Histoire et mémoire au Niger
|Première partie. L'élaboration d'une "nouvelle histoire"
Chapitre I. Les nouveaux axes de l’historiographie universitaire : « histoire totale » et « histoire politique », à partir des années 70
Texte intégral
1Dès ses premiers feux, l’histoire universitaire nigérienne semble s’organiser en fonction de deux options. L’une, suivie par André Salifou, auteur de la première thèse d’histoire soutenue par un chercheur nigérien en 1970, préconise l’élaboration d’une histoire globale qui tenterait de retracer des pans aussi variés que possible du passé des sociétés concernées. Djibo Hamani, auteur de la seconde thèse – une étude centrée sur l’Adar pré-colonial – privilégie davantage les thématiques d’ordre politique. Il met en doute le projet d’histoire totale, du fait des limites que l’état des sources disponibles ne permettrait pas de franchir.
2Ces deux tendances paraissent organiser, jusqu’à aujourd’hui, la majeure partie de la recherche universitaire (mémoires de thèses et de maîtrise). Bien que l’axiologie du champ politique paraisse primer, il semble que les objectifs et les formes suivies par les premiers travaux aient influencé une bonne part de la production, jusqu’à nos jours : des monographies consacrées à des terroirs particuliers, des problématiques suffisamment larges pour permettre la mise en œuvre d’une histoire de collecte, devant permettre de compléter des connaissances fragmentaires et d’infléchir les représentations véhiculées par l’historiographie héritée de l’époque coloniale.
3Cependant, cette morphologie paraît entraver l’émergence ou l’affirmation d’autres formes d’investigations. Bien que les thématiques se resserrent au fil des années, les études n’abordent pas volontiers des problématiques plus précises. La forme monographique prédomine sur les études de cas qui furent Surtout menées, pour celles qui existent en petit nombre, par des spécialistes étrangers. La micro-histoire demeure encore un genre peu pratiqué.
1. André Salifou et le projet d’« histoire globale »
- 1 A. Salifou, Le Damagaram…, introduction, p. 15.
Ma préoccupation est donc de concevoir une histoire totale du Damagaram, je ne le répèterai jamais assez, suivant la nouvelle option de mon siècle qui veut que l’histoire d’un pays soit un tout, un ensemble harmonieusement élaboré dans lequel les facteurs politiques et administratifs, économiques et sociaux, religieux et culturels occupent une place correspondant à ce que fut leur importance réelle, et non point une histoire événementielle, souvent même squelettique, parce que fondée sur deux ou trois batailles et quelques maigres dates dynastiques.1
4Cette stratégie historiographique est novatrice dans le cas du Niger : les travaux antérieurs, c’est-à-dire ceux des spécialistes européens de la période coloniale ou des années 60, se sont focalisés sur le politique et l’événementiel et ont très peu abordé les phénomènes sociaux, économiques ou culturels. L’auteur revient là-dessus dans le chapitre consacré à la présentation de ses sources. Les travaux des européens, monographies ou études, n’offrent qu’une vision « squelettique » de l’histoire du Damagaram.
- 2 Op. cit., p. 22.
Le grand défaut de ces documents, défaut d’ailleurs commun à tous les ouvrages que j’énumère par la suite, est leur sécheresse quasi absolue. Toute l’histoire du Damagaram est ramenée à des guerres. Seul sur le long et brillant règne de Taniimum, quelques données administratives, sociales et économiques viennent, à point nommé, étoffer une histoire longtemps demeurée squelettique. Hormis donc cette exception, dans l’ensemble, les problèmes économiques, sociaux et culturels, bref, tout ce qui permet de dire d’une histoire qu’elle est réellement totale, n’est pratiquement pas abordé.2
- 3 La première thèse nigérienne, toutes disciplines confondues.
- 4 « À l’origine de toute acquisition scientifique, il y a le non-conformisme. Les progrès de la Scien (...)
5Nous avons vu que la référence à l’histoire totale est largement utilisée par André Salifou au niveau de sa thèse consacrée au Damagaram3 dans le contexte des années 60/70, lorsque l’un des principaux objectifs déclarés de l’historiographie générale africaine était la légitimation de son existence et de ses choix, tant méthodologiques qu’épistémologiques, par rapport aux adversaires et aux sceptiques (ou désignés comme tels) dont la plupart étaient censés appartenir aux sphères scientifiques occidentales. La rhétorique combative de l’école des annales de sa première période, la culture de la polémique que Lucien Febvre érigeait en nécessité pour le progrès scientifique a sans doute inspiré ces historiens africains de la première génération postcoloniale, eux aussi confrontés à une sorte de contexte « héroïque » dans lequel fusent les polémiques. « L’esprit des annales », tel qu’il fut défendu et diffusé dès les années trente par les tenants successifs du mouvement, valorise les positions combatives, en opposition aux courants conformistes dominants4. La situation qui prévaut durant ces années 60 peut en effet se comparer à celle des années 20, représentée dans les écrits annalistiques comme un moment décisif de combat et d’opposition d’avant-garde : dans les deux cas, des historiens revendiquent une action de rupture avec un courant disciplinaire déclaré dominant.
- 5 « L’histoire qui sert, c’est une histoire serve » : ces propos de L. Febvre nous semblent parfaitem (...)
6Lucien Febvre et Marc Bloch auraient ainsi imposé en leur temps, après un dur combat, une nouvelle dynamique qui l’aurait progressivement emporté sur celle du courant « méthodique ». La Clio africaine, aux indépendances, aurait elle aussi ses champions. Désormais, Ki-Zerbo, C.A. Diop ou A. Salifou déclarent inscrire leur pratique historienne en rupture avec l’époque des savoirs africanistes précédents. Le dispositif critique emprunte des voies similaires à celles utilisées par certains tenants des annales. Outre l’attaque sur les choix d’écriture et de thématiques (récit narratif, histoire-bataille…), c’est la servitude des productions de cette époque coloniale que l’on dénonce, son asservissement, considéré comme total, à l’idéologie de mise en dépendance des peuples colonisés5.
7Toutefois, l’innovation à laquelle on aspire ne se situe pas seulement au niveau idéologique. Du point de vue méthodologique et épistémologique, le jeune historien nigérien revendique, en 1970, une approche nouvelle, une analyse novatrice, adaptée aux objectifs généraux assignés aux cadres de la nouvelle recherche historique par les sphères d’impulsion et de coordination – l’Unesco surtout – des efforts à l’échelle de l’ensemble de la région, voire du continent. Abandonnant les domaines du politique et de l’événementiel, il opte ainsi pour une approche élargie à des horizons qui prétendent échapper, tout ou partie, aux cadres chronologiques, jugés « traditionnels » et dépassés, du récit politique. Les traditions orales, nouveaux « shibolets » de cette histoire de tous les possibles, trouvent toutes leurs forces par l’éloignement annoncé de ces « sentiers battus ».
- 6 La problématique chronologique semble en effet avoir mobilisé une part notable des réunions de Niam (...)
8Cette histoire fondée sur l’oralité vient buter sur des obstacles de plus en plus sérieux lorsqu’elle se propose de fixer l’armature de ses récits à partir d’événements-repères précis. Pour les époques lointaines où les traditions recueillies ne peuvent plus être confrontées et croisées avec d’autres types de traces, l’entreprise se révèle vite une gageure. Ces problèmes de datation, les historiens africains les ont tôt considérés comme des faiblesses majeures, constituant une entrave sérieuse à la reconnaissance de leurs pratiques. La teneur des débats qui animent le champ scientifique africain dans les années 60 et 70 témoigne de l’importance de ce sujet. Les réunions organisées par l’Unesco à Niamey et à Ouagadougou en 1968, puis les conférences SCOA des années70 consacrent une importante partie de leurs travaux aux questions de chronologies et de repérages temporels6.
9L’appropriation des positions contestataires de l’histoire économique et sociale préconisée dès les années20 par L. Febvre et M. Bloch permet là encore de contourner – en la relativisant – la difficulté : certes importantes, les opérations chronologiques perdent de leur importance au profit de régimes d’historicité davantage tournés vers le « temps long »… c’est à une complexification des canevas temporels jusque-là appliqués par les études africanistes coloniales qu’appellent, à l’instar du courant annalistique, les historiens africains de cette époque, présentée comme militante et pionnière. Dans cette optique, des terrains d’étude, considérés comme inexplorés jusque-là, doivent attirer l’attention du chercheur.
10L’ambition ultime du projet historiographique ainsi envisagé et d’emblée mis en application doit aboutir à l’élaboration d’une histoire synthétique, globale, prenant en compte, à côté du champ politique, les domaines socioéconomiques, culturels… Salifou attache beaucoup d’importance à cette orientation qui devient chez lui le but ultime de son heuristique. Un bref aperçu du plan général de sa seconde thèse, Colonisation et société indigènes…, dont le sujet se prête sans doute moins que celui de son premier travail de recherche (monographique celui-là) à ce type d’approche, permet de saisir son importance majeure. Sont évoqués les aspects économiques, sociaux, politiques, des sociétés nigériennes, de part et d’autre de l’horizon-repère constitué par la conquête coloniale, qui structure l’ensemble de l’ouvrage (le premier volume est consacré à la situation précoloniale à la veille de l’intrusion européenne, le second à l’ère coloniale). Les thématiques économiques et sociales l’emportent sur les faits politiques.
Thèmes développés dans les deux volumes de la thèse :
Analyse de la situation politique, sociale et économique dans laquelle se trouvaient les groupes humains de l’espace nigérien à la veille de la période coloniale.
L’exploration puis la conquête…
Les différentes révoltes de 1905 à 1916…
Économie : déclin du commerce transsaharien, remplacement progressif par des échanges de type « moderne », essentiellement concentré entre les mains de commerçants européens et syro-libanais.
Économie : monétarisation, extension ou introduction des cultures de rapport.
Société : amélioration de l’état sanitaire des populations.
Société : apparition par « l’école des Blancs » et la conscription, d’une nouvelle classe de privilégiés (fonctionnaires, anciens combattants, interprètes).
Société : « dans les villes où des indigènes de tous les horizons se retrouvent, le tombeau de l’Afrique ancestrale commence déjà à se creuser ».
Politique : rabaissement de la chefferie coutumière à un rôle de simple rouage de l’administration coloniale.
11Cependant, les comparaisons trop poussées et systématiques avec l’époque et le contexte des premières luttes menées par les fondateurs des Annales seraient hasardeuses si elles ne soulignaient pas les spécificités du moment, ni les écarts avec le « modèle de référence » – du moins, pour Salifou. Ainsi, on constate, au niveau de la morphologie du récit et de l’orientation générale du discours et de la démarche analytique, que la prise en compte de problématiques précises ne constitue pas un objectif essentiel. Le projet d’histoire totale s’inscrit dans les cadres d’une étude de type monographique et prospective, centrée la plupart du temps sur une région historique, un « terroir » qui, à l’instar du Damagaram, se distingue des autres par des éléments d’identité divers – naturels, historiques, humains – susceptibles de se combiner entre eux.
12On justifie cette approche monographique de type extensif en avançant les impératifs auxquels la « nouvelle histoire » africaine doit avant tout répondre. Elle ne pourrait pas, pour beaucoup d’historiens, engager une réflexion resserrée autour de domaines ou de problèmes bien définis avant d’avoir jeté les jalons préliminaires à de telles approches, en engageant une vaste opération de recherche sur les espaces jusque-là peu ou pas du tout abordés et une opération de relecture systématique des savoirs accumulés à l’époque coloniale – ce qui reviendrait, en fait, à opérer sur des terrains que l’on considère vierges de toute prospection « scientifiquement valable ». Il s’agit, à l’instar de l’ambitieux programme de collecte des sources qui s’engage au même moment, d’effectuer une analyse préliminaire des matériaux primaires ainsi repérés au niveau d’un espace donné, en fonction d’une focale qui soit la plus ouverte possible sur des thématiques très générales.
- 7 Nous avons vu précédemment qu’il y a une différence entre la thèse dactylographiée et la publicatio (...)
13Pour le Damagaram, l’auteur affirme ainsi, au niveau de sa thèse dactylographiée7, que son espace d’étude a été très peu exploré et que son travail d’investigation revêt un caractère pionnier. Son étude se propose de faire tout à la fois redécouvrir un passé déformé par les études précédentes et de le faire tout simplement découvrir. Le seul fait d’aborder ces terrains fonde un acte novateur, précurseur, dans la mesure où l’espace investi n’a (presque) pas été exploré auparavant. L’absence ou le déficit des problématiques qui fonde presque, comme le suggèrent les titres des grandes parties de la seconde thèse d’A. Salifou, le retour d’un discours narratif, se justifierait ainsi en fonction d’une explication plus ou moins explicite, empreinte d’un optimisme systématique. Le contexte particulier qui serait celui de cette histoire en gésine imposerait d’établir les repères nécessaires pour que puisse se développer par la suite, une fois les soubassements consolidés, une dynamique positive, naturelle, par laquelle la recherche se développerait et évoluerait de l’avant. Les buts assignés à de telles études préliminaires sont avant tout présentés comme des éléments fondateurs, des préalables incontournables aux progrès historiographiques ultérieurs. Il s’agit de faire progresser les connaissances certes, mais aussi de permettre à d’autres travaux de se déployer à partir du socle de connaissances (d’informations ?) ainsi constitué. Les justifications par les impératifs de prospection préliminaires, formulées par Salifou dans le Damaragam, se retrouvent dans maints travaux de recherche nigériens ultérieurs qui justifierons ainsi en partie le choix de l’espace sur lequel portera la monographie.
- 8 S. Dulucq, L’école historique d’Ibadan…, Décoloniser l’histoire ? De « l’histoire coloniale » aux h (...)
14Le choix historiographique préconisé par A. Salifou dans le cadre de ses propres recherches semble relativement singulier par rapport aux positions adoptées sous d’autres cieux africains pendant la même période. En effet, d’après Sophie Dulucq, « beaucoup d’historiens africains affirment, dans les années 1950-1960, la nécessité d’établir des chronologies, de reconstruire des événements politiques et militaires, avant d’étudier les changements sociaux et économiques en tant que tels (…) Défendue d’un point de vue méthodologique, l’histoire-bataille est considérée comme un socle premier, sur lequel on pourra bâtir autre chose »8.
15Pour l’historien nigérien, la nécessité de défricher avant d’exploiter plus avant le champ de la recherchene justifie pas, au contraire, la mise en œuvre d’« histoires-batailles » traditionnelles, si anachroniques par rapport aux tendances « modernes » qui animent les arènes historiographiques extérieures, occidentales en particulier. Il semble y avoir, chez ce spécialiste, une réelle volonté de concilier cette contrainte de l’approche extensive qu’imposerait la nécessité de collecter un maximum de données historiques avant que celles-ci ne s’estompent à jamais du fait de la disparition des détenteurs de la tradition orale, avec la mise en œuvre d’un projet d’analyse et d’écriture plus ambitieux. L’historiographie nigérienne, confrontée à sa propre genèse et à l’immensité de l’espace vierge qu’il faut baliser, semble ainsi prendre un tournant particulier par rapport aux pays voisins. Le contexte général lui impose peut-être de dépasser les justifications avancées par les théoriciens des années 50 et 60, ceux-là qui eurent à œuvrer aux origines du mouvement. La première thèse d’histoire nigérienne est soutenue en 1970 – la seconde du même spécialiste une dizaine d’années plus tard. La recherche historique universitaire nigérienne prend un essor relativement tardif, en comparaison d’autres structures africaines. Elle ne part pas d’un point zéro ; maintes « écoles » africaines opèrent depuis une ou deux décennies (Ibadan, Dakar…) et commencèrent sans doute, dès la fin des années 60, à orienter les investigations en fonction de thématiques et de problématiques plus resserrées par rapport à la simple chronique événementielle et politique.
- 9 Un master de 3e cycle en histoire (équivalent de l’ancien D.E.A.) s’est ouvert en 2006. Il amorce p (...)
16L’université de Niamey, comme nous l’avons déjà signalé, est l’une des plus récentes d’Afrique de l’Ouest. À la différence des structures universitaires voisines, la recherche n’est pas sanctionnée par des diplômes locaux : la maîtrise d’histoire est créée au début des années 80, tandis qu’il n’y a toujours pas de cursus de troisième cycle au niveau du département d’histoire9 – alors que la plupart des instituts d’histoire des pays de la sous-région en proposent un. Au Niger, les étudiants en thèse doivent ainsi s’inscrire dans des structures d’accueil étrangères. La plupart obtiennent des bourses d’études qui leur ont permis, jusqu’au milieu des années 80, de poursuivre leur activité de chercheur au sein d’équipes d’encadrement, situées pour la plupart en France. A. Salifou soutint ainsi ses travaux à l’université de Toulouse-Le Mirail : Xavier Yacono fut son directeur. Ces étudiants, tout en étant fort sensibles aux débats et combats de l’histoire africaine, bénéficièrent également d’une ouverture vers les débats généraux qui agitaient le monde de la recherche internationale. À cette époque, ce dernier n’était pas indifférent aux échos et aux aspirations de la science africaine.
- 10 « Le titre plus modeste conviendrait mieux à cet ouvrage : Matériaux pour une histoire… Il ne faut (...)
17L’héritage scientifique constitue peut-être un facteur supplémentaire et essentiel qui motiva la volonté de la part des premiers « thésards » nigériens à dépasser le récit narratif orienté vers l’événementiel politique et militaire. La somme qu’Yves Urvoy publia en 1936, Histoire des populations du Soudan Central, semblait sans doute, dès ces années, occuper ce terrain de façon efficace. En l’état actuel des sources, la trame chronologique globale relativement solide paraissait peut-être pouvoir résister aux assauts, même répétés, des vagues de la critique post-coloniale. L’optique dans laquelle la critique historique nigérienne a tenté de démonter l’édifice témoigne d’une telle solidité. La contestation de la chronologie ne semble en effet concerner que des points de détails érudits : l’ensemble demeure globalement pertinent. La finalité de cet ouvrage le condamne, comme sa préface l’annonce10, à une remise en cause, somme toute fort logique, par les recherches ultérieures, celle-ci s’applique moins à dénaturer son squelette temporel qu’à revoir sa substance rhétorique et idéologique.
2. La promotion de la voie politique et la critique du projet d’histoire globale
a. L’Adar pré-colonial : seconde thèse nigérienne d’histoire
- 11 Djibo Hamani, Contribution à l’étude des États hausa. L’Adar précolonial (République du Niger), pré (...)
Le travail que nous avons entrepris porte sur l’histoire de l’Adar jusqu’à la fin du XIXe. À partir de 1900, l’installation du système colonial ouvre une nouvelle période relativement riche en documents écrits. Au-delà, la tradition orale reste encore la principale pourvoyeuse de documents historiques. La nécessité, déjà soulignée, de consigner rapidement les faits emmagasinés dans les mémoires des vieux, nous a amené à entreprendre une étude portant sur l’ensemble du passé de la région. Ceci nous permet d’avoir une base de départ pour les travaux ultérieurs, qui intéressent des régions ou des périodes plus restreintes.11
18En 1975 est soutenue la seconde thèse d’histoire nigérienne, consacrée à l’étude du passé précolonial de l’Adar. Son auteur, Djibo Hamani, fait partie de la seconde génération de chercheurs d’histoire de l’époque des indépendances – Boubou Hama représentant à lui seul ou presque, la première. Ils sont aussi les premiers chercheurs à se spécialiser dans l’étude du passé et à engager ces travaux de troisième cycle estampillés « historiques ». L’Adar est le terrain de recherche de Djibo Hamani depuis les années 60 : le premier article d’histoire nigérienne écrit et publié dans une revue nationale, Mu Kara Sane, fut élaboré par lui-même à partir d’un succinct compte rendu de ses propres travaux.
