Introduction : une belle coïncidence

1Imaginons, d’un côté une série d’artistes issus des Beaux-Arts, dans le plus strict style néo-classique, liés à la lutte de l’État napoléonien et, contre toute attente, au chômage. Imaginons, de l’autre, une Cour européenne réfugiée sous les tropiques depuis 1808, suite à l’invasion de Lisbonne par les troupes de Napoléon, ainsi séparée de sa métropole et privée d’une représentation officielle. De la conjonction de ces situations très distinctes s’est créé ce qui fut connu au Brésil sous le nom de Missão Artística Francesa de 18162. La coïncidence des intérêts a poussé l’histoire à prêter l’idée de projet au palais et à attribuer à la Missão un profil pré-établi, une stratégie de l’État. Cependant, une série de lettres laissées par l’artiste français Nicolas Taunay dans lesquelles il demandait à être le précepteur des princesses, a révélé que la Missão a été avant tout, un projet salvateur pour les peintres bonapartistes. Par conséquent, en référence au nom donné au groupe qui a accosté dans ce contexte au Brésil, au début du xix^e siècle, il vaut mieux penser à une « colonie française ».

2Il faut également réfléchir au piège que représentait alors le contexte historique. Nous nous retrouvons face à un groupe de peintres, sculpteurs, graveurs et architectes habitués à produire un art grandiose, au goût de l’Empereur Napoléon, qui a transformé l’ancienne et traditionnelle structure des Beaux-Arts en un instrument pour la propagation de sa propre image. D’un autre côté, Don João, le régent portugais, reçoit dans sa colonie les artistes de « l’ennemi », celui-là même, qui, en dernière instance, l’avait forcé à transférer provisoirement le siège de son Empire au Brésil. Enfin, nous ne pouvons pas oublier qu’à cette époque les liens entre le Portugal et la France venaient juste de se renouer, et que l’arrivée des immigrants français était la cause de restrictions en tous genres.

3Mais si le groupe n’a pas débarqué exactement en tant que groupe, Joachim Lebreton, le leader des immigrés et ancien du Collège de France, s’est chargé d’insuffler un caractère plus unifié à l’événement. En territoire brésilien et entre les mains de cet ancien conservateur du Louvre – destitué de son poste pour ne pas avoir approuvé la restitution des pièces retirées à leurs pays d’origine pendant la guerre napoléonienne – la « Missão » s’est essayée, en effet, à devenir une mission.

4Du côté de la Cour portugaise, l’idée est venue du Comte da Barca – António Araújo e Azevedo – qui, formé par l’élite française, a conçu le projet de créer une Académie des Beaux-Arts au Brésil, composée d’artistes ayant une certaine réputation dans le cercle français. Exilée, la cour devait être dotée d’une nouvelle histoire, d’une autre mémoire et, dans cette société majoritairement illettrée, rien de mieux que de disposer d’une nouvelle iconographie pour créer une représentation officielle. Et ainsi fut fait : au lieu d’une cour immigrée, craintive et isolée face à la politique européenne, est apparue l’idée visionnaire d’un empire sous les tropiques, honoré d’allégories classiques à la française, qui allaient légitimer son existence. C’était une royauté aussi traditionnelle que les autres – seulement ancrée à titre provisoire dans sa colonie exotique – qui, une fois passée la tornade nommée Napoléon, se redresserait.

5Rien de mieux qu’engager des artistes habitués à être confrontés aux vicissitudes de l’État, un groupe de peintres et de sculpteurs politiquement isolés, à cause de la chute de Napoléon. Ainsi, si en France il se peignait de grandes toiles illustrant des actes héroïques consacrés à Napoléon, s’il se recréait des scènes de bataille ou si l’on se préoccupait de cérémonial, de monuments, de fêtes et d’uniformes, on faisait de même au Brésil. En outre, après les accords du Congrès de Vienne, Don João ouvrit les ports de sa colonie également aux Français, qui commencèrent, à partir de 1816, à entrer non seulement dans la métropole mais aussi dans la colonie américaine. Il est certain que ces artistes voyageurs étaient habitués à célébrer la gloire de leur ennemi. Ils étaient, cependant, également habitués au pouvoir et à ses brusques changements, si bien qu’ils allaient être utiles au travail d’ascension de la cour. En fait, ces artistes apportaient dans leurs bagages un art néo-classique dont le modèle englobait la recherche dans l’Antiquité de vestiges des gloires perdues et de modèles de vertu. Ils connaissaient, enfin, la rigidité de la structure académique française, imbattable dans sa tentative de centraliser les arts et d’y mettre de la rigueur.

La colonie française au Brésil

6Et c’est ainsi qu’en 1815, tout de suite après la signature du traité de paix entre la France et le Portugal, le Marquis de Marialva, chargé des affaires du Portugal en France, engagea divers artistes reconnus dans leur milieu, qui, après la chute de Napoléon, étaient désireux d’émigrer par peur de représailles politiques. Même s’ils ne pouvaient pas s’y opposer, le gouvernement français, de même que Jean-Baptiste Maler, le représentant de la France au Brésil, ne voyaient pas d’un bon œil cette émigration d’artistes organisée, en plus, par l’ambassadeur du Portugal. L’hypothèse d’un exil maquillé a été évoquée, mais cette intention a été niée, par le fait même qu’aucun des artistes n’était visé par la police ou menacé par les lois de sécurité de la monarchie restaurée.

7Nombreuses étaient les nations nouvellement émancipées – le Mexique par exemple – qui commençaient à réunir des fonds officiels, dans le dessein de créer des iconographies d’État. Cependant, les premiers moments de l’Académie Brésilienne furent mélancoliques. Araújo était décédé tout de suite après l’arrivée du groupe et, sans son principal mécène, l’indifférence était retombée sur les nouveaux venus français, bien au-delà de l’hostilité des artistes nationaux et portugais. Entretemps, les conflits n’avaient pas manqué, mais les derniers artistes, arrivés le 26 mars 1816 – étant partis en janvier du Havre sur le navire américain Calphe – venaient dans l’intention de rester au moins quelque temps.

8Nombreuses étaient les opportunités. Avec la mort de la reine Maria en 1816 et la future proclamation, en 1818, du prince João, le nouveau souverain – deux événements capitaux dans la vie d’une nation monarchique –, les artistes avaient vite compris quelle serait leur vraie fonction : construire des décors rapides et apporter de la grandeur à cette cour immigrée. Ayant Joachim Lebreton (secrétaire perpétuel de la section des Beaux-Arts de l’Institut Royal de France) comme leader et les artistes Nicolas Antoine Taunay (peintre dudit Institut), Auguste M. Taunay (sculpteur), Jean-Baptiste Debret (peintre d’histoire et de décoration), Grandjean Montigny (architecte), Simon Pradier (graveur) et autres affiliés, le groupe français était annoncé selon le profil professionnel et « civilisé » de ses membres.

9Le groupe amena 54 tableaux de peintres anglais et français, destinés à l’ouverture d’une pinacothèque locale, mais de style français. Il est vrai que la majorité des toiles n’étaient que des reproductions d’œuvres de la Renaissance, qui suivaient les canons de l’époque ; cependant, l’idée était de pourvoir la colonie américaine, considérée comme « privée d’art de qualité ». Avec les composants sont arrivés les désirs de créer un apparat laïc en relation avec les arts et l’intention d’imposer une « nouvelle culture artistique », plus conforme aux modes françaises : à la place de l’art baroque et religieux s’est installé un cénacle de professionnels, adaptés à un modèle d’État de production artistique et avec le mécénat de la Cour.

