Du legs pieux à l’œuvre : réemplois textiles au XVIIIe siècle
p. 29-51
Texte intégral
1Messire Claude Le Mazuyer, archidiacre de Saint-Bertrand-de-Comminges vient de mourir. L’inventaire de sa maison est dressé le 10 novembre 1739. Entre un cabinet d’hébène et une table de marquetterie, le rédacteur prend soin de noter « une bourse contenant des coupons d’étoffe de soye et de dentelle dargent »1. Sac à chutes, bourses à coupons, coffrets à rubans ou boîtes à galons forment les réserves de coûteux matériaux en attente d’un nouvel assemblage pour un usage à venir encore inconnu. S’il s’agit bien ici d’économie domestique, il n’est point question de fripe, car précieuse était l’étoffe, précieux en sera le réemploi. Haute destinée que celle de ces parcelles de tissu qui, par une simple couture, vont franchir la clôture du chœur en ravivant une aube uzée, en redonnant du lustre à une méchante chasuble, en formant le fond d’un nouveau devant d’autel ou en offrant à la Madone une nouvelle garde-robe.
2Mais le souci d’économie peut-il se passer de conscience rituelle ? Peut-on impunément passer du corps (de femme) au chœur (d’église), destiner la robe au pluvial ? En répertoriant un certain nombre de pratiques de réemplois textiles liées à l’usage des vêtements liturgiques, nous poserons la question de leur raison d’être, des modalités de leur mise en œuvre, des moyens de les identifier sur pièces. Nos tenterons d’évaluer les enjeux liturgiques dont ils témoignent, plus ou moins canoniques, parfois même détournés, à partir d’exemples français, méridionaux pour la plupart.
3Au XVIIIe siècle, la confection des vêtements est soumise à des contraintes techniques2, codifiée par des pratiques artisanales et des réglementations corporatives3. Pourtant certains costumes conservés jusqu’à nous, témoignent d’une liberté prise par rapport à ces règles. Le plus souvent, la nécessité d’user avec parcimonie d’un matériau neuf et coûteux ou de réemployer une étoffe d’occasion, entraîne des originalités dans leur montage.
4On peut faire les mêmes observations dans le domaine des ornements sacerdotaux. Des règles artisanales existent4, les modalités d’assemblage sont plus ou moins codifiées5 – bien que, hélas, aucun traité complet n’ait été publié sous l’Ancien Régime à notre connaissance sur la confection des vêtements liturgiques –6, néanmoins nombreux sont les ornements liturgiques quelque peu dissidents, d’autant plus repérables que la forme de ces vêtements est quasiment immuable du XVIe au XIXe siècle.
5Ces mises en oeuvre fantaisistes naissent donc le plus souvent d’un réemploi de tissu : utiliser une ou plusieurs étoffes ayant déjà servi à un autre usage – fût-il profane – est une pratique courante dans l’Eglise catholique. Ce constat établi à partir des sources écrites peut être éclairé par l’observation même des œuvres : chasubles, chapes et dalmatiques livrent un certain nombre d’indices à l’historien. Situer le réemploi dans les étapes de fabrication du vêtement liturgique et en déterminer la nature, nécessite une sérieuse investigation : on est au cœur de questions immatérielles – la sacralité, la liturgie – et matérielles – la réalité couturière. Aussi en avons-nous dressé un inventaire, en le replaçant dans le processus qui va de l’élaboration d’un ornement jusqu’à sa destruction. Cette présentation ne prétend pas à l’exhaustivité, mais se propose d’exposer nombre de questions que nous nous sommes posées et les voies empruntées pour tenter d’y répondre. Elle permet également de pointer certains détails techniques présents sur de multiples œuvres rencontrées7, de chercher les raisons cultuelles et logistiques de leur existence, de déterminer enfin si ces détails sont de simples indices ou des preuves irréfutables.
Dès la confection : le réemploi de naissance
6Identifier un réemploi, en déterminer l’origine et le dater constituent pour l’historien une recherche difficile, inévitable et révélatrice d’un réseau complexe de questions d’économie, d’esthétique, de dévotion et de liturgie.
7Les ornements liturgiques (chasuble, dalmatique, tunique et chape) sont taillés pour la plupart dans des tissus non spécifiques. L’étoffe primitive ne conditionne pas le statut liturgique des vêtements d’église. En effet, au XVIIIe siècle, les brodeurs-chasubliers qui les confectionnent, achètent des soieries neuves pouvant servir aussi indifféremment aux vêtements civils – masculins et féminins – qu’à l’ameublement. Toutefois, certaines techniques particulières prédisposent certaines de ces soieries à des usages spécifiques dans chacun de ces trois débouchés, la robe, le meuble et l’église, comme on disait alors8.
8Ils sont confectionnés sans rite spécial, contrairement aux habits des réguliers catholiques9 ou à certains vêtements des religions d’Extrême-Orient10. « Les Ornements Sacerdotaux, c’est à dire l’Amict, l’Aube, la Ceinture, le Manipule, l’Etole et la Chasuble, doivent être bénis avant qu’on en fasse usage […] Quand la Chasuble est double & de deux couleurs, pour servir à des offices différents, elle doit être bénite des deux côtés »11. Leur caractère sacré s’acquiert donc seulement au moment de la bénédiction, obligatoire, sauf pour la chape, et non au moment du montage.
La tradition médiévale du réemploi : la piété en coupons
9Le legs de vêtements civils à l’Eglise par disposition testamentaire est un fait bien connu des historiens. Dans le midi toulousain, on en trouve diverses mentions dès le Moyen Age : « En 1448, une femme de tisserand lègue à la chapelle Saint-Régis-et-Saint-Louis de l’église Saint-Etienne de Toulouse, une de ses chemises de drap de France violet foncé, doublée de soie rouge surdorée, pour en faire une chape »12. De ce point de vue, les dons de la noblesse et de la bourgeoisie méridionales semblent au diapason de ceux étudiés en Bourgogne par Françoise Piponnier13 voire des pratiques royales ou princières de Bretagne : « Pierre II de Bretagne donne deux robes de velours violet et une autre robe courte de même velours à l’église Saint-Pierre de Vannes »14. Donner aux paroisses ou aux cathédrales des étoffes neuves ou des ornements déjà confectionnés est une pratique courante, attestée sans interruption du Moyen age au XXe siècle15.
10Les dons peuvent s’assortir de recommandations spécifiques et de pratiques singulières : tel vêtement très précieux a été donné afin d’être exposé sur le cercueil comme un drap mortuaire fastueux16. Telle obligation coutumière autorise un chapitre cathédral à prendre « la meilleure robe de chaque deffunt en ladite ville de Castres et autres lieux »17, laquelle robe devait être revendue ou réemployée. Parallèlement, de nombreux dons en numéraires versés aux bassins sont destinés à l’achat d’ornements neufs18. Ainsi, d’innombrables sources écrites nous confirment l’intention des testateurs de donner à l’Eglise quelques textiles usagés pour la réalisation d’ornements sacerdotaux.
11On doit cependant se demander si effectivement, cette dernière a toujours été en mesure de respecter les dispositions testamentaires des donateurs. Quelques indices nous permettent d’en douter et de nuancer la réponse. Pour des raisons aussi bien sacramentelles que pratiques, peut-on, sans réserve, réutiliser un tissu ayant servi à faire une robe de femme, pour la confection d’une chasuble destinée à parer le ministre sacré ? La seule bénédiction de l’étoffe après confection suffit-elle à éliminer la souillure née de sa première fonction – parer la femme – incarnation si commune du péché ? Pourquoi le pouvoir d’imprégnation des textiles, dont témoigne d’une manière positive le culte des reliques, ne jouerait-il pas ici un rôle négatif ? En effet, si le tissu s’enrichit, par contact, des vertus du saint qui l’a porté, de même comment l’impur pourrait-il ne pas demeurer dans un tissu porté par un laïc ? La contagion de la souillure ne serait-elle pas le négatif du pouvoir de guérison de la relique ? Seul le voeu de pauvreté peut justifier que certains ordres recherchent le réemploi pour la confection de leur habit, par mépris fondamental pour le bien-être du corps, ou pour le luxe vestimentaire faute de pouvoir souscrire à la nudité idéale des ermites19. Mais nous n’abordons pas ici l’habit propre au clergé régulier. Or, on l’ignore parfois, mais dès le Moyen Age, l’Eglise a, dans certains cas, statué sur cette question à propos du clergé séculier. Par exemple, les statuts synodaux du Couserans de 1364 en témoignent : « même si une église se voit léguer des vêtements laïcs pour l’usage de l’autel ou servir de vêtements sacerdotaux, les prêtres devront les vendre pour acheter de véritables vêtements sacerdotaux »20. Ainsi, le desservant qui se soustrait aux intentions du généreux défunt, est-il liturgiquement absout. Ces mentions, pas forcément universelles, nous paraissent révélatrices. Il serait nécessaire d’en systématiser la collecte pour des analyses plus fines.