19Au premier abord, les objectifs poursuivis s’inscrivent dans le programme d’ensemble qu’A. Salifou avait commencé à esquisser cinq ans plus tôt. Il s’agit en effet d’une monographie orientée vers la prospection du passé d’une région « historique » du Niger qui appartient, à l’instar du Damagaram, à l’aire hausaphone. La période prise en compte semble également confirmer la poursuite du cap précédent : la recherche couvre une longue durée de près d’un millénaire d’histoire précoloniale avec, comme borne chronologique finale, les débuts de l’ère coloniale. La question des sources ne révèle pas là encore d’inflexionsmajeures : une des intentions essentielles en la matière reprend l’objectif de collecter de façon systématique l’ensemble des traditions orales qui peuvent encore l’être avant leur altération définitive ; la prospection revêt un caractère systématique : l’extrait de la préface suggère en effet qu’elle vise à sauver l’ensemble des pans de l’histoire de cet espace, quelles qu’en soient les thématiques, en vue de permettre à des études ultérieures de resserrer leurs espaces et leurs thématiques d’investigation. La contribution à l’histoire de l’Adar précolonial semblerait ainsi représenter un autre exemple-type de monographie précoloniale, largement ouverte sans problématique trop précise sur une longue durée, dont la finalité essentielle serait d’imprimer une touche supplémentaire à la composition historiographique nigérienne d’ensemble qui demeurerait encore, à cette époque, à peine esquissée. Cependant, la charpente de l’étude suit en réalité un cheminement tout autre, et propose un style monographique différent de la première.
L’ADAR précolonial présenté dans un manuel de l’école primpaire

Histoire et Géographie en CM1, I.N.D.R.A.P., Niamey, p. 56
- 12 Op. cit., conclusion, p. 231.
Il est à remarquer que cette période (XIe) est également celle que donnent les études historiques nigérianes ou autres comme point de départ de la constitution des premiers États hausas. Il est vrai que certains de ces auteurs, dont le point de vue est aujourd’hui fortement combattu, lient la naissance de l’État en pays hausa à une immigration d’origine étrangère, blanche plus précisément. Ce qui par contre apparaît presque comme une certitude, ce sont les mouvements de populations dans tout le Soudan Central et en particulier dans le vaste espace occupé par les Hausawas. Déjà au cours de la deuxième moitié du premier millénaire après J.-C. des événements similaires avaient affecté l’autre grand groupe ethnique du Soudan Central, les Kanuris, ou plus exactement les peuples qui allaient se fondre dans un ensemble unique sous la férule de la dynastie des Sefawas, pour donner les Kanuris. Le groupe hausa, qui semble plus anciennement constitué que celui des Kanuris, avait probablement été entraîné dans le même processus de regroupement et d’expérience étatique, mais d’une manière différente puisqu’il resta toujours divisé en un grand nombre d’entités politiques.12
- 13 Première partie : Migrations azna et fondation des premières communautés villageoises ; Deuxième pa (...)
20Il ne s’agit pas d’histoire totale ou globale : la problématique de la formation et de l’évolution de l’État dans cet espace « adarawa » constitue le fil directeur de ce travail de recherche, sa problématique essentielle. Le plan adopté est chronologique : six parties charpentent le travail, avec des bornes temporelles d’autant plus précises qu’elle cadrent des périodes de plus en plus récentes13. Le processus d’étatisation que la recherche s’efforce de retracer correspond en fait à une tendance lourde de l’historiographie du monde hausaphone à partir des années 60. « L’École de Zaria » au Nigeria du Nord devient rapidement, à partir de sa création, le pôle essentiel d’études historiques de la région. L’étude des États hausa précoloniaux représente un axe de recherche majeur de cet important pôle universitaire. L’approche tentée par Djibo Hamani s’inscrit ainsi dans cette logique. Par son travail, l’auteur construit un pallier identitaire local, lié au territoire historique qui moule son approche monographique. Il revendique également une connivence étroite avec l’orbite nigériane, scientifique celle-là. Prenant part aux problématiques générales de « l’école de Zaria », utilisant et citant un certain nombre de ses travaux, il dessine les contours d’un territoire scientifique nigéro-nigerian sinon unifié, du moins intimement lié par la force des réalités géographiques et historiques et, sans doute, la force d’attraction que le monde universitaire nigérian exerce sur notre chercheur en quête, peut-être, de repères personnels en affinité avec ses propres sensibilités culturelles et ses convictions. Il relie son travail à un espace élargi à une aire culturelle vaste, de part et d’autre du partage politique opéré par la colonisation…
- 14 Beaucoup de titres anglophones ont trait aux structures étatiques pré-coloniales du monde hausa nig (...)
- 15 Abd al Qadir b. Mustafa, Raudat al-afkar fi akhbar bilad al Hausiyya.
- 16 Il s’agit des auteurs suivants : - Alhajj Sa’id, « Tarikh Sokoto », in Tedziret en Nisian, trad. O. (...)
21Une analyse détaillée des sources et des références qu’il utilise donne une idée plus précise de cet ancrage nigérian. La rubrique « études » comprend 88titres, dont 35 du monde scientifique anglophone et, parmi ceux-ci, 8originaires des universités nord-nigérianes, surtout de Zaria14. La liste précise les références des six manuscrits d’époque utilisés pour l’étude. Cinq sont originaires du Nigeria, un du Niger : il s’agit des fameuses chroniques d’Agadès d’Yves Urvoy. Parmi le corpus de manuscrits nigérians, un seul est issu des archives de Kaduna15. Les autres sont relativement plus connuspar le biais des traductions faites à l’époque coloniale16.
22Cette relation privilégiée se concrétise à l’occasion de plusieurs voyages qu’il effectue dans le cadre de ses recherches à Zaria et dans les autres centres intellectuels du Nord-Nigeria afin de consulter les vastes fonds d’archives écrites disponibles. Bien que sa thèse ait été effectuée dans le cadre de l’université d’Aix, l’auteur entretient dès ses débuts de chercheur des liens étroits avec le monde universitaire hausa nigerian. Tout ceci révèle sans doute l’ancrage fort précoce d’une partie de la recherche historique nigérienne, celle consacrée notamment aux espaces centre et est du pays, à celles qui se déploient de l’autre côté de la frontière. S’agit-il d’une attraction simple et à sens unique – par conséquent d’une forme de dépendance scientifique – que l’arène nigérienne, plus récente, beaucoup moins puissante en termes de structures, de moyens tant financiers, matériels et humains, de gisements de sources enfin, subirait envers le puissant voisin méridional ? La dialectique qui s’engage s’efforce de ne pas fonctionner selon une perspective univoque et déséquilibrée en défaveur de la sphère nigérienne. Si l’auteur cultive en effet le souci d’inscrire le « processus d’étatisation » qui aurait touché l’Adar à partir du Xe siècle par rapport à l’ensemble du cadre spatial culturel transfrontalier auquel il appartient, il essaie également d’en dégager les spécificités et les apports particuliers par rapport au modèle d’ensemble.
- 17 « Ce qui par contre apparaît presque comme une certitude, ce sont les mouvements de populations dan (...)
23L’analyse vise en premier lieu à montrer que le processus étudié au niveau de l’Adar intègre une morphologie propre à l’ensemble de l’aire concernée, ce qui la distingue des espaces voisins situés hors de l’orbite culturelle concernée. L’auteur met ainsi en valeur le caractère original de ce « processus d’étatisation » dans le monde hausa par rapport à l’espace kanuriphone correspondant à l’empire du Bornu. Dans le premier cas, il souligne, dès les origines les plus lointaines du phénomène, la multiplicité des aires politiques indépendantes les unes des autres. Dans le cas de l’aire bornuane, l’État accuserait une morphologie davantage centralisée autour d’une autorité unique et des moyens de contraintes qu’elle dispose17. Cette configuration se retrouverait aussi à l’ouest, au niveau des empires de la boucle du Niger que l’on se plaît alors à décrire comme des entités politiques étendues, sous la domination de dynasties toutes puissantes.
24L’optique essentiellement « étatique » qui oriente l’approche générale de ce travail de recherche ne propose pas une lecture du passé ramassée sur une thématique restreinte, aussi importante soit-elle. Elle offre une grille de lecture à plusieurs facettes de l’histoire pré-coloniale qui, à l’instar de l’histoire du peuplement, paraissent au premier abord entretenir peu de rapports avec la problématique centrale. Elle correspond également avec les objectifs assignés à partir des années 60 à l’historiographie africaine endogène post-coloniale. Ainsi, la critique de la légende Bayajidda que l’auteur développe de façon importante rejoint en grande partie l’objectif, fort stratégique, de considérer le processus de production d’État dans le monde hausa par rapport à des dynamiques essentiellement internes, et non liées à ces apports extérieurs.
25Ceux-ci peuvent être appréhendés sous l’angle de la doctrine hamitique qui octroie le rôle fondateur à des apports extérieurs au monde noir, d’origine blanche (thèse assimilée par des pans importants de l’idéologie coloniale à tendance raciale, voire raciste) ou en fonction de dynamiques propres à des peuples voisins au monde hausa, qui auraient été en mesure de l’influencer sur les plans politiques et culturels. On retrouve chez Urvoy les deux types d’hypothèses. S’il évoque de façon claire et péremptoire la thèse racialiste, il évoque tout aussi longuement le rôle-clé que l’empire du Mali aurait joué dans l’ensemble du Soudan central, jusqu’aux frontières bornuanes. Toutes deux définissent un monde hausa passif, dominé et influencé par les ensembles voisins qui l’encadrent – le Bornu et le Mali-Songhay – et lui confèrent l’essentiel de ses caractéristiques et de ses avancées.
- 18 Y. Urvoy, Histoire des populations du Soudan central, p. 223.
Pendant des siècles (Xe-XIIe), des bandes semblables, venues, prétendent les légendes, d’Égypte, s’infiltrèrent dans la masse haoussa par le nord du Lac Tchad. Ces nouveaux venus étaient des blancs. C’est à eux qu’est due la première « information » de la masse noire ; ils sont les germes des premiers États. L’arrivée des Touaregs chasse dans le même temps les Haoussas de l’Aïr Au XIIe siècle, la chronique de Katséna signale les premiers combats contre les Gobirs, descendus dans le sud. Autour du XIIe également, le développement de l’empire du Kanem provoqua une poussée des Kanuris et le recul des Haoussas à peu près sur l’actuelle frontière des langues. À la même époque encore, mais surtout à partir du XIIIe, le mouvement vint de l’autre côté. Le magnifique essor de l’empire du Mali du XIIIe au XIVe, continué par le Sonraï au XVIe, provoqua une poussée de l’ouest. (…) Jusqu’en 1600 le prestige religieux du Mali fut grand et ce sont les missionnaires musulmans de l’ouest qui apportèrent l’Islam aux Haoussas. Enfin, pendant tout le bas moyen-âge, d’innombrables commerçants, lettrés, aventuriers, voyageurs, vinrent du Mali s’installer en pays haussa ; grâce au prestige de leur pays d’origine, ils prirent une grande influence et arrivèrent à former dès le XIIe siècle probablement les cadres d’un nouvel État dont la capitale fut Katséna-Laka et qui s’appela d’après eux le Wangara ou Gangara. Si les invasions Bayajidda furent les germes des États haoussas, les apports wangaras en furent le ferment religieux et civilisateur principal.18
26On pourrait voir, dans ces considérations relativement dévalorisantes pour le passé du monde hausa en comparaison des puissants territoires politiques et culturels qui l’entourent et l’encadrent (Bornou à l’est, Touareg au nord, Mali-Songhay à l’ouest) durant cette époque fondamentale des temps précoloniaux, un à priori négatif qui serait le fruit des intérêts plus ou moins marqués de l’administration coloniale à dresser des critères qualitatif particuliers et spécifiques à chacun des peuples qu’elle domine.
27D. Hamani attaque sans réserve et en toute logique les thèses hamitiques développées notamment par Urvoy. L’opération vise deux objectifs essentiels : briser les présupposés idéologiques hérités de l’époque coloniale, puis valoriser l’histoire des peuples et des institutions, en mettant en avant les dynamiques endogènes du développement et de l’évolution historiques. Ce second point l’amène ainsi à contester de manière indirecte le rôle de l’empire occidental, mais la critique ne porte pas la même valeur que la précédente. Cette analyse en effet procède tout autant de l’historiographie coloniale que de celle développée par les spécialistes africains eux-mêmes : Boubou Hama reprend et développe dans ses écrits l’importance des processus diffusionnistes par l’intermédiaire de ces marchands wangaras. La critique systématique de cette thèse se développera bien plus tard dans un autre contexte, à partir de la fin des années 90. L’affrontement ne revêt alors pas la même forme ni la même intensité ; le désaccord s’exprime par l’exposé d’hypothèses différentes.
- 19 « Peut-on avancer l’hypothèse d’une relation entre les mouvements de population à partir de l’Aïr e (...)
28Pour l’auteur, les progrès accomplis en matière de « processus étatique » sont venus de peuples hausaphones, à l’issue d’un processus migratoire complexe et diffus sur plusieurs siècles, mettant l’Aïr et la frange septentrionale du monde hausa, dont l’Adar constitue, du point de vue géographique, la pointe avancée vers le nord et les espaces nomades. L’Adar présente ainsi cette particularité d’occuper une position intermédiaire aux marges septentrionales de l’aire hausaphone qui le confronte aux déplacements de populations venues du nord. Urvoy évoque de tels déplacements, mais il ne les oriente pas en faveur des populations hausa : celles-ci, selon lui, auraient effectivement quitté l’Aïr contraintes par l’avancée touarègue. Selon D. Hamani, les déplacements des « proto-hausa » auraient commencé bien avant cette poussée. Confrontés à une évolution climatique défavorable, des groupes de chasseurs auraient progressivement quitté le massif septentrional pour les terres plus accueillantes du sud. Ils seraient arrivés en Adar et se seraient mêlés à une population autochtone de cueilleurs et d’agriculteurs élémentaires troglodytes, dont l’organisation sociopolitique aurait été moins élaborée que celles des nouveaux arrivants : ceux-ci seraient ainsi les véritables artisans, par leur apport et leur agrégation avec les groupes humains sur place, des progrès et des processus d’évolution qui enclenchèrent le « processus d’étatisation » en milieu hausa19. Dès cette première thèse, son auteur positionne l’Aïr comme l’espace matriciel, le berceau identitaire du monde hausaphone, en évoquant le lien possible entre les migrations vers le sud et la naissance des organisation étatiques. L’auteur demeure néanmoins prudent, assurant qu’il ne dispose pour l’instant pas d’éléments suffisants pour consolider son hypothèse. Celle-ci est néanmoins importante car elle intègre le travail de D. Hamani dans le débat historiographique d’ensemble, surtout mené par les spécialistes nigérians, consacré à la question des origines et du développement de ces États. La thèse est en effet audacieuse : il s’agit de suggérer que les confins septentrionaux de ce monde hausaphone, qui n’en constituent pas, à première vue, le centre de gravité du point de vue économique, démographique ni politique ou culturel mais, au contraire, une périphérie, participèrent de manière décisive aux étape préliminaires au cours desquelles se forgèrent les prémices et les caractéristiques propres à cette civilisation. L’Aïr, espace situé bien plus au nord de la koïné hausa, domaine des populations nomades touarègues, est présenté comme le point de départ de l’aventure humaine, l’espace de peuplement originel. Derrière de telles hypothèses se dessine ce souci de jeter d’étroites passerelles avec les centres d’intérêts et les recherches menées au sud de la frontière. L’analyse de la naissance et de l’évolution du « fait étatique » en Adar prend sens, selon l’auteur, s’il permet une meilleure compréhension d’ensemble du phénomène au niveau de l’ensemble de l’aire hausa.
- 20 « IV. La vie des premières communautés villageoises : l’agriculture, la société, la religion… »
29Ainsi, l’approche monographique engagée par D. Hamani ne s’engage pas sur les sentiers qui furent ouverts quelques années plus tôt par A. Salifou avec son étude consacrée au Damagaram précolonial. L’optique globalisante est délaissée pour une problématique davantage centrée sur un fait politique majeur, l’apparition et le développement des organisations politiques de l’Adar au cours des siècles. Certaines passages sont consacrés aux phénomènes socio-économiques, à divers moments de l’étude : une dizaine de pages pour la première partie20, une vingtaine en clôture de la sixième. Au total, les phénomènes socio-économiques, quoique présents, constituent moins de 12 % des 235 pages d’analyse.
- 21 « On appelle communément « ZAMANI » en Adar la période de domination directe d’une grande partie du (...)
30L’exploration de cette problématique politique principale semble atteindre un point d’équilibre lorsqu’elle aborde l’analyse du XVIIIe siècle. C’est à ce moment que le récit montre l’épanouissement d’une structure politique stable, héritée des « proto-États » issus des processus longs de peuplement initiaux. Son l’autorité s’étend désormais sur l’ensemble de la région. Il développa une organisation propre, que la troisième partie du travail de thèse étudie en détail. Cette période constitue un élément important de l’identité historique de la région, avant que d’autres dynamiques ne viennent bouleverser l’échiquier politique issu d’une aussi longue gestation. Le XIXe verra les effets du jihad et du « Zamani»21. Le quatrième chapitre de la troisième partie constitue à ce titre un élément important : il s’efforce de restituer l’organisation interne du pouvoir politique au XVIIIe, à partir des sources disponibles – principalement les traditions orales.
-
une partie est consacrée au gouvernement central décrivant la cour et son gouvernement,
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une autre partie traite des modes de succession et de transmission du pouvoir,
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- 22 D. Hamani, op. cit., pp. 112-113.
une troisième aborde, avec force détails érudits, la chronologie des successions des Sarkin Adar et s’efforce de la dresser le plus précisément possible. On retrouve ici une des préoccupations majeures, lancinantes, quelque peu obsessives, de la méthodologie historiographique postcoloniale, soucieuse de se donner un cadre événementiel à partir des données orales disponibles. La part importante qu’occupe cette quête chronologique au niveau de l’approche méthodologique globale éloigne davantage un tel travail de l’objectif d’écrire une histoire totale qui aurait réussi à écarter l’encombrante suprématie des constructions événementielles, que l’historien, en l’état des sources disponibles, a tant de mal à mettre en chantier : « Il est toutefois certain que l’établissement d’une chronologie définitive sur les règnes des Sarakunas Adar ne sera pas résolu à partir de ce travail-ci. Si de nouveaux manuscrits sur l’histoire de l’Adar ne sont pas découverts, il restera à opérer (mieux que nous n’avons tenté de le faire) par recoupements, en liant davantage l’histoire de l’Adar à celle des pays voisins mieux pourvus en sources écrites ou mieux étudiés»22.
-
La quatrième partie aborde enfin les rouages régionaux, locaux, du pouvoir politique.
- 23 S. Y. Souchet, Les Lisawan et le canton de Keita, précédé d’une esquisse de l’histoire de l’Ader, T (...)
31L’approche générale adoptée au niveau de ce mémoire de thèse apparaît cependant suffisamment transversale pour suivre les grandes orientations de la nouvelle histoire africaine. L’histoire du peuplement occupe ainsi une place importante, quasi-exclusive pour le traitement des périodes les plus anciennes. L’impératif révisionniste envers les travaux africanistes de l’époque coloniale fonctionne parfaitement : l’angle d’attaque étatique représente, comme nous l’avons vu, une thématique hautement stratégique afin de remettre en cause les distorsions idéologiques nées de l’époque précédente et de valoriser le passé des peuples et des espaces concernés. Dans cette optique, le pouvoir politique de l’Adar devient l’objet d’une brève mise au point engagée par rapport à une étude de l’époque coloniale23. L’auteur commence par citer un passage extrait de cette étude, qui émet une image plutôt négative des autorités politiques de la région. Les chefferies jouiraient d’une liberté d’action quasi-totale sur les populations qu’elles contrôlent, liberté à peine tempérée par l’existence d’un pouvoir possédant en théorie une certaine prééminence sur les autres. L’image du pouvoir politique que propose Hamani est fort différente :
- 24 D. Hamani, op. cit., pp. 116-117.
Les chefs régionaux jouissaient dans leurs secteurs d’une assez large autonomie (…). Il est pourtant difficile de suivre Souchet lorsqu’il affirme dans sa monographie : chaque chef possède sur son territoire un pouvoir absolu et indépendant, uniquement limité, en théorie, par l’autorité supérieure du sarkin Ader (…) parmi les obligations des différents chefs à l’égard de Sarkin Adar, la plus importante était d’ordre militaire : lorsque le grand tambour de guerre de Sarkin Adar retentissait, chaque chef était tenu de répondre à son appel ; ils devaient tous, obligatoirement répondre aux convocations du Sarkin Adar pour la guerre et rejoindre le Sansani (camp de guerre) avec leurs cavaliers, leurs fantassins et des provisions.24
- 25 Ibid.