10Le décret, sorti le 12 août 1816, détailla les grands objectifs de la « Missão », qui prétendait, entre autres, répandre « l’éducation artistique » :

Pour répondre au bien commun de mes fidèles vassaux des Arts et des Métiers où se promeut et se diffuse l’instruction et les connaissances indispensables aux hommes destinés non seulement à des emplois de fonctionnaires dans l’administration de l’État, mais (destinés) aussi au progrès de l’agriculture, à la minéralogie, l’industrie et le commerce sources de subsistance, commodité et civilisation des peuples principalement dans ce continent dont l’expansion n’ayant pas le nombre de bras indispensables à la taille et du terrain, avait grandement besoin des aides des statistiques pour tirer profit des produits dont la valeur et la préciosité pouvaient faire du Brésil le plus riche et opulent Royaume connu ; il était ainsi nécessaire que les habitants apprissent les beaux-arts avec application et référence aux métiers mécaniques, dont la pratique, la perfection et l’utilité dépendent des connaissances théoriques de ces arts et des expansives lumières des sciences naturelles, physiques et exactes…3

11La mission avait par conséquent les plus amples objectifs et ce n’est pas par hasard si le premier nom inventé fut « École Royale des Sciences, des Arts et Métiers », montrant ainsi que son action s’étendrait à divers domaines. En définitive, il manquait de tout et des professionnels de diverses spécialités arrivèrent par le même navire, des spécialistes de la construction navale et des transports, des spécialistes de la tannerie…, répondant à d’autres besoins de l’État et formant des hommes destinés à des emplois du domaine public, mais aussi de l’agriculture, de la minéralogie, de l’industrie et du commerce. Comme le disait le décret, l’ultime fin était « la civilisation des peuples particulièrement dans ce continent ».

12Malgré les mésaventures, entre 1816 et 1826, la mission artistique gagna du terrain et parvint à se définir. Les premières intentions et promesses n’ont pas été tenues mais, du point de vue pictural, la « Missão » a été la grande responsable d’une transformation assez radicale qui, peu à peu, a relégué le baroque au second plan, et qui a permis au néoclassicisme de régner, du moins à la Cour de Rio de Janeiro. Il s’agissait de diffuser le modèle créé par l’Académie française de l’Art qui, revenant à l’Antiquité, souhaitait faire un art tourné vers la vertu et l’exaltation morale. C’était aussi un modèle laïc, par opposition au modèle religieux et sacré qui jusqu’alors dominait. Autrement dit, selon le goût ibérique alors en vogue, rares étaient les tableaux de paysages ou les représentations du quotidien. Dès que la production picturale fut intrinsèquement liée à la production religieuse, on ne savait que peu de choses sur le quotidien mis à part la production héritée des voyageurs.

13Cela ne veut pas dire qu’il n’existait pas dans la colonie quelques artistes et apprentis – bien au contraire – mais, il est certain que jusqu’alors, il n’y avait pas d’enseignement systématique. L’initiation des artistes se rapprochait plus de la relation de maître à apprentis et petits artisans sans formation classique, formelle ou académique ; ils se consacraient à la peinture, au dessin, à la sculpture et à l’architecture. En réalité, depuis le xviii^e siècle, il était devenu commun que les apprentis restassent auprès des quelques artistes portugais et italiens qui arrivaient au Brésil, amenant le style baroque qui finit par s’imposer. Ce n’est pas par hasard, si les plus grands se concentraient sur Rio de Janeiro, Ouro Preto et Salvador, se propageant peu à peu à Recife, Olinda et Diamantina. S’y ajoute le fait que cet art colonial répondait en grande partie à des demandes préliminaires, les œuvres étant commandées en majorité par les autorités ecclésiastiques ou civiles, exceptionnellement par des particuliers. Il y a néanmoins un détail significatif : en règle générale, ne travaillaient dans ces métiers que des individus de basse extraction sociale, en majorité des métis et des noirs, avec peu de formation, ce qui apportait à nos artistes une formation mais également une couleur distinctes des autres.

14Avec ou sans spécificités, en l’absence d’école et étant autodidactes, ces artistes nationaux ont contrôlé les codes de production de leur époque, de façon suffisante pour les demandes locales, mais pas totale si l’on pense aux nouvelles exigences qui arrivèrent avec la Cour en 18084. Le baroque dominait, un baroque tardif qui s’est prolongé dans les formes et les contours et qui était resté inchangé face à la nouvelle mode académique et néoclassique qui faisait fureur dans la grandiose Europe de Napoléon. Ils étaient également, peu habitués à dépeindre et à magnifier l’État et ses dirigeants, tâche à laquelle se dédiait la colonie d’artistes napoléoniens avec dextérité et primeur.

15Il y a encore un fait à relever. Le Portugal manquait aussi de peintres renommés. Ceci étant, il existait des académies, mais pas d’académies d’artistes peintres et, aussi bien dans la colonie qu’en métropole, la production de ce genre a été considérée comme de moindre importance et même comme une activité déshonorante. En métropole, il n’y avait pas de structures d’enseignement artistique en dehors des écoles établies dans des monastères ou des « cours royales » ; tout l’art se concentrait au palais royal et dans les églises. Pour ne rien arranger, ces quelques initiatives tombèrent en décadence au début du xix^e siècle. Le « cours de risque » créé par Johann Ludzig au monastère de Mafra, dans la première moitié du xviii^e siècle, avait à cette époque disparu et les « cours royaux » – de dessin, d’architecture civile, de sculpture et gravure – introduits dans la seconde moitié dudit siècle, tendaient à suivre le même chemin5.

16C’est ainsi que s’explique l’appel à des artistes français habitués au style néoclassique, cet art de combat qui se met au service de la Révolution et (ensuite) de l’Empire et qui travaille au nom de la création de sa mémoire officielle. C’était comme si le pouvoir n’avait pas de patrie et était prêt à être dépeint dans des tableaux néoclassiques, toujours cocardiers et grandioses. Les nouveaux artistes venaient donc faire du bruit et générer une rupture, inaugurant un art public, patriote et soucieux de rattacher les actions des monarques à un passé classique et idéalisé. Placés directement au service de l’État, ces artistes n’éprouvaient aucun scrupule à montrer leur engagement et leurs engouement politiques et ils connaissaient (ou admiraient plutôt) le modèle de l’Académie qui commençait également à être réorganisé en France. L’idée était de former un groupe solide et unique dans ses bases et, comme en France, d’imposer des critères, des modèles, des genres et des goûts.

17Ce n’est pas par hasard si le premier nom inventé fut « École royale de Sciences, d’Arts et des Métiers », ce qui révélait les intentions initiales du groupe. L’Antiquité était une grande source d’inspiration et les modèles des personnages antiques sortaient des livres et étaient utilisés pour gagner de nouvelles fonctions face à cette réalité inespérée que représentait un roi et sa Cour délocalisée.

