, comme la fabrique de draps fins de Ségovie ou la manufacture de coton d’Avila fondée en 1789. Pourtant, malgré la persistance des mesures mercantilistes, la plupart de ceux qui, dans la seconde moitié du siècle, réfléchissent sur les problèmes matériels de l’Espagne et des autres nations, qu’il s’agisse de Ward, de Campomanes, ou encore de Jovellanos, puisent leurs sources dans la physiocratie française et prêtent donc l’oreille aux voies qui prêchent la liberté105. En Aragon, Asso en est un bon exemple et déclare que « la richesse du sol est la seule qui donne nerf et force indestructible aux nations»106. Dans les dernières décennies du siècle le courant libéral s’affirme donc et obtient la mise en application par la monarchie de certains de ses principes.

  • 107 Dès le Directoire la taxe sur les barrières et sous le Consulat le droit de navigation montrent que (...)
  • 108 Dit traité d’Eden, du nom du Britannique qui en a été le négociateur.
  • 109 En 1771 est totalement interdite l’importation dans les royaumes espagnols de toiles de coton. Mais (...)
  • 110 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 146.

33Sur le plan commercial, les idées libérales ont impulsé des deux côtés des Pyrénées des mesures gouvernementales qui ne se sont pas limitées au domaine des grains. Concernant la circulation des biens industriels, le transport des draps en France a cessé d’être assujetti à de possibles réquisitions des montures au bénéfice de l’armée. De ce côté des Pyrénées, le texte essentiel à propos du commerce intérieur est l’arrêt du 15 août 1779 par lequel tous les péages fondés en droit peuvent être rachetés, les autres devant être supprimés sans indemnité. À la fin de l’Ancien Régime, sur près de 6000 péages qui existaient en 1679, 3600 avaient bien été supprimés, mais les 2400 restants se trouvaient en quelque sorte confirmés dans leur légalité et l’État n’a pas été en mesure de les racheter avant la Révolution107. Dans le domaine du commerce extérieur, un changement de politique est intervenu avec le traité passé avec l’Angleterre en 1786108 qui, en abaissant considérablement les droits d’entrée sur les principales marchandises, marque une rupture par rapport à la tradition mercantiliste. Un des mobiles essentiels de ce traité ayant été de donner des satisfactions aux propriétaires de vignes, il apparaît comme la concrétisation des idéaux de la physiocratie. Sur ce plan, la politique espagnole se distingue assez nettement de celle menée par les ministres de Louis XVI, puisque les tarifs prohibitifs, servant notamment à protéger les productions des fabriques royales ou privilégiées, dont les créations se sont multipliées au XVIIIe siècle, sont non seulement maintenus mais encore renforcés en 1782. Le cas de l’industrie cotonnière montre cependant une évolution logique dans le sens du libéralisme après une phase de protection permettant la mise en place d’une industrie nationale concurrentielle109. Par ailleurs, en ce qui concerne le commerce colonial, le gouvernement royal décide en 1778 de remettre en cause le privilège exclusif de Cadix et autorise treize ports espagnols à commercer avec vingt ports américains110.

3. Mise en cause du régime corporatif

  • 111 Henri Sée, L’évolution commerciale et industrielle de la France sous l’Ancien Régime, Paris, Marcel (...)
  • 112 Marcel Marion, Dictionnaire des…, p. 147. Vincent de Gournay était intendant de commerce depuis 175 (...)
  • 113 José Francisco Forniés Casals, La Real Sociedad economica aragonesa de amigos del pais en el period (...)
  • 114 Daniel Roche, La France des Lumières…, p. 135.
  • 115 Jean Sarrailh, L’Espagne éclairée, p. 158.
  • 116 Cf. L. Normand-Tellier, Face aux Colbert et Le Tellier, Vauban, Turgot et l’aube du libéralisme, Qu (...)
  • 117 La pensée de Pedro Rodríguez de Campomanes nous est surtout connue par deux de ses écrits, essentie (...)
  • 118 Campomanes est issu d’une famille de modestes hobereaux des Asturies dont le dévouement a été récom (...)
  • 119 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 142-143.
  • 120 Joseph Pérez, Histoire de l’Espagne, p. 423. Les bibliothèques des deux ministres sont d’ailleurs a (...)
  • 121 Edgar Faure, La disgrâce de Turgot – 12 mai 1776, Paris, Gallimard, 1961 (réédité en 1974).
  • 122 Sur ce point l’exemple de Saragosse est comme on le verra très éclairant. Cf. José Francisco Fornié (...)
  • 123 Cf. sur cette question l’ouvrage très fouillé de Steven L. Kaplan, La Fin des corporations, Paris, (...)

