D’une frontière à l’autre
| , ,II. Expériences des frontières ou l’ambivalence du passage
Les chemins de l’exil. La tragédie des Républicains espagnols et la politique de la France pendant la guerre civile (1936-1939)
Texte intégral
1De toutes les tragédies humaines que l’Europe a traversées au cours du XXe siècle, la guerre d’Espagne figure hélas en bonne place parmi celles qui ont le plus fortement marqué notre destin collectif. Plus que tout autre pays, la France a fait l’expérience indirecte de ce drame historique en devenant la terre d’accueil de quatre vagues migratoires successives entre 1936 et 1939, la dernière étant de loin la plus importante du point de vue numérique. En effet, la mal nommée retirada a entraîné l’exil massif d’environ un demi-million d’individus de tous âges et de toutes conditions vers le pays voisin à travers les Pyrénées en l’espace de quelques jours, au mieux quelques semaines.
2Bien que la question de l’exode républicain espagnol, puis de l’exil soit aujourd’hui bien connue grâce au travail des historiens et aux publications nombreuses touchant à ce sujet (mémoires, autobiographies…), elle continue de poser des questions, de nous interroger, non seulement sur les causes premières qui ont occasionné cet épisode douloureux, mais aussi et surtout sur le sort qui a été réservé aux centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à leur arrivée sur le sol de France. Comment expliquer que la République française, connue dans le monde entier pour sa traditionnelle hospitalité, n’ait manifesté officiellement qu’indifférence ou mépris à leur égard ? Comment interpréter l’impréparation des autorités civiles et militaires face à un déluge humain annoncé, l’improvisation des “camps sur la plage” et le traitement humiliant infligé aux soldats républicains ?
3Cette communication vise en premier lieu à évoquer la question frontalière dans les relations franco-espagnoles au cours de la guerre civile, à montrer combien l’exode massif de 1939 aurait pu être anticipé et pourquoi la France a fait le choix de l’abandon programmé avant d’ouvrir ses portes aux réfugiés sous la pression des événements.
- 1 La Dépêche, 10 octobre 1934.
- 2 La Dépêche, 11 janvier et 12 février 1936.
- 3 Voir Yves Denéchère, La politique espagnole de la France de 1931 à 1936. Une pratique fran (...)
4La guerre civile espagnole a tout de suite été perçue comme une tragédie de première ampleur par la population française. Les informations propagées par la radio et surtout par les médias locaux, à commencer par la presse écrite, permettent de se rendre compte de la dégradation du climat politique depuis les élections de février 1936 qui ont été marquées par la victoire du Front populaire. C’est le cas notamment de La Dépêche qui dispose depuis de nombreuses années de correspondants permanents dans la péninsule ibérique et qui couvrait les événements d’Espagne avec un intérêt tout particulier depuis l’avènement de la Seconde République en avril 1931. Leur inquiétude ne fait cependant que croître au fil des années et des péripéties politiques que traverse le pays voisin, notamment lors du soulèvement des Asturies en octobre 19341. Deux ans plus tard, le scepticisme, quant à l’avenir de la démocratie en Espagne, semble plus fort que jamais en dépit du climat général plutôt détendu à la veille du vote et des sympathies affirmées du quotidien pour la cause républicaine2. Les rapports officiels émanant des représentants diplomatiques ne sont guère plus réconfortants que les nouvelles des correspondants de presse, à en juger par les rapports circonspects de l’ambassadeur Jean Herbette, loin pourtant de dramatiser la situation3.
- 4 DDF (Documents Diplomatiques Français), Tome III, 19 juillet 1936, doc. n° 1.
- 5 José Maria Borras Llop, Francia ante la guerra civil española : Burguesía, interés naciona (...)
5La situation change radicalement bien sûr avec l’aggravation que constitue le soulèvement militaire du 18 juillet 1936. Bien qu’encore prudent sur l’issue de l’insurrection, en raison de l’échec retentissant qui avait suivi la tentative précédente du mois d’août 1932, la fameuse Sanjurjada, il ne fait aucun doute pour l’ambassadeur que la République espagnole se trouve à la croisée des chemins4. Mais Herbette veut croire encore, contrairement à une grande partie de la presse française, notamment la presse patronale toujours prompte à dénoncer les dangers du Front populaire en Espagne comme en France5, que le nouveau gouvernement Giral sera en mesure de rétablir l’ordre et de garantir le fonctionnement normal de la jeune démocratie.
6La réalité s’avère tout autre cependant par suite de la poussée des troupes rebelles au Pays basque et en Navarre, et surtout de la répression brutale qui s’abat dans la zone désormais sous contrôle des nationalistes. Le rapport en date du 23 octobre rédigé par Jean Herbette témoigne précisément de la dérive dangereuse des réactions en Navarre dans les premiers jours de la guerre civile :
- 6 Récit des premiers jours de la guerre civile à Pampelune par notre Agent consulaire dans c (...)
Les arrestations des personnes en vue qui appartenaient aux organisations de l’UGT (Union Générale des Travailleurs), de la CNT (Confédération Nationale des Travailleurs) et de la Gauche républicaine ont commencé dès les premières heures. Ensuite, ces arrestations eurent lieu par groupes dans les buvettes et les bars. Les prisons de la ville et des villages se trouvèrent bientôt remplies. De nombreuses personnes ont fui. En même temps, les visites domiciliaires se multiplient. Ces arrestations et ces visites étaient effectuées par les organisations carlistes et fascistes sans aucun contrôle. […] Plus tard, des bruits ont couru suivant lesquels on avait découvert chez certains membres des partis extrémistes des documents complets concernant un soulèvement prochain, avec des listes de personnes de droite qui devaient être tuées dans la province. […] Ces bruits coïncidaient avec les premières victimes du front de combat et les nouvelles publiées dans les journaux sur des atrocités commises à Barcelone, Madrid, etc., créèrent un état exceptionnel de passion. À partir de ce moment, on a commencé à fusiller partout6.
- 7 Hugh Thomas, La guerre d’Espagne, Robert Laffont “Bouquins”, Paris, 1985, p. 293.
7Pour la population française qui observe le déchaînement de la violence dans un camp comme dans l’autre, la guerre civile prend bientôt une dimension plus concrète, à la suite de l’offensive du mois d’août 1936 en Guipúzcoa, au Pays basque. Les bombardements perpétrés par la marine républicaine ainsi que par l’aviation rebelle équipée par l’Allemagne nazie sur Irun et Saint-Sébastien entraînent la mort de plusieurs civils et un élan de panique au sein de la population. Comme l’écrit Hugh Thomas, « la bataille fut livrée sous un soleil de plomb et à si faible distance de la frontière française, que Beorlegui [le commandant des forces nationalistes] dut interdire à ses hommes de faire feu dans la direction de l’est7».
- 8 Mola n’hésite pas à déclarer publiquement à la radio : « Ni de reddition, ni d’embrassade (...)
- 9 Cité dans “L’accueil des réfugiés espagnols en Béarn et en Soule de 1936 à 1940”, Les Espa (...)
8Qu’il s’agisse de la répression brutale légitimée par le général Mola en ce même mois d’août8 ou de l’épouvante causée par l’avance des troupes insurgées et la crainte des bombardements, on observe ainsi dans les semaines qui suivent le déclenchement du coup d’État une première vague d’exode en direction de la frontière française. Bien qu’il s’avère difficile de fournir des chiffres très précis faute d’études approfondies sur ce premier mouvement de population, on peut estimer à quelques milliers le nombre de celles et ceux qui furent contraints de franchir la frontière entre juillet et septembre 1936. En Béarn, c’est à Laruns que l’on accueille les premiers réfugiés dès le 19 juillet, dont notamment le député socialiste de Jaca, Borderas, le maire de la même ville, ainsi que celui de Canfranc, qui n’ont dû la vie sauve qu’à leur présence d’esprit : « Ils travaillaient à la mairie lorsque les soldats l’envahirent. Sans perdre une minute, [ils] sautèrent dans une auto et filèrent bon train vers la frontière, n’emportant absolument rien. […] Peu après, les ordres d’arrestation étaient reçus, mais les réfugiés avaient déjà pris pied en territoire français9… ».
- 10 L’Illustration, 12 et 19 septembre 1936.
- 11 Javier Rubio, “La politique française d’accueil : les camps d’internement”, Exils et migra (...)
9Si l’on dénombre près de 240 réfugiés dans les seuls convois qui parviennent à Pau début septembre, il est vraisemblable que plusieurs centaines, et sans doute même plusieurs milliers de Républicains espagnols parviennent à gagner le territoire français par terre depuis Hendaye, Irun et Saint-Sébastien évacuées dans la précipitation par les soldats et combattants de la république, mais aussi par mer en ce qui concerne les provinces cantabriques qui se retrouvent bientôt isolées du point de vue territorial10. Dès septembre, des expéditions nombreuses gagnent les côtes françaises, notamment les ports de Gironde, à l’initiative des autorités françaises qui souhaitent canaliser et encadrer cet afflux important de population11.