32Si l’auteur conteste l’image de faiblesse que la monographie coloniale donne du pouvoir du Sarkin Adar, il reprend néanmoins certaines informations données par celles-ci, afin d’étayer sa propre thèse : « Chaque année, écrit Souchet, à une date fixe, les trois chefs Lisawan se rendent à Birnin Adar pour lui faire une visite d’amitié ; il est tenu de les habiller entièrement. Il envoyait également des habits de prix aux Sarakuna Azna. Ces habits étaient d’ailleurs un élément important de différenciation entre les chefs et leurs sujets. Sarkin Adar était le mieux placé pour en recevoir des souverains d’Agadès, de Kano, du Gobir, de Zamfara, ou par les marchands, du moins jusqu’au XIXe siècle, époque à laquelle les échanges se généralisent»25.
33La production coloniale structure l’analyse. Elle demeure une référence incontournable pour la « nouvelle histoire » en gestation, d’autant plus que l’espace ou la thématique concernés sont abordés pour la première fois par ses artisans : ce sont alors les seuls travaux utilisables pour bâtir une théorie et la mettre en valeur. La démonstration opère selon un double registre. Elle conteste l’analyse élaborée dans ces travaux antérieurs portée à partir de la thématique stratégique sur laquelle s’engage la critique exposée. Le contenu n’est cependant pas combattu et rejeté dans sa totalité : certaines informations en sont en effet retenues pour consolider la nouvelle théorie.
34Cette valorisation du pouvoir politique principal de l’Adar passe aussi par la confrontation d’autres types de sources entre elles : les manuscrits (tarikhs) et les traditions orales recueillies par les soins du chercheur. L’extrait du manuscrit évoque un impôt périodique important que le Sarkin Adar devait donner à certaines chefferies qui lui sont en théorie soumises. L’auteur conteste l’existence d’une telle rétribution, qui signifierait la faiblesse du pouvoir central, car les récits ne mentionnent pas une telle pratique. La tradition, dans ce cas, n’est par conséquent pas utilisée comme source d’information d’appoint, qualitativement moins importante que le document écrit. Le contraire, en fait, semble se produire : les informations collectées priment sur celles couchées sur le parchemin. Cette approche critique s’inscrit là encore dans cette dynamique de cette construction historiographique engagée lors de la décennie précédente. Les sources orales sont envisagées comme un corpus documentaire non seulement légitime, mais aussi susceptible de former le soubassement essentiel, le pivot prédominant de l’analyse, même lorsque la documentation écrite existe. L’auteur ne s’étend pas sur les choix qui le poussent à privilégier les dires de ses informateurs : on devine cependant que le nombre joue. Ce n’est pas un récit qu’il évoque afin de contester le document, mais la somme de ceux-ci. On peut alors supposer que parmi les personnes interviewées, certaines appartiennent au groupe auquel ces redevances étaient destinées. L’analyse ne fournit cependant pas davantage de précisions à ce sujet…
b. Djibo Hamani et l’histoire globale
- 26 D. Hamani, Au carrefour du Soudan et de la Berbérie : le sultanat touareg de l’Ayar, Études Nigérie (...)
- 27 « Le Sultanat de l’Ayar, dont la capitale la plus prestigieuse est Agades, occupe la place centrale (...)
35Dans son étude sur l’Adar, l’auteur ne conteste cependant pas cette voie historiographique. Les quelques pages relatives à l’économie et à la société, ainsi que la première partie consacrée à l’histoire du peuplement – nous avons cependant vu que celle-ci servait la problématique politique de l’ensemble – paraissent même montrer certaines concessions au « modèle ». Le travail de recherche suivant, une thèse d’État soutenue en 1985, consacrée au Sultanat touareg de l’Aïr26, engage de façon beaucoup plus résolue la contestation du projet total et la légitimité d’une approche plus spécifiquement centrée sur le politique. Elle ne s’inscrit par conséquent pas dans l’optique de l’histoire globale. Cette recherche constitue en soi une nouvelle étape dans le processus historiographique d’ensemble. Elle est la première étude universitaire nigérienne, dans cette optique historique, à s’intéresser au monde touareg nigérien. L’introduction explique et conforte le choix de l’approche exclusivement politique et l’abandon clair de la voie totalisante en plusieurs temps. Le sujet traité, le Sultanat touareg de l’Aïr, constitue un événement politique essentiel dans l’histoire des peuples de cette région mais aussi pour l’ensemble du territoire nigérien, tant l’Aïr semble, selon l’auteur, en constituer une pièce-maîtresse tout au long de son histoire27.
36L’optique change par rapport aux thèses des années70. Les monographies consacrées au Damagaram et à l’Adar s’identifient davantage aux préceptes énoncés lors des conférences préparatoires successives en vue de l’élaboration de l’histoire générale de l’Afrique sous l’égide de l’Unesco. Elles traitent d’un espace nigérien précolonial, intégré à une zone, le Soudan Central, dont on considère que le passé demeure encore pour une part essentiel à découvrir et à écrire. Elles s’inscrivent aussi dans une lecture transnationale de l’histoire, par une étroite mise en relation des espaces concernés avec l’aire culturelle hausa. Le Sultanat touareg de l’Aïr adopte une problématique davantage orientée selon un axe national et nigérien.
- 28 « Cette étude se veut enfin essentiellement politique, et cette restriction mérite explication : si (...)
37Les thématiques éloignées du sujet central de la thèse, tels que les aspects économiques et sociaux de l’espace régional appréhendé ne peuvent être abordées dans le cadre de ce travail de recherche en raison de l’ampleur démesurée qu’impliquerait une telle approche. Une approche économique devrait obliger d’élargir les investigations à l’ensemble de la région, depuis l’Afrique du Nord au Golfe de Guinée (ce qui permettrait de cerner une thématique qui cadrerait d’ailleurs parfaitement avec l’optique de l’histoire générale de l’Unesco…). Là encore, l’auteur souligne le rôle essentiel de la région, située en position d’interface, à l’une des croisées des voies commerciales trans-régionales28.
Les migrations touarègues en Aïr et au Niger – manuel d’école primaire des CM1

Histoire et Géographie en CM1, INDRAP, Niamey, p. 38.
38D. Hamani déclare posséder la documentation nécessaire au traitement d’une telle thématique et envisage une publication ultérieure, qui ne semble pas avoir lieu jusqu’à ce jour.
39La fin de l’introduction aborde de manière directe le problème de la faisabilité d’une histoire totale, dont elle met en cause la possibilité. L’hypothèque majeure proviendrait, selon D. Hamani, du corpus de sources disponibles :
- 29 Op. cit., p. 16.
Malgré l’existence d’un certain nombre de manuscrits locaux, qui font de l’Ayar une des régions privilégiées de notre pays (surtout avant le XIXe siècle), les traditions orales occupent une place considérable parmi nos sources. Lorsqu’il s’agit de dépasser les faits politiques pour saisir le mouvement profond de la société, ces sources orales deviennent à la fois quasi-exclusives et inopérantes, car elles tendent le plus souvent à donner des sociétés une image statique, où le présent représenterait la reproduction d’un passé à peine modifié par l’intrusion européenne. Cette impression d’immobilisme, que nous savons fausse, mais que les traditions orales véhiculent, est également reproduite par les travaux des premiers administrateurs coloniaux et seules quelques mentions éparses contenues dans les textes écrits, en particulier ceux du XVe siècle, nous permettent de nous faire une idée de ce qu’a pu être l’évolution de la société Kel Ayar pendant les quelques siècles qui précédèrent la colonisation. C’est dire que l’avènement d’une « histoire totale » de l’Ayar précolonial s’avère problématique, et on peut penser, à voir les difficultés que rencontrent les historiens de l’Europe et d’ailleurs dans ce domaine, que l’entreprise risquerait de rester pour toujours un travail de Sisyphe. C’est une raison de plus (mais non une excuse) pour limiter ce travail à un domaine où les données disponibles et exploitables nous permettent d’éviter de tomber dans les pièges de la spéculation, car l’historien, sous toutes les latitudes, reste tributaire du document.29
40Cette réflexion relative aux potentialités de l’histoire nigérienne représente à notre avis un passage important, sinon fondamental, en matière de théorisation, parmi l’ensemble des réflexions formulées depuis l’indépendance par rapport aux potentialités de recherches permises par le corpus des sources connues et exploitées. D. Hamani s’appuie sur sa propre expérience de collecte et d’exploitation des matériaux oraux. Il prend position dans le débat qui s’engagea à partir des années 60 par rapport aux sources orales et de façon plus générale évalue les possibilités offertes par les documents disponibles pour la mise en œuvre du chantier historiographique ouvert deux ou trois décennies plus tôt. Le jugement se veut pragmatique : il tranche avec l’optimisme des réunions et colloques précédents qui plaçaient les sources orales au centre du nouveau dispositif de production des savoirs historiques. Les propos n’en évaluent pas les potentialités, mais les limites et celles-ci se révèlent, selon l’auteur, fort importantes.
- 30 Cette dernière thématique traite de la question essentielle des pratiques pédagogiques et didactiqu (...)
41Ce glissement d’optique par rapport à l’enthousiasme qui prévalait durant les précédentes décennies est significatif : en contestant la faisabilité du projet d’histoire globale, le chercheur place des bornes fort voyantes quant aux possibilités qui s’offriraient à la recherche en fonction des matériaux disponibles. La critique se positionne ainsi sur le plan de la méthodologie et se nourrit d’une solide pratique heuristique en la matière. L’approche totalisante bute sur la finitude de l’approche historique lorsque, en fonction des espaces et des périodes considérées – c’est-à-dire à mesure que l’on s’éloigne du XIXe siècle pour lequel les sources écrites et les témoignages abondent en comparaison des époques antérieures – le spécialiste ne dispose plus que de l’oralité pour tenter de construire une connaissance sur le passé. Les thématiques politiques s’imposent alors, car elles demeurent, à ses yeux, les seules valables dans une optique historiciste convenablement menée, dont l’une des finalités essentielles consisterait à déceler les différents rythmes d’évolution ou de changement dans le temps. Or, la focale ouverte sur certaines thématiques donnerait l’impression d’un immuable immobilisme. Cette « sublime répétition », scansion cyclique et non linéaire de la temporalité envisagée par de telles études, fausserait l’analyse et la retranscription « vraie » du passé. En aucun cas ne pourrait-on l’assimiler, dans une perspective quelque peu « braudélienne », à la manifestation d’un temps long, par lequel seraient à l’œuvre, d’une génération à l’autre, de siècle en siècle, la pérennisation et la reproduction de pratiques, de techniques, de savoirs avec leurs formes et leurs méthodes de transmission30.
42D. Hamani semble ainsi douter de l’entreprise d’histoire globale, au nom des objectifs fondamentaux lancés à partir des années 60 en vue de bâtir cette histoire africaine décolonisée des préjugés et des représentations scientifiques qui pesaient jusque-là sur le passé du continent. Une telle intention rénovatrice devait nécessairement passer par la valorisation des dynamiques d’évolution, d’inflexion et… de progrès. La critique adressée apparaît relativement forte et gênante pour les partisans du courant inspiré des Annales. Derrière les préceptes qu’ils tenteraient d’appliquer à l’historiographie africaine se retrouvent piégées les anciennes tendances – ou déviances ? – de l’époque coloniale. Loin d’innover, cette tendance contribuerait ainsi malgré elle à valoriser de vieilles images, opération d’autant plus dangereuse qu’elles trouvent leur légitimité dans l’intention de participer à l’effort global de rénovation de l’histoire africaine, et même de le piloter. De ce fait, l’investissement dans l’histoire politique ne représenterait pas un combat d’arrière-garde, mais au contraire le moyen le plus sûr, en l’état actuel des connaissances et des sources disponibles, de bâtir une histoire qui permettrait de valoriser les facteurs d’évolution et de changement et d’acquérir une légitimité suffisante du point de vue de la valeur scientifique des résultats obtenus et des procédés engagés. Cela suppose aussi d’objectiver le fait que des pans entiers du passé sont à jamais perdus, faute de traces suffisantes. Pour ce spécialiste, il serait ainsi vain de tenter de renouer les fils de Clio en fonction de certaines thématiques, puisque l’on ne dispose pas d’informations adéquates :
- 31 Entretien avec Djibo Hamani.
- Y a-t-il une « polémique » entre M. Salifou et vous par rapport à l’objectif d’histoire totale ?
- Je suis d’accord avec l’idée de l’histoire totale, parce que c’est l’histoire… mais je préfère découvrir… c’est-à-dire, découvrir ce que les gens ignorent… il y a des domaines sur lesquels il est utopique de vouloir faire de l’histoire. Quand vous parlez des maladies… vous faites souvent de l’histoire dans votre tête ! vous ne pouvez nulle part savoir comment les gens soignaient au XIXe. Vous n’avez aucune source qui vous permette de le dire… même pas les sources orales. Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que des domaines sont définitivement perdus pour l’histoire.
- Vous n’êtes par conséquent pas d’accord avec l’hypothèse d’un immobilisme dans la transmission du savoir médical précolonial…
- Mais s’il y a immobilisme, il faut le démontrer ! L’histoire se fait à partir de documents… on ne sait pas ce qui s’est passé… donc moi, je préfère, quand je dis quelque chose, pouvoir le démontrer. Je ne peux pas, aujourd’hui, aller dans l’Ader pour voir comment les gens cherchent les plantes, se soignent, et dire que cela se passait ainsi au XIXe. Je n’ai absolument aucun argument pour étayer cela ! Voilà pourquoi je me suis abstenu…31
43Cet entretien, Djibo Hamani nous l’a accordé en juillet2005. Maints passages, à l’instar de celui-ci, montrent que l’opinion de cet auteur ne semble pas avoir évolué depuis les décennies précédentes à ce sujet.
3. L’histoire politique : une « voie royale » ?
a. « L’envahissante » présence des thématiques politiques
44L’ensemble du corpus de recherche universitaire – composé pour l’essentiel de 19 mémoires de thèse et 41 mémoires de maîtrise – reflète cette constante mise en tension, jusqu’à aujourd’hui, entre les deux tendances, ou les deux aspirations. Les monographies qui ouvrent leurs analyses à une combinatoire à large spectre chronologique, spatial et thématique, avec une combinaison variable de ces deux paramètres, constituent la forte majorité des travaux disponibles tandis que les études resserrées sur des thèmes particuliers demeurent fort minoritaires. La tendance au débordement des cadres analytiques qui devraient être imposés par le sujet constitue une espèce de norme au niveau des mémoires de maîtrise qui rend difficile l’établissement d’une taxonomie en fonction des thèmes abordés : pour cela, l’analyse simple des titres des mémoires ne suffit pas. Il faut fouiller plus avant et effectuer une étude détaillée des contenus. De même, le faible nombre des productions ainsi que la récurrence des années blanches à partir de la fin des années 80 rend peu significative l’appréhension des évolutions : tout au plus peut-on signifier quelques tendances, encore qu’il ne soit pas du tout sûr que celles-ci reflètent une inflexion générale et collective, tant les stratégies de recherche apparaissent tributaires d’une démarche individuelle avant tout, sans beaucoup de liens avec les travaux menés avant ou à côté de soi-même.
- 32 Nous avons été parfois confronté à des remarques acerbes qui portaient un jugement fort négatif qua (...)
45Au niveau des thèses, il faudrait également prendre en compte les influences et les inflexions que les équipes d’accueil n’auront pas manqué d’exercer sur le cours des travaux menés par les étudiants « thésards » originaires du Niger. Or, la plupart de ces recherches ont été effectuées au sein d’universités françaises, hormis la majorité de celles qui furent soutenues dans les années 90. Nos enquêtes n’ont pas permis de cerner avec précision la multiplicité des relations qui se tissèrent entre chercheurs et directeurs de recherche : nos interlocuteurs sont demeurés vagues à ce sujet. Les renseignements collectés se sont parfois révélés difficiles à prendre en compte32.
- 33 Le professeur I. Kimba nous cita de mémoire Guerriers et paysans, que G. Duby publia en 1973.
- 34 Lors de nos entretiens, A. Salifou nous précisa qu’il demanda, malgré les réticences de Xavier Yaco (...)
46Il semble en toute logique que les apports furent décisifs au moment de cerner les sujets ainsi que les problématiques, à partir d’un espace d’investigation choisi bien souvent par les acteurs de la recherche pour les affinités personnelles qu’ils entretiennent avec lui. Face aux incertitudes et aux limites de nos sources orales sur ce sujet, nous en sommes réduits à quelques constats très fragmentaires, mais qui permettent d’avoir un aperçu des inflexions sans doute décisives que les équipes d’accueil purent avoir au niveau de certains travaux : la préface de Mme Coquery-Vidrovitch à la thèse de Alpha Bourema Gado, Sécheresses et famines au Sahel, soutenue en 1988 et publiée en 1993, semble établir que le directeur de recherche fut pour beaucoup dans le choix du sujet qui fut finalement retenu. Idrissa Kimba nous confiait, lors de l’entretien qu’il nous a accordé, que le titre et l’orientation générale de son premier mémoire de thèse, Guerre et société, devait beaucoup à certains axes de la recherche explorés à la même époque en France, en particulier par certains médiévistes fameux33. André Salifou pour sa part semble revendiquer une part importante d’autonomie dans un contexte où les spécialistes de l’espace exploré étaient fort rares en métropole et où la recherche qu’il menait relevait tout autant d’un certain « militantisme scientifique ». Selon lui, l’un des apports importants de son travail fut de contribuer à prouver qu’une histoire africaine en Afrique était possible en « faisant feu de tout bois » au niveau du corpus de source disponible : l’apport de son équipe d’accueil et les relations qu’il entretint avec son directeur de recherche furent sur ce point importants. Ils lui permirent de s’appuyer sur un courant historiographique favorable à un élargissement des méthodes et des champs de l’historiographie34.
47Sur les 20 thèses, 12 appartiennent à la catégorie des monographies de type précolonial, centrées sur un espace plus ou moins large, généralement identifié à une « province historique » :
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A. Salifou, Le Damaragam ou sultanat de Zinder, 1970
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D. Hamani, Contribution à l’étude des États hausa : l’Adar précolonial, 1975
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M. Karimou, Tradition orale et histoire : les Mawri zarmaphones des origines à 1898, 1976
-
Kimba, Guerres et sociétés : les populations du Niger occidental au XIXe et leurs réactions face à la colonisation, 1979
-
B. Gado, Le Zarmatarey : contribution à l’histoire des populations d’entre Niger et Dallol Maouri, 1979
-
Z. I. Seyni, Le Soney (Songhay) après la conquête marocaine : 1592-1900. Formation des provinces historiques, 1982
-
M. Zakari, Contribution à l’histoire du sud-est nigérien : le cas du Mangari (XVIe-XIXe), 1983
-
D. Hamani, Au carrefour du Sahara et de la Berbérie : le sultanat touareg de l’Ayar, 1989
-
M. Issa, Le Damergu au XIXe, 1996
-
Y. Moumouni, Contribution à l’étude du passé songhay ; l’histoire du Dendi (des origines à la fin du XVIe), 1997
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M. Saley, Contribution à l’étude de l’histoire des hausas : les États tsotsébaki des origines au XIXe, 1997
-
M. Alio, Institutions et imaginaire politiques hausa. Le cas du Katsina sous la dynastie de Korau (XVe-XIXe), 1998
48Deux travaux sont consacrés à la période coloniale, en prenant en compte, à partir d’une thématique relativement large, l’ensemble de l’espace nigérien. Ce sont tous deux des doctorats d’État :
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A. Salifou, Colonisation et sociétés indigènes au Niger : de la fin du XIXe au début de la seconde guerre mondiale, 1979
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I. Kimba, La formation de la colonie du Niger : des mythes à la politique du mal nécessaire (1880-1922), 1987
49Six thèses abordent des sujets précis. La couverture chronologique et spatiale n’est pas spécifique : chacune d’entre elles revêt de fortes particularités.