34L’évolution vers le libéralisme se manifeste également par un changement, qui intervient dans les deux pays vers 1770, en ce qui concerne l’attitude du pouvoir vis-à-vis des corporations. Pourtant, en France trois ans plus tôt, on assiste à une dernière tentative d’étendre le régime des jurandes et donc le contrôle royal à l’ensemble des métiers urbains111. Mais, dès le milieu du siècle déjà, se multiplient des deux côtés des Pyrénées les mises en cause de la légitimité du régime corporatif. L’attaque est menée en France par Cliquot de Blervache, qui rédige un mémoire en réponse à la question mise au concours par l’Académie d’Amiens à l’instigation de Vincent de Gournay112, et du côté espagnol par Bernardo Ward qui dirige la Junte de Commerce et écrit son célèbre Projet Économique113. Si le premier se fait l’apôtre d’un libéralisme absolu114, le second, tout en dénonçant l’esprit de vanité, de paresse et de monopole115, considère que la fonction de contrôle de la qualité justifie le maintien d’une organisation corporative réformée. Le parallèle peut être prolongé dans les années 1770 à travers les deux grandes figures de ministres des Lumières que sont Turgot116 d’une part et Campomanes117 de l’autre. Aucun des deux n’est originaire de la haute aristocratie118 mais chacun est reconnu dans les milieux éclairés, l’un venu de la théologie et de la philosophie aux sciences et à l’économie politique119, l’autre historien érudit et reconnu qui place toujours son action réformatrice dans une large perspective historique120. L’action de Turgot est certes nettement plus radicale que celle de Campomanes, mais elle se solde en définitive par un échec personnel121. Pourtant le renvoi du Contrôleur Général, de même que les atermoiements du Conseil de Castille dans le soutien accordé aux projets locaux de réforme qu’il a lui même suscités122 ne signifient pas un blocage complet du processus de modernisation et de libéralisation du secteur secondaire. Le rétablissement des corporations en France ne se solde pas, du moins dans les ressorts parlementaires où l’abolition avait finie par être enregistrée, par un rétablissement pur et simple des anciennes communautés de métiers123 et, dans les deux pays, de sérieuses brèches sont ouvertes dans les monopoles corporatif.

  • 124 Marcel Marion, Dictionnaire des…, p. 148-149 et Steven L. K aplan, La fin des corporations.
  • 125 Pedro Molas Ribalta, Los Gremios barceloneses del siglo XVIII – La estructura corporativa, ante el (...)
  • 126 Denis Woronoff, Histoire de l’industrie…, p. 65.
  • 127 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 201.

35La législation édictée au niveau national, dont cependant l’application au plan local reste problématique, fait apparaître une grande similitude dans l’évolution de la question corporative jusqu’à la Révolution de 1789. Ainsi, si l’édit d’août 1776 qui définit un nouveau cadre pour les organisations professionnelles stipule la possibilité pour un maître d’exercer dans toutes les villes du royaume de France124, l’année suivante un cédule royale donne en Espagne la possibilité pour les maîtres d’être accueillis dans les gremios d’autres villes que celle où ils ont été initialement reçus, disposition qui intervient elle même après une première mesure prise en 1772 qui permettait l’admission de maîtres étrangers125. La possibilité pour les femmes d’appartenir à une corporation qui est affirmée dans l’édit français de 1776 trouve par ailleurs un écho dans la législation espagnole sur le travail féminin de 1779. De même, si en France la fabrication des étoffes est autorisée par lettre patente en 1779 hors de tout contrôle réglementaire126, à côté des produits bénéficiant de la garantie gouvernementale, en Espagne on assiste quelques années plus tard à la libération de toutes entraves corporatives pour certains secteurs comme le bâtiment ou la savonnerie, puis tout le secteur soyeux127, la cédule royale de 1789 permettant aux fabricants de drap d’inventer et d’imiter tous types de produits à condition d’y apposer le sceau de leur fabrique.

  • 128 Cf. Pedro Molas Ribalta, Los Gremios barceloneses…, p. 146.
  • 129 L’expérience de Turgot illustre un cas de figure qui est loin d’être unique dans l’histoire politiq (...)

36Le parallélisme des mesures prises et plus généralement de la façon dont est envisagée dans le dernier tiers du XVIIIe siècle la question corporative reflète dans une large mesure les similitudes de la situation générale de l’organisation corporative dans chacun des deux pays. Sans entrer dans la description des deux variantes du système corporatif que nous réservons pour une approche de nature plus locale que nationale, car les particularités des configurations locales importent au moins autant que le régime général qui est supposé les régir, on peut considérer que les problèmes posés par les corps de métiers, leurs fonctions, leur avenir, les perspectives de transformation, se posaient dans des termes très similaires de part et d’autre des Pyrénées. Soulignons cependant que les modalités de traitement diffèrent assez sensiblement, puisqu’en Espagne Campomanes a fait passer ses visées réformatrices par le biais des élites locales, chargeant officiellement en 1779 les Sociétés Économiques d’élaborer un plan de réforme adapté au contexte local128, alors qu’en France la méthode employée par Turgot apparaît plus autoritaire et de visée plus centralisatrice129. Il est vrai qu’en Espagne la constitution des cénacles éclairés s’est faite dans une grande mesure à l’initiative du ministre lui-même et que les sociétés patriotiques qui se sont créées au cours des trois dernières décennies du siècle dans les provinces espagnoles font figure de courroies de transmission des impulsions réformatrices du pouvoir central.

Conclusion : écart et similitudes

37Le bilan comparatif aux environs de 1770 en ce qui concerne les conditions générales du développement économique fait donc apparaître des différences assez nettes de niveau entre les deux pays. Les handicaps de l’Espagne touchent notamment à la difficulté des transports, au poids particulièrement lourd, tant au plan économique qu’au niveau des mentalités, de l’Église ainsi qu’au manque d’implication d’une noblesse encore très nombreuse dans les formes les plus dynamiques de l’économie. Ces traits s’ajoutent aux conditions naturelles, tant climatiques que pédologiques ou morphologiques, qui désavantagent indéniablement la plus grande partie des régions espagnoles, pour expliquer le moindre développement des activités non agricoles en Espagne relativement à la France. Ce phénomène rejaillit à son tour à la fois sur l’état du marché de consommation et sur le niveau culturel moyen de la population, qui minimisent les possibilités de développement des activités de transformation. Malgré tout, les similitudes ne sont pas inexistantes, à commencer par la grande ressemblance, non seulement des cadres institutionnels des deux monarchies bourbonniennes, mais aussi des politiques réformistes qui y ont été menées. Dans les villes, dont le nombre et la taille en Espagne ne tranchent pas par rapport au cas français, compte tenu de la différence démographique globale, la situation des communautés professionnelles n’apparaît pas non plus fondamentalement différente à une époque où, de part et d’autre, celles-ci font l’objet de sérieuses remises en question et voient leurs monopoles progressivement entamés.