10Il en va de même de l’autre côté des Pyrénées, en Aragon et surtout en Catalogne, où plusieurs milliers de personnes, notamment des prêtres, des religieuses et des familles étiquetées de droite, cherchent à se réfugier en territoire français pour échapper à la vindicte populaire et aux règlements de compte nés du soulèvement militaire. Car comme le constate L’Illustration avec une certaine tristesse le 22 août :
- 12 L’Illustration, 22 août 1936.
La guerre civile se développe en Espagne avec, de part et d’autre, un égal héroïsme, avec aussi, hélas ! une férocité progressive : vraiment il semble que l’on revienne à la barbarie des vieux siècles, à la terrible croisade des Albigeois, ou au fanatisme sanglant des guerres de Religion. La tragédie espagnole se déshonore par ses massacres d’otages, par ses exécutions en masse de vaincus. Des deux côtés, c’est le même prétexte : représailles12.
- 13 Bartolomé Bennassar, La guerre d’Espagne et ses lendemains, Perrin, Paris, 2004, pp. 352-3 (...)
- 14 Les ordres de la C.N.T.-F.A.I. du 25 juillet disaient très précisément : « Les bas-fonds d (...)
11Selon Bartolomé Bennassar, qui parle à juste titre d’un oubli de l’exode « droitier », il y avait plus de 2 000 réfugiés en Andorre dès la fin du mois d’août, tandis que plusieurs centaines d’Espagnols parviennent également à gagner les ports français de Port-Vendres, de Marseille ou de Sète par mer13. Encore faut-il ajouter que les violences perpétrées en zone républicaine, bien qu’aussi condamnables, résultent le plus souvent d’actes isolés, sporadiques, souvent liés aux soulèvements manqués à Barcelone et à Valence, par exemple, et que très vite les ordres sont donnés par la FAI (Fédération Anarchiste Ibérique) et la CNT afin d’éradiquer les actes de violence si contraires aux principes révolutionnaires, attitude qui contraste fondamentalement avec celle des ordres donnés par Franco et Mola14.
- 15 Geneviève Dreyfus-Armand, L’exil des républicains espagnols en France. De la Guerre civile (...)
12Au total, ce sont près de 15 000 individus qui parviennent en France à l’automne 1936, nombre de civils bien sûr, mais surtout des milliers d’hommes mobilisables qui s’empressent de regagner l’Espagne par la Catalogne et l’Aragon pour poursuivre le combat contre les rebelles15.
- 16 Comme le note Gérard Noiriel, la ratification des accords internationaux ne signifie nulle (...)
- 17 La loi promulguée par Louis-Philippe en juillet 1839 interdisait précisément l’installatio (...)
- 18 Javier Rubio, op. cit., pp. 113-114.
13Ce premier exode permet de prendre la mesure du conflit qui se déroule à portée de jumelles des militaires et autres gendarmes stationnés sur la frontière, et de mettre en place le cadre administratif légal qui servira de référence à l’accueil de nouveaux émigrants. Si les relations franco-espagnoles sont toujours régies selon l’ancien accord du 7 janvier 1862, en ce qui concerne les échanges de population, ce dernier ne faisait pas explicitement référence ni aux ouvriers agricoles et industriels, de loin les plus nombreux parmi les réfugiés espagnols, ni aux exilés politiques. Cependant, les engagements internationaux souscrits par la France lui enjoignent d’accueillir les ressortissants étrangers et de surseoir à toute mesure de refoulement ou d’expulsion, ce que confirment les premières instructions envoyées aux préfets des départements frontaliers les 20 juillet et 6 août 193616. En réalité, comme le note Javier Rubio, ces premiers pas réglementaires permettent au gouvernement français de fixer dès les premières semaines les deux principes fondamentaux auxquels la politique d’accueil des réfugiés espagnols devra se conformer au cours des années ultérieures. Le premier vise à favoriser le plus possible le retour en Espagne de tous celles et ceux qui le désirent, en leur laissant même la liberté de choisir l’endroit par lequel s’effectuera le franchissement de la frontière. Mais la possibilité de résider provisoirement en France est aussi garantie par ce même principe pour des raisons humanitaires et parce qu’il devait être tenu compte des non combattants, notamment les femmes, les enfants et les vieillards, extérieurs, si l’on peut dire, à la guerre civile. Le second principe, qui rappelle la jurisprudence en application depuis les guerres carlistes, visait à éloigner les populations réfugiées de la zone frontalière pour des raisons à la fois politiques et matérielles. En effet, du fait de la présence d’opposants politiques aux portes de l’Espagne, qu’il s’agisse des partisans de Don Carlos au XIXe siècle17, des républicains et anarchistes espagnols jusqu’en 1931 ou maintenant des combattants du Front populaire, tout devait être fait pour éviter le moindre différent avec les autorités espagnoles en place ou toute implication directe dans le conflit. Mais l’éloignement de la frontière répondait aussi tout bonnement à des considérations pratiques, principalement la nécessité de distribuer plus équitablement le poids de l’exil espagnol pour éviter que les départements frontaliers assument seuls cette charge nouvelle18.
- 19 Voir par exemple César Vidal, La guerra de Franco. Historia militar de la guerra civil esp (...)
- 20 L’Illustration, 4 septembre 1937.
- 21 Geneviève Dreyfus-Armand souligne à juste titre que Javier Rubio, l’un des meilleurs spéci (...)
- 22 Bennassar, op. cit., p. 356.
14Après l’échec de la prise de Madrid par les forces rebelles à l’hiver 1936, l’effort militaire va surtout se porter sur le Pays basque au cours de l’année suivante. Séparé territorialement de sa base républicaine et d’une importance vitale sur le plan stratégique en raison de son potentiel économique, le Nord de l’Espagne va subir une vague d’offensives en Biscaye qui conduit à la destruction de Durango dès le premier jour de l’attaque, le 31 mars 1937, et surtout de Guernica, le 26 avril, puis finalement à la chute de Bilbao, le 18 juin, en dépit de la Ceinture de Fer (Cinturón de Hierro) estimée imprenable19. Au cours des semaines qui suivirent des dizaines de milliers d’Espagnols, peut-être 120 000 selon Javier Rubio, fuirent la région Nord par la mer sur les toutes les embarcations disponibles – barques, chalutiers, bateau dragueur… – d’abord du Pays basque, puis de Santander20, pour rejoindre les ports français de Bordeaux, Pauillac, La Rochelle et même Lorient. Tout comme la première vague de 1936, les études manquent pour dire avec exactitude quelle fut l’importance réelle de cette vague de réfugiés, tant les estimations ont fluctué21. Une certitude cependant, le mouvement est de bien plus grande ampleur qu’au cours de l’été précédent et la volonté de combattre les troupes rebelles intacte en dépit des lourdes pertes infligées par l’ennemi, quelque 45000 victimes au combat depuis la fin du mois de mars 1937. En Ariège, par exemple, où se réfugient de nombreux républicains espagnols fin juin, près de 85 % des combattants affirment vouloir retourner se battre au plus vite22.
- 23 L’Illustration, 17 juillet 1937.
- 24 Voir par exemple Serge Wolikow, Le Front populaire en France, Éditions Complexe, Bruxelles (...)
15Ces événements ne sont pas sans conséquence pour la France, autant sur le plan intérieur qu’extérieur. Concrètement, l’arrivée massive des Républicains espagnols est diversement appréciée par une opinion fortement marquée par la crise économique et la xénophobie ambiante. La si pudiquement nommée “question espagnole” tient en effet une place de plus en plus prégnante au fur et à mesure que la guerre civile s’inscrit dans la durée. Comme le souligne Robert de Beauplan du quotidien L’Illustration le 17 juillet 1937, « il y aura aujourd’hui un an que la guerre d’Espagne a commencé, et l’on ne peut encore, à l’heure actuelle, formuler aucun pronostic sur son issue»23. Ce constat est également partagé par le gouvernement de Front populaire soumis à des remous intérieurs croissants qui entraînent la chute de Léon Blum en juin 1937 et son remplacement par Camille Chautemps. Les événements d’Espagne sont d’ailleurs directement responsables de cette chute, car la politique de non-intervention vouée hélas ! à l’échec dès le départ suscite de vives oppositions de la part du PCF, mais aussi au sein de la SFIO et du Parti radical pourtant au pouvoir24. Pour Jacques Duclos, qui s’exprime dans L’Humanité le 15 janvier 1937, la menace fasciste est réelle :
- 25 Jacques Duclos, Mémoires. 1935-1939. Aux jours ensoleillés du Front populaire, Fayard, Par (...)
