Conservation et mise en valeur des textiles dans les trésors d’églises et de cathédrales

1La récente enquête menée entre 1996 et 2000 dans l’ensemble des trésors d’églises et de cathédrales existant en France a souligné la place tout à fait particulière qu’y occupent les textiles1. On y trouve des éléments exceptionnels qui sont vénérés en tant que reliques et suscitent dès leur arrivée dans l’édifice de nombreux pèlerinages : c’est le cas notamment du Voile de la Vierge à la cathédrale de Chartres, des suaires de Saint-Lazare à Autun et de Saint-Germain à Auxerre, du pallium de Saint-Césaire à Arles, de la chasuble de Thomas Becket à Sens ou du cilice que portait Saint-Louis aujourd’hui au trésor de la cathédrale Notre-Dame à Paris. On y découvre aussi des tapisseries ou de célèbres broderies comme celle de Bayeux dont la présentation actuelle fait parfois oublier qu’elle apparaît sur l’inventaire du trésor de la cathédrale avec le coffre dans lequel elle était roulée et transportée entre deux célébrations. On y trouve aussi de précieux parements d’autels et de nombreux vêtements liturgiques qui témoignent de l’évolution des rites orientant chaque étape des cérémonies.

2La diversité de leurs conditions de conservation dans leur église reflète leur importance inégale : les textiles qui ont statut de reliques font l’objet, depuis l’origine de leur présence dans leur église, d’expositions régulières ou « ostensions » qui ont souvent justifié la création de reliquaires successifs ; les textiles destinés à l’ornement de l’autel ou à l’habillage des prêtres restent quant à eux, quelle que soit leur préciosité, stockés entre deux utilisations dans des espaces annexes jouant le rôle de sacristie ; ils sont réunis parfois dans d’imposants chasubliers tels que ceux de la cathédrale de Chambéry ou de l’église Sainte-Marie à Oloron qui demandent à chaque ouverture l’intervention de plusieurs personnes du fait de la taille des tiroirs en demi-lune et de la nécessité de les soutenir dans leur mouvement.

3L’examen des collections des différents trésors exposés ou en cours d’aménagement a aussi montré que celles-ci s’enrichissent régulièrement par le biais de donations - comme à Saint-Bertrand de Comminges où un particulier vient de confier au trésor une étonnante chasuble du XVIII^e siècle en cuir gaufré2- ou de découvertes archéologiques : c’est le cas des vêtements retrouvés à la cathédrale d’Orléans dans la sépulture d’un évêque du XII^e siècle. Les récents inventaires réalisés mettent en évidence l’apparition de nouveaux éléments de dévotion populaire jugés jusque là d’importance secondaire et aujourd’hui mieux étudiés tels que les bannières de procession, les dais de cérémonie… Ils témoignent aussi de l’existence de commandes nouvelles dues au clergé : chasubles dessinées par le couturier Castelbajac pour l’organisation des journées mondiales de la jeunesse à Paris en 2000, déposées au trésor de Notre-Dame, ornements conçus par Goudji à Chartres.

4La composante « textile » des trésors d’églises et de cathédrales se révèle ainsi très importante quantitativement et qualitativement au regard de l’intérêt historique et artistique des pièces rassemblées. Elle se trouve par là même au cœur de la réflexion actuellement engagée quant au devenir de ces présentations de trésors qui datent pour la plupart des années 1960-1970 et doivent aujourd’hui être renouvelées.

5De nombreux aménagements ont en effet été mis en œuvre dans le prolongement de l’exposition « Trésors des églises de France » organisée en 1965 au Musée des Arts décoratifs à Paris qui a révélé au grand public la richesse de ces collections souvent difficiles d’accès. Les présentations mises en place visaient à la fois à protéger physiquement les œuvres et à les mettre en valeur en sensibilisant les visiteurs à la qualité de ces œuvres d’art religieux conservées in situ dans l’église à laquelle elles sont historiquement et cultuellement liées.

6Il est naturel que trente ans plus tard ces lieux doivent être réactualisés : les normes de conservation ont évolué et il est nécessaire de reprendre des types de suspension de textiles aujourd’hui jugés inadaptés, des dispositifs d’éclairage et des vitrines mal ventilées.

7L’information attendue par le public a elle aussi considérablement évolué comme l’a souligné le récent colloque organisé au Musée du Louvre en 2002 et intitulé « Intelligence de l’art et culture religieuse »3 : la pratique religieuse ayant régressé et la liturgie catholique ayant évolué, les visiteurs ont besoin d’explications nouvelles sur l’usage de certains objets liturgiques désormais rarement utilisés (ostensoirs, baisers de paix..) et sur le phénomène des reliques parfois mal compris.