18Et ce modèle s’emboîterait parfaitement, au moins en théorie, dans les plans de la monarchie portugaise, laquelle, face aux soucis de création d’une mémoire royale, choisit un conventionnalisme thématique et une certaine restriction académique. Cet art néoclassique, avec son appel au classicisme et à la mythologie, amènerait une tradition et une « continuité » face à cette situation politique pour le moins inusitée.

19Mais si l’objectif premier était de propager à travers la colonie une culture déterminée des beaux-arts qui provoquerait des changements dès l’introduction du modèle néoclassique français, des querelles internes et l’efficacité réduite de l’Académie ont amené à des changements de plans. Le groupe des Portugais finit par assumer la direction de l’École et mina l’espoir des artistes français. En outre, face à l’inexistence d’un marché d’œuvres d’art, le groupe dut se mettre au service exclusif de la Famille Royale, se calquant sur l’agenda des dates et des événements que la monarchie ordonnait de commémorer. Après les cérémonies de deuil consacrées à Donha Maria, vinrent les rituels galas, substituant ainsi aux décorations funéraires des arcs triomphaux et des illuminations à l’occasion de la proclamation de Don João VI et de la venue de la future impératrice Leopoldina qui arrivait pour se marier à Don Pedro.

20Cependant, malgré les obstacles, quelques artistes de la « Missão » étaient restés fidèles à l’idée initiale qui prévoyait la création d’une Académie française miniature dans les Amériques. Il s’agissait alors de marcher sur les pas de sa matrice européenne sous deux grands aspects. Dans un premier temps, comme ce fut le cas en France napoléonienne, les membres de la « Missão » ont été responsables d’une série d’œuvres urbaines et de grands monuments inspirés des stricts préceptes néoclassiques. En outre, ils ont interféré dans l’urbanisme de la cour, créant une espèce d’« espace de fête » où se déroulaient des commémorations publiques associées à l’État. Et bien que l’Institut ait été fondé en 1826, les Français, dans ces domaines ont eu du succès. D’un côté, il y avait le modèle néoclassique français napoléonien avec ses exemples de l’Antiquité mélangé à la civilisation occidentale. De l’autre, s’imposait la particularité de cette colonie marquée par l’esclavage qui se propageait à travers tout le territoire. Néanmoins, à cette époque ; l’échec formel de la « Missão » n’était plus un secret. Le modèle visé était inatteignable et la solution était d’imaginer une civilisation possible, décalquée de la réalité et dessinée au crayon sur le papier. Pour ne rien arranger, sous la domination anglaise, la mission française composée de sympathisants de Bonaparte n’avait pas été reçue d’un bon œil, malgré le profil modéré de ses membres. Si le premier accueil parut chaleureux, le temps se chargea de refroidir les impressions et jeta les maîtres dans l’ostracisme ; situation qui était encore plus perturbée par le retour au Portugal de João VI et d’une partie de sa cour, en 1821. Le premier à y retourner fut le graveur Pradier en 1818, suivi par Nicolas Taunay en 1821 et enfin par Debret en 1831. Seuls Montigny et Auguste restèrent sous les tropiques et y moururent.

Nicolas Antoine Taunay ; le David des petites œuvres ou nature s’accorde avec nationalité

21Il vaut la peine, cependant, de comprendre cette « traduction » des artistes napoléoniens, en terre américaine, en prenant l’exemple d’un peintre en particulier. Revenons ainsi en 1815, au moment où Nicolas Taunay, artiste de l’Académie française, rédige une requête au prince Don João dans laquelle il l’informe qu’il se sépare du groupe d’artistes français auquel il allait être, dans un futur proche, bien lié :

Sire,
Deux amours se sont emparés de toutes les facultés de mon âme. L’un me fait désirer d’être l’heureux témoin des actes journaliers de votre Auguste et Divine Personne. L’Autre me rend esclave de la Peinture et me retient assidu à mon chevalet, oú mon noble travail peut me rendre digne d’une honorable protection… . Votre Mejesté dont les talents et la sagesse ont su concilier des interests d’une toute autre importance peut seule (dans sa bonnté) combler tous les vœux de mon cœur en daignant m’attacher à son service et a celui de son Auguste Famille soit en qualité de maitre à dessiner des princes ou des Princesses (dont mes cheveaux blancs me permetent d’approcher) soit en daignant me confier la conservation de ses tableaux, statues, etc., etc., etc. Agé de soixante ans, père d’une très nombreux famille, je me suis trouvé dans mon pays assailli par une revolution d’ont l’agitation toujours croissante a brisé ma modeste fortune.
Effrayé surtout par la dernière invasion de Paris tous mes regards, toutes mes espérances se sont protés sur l’asile que Votre Majesté a choisi pour elle même dans la sagesse de ses conceptions ; alors ecorté par la confiance que donne nécessairement une conduite irreprochable depuis le berceau comme l’oiseau porsuivi par le chasseur, je me suis (pardonnez moi ce langage du cœur) precipité dans le sein paternel de l’Auguste protecteur de la morale et de la vertu.
Devenu par l’obtention de cette insigne faveur le plus jeune de vos sujets, je defirai le plus ancien Portugais quel qu’il soit d’avoir plus de respect d’amour de veneration et de reconaissance pour la Personne Auguste de votre Majesté, que votre respecteux et devoué serviteur. Taunay, Peintre, membre de l’Institut Royal de France. [sic]6

22La requête de Nicolas Taunay, un artiste renommé en France surtout grâce à ses toiles de paysages et à ses peintures de scènes historiques napoléoniennes, est restée dans les archives sans aucune annotation, mais il s’agit d’une demande datée de 1815, certainement postérieure au 3 juillet, lorsque les troupes de la coalition sont entrées dans Paris suite à Waterloo. Taunay, qui souffrait des déboires de la politique, se présentait comme peintre – et sous cette condition demandait la protection de Don João. Le vieux peintre néoclassique s’accordait le luxe de jouer avec son âge – ses 60 ans et ses cheveux blancs – révélant qu’il n’existait aucun danger à l’employer, aussi bien au niveau personnel – ses activités de précepteur auprès des princesses – que face à la réalité de son ancienne affiliation politique. « Un passé irréprochable », notez l’expression utilisée par Taunay qui cherche à faire passer sa requête dans la sphère du privé et à se détacher de toute affiliation à la politique française qui, à ce moment-là, pouvait déplaire au prince du Portugal. Exilé en France, Taunay fait, avec ce terme, un parallèle implicite avec la situation vécue par le roi du Portugal au Brésil, lui aussi en quelque sorte exilé dans sa colonie américaine.

23Mais la correspondance échangée entre le peintre et la royauté portugaise ne s’arrête pas là7. Taunay écrivit une nouvelle fois à Don João et réutilisa son ton respectueux et suppliant dans sa lettre à la princesse Carlota Joaquina. C’est là la preuve de l’humilité et de la complicité d’un artiste jusqu’alors lié aux luttes napoléoniennes de l’Académie française – momentanément transformée en Institut – et qui à ce moment-là nie ou omet l’existence de toute mission artistique française.