Donné c’est donné…
12On peut faire les mêmes observations pour la période moderne. Les dons sont attestés par d’innombrables testaments. Il reste sans doute à en établir la cartographie qui permettrait peut-être de discerner des spécificités locales et ferait probablement émerger une périodisation des pratiques. Plus rares sont les textes normatifs évoquant le problème de la reconversion des vêtements civils déjà portés, en vêtements liturgiques. On est contraint de faire parler l’anecdote. Témoin, cette querelle entre prêtre et prieur à propos de revenus de l’église du sanctuaire de Ceignac (Rouergue), vers 1720 : « […] Les dits Srs fraternisants demandent que le dit Sr prieur soit tenu de représenter une pièce de drap de soye rouge de fleurs d’or qu’il a déclaré depuis plusieurs années avoir été donnée à l’église et vouloir en faire une chape… ». Pourquoi ne pas l’avoir fait faire ? Ailleurs on signale : « qu’une jupe rouge qui avait été aussi donnée à l’église, et le dit Sr prieur l’a baillé à la femme de Jean Bonnefous, hoste dudit Ceignac [...] »21. Or, cette femme n’en a pas fait un vêtement liturgique.
13Ces exemples montrent que les legs servent de réserve à la paroisse, qui, en cas de besoin, utilise l’argent de leur revente pour l’embellissement de l’église. Certaines de ces transactions peuvent être assimilées à des détournements, bien intentionnés certes, les volontés des testateurs n’étant pas toujours respectées. C’est peut-être pourquoi certains testateurs prennent soin de stipuler que leur don sera vendu, tel celui que Françoise Alari, qui, en 1557, lègue au bassin du purgatoire de Sainte-Martianne d’Albi « sa houppelande de drap noir tannée doublé de taffetas armoisin et une gonelle de demi-granne en drap violet, pour être vendus à l’encan et le prix en être donné »22. Des loteries sont également organisées, comme nous l’indiquent certains livres de comptes23.
14Il faut dire à la décharge des desservants que la forme très découpée, l’usure d’usage ou la saleté de certaines hardes léguées aux paroisses, devaient rendre impossible toute création d’un vêtement liturgique neuf, décent.
15Ainsi donc les textes nous donnent-ils des preuves de l’intention des fidèles d’offrir à l’Eglise leurs vêtements, pour qu’ils leur survivent dans le noble et saint usage de parer l’église ou son célébrant. On comprend aussi que l’attitude pieuse du testateur puisse se heurter à une logique plus matérielle, essentiellement financière, rendant caduc ce touchant espoir du futur défunt d’hypothéquer, par son legs, l’anonymat du faste des futures cérémonies de sa paroisse.
16Voyons à présent si l’observation des pièces textiles, peut nous permettre de confirmer ces pratiques, par le repérage d’indices que nous chercherons ensuite à discuter.
Les preuves visibles du réemploi : à la recherche d’indices sur pièces
17Affirmer que les ornements d’église sont réalisés à partir de vêtements de femme, est à la fois un lieu commun, une vérité historique, une pratique attestée, mais devient une erreur si on en fait une déduction systématique de tout ornement confectionné dans un tissu de mode.
18C’est le croisement des sources qui nous permet de séparer le grain de l’ivraie.
Bouquets d’autel
19En préambule, rappelons que l’on peut distinguer deux catégories d’ornements liturgiques. Une première catégorie est constituée par ceux qui sont taillés dans une étoffe24 créée spécifiquement pour cet usage, à motifs religieux ou adaptée à la forme future des pièces, nettement minoritaires, comme nous l’avons déjà dit25. Au cours du XVIIe siècle et des trois premiers quarts du XVIIIe siècle, les soieries dites d’église à thèmes religieux sont très rares, on leur préfère des motifs profanes disposés librement sur le fond.
20L’autre catégorie, nettement majoritaire, est formée par les ornements à étoffes « non intentionnelles », polyvalentes, sans thème religieux. C’est alors seulement au moment du montage que le brodeur peut agencer les motifs des étoffes pour atteindre certains objectifs, telle la distinction entre le fond et l’orfroi. « Les bandes & le chaperon d’une chappe, les bandes d’une tunique, la croix d’une chasuble, les bandes riches d’un parement d’autel, s’appellent orfroi ; on les fait très-souvent d’une étoffe plus riche que le reste de l’ornement »26. Les factures des brodeurs attestent qu’ils achètent des tissus neufs. C’est donc délibérément qu’ils choisissent de travailler des tissus à fleurs, à rayures ou à carreaux27. Caprice exotique, branchages serpentins, semis miniatures, stylisation géométrique, préciosité botanique, la fleur règne sur l’inspiration des dessinateurs pour étoffes au XVIIIe siècle28. D’ailleurs, contrairement au XVIIe siècle où la fleur, tout aussi dominante, trouve sa justification liturgique dans le langage allégorique29, l’usage d’étoffes fleuries se justifie liturgiquement par le luxe au siècle suivant : car luxueux est l’emploi d’une étoffe qui est à la mode et qui ravit les yeux. Les exemples abondent dans toutes les collections de vêtements liturgiques du XVIIIe siècle, en Italie, en Espagne ou en France.
21Les motifs profanes des soieries des ornements relèvent davantage d’un effet de mode que de la fidélité à des dispositions testamentaires. Ils ne sont en aucun cas une preuve de réemploi.
Luxe des champs
22La simple présence d’ornements liturgiques faits de tissus luxueux dans des paroisses pourtant très modestes, suffit parfois à faire parler de réemploi30. Innombrables sont les exemples de chasubles dont la soierie est dite avoir été donnée par le seigneur local. Parfois même ce sont les tentures décorant sa demeure qui servent à cette pieuse confection. Il est vrai que l’on doit très fréquemment à la générosité et la piété des familles les plus riches, la présence d’un mobilier d’église bien au-dessus des moyens d’une paroisse rurale. Cependant, comme nous le notions dès l’introduction, ces familles peuvent donner des tissus neufs, commandés à Lyon ou à Paris31, qui sortent donc du cadre strict du réemploi. Le décalage entre la modestie d’une église et le luxe de son mobilier textile, ne suffit donc pas non plus, à prouver qu’il s’agit systématiquement, d’une reconversion d’anciens vêtements ou ameublements civils.
23Voyons à présent ce que nous pouvons dire des ornements constitués d’un assemblage de morceaux d’étoffe.
Crazy Patchwork ?32
24Peut-on considérer qu’un vêtement liturgique fait d’un nombre important de morceaux d’étoffes résulte systématiquement d’un ré-assemblage ? C’est un autre argument à discuter. Les coutures faites au ras des lisières, l’usage de patches, les reprises, les assemblages ingénieux d’étoffes différentes, les doublures en toile grossière, témoignent d’une époque où la matière première, coûteuse, est utilisée avec parcimonie. On use de tous les stratagèmes pour en éviter le gaspillage, tant à l’échelle domestique, qu’à celle de l’économie nationale : à cet égard, la fripe est un commerce significatif33. De petits morceaux d’étoffes assemblés sur une chasuble ou une étole pourraient donc être, à première vue, les signes évidents d’un réemploi. Si ce n’est que la réalité est plus complexe, parce que le même souci d’économie prévaut lors de la confection de vêtements liturgiques neufs et que ce que l’on prend pour un réassemblage n’est en réalité parfois qu’un assemblage. L’assemblage de nombreux morceaux d’étoffe ne relève donc pas exclusivement du domaine de l’occasion ou de celui de la récupération, mais s’inscrit aussi dans la logique de la confection à partir de matériaux neufs.
25L’artisan en effet, cherche toujours à placer ingénieusement son gabarit (patron) sur l’étoffe afin de respecter le sens du tissu et des motifs, mais il recherche surtout une combinaison produisant le moins de chutes d’étoffe et donc le moins de perte possible. « Ainsi, que le vêtement soit plus ou moins serré, ample, plissé, & c. s’il [le tailleur] connaît la bonne & vraie maniere de tailler, assembler, coudre & monter toutes les pieces d’un vêtement quelconque, il ne s’agit plus pour lui que de lui donner toute l’elegance dont il est susceptible, en perdant prealablement le moins d’etoffe qu’il sera possible ; c’est dans cette derniere circonstance que gît le talent superieur »34. On apprend donc que la qualité d’un tailleur se mesure, au milieu du siècle des Lumières, à l’aune de sa capacité à réduire la consommation d’étoffe. La même habileté est requise pour les couturières : « La plus grande difficulté qui se rencontre, quand on a des étoffes à fleurs ou à compartimens à mettre en œuvre, c’est de les bien appareiller & assortir régulièrement, en ménageant sur l’étoffe le plus qu’il est possible : la couturiere fait briller en ce point son génie & son talent »35. Aujourd’hui, le calcul informatique se substitue à cette science artisanale.
26Charles Germain de Saint-Aubin, dessinateur du roi sous Louis XV, dans son traité de broderie (L’art du brodeur, 1770) note, dans le lexique de ce volume : « J’ai cru qu’il suffiroit de la Planche 6, pour donner une idée de l’economie avec laquelle on taille les ornements d’Eglise » (rubrique « chasublier »)36. Il montre que le manipule37 est fait des cinq chutes provenant de la coupe de la chasuble. C’est la raison pour laquelle, il nous a paru indispensable d’établir une série de patrons-types les plus courants de chacune des pièces textiles – chape, chasuble, manipule, étole. Les formes des ornements liturgiques, plus ou moins codifiées par l’Eglise, celles de leurs orfrois, les largeurs des étoffes du XVIIIe siècle et les correspondances des motifs du tissu, sont autant d’impératifs qui ont sans doute engendré la diversité de ces patrons, qui déterminent à la fois le nombre et la forme des parties de tissu qui le composent. Nous avons pu ainsi déterminer quatre patrons récurrents pour les chasubles, un seul pour la chape38. Ce travail nous a permis ensuite, sur pièce, de repérer les assemblages aléatoires, distincts de ceux, plus canoniques, qui servent de référence.