Notes

1 C’est précisément cette question que se sont posés les auteurs de Aux origines du retard économiques de l’Espagne – XVIe-XIXe siècles, Paris, CNRS, 1983, 180 p. (cf. l’introduction de Bartolomé Bennassar, p. 1-4). Les éléments de réponse qui se dégagent montrent plutôt que ce qu’on peut considérer comme une sorte de ratage au XIXe siècle a bien des racines à l’époque moderne.

2 Cf. notamment ceux qui ont eu tendance à tenir pour quantité négligeable la contribution de l’Espagne au mouvement des Lumières en Europe : Paul Hazard, La pensée européenne au XVIIIe siècle – de Montesquieu à Lessing, Paris, Fayard, 1968.

3 La Guerre de Succession a d’ailleurs joué sans doute un rôle non négligeable dans la formation d’une identité nationale outre-Pyrénées et constitue une première clef pour comprendre l’enjeu de la perception de la France en Espagne.

4 La gallomanie des milieux éclairés a fait l’objet d’une analyse par Daniel H. Pageaux, « Nature et signification de la gallomanie dans l’Espagne du XVIIIe siècle », Actes du IVe Congrès de l’Association Internationale de littérature comparée (Fribourg, 1964), The Hague-Paris, Mouton, 1966, p. 1205-1220 et « Aspects culturels des relations franco-espagnoles au XVIIIe siècle », Études littéraires (Québec), 1969, p. 9-20. Cf. la contribution de Guy MErcadier, « Espagne : XVIIIe-XIXe siècles (jusqu’en 1833) » dans La recherche hispanique en France (1962- 1984) Espagne et Amérique latine (Actes du XXe Congrès de la Société des Hispanistes Français de l’enseignement supérieur, Madrid, 30 mars – 1er avril 1984), Madrid, SHF, 1985, p. 111-123, p. 120.

5 Jusqu’aux années 1970 l’influence française était généralement considérée comme essentielle que ce soit pour y voir une source de malheurs et de dénaturation, dans la lignée de MENÉNdez y PELayo ou pour donner la vision d’une Espagne progressiste influencée dans un sens bénéfique par les idées venues d’outre-Pyrénées, à l’instar de Jean Sarrailh auteur d’un ouvrage qui a fait date intitulé L’Espagne éclairée de la seconde moitié du XVIIIe siècle, Paris, Klincksieck, 1964, Paris (1e édition 1957). Aujourd’hui de nombreux auteurs – Antonio Elorza, Gonzalo Anes, Javier Fernández Sebastián ou François Lopez – s’entendent pour considérer que l’influence française a été surévaluée et l’approche de l’afrancesamiento est devenue plus particulariste.

6 Cf. notamment à ce sujet François Lopez, Juan Pablo Forner et la crise de la conscience espagnole au XVIIIe siècle, Bordeaux, Institut d’Études Ibériques et Ibéro-américaines de l’Université de Bordeaux, 1976, p. 579.

7 José Miguel Caso González, « Historia de una vileza », Historia 16, Extra VIII, 1978, p. 153. Le thème auquel était consacré le numéro de la revue était « La Ilustración – Claroscuro de un siglo maldito ».

8 Il est d’ailleurs significatif que les aperçus synthétiques récents qui traitent de l’influence française passent généralement par le prisme du concept de révolution. Cf. par exemple Gonzalo Anes, « La revolución francesa en el siglo XVIII, Algunos datos y documentos », in Economía e Ilustración en la España del siglo XVIII, Ariel, Barcelone, 1969 ou Alberto Gil Novales, « Revolución francesa y revolución española », Trienio, 10, 1987. La commémoration de 1789 a bien entendu provoqué une amplification de cette thématique qui a notamment donné lieu à un ouvrage collectif coordonné par Jean-René Aymes, España y la Revolución francesa, Barcelone, Critica, 1989, ainsi qu’à différents colloques tenus en Espagne ou au Portugal à cette occasion. Cf.Jean-René Aymes, « L’Espagne en mouvement (1766-1814). Essai bibliographique », Les révolutions dans le monde ibérique (1766-1834), I – La péninsule, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux et Maison des Pays ibériques, 1989, p. 14-140, p. 75-76.

9 Cf. Christian Hermann, « Introduction », ibid., p. 9.

10 Ce n’est pas le lieu de mentionner les multiples ouvrages qui traitent de la question, dont le nombre est en soi un indicateur. On peut à cet égard se reporter à la troisième partie de l’exposé de Jean-René Aymes, ibid., p. 93-127, auteur par ailleurs de La Guerre d’Indépendance espagnole (1808-1814), Paris, Bordas, 1973.

11 La marque de la production historienne française est d’autant plus forte que je n’ai pas initialement de formation historique particulière sur l’Espagne et que l’idée d’aborder un terrain d’étude situé outre-Pyrénées ne s’est faite que postérieurement à la décision de m’orienter dans la voie d’une étude comparative impliquant la ville de Toulouse et donc bien après avoir défini la problématique générale qui devait guider ma recherche.