24Cependant, contrairement à ce que sous-entendaient les deux lettres, Taunay ne viendrait pas seul. Si, selon toute vraisemblance, il paya de sa poche son voyage pour arriver au Brésil, le fait est, qu’en fin de comptes, il serait accompagné d’un groupe d’artistes français qui, arrivés au Brésil en 1816, souhaitaient créer une iconographie officielle – à la fois de civilisation européenne et de nature tropicale – et fonder une Académie brésilienne. Comme on l’a vu précédemment, composée majoritairement d’artistes associés à l’Empire de Napoléon, la mission était constituée de peintres, de sculpteurs, de graveurs, d’architectes et parmi eux, Nicolas Taunay. Ex-pensionnaire de l’Institut de France, visiteur assidu des Salons, membre de l’Institut de France, il était un des peintres officiels pendant l’apogée de la période napoléonienne.

25Il est essentiel de comprendre pourquoi ce fidèle collaborateur de « l’ennemi français » – peut-être le plus connu des artistes français qui ont suivi la mission – envisagea l’idée de déménager au Brésil, une colonie tranquille, bien sûr, mais étrange de par ses habitants et ses coutumes. Pour cela, nous allons nous replonger dans son histoire jusqu’à ce que nous arrivions audit moment de l’installation de la mission au Brésil.

26Né à Paris le 10 février 1755, Taunay a été préparé dès sa jeunesse, à la carrière de peintre en France. Il étudia à Rome de 1784 à 1787. Le peintre était issu d’une ancienne famille du Poitou, qui s’était convertie au calvinisme, s’était exilée et qui, après la révocation de l’Édit de Nantes au xviii^e siècle, était revenue dans leur patrie. Le culte que Taunay voua très tôt à la patrie française est peut-être venu de là – et des caractères de sa propre époque.

27Son père, Pierre-Antoine-Henri Taunay (1728-1787) était chimiste et peintre à la manufacture royale de porcelaines de Sèvres. Grâce à son habileté d’artiste, à son implication dans l’invention de différents émaux, nuances et couleurs, Louis XVI lui donna le titre de « pensionnaire du Roi »8. Son père était ainsi un artiste connu pour élaborer et préparer des couleurs et pour garder jalousement le secret des formules. Peut-être le goût de Taunay pour la peinture et surtout pour la couleur est-il venu de cette habitude de travailler dur ?

28Se découvrant des aptitudes pour l’art, il fréquenta dès ses 13 ans, l’atelier de Lepicié, un artiste assez connu à cette époque, mais à la technique médiocre. Peu après, il étudia auprès de Brenet, peintre historique qui l’initia à la technique du dessin. Sa prochaine étape fut de devenir le disciple de Francisco Casanova, peintre de batailles reconnu qui, à l’époque, gagnait beaucoup d’argent grâce à toutes les commandes qu’on lui passait. Ayant perdu son maître qui s’était retiré à Paris puis à Vienne et enfin en Russie, il se consacra uniquement à l’étude de la nature et à l’analyse de célèbres paysagistes. Il étudia les alentours de Paris et partit ensuite pour une longue excursion en Savoie et en Suisse. Passionné par la nature, il faisait de longues randonnées en montagne où il observait les rochers, les arbres et les rivières.

29En 1777, il se présenta pour la première fois au public parisien lors d’une exposition en plein air connue sous le nom d’« Exposition de la Jeunesse ». Selon la critique, il s’agissait de « la naissance du talent d’un nouveau Berghem »9. En 1779, il prit pour la seconde fois part à « l’Exposition de la Jeunesse ». En 1782, il réapparut au « Salon de la Correspondance » ; il avait déjà une certaine réputation ; il fréquentait le milieu artistique local, c’était un ami intime d’Hubert Robert et de Fragonard, son premier client. C’est d’ailleurs lui – Fragonard – qui présenta Taunay au Comte d’Angeviller, ministre des Beaux-Arts, superintendant des bâtiments royaux et des Beaux-Arts et qui jouissait d’une grande influence dans le monde des arts. Suivant les conseils du comte, Taunay postula à l’Académie qui faisait office de port de sûreté pour les artistes qui en faisaient partie.

30Le 31 juillet 1784, il fut agréé par l’Académie Royale des Arts, grâce à un tableau dont le thème était inspiré de l’Arioste. « Agréé » était le titre le plus modeste de l’Académie, mais il lui ouvrait les portes des salons officiels biennaux. L’important est que dès lors, il commença à jouir des bienfaits de la structure académique. Cette même année de 1784, décéda un pensionnaire de l’Académie de France à Rome, Jean-Gustave Taraval, et d’Angevilliers eut l’idée d’offrir le poste – sans concours préalable – à Taunay. En réalité, il fit bien plus, il demanda à Vien (alors directeur de l’école de Rome) d’inviter l’artiste en lui donnant l’impression que l’idée venait de lui-même. Comme on le constate, la structure et les règles étaient faites pour être contournées et notre Taunay entra à Rome sans passer les examens communs aux autres candidats : de par sa condition de protégé, il méritait son statut. Taunay partit en Italie où il resta pendant trois ans, jusqu’à fin 1787.

31Arrivé à Rome, Taunay affronta le succès et l’influence que David exerçait à cette époque. Commença alors sa relation un tantinet ambivalente avec l’artiste : sans se soumettre à la tyrannie du peintre – qui imposa le retour à l’Antiquité, la copie des œuvres de Raphaël et la suprématie des toiles historique – Taunay n’était pas immunisé contre la mode néoclassique dictée par David et son groupe. De toute façon, il profita de son séjour à Rome pour visiter des monuments et des galeries, observant et copiant selon les règles de l’école qu’il fréquentait alors. Il présentait également chaque année une peinture de son crû mais selon les registres de l’école, il ne s’agissait que d’œuvres de seconde catégorie. Pour ces raisons et d’autres encore, le directeur insista auprès du comte, lui disant qu’il était peut-être temps pour « Monsieur Taunay de partir ». Il ajouta que seuls les peintres historiques avaient le droit de rester quatre ans, et que ce n’était pas le cas de Taunay.

32En 1787, encore en Italie, Taunay exposa pour la première fois au Salon Officiel prenant part plus tard aux expositions de 1789, 1791 et 1793. Les nombreux tableaux qu’il présenta lui garantirent la réputation de paysagiste expert, en petites toiles, sa grande spécialité. La critique lui était en majorité favorable, cependant, face à la nouvelle orientation – que David et son école commençaient à imposer – personne ne semblait s’intéresser à ce qui n’était ni grec ni romain10. Commençait ainsi le triomphe absolu des membres de l’école de David, triomphe que la Révolution consacrerait. En outre, pour le plus grand malheur de notre peintre, à cette époque, les peintures de paysages et de genre (que Taunay pratiquait) étaient considérées comme inférieures, surtout en comparaison avec les peintures mythologiques ou historiques.

33Si Nicolas Taunay résista à suivre aveuglément la nouvelle tendance, il ne pouvait pas ne pas lui accorder de l’importance, sous peine d’encourir la colère des passionnés de la peinture de David ou d’être harcelé dans le milieu artistique11. Mais l’Académie vivait une situation de démantèlement et les turbulences qui précédèrent la Révolution arrivaient également à l’École de Rome.

34À son tour, après avoir voyagé en Italie – à Naples, en Sicile, à Florence, à Pise, à Sienne, à Bologne – le peintre revint à Paris pour rejoindre son frère et sa fiancée qui, étant issue d’une famille aisée, garantirait plus de sécurité à cet artiste qui signait, même sur son contrat de mariage, « peintre du roi et de son Académie ».