-
M. Moumouni, La politique coloniale agricole et pastorale au Niger : de la conquête à l’indépendance, 1987
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A. B. Gado, Crises alimentaires et stratégiques de subsistance en Afrique sahélienne (Burkina, Mali, Niger), 1988
-
A. Ayouba, Colonisation et santé : action sanitaire française et réalité au Niger (1922-1958), 1992
-
M. Djibo, Les transformations politiques au Niger : 1958-1960, 1992
-
M. Addo, The place of Islam in shapping french and british colonial frontier policy in Hausaland : 1890-1960, 1997
-
M. Karimou, La confrontation Est-Ouest et ses conséquences en Afrique de
1945 à 1982, 1998.
- 35 K. Mwamba, Étude socio-historique de Niamey. Analyse des mutations socio-économiques de 1926 à 1960(...)
- 36 K. Mwamba, op. cit., et Alpha Boureima Gado, Les famines dans le Zarmatarey et le Songhay de 1880 à (...)
- 37 Ce mémoire devait être soutenu le 27 janvier 2005.
50Il paraît difficile d’établir une périodisation sûre et précise à partir des listes dressées ci-dessus. Une orientation plus poussée des sujets et des thématiques semble apparaître à partir de la fin des années 80. Cette tendance ne révèle cependant pas une orientation systématique. Six monographies portant sur la période précoloniale ont été soutenues pendant cette période, et l’on constate même un retour de sujets comparables en tout point au « modèle » initié en 1970 par André Salifou (M. Issa, Y. Moumouni). D’autre part, la position de la thèse de M. Addo, classée parmi les travaux thématiques en raison de l’orientation donnée par le sujet, appartient également à la première catégorie, en raison de son orientation vers un espace spécifique, l’aire hausa traditionnelle. L’étude orientée vers la mise en valeur d’un espace régional particulier à l’époque précoloniale structure la recherche universitaire depuis ses débuts et continue à exercer un attrait important, bien qu’une certaine diversification des approches se dessine à partir des années 80. Une tendance similaire, voire plus marquée encore par le style monographique colonial, se dessine au niveau des mémoires de maîtrise.23 d’entre eux sur les 41 recensés sont consacrés à une région particulière et 4 relèvent de l’histoire urbaine. 10travaux seulement sont consacrés à la période coloniale, dont deux des 4monographies urbaines35. Là encore, il apparaît fort difficile de dégager une tendance chronologique claire : la période est encore plus restreinte (les soutenances commencent en 1982). Si les deux premiers travaux appartiennent à la catégorie monographique classique, les deux suivants abordent des sujets précis36, tandis que le mémoire le plus récent adopte une approche résolument totalisante : Kance, une ville au XIXe: société, économie, institutions politiques, culture37.
51L’orientation politique de certaines thèses à caractère monographique se lit au niveau des sujets : la genèse, puis l’évolution des structures politiques envisagées au sens large (formation des institutions, origines du pouvoir, organisations politiques, histoire événementielle) constituent l’armature de ces travaux. Au niveau de celles dont le titre évoquerait une intention plus totalisante, qu’elles déclarent aborder l’histoire d’un groupe humain ou celle d’une région sans autre précision, la dimension politique occupe une place très importante. Elle se trouve souvent à l’épicentre des préoccupations générales, comme le montrent les introductions et les conclusions.
- 38 Y. Moumouni, Contribution à l’étude du passé Songhay : l’histoire du Dendi (des origines à la fin d (...)
Au cours de ce travail, nous avons retenu un certain nombre de centres d’intérêt qui caractérisent le mieux l’histoire du Dendi. Nous avons abordé la problématique des migrations et du peuplement, posé la question des premiers habitants de cette partie de la vallée du Niger, leur organisation territoriale et sociale ainsi que les raisons profondes qui ont poussé les Songhays du Dendi à remonter le fleuve qui devint désormais leur axe de développement. Nous nous sommes également intéressé à l’origine des rois de Koukiya, aux rapports complexes entre cette métropole et Gao, la bi-polarité du royaume songhay (…). Nous avons pensé qu’on ne peut pas prétendre à une meilleure connaissance du Songhay sans celle du Dendi au préalable. Une étude sur le passé du Dendi est capitale parce qu’il constitue l’alpha et l’oméga de l’histoire des songhay. En effet, le Dendi est le berceau de l’Empire de Gao puis une province rebelle, il est au cœur de toutes les intrigues et les complots qui ont secoué la dynastie des Askia (…). Enfin, le Dendi constitue la permanence du passé des Songhays. Après un temps de tergiversation, le Dendi intervint pour assurer la continuité du passé songhay au prix de son sang face à l’impérialisme marocain.38
- 39 « Il n’est pas exclu que les premiers souverains de Koukya soient des yéménites et de race blanche, (...)
52Cette introduction de l’une des thèses les plus récentes montre la forte polarisation sur les faits politiques, à tous les stades de l’analyse. L’histoire du peuplement, en particulier l’étude des origines et des migrations, constitue un des sujets-clés de l’ensemble des travaux de recherche (de 10 à 20 % en moyenne des pages lui sont consacrées, parfois davantage, dans le cadre de sujets généralistes). La question des origines des premières dynasties et du royaume originel de Koukya occupe dans le cadre de cette partie une place importante.39 L’évolution historique de la province est ensuite envisagée en fonction de son rôle sur l’échiquier politique de l’empire Songhay. Après sa chute face à « l’intrusion marocaine », son passé est encore envisagé en fonction des dynamiques de résistance, qui représentent à notre avis un appendice de l’histoire politique.
53La monographie de Boubé Gado dédiée au Zarmatarey consacre une partie très importante à l’histoire des origines, des migrations et du peuplement : c’est l’un des aspects essentiels de cette étude – nous y reviendrons – relatif au processus d’individuation du peuple zarma sur la longue durée. Le volet politique prend une dimension de plus en plus importante à mesure que l’on avance dans la chronologie pour dominer le XIXe, avec la mise en avant du rôle des gens de guerre. Les dynamiques politiques sont couplées aux changements sociaux – le conflit armé étant désigné ici comme le processus principal de recomposition et de différenciation sociale – et structurent le récit. Certaines retouches que l’auteur a apportées au plan des Études Nigériennes par rapport à celui de la thèse dactylographiée accentuent encore l’orientation politique. Comme le montre le tableau comparatif du même chapitre, le paragraphe « wangari : économie et société » disparaît de la publication. Le passage correspondant est intégré au dernier point du chapitre, qui propose un titrage moins sec et plus attractif : « Le farniente, la fortune, la gloire et la honte des Wangaris ». L’ensemble des titres a été modifié. Cet aménagement de la structure du récit montre qu’un accent supplémentaire est porté sur les faits et gestes de ces personnages au détriment de l’approche transversale, celle de la première mouture de ce travail, qui semble davantage situer le phénomène du guerrier par rapport aux contextes et aux dynamiques socioéconomiques, dans l’optique structurale et « pluri-thématique » propre à une approche globale des processus historiques.
Tableau comparatif des exemplaires dactylographiés et publiés aux Études Nigériennes de la thèse de Boubé Gado
Thèse : chap. VII, I-K wangunya |
EN : chap. VIII, l’avènement des Wangaris |
I- Karma, capitale du Zarmatarey de l’Est |
I- I-K « wangunya » ou la mère de la guerre Karma, capitale de guerre du Zarmatarey de l’Est |
- 40 L’auteur analyse successivement puis en les comparant les organisations politiques distinctes de ch (...)
54La thèse de M. Karimou, Les Mawris zarmaphones, la troisième par l’ancienneté (elle fut soutenue peu de temps après la thèse de troisième cycle de Djibo Hamani), adopte une démarche similaire en se basant essentiellement sur les sources orales ; l’étude se structure autour de deux thématiques essentielles. L’histoire du peuplement, prise au sens le plus large, tente de retracer le processus d’installation des Mawris et les dynamiques socioculturelles consécutives aux contacts entretenus avec d’autres peuples sur place, notamment les Zarmas. L’analyse des institutions politiques spécifiques à chaque groupe mawri40 compose l’autre élément essentiel de l’armature générale du récit.
- 41 Par exemple :
- le mémoire de M. Rigo, Contribution à l’histoire du Gobir, accorde77 pages aux thème (...)
55L’orientation politique prédomine également au niveau de la plupart des monographies à vocation précoloniales parmi les mémoires de maîtrise. Une étude du contenu de l’ensemble de ces mémoires qui entrent dans cette catégorie permet d’en apprécier la répartition approximative en fonction des thématiques abordées. La part des phénomènes et faits de nature politique occupe entre 50 et 70 pour cent des contenus, 10 à 20 pour les aspects économiques, 15 à 20 pour cent pour les faits sociaux, et presque toujours moins de 10 pour cent pour la « culture matérielle»41.
56Les monographies dont les sujets annoncent une thématique davantage circonscrite concernent une part non négligeable du corpus. Certaines adoptent d’emblée l’optique politique, évacuant ainsi toute ambiguïté :
-
M. Saley, Les États Tsotsebaki,
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M. Addo, Les institutions politiques du Katsina Nord,
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G. Sadou, Le rôle des Kel Iguirer dans l’évolution politique du Gurma nigérien précolonial (XVIIIe-XIXe),
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D. Koutchi, La principauté du Kurmey : des origines à la conquête coloniale (le plan chronologique, adapté au sujet, amène de façon logique l’orientation essentiellement politique de ce mémoire),
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S. Kasso, L’évolution du rôle des Anna dans la vie politique de la vallée de Maradi pré-colonial.
- 42 Hassimi Alassane, Marchés précoloniaux et échanges. Cas du Kurfey pendant le XIXe siècle, pp. 37-38
57D’autres monographies portant sur l’époque précoloniale selon une orientation précisée par le sujet accusent souvent d’importantes distorsions vers le politique, ou une tentation à son évocation par le biais de la problématique adoptée. Le mémoire récent de Hassimi Alassane, Marchés précoloniaux et échanges. Cas du Kurfey pendant le XIXe siècle, soutenu en 1998-1999 est un cas intéressant et assez particulier. Cette région, située à un peu moins de200 km au Nord-Est de Niamey, entre le Zarmaganda et l’Imanan, fut abordée par un travail de recherche soutenu en 1986 : Le Kurhway, des origines à la pénétration coloniale (Mahamane Salifou). Nous sommes ainsi en présence d’un cas fort rare d’un espace qui fait l’objet d’un début de sédimentation des recherches. Celle-ci permet une confrontation des points de vue et la mise en œuvre de démarches critiques. Ainsi, lorsqu’il aborde la question de la création du marché de Filingue, H. Alassane conteste les considérations avancées par son prédécesseur : « Filingue étant aujourd’hui le chef lieu du canton du Kurfey et de l’arrondissement, certains informateurs ont tendance à lui donner une place qu’il n’avait pas occupée dans la vie politique et économique du Kurfey précolonial (…). D’ailleurs beaucoup de nos informateurs affirment que le premier marché de Hilingue date du début de la période coloniale»42.
- 43 « Il faudra attendre 1985 pour que le premier document écrit par un Nigérien et qui aborde de façon (...)
- 44 Op. cit., p. 63.
58Le fait d’aborder un terrain d’étude déjà exploré oblige aussi à engager une orientation du travail le plus récent selon une optique quelque peu différente. L’orientation politique de cette première maîtrise a obligé l’étudiant engagé dans la seconde à cerner une problématique de type économique. L’attraction du politique joue cependant beaucoup, bien que l’on constate un effort de cadrer le plus possible l’analyse au sujet. La relation entre le pouvoir politique et les échanges qui constitue une importante question que l’auteur s’efforce de traiter appartient de plain-pied au sujet et représente, comme il le souligne en introduction, une approche nouvelle et croisée des faits politiques et économiques qui n’avait pas été abordée ainsi au niveau du premier mémoire43. L’auteur engage ainsi une réflexion relative aux conséquences que les vicissitudes du contexte politique lié aux rapports conflictuels entre différentes communautés au cours du XIXe auraient eu sur l’évolution des échanges. Il évoque de même l’impact de la situation politique locale – absence d’un État centralisé au Kurfey précolonial – sur ces activités commerciales : « l’existence d’un État qui assurerait la sécurité et qui canaliserait les échanges a fait défaut dans le haut Dallol Bosso»44.
- 45 « Qu’est-ce qui explique que les Twaregs de l’Imanan et du Tagazar se sont organisés alors que les (...)
59Il cite cependant Meillassoux : L’évolution du commerce africain depuis le XIXe en Afrique de l’Ouest (1971) qui relativise le rôle qu’un État centralisé exercerait sur les activités d’échange. Ceux-ci, selon l’anthropologue, joueraient plutôt de la prédation en obligeant les caravanes à s’arrêter dans leur palais, alors qu’elles étaient armées et pouvaient facilement s’opposer aux bandes en rase campagne. Cet axe de réflexion, entièrement intégré dans la problématique économique de cette étude, place cependant toujours le pouvoir politique en position dominante ; les logiques d’échanges ne sont pas envisagées, selon une telle optique, indépendamment de l’impulsion ou de l’influence étatique. La question de l’absence d’un État centralisé au Kurfey à l’époque précoloniale est un thème qui apparaît à plusieurs reprises, à différents moments de ce travail. L’auteur l’évoque en introduction, s’interroge longuement dans le chapitre consacré au thème marché et politique, et y revient encore en conclusion45. Ce thème ne présente pas d’affinités particulières avec le sujet général de cette maîtrise. Il intègrerait par contre davantage la logique inhérente au premier mémoire. L’insistance avec laquelle l’auteur tente d’entrer dans un tel débat illustre l’envahissante présence de cette toile de fond, qui paraît légitimer une grande partie de l’ensemble des études précoloniales, et leur confère peut-être une sorte de « label de qualité ».
- 46 M. Adi, Le sel du Mangari, 1987-1988.
60Une tendance similaire se retrouve au niveau d’un autre mémoire, Le sel du Mangari46, dont le sujet implique l’investissement du domaine économique et social, sans toutefois perdre de vue le facteur politique, à condition de relier celui-ci à la ressource dont il est question. Or, la première partie (une vingtaine de pages sur 80, soit le quart) tombe dans le rappel de l’évolution politique de la région à l’époque précoloniale. L’auteur n’apporte rien de nouveau : la thèse de M. Zakari est abondamment citée. Il faut attendre la deuxième partie, aux alentours de la page 30, pour entrer véritablement dans le vif du sujet.
61Une importante distorsion en faveur du politique intervient également au niveau d’un mémoire consacré à une autre région de l’ouest nigérien, l’Arewa (200 km à l’est de Niamey) dont l’intitulé suggère une optique résolument socio-économique : Les systèmes de relations économiques et sociales dans l’Arewa-Nord à la veille de la conquête coloniale. Au niveau du chapitre I (présentation naturelle, humaine et historique) qui comporte 26 pages, 7 sont consacrées à la description de la Sarauta qui fait son apparition dans l’Arewa-Nord. En fin de mémoire, le dernier paragraphe revient sur le même sujet sous l’intitulé : émergence du « sentiment national » et renforcement du pouvoir central (2,5 pages). Au-delà du titre du mémoire, c’est au final le fait politique qui semble primer en servant de but final à l’ensemble de la démonstration. Les dynamiques socio-économiques sont mises en valeur pour mieux affirmer la réalité et l’ancienneté du fait étatique d’une part, puis son renforcement. L’auteur se réfère largement aux ouvrages de M.-H. Piault et notamment à son Histoire mawri : introduction à l’étude des processus constitutifs d’un État, ainsi qu’à un travail de l’historien S. Modi Sissoko, Formation sociale et État…
- 47 Ould Sidi Ali Sidi Mohamed, Titres et fonctions politiques dans le Soney : essai de reconstitution (...)
62Parmi les autres mémoires consacrés à la période précoloniale à partir d’une problématique qui ne s’inscrit pas dans le style monographique, beaucoup paraissent également subir ce fort attrait pour l’histoire politique. La Contribution à l’étude de l’organisation politique et militaire sous le règne d’Idris Alawoma (1564-1596) par A. O. Sountalma aborde sans équivoque l’évolution d’un des règnes les plus connus de l’empire du Bornou. Le mémoire consacré aux Titres et fonctions politiques dans le Soney impérial…47 s’inscrit dans une approche similaire : tous deux n’analysent pas un espace donné, mais une part de l’organisation et de l’évolution des deux grands ensembles étatiques qui encadrent l’espace nigérien à l’est et à l’ouest.
b. Deux orientations essentielles : l’origine et la formation des États et l’analyse des institutions étatiques précoloniales
63Deux thématiques structurent fortement les études du champ politique. Elles n’apparaissent pas avec la constitution de l’historiographie universitaire : toutes deux sont activement explorées dès la mise en place des premières productions de l’histoire africaine post-coloniale car elles permettent de conforter certains aspects importants du programme de relecture de l’historiographie coloniale : la valorisation du passé par la mise en valeur des processus autochtones de formation et d’évolution au niveau d’un domaine essentiel qui est celui de l’État. Les recherches engagées dans les cadres universitaires par les spécialistes nigériens suivent et développent ces sillons creusés pendant l’époque pionnière précédente. Les actes du colloque des historiens nigériens de 1999 montrent ainsi l’attention particulière qu’ils accordent, depuis les années70, à ces deux questions. La quatrième partie des actes, soit plus d’une cinquantaine de pages sur les 360 au total, traitent de l’État et des institutions politiques au Niger précolonial. La première contribution, due à Djibo Hamani – le fait que cette éminente figure de l’histoire savante ait assumé la rédaction de ce chapitre en souligne sans doute davantage son importance – effectue la synthèse des connaissances accumulées sur la question par la recherche. Les thèses nigériennes sont activement mises à contribution, notamment celles qui traitent de l’espace hausaphone : une seule liée à l’ouest nigérien, celle de Zoumari Issa Seyni, apparaît en bibliographie. Le second chapitre, proposé par le docteur Yacouba Moumouni, porte précisément sur l’une des organisation étatiques les plus prestigieuses de l’ouest africain précolonial en prise directe avec l’ouest de l’espace nigérien : il analyse l’évolution des institutions de l’Empire Songhay, des origines à sa chute.
64On touche, par le biais de ces champs, à l’un des points forts de la remise en question des savoirs africanistes de la période précédente. Pour la plupart des travaux de l’époque coloniale, du moins ceux marqués par les « thèses hamitiques », les organisations étatiques élaborées au sud du Sahara, perceptibles au niveau des sources valorisées à l’époque – les fameux tarikhs, les traditions, mais aussi certaines traces matérielles telles, pour ne citer que quelques exemples pris en Afrique de l’Ouest, les ruines des palais d’Abomey ou les statues en bronze d’Ifé – furent apportées par des groupes de leaders civilisateurs venus d’ailleurs, en particulier d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Ces théories, dont on dénonce dès les années 50, à juste titre, l’instrumentalisation au profit d’un européo-centrisme teinté de forts relents racialistes très dévalorisants pour les civilisations et les peuples d’Afrique noire, se trouvent de ce fait prises dans les filets critiques de la nouvelle histoire africaine ; elles contribuent sans doute à disqualifier tout ou partie des savoirs africanistes développés pendant la période coloniale. La production nigérienne, en particulier les travaux d’Urvoy, n’échappent pas, malgré leur niveau de sophistication, à ces présupposés qu’il apparaît nécessaire aux historiens contemporains de balayer. Une des réflexions les plus développées consacrées à l’érudit capitaine, formulée dans la récente thèse de Mahaman Addo, traite précisément des théories qu’il développe par rapport à la problématique générale de l’origine et de la formation de l’État centro-soudanien :
- 48 Mahaman Addo, Institutions et imaginaires politiques hausa. Le cas du Katsina sous la dynastie de K (...)