12 Concernant le XVIIIe siècle, les travaux d’historien français comme Gaspard Delpy (L’Espagne et l’esprit européen – L’œuvre de Feijoo, Paris, Hachette, 1936, 389 p.), Jean Sarrailh (L’Espagne éclairée…), Marcelin Defourneaux (Pablo de Olavide ou l’Afrancesado (1725-1803), Paris, PUF, 1959, 500 p.) ou de Pierre Vilar (La Catalogne dans l’Espagne moderne : Recherches sur les fondements économiques des structures nationales, Paris, SEVPEN, 1962) ont eu une importance particulière à une époque où l’histoire officielle espagnole véhiculait la légende noire d’un XVIIIe siècle anti-espagnol. Parmi les ouvrages plus récents, et sans aucun souci d’exhaustivité, on peut mettre en exergue quelques uns des travaux les plus novateurs, comme ceux de Jacques Soubeyroux (Paupérisme et rapports sociaux à Madrid au XVIIIe siècle, Université de Lille, 1978, 2 vol., 1125 p.), de Joël Saugnieux (Le jansénisme espagnol du XVIIIe siècle, ses composantes, ses sources, Oviedo : Cát. Feijoo. col. Textos y estudios del siglo XVIII, n° 6, 1975, 310 p.), de Paul J. Guinard (La presse espagnole de 1737 à 1791 – Formation et signification d’un genre, Centre de Recherches Hispaniques – Institut d’Études Hispaniques, Paris, 1973), ou de Lucienne Domergue (Censure et Lumières dans l’Espagne de Charles III, Paris, CNRS, 1982), ainsi que le projet collectif déjà cité, qui embrasse une plus longue durée, Aux origines du…, et notamment la contribution de Jean-Pierre Amalric, « Au XVIIIe siècle : une agriculture bloquée », p. 7-57.

13 Très emblématique de ce courant, qui remonte à Menéndez y Pelayo, auteur d’une fameuse Histoire des hétérodoxes espagnols, est l’ouvrage de José Ortega y Gasset, España invertebrada, Madrid, 1957.

14 C’est le cas notamment de l’Historia de España dirigée par Manuel Tuñon de Lara dont le tome VII, Centralismo – Ilustración y agonía del Antiguo régimen (1715-1833), Barcelona, Editorial Labor, 1981 (1e édition 1980), 488 p., a été rédigé par Emiliano Fernández de Pinedo, Alberto Gil Novales et Albert Dérozier.

15 Cf. notamment sur le premier aspect les travaux de Pierre Ponsot, « Des immigrants français en Andalousie : exemples de Montilla et d’Osuna », Mélanges de la Casa de Velázquez, V, 1969 et « Les Français à Cordoue en 1791-1793 », Mélanges de la Casa de Velázquez, XV, 1979, de Louis Miard, Présences françaises en Espagne, à Bilbao et autour de cette ville dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (1750-1805), Thèse de doctorat soutenue à l’Université de Rennes, 1987, ou encore de Christine Langé, La inmigración francesa en Aragón : siglo XVI y primera mitad del XVII, Zaragoza, Institución Fernando el Católico, 1993, 189 p. Concernant l’époque contemporaine cf. Jean-Pierre Amalric et Gérard Chastagnaret (sous la direction de), Exil politique et migration économiques espagnols et français aux XIXe-XXe siècles, CNRS, 1991.

16 Cf. dans le cas de la perception de la France par les intellectuels français après la guerre de 1870, Claude Digeon, La crise allemande de la pensée française – 1870-1914, Paris, PUF, 1959, rééd. 1992, ou dans celui de la réflexion historienne sur l’industrialisation l’appréciation presque systématique de l’évolution française en regard de ce qui se passe outre-Manche.

17 Cf. Joseph Pérez, « L’Espagne et la modernité », Aux origines du…, p. 155-169.

18 Ne serait-ce que du fait de la géographie qui fait de la France le point d’amarrage de la péninsule au continent et le lieu de transit des courants venus d’Europe.

19 Julian Juderias, La Leyenda negra – Estudio acerca del concepto de España en el extranjero, Madrid, 1914 et récemment les réflexions de Ricardo Garcia Gárcel, « Las culturas del siglo de Oro », Historia 16, 1989.

20 Jean Bérenger et Jean Meyer rangent l’Espagne de Philippe V parmi les puissances moyennes aux côtés de la Suède, de la Pologne, de l’empire ottoman et de la Russie, la Grande-Bretagne constituant avec la France et la monarchie autrichienne les trois grandes puissances européennes : La France dans le monde au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 1993, p. 30-44. La puissance militaire et le poids politique sont au demeurant à l’époque moderne les attributs d’états monarchiques qui ne coïncident que partiellement avec des entités nationales encore en gestation.

21 Pierre Goubert, Louis XIV et vingt millions de Français, Paris, Fayard, 1966.

22 Cf. sur ce point Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire du climat depuis l’an mil, Paris, Flamarion, 1967.

23 La dernière grande crise à l’échelle européenne intervient en 1710. Cf. Michel Denis, Noël Blayau, Le XVIIIe siècle, Paris, A. Colin, 1990, p. 28.

24 Avec notamment la disparition de la peste au-delà des années 1730.

25 Daniel Roche, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993, p. 440 et Jean-Pierre Dedieu, L’Epagne de 1492 à 1808, Paris, Belin, 1994, p. 169.