27Ainsi, dès lors que le mode d’assemblage sur une chasuble, une chape ou un manipule diffère nettement de ceux des patrons référencés, on peut considérer qu’il y a eu réemploi. Cette hypothèse doit être confirmée par la présence d’autres indices, tels qu’un morcellement abusif de l’étoffe, un assemblage composite de différentes soieries, la mise en place arbitraire des motifs ou des usures « illogiques », preuves d’un ancien usage. Nous allons essayer à présent d’en faire la démonstration.
Manipules à la loupe
28Nous soumettons au lecteur les interrogations que suscitent certaines pièces. Nous exposons ici une démarche d’observation et une méthode d’analyse bien plus que des réponses formelles. Prenons l’exemple simple du manipule ; cet objet se place sur l’avant-bras du célébrant et se présente sous la forme d’une bande d’étoffe pliée en deux dont les extrémités s’élargissent en spatule dans le bas. Doublé et galonné, le manipule est souvent timbré d’une croix faite de deux bouts de galons croisés.
29Une preuve flagrante de réemploi d’étoffes nous est offerte par un manipule vert (Fig. 5a-b). Le montage est canonique : portant une couture sur le côté gauche, il est conforme au dessin de C. de Saint-Aubin39. Cependant des traces d’usures verticales laissent supposer la formation de plis qui ne correspondent pas à l’usage d’un manipule. L’étoffe a donc été plissée dans un premier emploi et déplissée pour servir de fond à ce manipule. Sachant qu’aucun vêtement liturgique en soie ne comporte de plis, il est probable que l’on a affaire à un tissu ayant eu un ancien usage vestimentaire, un dos de robe par exemple.
30Le manipule à la pagode (Fig. 6), montre un montage inhabituel40. On peut noter quelques incongruités. Premièrement, on observe un assemblage horizontal : la présence d’une couture horizontale est frappante. Généralement, on dissimule les coutures verticales dans les motifs de l’étoffe disposés en bandes, ce qui aurait pu être le cas de cette soierie. Par ailleurs, les bouts de tissu sont particulièrement petits, si bien que la charmante chinoiserie montrant une pagode sur un tertre est coupée aux deux extrémités. Toutefois le motif, bien qu’amputé, est disposé dans le bon sens. La somme de ces bizarreries fait penser à un réemploi. On peut penser que le monteur n’avait pas d’autre choix.
31Sur l’une des faces du manipule rouge (Fig. 7a-b), on compte au moins trois morceaux, dont un particulièrement petit41. Si ce sont bien des chutes, on ne peut pourtant affirmer qu’il s’agisse de réemploi. Il se peut qu’elles proviennent d’un tissu neuf, car l’autre face présente le même agencement.
32Seul le manipule ivoire (Fig. 8) à grosses fleurs polychromes peut paraître monté ex nihilo42. L’étoffe porte une couture verticale latérale à l’extrémité gauche, correspondant au patron le plus fréquemment utilisé au XVIIIe siècle.
33Ces exemples montrent la difficulté de l’étude des pièces qu’il est indispensable de confronter aux sources écrites.
Entre anonymat et prestigieuses monographies
34Il faut rappeler que le domaine artistique de la broderie religieuse est, en pleine époque moderne, frappé d’un anonymat déontologique et c’est la raison pour laquelle on ne doit négliger aucun détail43.
35Des cas muséographiques plus ou moins célèbres, constituent des références incontournables. Le plus souvent, ils ont fait l’objet d’études approfondies par les historiens et les historiens de l’art, qui doivent beaucoup aux restaurateurs qui, dans leurs ateliers, accèdent aux parties les plus intimes de ces vénérables textiles. La chasuble rouge du début du XVIIe siècle conservée au Musée Historique des Tissus à Lyon, réalisée à partir d’un pourpoint, en témoigne44. La robe de velours brodé de Montpézat-de-Quercy, encore in situ, est devenue un devant d’autel45. On trouve également des devants d’autels remployés en chasuble. La tradition orale et écrite atteste que la chasuble conservée par le Carmel de Lectoure est faite avec la robe de Louise de France46. Que cette origine prestigieuse soit vraie ou fausse – l’étoffe date des années 1707-1710, alors que Louise de France née en 1737, ne revint à la cour qu’après son passage à l’abbaye de Fontrevault en 1750 – on peut affirmer que nous sommes en présence d’un réemploi, compte tenu de l’incroyable quantité de morceaux qui composent cette chasuble, soit une trentaine, assemblés selon un schéma non conforme aux patrons de cette époque. Des recherches sont en cours pour affiner les réponses à cette question.
36Ces démarches quasi archéologiques profitent à plusieurs étapes de la recherche. Elles permettent de nourrir une réflexion sur la confrontation entre la théorie et la pratique. Elles constituent également une source de données. Peut-être un jour, parviendra-t-on à établir des critères fiables. Ils pourraient permettre de discerner l’origine des ornements : artisanale d’abord – différence entre le circuit professionnel des brodeurs et celui des ordres religieux – commerciale ensuite – réseau de la fripe ou réseau domestique. D’autres critères pourront peut-être être établis pour dresser une géographie des montages et leur chronologie.
37Finalement, si aucun de ces arguments ne constitue à lui seul une preuve irréfutable, on peut dire qu’associés, ils deviennent des indices qui plaident largement en faveur de la thèse du réemploi.
Pendant l’usage : le réemploi d’entretien
38La liturgie se conforme au paramètre social et politique que constitue la décence dans la société hiérarchisée de l’Ancien Régime, impliquant que les êtres et les choses soient conformes à leur rang : degré de luxe, hiérarchie des matières, entretien etc. Donc, les objets sacrés doivent être respectés par des rites qui maintiennent leur sacralité : leur propreté et un état satisfaisant sont requis pour les offices. Au XVIIIe siècle, on remet à neuf le vestiaire liturgique en permanence, parce que les ornements s’usent et que l’on essaie de retarder leur renouvellement entraînant des achats dispendieux.
Saleté et souillure
39Dans leurs tournées pastorales, les évêques condamnent l’usure et la saleté du mobilier textile, nous l’avons vu. Or de la saleté à la souillure il n’y a qu’un pas. Les réactions du clergé sont sévères face à la saleté, preuve d’un manque de décence, d’irrespect du sacré : des sanctions sont même prévues.
40Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les soies ne se lavent pas. Tout au plus, seul le détachage est possible. Aussi, les chapitres cathédraux sont-ils démarchés par des artisans teinturiers qui affirment pouvoir remettre à neuf les ornements en soie salis. On essaie aussi de remédier à ces encrassements par l’adjonction de bandes de lingerie aux encolures des chasubles, des étoles et des dalmatiques. Appelés aujourd’hui des colletins – parfois colletines – ce sont des bandeaux de propreté en coton ou de lin blanc ou en dentelle, faciles à coudre, à découdre et à laver régulièrement. Ils s’usent généralement assez vite et sont régulièrement changés, dans les paroisses rurales aussi bien qu’à la chapelle de Versailles47. Cet usage est lié aux principes d’hygiène en vigueur qui consistent à changer de linge, plutôt qu’à se laver, mais également au port des cheveux longs par les prêtres. Les liturgistes du siècle dernier signalent que cette négligence est typiquement française48. Il n’est donc pas rare de trouver actuellement de nombreux ornements du XVIIIe siècle garnis de tours de col du XIXe siècle ou bien plus récents ; les anciens, usés par les lavages et le frottement, ont été éliminés. S’agissant des ornements en soie, dont il est question ici, le XVIIIe siècle ne connaît guère le nettoyage, on l’a dit, contrairement au linge en lin blanc composant les aubes, les manuterges, les corporaux ou les nappes d’autels, requis pour l’office49. Stipulées théoriquement dans les rituels, les prescriptions concernant la propreté sont appliquées par les évêques, qui, à l’issue des visites pastorales ordonnent de remettre à neuf telle pièce particulièrement usée ou telle autre très sale. « Les habits sacerdotaux qui doivent être nécessairement bénis avant qu’on puisse s’en servir, sont l’Amict, l’Aube, la Ceinture, le Manipule, l’Etole & la Chasuble. En les prenant, le Prêtre doit réciter les Oraisons qui répondent à chacun d’eux. Ces vêtements doivent être propres & n’être point déchirés ; car dit un Concile de Latran, Nimis videtur aburdum in sacris sordes negligere quae dedecerent etiam in profanis. Il y aurait de l’indécence & un péché notable de s’en servir à l’Autel, s’ils étoient malpropres & déchirés. Les Curés ne les laisseront jamais traîner dans la sacristie, mais ils donneront ordre que quand on ne s’en sert pas, ils soient pliés et serrés, ou ils les plieront & les ferreront eux-mêmes dans les armoires fermant à clef »50.
41La saleté constitue un irrespect, en ce qu’elle bafoue le principe de décence requis par l’église pour le mobilier liturgique. La souillure, elle, est une forme de profanation, si elle met en péril le caractère sacré de ce mobilier, conféré par la bénédiction.