Urvoy fait partie de la génération des années 1930 des Européens qui ont mené des enquêtes dans la région comprise entre le fleuve Niger et le Lac Tchad. Ses travaux s’appuient sur les monographies de Barth, Nachtigal, Landeroin, Palmer, Hogben, Temple et les traditions orales recueillies en Adar, au Gobir, à Konni, à Tasawa et au Damergu. Il privilégie la thèse de la domination du Benue, Kano et Baouchi par le Kwararafa au XVIIIe et celle du Borno sur les États hausas à la même époque au détriment de la thèse de la domination des États hausas par le Songhoy. Il ne nie pas cependant l’influence culturelle du Songhoy sur les États hausas. Il affirme l’existence du royaume de Gangara qu’il situe au sud et sud-ouest du Katsina, fondé par les Wangarawas du Mali et ancêtre du grand royaume du Katsina. Cette affirmation se fonde sur le témoignage de Léon l’Africain, les travaux de Palmer et des éléments linguistiques. Pour Urvoy les civilisateurs du Katsina étaient des Berbéro-Maliens. Un autre axe de réflexion d’Urvoy fait descendre les Hausawas de l’Egypte et écarte l’origine irakienne de certaines dynasties. Mais il reste attaché à la thèse hamitique. Enfin Urvoy met à notre disposition une traduction d’une version de la Légende de Bayajida recueillie par Palmer. Avec Urvoy nous sommes en présence d’une thèse extrêmement complexe qui croise toutes les autres thèses sur : les origines, les dominations et les civilisateurs des États hausas.48
65L’auteur souligne l’intérêt des travaux d’Urvoy pour cette question des origines, des peuples et des organisations étatiques, bien qu’il développe, en accord avec le contexte idéologique ambiant dans lequel baigne cette recherche coloniale, une interprétation exogène et « blanche » des apports sophistiqués en matière d’institution dont auraient bénéficié les masses « noires » autochtones. Dans sa thèse d’État consacrée au sultanat touareg de l’Ayar, Djibo Hamani évoque de façon plus explicite les théories du capitaine relatives à l’origine « blanche » des États au sud du Sahara pour les contester de façon plus vigoureuse :
- 49 Djibo Hamani, Au carrefour du Soudan et de la Berbérie : le sultanat touareg de l’Ayar, p. 75.
Il y a, sous-tendant l’œuvre d’Urvoy, l’idée centrale que tous les États noirs de la zone sahélo-soudanienne (Ghana, Mali, Songhaï, Hausa, Kanem) furent, à l’origine, des créations de peuples blancs ou de peuples dont la supériorité de civilisation était due à un métissage avec des éléments blancs venus du Nord. Et comme les Blancs les plus proches étaient les berbères… Les idées qu’il avance sans donner ses sources, et en particulier celle « d’absorption » de groupes berbères « avant le VIe siècle » ou « avant l’an 1000 » servent ainsi à expliquer l’existence des États noirs signalés par les premiers écrits arabes à partir du VIIIe siècle.49
66Djibo Hamani cite, dans le même passage, une autre hypothèse occidentale, anglaise celle-là – celle de Renvel Rodd, développée dans l’ouvrage People of the Veil paru en 1926 – qui cultive une sensibilité « hamitique » par rapport à ces sujets de l’origine des États soudaniens précoloniaux ou celle des Touaregs de l’Ayar. Il la critique toutefois sur un plan purement scientifique et non idéologique. L’attaque des thèses d’Urvoy semble plus forte. Sans doute centre-t-il ses feux sur ce spécialiste de l’époque coloniale en raison de l’impact que les résultats de ces recherches ont eu par la suite, car ses hypothèses « se sont largement répandues dans les écrits consacrés à l’histoire de l’Ayar » (p. 73). Ces critiques systématiques, au nom de la destruction des traces idéologiques surannées véhiculées par ces recherches anciennes, rendues possibles par la progression des savoirs scientifiques – car la destruction de ces thèses s’effectue au moyen d’une démonstration appuyée par une volonté de renouvellement de connaissances, et pas seulement par l’argument de prétoire – dépassent le cadre de la question étatique. Elles permettent la mise en forme d’une sorte de corpus thématique structural en débordant sur d’autres domaines de première importance telle l’histoire du peuplement. Cela, d’ailleurs, se conçoit aisément : en effet, ce sont les phénomènes migratoires, la prise en compte des flux, en particulier en fonction de l’axe Nord-Sud à travers le Sahara, qui permettent aux spécialistes coloniaux à l’instar d’Urvoy de bâtir leur architecture hamitique.
67La promotion de « l’endogénéité » attaque également cette conception coloniale de l’histoire du peuplement qu’elle juge trop schématique. Pour Djibo Hamani, les processus migratoires qui aboutissent à la genèse du peuplement touareg de l’Ayar s’étalent sur une longue période et mêlent, dans un complexe processus fort difficile à retracer à mesure que l’on se penche sur ses détails, de nombreuses étapes. On voit, dans ce tableau aux retouches nombreuses, s’esquisser ces arrivées progressives, successives ou concomitantes, de groupes plus ou moins importants venant d’horizons divers. Une telle composition, patiemment retracée à l’aide d’une analyse approfondie et érudite des sources orales, met en évidence, selon l’auteur, le caractère « simpliste » du schéma migratoire Nord-Sud. Il va aussi à l’encontre d’une causalité « hilalienne » (invasion du Maghreb par les Beni Hilal du Maghreb) qui exclurait d’autres explications à ces départs échelonnés dans le temps et relativement chaotiques, dans l’ensemble, au niveau des orientations migratoires qui furent prises. Elle va aussi à l’encontre de la thèse selon laquelle les Touaregs auraient cherché à fuir l’islamisation en marche avec ces nouveaux conquérants arabes d’Afrique du Nord. Pour le spécialiste nigérien, il importe avant tout de montrer que le groupe touareg de l’Ayar n’est pas le simple avatar de migrations berbères à partir du Nord sous la contrainte d’événements qui se déroulent en Afrique du Nord, mais au contraire le produit spécifique du milieu géo-culturel sud-saharien (le Soudan centro-sahélien) à partir et au sein duquel, à l’issue de ces complexes déplacement de populations, se forge l’identité d’un peuple, identité qui ne peut être retranchée de celles que les autres sociétés et cultures soudaniennes ont forgées : l’ensemble de ces populations – pour ne pas utiliser le terme d’ethnie – partagerait ainsi une même histoire, nourrie d’interrelations multiples et d’horizons partagés :
- 50 Djibo Hamani, op. cit., conclusion générale, p. 415.
Les fameuses “vagues” de migrations ou invasions touaregs par exemple ne furent en réalité ni des “vagues” de migrations ni des invasions, mais une série de mouvements d’infiltration qui se conjuguera à d’autres phénomènes, sociaux, économiques, religieux ou climatiques, pour singulariser un groupe berbère, les Touaregs, dont les caractéristiques essentielles, il faut le souligner, se sont forgées au Sahara méridional et dans le Sahel. Nous pensons avoir démontré que ces mouvements d’installation des Kel Tagelmust en Ayar furent non seulement beaucoup plus anciens que ce qu’en disent les travaux consacrés jusqu’ici à la question, mais que la variété de leurs provenances dément la théorie du mouvement unique Nord-Sud retenu par la tradition orale. Nous pensons enfin, concernant le monde des pasteurs, avoir démontré que même la structure sociale si caractéristique du monde touareg découle de leur installation au Sahel et n’est pas un héritage “berbère” ou “méditerranéen”, dans la mesure où il apparaît que les Touaregs du Nord eux-mêmes tirent l’essentiel de leur civilisation du Sahel et du Sahara méridional.50
68Les origines des peuples hausa font l’objet d’un programme de relecture tout aussi serré, qui passe par la relecture critique des traditions orales, en particulier de la légende Bayajidda. Montrer que l’identité hausa se forge à l’issue d’une complexe alchimie selon cette optique endogène permet de contester le rôle clé, mis en avant par ces mythes qui furent repris par les savoirs coloniaux, d’élément moteurs venus du Nord et porteurs de progrès décisifs, en particulier au niveau de l’organisation politique des communautés autochtones.
À ce propos nous avons souligné le rôle des chasseurs dans la formation des premiers embryons d’États, non seulement en Adar, mais dans la plus grande partie, sinon dans l’ensemble des régions hausa : Zamfara, Tsotsebaki, Kano, Kance, etc. Nous avons également souligné le retard de l’Adar et d’une façon générale des zones hausa occidentales (exception faite du Gobir) par rapport à Daura, Kano, Katsina et Zazzau dans le processus de formation de l’État.
69L’étude des migrations constitue par conséquent un élément essentiel dans ce débat stratégique, un des chevaux de bataille principaux de l’histoire postcoloniale africaine, depuis les premiers temps de son individualisation. Le processus initial de formation étatique en Adar aurait bien été impulsé par des groupes humains venus de l’extérieur, du nord – mais ces populations auraient été hausaphones, à l’instar des peuplades autochtones qu’elles auraient rencontrées lors de leur migration vers le sud. Groupes de chasseurs, ils auraient apporté avec eux une organisation sociale plus élaborée que celle des premiers habitants – protohausastroglodytes –, point de départ de ce processus d’étatisation dans le monde hausa… Il est intéressant de noter l’ambivalence d’une telle théorie, qui tend à contester la thèse de l’apport exogène tout en la reformulant de façon différente : l’impulsion serait tout de même venue de l’extérieur, apportée par des groupes porteurs d’une organisation politico-sociale plus structurée et élaborée que les peuples locaux qu’ils finissent par supplanter. Cette thèse renoue avec une idée de supériorité de tel élément sur un autre, par le biais de l’histoire du peuplement… Sur quelles sources l’auteur s’appuie-t-il pour accréditer cette théorie ? Il ne peut s’agir bien entendu que des traditions orales…
70La critique de la légende Bayajidda rejoint en grande partie l’objectif, fort stratégique, de considérer le processus de production d’État dans le monde hausa par rapport à des dynamiques essentiellement endogènes, et non liées à ces apports extérieurs hamitiques. Pour l’auteur (voir ci-dessous), l’innovation est venue de peuples hausaphones venus s’agréger à des peuples autochtones culturellement très voisins au cours de migrations vers le sud. On retrouve, à nouveau, cette tentation de positionner l’Aïr comme l’espace matriciel, le berceau identitaire du monde hausaphone, en évoquant le lien possible entre les migrations vers le sud et la naissance des organisation étatiques. L’auteur demeure néanmoins prudent, assurant qu’il ne dispose pour l’instant pas d’éléments suffisants pour consolider son hypothèse :
Certains auteurs soulignent l’importance des migrations dans la formation même du peuple hausa. D’après eux, les Hausawas actuels seraient le produit d’un mélange de peuples divers. Nilotiques, Tchadiens, Berbères avec des autochtones de l’aire de peuplement Sô (…). Cette hypothèse, qui fait des Hausawas (et aussi des Kanuris) le résultat d’un métissage entre Blancs immigrés et Noirs autochtones, est encore assez répandue dans les écrits consacrés à l’histoire du Soudan Central.
Par extension, elle fait de ces peuples blancs les véritables fondateurs des premiers États de la région. La classification de la langue hausa dans le groupe “hamitique” à côté du Berbère et d’autres langues parlées par les peuples blancs est un élément qui appuie cette hypothèse de métissage. La légende de Bayajidda, “prince de Bagdad” dont les descendants dirigèrent les “Sept États Hausa légitimes” a amené certains à parler d’une origine étrangère, blanche, de l’Etat dans le Soudan Central. (p. 75)
71En note, l’auteur expose les références qui correspondent au point historiographique qu’il soulève :
Smith (M. G.). The origin of hausa society, Oxford, 1964
Trimingham (J. S.), A History of Islam in West Africa, Oxford, 1962
Urvoy (Y.), Histoire des populations du Soudan Central, 1936
Urvoy (Y.) Histoire de l’Empire du Bornu, Paris, Larose, 1949
Hogben / Kirk Greene, The Emirate of Northern Nigeria, London, 1966 Johnston, A Selection of Hausa Stories, 1966
Johnston, The Fulani Empire of Sokoto, 1967
72La première thèse de Djibo Hamani s’inscrit dans le débat d’ensemble des origines de l’État hausa ; l’exemple de l’Adar doit à cet égard apporter une contribution supplémentaire à des constructions théoriques dont l’épicentre se trouve plutôt au niveau des universités du nord-Nigeria. On retrouve dans la première thèse de l’auteur consacrée à l’Adar précolonial, à maintes reprises, au niveau des références bibliographiques, des citations en note aux études nigérianes ce souci de jeter d’étroites passerelles avec les centres d’intérêts et les recherches menées au sud de la frontière. L’analyse de la naissance et de l’évolution du « fait étatique » en Adar prend sens, selon l’auteur, s’il permet une meilleure compréhension d’ensemble du phénomène au niveau de l’ensemble de l’aire hausa.
73Ce « retard » des communautés de l’Adar, tout comme celui de l’Arewa ou du Kebbi (qui s’était vite « rattrapé » à partir du XVIe) a ceci de positif qu’il nous permet d’imaginer le chemin que d’autres États hausas ont pu suivre avant d’accéder à des formes de gouvernement parmi les mieux élaborées qui aient existé avant la naissance des états modernes.
- 51 D. Hamani, L’Adar précolonial, Études Nigériennes, conclusion, p. 232.
74Pour l’Adar toutefois l’expérience n’avait pas été loin. Les principautés de Darai, de Folokam, de Kayasa, etc., ne s’étaient étendues que sur des espaces extrêmement restreints. Leur mode de formation renforce la thèse de l’origine extérieure de l’État dans une grande partie de l’humanité. Mais nous avons vu que ces étrangers-là étaient en fait des hausawas tout comme ceux qu’ils avaient trouvé sur les lieux. Leur expérience n’avait pas débouché d’un ensemble vaste pour de nombreuses raisons : faiblesse du peuplement, émiettement des groupes, isolement du pays, en particulier des zones du Dutsi justement, les premières occupées, faiblesse de la production agricole, etc. La situation marginale de l’Adar, marche septentrionale des pays hausa située dans une région steppique à pluviométrie incertaine, explique que la suzeraineté du Kabi établie peu après 1515 n’ait pas mis fin à cet isolement»51.
75La problématique de la formation de l’État dans le monde hausa telle que l’auteur la formule revêt plusieurs caractéristiques qui fondent une identité historique relativement originale par rapport à d’autres structures politico-sociales voisines. L’auteur met ainsi en valeur le caractère original de ce « processus d’étatisation » dans le monde hausa par rapport aux Kanuris : multiplicité des aires politiques indépendantes les unes des autres dans un des cas, organisation univoque et centralisée dans l’autre…
76Par son travail, l’auteur construit un pallier identitaire local, lié au territoire historique qui moule son approche monographique. Il revendique également une connivence étroite avec l’orbite nigériane, scientifique celle-là. Prenant part aux problématiques générales de « l’École de Zaria », utilisant et citant un certain nombre de ses travaux, il dessine les contours d’un territoire scientifique nigéro-nigérian sinon unifié, du moins intimement lié par la force des réalités géographiques et historiques et, sans doute, la force d’attraction que le monde universitaire nigérian exerce sur notre chercheur en quête, peut-être, de repères personnels en affinité avec ses propres sensibilités culturelles et ses convictions. Il relie son travail à un espace élargi à une aire culturelle vaste, de part et d’autre du partage politique opéré par la colonisation… L’histoire de l’Adar pré-colonial ainsi appréhendé ne suit pas vraiment une logique identitaire nigérienne : elle ne s’inscrit pas dans la problématique de la formation de cet État – ou de cette « nation » depuis la longue durée précoloniale. Une autre logique est mise en valeur, totalement étrangère aux cadres frontaliers nés de la période coloniale : ses fondements prennent racine dans un passé bien plus ancien… Là encore intervient l’analyse critique d’une autre légende, directement liée, celle-là, à la spécificité de l’organisation politique du monde hausa fractionné en de multiples cités-États, certaines, d’après cette tradition, légitimes, d’autres, plus récentes, qualifiées d’illégitimes.
L’hypothèse selon laquelle Hausa Bakwai et Banza Bakwai désigneraient des États entièrement hausas dans le premier cas et des États mixtes ou simplement à direction hausa dans le deuxième cas nous semble difficile à démontrer (…). C’est justement parmi les Hausawa de l’Est que l’État semble être apparu en premier lieu ; ces régions aux possibilités agricoles plus importantes que celles des Hausawa de l’Ouest avaient en outre bénéficié de l’influence culturelle du Kanem-Bornou ; plus tard cet État établira sa suzeraineté sur les Hausawas de l’Est ; cette influence politique borunane ne serait pas étrangère à la formation de la légende de Bayajidda : « il paraît vraisemblable, écrit M. G. Smith dans The Geginnings of Hausa Society, que ce mythe se développa au XVIe et au XVIIe avec l’encouragement et sous la protection des chefs du Bornu qui tenaient alors ces sept États hausa en vasselage. Les fonctions de ce mythe comprenaient la légitimation de la suzeraineté bornu et la domination du Hausa, et la contre-position de ces États hausas vassaux avec d’autres unités d’étendue similaire en dehors de l’aire de contrôle du Bornu ». L’État chez les Hausawas de l’ouest apparut plus tard, ce qui détruit l’hypothèse de l’existence de prétendus Banzas Bakwai nés en même temps que les Hausa Bakwai et dirigés par des petits-fils de Bayajidda. (…) Bref, cette légende de Daura, écrit Smith, « si elle signifie quelque chose, c’est plutôt l’influence bornuane sur les institutions politiques des Hausas, ce qui est peut-être jusqu’à un certain point confirmé par les mots kanuris dans le vocabulaire politique hausa. Elle montre également une certaine prééminence des États hausas de l’Est sur ceux de l’Ouest ; cette prééminence s’explique par des conditions économiques locales plus favorables, par la proximité du Bornu (relations politiques, économiques, culturelles) et par le développement plus précoce et plus profond de l’Islam dans cette région de l’Ouest » (M. G. Smith, « Some considerations relating to the formation of States in Hausaland », in Journal of the Historical Society of Nigeria, 5, n° 3, 1970, p. 77).
77La seconde thèse traite par contre d’une entité territoriale, l’Aïr, entièrement autochtone à l’aire nigérienne. Les passerelles avec le monde hausa qui le jouxte au sud sont cependant nombreuses et essentielles.
- 52 « Le Tarikh es Sudan nous dit que le nom du premier souverain Sonai Zâ-al-Ayaman avait pour origine (...)
78L’article de 1999 retenu pour le fameux colloque montre l’importance que revêt la révision critique des grandes traditions locales dans l’optique de cette promotion des dynamiques historiques autochtones au niveau des institutions politiques. L’auteur s’appuie sur ses propres travaux pour en étendre la démarche « révisionniste » à l’ensemble des traditions orales apparentées aux territoires nigériens qui ont vu l’éclosion des organisations étatiques d’envergure à l’époque précoloniale : outre le Hausa, les légendes d’origines des Songhay et des sultanats touaregs de l’Ayar sont passées en revue, afin de forger l’argumentaire scientifique susceptible d’étayer l’origine endogène de l’État. Ces traditions, quel que soit l’espace politico-culturel considéré, mettent toutes en avant, au premier abord, des héros civilisateurs venus d’ailleurs et, de préférence, du monde musulman. Ces personnages, dotés souvent de pouvoirs miraculeux, accomplissant des exploits – nous sommes dans le registre de l’épopée – apportent avec eux les fondements d’une organisation politique, étatique, supérieure à celles qui préexistaient au sein des espaces qu’ils investissent : Bayajidda pour le monde hausa, Za al Yaman pour le monde songhay, un prince d’origine turque dans le cas de l’Ayar. Le mythe d’origine songhay fut retranscrit, dans des versions différentes, par les deux célèbres tarikhs de Tombouctou. Après en avoir donné la narration résumée52, l’auteur remet en cause les interprétations coloniales trop fidèles au sens originel que véhiculent les anciens textes pour un recentrage en utilisant les données issues des recherches universitaires récentes, en particulier au niveau de l’histoire du peuplement. Ils utilisent également la confrontation des légendes et des récits produits par les auteurs arabes du Moyen Âge :
- 53 Op. cit., pp. 181-182.
En vérité, la description de la réalité sociologique du monde songhay suffit à justifier l’apparition de l’État ou d’un pouvoir politique proche. En effet, les Sorkos étaient, tout comme leurs alliés Gaw, minoritaires dans le pays ; mais grâce à la supériorité de leur armement et à leur grande mobilité (c’étaient des pêcheurs et des chasseurs), ils réussirent à asservir une masse beaucoup plus considérable de paysans et prélevèrent un tribut sur leurs productions agricoles. La légende du poisson reflète les mystères dont s’entouraient les vainqueurs pour mieux asseoir leur pouvoir sur le peuple des paysans (…). Nous pouvons donc considérer que l’État Songhay naquit de l’évolution interne de la société du Songhay et du jeu des contradictions qui opposèrent les fractions de cette société ou les différents groupes ethniques qui cohabitaient dans la région.53
c. Les historiens et la « dynamique d’étatisation » au XIXe siècle : le cas du Zarmatarey
- 54 « Au début du XIXe siècle, l’infiltration insidieuse des Touaregs au Tagazart et en Imanan, et des (...)