Dans sa haine de la République espagnole et tant est grand son dévouement à Hitler, la réaction n’hésite pas à dénaturer Mein Kampf qui déclare cependant catégoriquement que « la France abâtardie et enjuivée » est l’ennemi héréditaire qu’il faut abattre « quels que soient ses dirigeants ». Il nous faut dire aussi que la réaction a mené campagne contre l’Espagne républicaine avec de singuliers concours pour essayer de faire croire que le Parti communiste voulait la guerre. On a baptisé intervention ce qui était le souci du respect du droit international, on a baptisé volonté de guerre ce qui était l’expression de la plus grande clairvoyance politique, pour le maintien et le renforcement de la paix. […] Soucieux du maintien de la paix, c’est-à-dire en particulier de l’indépendance de la République espagnole et de la sécurité de la France, mais également préoccupés du maintien du Front populaire, que les ennemis de notre peuple veulent à tout prix abattre, nous avons proclamé : TOUT POUR L’ESPAGNE RÉPUBLICAINE ! TOUT POUR LE FRONT POPULAIRE !25
- 26 Pierre-Jean Deschodt et François Huguenin, La république xénophobe, 1917-1939. De la machi (...)
- 27 Rubio, op. cit., p. 114 ; Dreyfus-Armand, op. cit., pp. 38-39.
- 28 Ibid., p. 150.
16L’idéal de solidarité vis-à-vis des Républicains espagnols est cependant mis à mal par les mesures administratives adoptées depuis avril 1937 avec le renforcement des contrôles sur la frontière pyrénéenne et surtout le rétablissement du visa consulaire qui autorise le refoulement des personnes qui en sont dépourvues. En mai, l’adoption de l’instruction sur l’hébergement des réfugiés espagnols introduit des limitations certaines à la politique d’accueil adoptée par le Front populaire. On affirme certes toujours la volonté de l’État de « remplir complètement ses devoirs d’humanité », mais aussi celle de « maintenir strictement l’ordre public sur son territoire », d’interdire la libre mobilité des populations hors des départements d’accueil, notamment vers l’un des départements frontaliers, et de refuser le financement officiel des camps d’hébergement26. Cette politique de durcissement ne se ralentit pas avec le changement de gouvernement, bien au contraire, car ce dernier n’affecte pas le ministre de l’Intérieur en poste, Marx Dormoy, ni ses orientations restrictives. Ainsi, le « rapatriement obligatoire de tous les réfugiés espagnols, les malades exceptés », c’est-à-dire non plus seulement les hommes, mais aussi les femmes et les enfants, est-il mis en œuvre le 29 septembre 1937 sans attendre. L’explication tient sans doute au nombre élevé de républicains espagnols installés en France, de 50 à 60 000 au début de l’automne, qui représentent une lourde charge pour l’État français et les municipalités chargées d’accueillir de gré ou de force ces réfugiés. Déjà 13 millions de francs ont été débloqués par le gouvernement Blum en faveur des républicains espagnols auxquels s’ajoutent 55 millions supplémentaires au cours de l’année 193727. Toutefois, les réactions d’hostilité à un tel recul des principes républicains venus des rangs pro-gouvernementaux contribuent à adoucir ces mesures radicalesgrâce à une nouvelle directive, en date du 27 novembre, qui autorise les réfugiés à résider en France sous réserve qu’ils disposent de ressources pécuniaires suffisantes ou soient recueillis par des personnes tierces, « exception faite toutefois pour les femmes, les enfants, les vieillards et les malades qui peuvent encore être hébergés aux frais des collectivités publiques28. »
- 29 Voir Jean-François Berdah, La démocratie assassinée. La république espagnole et les grande (...)
- 30 DDF, Tome V, 4, 12 et 19 mars 1937, documents n° 66, 95 et 129.
- 31 DDF, Tome V, 25 mars 1937, document n° 174.
17La présence croissante des républicains espagnols en France n’est pas non plus sans lien avec le contexte international, dans la mesure où le passage de la frontière française devient un enjeu essentiel des discussions au sein du Comité de non-intervention29. Cela fait déjà plusieurs mois, en effet, que les puissances représentées s’efforcent en vain de neutraliser le conflit espagnol, c’est-à-dire d’empêcher toute ingérence extérieure. Le retrait des volontaires engagés dans les brigades internationales inquiète particulièrement le gouvernement français, comme le démontrent plusieurs rapports en provenance de Rome et de Valence en mars 1937, en raison des risques potentiels de dérapage30. Mais l’urgence de garantir la neutralité extérieure grâce à un système de contrôle des frontières s’impose tout autant que le retrait des volontaires étrangers. Comme tente de l’expliquer Charles Corbin, l’ambassadeur de France à Londres, à son homologue espagnol, Pablo de Azcárate : « C’est le contrôle en effet qui peut seul empêcher le gouvernement italien de continuer à faire passer des renforts en hommes et en matériel dont l’effet est d’éterniser le conflit. Une fois le contrôle pratiquement réalisé – ajoute-t-il – le gouvernement anglais ne se montrera pas moins disposé que nous à user de tous les moyens propres à résoudre le problème des volontaires31. »
- 32 DDF, Tome VI, 16 juillet 1937, document n° 240.
- 33 Berdah, op. cit., pp. 314-315 ; L’Illustration, 18 septembre 1937.
- 34 François Martin, Les Républicains espagnols en Ariège (1939-1945), Maîtrise, Université de (...)
18La crise provoquée par le bombardement du croiseur allemand Leipzig, les 15 et 18 juin suivants, n’est pas loin justement d’entraîner l’Allemagne nazie dans une guerre ouverte contre la République espagnole et de provoquer un enchaînement guerrier incontrôlable. D’où l’accélération du processus diplomatique qui allait conduire quelques semaines plus tard à l’adoption d’un compromis britannique comme base de discussion32, puis à la signature des accords de Nyon, le 14 septembre, qui devaient mettre fin aux violations répétées du droit international en Méditerranée33. Si ce « plan méditerranéen » a surtout des implications maritimes, il est clair que la contrebande de guerre et le passage de volontaires s’effectuent aussi par voie terrestre, ce qui conduit dès le mois de novembre à l’installation d’un véritable plan de barrage destiné, selon son promoteur Marx Dormoy, à assurer la plus parfaite étanchéité des frontières. Dans le cas du département de l’Ariège, directement concerné par cette mesure, les autorités militaires et civiles se répartissent les rôles pour garantir l’efficacité des décisions ministérielles avec la mobilisation des gardes républicains mobiles, des unités d’infanterie et des réserves mobiles au sein d’un réseau maillé profond de 80 kilomètres34.
- 35 Bennassar, op. cit., p. 360.
19Le problème des réfugiés espagnols ne va pas cependant trouver de remède au cours de l’année 1937, ni même l’année suivante en 1938, en dépit des reconduites à la frontière forcées ou imposées. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’attitude des autorités françaises. Peut-elle se justifier, comme le pense Bartolomé Bennassar, par la liberté de passage de la frontière ou parce que « l’issue du conflit demeure très incertaine35» [sic] ? Cela reste très discutable, notamment à lire les intentions de Marx Dormoy qui affirme en septembre 1937 : « J’ai décidé de les mettre en demeure de quitter notre territoire ». Au reste, il n’était pas nécessaire le plus souvent de forcer les choses tant l’esprit combatif était encore présent chez la plupart des hommes, notamment les éléments révolutionnaires les plus actifs et aussi les plus indésirables. Par ailleurs, le passage de la frontière ne s’avère pas si facile depuis que le gouvernement républicain pratique un strict contrôle des entrées destiné à éradiquer la « cinquième colonne » nationaliste :
- 36 DDF, Tome VIII, 12 février 1938, document n° 150, p. 311.
À la sortie comme à l’entrée, il faut franchir maintenant cinq ou six barrages avec de multiples vérifications douanières, administratives, policières, etc. Dans une zone de vingt kilomètres depuis la frontière française, la population a été évacuée. Nul n’a le droit de circuler sans les justifications les plus complètes et sous peine des sanctions les plus graves. Le départ de l’Espagne des ressortissants espagnols est pratiquement interdit. L’entrée des étrangers est subordonnée à de multiples enquêtes et des instructions presque prohibitives ont été adressées aux ambassades et aux consulats. À la sortie, l’on doit se présenter maintenant au commissariat général des ports et des frontières cinq jours avant la date de départ proposée, et, uniquement pour toute l’Espagne, à Barcelone36.
- 37 Vidal, op. cit., pp. 307-324.
- 38 José Cubero, Les Républicains espagnols, Cairn, Pau, 2003, pp. 37, 40-42.
- 39 DDF, Tome IX, 30 mars 1938, document n° 89 ; L’Illustration, 26 mars et 9 avril 1938.