42Les questions relevant de la souillure se réfèrent à une hiérarchisation du caractère sacré des textiles. On lira avec beaucoup d’intérêt, à cet égard, l’article de Bernard Berthod dans le présent volume. Durant le Moyen Age, beaucoup de statuts synodaux ont légiféré au sujet de la tache accidentelle du « sang du Christ » c’est-à-dire du vin consacré, sur un vêtement sacré au cours des manipulations qu’exige le rituel de la messe : « Si des gouttes sont tombées sur un vêtement sacerdotal, c’est-à-dire sur la chasuble ou sur l’aube, on fera de même : la partie touchée sera elle aussi découpée et conservée comme relique »51. On peut aujourd’hui penser que certaines pièces rapportées sur des vêtements liturgiques viennent combler le trou laissé par la découpe d’une tache de vin consacré, qui est ainsi sacralisée en devenant relique. Il convient de respecter à la fois le tissu de l’ornement liturgique sacré parce que béni, mais également la sacralité du « sang du Christ ». Mais bien sûr, le vin consacré exige un respect bien supérieur à celui dû au vêtement béni. Lorsque le précieux liquide tache un vêtement ordinaire, « la partie imprégnée est d’abord sucée et ensuite coupée et brûlée et les cendres sont placées dans le sanctuaire »52.
43A l’époque moderne, les prescriptions sont moins précises, mais l’état d’esprit demeure à peu près le même, comme en témoignent certains rituels.
Réemploi et pénurie
44A moins d’être le fait d’une négligence caractérisée, le réemploi résulte nous l’avons dit, d’une pénurie de matériaux ou d’un manque de moyens financiers53. Il n’est pas rare de trouver dans les doublures, des papiers imprimés ou manuscrits, voire de vieux parchemins destinés à donner un peu de raideur à l’ornement, ce qui est moins onéreux que d’y placer du bougran bien gommé. C’est le cas de deux collets de dalmatiques conservés au Musée Paul Dupuy54 à Toulouse, doublés d’un manuscrit espagnol du XVIIIe siècle. A Montpézat-de-Quercy (Tarn-et-Garonne), le chanoine Galabert a trouvé dans la doublure d’une bourse à soufflet d’un ornement rouge, un manuscrit en mauvais état daté du 25 novembre 1775, dont le contenu partiel ressemble à un fragment de testament, avec plusieurs formules de prières ultimes55. On ne saurait dire s’il s’agit d’un simple réemploi de vieux papier en guise de renfort ou bien si on peut établir une corrélation entre l’objet et le texte et en déduire qu’il s’agit d’un témoignage de legs pieux, le texte étant lacunaire.
45Le concile de Trente a codifié le vestiaire liturgique. Il faut dans chaque paroisse un minimum de cinq chasubles : une rouge, une blanche, une noire, une violette et une verte. A Toulouse, les évêques suggèrent parfois dans leurs ordonnances, des procédures de réemploi, comme par exemple de faire une chasuble avec deux dalmatiques, si celle-ci venait à manquer pour célébrer décemment. Il n’est pas rare de pouvoir repérer sur pièce, des indices témoignant de ces manipulations.
46Parfois ce sont certaines couleurs qui manquent, par usure précoce – le rouge est souvent très usé, vu le nombre de fêtes de martyrs qui émaillent le calendrier –, par simple disparition – les ornements sont parfois prêtés, emportés, gâchés par des célébrations en extréieur – ou par manque de moyens. C’est sans doute la raison pour laquelle au XVIIIe siècle de nombreux ornements liturgiques originellement blancs sont teints en violet, d’autres en vert. On peut expliquer certaines pénuries probablement parce qu’il était d’usage d’ensevelir les prêtres dans leurs ornements, et particulièrement avec le blanc ou le violet. A Gimont (Gers), l’abbé Verdier – membre de la Petite Eglise – meurt « sans sacrements, sans aucun secours spirituel. Suivant ses dernières volontés, ses adeptes, sans croix, sans prêtre, l’accompagnèrent au cimetière. Il est porté à découvert assis sur un fauteuil, revêtu des ornements sacerdotaux. C’est ainsi qu’il fut enseveli»56. La pratique se poursuit au XIXe siècle comme en témoigne en 1842 cette note d’un registre de la Fabrique de Montesquieu-Volvestre : « L’ornement blanc porté au n° 10 n’existe plus ayant servi à la sépulture de Monsieur l’abbé Merly »57. C’est ce que recommandent les rituels depuis le Moyen Age. C’est aussi ce qu’ont confirmé un certain nombre de sources écrites. Ainsi à Toulouse, le brodeur Bordes fait teindre en violet l’étoffe provenant de deux dalmatiques blanches pour faire une chasuble violette58. Les inventaires systématiques de sacristies ont pu mettre à jour une quantité d’ornements reteints. On les repère au manque d’uniformité de la couleur sur le fond et au fait que les motifs brochés polychromes des soies du XVIIIe siècle deviennent presque uniformément verts, rouge ou violets selon les cas. Pour cela, le vêtement est démonté, la soierie teinte et le tout remonté. C’est une habitude qui semble n’exister que dans les paroisses rurales modestes, ce qui confirme qu’il s’agit bien là d’un moyen d’économie supplémentaire (Fig. 9).
Ravaudages
47Les vêtements s’abiment à l’usage, même s’ils sont bien rangés à plat dans les tiroirs des chasubliers. Les frottements contre le bord de l’autel usent prématurément les orfrois frontaux. Aussi sont-ils fréquemment changés. Pour ces réparations, on sollicite les dons des paroissiens et il est fréquent que l’on trouve dans les églises des morceaux de soieries du XVIIIe siècle en attente d’un éventuel emploi59.
48Au regard de la liturgie, ces transformations ne sont pas sans conséquence. Certains rituels évoquent les problèmes liés à la transformation des chasubles. Par exemple, si l’on crée un nouveau vêtement ou bien si on en modifie la forme, il faut en renouveler la bénédiction, même s’il est fait avec les morceaux d’un vêtement déjà béni. Dans le cas où on ne fait que réparer l’ancien ornement avec des ajouts de tissu, il faut que les tissus nouveaux ne représentent pas plus de la moitié de la totalité. Dans le cas contraire, on considère que c’est un nouveau vêtement, et donc, qu’il doit être béni. C’est peut-être pour des raisons liturgiques que l’orfroi neuf était le plus souvent superposé à l’ancien et non substitué60. En effet, les ornements usés, rompus, rapiécés ne peuvent servir ni être réparés sans une observation scrupuleuse des prescriptions liturgiques : « Les Habits Sacerdotaux perdent leur bénédiction, en sorte qu’il n’est plus permis de s’en servir, 1. Lorsqu’ils sont si frippés, si déchirés & si malpropres, qu’on ne peut sans indécence s’en servir pour la célébration des Saints Mystères. 2. Lorsqu’ils sont tellement rompus, qu’ils perdent leur forme, & qu’on ne les aurait pas bénits en cet état [...] Si on avait séparé le devant d’une Chasuble, quoi qu’on les eût ensuite recousus [...]. Si on ne faisait que raccommoder ces Ornements en y ajoutant quelque pièce d’étoffe ou de toile mêmes non bénites, sans cependant leur changer leur forme, ils ne perdroient pas pour cela leur bénédiction, parce qu’ils seraient censés toujours les mêmes »61. A Villaudric, paroisse du diocèse de Toulouse, un inventaire de 1742, fait état de « chasubles rapiécées qui ne sont pas bénites »62. Dans le Rituel de Montauban déjà cité, on peut lire : « Les habits sacerdotaux perdent leur bénédiction, en sorte qu’il n’est plus permis de s’en servir, quand ils sont notablement déchirés, ou qu’ils ne sont plus dans la forme dans laquelle ils ont été bénis, comme si on changeoit de manches à une Aube, ou si une Ceinture avoit été rompue en tant de morceaux qu’aucun d’eux ne pût ceindre le Prêtre sans être réunis ensemble »63 . Les différents rituels nuancent certaines pratiques. Ces ornements sont susceptibles d’être profanés, dès lors que l’on modifie leur forme initiale ou qu’ils sont utilisés à des fins autres que liturgiques, nous y reviendrons en fin de cet article : « Les habits Sacerdotaux perdent leur Bénédiction, & il n’est plus permis de s’en servir lorsqu’ils sont notablement déchirés ou que la forme en est changée. Il ne faut point employer à des usages profanes ceux qui sont usés… »64. Toute transformation couturière implique donc la ritualisation pour un nouvel usage. En revanche, les doublures des ornements liturgiques régulièrement changées pour cause d’usure et d’encrassement ne semblent ne faire l’objet d’aucune précaution. Aussi, rares sont les vêtements sacerdotaux du XVIIIe siècle avec leur doublure d’origine. Souvent, on garde le bougran comme triplure et on les habille avec des doublures de calicot de coton.
49Il est tout aussi rare de trouver les galons d’origine parce qu’ils ont été remplacés en raison de leur usure ou délibérément ôtés pour en récupérer de la matière précieuse, bien que tous ne soient pas en or fin, c’est-à-dire en argent doré. Ils sont parfois en or faux qui est du cuivre doré. L’oxydation noircit les premiers et rend les seconds rouges ou vert-de-gris. Les statuts corporatifs parisiens indiquent que le fil à coudre des galons varie en fonction de leurs qualités : le galon fin est cousu avec de la soie et le galon faux avec du fil65. Cela peut être un critère d’authenticité intéressant à observer.
50Ainsi, nous voyons que par sa forme, sa constitution spécifiquement composite, les conditions de son élaboration et les circonstances de son usage, le vêtement liturgique est prédestiné au réemploi. Si le réemploi d’usage est une pratique courante relevant de l’entretien, et donc en somme d’une activité de coulisse du service divin, il n’en est pas pour autant une simple tâche ménagère : non seulement l’Eglise statue officiellement à son sujet, mais elle en assure et surveille, sur le terrain, l’application.