79À partir de la fin du XVIIIe, voire de la première moitié de ce siècle en fonction de certaines régions du Soudan nigérien, l’ensemble de cet espace connaît d’importants changements. L’histoire se précise ; la trame événementielle s’étoffe, donnant au cours du passé une impression d’accélération, sans doute parce que les sources disponibles permettent de disposer de matériaux et d’informations à interpréter plus nombreuses qu’auparavant. Deux facteurs, d’ailleurs liés, semblent jouer un rôle important. L’un concerne plutôt l’ouest de l’espace considéré : le long des « rives gurma et hausa », la pression des Touaregs et des Peuls paraît s’accentuer à partir de la fin du XVIIIe siècle54. Les premiers, à la recherche de nouvelles zones de pâturage, semblent renforcer leur hégémonie sur la majeure partie des espaces songhays-zarmas. Les seconds raffermissent également leur hégémonie sur une partie des espaces zarmaphones (ceux du sud en particulier où les touaregs ne s’aventuraient guère) à la faveur du mouvement jihadiste d’Usman Dan Fodio et de ses partisans à partir du Nigeria du Nord.
- 55 Il s’agit du royaume du Muniyo et de son souverain, le Muniyoma Koso : « Il fut sans conteste le so (...)
80L’ensemble de la frange méridionale, des rives du Niger au Lac Tchad, semble subir les contrecoups de ces dynamiques. Les incidences de celles-ci sur les sociétés de l’ouest nigériens ont été particulièrement évoquées dans les années 80 par une série de travaux de chercheurs nigériens et français menés dans les années70 puis publiés au cours de la décennie suivante. La thèse de Boubé Gado et celle d’Idrissa Kimba mettent en avant les phénomènes guerriers dans l’évolution des sociétés de l’espace considéré, confrontées à d’importants phénomènes déstabilisateurs – recrudescence des razzias, de l’insécurité – suscitant en retour une adaptation ou une réaction de tout ou partie de ces groupes. Les anciens équilibres socio-politiques se seraient ainsi altérés sous l’effet de nouveaux rapports de force ou de l’exacerbation de situations conflictuelles anciennes, l’affirmation de nouvelles logiques de compétitions, de sujétions et de résistances à celles-ci. L’ouvrage de J.-P. Olivier de Sardan, Les sociétés songhays zarmas, évoque également le rôle de la guerre dans le déclenchement d’éventuelles dynamiques nouvelles dans la redistribution des pouvoirs politiques locaux. Ces importants débats concernent la partie occidentale de l’espace nigérien dont les sociétés de l’époque peuvent être classées dans la catégorie de sociétés « acéphales » ou « segmentaires », sans organisations étatiques aussi développées que dans la partie orientale. Non point que l’espace globalement hausaphone du centre et de l’est n’ait été touché par de tels événements : la période jihadiste la concerne au premier chef. La montée en puissance du Damagaram avec Tanimoune et ses successeurs et celle que connaît le Mangari au même moment55 procèdent de ces mutations à l’œuvre. Le processus de « wangarisation » est souligné par les études portant sur le monde hausa, mais avec moins d’amplitude par rapport à celles qui centrent leurs efforts sur la partie occidentale de l’espace nigérien. Idrissa Kimba évoque l’enjeu essentiel qui sous-tend l’étude des dynamiques guerrières à l’œuvre pendant le XIXe siècle dans l’aire Songhay-Zarma. Les thématiques liées à l’éventuelle présence d’un « État », ou du moins aux prolégomènes de sa formation au sein d’un espace qui semble ne pas avoir connu une telle structure politique depuis la chute de l’empire des Askias à la fin du XVIe siècle :
- 56 I. Kimba, Guerre et société, p. 6.
De cette période de mutations, naquit une nouvelle configuration sociale allant de l’intégration de cette aristocratie guerrière au système d’organisation politique au développement des captifs et des activités de razzias, en passant par les bouleversements au niveau des mentalités avec l’exaltation des valeurs guerrières et l’accélération du processus d’étatisation La question fondamentale qui se pose alors, est celle de « l’avortement » de la naissance d’un État. C’est à ce niveau que l’on essaiera de mesurer la portée et les limites du mouvement des Wangaris.56
81Pour Boubé Gado, le phénomène de « wangarisation » des sociétés du Zarmatarey s’inscrit dans un processus de formation d’un modèle d’État nouveau par rapport aux anciennes chefferies qui auraient été incapables de s’adapter à l’évolution de leur environnement géopolitique.
- 57 « Le Zarmatarezy ou pays des Zarma comprend le Zarmaganda, le Tondikangué, le Kiota, le Fakara, le (...)
Le Zarmatarey57

(manuel d’école primaire, classe de CM1)
82La montée en puissance de cette catégorie de guerriers, les Wangaris, affirme l’autorité d’hommes nouveaux tout à la fois décidés à résister aux « envahisseurs » peuls et touaregs et à supplanter les vieilles autorités politiques traditionnelles qui, selon l’auteur, avaient failli dans la tâche de protection et de défense et auraient même « collaboré » avec l’agresseur extérieur :
- 58 Boubé Gado, Le Zarmatarey, pp. 184-185.
L’installation de la guerre ne pouvait qu’amener des transformations dans le Zarmatarey :
1- d’abord les villages, les hameaux et les concessions se constituèrent en gros villages, plus ou moins fortifiés, pour rendre la défense plus facile.
2- les petites chefferies traditionnelles qui n’avaient que rarement de réalité territoriale virent leur spécificité accentuée car tous les gens se réunirent en un seul village ou au grand maximum en quelques centres principaux.
3- ces regroupements auraient dû aider au renforcement de ces chefferies, mais il fallait qu’elles fussent capables de défendre au moins une partie de leur territoire et les populations qui y vivaient, mais elles en étaient incapables non seulement à cause de leurs émiettements mais aussi parce qu’elles reposaient uniquement sur la gloire des ancêtres et avaient perdu une grande partie de leur combativité en raison du caractère pacifique de leur installation et de leur expansion dans le pays.
Il fallait à ces villages des hommes nouveaux, des hommes combatifs quelle que fût leur origine, qui ne doivent leur ressource qu’à leur bravoure, leur force militaire et leur bonheur dans les combats. Ces hommes nouveaux (…) vont littéralement accuser le premier rang et toutes les épopées que les bardes chantent actuellement, qui relatent ces temps héroïques et cruels n’ont pour acteurs que ces guerriers farouches, qui étaient à l’aube de l’instauration d’une autorité nouvelle, intégrant en subjuguant les chefferies traditionnelles, essoufflées par leurs longues migrations et leurs querelles de préséance. C’est cette autorité que Issa Korombé aura presque assise dans le Dallol à la fin du XIXe siècle.
Pour nous, malgré les prétentions des Zarmakoyes, la multiplication des Wangaris et les forces croissantes de Issa Korombé étaient à la veille de constituer un État militaire structuré que le Zarmakoye n’avait jamais vu auparavant à l’impérialisme européen conquérant n’avait arrêté tout court ce processus ; impérialisme européen dont allaient profiter les Zarmakoyes de Dosso, pour renforcer leur position parmi les Zarmas et faire figure de véritables souverains du Zarrmatarey.58
83L’auteur nous donne ainsi à lire un phénomène d’évolution politique propre à ces groupes, sous l’effet des agressions peules et touarègues. Le processus historique ainsi décrit est endogène à cet espace. Il constitue la première phase d’un processus de concentration, dont la seconde, inachevée, devait selon l’auteur aboutir à la mise en place d’un pouvoir centralisé et unifié à l’ensemble de l’espace du Zarmatarey qui, jusque-là, se caractérisait par le caractère segmentaire de telles autorités, constituées de chefferies aux prérogatives limitées… Ces peuples zarma acquièrent, par une telle analyse, une autonomie historique remarquable : vis-à-vis d’une part des grandes influences d’évolution côtières, liées à l’accentuation de la pénétration européenne à partie de la deuxième moitié du XIXe, envers la domination peuple et touarègue ensuite… Ces populations ne sont ainsi pas seulement présentées dans une situation de sujétion totale : loin de subir les événements sans réaction, elles sont censées s’y adapter, y faire face, par une réaction de résistance et par la constitution d’un groupe dirigeant nouveau issu de la classe guerrière, capable d’insuffler une orientation nouvelle au destin historique de ces communautés par la création d’un « État » centralisé, unificateur et militaire. Un parallèle avec les articles étudiant les relations entre États centralisés côtiers et leurs périphéries composées de sociétés segmentaires est intéressant à faire. B. Gado ne va pas si loin – il n’évoque pas le caractère « segmentaire » de façon explicite, bien que la situation initiale qu’il décrit semble convenir à ce terme – mais il décrit un processus similaire de regroupement sous la menace des forces vives, des habitats et des autorités villageoises.
84Ce processus d’évolution des structures politiques et sociales apparentées à des sociétés dites « segmentaires » semble s’inscrire dans des approches heuristiques par le biais desquelles l’historiographie africaine s’efforce d’investir des groupes humains qui furent sans doute jusque-là peu touchés par de telles approches en dehors du champ des études anthropologiques. Celles-ci peuvent en effet être considérées comme difficilement intégrables à des schémas d’analyse historique, en comparaison de groupes considérés comme mieux structurés par des organisations étatiques dont les contours s’esquissent de meilleure façon grâce à des sources plus abondantes et disertes, surtout lorsqu’il s’agit des fameuses traditions de cours, ou des mythes d’origine qui évoquent la genèse d’un « État » par l’apparition d’un héros civilisateur doté d’une personnalité, d’un physique et de pouvoirs hors du commun.
- 59 « L’épopée commence souvent par un mythe, avec toute la mise en scène où les puissances surnaturell (...)
85La figure centrale de l’œuvre de Boubé Gado lorsque celle-ci aborde « la geste des Wangaris », Issa Korombé, appartient à cette catégorie de figures fondatrices et son épopée ressemble à maints égards à celles qui évoquent des temps plus reculés, tels les mythes de Zabarkane ou la légende Bayajidda. Selon l’ouvrage récente de L. Kestellot et B. Dieng qui inventorie et analyse l’ensemble des épopées étudiées sur le continent africain, l’imbrication est étroite entre mythe d’origine et épopée59. Le mythe d’origine suivrait presque toujours une progression linéaire, calquée sur les épisodes légendaires du personnage principal qui lui confère d’importantes caractéristiques propres au récit épique. De l’un à l’autre se retrouvent une architecture similaire à partir de cinq séquences qui structurent le déroulement chronologique :
Le futur « roi » a une origine extraordinaire.
L’enfance ou la jeunesse du futur roi est perturbée.
Le jeune futur est protégé des dieux.
Le futur chef se manifeste alors par des dons surnaturels.
Enfin, les hommes le reconnaîtront, de gré ou de force, même tardivement.
- 60 Fatoumata Mounkaila, Le mythe et l’histoire dans la geste de Zabarkane, Thèse, université de Dakar, (...)
- 61 Ousmane Tandina, Une épopée zarma. Wangoungna Issa Korombéize Modi ou Issa Koygolo, thèse, universi (...)
86Pour le monde zarma-songhay, l’ensemble des études consacrées aux légendes et traditions mythiques de ces peuples évoquent les récits cosmogoniques qui évoquent le peuplement mythique ainsi que l’origine du premier État songhay à travers la dynastie des Za et de Zaaliyaman (Jean Rouch, Boubou Hama). Fatoumata Mounkeila consacra au milieu des années 80 une thèse remarquée consacrée aux récits des migrations légendaires, à travers la geste de Zabarkane60. Boubé Gado apparaît comme le premier spécialiste, historien de surcroît, à exhumer une épopée nouvelle, centrée sur une figure de l’histoire fort contemporaine de l’histoire précoloniale : Issa Korombé serait mort en 1895, et son dernier souffle paraît accompagner l’avènement d’une époque nouvelle, la colonisation, et la fin des temps héroïques. Cinq ans après la parution du Zarmatarey aux Études Nigériennes, une autre étude nigérienne, une thèse de littérature soutenue à Dakar par Ousmane Tandina, soulève à son tour le problème de la valeur épique des légendes relatives à la figure du guerrier zarma du XIXe siècle finissant…61
87Pourtant, la récente somme de L. Kestellot et B. Nieng ne retient pour l’aire songhay-zarma que le mythe de Zabarkane, en se référant d’ailleurs au travail de Fatoumata Mounkeila. Les actes du colloque des historiens nigériens, en particulier au niveau de l’article de Djibo Hamani relatif à la question de l’État dans le Niger précolonial, n’évoquent pas la geste du guerrier du Zarmatarey dans les mêmes termes que Boubé Gado : celui-ci n’a pas droit de cité dans le panthéon des héros civilisateurs. Pourquoi avoir occulté celui de Issa Korombe que certains spécialistes nigériens, au premier chef duquel Boubé Gado, mettent en avant au même titre que les personnages évoqués dans les récits légendaires plus anciens ? Aurait-on considéré qu’une telle construction relèverait davantage de la création littéraire que d’une construction historiographique (et par conséquent scientifique) suffisamment solide ?
88À cette fin, Boubé Gado aurait ainsi forgé une véritable épopée moderne autour d’un personnage historique, en empruntant à certains aspects de sa vie et de ses actes idéalisés par les récits véhiculés jusqu’à aujourd’hui parmi de nombreuses familles zarmaphones. La dimension « nationale », identitaire, du héros prendrait ainsi ses racines au sein d’une matrice culturelle spécifiquement africaine : le mythe. L’auteur aurait tenté de créer une mythologie moderne et savante, bien qu’assise sur des traces populaires. On serait tenté par une mise en parallèle avec une autre tentative similaire et contemporaine de la démarche adoptée par notre chercheur nigérien, mais beaucoup plus connue celle-là. En 1979, l’année durant laquelle se déroule la soutenance du Zarmatarey, paraît l’ouvrage de M. Kumene, Emperor Shaka the Great, qui retrace la figure de ce chef, Shaka Zoulou, dépeint comme un bâtisseur d’empire, une personnalité hors du commun de l’histoire sud-africaine précoloniale. Son épopée connaît après cette parution une très forte popularité, avec la mise en œuvre de films inspirés de la vie et des gestes du personnage.
- 62 « Ces différents zamus qui nous décrivent en fait les Wangaris dans leur ensemble, nous les montren (...)
89Les Études Nigériennes publient le travail de recherche de Boubé Gado en 1980, un an après la parution du célèbre ouvrage sud-africain… Comme nous l’avons vu, certains passages de la version dactylographiée de la thèse ont été remaniés par rapport à la première mouture. Ces retouches semblent renforcer le caractère épique de la geste de Issa Korombé. Les deux travaux de M. Kumene et B. Gado, fort différents quant à leur nature – l’un est un travail de fiction, l’autre une recherche scientifique – aboutissent tous deux à la création de nouvelles épopées qui n’ont cependant pas connue le même destin médiatique. Dans le premier cas, la littérature puis le cinéma ont contribué à forger un imaginaire collectif qui transcende largement les cadres de la mémoire collective zouloue ou même sud-africaine, à partir d’une figure idéalisée à l’origine par une œuvre écrite. Celle-ci demeure avant tout une œuvre de fiction, bien qu’elle puise dans les mémoires orales ou livresques. L’autre cas, celui de Issa Korombé magnifié par le travail de Boubé Gado, se place sur le terrain scientifique et universitaire. Il pose, à partir de l’utilisation des sources orales « populaires » (les berceuses, les zamus, les poèmes sur les noms, les devises) que l’historien traduit puis interprète62, la question d’un processus de formation d’un récit épique récent et de son objectivation au sein de sa mémoire collective par un peuple (les gens de culture zarma) à l’époque contemporaine. Pour l’auteur, il n’y a pas de rupture, d’une période à l’autre de l’histoire, dans un tel processus de création et d’expression des représentations historiques :
- 63 B. Gado, Le Zarmatarey, avant-propos des Études Nigériennes, p. 6.
L’histoire d’un tel peuple, serait à coup sûr une vaine gageure si l’humble apprenti historien qu’est l’auteur de ces lignes, n’appréhendait pas lui-même les difficultés qu’il y a à suivre et à comprendre le cheminement d’un discours mythologique qui s’insère à chaque moment dans le contexte socio-économique, socio-politique et socio-culturel vécu par le peuple “Être-Histoire”, cheminement qui ne se plie pas toujours avec aisance au discours scientifique de l’historien pour lequel le peuple est en dernier ressort “Sujet-Histoire”.
L’histoire des populations entre Niger et Dallol Mawri, et plus particulièrement l’histoire des Zarma baigne effectivement dans le mythe ou dans le halo mythique car ni le contact combien de fois séculaire avec l’islam, ni l’occupation coloniale, ni la vaine tentative d’évangélisation chrétienne, n’ont eu assez de prises sur la façon dont le peuple conscientise son histoire et ont presque toujours cédé le pas à ce biais d’osmose lente ou brutale que le mythe a toujours utilisé pour se réincarner à chaque reprise.
Faut-il dès maintenant dire ou avouer que nous ne faisons pas œuvre d’historien, quand sous l’envol de l’épopée des ancêtres et des dieux, quand sous l’envol de l’épopée des conducteurs de migration et des chefs de guerre du XIXe, nous matérialisons le mythe pour le soumettre à la rigueur de l’analyse historique?63
90On retrouve pourtant, au niveau des différentes étapes relatées par B.Gado, les caractéristiques du mythe d’origine dégagées plus haut :
Son origine est singulière :
Nous avons examiné le problème des Garasas en parlant de Kundu Garasa qui était arrivé sur le daba volant des Zarma de Mali Béro. Nous avons parlé à cette occasion de la puissance magique que détenaient les castes (…) Ce fut bien le horso Alamin “esclave de case” des Zarma qui fit prendre à la daba zarma son mythique envol. (Études Nigériennes, p. 210)
Il en va ainsi de certains grands hommes du Soudan nigérien dont la naissance mystérieuse fut comme un levain nécessaire à l’accomplissement de leur fulgurante destinée. Sunjata, le fondateur de l’empire du Mali, ne naquit-il pas de Sogolon Keju, la hideuse femme-buffle du pays de Do ? Et dans le monde songhay lui-même, l’un des souverains les plus illustres, l’Askia Mohamed, ne naquit-il pas de Kassey, la sœur de Sonni Ali Ber, qui eut commerce avec un génie sur les rives du bienfaisant “Issa Béri” ?
Toutes ces naissances mystérieuses et quelquefois douteuses, signifiaient à tous les coups, cumul des puissances magiques prénatales et post-natales, représentant le choix du destin. Ainsi à la renommée guerrière effective des Golé venaient s’ajouter pour le cas de Issa Korombé, non seulement les puissances magiques des Zams métallurgistes mais aussi celles, insondables, d’un mariage, somme toute “contre nature”. (Études Nigériennes, p. 211)
91L’auteur effectue ainsi un parallèle entre Issa Korombé et les mythes et épopées les plus lointains, les récits et les personnalités les plus prestigieuses d’Afrique de l’Ouest… Issa Korombé est rattaché à cette matrice du sacré qui forge les hommes de pouvoir en Afrique.
Sa jeunesse est perturbée. Il acquiert des pouvoirs surnaturels…
92Du fait de ses origines douteuses, I.Korombé doit attendre avant de se faire reconnaître par son père comme un homme de valeur… après une razzia, il doit s’exiler et acquiert des pouvoirs surnaturels : « À Wanzerbé, haut lieu de la magie songhay, Issa Korombé se mit au service de Kassey, la femme responsable du pouvoir spirituel des Sonianké (…). Issa Korombé dut certainement demander le concours du clan des Sonianké qui lui préparèrent quelques potions et lui donnèrent des secrets » (Études Nigériennes, pp.214- 215).
