Introduction

1Le choix d’un projet de thèse est influencé par de multiples motivations dont trois au moins, déterminantes : l’intérêt pour le sujet choisi qui, au risque de devenir passionnel, est essentiel pour mener à bien une recherche de plusieurs années, la volonté de faire aboutir un travail qui exige implication, obstination et abnégation et la nécessité d’apporter un nouveau questionnement sur un thème ayant suscité hypothèses et conclusions diverses.

2Le choix du sujet n’est certainement pas le fruit du hasard : dans le cas présent, notre mémoire de maîtrise, La première manufacture de toiles peintes de Mulhouse (1746-1758)1, motivé par l’absence de monographie d’entreprise au xviii^e siècle à Mulhouse, s’est avéré décisif dans la décision d’élargir le champ d’investigations. En effet, les sources disponibles pour cette étude laissaient entrevoir un cadre de recherches plus étendu, permettant d’appréhender l’ensemble d’une activité sur la période du siècle.

3De nombreux historiens, économistes, géographes et juristes ont tenté d’expliquer l’essor industriel de la petite cité : facteur géographique pour Robert Levy (en 1912)2, facteur idéologique pour Henri Laufenburger et Étienne Pflimlin (1930)3, facteur démographique pour Étienne Juillard (1948)4, combinaison de facteurs politiques, géographiques, économiques et démographiques pour Paul Raymond Schwartz (1950)5 et Raymond Oberlé (1971)6. Un principe isolé ne peut justifier le phénomène d’industrialisation que connaît Mulhouse dans la deuxième moitié du xviii^e siècle, mais plutôt un ensemble de faits intimement liés à l’originalité du cas mulhousien, qui réside dans son statut d’enclave géographique, politique, religieuse et économique.

4De nombreuses questions se sont rapidement posées : pourquoi et comment une activité manufacturière a-t-elle pu se développer dès 1746, dans une petite cité d’environ quatre mille habitants, enclavée dans le royaume de France ? Pourquoi s’agit-il d’impression sur étoffes ? Existe-t-il déjà des éléments de réponse dans l’historiographie mulhousienne, alsacienne, française ? De quelles sources allons-nous disposer pour mener à bien notre recherche, sachant d’après les sondages effectués au cours de notre travail de maîtrise, que les archives d’entreprises restent à découvrir ?

5Mulhouse est encore une république indépendante lorsque le découpage administratif du territoire français en départements, est institué en 1790 ; la création des chefs-lieux et des conseils généraux ne concerne donc pas la petite cité. De ce fait, lorsque Mulhouse est rattachée à la France et admise comme localité du Haut-Rhin en 1798, Colmar est déjà le siège des institutions départementales. Cette situation explique que les archives de la république de Mulhausen n’aient jamais quitté leur ville ; l’ensemble du fonds ancien se trouvant ainsi réuni aux Archives Municipales, nous avons délibérément privilégié l’exploitation de ces sources exceptionnelles, très peu fréquentées par les chercheurs et historiens, sans doute parce qu’elles nécessitent une solide connaissance de la paléographie allemande. Pour ce faire, nous avons consacré une année de travail à maîtriser le « déchiffrage » des textes manuscrits et à acquérir le vocabulaire spécifique de la période concernée. Cette approche indispensable nous a démontré à quel point l’apprentissage du métier d’historien passe par la confrontation avec le document.

6Le fonds ancien comporte tous les actes émanant de l’autorité souveraine, disposant des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, avec la particularité de centraliser le notariat de la cité. L’exploitation de ce vaste ensemble de sources (qui ne comporte aucune archive d’entreprise ou aucun acte accompli sous-seing privé), a permis de poser l’hypothèse du lien entre négoce et manufactures et de travailler de manière approfondie sur l’essor de l’activité industrielle. Deux études ont particulièrement motivé notre travail de recherche : celle de Raymond Oberlé sur « L’évolution des fortunes à Mulhouse et le financement de l’industrialisation au XVIII^e siècle » (1971)7, soulignait déjà le rapport étroit entre le patrimoine des négociants et les capitaux investis dans les premières entreprises d’impression sur étoffes ; celle de Paul Raymond Schwartz sur « Les débuts de l’indiennage à Mulhouse » (1950)8, nous a fortement incité à suivre la piste des fabricants et à nous intéresser à la remarquable technique de la toile imprimée.

7Tenter de comprendre et de mettre en évidence les éléments déterminants qui expliquent l’essor d’une activité industrielle, n’est certes pas chose aisée avec les très rares documents laissés par les principaux protagonistes, c’est-à-dire les entreprises et les entrepreneurs. Cependant les archives de la république de Mulhausen sont susceptibles de livrer une singulière richesse d’informations dont il est nécessaire d’exploiter les différents aspects, afin de valider notre hypothèse de travail. Nous espérons pouvoir lever certaines interrogations, nuancer des affirmations parfois trop rapides car insuffisamment étayées par l’étude des documents et ouvrir des perspectives sur une période de l’histoire mulhousienne qui effraie encore trop d’étudiants et de chercheurs.