20La “question espagnole” reste donc entière au début de l’année 1938, non seulement parce que les volontaires étrangers ne peuvent quitter la zone républicaine, mais aussi parce qu’il serait périlleux de les pousser à partir tandis que les Allemands et les Italiens n’ont aucune intention d’agir de même, si ce n’est après la victoire finale de Franco ! Plus grave encore, l’offensive qui se produit en Aragon à partir de l’hiver 1937 et culmine avec la bataille de Teruel en janvier-février 193837 conduit à une troisième vague d’exode vers la France de la part d’une partie de l’armée républicaine, notamment la 43e division rejetée dans la poche de Bielsa par l’armée nationaliste, qui compte près de 7 000 hommes. En contradiction avec les ordres officiels qui imposent toujours le barrage de la frontière, les solidarités s’organisent côté français pour venir en aide aux soldats et surtout aux populations civiles de la vallée de la Cinca, notamment au sein de l’union départementale de la CGT. Des convois sont organisés pour expédier en territoire espagnol denrées alimentaires et médicaments, mais les bombardements perpétrés par l’aviation franquiste poussent finalement miliciens et civils à se réfugier dans les Hautes-Pyrénées françaises, notamment à Arreau, Argelès-Gazost et Luz-Saint-Sauveur38. L’inquiétude gagne bien sûr le ministère des Affaires étrangères informé des événements par le lieutenant-colonel Morel, l’attaché militaire en poste à Barcelone, ainsi que l’opinion française qui se fait l’écho des combats et de l’exode vers la France des républicains espagnols39, mais là encore les rapatriements vers la Catalogne (ou parfois vers l’Espagne nationaliste) sont massifs, comme le montrent les photos prises en gare de Luchon.
- 40 Édouard Bonnefous, Histoire politique de la Troisième République. T. 6. Vers la guerre : D (...)
- 41 Le chef des informations au Quai d’Orsay, Pierre Comert, alla jusqu’à dire publiquement : (...)
- 42 Voir Joseph Paul-Boncour, Entre deux guerres. Souvenirs sur la IIIe République. Sur les ch (...)
21C’est pourtant dans ce contexte (ou plutôt en raison de ce dernier) que le gouvernement de Front populaire accepte le 17 mars de réouvrir la frontière à la demande du président du Conseil socialiste, Juan Negrín, venu plaider la cause de l’Espagne républicaine. La frontière avait été fermée par Camille Chautemps après le départ des ministres socialistes et la constitution d’un nouveau cabinet le 19 janvier 1938, et l’on pouvait mesurer clairement les conséquences catastrophiques de cette décision sur la capacité de résistance de l’armée républicaine en Aragon dès lors que les livraisons d’armes en provenance d’Union soviétique se trouvaient brutalement taries40. Le revirement surprenant des autorités françaises s’expliquait fondamentalement par le retour de Léon Blum à la tête du gouvernement depuis le 13 mars et la volonté exprimée par ce dernier de répondre à la politique expansionniste de l’Allemagne nazie par un geste de solidarité à l’égard de l’Espagne. En d’autres termes, s’il était trop tard pour sauver l’Autriche, il était encore possible de faire quelque chose pour l’Espagne et la Tchécoslovaquie, également menacée41. Les arguments développés par Juan Negrín ne pouvaient d’ailleurs qu’inciter Léon Blum et le nouveau ministre des Affaires étrangères, Joseph Paul-Boncour42, à soutenir les demandes républicaines :
- 43 Cité dans Pascal Krop, Les secrets de l’esprionnage français de 1870 à nos jours, Payot, P (...)
Quand donc les nations démocratiques comprendront-elles que l’Espagne lutte aussi pour elles et pour la liberté ? L’effort entrepris pour organiser une armée efficace avec des chefs de valeur a permis d’obtenir des victoires comme celles de Teruel […] Au milieu de l’Empire français, sur les routes de l’Empire anglais, elle constituera un élément décisif dans le rapport des forces qui se construisent et se balancent aujourd’hui, qui s’affronteront demain dans une lutte pour l’avenir de l’Europe et pour la forme de civilisation […]. Mais ceci ne sera possible qu’avec l’aide des amis. Si cette aide était refusée, il faudrait forger la victoire dans des “flots de sang”. Comment n’en resterait-il pas de l’amertume ? Le peuple espagnol ne contemplera-t-il pas alors d’un œil sec les épreuves qui seront inévitablement imposées plus tard à la France?43
- 44 DDF, Tome IX, 25 mars 1938, document n° 48.
- 45 Voir Bonnefous, op. cit., p. 237 et 415.
- 46 Ibid., pp. 289-305.
22L’ouverture de la frontière n’eut pas d’effets concrets ni durables. D’une part, parce que l’approvisionnement en armes des forces légalistes ne s’améliora nullement, comme le démontrent les propos du ministre des Affaires étrangères, José Giral, le 24 mars, qui s’inquiète de l’arrêt des livraisons soviétiques : « … il est indéniable que l’Espagne républicaine, depuis le début de l’offensive d’Aragon, c’est-à-dire depuis plus de deux semaines, n’a pas reçu et ne reçoit pas les envois massifs et immédiats qu’elle a déclarés indispensables et qu’elle réclame depuis le premier jour de la bataille décisive. Pourquoi, se demande M. Giral, l’URSS ne nous a-t-elle rien fourni en aviation depuis près d’un an ? Pourquoi, depuis la terrible menace que fait peser sur l’Espagne républicaine l’offensive italo-allemande en cours, ne paraît-elle vouloir ou pouvoir réagir et ne fournit-elle à peu près rien44? » D’autre part, parce que la seconde expérience Blum était vouée à l’échec dès le départ – le président Lebrun n’avait-il pas exprimé son désir de mettre un terme final au Front populaire dès le mois de janvier45? – et que ses jours étaient comptés. De fait, la pression sociale grandissante, les divisions politiques et l’hostilité manifeste du Sénat à l’égard des projets financiers de Léon Blum allaient précipiter sa chute le 10 avril et ouvrir la voie à un second gouvernement Daladier deux jours plus tard46.
- 47 Ibid., pp. 305-308.
- 48 Il devait se justifier ses nouvelles orientations après guerre dans les termes suivants : (...)
- 49 Berdah, op. cit., pp. 384-386.
- 50 Ibid., pp. 287-289 ; 386-387.
23Cette nouvelle crise gouvernementale, outre qu’elle mettait fin de façon définitive à l’expérience du Front populaire, annonçait un net revirement d’attitude vis-à-vis de la République espagnole avec la disparition des éléments socialistes au sein du nouveau cabinet et le déplacement de son centre de gravité vers la droite47. La nomination de Georges Bonnet à la tête du ministère des Affaires étrangères ne fit que confirmer les appréhensions légitimes de Barcelone à ce propos, car son antipathie peu douteuse pour le Front populaire alliée à la conviction de la faiblesse française face à l’Allemagne ne pouvaient qu’induire des décisions contraires aux intérêts de la République48. Pour Georges Bonnet, la politique française menée en Espagne ne peut être dissociée de celle menée en Méditerranée de manière plus globale, notamment vis-à-vis de l’Italie de Mussolini, pour des raisons qui ne sont pas seulement idéologiques ; il convient, autrement dit, de tout tenter pour neutraliser l’Espagne nationaliste, éloigner la menace italienne et allemande de la péninsule ibérique et enfin détacher l’Italie de l’Allemagne, en accord avec la politique d’appeasement prônée par Lord Halifax, qui vient de remplacer Anthony Eden à la tête du Foreign Office49. La signature des accords anglo-italiens du 16 avril 1938 signifiant la reconnaissance de jure de l’annexion italienne de l’Éthiopie et la présence en zone nationaliste d’un agent diplomatique britannique depuis le mois de novembre 193750 ne pouvaient qu’encourager le ministre radical à suivre cet exemple. La rupture territoriale du camp républicain depuis le 14 avril, avec l’arrivée à Vinaroz de l’avant-garde nationaliste, permet justement d’envisager discrètement l’abandon de la République espagnole au bénéfice d’un rapprochement avec l’Espagne de Franco. Comme l’écrit Lasmatres, consul général de France à Saint-Sébastien et éminence grise de Bonnet en zone rebelle :
- 51 DDF, Tome IX, 19 avril 1938, document n° 201. Lasmartres devait enfoncer le clou ce même j (...)
Notre intérêt nous commanderait donc d’être présents à Burgos avant la prise de Barcelone par l’armée nationaliste et, surtout, avant que les troupes du général Solchaga, qui opèrent dans la région pyrénéenne, n’interceptent complètement les communications entre la France et l’Espagne par la frontière franco-catalane. Il ne faudrait pas que Burgos puisse dire que la cessation du ravitaillement des gouvernementaux, en armes et munitions, par cette voie, est son fait et que, jusqu’au dernier moment, contre toutes les assurances d’une neutralité effective, nous avons facilité le ravitaillement51.
- 52 Ángel Viñas, “Las relaciones hispano-francesas, el gobierno Daladier y la crisis de Munich (...)
- 53 Berdah, op. cit., pp. 395-396 ; DDF, Tome IX, 31 mai 1938, document n° 490.
- 54 Léon Blum critiqua vivement cette mesure dans son éditorial du Populaire intitulé Action a (...)