Le passage du sacré au profane : la dernière vie
51Après avoir évoqué quantité de variantes possibles de réemplois intervenant au stade de la fabrication, puis à celui de l’entretien, il convient à présent d’évoquer les dernières heures des ornements. De nombreuses dispositions évoquent cette ultime étape, car elle comporte un risque majeur : la profanation.
Le feu ou la fripe ?
52Pour éviter tout risque de profanation, les ornements liturgiques usés doivent être brûlés et leurs cendres pieusement conservées, par respect pour leur caractère sacré. On imagine aisément le nombre de vêtements qui ont ainsi péri dans les flammes. Cette pratique est encore en vigueur. « Lorsque les Ornemens, Linges & autres choses bénites ont perdu leur bénédiction, & ne peuvent plus servir, il faut, suivant les saints Canons, les brûler, & en jeter les cendres dans la piscine, ou les renfermer dans quelque concavité des murs, ou sous le pavé de l’Eglise, en un lieu où personne ne passe » prescrit le rituel du diocèse de Montauban en 178566.
53Conscient de leur valeur marchande, le clergé les a parfois revendus à des fripiers. Pourtant, l’interdiction est clairement faite aux fripiers parisiens d’acheter et de vendre les vêtements du clergé en bon état et sans l’autorisation du supérieur hiérarchique du vendeur : « Deffenses sont faictes à tous les marchands fripiers d’achepter aucuns meubles... ni aussy vendre ni achepter aucuns ornemens d’eglize et habits de relligieux et relligieuses, s’ils ne sont dépecez par droite usure ou que le vendeur ayt puissance de son supérieur »67. La friperie lyonnaise par exemple, comme d’autres sans doute, s’intéresse aux vêtements d’ecclésiastiques : à Lyon à la fin du XVIIIe siècle, chaque fripier présente environ cinq ou six vêtements ordinaires de clercs, des soutanes et soutanelles68. Les quelques inventaires de certains de ces marchands n’évoquent pas la présence de vêtements liturgiques dans les boutiques.
54Nous avons pourtant trouvé, quantité de mentions témoignant de la pratique du troc ou de celle de la revente. A Rieux-Volvestre, en 1722, le chanoine Pelegri revend à « des juifs »« une chasuble et un pluvial »69. En 1785 le chapitre de Saint-Bertrand-de-Comminges revend pour 234 Livres d’ornements vétustes ou démodés au brodeur toulousain Barateau, afin de financer une partie de l’achat de cinq chapes de soie et trois chasubles pour 415 Livres70. Ce commerce est-il illicite ? Comment expliquer que le risque de profanation ne semble pas exister dans le cas de cette circulation de marchandises bien spécifique ? Les liturgistes eux, n’évoquent jamais la question de la revente, sauf pour signaler qu’elle est une étape de désacralisation voire de profanation. Dans la plupart des cas, c’était le principe d’aliénation du mobilier liturgique qui garantissait d’un risque éventuel de profanation : « En principe, il faut admettre, avec boniface VIII, que ce qui a été offert une fois à Dieu ne peut plus retourner aux usages profanes » rappelle Monseigneur Barbier de Montault71. Le XIXe siècle manifeste encore une attention particulière au devenir des anciens ornements. En 1892, la Semaine Religieuse de Limoges indique les avertissements suivants qui se situent dans un contexte nouveau : le goût pour les antiquités, particulièrement marqué à la fin du XIXe siècle. Aussi est-il recommandé de s’occuper avec conscience des vieux ornements : « cependant plutôt que de les brûler, on pourrait en faire don à l’Œuvre des tabernacles, où des mains habiles et pieuses savent si bien tirer partie des moindres morceaux et débris informes pour confectionner des ornements en faveur des églises pauvres. Mais ce qu’il faut éviter par-dessus tout, c’est de rendre aux marchands d’antiquailles qui emploient ces restes à toute espèce d’usage, sans autre souci que celui du gain »72.
55La période révolutionnaire, à cet égard, a vu se multiplier les scènes de profanation, théâtralisées, prenant, pour les plus douces, une forme irrévérencieuse. L’Eglise regardait, impuissante, la parodie de son luxe, de sa hiérarchie, de son statut, de ses privilèges, dont les vêtements étaient l’emblème. La dénonciation de ses fastes jugés injustes et excessifs empruntait à Carnaval, la voie sacrilège du travestissement militant73 : « Cependant la terreur était à son comble à Bordeaux (...) L’horrible procession qui marqua la destruction, en un moment, de toutes les choses précieuses possédées par les églises de la ville, venait d’avoir lieu. On rassembla toutes les filles publiques et les mauvais sujets. On les affubla des plus beaux ornements trouvés dans les sacristies de la cathédrale, de Saint-Seurin de Saint-Michel (...) Des chariots portaient ce qu’ils n’avaient pu mettre sur eux. Ils arrivèrent ainsi précédés par la Déesse de la Raison, représentée par je ne sais quelle horrible créature, jusque sur la place de la Comédie. Là ils brûlèrent, sur un immense bûcher, tous ces magnifiques ornements»74. Les témoignages abondent de ces célébrations parodiques raillant les rites ecclésiastiques et profanant le caractère sacré des accoutrements.
L’Ancien Régime à l’encan
56Même si tous les ornements ne périrent pas dans ces scènes grotesques, le XIXe siècle, a quand même hérité d’un vestiaire liturgique bien mis à mal. En effet, pendant la Révolution, les ornements ont été dépouillés de leurs galons, de leurs broderies de fils précieux. Après une vaste campagne de dégalonnage bien connue, il y en a sans doute eu une de regalonnage. En effet, nous avons souligné plus haut, qu’il est bien rare aujourd’hui de trouver des ornements liturgiques du XVIIIe siècle, avec leurs galons d’origine. On peut dire que le renouveau liturgique du XIXe siècle a nécessité le réemploi des ornements liturgiques du XVIIIe siècle.
57La pénurie de soieries précieuses se fait sentir au moment de la révolution. Les métiers à tisser se sont tus à Lyon, à Tours ou à Paris. L’on doit donc puiser abondamment dans ce qu’il reste du vestiaire ancien. Cette utilisation postérieure s’est souvent accompagnée d’une mise au goût du jour pure et simple. Par exemple, il n’est pas rare de rencontrer des chasubles, faites d’un tissu de robe du XVIIIe, dont l’orfroi a été monté au XIXe siècle75. La mise à la mode voire à la norme, consiste dans ce cas à munir le vêtement liturgique d’un symbole religieux, chose complètement superflue au XVIIIe siècle. Les exemples abondent dans les sacristies.
58Heureusement, Napoléon Ier, conscient de la chute de cette industrie, relance avec énergie la production de soierie à Lyon. Son action est fructueuse et quantité d’aunes puis de mètres de soieries d’un goût nouveau voient le jour, sous le Directoire et l’Empire76. Des soieries d’ameublement tissées par les plus grands fabricants lyonnais sont commandées sous l’Empire par le Garde-Meuble. Ainsi, de nombreux fabricants de vêtements liturgiques puisent, durant tout le XIXe siècle, dans les stocks considérables de tissus d’ameublement neufs, des damas et satins rouges, jamais utilisés, pour fabriquer des ornements liturgiques. Par exemple, des reliquats de ces étoffes sont réutilisés sous la Monarchie de Juillet (vers I837-1842) par le chasublier parisien Biais77. A Paris, l’église de Saint-Germain l’Auxerrois, possède des ornements dont les soieries ont été commandées à la maison Grand Frères en 1811 pour la chambre à coucher de l’Empereur à Versailles78. Enfin, notons que les grandes manufactures de soieries collectent au XIXe siècle des fragments d’ornements liturgiques. Ces vieux matériaux sont souvent réunis en recueils factices in plano, pour constituer un répertoire de motifs susceptibles d’inspirer les dessinandiers79.
59Après la Révolution, on revend quantité de vêtements liturgiques. Au Mans, par exemple, un inventaire a été dressé par un maître-tapissier : il fut vendu 219 chasubles, 128 dalmatiques, 208 chapes, classées par couleur80. A Toulouse, l’Hôtel de la Monnaie reçoit des vêtements liturgiques de toute la région, pour que les matières précieuses y soient fondues. On peut faire le même constat dans la plupart des diocèses. Les ornements sont ainsi passés dans le domaine public, dans les circuits commerciaux. Des ornements anciens sont vendus « Au bon Marché » au début du siècle. Certains en portent encore l’étiquette81.
Au XXe siècle de conclure
60Il y a sans doute d’autres transformations anachroniques qui nous échappent, nous ne saurions être exhaustif. Les tiroirs du chasublier de la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse sont gainés de tissus du XVIIIe siècle, peut-être d’anciens ornements ? Le Musée du Cirque conserve des costumes de clowns taillés dans des ornements liturgiques. Certains artistes aujourd’hui, utilisent des vêtements liturgiques comme support de leurs œuvres. Nous pensons principalement à Pierre Pécoud, né à Lyon en 1944 et qui vit actuellement à Saint-Etienne82 : « Pierre Pécou entreprit de tout mettre contre lui, choisissant le matériau le plus rétif : linges immaculés, toiles de matelas hors d’usage, bâches meurtries, chaises désarticulées, aujourd’hui, le tout bien macéré dans le doute et le hasard »83. Il faut ajouter à cette liste, des chasubles84.