8L’état des lieux qui a été dressé avec l’aide des conservateurs des antiquités et objets d’art de chaque département a permis de faire le point pour chaque trésor, et de souligner les altérations constatées, les vitrines à revoir et les parcours à enrichir ou à modifier. Brigitte Oger et Dominique de Reyer, ingénieurs d’étude au Laboratoire de recherche des monuments historiques, ont contribué avec Isabelle Bédat, restauratrice, à la mise au point du « Guide pratique des trésors »4 qui vient d’être publié et mis en ligne par la Direction de l’Architecture et du Patrimoine. Celui-ci vise à répondre à l’ensemble des questions juridiques et pratiques qui se posent lorsqu’un trésor d’objets religieux doit être aménagé ou réaménagé. Il est destiné à permettre aux conservateurs et aux architectes qui conçoivent une telle présentation, de prévoir, dès les premières études, la stratégie de maintenance sans laquelle un tel trésor ne peut espérer évoluer favorablement. C’est en effet là une priorité évidente : à la différence des grands trésors existant chez nos voisins européens tels que ceux de Saint-Marc à Venise, Gérone, Valence en Espagne, Namur et Liège en Belgique ou Maastricht, Aix la Chapelle et Ulm en Allemagne... qui bénéficient d’équipes de conservation spécifiques, les trésors d’églises ou de cathédrales en France relèvent des missions de protection et de conservation confiées aux conservateurs des monuments historiques et aux conservateurs des antiquités et objets d’art sur l’ensemble d’un département ou d’une région, et ne bénéficient d’aucune équipe de techniciens destinée à assurer les gestes quotidiens de maintenance nécessaires (établissement de constats d’état pour chaque œuvre, relevé des variations hygrothermiques, mise en réserve de certains textiles pour éviter une exposition prolongée à la lumière...), ce qui complique la mise en oeuvre d’un suivi régulier.

9D’où la proposition faite dans le cadre de la mission « Trésors » d’établir pour chaque trésor aménagé un contrat de maintenance du même type que les contrats existant pour les orgues ou les carillons et permettant de suivre rigoureusement un calendrier précis de contrôle des collections présentées dans un trésor ou mises en réserve.

10Ce guide pratique des trésors souligne aussi l’intérêt d’associer à chaque aménagement de trésor de véritables réserves trop rares encore aujourd’hui. Certaines œuvres ne peuvent en effet être exposées toute l’année et justifient une rotation des présentations au moins deux fois par an ; d’autres ne peuvent être exposées sans un constat d’état préliminaire, ce qui nécessite un lieu de travail sécurisé voisin de la salle d’exposition. Cette nécessité d’aménager de vraies réserves a déjà été prise en compte dans quelques travaux récents notamment pour les trésors des cathédrales d’Albi, Rouen ou Versailles.

11L’état des lieux qui vient d’être effectué pour tous les trésors d’églises et de cathédrales a montré qu’il était temps de donner à ces ensembles d’objets d’exception la dynamique de conservation et d’accès du public qu’ils méritent. Il est désolant de constater que de nombreuses œuvres sont plus facilement accessibles aujourd’hui dans le cadre d’expositions internationales que dans leur édifice d’origine où elles demeurent invisibles du fait de la fermeture du trésor auquel elles appartiennent. Les admirables chasubles du XVII^e siècle dues aux Ursulines demeurent ainsi inaccessibles à la cathédrale d’Amiens où le trésor est fermé depuis 1994. Il en est de même pour le pallium de Saint-Césaire d’Arles ou la Chape de Montiéramey à Troyes ; quant à la « Sainte-Chemise » de la Vierge offerte en 876 à la cathédrale de Chartres par le roi Charles le Chauve, elle a été récemment extraite du trésor à la demande du clergé et séparée du voile de Sainte-Irène qui l’enveloppait au moment de sa donation afin d’être restituée aux fidèles venus la vénérer et qui ne pouvaient le faire depuis la fermeture du trésor.

12La présence de reliques vénérées au sein de ces trésors implique leur ouverture au public, et le maintien de tels lieux fermés risque de persuader à court terme le clergé, sur la pression des fidèles mécontents, d’organiser peu à peu l’extraction hors du trésor des reliques les plus demandées et progressivement la perte de sens du trésor qui ne pourra plus être compris par le public s’il perd les reliques autour duquel il s’est constitué. La réouverture de ces trésors dans de bonnes conditions de conservation et d’accès des visiteurs s’impose donc comme une véritable urgence et il serait regrettable de ne pas réussir à faire découvrir au plus large public ces objets rares et précieux conservés jusqu’à ce jour dans l’édifice qui leur donne toute leur signification.