24Dans ces conditions, et pratiquement accusé par Londres, « en autorisant le transit sur son territoire de matériel en provenance d’autres pays […] de prolonger inutilement une guerre cruelle avec toutes ses terribles conséquences52», le gouvernement français, en la personne de Daladier et Bonnet, devait décider la fermeture de la frontière franco-espagnole le 26 mai. Concrètement, celle-ci ne devint complètement étanche que le 13 juin suivant, par crainte de réactions hostiles de l’opinion publique et aussi parce qu’il était peu concevable « que la France fût seule à agir si l’Italie ne prenait pas elle-même des mesures établissant clairement sa bonne foi et son intention de renoncer définitivement à son emprise sur l’Espagne53» ; mais le mal était fait, et comme l’envisageait le consul Lamastres, la chute du front de Catalogne et de Barcelone, sans approvisionnements extérieurs en armes, n’était plus qu’une question de semaines54. En prenant une telle décision, le gouvernement Daladier s’exposait pourtant à un autre risque, celui de voir le camp républicain se replier en masse vers ses frontières et d’engendrer ainsi un mouvement de population sans précédent. Déjà le 19 avril l’ambassadeur de France, Erik Labonne, avait conclu que :
- 55 DDF, Tome IX, 19 avril 1938, document n° 205.
Si donc une telle lutte devait se dérouler à nos portes, si l’incendie devait faire rage à quelques kilomètres de notre frontière, les risques que la France a déjà encourus dans l’affaire espagnole n’en seraient point diminués, non plus que les possibles complications internationales. De même si la lutte devait prendre un tel caractère, les exodes de population et de troupes, qui ont eu lieu déjà dans les Hautes-Pyrénées et dans l’Ariège, se reproduiraient sans doute dans les Pyrénées-Orientales et sur une tout autre échelle55.
- 56 Jordi Planes, “Les Français jugés par les réfugiés catalans”, Les Français et la guerre d’ (...)
- 57 Thomas, op. cit., p. 671.
25Le préfet des Pyrénées-Orientales ne dit pas autre chose le 23 avril lorsqu’il évoque « l’exode en masse qui se produira vers la frontière française », ajoutant « que l’exode sera massif » et son ampleur « difficile d’évaluer d’avance56. » La question se pose avec d’autant plus de raison que près de 25 000 personnes ont déjà franchi la frontière depuis l’effondrement du front d’Aragon et qu’au moins 10 000 d’entre elles sont restées en France. Par ailleurs, si l’on dresse le bilan des dépenses financières consenties par l’État français depuis 1936, on atteint la somme considérable de 88 millions de francs. Autant de considérations qui amènent les autorités françaises à trouver une solution alternative à l’accueil en masse des réfugiés espagnols sur le territoire national57.
- 58 Vidal, op. cit., pp. 351-389. Sur la question du rapatriement des soldats étrangers et l’a (...)
- 59 Juan Ávilés Farré, Pasión y farsa. Franceses y Británicos ante la guerra civil española, E (...)
- 60 DDF, Tome XIII, ibid.
- 61 DDF, Tome XIII, 26 janvier 1939, document n° 430. Les raisons invoquées étaient les suivan (...)
26C’est l’effondrement annoncé de la Catalogne en décembre 1938 après la bataille de l’Èbre et le repli précipité de l’armée populaire depuis Barcelone en janvier 1939 qui vont en réalité créer les conditions requises à la prise de décision française58. Alerté par Julio Álvarez del Vayo, le ministre des Affaires étrangères républicain, de la situation inquiétante causée par « l’évacuation de Barcelone de 150 000 personnes, vieillards, femmes et enfants », Georges Bonnet va proposer le 24 janvier en guise de solution non pas d’accueillir en France cette multitude, comme cela avait demandé par l’intermédiaire de Marcelino Pascua59, mais « de seconder la création d’une zone neutre à proximité de la frontière française, et à collaborer au ravitaillement de la population civile qui se réfugierait dans cette zone60». Cette hypothèse s’avéra néanmoins chimérique, car comme devait l’expliquer Marcelino Pascua deux jours plus tard, une « analyse approfondie de la situation » montrait clairement que le gouvernement républicain était dans « l’impossibilité absolue de pouvoir mener à bien une telle suggestion61 ».
- 62 Berdah, op. cit., pp. 421-422.
27La conséquence fatale qui en découla fut bien sûr un afflux massif de population aux abords de la frontière au lendemain de l’occupation de Barcelone par les forces franquistes le 26 janvier. Du reste, le gouvernement républicain avait déjà évacué la capitale catalane pour Figueras trois jours plus tôt, laissant derrière lui une ville accablée par les bombardements et désireuse de voir la guerre se terminer au plus vite62. La traversée de Gérone en direction du nord confirme justement l’état chaotique de la situation et l’effondrement moral de la population. Le témoignage de Julián Zugazagoitia, ex-ministre de l’Intérieur et sous-secrétaire d’État à la Guerre sous les ordres de Juan Negrín depuis la défaite de Teruel, est à cet égard édifiant :
- 63 Julián Zugazagoitia, Guerra y vicisitudes de los españoles, Crítica, Barcelone, 1977, pp. (...)
La vision de Gérone me confirma dans mon pessimisme. Quelle autre forme que celle-ci prennent les défaites ? L’État, dans sa forme la plus misérable, était éparpillé dans les rues et sur les places. Archives, tables, chaises, et dans le même degré d’abandon les ministres, les sous-secrétaires, les chefs d’administration et la masse anonyme, en groupes, des bureaucrates dont la précipitation du voyage, la veillée et le froid avaient ôté tout maintien. […] Il m’était impossible de modifier l’angoissante sensation d’un écrasement irrémédiable face à une situation si chaotique comme celle que j’avais constamment sous les yeux. Tout le prestige du gouvernement, seule source de confiance, était, tout comme son appareil administratif, brisé, déconnecté et sans chair63.
- 64 Ibid., p. 509.
- 65 L’Illustration, 11 février 1939.
- 66 Emmanuelle Salgas, “L’opinion publique et les représentations des réfugiés espagnols dans (...)
28L’arrivée à Figueras présente un aspect plus dramatique encore avec sa cohorte de réfugiés qui transforme cette petite ville en « immense campement civil et militaire qui s’avère impraticable non seulement pour les véhicules, mais aussi pour les personnes64». L’installation ne sera de toute façon que très temporaire, car la progression inexorable des troupes franquistes et les bombardements aériens conduisent à l’évacuation de la forteresse de Figueras le 4 février. Entre-temps, le grand exode vers la frontière et donc vers la France a pris des proportions impressionnantes, conformément aux estimations formulées par Marcelino Pascua quelques jours plus tôt. Dès le 27 janvier, ce sont des milliers de personnes qui se présentent aux postes-frontière, mais les ordres sont appliqués de manière absolue et toute entrée en territoire français reste prohibée par un double rideau composé de gardes mobiles et de tirailleurs sénégalais, notamment à Cerbère et au Perthus. Devant la masse de civils qui s’agglutine à la frontière, le ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, n’a d’autre choix que de laisser passer les civils, soit « 60 000 femmes, 13 000 enfants et 2 000 hommes âgés de plus de cinquante-cinq ans65». Au total, selon les chiffres officiels, ce sont en fait 114 000 réfugiés qui franchissent la frontière entre le 27 et le 31 janvier 1939 par Cerbère, Le Perthus, le col d’Ares et Bourg-Madame, et encore 126 000 personnes entre le 2 et le 4 février66.
- 67 DDF, Tome XIII, 30 janvier 1939, document n° 463.
- 68 Morel écrit en effet : « Il est tout de même curieux que l’on considère comme une catastro (...)
- 69 Salgas, op. cit., pp. 188-192 ; L’Illustration, 18 février 1939. Le quotidien La Dépêche, (...)
29La grande question demeure cependant celle des militaires. Dans un rapport en date du 30 janvier, le lieutenant-colonel Morel s’interroge sur l’importance des forces républicaines qu’il estime entre 50 et 100 000 hommes, et surtout sur le risque de voir ces troupes franchir de force la frontière sous l’effet de la terreur et des bombardements ennemis ; risque auquel il faut se préparer quitte soit à « engager une véritable bataille pour leur interdire le passage », soit à « laisser entrer en France des détachements armés67». Quelques jours plus tard, le point de vue de l’attaché militaire a sensiblement évolué. Morel estime alors, non sans quelque contradiction avec son opinion précédente, que le problème de l’internement républicain va se poser à brève échéance et qu’il serait peut-être envisageable d’intégrer une partie des éléments de l’armée gouvernementale au sein des forces françaises68. Ce paradoxe apparent tient sans nul doute aux forts préjugés négatifs qui entourent les républicains espagnols, notamment dans la presse française, mais aussi au fait que ces mêmes préjugés s’évanouissent très vite au contact des réfugiés dans la zone frontalière. Certes, les républicains restent « associés aux notions de criminalité, de banditisme, de cruauté », voire « de barbarie et de bestialité » dans certains médias, en janvier 1939 comme en juillet 1936, mais l’opinion française n’est pas statique et la tragédie espagnole est à l’évidence une cause pour laquelle les particuliers comme les associations se mobilisent69.