26 Marc Marti, Ville et campagne dans l’Espagne des Lumières (1746-1808), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 1997, p. 26.

27 Pierre Chaunu, La civilisation de l’Europe des Lumières, Paris, Flamarion, 1971, p. 55.

28 Marc Marti, Ville et campagne…, p. 27.

29 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme et Lumières 1652-1783, Paris, Hachette, 1993, p. 162-163.

30 Pour la France de 1806, 18,8 % d’après Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire de la France urbaine – Tome III. La ville des temps modernes de la Renaissance aux Révolutions, Paris, Le Seuil, 1998 (1e édition 1980), p. 293 et 18,66 % pour l’Espagne de 1826 selon Marc Marti, Ville et campagne…, p. 27-28.

31 Il faut aussi prendre garde au fait que la grande dimension de certains territoires municipaux en Espagne entraîne une certaine surestimation de la population urbaine car en dehors du noyau principal, dont l’on peut à juste titre considérer les habitants comme citadins, ces territoires comprenaient un nombre plus ou moins important de hameaux (aldeas) dont les occupants pouvaient représenter une fraction non négligeable de la population municipale et qui vivaient parfois à plusieurs dizaines de kilomètres des murs de la cité. Le cas de Saragosse en est d’ailleurs une illustration parfaite, mais exceptionnelle pour la partie septentrionale de la péninsule.

32 Elles sont 88 en 1780 et 95 en 1794 d’après Bernard Lepetit, Les villes dans la France moderne, Paris, Albin Michel, 1988, Annexe II.

33 Marc Marti, Ville et campagne..., p. 31.

34 Cf. sur ce point l’étude limitée à la Castille de David. R. Ringrose, Transportation and economic stagnation in Spain – 1750-1850, Durham, Duke University Press, 1970 et les travaux de Santos Madrazo, notamment « Precios del transporte y tráfico de mercancías en la España de finales del Antiguo Régimen », Moneda y Credito, n° 159, décembre 1981, p. 39-71 et Portazgos y tráficos en la España de finales del Antiguo Régimen », ibid., n° 160, mars 1982, p. 39-84.

35 Marc Marti, Ville et campagne..., p. 33.

36 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 172-173.

37 Cf. Marc Marti, Ville et campagne..., p. 35. Le directeur de l’école, Augustin de Bétancourt, fait un constat sans indulgence de la situation dont il hérite dans le domaine des transports.

38 Cf. Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 173 et Marc Marti, Ville et campagne..., p. 34.

39 Patrick Verley, La Révolution industrielle, Paris, Gallimard, 1997, p. 21-23 dans l’introduction et l’ensemble du chapitre premier intitulé « L’expansion des marchés » et L’Échelle du monde – Essai sur l’industrialisation…

40 Trente des 47 capitales régionales restaient au début du XIXe siècle à l’écart des axes radiaux et donc privées de routes carrossables. Cf. Marc Marti, Ville et campagne..., p. 36.

41 Ibid. p. 50. La différence s’expliquerait essentiellement par un choix différent dans la ventilation des travailleurs agricoles saisonniers, comptabilisés dans l’agriculture en 1787 mais placés dans l’industrie en 1797 au titre de leur activité principale hors les périodes de travaux agricoles. Ibid, p. 51, d’après Antonio Domínguez Ortiz, Sociedad y Estado en el siglo XVIII español, Madrid, Consejo Superior de las Investigaciones Científicas, 1955, p. 201

42 La différence ne devait en tout cas pas être importante puisqu’en 1830 l’agriculture occupait encore 61 % des actifs masculins en France (cf. Albert Broder, L’économie française au XIXe siècle, Gap-Paris, Ophrys, 1993, p. 49).

43 Marc Marti, Ville et campagne..., p. 100.

44 Cf. Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 176 ; Jean-Charles Asselain, Histoire économique de la France du XVIIIe siècle à nos jours – I. De l’Ancien Régime à la Première Guerre mondiale, Paris, Le Seuil, 1984, p. 71.

45 Cf. Jean-Pierre Amalric, « Dans les Espagnes du XVIIIe siècle : Une agriculture bloquée ? », Aux origines du…, p. 5-57, p. 40.

46 Ces conditions sociales sont en effet d’une extrême diversité et les chances d’une accumulation de capital tant de la part de la couche supérieure de la paysannerie que de la part des intermédiaires entre producteurs et rentiers n’étaient pas inexistantes : ibid., p. 50-52.

47 Patrick Verley, La Révolution…, p. 304.

48 Edward Anthony Wrigley, « Le processus de modernisation et la Révolution industrielle en Angleterre », Annales ESC, n° 2, mars-avril 1973 ; Continuity, Chance and Change – The characters of the Industrial Revolution in England, Cambridge University Press, 1988.

49 Gonzalo Anes, El Antiguo Régimen : los Borbones (Historia de España Alfaguara dirigée par Miguel Artola, IV), Madrid, Alianza Editorial, 1976 (2e édition), p. 159.

50 Jean-Pierre Amalric, « Dans les Espagnes profondes : paysans et citadins », chapitre XVI de Histoire des Espagnols - VIe-XXe siècle, sous la direction de Bartolomé Bennassar, Paris, Robert Laffont, 1992 (1e édition 1985), p. 541-589, p. 549-550.

51 Michel Morineau, Les faux semblants d’un démarrage économique – Agriculture et démographie dans la France du XVIIIe siècle, Paris, Éditions de l’EHESS, 1971.