61Un autre artiste propose une démarche analogue, il s’agit de Louis Cane, un des fondateurs en 1969 du mouvement « support-surface ». Il explique l’intérêt plastique qu’offre cette surface à peindre : « La broderie ancienne des 17e et 18e est une broderie où s’inscrit un dessin baroque extrêmement sophistiqué et soigné. Les rapports de couleurs d’une exceptionnelle finesse, ainsi que les dessins constituent pour moi un véritable motif », ajoute-t-il. « Je peins sur le motif. Non pas devant le motif mais réellement sur ! Ce travail est dans la continuité de mes toiles de Nymphéas sur grillage ». Il travaille sur des ornements liturgiques anciens, principalement des XVIIe et XVIIIe siècles. Aujourd’hui, ce sont des ornements qui sont passés dans le circuit commercial, principalement après l’application du Concile Vatican II. Il achète des chasubles à l’Hôtel Drouot et ensuite peint dessus, d’une touche plutôt abstraite. Il fait imprimer au jet d’encre des images ou des motifs choisis sur des chasubles des ornements liturgiques baroques85.
62L’évocation de ces œuvres contemporaines nous permet de poser d’une façon renouvelée la question du réemploi textile et de la sacralité. Ici, les deux artistes Pécoud et Cane n’utilisent ces anciens textiles que pour leur dimension plastique : ni leurs motifs religieux, ni leurs couleurs liturgiques, ni leur forme canonique, ni même leur caractère sacré ne motivent leur démarche artistique. A contrario, un artiste tel qu’Alberto Burri crée des œuvres comme métaphores d’une Europe déchirée et recousue86. Christian Boltanski87, présente une démarche investissant la récupération textile et spécifiquement les textiles profanes, pour évoquer la mémoire des disparus et principalement, ceux des déportations de la dernière guerre. On peut noter par un effet de miroir, que la puissance de la démarche artistique contemporaine désacralise le vêtement liturgique et, à l’opposé, sacralise le vêtement profane. Boltanski sacralise ainsi cette matière inerte, colorée et profane, rend suaire ce qui était habit.
63Cet essai de typologie, loin d’être exhaustif, tente de donner plutôt des clés de compréhension et met en garde contre les conclusions hâtives. Comme toujours dans un domaine qui touche aussi bien à l’intime qu’au public, au sacré qu’au profane, au global qu’à l’artisanal, il faut être d’une grande prudence. Observer la confrontation parfois contradictoire entre la nature matérielle de ces textiles et leur nature immatérielle conférée par la bénédiction, nous place au cœur des stratégies humaines, qui tentent de concilier des exigences respectives parfois opposées, mais toujours indissociables.
64Ces réflexions de terrain mériteraient d’être systématiquement collectées, afin que l’anecdote ou la rencontre aléatoire d’un document, fassent place à une enquête exhaustive, et nous permette d’affiner l’étude de ces pratiques. La connaissance de ce grand pan de l’histoire de l’art religieux qu’est la création textile – dont la dimension artistique est plutôt réduite ici, il faut bien le reconnaître, dans cette évocation du réemploi – ne peut que tirer bénéfice d’une attention méticuleuse portée au matériau qu’il met en oeuvre.
65L’histoire de l’art est aussi l’histoire des artistes qui le créent, des matériaux qu’il sublime. Les circonstances cultuelles s’avèrent propices à une surenchère de significations et de codes qu’il nous appartient de soupçonner puis de saisir dans l’emploi d’un motif, le réemploi d’une étoffe, une reprise ou le réemploi d’une soierie.
Notes de bas de page
1 Archives départementales de la Haute-Garonne, 3G43, inventaire après décès, le 10 novembre 1739.
2
F.-A. P. de GARSAULT, L’art du tailleur, Paris, 1769. L’exemplaire consulté est publié par J. E.
BERTRAND dans la Description des arts et métiers faites ou approuvées par Messieurs de l’Académie royale des Sciences de Paris, Neuchâtel, 1780, p. 53 à 114.
3 L. JALABERT, Les tailleurs d’habits toulousains et les petits métiers de la couture au XVIIIe siècle, mémoire de maîtrise d’histoire moderne, Université Toulouse-Le Mirail, 1974.
4 C. GERMAIN de SAINT-AUBIN, L’art du brodeur, Paris, 1770. L’exemplaire consulté est publié par J. E. BERTRAND dans la Description des arts et métiers faites ou approuvées par Messieurs de l’Académie royale des Sciences de Paris, Neuchâtel, 1780, p. 171 à 238.
5 R. de Lespinasse, Histoire générale des métiers et corporations de la ville de Paris, titre IX, Paris, 1892. Les règlements corporatifs des brodeurs-chasubliers parisiens remontent pour le plus anciens à 1292-1303. Pour le XVIIIe siècle, ils datent du 14 août 1704 et du 5 août 1784 sous la forme de lettres patentes royales. Comme souvent, les règlements corporatifs se préoccupent davantage des matériaux que de leur mise en œuvre, surtout dans le domaine de la broderie qui fait grand usage de fournitures très précieuses, tels les fils métalliques et les fils de soie, offrant aux artisans malhonnêtes la tentation de frauder sur leur qualité. Les autres questions ne les différencient pas de la plupart des corporations : organisation interne, délimitation précise du domaine d’activité, présentation de la confrérie, etc. Ces réglementations n’existent pas forcément dans chaque ville de province. Les brodeurs en effet sont souvent associés aux peintres ou aux sculpteurs et de ce fait, leur activité spécifique chasublière n’apparaît même pas dans ces textes. Une enquête systématique reste à mener.
6 Ce travail incombe aux brodeurs et constitue un aspect mineur de leur activité. Il ne fait pas l’objet d’un exposé théorique spécifique. C’est une activité qui leur est propre, comme l’indiquent les statuts de la ville de Paris : « 44. Pourront lesdits brodeurs chasubliers faire et parfaire leurs ouvrages comme chasubles, chappes, tuniques, paremens d’autels, hauts et bas rideaux, pavillons, ciels et tous autres ouvrages dependans de l’eglise, sans qu’il soit permis à autres que brodeurs chasubliers de les faire ni entreprendre, à peine de 75 livres d’amende applicable comme dessus ». D’autres sources beaucoup plus hasardeuses peuvent nous être utiles, c’est le cas des factures qui laissent deviner quelques indices, des prix faits, assez rares, et, encore plus rares de manuscrits rédigés dans certains couvents qui pratiquaient une activité analogue, la broderie et du montage, sous la seule contrainte de la Règle de leur Ordre. On peut citer un manuscrit génois récemment publié qui montre patrons et mesures d’une chape, d’une dalmatique, d’un devant d’autel, d’un manipule et d’une bourse, provenant du monastère dominicain Saints Jacques et Philippe. Carla Cavelli Traverso, « Dal tessuti di moda al paramento liturgico. Tessili del monastero genovese dei santi Giacomo e Filippo », Jacquard, Florence, Arte della Seta Lisio, n° 40, 2000, p. 2-10.
7 Nous avons travaillé sur des inventaires de vêtements liturgiques – publiés – de l’ancien diocèse de Toulouse, du département du Tarn, d’une partie de la Corse, de la Meuse, et celui non publié du département du Gers.
8 L. Ellis Miller, « Representing Silk Design. Nicolas Joubert de l’Hiberderie and Le Dessinateur pour les étoffes d’or, d’argent et de soie (Paris, 1765) », Journal of Design History, Vol. 17 N°1, 2004, p. 29-53. L’auteur présente des planches tirées du Traité de Nicolas Joubert de l’Hiberderie, mais aussi de celui J. Paulet, qui montrent deux types de dessins pour soieries, l’un dit « à pointe » c’est-à-dire disposé symétriquement entre les deux lisières, l’autre dit « suivi » c’est-à-dire passant sur le fond, interrompu par les lisières. C’est le dessin à pointe qui correspond le mieux à un usage à plat des étoffes, caractéristique commune à l’ameublement (courtepointe, tentures murales, dossiers et assises de sièges…) et à la paramentique (chasubles, dalmatiques, devants d’autels…). Dans le cas des montages à fronces, plis, pinces et découpes, commun dans l’habillement tant masculin que féminin, le dessin le plus adapté est le dessin dit suivi. F. Paulet, L’Art du fabricant d’étoffes de soie. Description des arts et métiers, Académie Royale des sciences, Paris, 1789, planche 194.
9 Il est difficile de trouver des informations normatives sur la confection des habits des ordres réguliers. On peut se reporter au catalogue publié récemment par G. Rocca, La sostanza dell’ effimero. Gli abiti degli Ordini religiosi in Occidente, museo Nazionale di Castel Sant’Angelo, mars 2000, éditions Paoline, 2000.
10 Nous renvoyons à cet égard à l’article de Françoise Laurent.
11 Mgr A. MALVIN de MONTAZET, Rituel du diocèse de Lyon, 1787, T. 1, p. 164. Si les rituels reprennent pour l’essentiel les prescriptions de Paul V et leurs grands principes, des précisions très pragmatiques y sont ajoutées et constituent pour nous une mine de renseignements.
12 M. C. MARANDET, Le souci de l’au-delà : la pratique testamentaire dans la région toulousaine (1300-1450), Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan 1998, T. II, p. 445, note 5.