- 70 DDF, Tome XIV, 5 février 1939, document n° 41.
- 71 Voir la longue note de voyage rédigée par Léon Bérard entre le 3 et le 6 février 1939 dans (...)
- 72 DDF, Tome XIV, 7 février 1939, document n° 53.
30La dégradation de la situation est telle cependant le 5 février que le reflux de l’armée républicaine vers la France devient inévitable et c’est sur le constat attristé d’Álvarez del Vayo que Georges Bonnet donne finalement l’ordre d’ouvrir la frontière aux soldats espagnols, non sans avoir négocié au préalable la libération de quelque 800 prisonniers nationalistes détenus à Olot et Figueras70. Encore faut-il dire que la générosité française se veut très provisoire ? dans la mesure où l’on escompte un rapatriement rapide des soldats républicains dans la zone Centre où les combats doivent se poursuivre. Par ailleurs, l’état-major espagnol est très optimiste quand il « n’évalue les effectifs susceptibles de passer en France qu’à 60 ou 80000 ». Il n’en demeure pas moins que l’hébergement forcé de l’armée républicaine tombe au plus mal alors même que l’envoyé du gouvernement, Léon Bérard, se trouve déjà sur place depuis le 3 février pour négocier l’accréditation d’un agent général sur le modèle britannique, c’est-à-dire une reconnaissance de facto du gouvernement de Burgos71. On comprend dès lors pourquoi Jules Henry, l’ambassadeur de France à Barcelone, insiste autant auprès d’Álvarez del Vayo pour obtenir la libération des prisonniers nationalistes, condition sine qua non à l’entrée des troupes républicaines sur le territoire français72.
- 73 Voir notamment Geneviève Dreyfus-Armand et Émile Témime, Les Camps sur la plage, un exil e (...)
31Très concrètement, le passage de la frontière, tout d’abord des populations civiles, ensuite des militaires, marquait non pas la fin d’une tragédie, mais le début d’un nouveau calvaire, celui de l’emprisonnement dans les camps d’internement ou de concentration improvisés par les autorités françaises, après des opérations de contrôle et de tri humiliantes et une marche forcée qui s’étire parfois sur vingt-cinq kilomètres ou plus. À Argelès, puis à Saint-Cyprien et au Barcarès, quelques kilomètres au sud de Perpignan, sont érigés des sortes de camps qui n’ont de camps que le nom73. Comme le dit Eulalio Ferrer, ancien capitaine de l’armée républicaine exilé au Mexique, en évoquant Argelès-sur-mer :
En ce qui concerne les conditions du camp, eh bien, il s’agissait d’un camp ouvert. C’était une plage, une plage humide. Avec les Pyrénées orientales d’un côté. Mois de février, gelés avec ses vents acérés… Alors, dormir là-bas… eh bien… c’était une prouesse. Une prouesse qui nous couvrit de poux parce que nous étions agglutinés les uns aux autres pour nous réchauffer… alors bien sûr cela multipliait les poux et nous avions des poux.
32Sixto Úbeda, ancien de la Légion étrangère, ne dit pas autre chose du camp de Saint-Cyprien :
- 74 Julio Martín Casas et Pedro Carvajal Urquijo, El exilio español (1936-1978), Planeta, Barc (...)
Quand nous sommes arrivés au camp de Saint-Cyprien, il n’y avait pas d’habitations pour nous loger, et nous devions dormir sur le sable, et ceux d’entre nous qui avions une couverture nous avions cette chance de pouvoir nous coucher et nous disposions des papiers en dessous… Là-bas mouraient ceux qui avaient plus de cinquante ans, car ils étaient incapables de supporter les malheurs, les vicissitudes, les intempéries, le froid… Chaque jour nous enterrions nombre d’entre eux dans le cimetière qui se trouvait en face du camp… Les Sénégalais, les Algériens et les Somaliens nous gardaient. Ils nous donnaient là-bas à manger un pain de deux kilos pour vingt-quatre personnes, et nous avions droit à deux sardines. L’eau que nous buvions venait des pompes artésiennes qu’elles filtraient de la mer et la décomposition du ventre était quelque chose de terrible, les gens devaient courir jusqu’au bord de la mer pour faire leurs besoins et alors nous crions : à la plage ! à la plage ! Nous ne perdions jamais notre humour74.
- 75 Voir notamment Dreyfus-Armand, op. cit., pp. 57-140 ; Bennassar, op. cit., pp. 363-381, 40 (...)
33Ce qu’il adviendra des soldats républicains et des populations civiles au cours des semaines et des mois ultérieurs est bien connu aujourd’hui. À l’internement dans les camps, qui s’améliore peu à peu, succédera l’intégration au sein de l’économie française soit dans les exploitations agricoles et forestières du sud de la France, soit dans les exploitations minières, soit enfin dans les entreprises du bâtiment et de l’industrie. Beaucoup d’entre eux connaîtront également l’enrôlement contraint ou forcé dans ce que l’on appelle les Compagnies de Travailleurs Étrangers (CTE) à partir du mois de mars 1939, ou bien encore dans la Légion étrangère et les bataillons de prestataires au service de l’armée en prévision d’un conflit qui semblait désormais de plus en plus proche, surtout après la disparition de la Tchécoslovaquie amie. Cette quatrième et dernière vague de républicains espagnols constitue un phénomène sans équivalent dans l’histoire migratoire de la France en raison de son caractère massif et brutal. Près de 465 000 personnes, 170000 civils et 295000 militaires, franchissent la frontière française en l’espace de quelques semaines et en quelques points de passage seulement, donnant naissance à un « mascaret humain » que les autorités civiles et militaires ont des difficultés immenses à maîtriser75.
- 76 L’argument selon lequel le gouvernement Negrín assume une responsabilité dans ce drame sou (...)
- 77 Mechthild Gilzmer, “Blanche-Neige à Rieucros ou l’art de créer derrière les fils de fer ba (...)
- 78 Voir entre autres Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité fran (...)
34Si l’on peut estimer que 340 000 des 465 000 réfugiés espagnols ont pu retourner en Espagne, bon gré mal gré, à la veille de l’effondrement militaire de la France en mai 1940, on est en droit de dresser un bilan de l’action française vis-à-vis des républicains espagnols depuis 1936, notamment en ce qui concerne la politique d’accueil qui a été mise en œuvre et sa gestion de la frontière. Concernant le premier point, il est évident que la situation a considérablement évolué entre le début et la fin de la guerre civile. Ce qui n’apparaissait à l’origine que comme un phénomène encore limité et maîtrisable, en raison des retours massifs vers les zones de combat, se transforme en 1939 en un événement d’une ampleur sans précédent. Toute la question est de savoir s’il s’agissait là d’un fait prévisible. Comme nous avons pu le voir, les signes avant-coureurs ont été nombreux et répétés, notamment à partir du printemps 1938 après l’effondrement du front d’Aragon. Parler d’exode inattendu n’est donc guère possible, quand bien même les chiffres réels ont dépassé de très loin les estimations officielles, espagnoles comme françaises. Certes, on peut considérer avec Bartolomé Bennassar que « les premières vagues de réfugiés, pourtant considérables en 1937, furent bien accueillies », mais il est en revanche très discutable d’affirmer que « les Espagnols eux-mêmes ne s’attendaient nullement à un effondrement aussi brutal », sans parler de la responsabilité imputée au gouvernement Negrín dans ce désastre76. Fallait-il être bien naïf ou aveugle pour ne pas voir – le lieutenant-colonel l’exprime pourtant à maintes reprises, ainsi que l’ambassadeur Jules Henry – que la résistance de l’armée républicaine était à bout et qu’un effondrement général était hautement prévisible. Comment expliquer par ailleurs que l’on n’ait pas anticipé, en partie du moins, la construction de camps d’hébergement en dur à l’exemple de Rieucros, en Lozère, créé par décret le 21 janvier 1939 ? La réponse ne tient pas en réalité à un supposé effet de surprise, mais bien plutôt à un refus conscient d’accepter l’éventualité d’un accueil massif. Comment en eût-il été autrement quand l’ouverture du camp de Rieucros entraîne déjà une vive hostilité au sein de l’opinion publique ? La Croix de la Lozère ne dit-elle pas, par exemple, le 26 février : « … quel comble que d’être obligé de garder et d’entretenir une pègre dont le pays d’origine ne veut plus et que nous ne pouvons refouler ! Notre beau pays est devenu le dépotoir de l’Europe77» ? Il faut bien convenir en définitive que le gouvernement Daladier n’avait nulle envie de donner du grain à moudre à une extrême-droite très active ou de provoquer une opinion fort inquiète de l’arrivée massive des étrangers en France depuis le début de la crise économique et de plus en plus xénophobe78.
- 79 Bonnet, ibid., pp. 84-92.
- 80 La démission de Manuel Azaña fut l’objet d’une discussion entre Georges Bonnet et Cipriano (...)