52 TERRIER Didier, Histoire économique de la France d’Ancien Régime, Paris, Hachette, 1998, p. 197.

53 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 176.

54 Selon Gonzalo Anes, El Antiguo Régimen…, p. 199, si une enquête du type de celle réalisée sous l’égide du marquis de la Ensenada avait été effectuée en Castille au XVIe, voire même au XVe siècle, il est probable que les résultats auraient été assez similaires sur le plan qualitatif et sans doute supérieurs au plan quantitatif.

55 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780 à 1802, Paris, SEDES, 1985, p. 155.

56 La paix de Versailles en 1783 lui permet de rétablir des relations normales avec ses colonies et de récupérer la Floride (Joseph Pérez, Histoire de l’Espagne, Paris, Fayard, 1996, p. 442).

57 Elles sont multipliées par cinq entre 1778 et 1798, quand les réexportations ne le sont que par trois (Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 149).

58 Ainsi, selon Jean-François Bourgoing, Tableau de l’Espagne moderne, Paris, 1803, 3 vol., les bas de Nîmes s’embarquaient comme produits espagnols pour les Indes (Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 152).

59 Jean-Charles Asselain, Histoire économique…, p. 55.

60 Ibid., p. 58.

61 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 114. La part du clergé était encore plus forte, de l’ordre du quart, en ce qui concerne les revenus agricoles (cf. Joseph Pérez, Histoire de l’Espagne, Paris, Fayard, 1996, p. 411).

62 Guy Cabourdin et Georges Viard, Lexique historique de la France d’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 1990 (1e édition 1980), p. 64.

63 Marc Marti, Ville et campagne..., p. 95 et Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 132.

64 Jean-Charles Asselain, Histoire économique…, p. 30 et Didier Terrier, Histoire économique de la France d’Ancien Régime, Paris, Hachette, 1998, p. 60.

65 Hors du realengo, qui comprenait surtout le territoire des grandes villes, le seigneur pouvait avoir la propriété du sol ou la juridiction sur ses habitants, ou encore les deux, mais il semble que ce dernier cas n’était pas majoritaire, sauf peut-être en Aragon et en Catalogne. La domination de l’aristocratie était particulièrement forte et étendue dans les Asturies, le Léon, l’Estremadure, la Manche et l’Ouest de l’Andalousie (Joseph Pérez, Histoire de l’Espagne…, p. 410), mais l’emprise de type seigneurial n’en était pas nécessairement l’élément le plus important.

66 Guy Cabourdin et Georges Viard, Lexique historique…, p. 65.

67 Cf. Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 112. Joseph Pérez fait cependant observer que ce chiffre contredit l’image souvent véhiculée d’une représentation excessivement élevée du clergé en Espagne, lieu commun dont l’origine s’explique par le nombre important d’auxiliaires ecclésiastiques et surtout par la concentration urbaine des membres de l’Église (Histoire de l’Espagne, p. 411).

68 Ce chiffre issu des évaluations faites au XVIIIe siècle et colporté par l’historiographie a été remis en cause par Guy Chaussinand-Nogaret, qui propose celui de 120000, La noblesse au XVIIIe siècle, de la féodalité aux Lumières, Paris, Hachette, 1976.

69 Daniel Roche, La France des Lumières, p. 369.

70 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 109-110.

71 Cf. Jean-René Aymes « L’Espagne en mouvement…, in Les révolutions…, p. 31-32.

72 Miguel Artola, Antiguo Régimen y revolución liberal, Barcelone, Ariel, 1991 (1e éd. 1978).

73 À propos de l’attitude de la noblesse française vis-à-vis « des formes nouvelles de l’économie », cf. Daniel Roche, La France des…, p. 371-373. Guy Chaussinand-Nogaret, « De l’aristocratie aux élites » in Histoires des élites en France du XVIe au XXe siècle, Paris, Tallandier, 1991, p. 215-315, p. 238-241, met en lumière la convergence des éléments les plus dynamiques de la noblesse et de l’élite économique du tiers état à la fin de l’Ancien Régime.

74 Cf. Jean-Pierre Amalric, « Dans les Espagnes profondes : paysans et citadins », chapitre XVI de Histoire des Espagnols, p. 541-589, p. 575, d’après Baudilio Barreiro Mallón, « La nobleza asturiana ante la muerte y la vida », in La Documentación notarial y la historia – Tome II, p. 27-60, Université de Saint-Jacques-de-Compostelle, 1984 et dans le même recueil Pere Molas Ribalta, « Religiosidad y cultura en Mataró - Nobles y comerciantes en el siglo XVIII », p. 95- 114.

75 Michel Vovelle, Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle, Paris, Le Seuil, 1978 (version abrégée de l’édition de 1973 publiée chez Plon), p. 123-125.

76 Cf. le cas de Townsend, Voyage en Espagne, traduction de J.-P. Pictet-Mallet, Paris, 1809 (d’après Jean-Pierre Amalric, « Dans les Espagnes… », in Histoire des Espagnols, p. 569).

77 Ainsi que dans l’ensemble du monde catholique.

78 Daniel Roche, La France des Lumières…, p. 477-478.

79 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780..., p. 183. L’étude des sociétés économiques constitue un champ historiographique comme le montre le travail de Paula Demerson, Jorge Demerson et Francisco Aguilar Piñal, Las Sociedades Económicas de Amigos del Pais en el siglo XVIII – Guía del investigador, San Sebastain, 1974. Les monographies consacrées aux sociétés économiques sont particulièrement nombreuses. Cf. en français, Michel Dubuis, « Les Amis du Pays », Dix-huitième Siècle, 12, 1980. Il existait il est vrai des académies royales de langue, d’histoire et d’autres disciplines qui s’étaient constituées dans la première moitié du siècle, mais leur activité et leur rayonnement ne sont pas comparables à ceux des sociedades qui se sont multipliées dans le dernier quart du siècle (cf. Javier Fernández Sebastián, « Péninsule Ibérique », in Le monde des Lumières sous la direction de Vicenzo Ferrone et Daniel Roche, Paris, Fayard, 1999, p. 411-424, p. 418-419).