Du mercenaire au chef politique
93La publication des Études Nigériennes complète et élargit vers de nouveaux horizons l’image de Issa Korombé. Les deux premiers passages rajoutés en diluent le caractère mercenaire et pillard pour mettre l’accent sur ses stratégies de pouvoir : stratégie matrimoniale, constitution d’une cour princière à Karma-Boboy, sa « capitale »… nous le voyons ainsi se transformer, ou plutôt évoluer, d’un simple chef de guerre, meneur de guerriers pillards et vagabonds, en un véritable meneur politique qui suit des objectifs de mieux en mieux définis. Présenté comme un « nationaliste » farouche de la cause zarma, il organise son pouvoir afin de regrouper les forces d’un peuple contre les menaces extérieures ; il institutionnalise ainsi sa nouvelle autorité gagnée de vive force par ses exploits militaires.
- 64 Une dernière partie relate la fin de la vie du héros. Elle en constitue l’ultime étape. Dans le pas (...)
94À ce stade de son existence, le personnage, affirmant son autorité, évolue vers une sorte de royauté ; il impose à ses gens une autorité qui s’avère à la longue incontestée du fait de sa valeur militaire, de sa bravoure… Issa Korombé acquiert ainsi cette dimension fondatrice qui l’assimile aux héros des célèbres mythes d’origine plus anciens. Ce passage s’inscrit dans l’hypothèse finale de l’auteur : une dynamique de centralisation des pouvoirs politiques sur l’ensemble du Zarmatarey se serait dessinée à la faveur des guerres contre les Peuls et les Hausas à la fin du XIXe… un pouvoir unique et centralisé, quoique éminemment militaire, commençait à se former dans le monde zarma, avant que l’intrusion coloniale ne vienne tuer dans l‘œuf cette tentative64.
- 65 L’auteur définit ainsi la notion d’État : « Par ce terme, il faut entendre à la fois l’espace polit (...)
95Cette hypothèse est contestée par les travaux qui prennent, à la même époque que la thèse de Boubé Gado, des pistes similaires au niveau de l’espace investigué (l’ouest du Niger), des peuples appréhendés (les populations zarma-songhay) et des thématiques abordées dans le cadre du XIXe siècle. La question de l’émergence d’un état zarma sous l’effet d’une situation endémique de conflits est reprise par Idrissa Kimba puis Jean-Pierre Olivier de Sardan. En toile de fond à la polémique qui se dessine de la confrontation de ces trois auteurs se profilent d’importants sujets d’investigations, tels le rôle de la guerre dans les dynamiques endogènes du changement social et politiques des sociétés pré-coloniales, ou l’approche analytique susceptible de rendre compte au plus près de la nature des pouvoirs locaux de l’époque, ainsi que de leur évolution. Nous retiendrons pour l’instant cette deuxième thématique : elle se moule parfaitement dans l’approche politique de l’historiographie nigérienne. C’est à ce niveau, d’ailleurs, que la théorie développée par Boubé Gado est vigoureusement attaquée. Idrissa Kimba analyse longuement l’organisation socio-politique des sociétés concernées dans la première partie de son étude. Il accorde une attention toute particulière à la manipulation de certaines notions utilisées afin d’établir une sorte de taxonomie des pouvoirs politiques, en particulier les termes « clientèle », « chefferie », « État ». Ce dernier constitue le point d’orgue de la démonstration qui dénie aux chefferies locales une telle appellation65.
96Dans cette présentation, nous avons volontairement évité autant que possible l’utilisation du vocable politique État. Les deux tentatives de formation d’un ensemble étatique de caractère relativement centralisé ont avorté avec Mali-Béro, puis Taguru, au XVIe et au XVIIIe, ou au plus n’ont eu qu’une existence éphémère. Au XIXe, également, malgré les conditions favorables pour une unification politique, en l’occurrence la guerre, le processus de formation d’un État, bien qu’amorcé, n’est pas arrivé à son terme. Pour le moment on n’entrera pas dans les détails de ces événements qui seront analysés au chapitre consacré à l’essai sur les guerres zarma-songhay.
97Les traits dominants sont les suivants :
-
Une absence d’unité et de cohésion politique.
-
L’inexistence d’un pouvoir dominant.
-
Le degré de solidarité entre chefferies est fonction des liens de parenté.
-
Une longue période de prospérité jusqu’au déclenchement de la Jihad.
98Chez les Zarma, indépendamment des facteurs d’unité généralement avancés comme base de la formation d’États en Afrique noire à savoir les facteurs idéologique (religion), social (guerre) et économique (commerce), il existait un facteur interne qui rendait difficile l’évolution vers une structure de type étatique : c’est la dispersion des « maisons ». De ce fait, même si les conditions d’unification étaient favorables, pouvait-on assister au plus à la formation d’une fédération de « maisons » (pp. 41-42).
99Pour l’auteur, ces « maisons », y compris celles sur lesquelles il s’étend de façon plus longue car les sources le permettent (à savoir celles du Zarmakoy de Dosso), ne constituent pas des organisations étatiques mais des chefferies, qui ne doivent pas selon lui être assimilées à des États. Il semble adhérer au point de vue formulé par Boubé Gado, en soulignant comme celui-ci la réalité d’un processus de gestation d’un ensemble étatique grâce au contexte conflictuel favorable, bien qu’il n’ait cependant pas connu un aboutissement achevé. Si l’auteur ne formule pas de critiques trop directes à l’encontre des théories de Boubé Gado, il n’en évacue pas moins l’un des pivots essentiels qui étayait l’ensemble de la construction développée dans Le Zarmatarey : l’émergence d’autorités concurrentes à celles détenues jusque-là par les chefferies traditionnelles incapables de faire face à la conjoncture de crise et l’affirmation d’une catégorie de meneurs nouveaux, imposant leur emprise par leurs vertus guerrières, indépendamment de leur éventuelle appartenance à un lignage dominant. Idrissa Kimba semble contester cette concurrence entre pouvoirs traditionnels et autorités nouvelles fondées sur l’aristocratie naissante de guerriers : ces élites politiques et militaires, loin de s’opposer, se complémentent ; il n’y aurait pas eu, tout au long du XIXe siècle qui fut pourtant une période de recrudescence des conflits armés dans la région, d’oppositions frontales majeures entre pouvoirs traditionnels et Wangaris qui auraient abouti à une révolution de palais – autrement dit, un coup d’État militaire…
- 66 « Dans ce cas, ce qui est justement remarquable, c’est bien l’absence de véritables conflits entre (...)
- 67 « Boubé Gado, dans un ouvrage récent, a posé le problème du rapport entre chefs et guerriers, et co (...)
100J.-P. Olivier de Sardan conteste à son tour, en s’appuyant sur différentes sources qu’il a collectées et utilisées dans divers travaux, l’altérité antagonique entre ces deux types de personnages qui détiennent chacun à leur manière pouvoir, renom et autorité. Pour lui, les deux catégories demeurent étroitement complémentaires et l’émergence de nouvelles pratiques de combat concomitante à l’affirmation d’une strate sociale, celle des guerriers, tendrait à renforcer ces correspondances. Le guerrier, loin d’être un homme nouveau, appartient le plus souvent aux familles qui détiennent les chefferies traditionnelles66. Un partage naturel des tâches s’effectue ainsi au sein des familles régnantes, avec de la part de certains de leurs membres une tendance à la spécialisation vers le métier des armes sous l’effet des contraintes extérieures. La situation varie cependant en fonction de la nature des groupes humains et des chefferies considérées, dans un espace où prime la division en groupements villageois et la diversité des modes d’organisation politiques et sociaux. Il s’attaque ainsi aux thèses de Boubé Gado de façon plus systématique que ne l’a tenté Idrissa Kimba dans Guerre et société67 lui reprochant de généraliser des phénomènes spécifiques à certaines sociétés « non stratifiées » qui connurent, à un moment de leur histoire, l’apport de guerriers venus de l’extérieur, en voie d’assimilation. Ceux-ci auraient joué un rôle décisif au niveau de la genèse de chefferies qui n’existaient pas jusqu’à leur avènement.
- 68 « Une fois mise en place cette chefferie aristocratique, celle-ci peut-elle évoluer elle-même vers (...)
101Dans tous les cas de figure, quelles que soient les conditions qui engendrent l’évolution des pouvoirs locaux selon différents cas de figure (bipolarisation et partage de l’autorité entre chefs traditionnels et guerriers, évolution de la « chefferie paysanne » à la « chefferie guerrière » selon un cheminement interne sans heurts entre guerriers et chefs traditionnels), l’auteur rejette l’éventualité d’un « processus d’étatisation », même embryonnaire. L’analyse des caractéristiques de ces chefferies montre, selon lui, qu’elles sont totalement antinomiques avec la notion d’État68. L’affirmation d’une aristocratie guerrière ne permet pas l’unification nécessaire des classes dirigeantes, préalable à la mise en œuvre d’une organisation politique univoque et suffisamment puissante pour imposer son autorité et ses rouages à l’ensemble du territoire considéré en transcendant les particularismes et les divisions locales. L’évolution liée au caractère endémique des conflits et de l’insécurité au XIXe siècle pérennise les divisions ; elle les reproduit au sein des élites et ne remet en cause ni le nombre, ni la diversité des gouvernances traditionnelles. L’insécurité, opposant les guerriers les uns aux autres, entretient la reproduction des moyens de sujétion des classes dominantes ; elle empêche la mise en valeur d’un projet commun qui permettrait de cimenter l’ensemble de ces élites derrière un projet et des valeurs communes susceptible de transcender les calculs et les oppositions entre individus et groupes. Ainsi, l’émergence d’une stratification sociale plus poussée avec la généralisation, autour de la multiplication des guerriers, de la chefferie aristocratique, n’induit pas l’émergence d’un État unitaire, comme l’affirme Boubé Gado.
- 69 J.-P. O. de Sardan, op. cit., pp. 95-96.
En fin de compte, la logique de la chefferie “classique” s’oppose à la constitution d’un État, en ce sens que la chefferie a pour condition la division de l’aristocratie en fractions villageoises concurrentes, rivales, divisées, alors que l’État implique au contraire une unité de la classe dirigeante. Dans un cas la contradiction l’emporte sur l’unité, dans l’autre c’est l’inverse. C’est donc le même processus qui permettrait l’extension de la chefferie aristocratique (aux dépens de la chefferie paysanne) et bloquerait on évolution vers l’État. La chefferie aristocratique, en se multipliant, ne peut se concentrer. Elle essaime (…). Ce stade de la chefferie aristocratique généralisé, qui était atteint dans la plus grande partie du pays songhay-zarma à la veille de la conquête coloniale, contredit évidemment la théorie habituelle du “consubstantialisme” entre État et classes sociales, qui voit dans l’un la condition nécessaire des autres, et leur assigne une émergence commune. De même que la chefferie paysanne ne pouvait se transformer “naturellement” en chefferie aristocratique, de même celle-ci ne peut se transformer “naturellement” en État.69
- 70 « C’est sans doute l’Islam (à défaut de conquête extérieure) qui a joué partout le plus efficacemen (...)
102Pour l’anthropologue, l’émergence de l’État ne pouvait s’effectuer à partir de dynamiques émiques aux sociétés concernées : il aurait fallu pour cela l’action d’un catalyseur externe capable d’orienter les logiques traditionnelles de pouvoir de manière totalement différente, et d’aplanir les facteurs de division et de conflit. Il évoque à ce titre le rôle fondamental que jouèrent les valeurs islamiques pour l’ensemble des organisations étatiques avérées de la période pré-coloniale. Porteur d’un projet collectif puissamment intégrateur, d’une hiérarchie capable d’imposer un ordre et des repères stables à l’ensemble des membres de l’aristocratie politico-militaire, l’islam se révèle comme l’agent principal de la formation puis de l’affirmation d’une « culture de l’État » suffisamment affirmée pour s’imposer à l’ensemble des puissants et aplanir les ferments de divisions70. Or, ce sont justement ceux-là qui alimentent la vitalité des aristocraties guerrières et l’évolution des chefferies, évolution qui porte en elle les limites du processus de transformation des élites et des organisations dirigeantes. Boubé Gado affirme au contraire que les sociétés zarma-songhay portent en elles, à l’issue de ce siècle dominé par les logiques d’affrontement, les germes d’un transformation essentielle qui représente aussi, selon ce schéma, un progression ascendante et linéaire du destin historique des populations envisagées. La constitution de l’État et la dynamique unifiante qu’il porte sont en effet valorisées par rapport à l’état précédent, celui des chefferies multiples et faibles, qui prévaut depuis la destruction de l’Empire des Askia. Nous retrouvons ainsi, derrière l’un des débats essentiels qui croise les regards historiens et anthropologiques, la problématique sous-jacente et non moins capitale de cette capacité de la part des sociétés africaines précoloniales à créer en leur sein des ferments de progrès et d’évolution endogènes, indépendamment des influences et apports extérieurs. Les critiques de l’anthropologue touchent cet élément stratégique de l’ensemble de cette rhétorique, investie au niveau de l’ensemble des thèses qui évoquent les diverses genèses étatiques au sein de l’espace nigérien précolonial et résumée au niveau de l’article de Djibo Hamani à l’occasion du colloque de 1999.
4. Histoire-collecte, ou histoire-problème ?
- 71 Entretien avec Mahamane Tidjani, mercredi 5 janvier2004.
- Êtes-vous en désaccord avec les travaux, les analyses formulées par l’historiographie nigérienne universitaire ?
- Ce que je reproche à ces travaux, c’est leur dimension totalisante. C’est une critique de politologue aux historiens… je considère que les historiens, souvent, s’aventurent dans des domaines où ils pensent posséder de la connaissance, alors que au niveau du sens des concepts qu’ils utilisent, il y a beaucoup de faiblesses. Par exemple : un historien vous parlerait d’un État guerrier sans coup férir… ou le qualifierait d’État alors qu’il n’a que très peu de connaissances sur la théorie de l’État, sur la façon dont il faut utiliser ce concept. Les historiens utilisent beaucoup de concepts qu’ils connaissent peu, qu’ils ont peu étudiés. Je pense qu’une meilleure connaissance des concepts leur aurait permis d’être plus précis dans leur démarche ; leur aurait permis d’amener des connaissances beaucoup plus pointues sur les objets qu’ils étudient. L’autre faiblesse, à mon sens, est que ce n’est pas une histoire cumulative. Nous attendons toujours le grand point, la grande synthèse, parce que les historiens dans leurs travaux ne se positionnent pas les uns par rapport aux autres… chacun étudie son terrain, sans trop jeter des regards sur le terrain de l’autre… Pour moi, dans les sciences humaines, les historiens nigériens ont été les plus grands artisans des sciences humaines nigériennes, en raison des connaissances qu’ils ont apportées. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si ce sont eux qui ont la plus grande production… Il n’y a pas de discussion là-dessus. L’apport de l’IRSH à ce niveau est incontestable : elle a joué non seulement un rôle de centre d’accueil, les Études Nigériennes ont incontestablement permis la diffusion de toutes les connaissances que nous étudions… je regrette qu’elles ne paraissent pas aujourd’hui, ou trop peu…71
- 72 « La cartographie des choix géographiques commence à s’élargir. De larges espaces restent encore in (...)
- 73 L’école doctorale récemment mise en place au sein du département d’histoire met encore l’accent sur (...)
103Derrière l’ensemble des études précoloniales à caractère monographique, l’intention totalisante n’est jamais totalement abandonnée. L’objectif essentiel de l’ensemble de ces investigations demeure souvent, tant au niveau des mémoires de thèse qu’à celui des maîtrises soutenues à Niamey, la production d’un savoir historique le plus large possible, tant l’on considère que ce chantier de construction des savoirs ne repose toujours pas sur des bases suffisamment solides. Les spécialistes que nous avons pu interroger, en particulier ceux qui paraissent exercer un important magistère sur l’histoire nigérienne depuis les années70, s’accordent sur ce point : la recherche historique et universitaire nigérienne s’est avant tout appliquée à amasser le plus grand nombre d’informations possibles, au niveau d’espaces et de groupes humains dont on considérait – et considère encore – fort mal connaître l’histoire, ainsi que les sources disponibles pour son élaboration. Cette dimension exploratoire constituerait toujours, selon un récent article de réflexion historiographique d’Idrissa Kimba72, une constante de l’histoire universitaire nigérienne, l’un des objectifs essentiels assignés aux investigations qui sont encadrées par le département d’histoire de l’université de Niamey73. Djibo Hamani, lors de l’entretien, appuie ce constat et le justifie. Selon lui, les opérations de collecte des matériaux (écrits, oraux, archéologiques), loin d’être terminées, constituent toujours le préalable indispensable à la mise en œuvre d’analyses plus poussées, davantage resserrées vers des problématiques et des angles d’approches progressivement affinés. La recherche, assimilée à une entreprise collective de recension « extensive » la plus systématique possible des matériaux potentiels d’un savoir historique dont la construction commencerait à peine, s’imposerait dans le cadre du terrain nigérien en raison de la carence avérée en informations suffisantes tant sur un plan quantitatif que qualitatif. Les chercheurs en histoire doivent ainsi continuer, au niveau de la plupart des régions de l’espace considéré, à privilégier cette tâche que certains, étrangers au milieu qu’ils se proposent d’explorer, paraissent, d’après les dires du spécialiste, avoir considéré comme frustrante et peu valorisante, au regard des pratiques et des approches heuristiques qui se déploient parmi d’autres milieux universitaires :
- 74 Djibo Hamani, entretien du 3 juillet 2005.
Je pense que la recherche historique au Niger, en tout cas de la part des Nigériens, a été essentiellement utilitaire et pragmatique en ce sens qu’il s’agissait, et moi j’ai toujours insisté là-dessus, d’abord de rassembler les informations avant d’élaborer une quelconque théorie… ce sont les informations qui doivent guider. L’un des défauts de la recherche en sciences humaines au Niger en général, c’est de s’aligner sur le niveau de la recherche en France, et ça c’est vraiment dommageable, dans la mesure où les Français, lorsqu’ils font leurs rapports de thèses, ont à leur disposition une masse de données. Quand on n’a pas de données, on travaille dans le vide… Donc, moi je dis, pour le moment, il faut avoir l’humilité de chercher, de rassembler, de vérifier, et si vous, vous n’avez pas suffisamment de temps pour le faire, quelqu’un viendra après pour élaborer des théories sur la base de données sûres. Mais, quoi qu’on fasse en général, les gens ils ont une idée, une hypothèse, et puis ils viennent sur la terrain pour vérifier avec les données qui existent… mais comment voulez-vous venir au Niger avec des hypothèses sur des données qui n’existent pas ? Que vous ne connaissez pas ? Vous ne connaissez pas le pays et vous allez élaborer des théories tout simplement parce qu’il faut faire bien, ou bien il faut se placer sur le plan stratégique… moi j’ai toujours insisté sur la création des banques de données… recueillir, recueillir, rassembler et chercher les informations… moi, c’est ça ma théorie… je pense que dans la plupart des cas les Nigériens se sont préoccupés surtout de rassembler des données...74
104Selon Djibo Hamani, la recherche historique nigérienne ne peut devancer son évolution « naturelle » si elle emprunte des voies thématiques et méthodologiques sans pouvoir les étayer par des soubassements théoriques et épistémologiques suffisamment solides. Aussi doit-elle demeurer cantonnée, par la nécessité et la prudence heuristique que commandent les canons méthodologiques et éthiques de la discipline, à évoluer en-deçà de l’histoire-problème et en retrait par rapport aux grands débats qui animent par ailleurs l’histoire savante à l’échelle internationale. À la différence d’autres régions d’Afrique, l’espace nigérien, peu touché par la recherche, représente ainsi l’un des lieux privilégiés pour la mise en application d’une approche prospective, voire pionnière en certains endroits. Quant aux connaissances disponibles, on les considère encore étayées par un fragile soubassement de connaissances primaires encore trop parcimonieusement livrées par une recherche récente et manquant de moyens. Ainsi, la collecte extensive d’informations au niveau de certains espaces se poursuit jusqu’à nos jours. L’auteur d’une des thèses consacrées à l’un des espaces les plus reculés et les moins approchés par la recherche, le Mangari, situé au sud-est du Niger, explicite ainsi les motivations qui l’ont poussé à sonder le passé de cette région, par une approche monographique et globalisante :
- 75 M. Zakari, Contribution à l’histoire des populations du Sud-Est nigérien. Le cas du Mangari (XVIe-X (...)