35Concernant la gestion de la frontière, la politique de la France a oscillé entre la bienveillance du Front populaire et le « réalisme politique » du gouvernement Daladier. Si, dans le premier cas, la proximité idéologique, la solidarité avec la jeune démocratie espagnole et la crainte d’une contagion fasciste au-delà des Pyrénées ont joué de façon décisive dans le sens d’une fraternité gouvernementale, et ce en dépit de la non-intervention, dans le second cas, ce sont surtout les oppositions internes, les intérêts supérieurs de la nation et la peur d’un conflit généralisé en Europe qui devaient décider de la fermeture de la frontière en juin 1938. Georges Bonnet a beau se défendre de toute partialité dans ses choix79, il n’en demeure pas moins que la présence de trois dictatures sur trois « frontières naturelles » – le Rhin, les Alpes et les Pyrénées – constituait une véritable obsession, et qu’il était vital de désamorcer la bombe espagnole, quel qu’en fût le prix. Les reproches faits à la France par le comte Jordana en février 1939 et surtout la démission annoncée du président de la République espagnole, Manuel Azaña, ouvriront la voie à une reconnaissance officielle du gouvernement de Burgos et au règlement définitif de la question frontalière entre les deux pays80.
Notes
1 La Dépêche, 10 octobre 1934.
2 La Dépêche, 11 janvier et 12 février 1936.
3 Voir Yves Denéchère, La politique espagnole de la France de 1931 à 1936. Une pratique française de rapports inégaux, L’Harmattan, Paris, 1999, pp. 58-60.
4 DDF (Documents Diplomatiques Français), Tome III, 19 juillet 1936, doc. n° 1.
5 José Maria Borras Llop, Francia ante la guerra civil española : Burguesía, interés nacional y interés de clase, Centro de Investigaciones Sociológicas, Madrid, 1981, pp. 101-110.
6 Récit des premiers jours de la guerre civile à Pampelune par notre Agent consulaire dans cette ville, Jean Herbette, 23 octobre 1936, cité dans Ángel Pascual Bonis, “Los comienzos de la guerra de 1936 en Navarra (Narración de los primeros días de la guerra civil en Pamplona)”, Les Espagnols et la guerre civile (Michel Papy éd.), Atlantica, Pau, 1999, p. 159.
7 Hugh Thomas, La guerre d’Espagne, Robert Laffont “Bouquins”, Paris, 1985, p. 293.
8 Mola n’hésite pas à déclarer publiquement à la radio : « Ni de reddition, ni d’embrassade de Vergara, ni de pactes, rien qui ne soit la victoire écrasante et définitive. Plus tard, si le peuple le demande, on fera œuvre de pitié pour ceux qui se sont trompés, mais pour ceux qui ont alimenté en connaissance de cause une guerre d’infamie, de cruauté et de trahison, pour ceux-là, jamais. Devant la justice de l’Histoire, la nôtre, celle des patriotes, qui doit être immédiate et rapide. De tout cela nous répondrons par notre honneur et si cela est nécessaire par nos vies ». Cité dans Fernando Diaz-Plaja, El siglo XX. La guerra (1936-1939), Gráficas Faro, Madrid, 1963, p. 227.
9 Cité dans “L’accueil des réfugiés espagnols en Béarn et en Soule de 1936 à 1940”, Les Espagnols et la guerre civile, op. cit., p. 338.
10 L’Illustration, 12 et 19 septembre 1936.
11 Javier Rubio, “La politique française d’accueil : les camps d’internement”, Exils et migration.
Italiens et Espagnols en France, 1938-1946 (Pierre Milza et Denis Peschanski éd.), L’Harmattan, Paris, 1994, p. 114.
12 L’Illustration, 22 août 1936.
13 Bartolomé Bennassar, La guerre d’Espagne et ses lendemains, Perrin, Paris, 2004, pp. 352-353.
14 Les ordres de la C.N.T.-F.A.I. du 25 juillet disaient très précisément : « Les bas-fonds de Barcelone déshonorent la révolution. […] Écrasons les voyous ! Si nous ne le faisons pas, ce sont les bandits qui écraseront la révolution et la déshonoreront ». Cité dans Thomas, op. cit., p. 233.
15 Geneviève Dreyfus-Armand, L’exil des républicains espagnols en France. De la Guerre civile à la mort de Franco, Albin Michel, Paris, 1999, p. 34.
16 Comme le note Gérard Noiriel, la ratification des accords internationaux ne signifie nullement l’adoption de droits identiques à ceux des Français sur le marché du travail : « … Si par la loi du 28 octobre 1936, la France ratifie la Convention internationale de 1933, elle introduit des limitations de taille, notamment en ce qui concerne l’emploi, en stipulant que les réfugiés seront comme les autres étrangers en France, soumis à la loi de 1932 sur la protection du marché du travail. De même, si la France accepte la mise en place des offices de réfugiés commandés par la SDN, elle précise que ceux-ci ne pourront s’occuper du placement professionnel », Gérard Noiriel, Réfugiés et sans-papiers. La République face au droit d’asile, XIXe-XXe siècle, Hachette “Pluriel”, Paris, 1998, p. 114. Cet ouvrage a été publié initialement sous le titre suivant : La Tyrannie du national. Le droit d’asile en Europe (1793-1993), Calmann-Lévy, 1991.
17 La loi promulguée par Louis-Philippe en juillet 1839 interdisait précisément l’installation des Carlistes dans vingt-huit départements du sud de la France. Seule une partie des réfugiés espagnols avaient eu l’autorisation de « se rapprocher des départements de deuxième et de troisième ligne des Pyrénées », Gérard Noiriel, ibid., p. 54.
18 Javier Rubio, op. cit., pp. 113-114.
19 Voir par exemple César Vidal, La guerra de Franco. Historia militar de la guerra civil española, Planeta, Barcelone, 1996, pp. 229-250.
20 L’Illustration, 4 septembre 1937.
21 Geneviève Dreyfus-Armand souligne à juste titre que Javier Rubio, l’un des meilleurs spécialistes de la question, a donné des estimations contrastées dans deux de ses publications majeures (125 000 et 160 000). Dreyfus-Armand, op. cit., p. 375, note n° 45.
22 Bennassar, op. cit., p. 356.
23 L’Illustration, 17 juillet 1937.
24 Voir par exemple Serge Wolikow, Le Front populaire en France, Éditions Complexe, Bruxelles, 1996, pp. 210-218.
25 Jacques Duclos, Mémoires. 1935-1939. Aux jours ensoleillés du Front populaire, Fayard, Paris, 1969, pp.198-199.
26 Pierre-Jean Deschodt et François Huguenin, La république xénophobe, 1917-1939. De la machine d’État au « crime de bureau » : les révélations des archives, Jean-Claude Lattès, Paris, 2001, p. 146.
27 Rubio, op. cit., p. 114 ; Dreyfus-Armand, op. cit., pp. 38-39.
28 Ibid., p. 150.
29 Voir Jean-François Berdah, La démocratie assassinée. La république espagnole et les grandes puissances, 1931-1939, Berg International, Paris, 2000, pp. 289-310.
30 DDF, Tome V, 4, 12 et 19 mars 1937, documents n° 66, 95 et 129.
31 DDF, Tome V, 25 mars 1937, document n° 174.
32 DDF, Tome VI, 16 juillet 1937, document n° 240.
33 Berdah, op. cit., pp. 314-315 ; L’Illustration, 18 septembre 1937.
34 François Martin, Les Républicains espagnols en Ariège (1939-1945), Maîtrise, Université de Toulouse II-Le Mirail, 1999, pp. 11-14.
35 Bennassar, op. cit., p. 360.
36 DDF, Tome VIII, 12 février 1938, document n° 150, p. 311.
37 Vidal, op. cit., pp. 307-324.
38 José Cubero, Les Républicains espagnols, Cairn, Pau, 2003, pp. 37, 40-42.
39 DDF, Tome IX, 30 mars 1938, document n° 89 ; L’Illustration, 26 mars et 9 avril 1938.
40 Édouard Bonnefous, Histoire politique de la Troisième République. T. 6. Vers la guerre : Du Front populaire à la conférence de Munich (1936-1938), PUF, Paris, 1965, pp. 213-229, 236-246.
41 Le chef des informations au Quai d’Orsay, Pierre Comert, alla jusqu’à dire publiquement : « Nous vengerons l’Autriche en Espagne ». Cité dans Thomas, op. cit., p. 617.
42 Voir Joseph Paul-Boncour, Entre deux guerres. Souvenirs sur la IIIe République. Sur les chemins de la défaite (1935-1940), Tome III, Flammarion, Paris, 1946, pp. 82-83.