80 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 212, qui se réfère à Daniel Roche, Le Siècle des Lumières en province – Académies et académiciens provinciaux 1680-1789, Paris-La Haye, 1989, 2 vol (1e éd. 1978).

81 Michel Dubuis, « Les “reales sociedades económicas de amigos del pais”, creuset d’idées nouvelles ? », in Gérard Chastagnaret et Gérard Dufour (sous la direction de), Le règne de Charles III – Le despotisme éclairé en Espagne, CNRS, 1994, p. 83-103, p. 92.

82 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 182. Pour une approche de la franc-maçonnerie espagnole en général et aragonaise en particulier, cf. les travaux de José Antonio Ferrer Benimeli, auteur de La Masonería española en el siglo XVIII, Madrid, Siglo XXI de España, 1974 et de La Masonería en Aragón, Zaragoza, Librería general, 1979, où il conclut que « durant le XVIIIe siècle en Espagne, il n’existe pas une maçonnerie organisée, à l’exception des territoires britanniques », p.

83 Cf. Daniel Roche, La France des Lumières..., p. 392. La franc-maçonnerie française sous l’Ancien Régime a fait l’objet d’une synthèse par R. Halévy, Les loges maçonniques dans la France de l’Ancien Régime, Paris, 1984. Cf.également Gérard Gayot, La Franc-Maçonnerie française – Textes et pratiques (XVIIIe-XIXe siècle), Paris, Gallimard-Juliard, 1980.

84 Cf. Lucienne Domergue, « Les freins à la diffusion des idées nouvelles » in Aux origines du…, p. 133-141, p. 134.

85 Cf. Pierre Grosclaude, Malesherbes, témoin et interprète de son temps, Paris, Fischbacher, 1961.

86 Cf. notamment le livre de Francisco Martí Gilabert, La Iglesia de España durante la revolucíon francesa, Pampelune, Universidad de Navarra, 1971 qui prend le parti d’une Église agressée par l’anticléricalisme ilustrado et le contrepied des travaux de Marcelin Defourneaux, Pablo de Olavide…, 1959 et L’Inquisition espagnole et les livres français au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1963.

87 Jean-Pierre Dedieu, « Responsabilité de l’Inquisition dans le retard économique de l’Espagne ? éléments de réponse », Aux origines du…, p. 141-153, p. 151.

88 Jean-Pierre Dedieu, L’Espagne de 1492…, p. 214.

89 Cf. Jean-François Botrel, « L’aptitude à communiquer : alphabétisation et scolarisation en Espagne de 1860 à 1920 », De l’alphabétisation aux circuits du livre en Espagne XVIe-XIXe siècles, Paris, CNRS, 1987, p. 105- 140, p. 128.

90 Claude Larquié, « L’alphabétisation des madrilènes dans la seconde moitié du XVIIe siècle : stagnation ou évolution », ibid., p. 73-93.

91 Bartolomé Bennassar, « Les résistances mentales », in Aux origines du…, p. 117-131, p. 126.

92 Roger Chartier, Les origines culturelles de la révolution française, Paris, Seuil, 1990, p. 81. Selon Javier Fernández Sebastián, « Péninsule Ibérique », in Le monde des Lumières, le taux de scolarisation aurait été de 36 % chez les garçons et de 10 % seulement chez les filles dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il est probable que les taux d’alphabétisation n’étaient guère supérieurs.

93 Cf. Roger Chartier, Les origines de…, p. 88-89 et Daniel Roche, Le peuple de Paris, Paris, Aubier, 1981, p. 217-219. Pour une approche plus approfondie, cf. Roger Chartier, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Le Seuil, 1987.

94 Cf. Pierre Vilar, « Structures de la société espagnole vers 1750 - Quelques leçons du cadastre de la Ensenada », in Mélanges à la mémoire de Jean Sarrailh, tome II, Paris, Institut d’études hispaniques, 1966, p. 425-447, p. 435-440. Le chiffre de 199226 correspond aux métiers de l’artisanat et de l’industrie, mais aussi aux services, les professions spécifiquement commerciales n’y étant pas comprises. La population globale des provinces appartenant au royaume de Castille peut être évaluée à environ 7 millions (cf. Jean-Pierre Dedieu, L’Espagne de 1492…, p. 169) dont on peut déduire quelque 150000 madrilènes (ibid., p. 186).

95 Paul Butel, L’économie française au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 1993,p. 202.

96 D’après une extrapolation à partir des chiffres proposés par Vauban pour le début du siècle, Projet d’une dixme royale, Paris, F. Alcan, 1933 (1e éd. 1707).

97 Cf. sur ce point les pages consacrées aux « Ambitions et réalités d’une réforme agraire » par Jean-Pierre Amalric dans le chapitre XVII de Histoire des Espagnols, p. 601-606.