35Même s’il étalait un certain éclectisme de styles et de genres, Taunay commençait à acquérir une réputation dans la capitale française et dans le monde des arts. Lors du salon de 1789, par exemple, même si les journaux se consacraient à l’événement politique, la prise de la Bastille, il existe des notes sur les œuvres de l’artiste, plus particulièrement sur les tableaux « Henri IV » et « Messe célébrée dans une chapelle dédiée à saint Roch »12.

36En 1791, les toiles de Taunay figurèrent à l’exposition de l’Académie royale qui était nommée « Centrale » au lieu de « Royale » – et qui n’était plus dirigée par d’Angeviller qui, craintif, avait émigré en Russie. La discorde était aussi arrivée dans le monde de l’art avec la bataille lancée par le groupe de David contre l’Académie. Néanmoins, Taunay y prit part avec sept toiles qui répondaient aux genres en vogue et qui avaient reçu divers prix. Il essayait de rester à mi-chemin ; sans suivre les ordres davidiens13, il faisait des concessions et produisait des toiles plus historiques. Mais un tel écart ne fut pas suffisant pour le soustraire à la mauvaise volonté de ses contemporains qui le liaient à d’Angeviller et au genre discrédité du paysage. Malgré tout, en 1792, en collaboration avec David, Taunay fit partie d’une commission d’artistes élus en 1791, qui avait pour objectif de distribuer les prix accordés par l’Académie Nationale. Taunay se maintenait donc, à mi-chemin, et recevait ainsi 3 000 francs en récompense de son travail : un grand prix pour un simple peintre de paysages qui ne peignait ni Athéniens, ni Troyens ni Carthaginois.

37Cependant, alors que commençait la Terreur, s’accrut la « dictature des Arts » de David. Omnipotent, il alla jusqu’à poursuivre des artistes qui n’appartenaient pas à son cercle, comme ce fut le cas de son ex-ami Hubert Robert, qu’il fit incarcérer pour « attentat au civisme ».

38Le 10 août 1793, en pleine Terreur, fut inaugurée la « Commune générale des Arts » et comme nous le savons, la propre structure de l’Académie commençait à changer avec la nouvelle direction de la révolution. L’art se mettait à la disposition de la politique et lui montrait ses attaches : pauvres et ingénus tableaux de paysages. Malgré tout, 627 toiles furent exposées dont dix de Taunay. Comme preuve de leur indépendance, ils exposèrent trois tableaux à thèmes religieux, à une époque où les démonstrations de christianisme (militant) pouvaient coûter cher. Elle se maintenait ainsi, fidèle à ses principes artistiques et théoriques et, malgré les temps agités, elle n’ébaucha aucune tentative d’esquisser un seul thème au goût du davidisme14.

39Il y eut peu de critiques de la dispute artistique parce que les arts n’étaient plus le sujet du moment. Le contexte se radicalisait et Taunay était considéré comme un de ces « vils satellites du satrape Angeviller ». Pour cette raison, Taunay quitta Paris avec sa femme, ses deux enfants et son frère. Il acheta la maison où avait vécu Jean-Jacques Rousseau à Montmorency et y résida jusqu’en 1796, essayant de rester au mieux dans l’oubli. Les noms changeaient tout comme l’ancien ordre des choses était modifié : l’ancienne « Commune des Arts » fut renommée « Société populaire et républicaine des Arts » puis enfin « Club révolutionnaire des Arts ». Les mots se chargèrent de pouvoir et l’art de la rhétorique s’associa aux arts.

40La période de Terreur s’acheva fin 1795, mais Taunay encore craintif, arrêta de participer au Salon cette même année. Le 24 octobre 1795, la Convention remplaça les anciennes Académies par l’Institut de France où étaient réunies sous le même toit l’Académie Française, l’Académie des Inscriptions et des Beaux-Arts, l’Académie des Sciences et l’Académie de Peinture et de Sculpture.

41Pour participer à cette nouvelle institution – déjà pendant le Directoire – furent cités entre autres, les noms de David et de Taunay. David revenait au pouvoir dans les arts et étaient éloignés des artistes identifiés avec le Rococo, comme Greuze et Fragonard. Taunay hésita à accepter l’invitation car il lui paraissait plus judicieux de ne pas prendre de position officielle.

42Ainsi, début 1796, Taunay laissa sa tranquillité pour aller habiter de nouveau à Paris. Il recommença également ses activités, participant au Salon de 1796. À la clôture de l’événement, 100 000 francs furent distribués, soixante-dix mille étant attribués à la peinture historique et le reste aux autres genres. Taunay se retrouva avec un petit prix, mais les temps allaient mieux pour les artistes.

43En 1797, apparurent au Louvre, les premières conquises, un euphémisme qui désignait l’arrivée des chefs-d’œuvre italiens confisqués par Bonaparte. Napoléon se rapprochait des luttes des arts et prouvait son pouvoir au monde en volant des objets d’art et en ramenant des toiles et des antiquités pour les musées français. Le salon de 1798 incluait 428 tableaux et Taunay qui, pour la première fois, se nommait « disciple de Casanova ». Mais la vogue n’était définitivement pas du côté de Taunay. 1799 marqua l’année du triomphe de David qui présenta cette année-là L’enlèvement des Sabines. S’y trouvait la preuve des qualités et défauts de ce type d’œuvre mais peu nombreux furent ceux qui pensèrent à souligner ce second aspect. S’y trouvaient également, les caractéristiques qui avaient fait de David le chef de l’école : la pureté des formes, la netteté des contours, les anatomies fermes, la pureté des modèles. Il était difficile de résister à la mode comme le ferait Taunay alors surnommé Le poussin du chevalet (do Cavalete) ou La Fountaine da pintura. Ces surnoms se référaient au paysagisme, aux couleurs et aux dimensions des toiles de Taunay que la critique présentait et liait aux œuvres de petites dimensions.

44Mais Taunay céda d’une certaine façon au davidisme, à cette époque, vu que l’État n’acquérait que des œuvres de grandes dimensions qui traitaient de thèmes historiques. Il sortit des limites du paysage et commença à se présenter comme peintre historique, la meilleure qualification qu’un peintre pouvait recevoir. La critique désapprouva son écart mais les arrangements de l’époque semblaient chercher de nouvelles factures.

45Le coup d’État du 9 novembre 1799 ne fera que confirmer cette tendance alors que Napoléon contrôlait l’État et les arts. Napoléon devint le grand (et presque l’unique) mécène et apporta le plus grand nombre d’œuvres italiennes au Louvre qui devait être lié à son image. La situation n’était pas mauvaise pour Taunay, surtout grâce aux relations étroites qu’il construisit avec Joséphine, pour laquelle il avait peint deux toiles destinées à décorer une des pièces principales de sa résidence.

46Lors du Salon de 1801, Taunay se lia plus directement aux luttes de l’État en exposant trois tableaux historiques : « Le Général Bonaparte reçoit des prisonniers sur le champ de bataille après une de ses victoires en Italie » ; « Passage des Alpes par le général Bonaparte » ; « Attaque du Fort de Bard ». Taunay donna au premier tableau des dimensions auxquelles il n’était pas habitué – 2,57 m de largeur et 1,61 m de hauteur – et il obtint une grande médaille et un prix d’animation institué par le gouvernement, bien qu’il eût participé au concours pour l’élaboration de la représentation de la Bataille de Nazareth, commandée par le gouvernement français. La toile « Bonaparte reçoit les prisonniers » reçut le troisième prix et divisa la critique et l’État.