43 Cité dans Pascal Krop, Les secrets de l’esprionnage français de 1870 à nos jours, Payot, Paris, 1993, 1995, p. 370.
44 DDF, Tome IX, 25 mars 1938, document n° 48.
45 Voir Bonnefous, op. cit., p. 237 et 415.
46 Ibid., pp. 289-305.
47 Ibid., pp. 305-308.
48 Il devait se justifier ses nouvelles orientations après guerre dans les termes suivants : « Si l’on voulait arrêter vraiment l’expansion allemande en Europe, on devait en finir avec le verbalisme. Il fallait reconstituer en hâte les forces morales et matérielles de la France, fortifier ses amitiés et ses alliances. Mon devoir me commandait d’oublier toutes mes inclinations personnelles, de me dépouiller de toutes mes haines comme de toutes mes préférences idéologiques, de résister aux pressions d’une opinion publique nerveuse et agitée, aux attaques plus ou moins libres et désintéressées, de rester ferme malgré tous les remous de la politique et de conduire mon action avec un sang-froid et une objectivité absolus, ne me laissant entraîner au milieu de tant de passions déchaînées que par une mission unique, la seule qui fût légitime : celle de l’intérêt français. » [sic] Georges Bonnet, Défense de la paix. De Washington au Quai d’Orsay, Les Éditions du Cheval Ailé, Genève, 1946, pp.94-95.
49 Berdah, op. cit., pp. 384-386.
50 Ibid., pp. 287-289 ; 386-387.
51 DDF, Tome IX, 19 avril 1938, document n° 201. Lasmartres devait enfoncer le clou ce même jour en reproduisant les propos du général Martínez Anido, ministre de l’Ordre public, venu lui rendre visite [sic] dans les termes suivants : « Nous attendons de votre gouvernement qu’il nous manifeste d’autres dispositions que celui qui l’a précédé. Qu’il ne tarde pas. Cela est essentiel pour l’avenir de nos bonnes relations. Nous sommes plusieurs au sein du Conseil des ministres à penser ainsi, mais nous avons à lutter contre un courant contraire. Il ne faut pas nous décourager. » DDF, Tome IX, 19 avril 1938, document n° 202.
52 Ángel Viñas, “Las relaciones hispano-francesas, el gobierno Daladier y la crisis de Munich”, Españoles y Franceses en la primera mitad del siglo XX, CSIC, Madrid, 1986, p. 175.
53 Berdah, op. cit., pp. 395-396 ; DDF, Tome IX, 31 mai 1938, document n° 490.
54 Léon Blum critiqua vivement cette mesure dans son éditorial du Populaire intitulé Action anglo-française en Espagne en date du 1er août 1938 : « Parmi les explications qui ont flotté autour de l’acte du gouvernement français fermant la frontière des Pyrénées, une des plus plausibles était la suivante : si cette satisfaction n’avait pas été donnée aux instances pressantes du gouvernement anglais en ce qui touche la frontière des Pyrénées, on n’aurait pas pu le décider à se ranger à nos côtés au cours de la crise tchécoslovaque du 20 mai ; il n’aurait pas pris à Berlin l’attitude résolue qui a probablement sauvé la paix. J’aurais à peine besoin de répondre au raisonnement ainsi ébauché. Il serait aussi absurde de sacrifier l’Espagne pour sauver la Tchécoslovaquie que de sacrifier la Tchécoslovaquie pour sauver l’Espagne », Léon Blum, L’Histoire jugera, Éditions Diderot, Paris, 1945, p. 177.
55 DDF, Tome IX, 19 avril 1938, document n° 205.
56 Jordi Planes, “Les Français jugés par les réfugiés catalans”, Les Français et la guerre d’Espagne.
Actes du colloque de Perpignan (Jean Sagnes et Sylvie Caucanas éd.), CREPF, Université de Perpignan, 1990, p. 392.
57 Thomas, op. cit., p. 671.
58 Vidal, op. cit., pp. 351-389. Sur la question du rapatriement des soldats étrangers et l’abandon de la République espagnole voir Berdah, op. cit., pp. 376-422.
59 Juan Ávilés Farré, Pasión y farsa. Franceses y Británicos ante la guerra civil española, Eudema, Madrid, 1994, p. 180. La France avait manifesté le 23 janvier « son non-acquiescement à l’évacuation en France, en Algérie, en Tunisie et au Maroc ». DDF, Tome XIII, 25 janvier 1939, document n° 422, note n° 4.
60 DDF, Tome XIII, ibid.
61 DDF, Tome XIII, 26 janvier 1939, document n° 430. Les raisons invoquées étaient les suivantes : « manque d’hébergement, de vivres, de contrôles sanitaire adéquat, de transports, violents et fréquents bombardements par l’aviation étrangère, mitraillement des routes, ainsi que les circonstances et qualités de la masse de la population… ».
62 Berdah, op. cit., pp. 421-422.
63 Julián Zugazagoitia, Guerra y vicisitudes de los españoles, Crítica, Barcelone, 1977, pp. 507-508.
64 Ibid., p. 509.
65 L’Illustration, 11 février 1939.
66 Emmanuelle Salgas, “L’opinion publique et les représentations des réfugiés espagnols dans les Pyrénées-Orientales (janvier-septembre 1939)”, Les Français et la guerre d’Espagne. Actes du colloque de Perpignan, op. cit., pp. 186-187.
67 DDF, Tome XIII, 30 janvier 1939, document n° 463.
68 Morel écrit en effet : « Il est tout de même curieux que l’on considère comme une catastrophe l’arrivée possible de troupes dont on peut faire, avec de l’encadrement, de la discipline, un armement suffisant, d’excellentes unités de tirailleurs. Les Italiens ont fait, avec des cadres italiens, trois divisions de tirailleurs ibériques. Avec des cadres français, je ne doute pas qu’on puisse faire mieux », DDF, Tome XIV, 2 février 1939, document n° 24.
69 Salgas, op. cit., pp. 188-192 ; L’Illustration, 18 février 1939. Le quotidien La Dépêche, fortement mobilisé par ces événements avec pas moins de trois correspondants départementaux dans les Pyrénées-Orientales, dans les Hautes-Pyrénées et en Ariège, se prononça dès tôt « en faveur de l’accueil sans restriction des réfugiés » par « souci de solidarité humaine à l’exclusion de toute considération politique », Henri Lerner, La Dépêche. Journal de la démocratie. Contribution à l’histoire du radicalisme français sous la Troisième République, Doctorat d’État, Université Paris X, 1975, Tome IV, p. 1389.
70 DDF, Tome XIV, 5 février 1939, document n° 41.
71 Voir la longue note de voyage rédigée par Léon Bérard entre le 3 et le 6 février 1939 dans DDF, Tome XIV, 7 février 1939, document n° 74. Léon Bérard était sénateur des Basses-Pyrénées (Pyrénées-Atlantiques aujourd’hui), « n’avait pas d’ennemis », selon Georges Bonnet, et « était aussi très connu et estimé en Espagne », Georges Bonnet, Fin d’une Europe. De Munich à la guerre, Bibliothèque du Cheval Ailé, Genève, 1948, p. 84.
72 DDF, Tome XIV, 7 février 1939, document n° 53.
73 Voir notamment Geneviève Dreyfus-Armand et Émile Témime, Les Camps sur la plage, un exil espagnol, Autrement, Paris, 1995 ; Denis Peschanski, La France des camps. L’internement, 1938- 1946, Gallimard, Paris, 2003.
74 Julio Martín Casas et Pedro Carvajal Urquijo, El exilio español (1936-1978), Planeta, Barcelone, 2002, pp.70-71.
75 Voir notamment Dreyfus-Armand, op. cit., pp. 57-140 ; Bennassar, op. cit., pp. 363-381, 400-425.
76 L’argument selon lequel le gouvernement Negrín assume une responsabilité dans ce drame sous prétexte que celui-ci « n’avait pas cessé d’assurer que Barcelone se défendrait avec acharnement » nous semble surréaliste (Bennassar, ibid., pp. 363 et 365).
77 Mechthild Gilzmer, “Blanche-Neige à Rieucros ou l’art de créer derrière les fils de fer barbelés”, Les camps du Sud-ouest de la France. Exclusion, internement et déportation, 1939-1944, Privat, Toulouse, 1994, p. 62.
78 Voir entre autres Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Grasset, Paris, 2002, pp. 81-93 ; Peschanski, op. cit., pp. 28-35 ; Eugen Weber, La France des années 30. Tourments et perplexités, Fayard, Paris, 1994, pp. 123-151.
79 Bonnet, ibid., pp. 84-92.
80 La démission de Manuel Azaña fut l’objet d’une discussion entre Georges Bonnet et Cipriano Rivas Chérif, à la fois ministre en poste à Berne et beau-frère du président, le 15 février 1939. Par l’intermédiaire de ce dernier, Azaña faisait savoir au gouvernement français sa décision de démission, mais pas « avant que le gouvernement français ait reconnu de jure le gouvernement Franco ». Azaña alla même jusqu’à proposer à Bonnet de « bien lui faire savoir officieusement, par un mot personnel par exemple, quarante-huit heures à l’avance, son intention de reconnaître Franco, et il démissionera[it] aussitôt », DDF, Tome XIV, 15 février 1939, document n° 125.
© Presses universitaires du Midi, 2007