13
F. PIPONNIER, « Purchases, gifts and legacies of liturgical vestments from written sources in the Fourteenth and fifteenth Centuries », The Journal of the Costume Society, Londres, 1997, p. 1-
7 ; voir également sa contribution au présent volume.
14 C. de MERINDOL, « L’imaginaire au pouvoir à la fin du Moyen-Age, les prétentions royales », Représentation, pouvoir et royauté à la fin du Moyen-Age, Paris, 1995, p. 83.
15 A Toulouse, un apothicaire fournit le velours pour les orfrois d’une chape processionnelle, commandés à Jean et Bernard Cussac, brodeurs, voir R. CORRAZE, « La corporation des brodeurs toulousains au XVIe siècle », Mémoires de l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, 13e série, T . VI, 1944, p. 131-159.
16 A. THORAVAL, 160 testaments de l’aristocratie méridionale à la fin du Moyen Age, mémoire de maîtrise d’histoire médiévale sous la direction de Michèle Fournié, Université Toulouse 2, p. 143-144 : « Beatrix de Alboreya donne deux de ses robes brodées d’or (« rauba deaurata ») pour en faire deux nappes, et deux autres napes, l’une « aureum morest vermellum foliatm de tela lunda », l’autre « antellatum album deauratum » et à ses armes. Ces nappes sont posées sur le devant de l’autel « qui ponatur ante altare », qui est le plus souvent l’autel majeur « pro servitio altaris majoris ».
17 C. ARIBAUD, « L’étoffe des solennités ; la soie en service dans les églises du Tarn (XVe-XXe siècle) », Textiles sacrés du Tarn, p. 22. Cette coutume est contestée en 1543.
18 C. ARIBAUD, Soieries en sacristie. Fastes liturgiques à Toulouse, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, 1998, p. 190.
19 G. ROCCA, La sostanza dell’effimero… 2000. La basilique Saint-François à Assise conserve la tunique de saint François. Elle est composé d’un grand nombre de reprises, d’accrocs et de pièces rapportées. M.FLURY-LEMBERG, « Kutte des Hl. Franziskus von Assisi », Textil-konservierung im Dienste der Forshung, Riggisberg, Berne, 1988, p. 314-317.
20 F. RYCKEBUSCH, Les statuts synodaux du quatorzième siècle en Midi-Pyrénées (1285-1406), mémoire de Maîtrise d’histoire médiévale sous la direction de Michèle Fournié, Université Toulouse II, 1990, p. 126.
21 J. MAUREL, Imaginez des femmes au temps des rois en Ségala rouergat, Albi, 1999, p. 58.
22 A. VIDAL, L’ancien diocèse d’Albi d’après les registres de notaires, Paris, Picart, 1931, p. 176.
23 C. ARIBAUD, « L’étoffe des solennités », op. cit., p. 22-25.
24 Nous excluons de ce propos les ornements brodés qui obéissent à une autre logique artisanale, technique et plastique. L’iconographie ou les symboles des broderies se rapportent à la fonction liturgique du vêtement ou au vocable d’un lieu, d’un édifice ou d’un autel, enfin à la dévotion à un culte ou à un saint particuliers.
25 Parmi les exemples fameux de production d’étoffes à disposition, on peut citer les bordures florentines ou celles de Cologne (Allemagne) du XVe siècle, l’exemple des étoffes produites à Tolède au XVIIIe siècle, ou encore la production lyonnaise du XIXe siècle. Ces tissus sont caractérisés par la présence d’un décor religieux ou d’emblèmes liturgiques, par la mise en place d’un dessin à pointe c’est-à-dire symétrique. Enfin, dans certains cas, le dessin est conçu à disposition, dit aussi ad hoc c’est-à-dire prêt à être découpé selon le patron des ornements. M. J. MARTÍN-PEÑATO LÁZARO, Fabrica Toladana de ornamentos sagrados de Miguel Gregorio Molero, Tolède, 1980.
26 L’art du brodeur, op. cit., article orfroi, p. 225.
27 Les tissus les plus fréquemment nommés à Toulouse au XVIIIe siècle sont le satin, le velours, le damas et le camelot.
28
La broderie contemporaine fait la part belle aux mêmes motifs ne laissant à l’iconographie religieuse qu’une place restreinte, au centre d’un chaperon par exemple ou bien au centre de la croix.
Dans l’Art du brodeur, C. Germain de Saint Aubin montre dans sa planche 6, une chape, une dalmatique et une chasuble : la chasuble porte un médaillon avec la Vierge, la chape porte le triangle trinitaire. Le reste du décor est formé de végétaux. Voir note 19.
29 Sur le langage des fleurs, on citera principalement : Symbolique & botanique, le sens caché des fleurs dans la peinture au XVIIe siècle, Caen, musée des Beaux-arts, 1997 et D. VERON-DENISE, « La place et le rôle de la fleur dans la broderie du XVIIe siècle », Rinceaux et figures. L’ornement en France au XVIIe siècle, coll. Sous la direction d’E. Coquery, ed. Monelle Hayot, Musée du Louvre éditions, Paris, 2005, p. 181-199.
30 Au-delà de ce constat, il convient de se demander si ces ornements sont toujours restés dans cette paroisse, à partir des archives, ce qui, il faut bien le reconnaître, est assez difficile, car les inventaires ont le sait bien, ne détaillent pas les motifs des étoffes, ce qui empêche leur repérage.
31 Voir note 10.
32 Les crazy patchwork sont nés en Amérique du Nord pour pouvoir utiliser le moindre reste de tissu. Ce sont des juxtapositions de bouts d’étoffes disparates et de taille différentes, dans un désordre très apparent, parfois rebrodés. Les crazy patchwork o u pointes folles furent particulièrement à la mode à la période Victorienne. « A la fin du XVIIIe siècle, le patchwork était particulièrement répandu en Angleterre et on assemblait – notamment en Bohème – des morceaux de lainage pour réaliser tentures, ornements d’église et coussins de bancs d’église », Autour du fil, encyclopédie des arts textiles, n° 15, Paris, Editions Fogtdal, 1990, p. 35-36 et illustration page 42.
33 De la fibre à la fripe, le textile dans la France méridionale et l’Europe méditerranéenne (XVIIe-XXe siècles), Actes du colloque de 1997, Université de Montpellier, 1998. N. Pellegrin, « Chemises et chiffons. Le vieux et le neuf en Poitou et limousin. XVIIIe et XIXe siècles », Ethnologie Française, n° 1986/3, 284-294.
34 GARSAULT, op. cit. (Neuchâtel, 1780), Chapitre II, « L’art du tailleur d’habits d’hommes. Idée générale de cet art », p. 61.
35 Supplément à l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences des arts et métiers par une société des gens de Lettres, Amsterdam, 1771, article « couturiere », p. 644.
36 C. GERMAIN DE SAINT-AUBIN, op. cit., p. 33.
37 Nous donnons dans le paragraphe suivant les explications du manipule.
38 C. ARIBAUD, op. cit., 1998, p. 184-185.
39 Manipule, cannetillé lancé, soie ; vers 1750. Galon système argent doré, XIXe siècle. Doublure en satin de coton, XIXe siècle. Triplure en bougran, XVIIIe siècle. Décor de rubans fleuris en rivière. Collection particulière.
40 Manipule, pékin fond taffetas cannelé simpleté, broché. Soie, lame argent, filé riant argent. La disposition en bandes verticales et la miniaturisation des motifs caractérisent cette soierie des années 1770 environ. D’un tertre émerge une petite pagode et une branche fleurie écrasante, selon le goût rocaille, friand des effets de disproportions entre les motifs. Collection particulière.
41 Manipule, losange base sergé, broché, soie ; décor de rubans et branchages fleuris, en rivière, vers 1750. Galon système argent doré XIXe siècle. Collection particulière.
42 Taffetas broché à liage repris. Soies polychromes, vers 1760. Galon système argent doré. Un effet pictural est recherché par l’usage de soies dégradées. Collection particulière.
43 Les œuvres religieuses ne sont jamais marquées – sauf cas vraiment exceptionnel – par le brodeur.
44 H. POMMIER, « Les apports de la restauration des textiles à l’Histoire de l’art », Histoire de l’art, n° 32, 1995, p. 80. M. SCHOEFFER, E. HOUPPEAUX, « Restoration of a Seventeenth-Century Chasuble at the Musée Historique des Tissus in Lyons », The Consevation of Tapestries and Embroideries, The Getty Conservation Institute, 1989, p. 33-40.
45 C. ARIBAUD, op. cit. 1998, n° 6 p. 135.
46 C. ARIBAUD, op. cit. 1998, n° 40, p. 48. B. HOURS, Madame Louise, princesse au Carmel, 1737- 1787, Paris, Cerf, 1987, p. 36 Cette étoffe ne peut provenir du don de la robe de vêture de Louise de France, celle-ci étant « à fond de lames d’argent avec des colonnes de fleurs de même métal coloriées et faisant l’effet de rubis. Entre les colonnes on voyait un parsemé de fleurs d’or », p. 209, tome 1 de la Vie de la révérende mère Thérèse de Saint-Augustin, Madame Louise de France, fille de louis XV, religieuse carmélite au monastère de Saint-Denis de Paris par une religieuse de sa communauté établie à Paris en 1807 et transféré à Autun en 1838, Saint-Denis, 1857.
47 La chapelle de Versailles compte en 1707 « douze tours d’Etolles de baptiste garnis de dantelle d’Angleterre » (A. et J. MARIE, Versailles au temps de L. XIV, Paris, 1976, p. 495).