47En 1802, le gouvernement du premier Consul ouvrit également un concours pour la représentation héroïque de la colonie française en Syrie. La condition était que la toile fît 25 pieds de long et la récompense serait alors de 12 000 francs. Taunay fut, une fois encore, dans les quatre finalistes. Les toiles étaient aussi monumentales que devait l’être l’image de l’État. Taunay s’adaptait à sa nouvelle situation. Dans la même année – 1802 – il participa à une importante mission officielle : parmi les œuvres conquises en Italie, se trouvait le célèbre tableau de Raphaël – La Vierge de Foligno qui était très détérioré – et Taunay fit partie de la commission qui accompagna les travaux sur l’œuvre et qui s’assura de sa conservation. Cette même année, Taunay reçut également des commandes pour réaliser des dessins pour porcelaine de Sèvres : les thèmes étaient soit militaires soit pastoraux mais visant toujours à la gloire de l’État. Comme on le voit, la collaboration avec Taunay – que ce soit pour des commissions, des prix, des œuvres ou même des décorations – était grandissante.

48En 1804, commença l’Empire ; soubresaut politique accueilli avec allégresse par la colonie d’artistes de Napoléon et parmi eux Taunay. Pour l’artiste, le prix prit la forme d’une médaille d’or, récompense attribuée aux artistes qui s’étaient fait remarquer à l’exposition. Et les commandes officielles pleuvaient. Les exigences de l’État furent nombreuses ; il demandait de grands tableaux aux sujets militaires, des toiles qui étaient exposées comme beaucoup d’autres lors des Salons.

49Taunay montait de plus en plus les échelons qui le liaient à l’État napoléonien. Bien sûr, il n’était pas peintre officiel et ne possédait pas la position de leader de David, mais il faisait partie de la sphère intime qui entourait l’Empereur et l’Impératrice. En 1807, il figurait sur la liste présentée à Napoléon I^er pour le choix du directeur de l’Académie de France à Rome. En 1813, il fut élu Vice-président de la Classe des Beaux-Arts de l’Institut de France puis, en 1814, Président. Entretemps, la dispute entre Lebreton – secrétaire perpétuel de la classe des Beaux-Arts – et David s’était envenimée et Taunay, bien qu’il souhaitât une certaine neutralité, penchait du côté de Lebreton qui cherchait à éloigner David des décisions de l’Institut.

50En 1806, s’ouvrit un nouveau salon, un moment qui consacra le pouvoir de Napoléon qui écrasa la Prusse et décréta le Blocus Continental. 1807 serait cependant une année de pénurie. L’Institut était, lui aussi, en très mauvaise posture, malgré les preuves d’estime que Napoléon dédiait à l’art, surtout à celui qui magnifiait l’image de son État. Bien que cité comme un des artistes éminents dans le « Quadro geral do estudo de Ciências, letras e artes a partir de 1789 », la production historique de Taunay exposée en 1808, fut soumise à de sévères critiques. Le centre du salon était lui-même Le sacre de Napoléon de David – la grande peinture de l’Empire – et l’œuvre de Taunay semblait éclipsée face à l’immense toile. Malgré tout, Napoléon sut apprécier les œuvres qui lui étaient dédiées et acheta le tableau de Taunay.

51Les jours de l’Empire arrivaient toutefois à leur fin, tout comme la situation financière de Taunay se détériorait à cause de quelques problèmes avec l’héritage de sa femme. Néanmoins, il participa au Salon de 1810 avec des toiles officielles qui lui valurent de nouvelles commandes de l’État. Cette fois-ci, la demande concernait un certain épisode héroïque de la campagne en Espagne et aussi les batailles en Italie : les deux toiles devaient être exposées lors du Salon de 1812. Comme nous l’avons vu, Napoléon essayait de compenser les sacrifices et les contrariétés avec des toiles grandioses et héroïques.

52C’est dans ce contexte que s’est ouverte l’exposition de 1812. La campagne de Russie n’allait pas bien et, entre 1813 et 1814, la situation n’avait pas cessé de se détériorer avec l’invasion de la France. Mais, en tant qu’artiste, Taunay n’avait pas à se plaindre : il vendait tout ce qu’il réalisait et avait réussi à économiser un petit pécule. En 1813, il fut président de la classe à l’Institut de France et vit avec déplaisir la chute de Napoléon. C’est pour cette raison, et vu ses liens avec le staff napoléonien, que l’abdication de Napoléon a beaucoup influencé Taunay dans ses décisions personnelles. Malgré tout, l’artiste participa avec douze toiles au Salon de 1814, inauguré par Louis XVIII, le premier novembre.

53La succession d’événements et l’écroulement de Napoléon ont semblé être des facteurs suffisants pour que Taunay accepte l’invitation et intègre la Missão qui allait au Brésil, une espèce de baume pour guérir ses déceptions. Il avait déjà soixante ans et le voyage en Amérique était bien plus radical que son séjour à Rome et dans ses alentours. Mais le voyage était aussi, dans son cas, un remède et un poison.

54Sa motivation immédiate a été néanmoins tout autre. Le premier octobre 1814, quand se tint la session solennelle de l’Institut de France, le nom de Taunay ne figurait plus sur la liste des recommandés pour le « Prix de Rome ». Le moment politique était autre et les artistes liés à l’ancien État commençaient à faire partie d’une « seconde catégorie » dans le monde des arts. Les cris du fils de Taunay – Charles Auguste – qui se posta devant les ducs d’Angoulême et de Wellington, en réclamant que soit décernée à son père la Légion d’Honneur, ne servirent à rien. Au contraire, ces actes coûtèrent à son fils l’exclusion de la carrière militaire et la prison. En effet, l’ensemble des faits avait révélé non seulement une volte-face dans la politique de l’Institution, mais aussi un certain éloignement du noyau central, situation à laquelle Taunay n’était jusqu’alors pas habitué.

55L’émigration s’est donc révélée pour Taunay comme étant une mesure passagère pour contourner ses problèmes publics et personnels. L’Amérique représentait, en ce sens, un lieu isolé, éloigné de la guerre et dont la nature inspirait l’attention de Taunay. L’artiste demanda à être éloigné de l’Institut de France pour cinq ans (en indiquant que cette situation serait provisoire) et à la mi-décembre, il partit avec toute sa famille et une servante pour l’inconnue colonie portugaise. Sur le compte rendu de session de l’Institut de France, en date du 23 décembre 1815, on lit : « Le secrétaire perpétuel lit une lettre par laquelle Mr. Taunay announce à M. le Président qu’il entreprendra na grand voyage at qu’il enverra à la classe des travaux qu’um beau pays lui inspirera. [sic] »15. La nature du Brésil servait de texte et prétexte au départ de Taunay qui annonçait clairement son désir de revenir. De plus, cette invitation était le prétexte à affronter « le défi du voyage » qui correspondait à l’idéal de n’importe quel paysagiste et admirateur de la nature, empirique ou même idéalisée.

Enfin sous les tropiques : Taunay et la « mission »

56Il arriva au Brésil en compagnie de ses compatriotes, le 26 mars 1816. Annoncé comme peintre de paysages, il est logé dans une maison de la cour et le 12 août 1816, il est embauché pour une durée de six ans, pour le salaire de huit cent mille réaux soit cinq mille francs selon le cours de l’époque. C’était un salaire modeste mais confortable, qui prévoyait les coûts de la vie à Rio de Janeiro, et qui lui permettait au moins d’envisager un séjour provisoire mais momentané, loin de la politique française.