98 Cf. sur ces questions la synthèse de Paul Butel, L’économie française au..., p. 169-184.

99 Jean-Marc Moriceau, Gilles Postel Vinay, Ferme, entreprise, famille, grande exploitation et changements agricoles – XVIIe-XIXe siècles, Paris, EHESS, 1992, p. 233 (d’après Paul Butel, L’économie française au..., p. 269).

100 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 23 et Marcel Marion, Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Picard, 1989 (réimpression de l’édition originale de 1923), p. 137.

101 Le secteur minier est doté d’un organisme professionnel de même nature un siècle plus tard en 1781, quelques années avant l’ouverture de l’École des mines en 1784. Cf. Denis Woronoff, Histoire de l’industrie en France du XVIe siècle à nos jours, Le Seuil, 1994, p. 54. Sur l’inspection des manufactures, cf. Philippe Minard, La fortune du colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998.

102 Ibid., p. 55-57.

103 Jean-Pierre Amalric, « Les Élites : genèse, apogée et crise des lumières », in Histoire des Espagnols, p. 589-624, p. 593.

104 Le développement qui suit s’appuie sur Denis Woronoff, Histoire de l’industrie…, p. 64-65.

105 Jean Sarrailh, L’Espagne éclairée…, p. 543.

106 Ignacio Jordán de Asso, Historia de la economia politica de Aragón, Zaragoza, Guara Editorial, 1983 (1eéd. 1798), p. 213.

107 Dès le Directoire la taxe sur les barrières et sous le Consulat le droit de navigation montrent que l’État entend dévier à son profit les droits pesant sur la circulation des biens (Denis Woronoff, Histoire de l’industrie…, p. 66-67).

108 Dit traité d’Eden, du nom du Britannique qui en a été le négociateur.

109 En 1771 est totalement interdite l’importation dans les royaumes espagnols de toiles de coton. Mais après l’avènement de Charles IV, l’industrie cotonnière catalane s’est largement développée et a rénové sa machinerie, ce qui lui a permis d’être concurrentielle sur le marché national avec des tissus importés de France ou d’Angleterre. C’est ce qui explique la levée de la prohibition de l’importation des cotonnades dans les reinos espagnols.

110 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 146.

111 Henri Sée, L’évolution commerciale et industrielle de la France sous l’Ancien Régime, Paris, Marcel Giard, 1925, p. 182.

112 Marcel Marion, Dictionnaire des…, p. 147. Vincent de Gournay était intendant de commerce depuis 1754.

113 José Francisco Forniés Casals, La Real Sociedad economica aragonesa de amigos del pais en el periodo de la ilustración (1776-1808) : sus relaciones con el artesanado y la industria, Madrid, Confederación española de Cajas de ahorros, 1978, p. 110 ; Jean Sarrailh, L’Espagne éclairée…, p. 558.

114 Daniel Roche, La France des Lumières…, p. 135.

115 Jean Sarrailh, L’Espagne éclairée, p. 158.

116 Cf. L. Normand-Tellier, Face aux Colbert et Le Tellier, Vauban, Turgot et l’aube du libéralisme, Québec, 1987.

117 La pensée de Pedro Rodríguez de Campomanes nous est surtout connue par deux de ses écrits, essentiels pour la question qui nous intéresse : Discurso sobre el fomento de la industria popular (1774) et Discurso sobre la educación popular de los artesanos (1775). Une étude de la vie, de la pensée et de l’œuvre est proposée par Laura Rodríguez, Reforma e ilustración en la España del siglo XVIII : Pedro R. Campomanes, Madrid, FUE, 1975.

118 Campomanes est issu d’une famille de modestes hobereaux des Asturies dont le dévouement a été récompensé par Charles III par l’attribution d’un titre nobiliaire de comte.

119 Joël Cornette, Histoire de la France : Absolutisme…, p. 142-143.

120 Joseph Pérez, Histoire de l’Espagne, p. 423. Les bibliothèques des deux ministres sont d’ailleurs assez semblables aussi bien par leur volume global que par leur composition (cf. Javier Fernández Sebastián, « Péninsule Ibérique », in Le monde des Lumières, p. 411-424, p. 417).

121 Edgar Faure, La disgrâce de Turgot – 12 mai 1776, Paris, Gallimard, 1961 (réédité en 1974).

122 Sur ce point l’exemple de Saragosse est comme on le verra très éclairant. Cf. José Francisco Forniés Casals, « Gremios de Zaragoza durante el siglo XVIII (El Plan Gremial presentado por la Real Sociedad de los Amigos del Pais) », Bol. DFIES, VII, fas. 3o, 1975, p. 521-538.

123 Cf. sur cette question l’ouvrage très fouillé de Steven L. Kaplan, La Fin des corporations, Paris, Fayard, 2001.

124 Marcel Marion, Dictionnaire des…, p. 148-149 et Steven L. K aplan, La fin des corporations.

125 Pedro Molas Ribalta, Los Gremios barceloneses del siglo XVIII – La estructura corporativa, ante el commienzo de la revolución industrial, Madrid, Confederación de Cajas de ahorros, 1970, p. 146.

126 Denis Woronoff, Histoire de l’industrie…, p. 65.

127 Philippe Loupès, L’Espagne de 1780…, p. 201.

128 Cf. Pedro Molas Ribalta, Los Gremios barceloneses…, p. 146.

129 L’expérience de Turgot illustre un cas de figure qui est loin d’être unique dans l’histoire politique française et qui passe en général par deux étapes : d’abord la proclamation d’un plan très radical, puis dans un second temps un recul passant généralement par le sacrifice du ministre qui permet en définitive de conserver une partie importante du dispositif proposé par ce dernier.

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