48 X. BARBIER de MONTAULT, Le costume et les usages ecclésiastiques suivant la tradition romaine, 1897-1901, p. 94.
49 C’est le nettoyage du linge sacré qui fait l’objet d’attentions spécifiques. Les Bénédictines de Saint Louis du Temple, qui ont eu une réputation spirituelle et liturgique importante au début du XXe siècle – on les connaît mieux sous l’appellation Bénédictines de la rue Monsieur – ont publié le Guide pratique pour la confection des ornements sacrés, dans lequel on peut lire que cette attention à la souillure sur le linge a perduré au-delà de l’Ancien Régime : « A Cluny, les prêtres et les diacres chargés de laver les corporaux le faisaient dans des vases exclusivement réservés à cet usage. Les corporaux étaient ensuite passés dans une lessive légère, puis plongés dans une eau blanchie au moyen d’une farine très pure ; enfin ils étaient suspendus sur une corde soigneusement lavée, rangée, après usage, dans une bourse précieuse. Pendant qu’ils étaient exposés à l’air, un moine en aube était chargé de les garder et d’en chasser les mouches. Cette coutume si riche de piété et d’esprit de foi, nous donne une idée du respect et du soin qui doit être apporté à la purification des linges sacrés. Il est donc inutile de faire remarquer que le linge sacré doit être blanchi à part, séparé de tout linge profane » : Tome II, s. l. n. d., vers 1880, rubrique « Blanchissage », p. 39.
50 Rituel du diocèse de Montauban, publié par l’Autorité de Monseigneur Anne-François-Victor Le Tonnelier de Breteuil, Evêque de Montauban et Abbé de Belleperche. A Montauban, 1785, rubrique « Des Vases Sacrés & des Ornemens Sacerdotaux », p. 118-119. Voir note 10.
51 J. ARCHES, Souillure et pollution dans la pensée chrétienne médiévale, d’après les statuts synodaux français du XIIIe siècle, Mémoire de Maîtrise d’histoire médiévale sous la direction de Michèle Fournié, Université Toulouse 2, 1998, p. 97.
52 Ibid. p. 98.
53 Nous excluons de nos propos le réemploi textile à des fins artistiques et plastiques.
54 C. ARIBAUD, op. cit. 1998, n° 6, p. 148.
55 Je remercie Emmanuel Moureau, conservateur des Antiquités et Objets d’Art de Tarn-et-Garonne, de m’avoir communiqué ce document ainsi que celui cité en note 22.
56 Histoire de Cologne et de son canton, Cologne, 1999, p. 179-180.
57 Registre des délibérations du bureau des marguilliers de l’Eglise paroissiale de Montesquieu-Volvestre, 1804-1905, archives paroissiales de Montesquieu-Volvestre. Transcription communiquée par Nicole Andrieu (Conservation des antiquités et objets d’art de la Haute-Garonne) que je remercie vivement.
58 Facture du brodeur Bordes du 18 Octobre 1783 : « Plus avoir fait teindre deus dalmatiques de damas blanc en violet et en avoir fait une chasuble, fourny la teinture, 4 # », dans C. ARIBAUD, op. cit., 1998, p. 189.
59 P. Y. CORBEL, Vallée du Louron, Canton de Bordères-Louron, coll. Indicateurs du patrimoine, Inventaire Général, 1996, n° 113.
60 Dossiers de restauration de D. Nadal, pour l’exposition « Soieries en sacristie », Toulouse, Musée Paul Dupuy, 1997-1998. En observant quelques orfrois frontaux très abîmés, on s’est rendu compte de la présence de l’étoffe d’origine. Parfois en lambeaux, il est peu probable que cette étoffe ait été conservée en guise de renfort. Nous saisissons l’occasion pour rappeler combien la collaboration entre historiens et restaurateurs peut être fructueuse, et doit donc être systématique.
61 L. A. JOLY de CHOIN, Instructions nécessaires sur le rituel contenant la Théorie et la pratique des Sacrements & de la Morale & tous les principes & décisions nécessaires aux curés..., Lyon, 1753, p. 76.
62 Toulouse, Archives départementales de la Haute-Garonne, G 626.
63 Rituel du diocèse de Montauban (…), op. cit., p. 118.
64 Mgr A. MALVIN de MONTAZET, Rituel du diocèse de Lyon, 1787, T. 1, p. 164.
65 R. de LESPINASSE, op. cit., Statuts du 4 août 1704, p. 184.
66 Rituel du diocèse de Montauban (…), op. cit., p. 119.
67 R. de LESPINASSE, op. cit., p. 436.
68 G. CAILLAT, « Le commerce des vêtements en vieux à Lyon au XVIIIe siècle », De la fibre à la fripe..., p. 462.
69 L. LATOUR, « Le « trésor » de la cathédrale de Rieux aux XVIIe et XVIIIe siècles. Documents », Revue de Comminges, 1996, T. CXI, p. 368.
70 Etat des fournitures pour la sacristie de Saint-Bertrand, le 8 octobre 1785, Toulouse, Archives Départementales de la Haute-Garonne, 3 G 108.
71 X. BARBIER DE MONTAULT, Traité pratique de la construction, de l’ameublement et de la décoration des églises selon les règles canoniques et les traditions romaines avec un appendice sur le costume ecclésiastique, Paris, 3e édition, 1899, tome 1, p. 274.
72 La Semaine Religieuse de Limoges, 10 novembre 1892, p. 1004. Je remercie Louis Bonnaud pour cette information.
73 Un article de Nicole Pellegrin sur le sort des textiles sacrés au moment des évènements révolutionnaires, synthèse écrite de sa passionnante communication présentée au cours des journées d’études « Mésaventures révolutionnaires des ornements liturgiques », devait prendre place dans ce recueil, il n’a pu être rendu. Nous ne faisons ici qu’évoquer cette question du point de vue de l’anecdote. Elle aurait mérité une analyse plus large.
74 Mémoires de la marquise de la Tour du Pin, 1778-1815, Paris, p. 167. Je remercie Danièle Véron-Denise de m’avoir signalé ce texte.
75 De soie et d’or. Textiles sacrés en Meuse. XVIIe-XIXe siècles, catalogue d’exposition, Saint-Mihiel, Juin 2004, p. 50-51.
76 Soieries Empire. Paris, Mobilier National, Inventaire des collections publiques françaises, Paris, RMN, 1980, 590 p. Soieries de Lyon, commandes impériales, Collections du mobilier national, Lyon, musée Historique des tissus, Lyon, 1982, 78 p.
77 C. MOULIN, Un aspect de la soierie lyonnaise : la branche ornements d’église, 1800-1940, Maîtrise d’histoire sous la direction de Elisabeth Hardouin-Fugier, Université Lyon III, 1990-1991, p. 9.
78 Ibid.
79 Une telle collection de recueils a été dispersée en février 2005 à l’Hôtel Drouot. L’expert Xavier Petitcol décrit les circonstances de cette réunion : « Cette collection a été réalisée en 1894 à l’initiative des frères Georges et René Hamot, celui-ci étant le grand père des deux derniers directeurs de la maison, les frères René et Francis Hamot […] en raison de l’intérêt de leur étoffe, les fabricants de tissus conservaient dans leurs archives des ornements liturgiques baroques, mais aussi des palempores indiens du XVIIe siècle et des costumes ». Catalogue, étude d’Olivier Couteau-Bégarie, « Succession Hamot », vente des 15 et 16 février 2005, p. 5 et 96.
80 E. BOUTON, « Le sort des vêtements sacerdotaux pendant la Révolution dans la Sarthe », Maine-Découverte, n° 10, sept. 1996, p. 56-61.
81 B. BERTHOD, E. HARDOUIN-FUGIER, Dictionnaire des Arts liturgiques, XIXe-XXe siècles, Paris, 1996, p. 32.
82 Bénézit, Dictionnaire critique et documentaire des peintres et des sculpteurs, tome huitième, 1999, nouvelle édition, page 182.
83 Critique de Jean Planche, 1993, publiée dans La Gazette de l’Hôtel Drouot, n° 45, 10 décembre 1999, p. 17.
84 Son atelier fut dispersé à l’Hôtel des Ventes de Saint-Etienne, chez Maître Ballot, le 19 décembre 1999. Une des toiles était une acrylique sur dos de chasuble du début du XXe siècle. Une autre reproduisait des dos de chasubles sur toile.
85 P. JODIDIO., « Louis Cane et les Beaux-arts », Connaissance des Arts, n° 578, décembre 2000, p. 28-29. Parmi les œuvres présentées, on peut lire des titres incongrus : « Peinture à l’huile sur chasuble du 17e siècle » (100 x 100 cm.) : en réalité c’est une dalmatique de la fin du XVIIIe siècle. Plus bas, est présentée une « peinture à l’huile sur chasuble brodée du XVIIIe siècle (100 x 100 cm.), en réalité, c’est une dalmatique brochée de la fin du XVIIIe siècle, voire du début du XIXe siècle. Nous ne pouvons dire si c’est une appellation erronée ou un brouillage de pistes volontaire. Cela n’a d’importance que pour l’historien, mais certainement aucune pour l’artiste.
86 Toulouse, Les Abattoirs, Sacco IV 1954 . Inv. Abattoirs D. 2000-1-1.
87 Je remercie très vivement Eric Vidal, pour les échanges très fructueux que nous avons pu avoir sur ces artistes et sur ceux qu’il m’a offert de connaître.
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