57Enchanté par le paysage local, Taunay acquit un terrain à Tijuca, près d’une cascade où il attendit en compagnie de son frère, la fondation de l’Académie. Entretemps, il fit le portrait du prince Don João, en plus de nombreux portraits sur commande. C’était une façon intrépide d’assurer sa subsistance : réaliser des portraits pour cette élite émigrée qui avait du mal à se refaire dans la colonie américaine, qui était à ce moment-là le siège de l’Empire portugais. En outre, il occupait son temps à fixer la végétation brésilienne, sa véritable mission personnelle au Brésil. Cependant, si Taunay restait à la cour portugaise, ses pensées étaient tournées vers la France. Il suffit d’analyser la lettre du 27 octobre 1817 dans laquelle Taunay se lamente sur son destin dans la colonie américaine. « J’ai enfin reçu des nouvelles de France et mon inquiétude est passés (…) Ma situation est la même qu’elle était lors de ma dernière lettre, j’ai autant d’espoirs que ce pays peut em presenter. J’éprouve beaucoup d’ennuys que quelques petits profits font supporter, beaucoup de chagrin provenant de la division de ma famille et de celle de tous les français… . [sic] »16.

58Taunay qui craignait les risques de répression à l’époque de la Restauration, était rempli d’espoirs envers ce pays neuf, même s’il ne refusait pas les nouvelles de France. Il se lamentait, cependant, plus loin dans sa lettre, sur le manque d’opportunités et la pauvreté de la vie culturelle de l’endroit. Pour preuve, dans sa missive, le peintre se plaignait « du retard culturel du Brésil, qui était encore soumis à la domination religieuse et bien loin de l’influence de l’esprit des Lumières ». Pour finir, l’artiste terminait en disant qu’il avait gardé un petit pécule pour payer son billet de retour à la mère-patrie, ce qui prouve que ce qui intéressait Taunay, à ce moment-là, n’était pas son contrat de six ans, mais la possibilité de retourner à Paris17.

59Bien qu’étant loin, il envoya un tableau pour prendre part au Salon de 1819, dans lequel le thème biblique – La prédication de Saint Jean-Baptiste – était idéalisé autour du paysage brésilien. Le thème était un classique mais la décoration amenait la nouveauté des tropiques. La critique n’a pas été des plus favorables, car selon toute vraisemblance, il s’était vu forcé d’abandonner le tableau par manque de couleurs, denrée qui se raréfiait et était de mauvaise qualité à Rio de Janeiro. La toile lui valut cependant la Légion d’Honneur, décernée par Louis XVIII lui-même. C’était un billet d’entrée (ou mieux de retour) pour la patrie française. Pour preuve, il ne perdait pas le contact avec la France et l’Institut à qui il offrit, le 10 mai 1818, trois tableaux sur Rio de Janeiro.

60Mais à ce moment-là, les problèmes augmentèrent y compris du point de vue financier. Dans sa lettre datée du 30 août 1819, Taunay commentait ses déceptions à ce sujet :

… Vous vous doutés bien mon très cher digne ami que je désire les vendre pour réaliser des capitaux nécessaires à la réédification de ma petitte fortune dons hereusement les derniers débris ont été employés à l’acquisition d’une caffeterie presqu’abandonnée et dont la restauration me donne déjà um produit valant au moins le tiers du petit capital qui y a été consacré (…) Mais malhereusement il faut des Nègres et pour avoir des Nègres il faut de l’argent et voilà pourquoi je vous envoie les vingt tableaux qui composent les deux commissions… [sic].

61Comme constaté, Taunay qui se qualifiait d’« amoureux de l’égalité », s’était abandonné aux coutumes locales : il avait déjà trois « nègres » [sic] et souhaitait en acquérir un autre pour augmenter le rendement de sa plantation. La propriété de Cascatinha de la Tijuca était décrite comme ayant 422 000 m² et la chute d’eau faisait entre 70 et 90 mètres de hauteur : la nature aidait mais non la technique. L’artiste terminait sa lettre en définissant comme un « fugitif » de la Restauration, un exilé dans les terres du Nouveau-Monde18.

62Taunay fixa également la nature brésilienne dans une série de plus de trente toiles où il cherchait à diminuer (voire même cacher) l’esclavage et élever la nature, qui faisait office de nation. Cependant, une série de facteurs amenèrent Taunay à revenir en France – la fin de son contrat, le manque de moyens pour peindre, l’isolement, l’intrigue des peintres portugais et son contact constant avec l’Institut – mais la plus grande déception était encore à venir. Après la mort de Lebreton, le 9 juillet 1819, le poste de directeur devait être réservé à Taunay – qui avait la réputation, le prestige et l’âge pour cela. Toutefois, le Vicomte de San Lorenço trouva plus judicieux de lui préférer Henrique José da Silva, un peintre portugais peu connu en dehors de l’environnement domestique.

63La nomination générait une crise évidente entre les artistes de la Missão et les autres collègues de l’Académie ; crise qui n’était pas flagrante dans le décret du 3 novembre 1820, dans lequel Taunay apparaît comme un des employés de l’Académie et de l’École Royale, en tant que peintre paysagiste et pour le salaire de 800 000 réaux. L’artiste n’allait cependant pas rester plus longtemps au Brésil. Les premiers enchantements liés à la contemplation de la nature passés, Taunay commençait à se rendre compte de la situation. Le milieu des arts continuait à être isolé, presque inerte face aux nouvelles recherches esthétiques et soumis surtout à des disputes et à des préoccupations plus locales.

64Début 1821, Taunay retourna en France, ce qui était son vieux rêve, mieux entretenu encore, face aux difficultés que rencontraient à ce moment-là les artistes français pour imposer leurs critères et leurs modèles à l’Académie brésilienne. Le fait est qu’avec la mort du comte de Barca, en juin 1817, rien ne se passa comme prévu. En effet, le marasme dans lequel les artistes français tombèrent – artistes qui, comme nous l’avons vu, loin de l’Académie étaient exploités, notamment pour la réalisation des fêtes et des rituels de la royauté – a amené Taunay à passer cinq ans au Brésil, durant lesquels il utilisa son temps libre pour fixer différentes périodes du paysage de Fluminense : il peignit 35 toiles de paysages sur le Brésil.

65Le retour à Paris ne lui parut pas si étrange : à cette époque, son contrat avec l’Institut touchait à sa fin et le peintre reprit son activité principale, exposant fréquemment dans les salons. Travailleur compulsif, il reprit à 65 ans, la même routine. Encore au Brésil, il prit part au Salon de 1819, son nom réapparut lors des compétitions de 1822, 1824, 1827 et 1831, la dernière étant une exposition posthume.

66Le Brésil apparaissait surtout dans les œuvres exposées à l’exposition de 1822. Cependant, malgré la curiosité générale, il arriva à Taunay la même chose qu’à Franz Post. Personne ne comprit les couleurs des « vues de l’Amérique » : les tons rouges incandescents, les verts et les bleus outranciers, les féroces jaunes si éloignés des échelles chromatiques des Hollandais19. L’époque était davantage au romantisme de Géricault et de Delacroix ; du côté de Taunay, il restait encore un grand « malentendu » entre des cultures si distinctes. Les couleurs étaient étranges, les personnes différentes, les tons plus vifs. C’était comme si, même dans la peinture, apparaissait ce choc des cultures, exprimé dans d’autres domaines de la connaissance.

67Ce n’est pas la peine de se pencher sur la vie de Taunay à Paris, dans la mesure où notre objectif était de montrer l’influence de cette colonie d’artistes napoléoniens au Brésil et sur leurs œuvres brésiliennes. Il suffit de dire qu’en 182⁴ mourut son seul frère et que, le 5 janvier 1828, périt noyé dans les eaux du Guaporé, Adriano Amado Taunay, son fils cadet qui n’avait même pas atteint l’âge de 25 ans. On trouve en 1830 un Nicolas Antoine Taunay à la santé détériorée mais jamais très loin de ses pinceaux. Il avait dans son atelier de nombreux tableaux, certains achevés, d’autres inachevés, lorsque, début mars, il se vit contraint de s’aliter, décédant le 20 mars, au 35, rue Vaugirard20.

68Il décédera les pinceaux à la main et aura toujours maintenu la cohérence dans les principes du néoclassicisme qu’il a toujours pratiqué. Charles Blanc, critique d’art et amateur de l’œuvre de Taunay, l’aurait qualifié, dans un discours posthume, de « David des petits tableaux ». Éloge de l’époque, le surnom prouve plus encore : ses liens avec le modèle qui allia la peinture picturale et la représentation de l’État lui-même, au Brésil comme dans sa patrie française.

Le modèle napoléonien au Brésil

69La production de Taunay est immense et l’artiste peignit pendant plus de 60 ans. Ce n’est pas exagéré de dire qu’il a dû léguer plus de 700 tableaux. Selon le relevé d’Alfonse Taunay21 la distribution des œuvres connues – 526 – serait la suivante : 35 paysages et scènes brésiliennes, 50 tableaux napoléoniens et révolutionnaires, 35 tableaux historiques, 22 tableaux sur des thèmes littéraires, 44 scènes bibliques, 17 scènes mythologiques, 12 scènes antiques, 8 scènes orientales, 41 scènes militaires, 37 scènes italiennes, 41 scènes de foires, 45 scènes champêtres et pastorales, 71 tableaux anecdotiques, 29 panoramas d’Italie, 30 panoramas de France et de Suisse, 25 maritimes, 22 portraits et 12 tableaux divers (voir fig. 5 et 6). À ce relevé s’ajoutent les dessins et les gouaches également produites par le peintre.

70Durant son séjour à Rio, il réalisa plusieurs tableaux aux thèmes anecdotiques, bibliques, mythologiques, historiques, des portraits d’enfants, en plus de nombreux paysages et de divers tableaux commandés par des particuliers. Vu la variété des thèmes traités, Taunay peut aussi bien être qualifié de paysagiste, que de peintre d’histoire, de bataille ou de genre. Cependant, et malgré la polyvalence de son profil, on se souviendra de Taunay comme d’un peintre de paysage et d’histoire. En lui, la grandeur de la Révolution Française s’associa à la richesse de la nature américaine ; seule façon de concilier de telles valeurs avec la réalité qu’il trouva au Brésil lorsqu’il débarqua avec la Missão. Le néoclassicisme s’était introduit au Brésil et, par manque de matériel de techniciens et de professionnels, il finissait par tout re-signifier : les auxiliaires étaient des esclaves, les marbres et les granites étaient substitués à des matériaux plus nobles, les encres devaient être substituées et l’exaltation des vertus propres au style, se tournaient maintenant vers la cour expatriée. C’était « la forme difficile », disait le critique Rodrigo Naves, qui se révélait face à la nouveauté des tropiques22.

71Il est donc possible de retrouver les impasses formelles et thématiques de la célèbre Mission Française à partir de l’œuvre de ce personnage emblématique qu’était Nicolas Taunay. Dans son cas, les vertus exaltées de l’académisme français ont dû se concilier avec la grandeur des tropiques. Une forêt valait bien une cathédrale, un ruisseau correspondait (même s’il était modifié en taille et localisation) à l’exaltation des monuments français.

72Le paysage capté par Taunay est une grande représentation dès lors qu’il est surtout « absence et présence ». Absence d’un canon posé sur des modèles produits ailleurs ; présence dans la réalité qui entrevoit dans la transformation de la nature, un paysage. Absence d’un débat qui affronte d’autres paysages néoclassiques – qui constituent une espèce de sous-entendu – présence dans la transformation de la représentation en une réalité sur la nation. Avec Taunay, le paysage brésilien est devenu un élément historique, tout comme la glorification qu’il s’était habitué à réaliser pour Napoléon. Qu’apportaient de nouveau les thèmes inespérés qu’étaient la nature brésilienne et son paysage exotique ? Comment adapter ce nouveau paysage aux compositions classiques ? Comment inclure les vieux patrons et modèles et, en même temps, décrire la végétation ? Le grand défi de cette génération, qui pouvait être problématisé à partir des toiles de Taunay, semblait résider là… Taunay, cet artiste qui relisait, re-signifiait et ainsi recréait un paysage fait de si nombreuses et inespérées négociations.

73Nous parlons ainsi d’un « malentendu » ou, mieux, d’un choc des cultures exprimé à travers les toiles. Avec Taunay, la notion de « vraie nature », la tradition idéalisée et pastorale dialogue avec la nouvelle réalité de la lumière tropicale, des toiles et des personnages négligeables, encore plus insignifiants lorsqu’il s’agissait d’esclaves, une aberration dans la toile néoclassique. D’un autre côté, il semblait contraignant de seulement transposer la somptuosité des toiles napoléoniennes dans l’environnement exigu de la cour de Don João.

74En outre, si le xix^e siècle avait préparé toute une facture pour penser au paysage, la transposition immédiate sous les tropiques portugais américains était difficile. Il était surtout compliqué de ne trouver que l’authenticité nationale, dans la culture du champ. Si, d’un côté, la végétation était grandiose et entrait bien dans les moules du genre du paysage, le travail était, lui, la fonction des esclaves, et, de même, la politique allait rester entre les mains de la population libre.

75En effet, l’esclavage était, en ce sens, comme la limite de n’importe quelle copie facile. C’est pourquoi, la végétation était plus importante que les hommes qui semblaient insignifiants, presque quantité négligeable. À sa place, il y avait le pittoresque de la nature, l’exotisme de la région. Tout le reste était exagéré de façon à réduire le rôle et la place de l’esclavage qui était presque une scène muette et sûrement passive. Loin des rustiques idéaux se trouvaient les exotiques tropiques – presque nus – avec leurs noirs insignifiants, presque inexistants à être tant réduits et perdus au milieu de cette nature grandiose.

76Le fait est qu’au-delà des nombreux coups d’ordre politique, la « traduction » du modèle académique napoléonien ne fut pas immédiate, surtout face à la réalité esclavocrate retrouvée au Brésil. La solution fut d’éloigner les tropiques et soit d’oublier l’esclavage, soit de lui insuffler un caractère presque vertueux, voire grec. En effet, ces derniers étaient, selon les artistes, des « tropiques difficiles »23.