Centré sur le XIXe, et sur les Mangas, pour des raisons de documentation, le travail consistera donc moins à faire des études de thèmes précis qu’à soulever un certain nombre de problèmes, indiquer, au besoin, des directions de recherche, en définitive, tenter de retracer ne serait-ce que dans ses grandes lignes (notamment pour la période antérieure au XIXe, sur laquelle nos sources sont d’une extrême pauvreté mais dont la connaissance, si imparfaite soit-elle, est toujours nécessaire pour bien expliquer les faits relatifs au XIXe), l’évolution socio-politico-économique des peuples concernés. Son objectif est donc, en s’intéressant de plus près au cas Manga, de donner une idée sur le passé de l’ensemble de la région et de servir de base à des études plus fouillées, portant sur des thèmes plus précis et des espaces et des périodes plus restreints. C’est un fait qu’on se trouve là sur un terrain quasi vierge sur le plan de la recherche scientifique en général et de la recherche historique en particulier. Aussi, il n’est pas exagéré de dire que nous faisons presque œuvre de pionnier : aucun travail de recherche véritable n’a, jusqu’à présent, été consacré à l’étude de ces peuples ; elle n’est connue que très vaguement à travers les travaux historiques relatifs au Bornou. Par conséquent, la tâche est immense et des sources orales demeurent les sources privilégiées.75
105L’auteur nous décrit la région du Mangari comme un espace plutôt marginal, aux conditions climatiques et naturelles difficiles, une population clairsemée, des structures socio-politiques offrant peu d’intérêt historique. Il n’y a pas au Manga de structure politique d’envergure hormis quelques velléités au XIXe vite étouffées par des hégémonies voisines… les centres de gravité se situent ailleurs : au Bornou, au Damagaram… depuis le XVIe le Mangari est présenté par l’auteur comme un espace en marge et sous l’influence des grandes entités politiques de la région (en particulier le Kanem-Bornou), un espace de prélèvements de toutes sortes par ces puissances voisines et tutélaires. Cette position dominée, qui créait les conditions de sujétion et de soumission aux diverses manifestations de l’arbitraire de la part des dirigeants, ne semble pas avoir suscité parmi les populations locales de dynamique particulière de réaction. L’auteur en convient lui-même et l’explique par le morcellement du peuplement :
- 76 Ibid., p.7.
Tout incite à penser que la région était, comme de nos jours, faiblement peuplée, que ses quelques habitants séparés par de vastes espaces incultes, se connaissaient à peine, communiquaient très peu entre eux et que la solidarité se limitait tout juste au cadre villageois. Sur le plan politique, la conséquence essentielle de cette situation, c’est l’émiettement de l’autorité, chaque communauté villageoise ayant son propre chef… tout laisse croire que les dynastes de notre région, assujettis au Bornou, avait, tant que le pouvoir central Bornouan demeura fort, des pouvoirs très réduits.76
106Tel paraît être aussi l’objectif que poursuit Mallam Issa dans une thèse récente, soutenue en 1996. Elle ressemble, au niveau de son organisation et des pistes qu’elle emprunte, aux monographies pré-coloniales antérieures, celles d’André Salifou (le Damagaram), Maïkoréma Zakari (le Mangari). Le travail se propose, à l’instar de ces études précédentes, de collecter un maximum d’informations, à partir de l’approche monographique usuelle :
- 77 M. Issa, Le Damergu au XIXe siècle, 1996.
Le choix d’un sujet remarquable par l’étendue du champ thématique répond donc au souci d’apporter notre modeste contribution à la reconstitution du passé des populations du Damergu. Une course contre le temps est à engager si l’on veut sauvegarder la possibilité même d’écrire l’histoire des peuples sans écriture.
En effet, dans ces sociétés la parole historique est détenue par des personnages d’âge avancé dont l’extinction entraînerait, du même coup, la disparition de précieuses “bibliothèques”. La formulation du sujet telle que nous l’avons conçue, en diversifiant les axes de recherches, donne l’occasion de récolter le maximum de traditions historiques, seul moyen de tirer de l’oubli des pans de notre histoire.77
107La problématique énoncée en introduction établit un certain nombre de pistes d’études, envisagées ou réellement utilisées par l’auteur, qui donnent un aperçu intéressant des problématiques récentes de l’historiographie nigérienne :
- 78 Op. cit., p. 7.
- Le commerce transsaharien. L’approche économique, en particulier des échanges, constitue pour l’auteur un élément essentiel des phénomènes historiques du Damergu. Il a envisagé d’axer son mémoire de thèse sur ce sujet, mais a dû le recentrer sur la population et le politique, faute de moyens suffisants. On peut rapprocher ces propos de ceux de Hamani en introduction à sa thèse, le sultanat de l’Aïr : lui aussi évoque l’ampleur de la thématique économique, et annonce disposer d’un matériau suffisant pour pouvoir écrire un second ouvrage sur le sujet, aussi volumineux que le premier. Certains passages manifestent un vif intérêt pour l’histoire économique, en particulier celle qui a trait aux relations, aux échanges, notamment ceux qui s’effectuent sur de longues distances, à l’échelle régionale et continentale (commerce transsaharien…). Cependant, on reste dans le domaine de l’intentionnalité, devant l’ampleur de la tâche d’investigation à mener (au Soudan Central, en Afrique du Nord…) et du fait du manque de moyens matériel pour la mener à bien : « Au début, notre sujet porte sur la vie des relations au Damargu. Nous avons alors à l’esprit l’étude du commerce transsaharien au Damargu, un fait majeur de l’histoire récente du pays. Mais à peine le travail démarré, nous nous sommes rendu compte des difficultés manifestement insurmontables sur la documentation dont l’acquisition suppose des recherches sur le terrain au Soudan Central et en Afrique du Nord. C’est alors que nous avons ramené le sujet au niveau de l’étude des populations»78.
- L’histoire du peuplementforme un autre ensemble important : c’est une thématique « traditionnelle » avec celle de l’État (sa genèse, son évolution...) L’auteur a déjà travaillé ces sujets dans un mémoire de maîtrise soutenu à Abidjan en 1990. Il annonce vouloir les approfondir au niveau de sa thèse. Il souhaite explorer des axes nouveaux :
-
les diverses formes de relation avec le milieu naturel et les pays voisins,
-
les rapports sociaux que les Damargawas entretiennent entre eux (les relations entre les différents peuples qui évoluent dans un environnement physique commun),
-
les réactions des populations face à la conquête coloniale.
Ces trois thèmes demeurent toutefois usuels au niveau de l’ensemble du corpus des thèses nigériennes…
108L’auteur n’envisage pas ce large éventail thématique comme un handicap, au contraire : il doit lui permettre d’écrire, ni plus ni moins, qu’une histoire du Damergu… De manière sous-jacente, bien que ce ne soit pas énoncé de façon explicite – aucune mention à l’école des Annales – on y retrouve la tentation de l’histoire totale, qui embrasserait l’ensemble des champs d’investigation. La justification d’une telle stratégie d’heuristique passe aussi par cette nécessité, également invoquée à engager la collecte de l’ensemble des sources orales encore disponibles menacées de disparaître avec leurs détenteurs.
109Enfin, la monographie extensive puise toujours sa légitimité au niveau du caractère pionnier de l’investigation qui est menée, au niveau d’un espace dont l’histoire « juste » demeurerait encore à écrire. Ainsi en est-il du dernier mémoire de maîtrise soutenu en 2005, une monographie urbaine, dont le titre, Kance, une ville au XIXe siècle : institutions politiques, société, économie et culture, établit une recherche extensive, aux thématiques largement ouvertes :
- 79 Habou Sani, Kance, une ville au XIXe siècle : institutions, économie, culture, mémoire de maîtrise, (...)
Cette étude porte sur l’histoire urbaine de Kance, au XIXe siècle : les institutions politiques, économiques, sociales et culturelles, de ce pays dont les habitants participent tous à une vie sociale imprégnée d’influences culturelles très diverses et fondées sur un mode de vie urbain qui fut celui des grandes citadelles où se réfugiaient jadis toute la population en cas de guerre et des grands marchés caravaniers.79
110La problématique annonce une sorte de monographie davantage resserrée sur un espace plus restreint que les précédentes – à savoir, une ville, un espace urbain… Nous ne sommes pas (encore) insérés dans les cadres d’une approche de type « micro-histoire », mais la thématique oriente toutefois le travail sur un thème moins extensif (l’histoire urbaine…).
111Si la problématique annonce un travail d’étude assez resserré au niveau de la thématique générale, le plan, lui, montre que l’on revient finalement à une collecte extensive des informations, qui apparente le mémoire à une monographie de type classique :
Chapitre 1 : le cadre physique : 8 pages
Chapitre 2 : origine mythique des états hausas, sites de la capitale politique (histoire du peuplement) : 11 pages
Chapitre 3 : société et mœurs (population et groupes socio-linguistiques, la naissance, le mariage, la religion…) : 10 pages
Chapitre 4 : l’organisation politique (sarkin, administration, organisation de la Cour…) : 13 pages
Chapitre 5 : les activités économiques : 12 pages
Chapitre 6 : aspects urbains, art, culture : 11 pages.
- 80 Celle de Kance, dans le cadre de ce mémoire de maîtrise très récent, est d’ailleurs identifiée à l’ (...)
112Tout comme certaines thèses, les mémoires de maîtrise récents continuent ainsi à situer leurs objectifs en fonction de ceux liés à « l’histoire totale » qui demeure encore fort attractive en fonction de l’objectif général assigné à la recherche historique universitaire nigérienne jusqu’à présent, la révision et la construction des savoirs et une prospection du territoire national selon une approche quasi-géographique, en fonction des terroirs plus ou moins étendus – État, région, cité…80
5. L’approche globale évacue-t-elle la « micro-histoire » ?
a. Un petit nombre d’études de cas
113Nous avons pu apprécier, lors du rapide tour d’horizon des thèses et maîtrises, l’étendue des thématiques et des espaces géographiques des recherches universitaires. Il ne se présente pas, à notre connaissance, d’études centrées sur une aire suffisamment restreinte pour qu’elle puisse constituer une sorte d’étude de cas. Les trois études urbaines semblent opérer à première vue un mouvement vers la rétraction de l’espace étudié. Cependant, elles ne constituent pas, selon nous, de contre-exemples significatifs. Elles sont élaborées dans l’optique des objectifs traditionnels de l’historiographie africaine, en fonction des impératifs de collecte extensive des données sur des espaces que l’on considère peu ou pas explorés : ni la démarche, ni les objectifs problématiques ne varient, par rapport aux grandes fresques régionales.
- 81 A. Salifou, « Mallam Yaroh, un grand négociant du Soudan Central à la fin du XIXe siècle », Journal (...)
114À côté d’une importante exception, l’article qu’André Salifou consacra au négociant zinderois Malam Yaro81, il faut se pencher sur d’autres champs de production des savoirs historiques nigériens pour trouver de telles approches. L’angle d’attaque en direction du particulier, à l’échelle spatiale ou humaine, existe depuis fort longtemps au niveau de l’anthropologie historique. Quelques rares travaux apparaissent à ce titre fort significatifs : ils tranchent par rapport à la tendance généraliste qui prédomine depuis les années 60.
- Nicole Echard, « Le peuplement d’un village sudié Shatt, Filingué, République du Niger », 1965
- J.-P. O. de Sardan, Quand nos pères étaient captifs, récits paysans du Niger, Nubia, 1976
- J.-P. Rothiot, Zarmakoy Aouta : les débuts de la domination coloniale dans le cercle de Dosso 1898-1913, thèse doctorat de 3e cycle, 1984 (publiée en 1988).
115Les deux premières études sont essentiellement des analyses de la tradition orale, collectée à l’échelle d’une communauté villageoise définie, Shatt et Sassalé. Le second associe l’oralité avec la documentation écrite léguée par l’administration coloniale. Comme on le voit, ce type d’approche demeure exceptionnel, cela depuis les années 60. Ces études, dispersées dans le temps, suivent des thématiques précises qui reflètent les grandes tendances de leur époque. La première vise à retracer l’histoire du peuplement d’un village. Elle n’aborde pas la question des origines, non pas à partir des grandes fresques plus ou moins mythiques véhiculées par les traditions propres à un peuple ou/et à une entité géographique et politique plus ou moins vaste. Elle interroge plutôt la mémoire collective d’un groupe, composé d’individus (ou de sous-groupes) issus d’horizons divers qui ont à se positionner les uns par rapport aux autres, à légitimer une place réelle ou revendiquée au sein des hiérarchies locales. Or, on sait la valeur et l’importance stratégique, pour les chefferies notamment, que revêtent les récits historiques relatifs aux questions du peuplement, des migrations et de l’occupation des espaces au niveau de la mise en avant de ces idéologies des pouvoirs, tant à l’échelle locale que régionale. L’analyse d’une telle thématique à l’échelle d’un village permet sans doute d’élargir l’horizon de la recherche, et non de le rétrécir, car on peut ainsi envisager une comparaison avec les traditions générales, celles que l’on retrouve au niveau des vastes fresques monographiques notamment. La prise en compte du local autorise le chercheur à dégager les particularités, les discordances de discours susceptibles de dévoiler, par l’exhumation d’échos multiples, une histoire riche de sa pluralité.
116Cette étude est mentionnée au niveau d’un mémoire de maîtrise soutenu en 1986. Il s’agit d’une monographie consacrée à l’ensemble de la région (le Kurhway) à laquelle appartient le village. Comme le mentionne l’auteur, la rareté des études antérieures l’ont amené à prendre en compte cet article qui constituait, jusqu’à ce qu’il engage ses propres recherches, une contribution scientifique essentielle. Elle demeurait par conséquent une référence incontournable, malgré deux handicaps de taille : la faible amplitude de l’espace étudié et le fait que la spécialiste française n’appartenait pas au milieu culturel approché :
- 82 Mahamane Salifou, Le Kurhway : des origines à la pénétration coloniale, mémoire de maîtrise, Niamey (...)
Il faut attendre 1965 pour voir paraître l’article le plus important sur l’histoire du Kurhway ; cet article a comme auteur une Française, Nicole Echard, et ne porte que sur un seul village du Kurhway. Néanmoins, en tant qu’article le plus important rédigé sur l’histoire précoloniale du territoire, il reste un instrument de base en dépit du fait qu’il renferme certaines imperfections, imperfections dues essentiellement au fait que l’auteur ignore la langue et les coutumes locales.82
117Nous passerons pour l’instant sur la première critique, qui ramène au problème du clivage, plus ou moins prégnant en fonction des représentations fort variées exprimées par les chercheurs, entre historiens « de l’intérieur » et « de l’extérieur ». La seconde concerne l’angle d’attaque adopté par l’anthropologue. Le jugement porté sur le fait qu’un seul village fut pris en compte trahit l’incompréhension et le rejet de cette forme d’analyse. Une considération similaire, portée cette fois sur le travail de J.-P. Rothiot, est formulée au niveau d’un autre mémoire de maîtrise, soutenu la même année que le précédent :
- 83 S. Matty, Le sultanat de Zinder face à la colonisation-de la mort de Ahmadu Kuran Daga (1899) à Bar (...)
Il est nécessaire de préciser la rareté de documents écrits ayant trait à la « politique coloniale et souverains traditionnels au Niger » ; nous pouvons même affirmer que jusqu’à nos jours aucune étude systématique de ce genre n’a été effectuée sur l’ensemble de la République du Niger. Une exception cependant est constituée par les travaux de J.-P. Rothiot sur le Zarmakoy de Dosso. Il faudrait remarquer toutefois les limites de cette étude menée d’une part par un étranger à la région et d’autre part consacrée essentiellement sur un seul personnage et non l’institution proprement dite. Néanmoins la consultation de cet ouvrage nous a beaucoup servi dans nos méthodes d’approche historique.83
- 84 Outre l‘article d’André Salifou déjà mentionné, il en existe un autre, plus récent, de Maïkoréma Za (...)
118Les deux étudiants critiquent cette piste méthodologique. Ils ne semblent pas en mesurer les potentialités, par rapport aux études extensives habituelles de nature monographique. Nous n’avons pas trouvé d’autres considérations que celle-ci relative à la « micro-histoire ». Comme le montre cette courte allusion, l’approche par le particulier, s’il n’est pas totalement absent de l’historiographie universitaire, ne semble pas avoir suscité de réflexions particulières au sein du département d’histoire. L’étude de cas occupe une place très marginale. Les larges thématiques, les vastes territoires et les longues périodes composent autant d’éléments combinés selon un dosage variable d’un travail de recherche à l’autre, qui structurent encore l’essentiel de l’horizon historiographique universitaire. La valeur particulière liée à la prise en compte d’un échantillon restreint – espace, personnage, période très restreinte – pour la validation d’un schéma d’interprétation général, son perfectionnement ou sa contestation, ne semble guère avoir jusqu’à présent intéressé la plupart des historiens nigériens84.
- 85 Utilisation de la double transcription (texte en langue vernaculaire à gauche et traduction littéra (...)
119Par contre, l’étude de J.-P. O. de Sardan, publiée en 1976, représente une importante tentative de « micro-histoire ». Elle apparaît à bien des égards fort originale. Cette publication utilise les témoignages recueillis, traduits et commentés par l’auteur, selon les normes édictées par les conférences UNESCO dans les années 6085, d’un village situé dans l’aire songhay, Sassalé. L’auteur présente son travail en fonction d’une importante démarche de rupture vis-à-vis des pratiques usuelles de la tradition orale développées par l’historiographie africaine générale. Il s’agissait d’engager une analyse en relation avec un espace et une communauté restreinte, à partir de thématiques jusque-là peu explorées, comme la servitude et la dépendance de groupes soumis à d’autres, au sein des sociétés précoloniales.
120La troisième publication ne se distingue plus par rapport à l’exiguïté de son espace d’étude, mais par le sujet abordé : une personnalité dont la vie et les stratégies de conquête, de préservation et d’accroissement du pouvoir se situe à la période charnière de la conquête coloniale. Aucun travail, jusqu’à aujourd’hui, parmi les historiens nigériens, ne s’est encore penché sur le phénomène de la chefferie précoloniale ou coloniale (à fortiori pour l’époque contemporaine) autrement qu’en fonction d’un angle élargi à la longue durée, aux institutions, aux logiques de résistance – ou de collaboration – à l’autorité coloniale. Le travail de Rothiot apporte ainsi un éclairage original sur un sujet fort important, mais fort sensible à traiter pour un historien local. En effet, l’analyse des discours de légitimation de la chefferie de Dosso, dont le rôle politique ne s’est pas démenti depuis les débuts de la colonisation jusqu’à l’histoire récente du pays, peut aujourd’hui encore toucher à des aspects sensibles car relatifs à des mémoires encore très fraîches et avivées par de puissants intérêts locaux qu’il n’est peut-être pas très aisé de heurter de front. Un historien extérieur au milieu scientifique nigérien semble bénéficier d’une latitude de ton plus grande lorsqu’il s’agit d’aborder certaines questions comme celle-ci. Par exemple, l’origine princière de Aouta, qui semble servir d’assise à l’ensemble de la lignée des chefs de Dosso jusqu’à aujourd’hui : selon les traditions qu’il a recueillies, Aouta est certes descendant de famille princière, mais d’une branche qui ne pouvait prétendre, en raison de la rotation du pouvoir de la chefferie entre certains lignages auquel le sien n’appartient pas, à la place de Zarmakoy de Dosso. De plus, selon ces mêmes traditions recueillies par Rothiot, Aouta était pauvre lorsqu’arrivent les Français :
- 86 J.-P. Rothiot, L’ascension d’un chef africain au début de la colonisation : Aouta le conquérant (Ni (...)
Ni les commandants de cercle, ni les historiens de l’époque coloniale, ne reprennent ces traditions. Cette réalité de la chefferie, de la rotation du pouvoir, est systématiquement cachée par les historiens de la colonisation, et ce n’est que par les traditions orales, et par la confrontation de ces informations, que nous avons abouti à ces conclusions. Ces historiens n’évoquent pas cette rotation parce qu’elle remet en cause la légitimité d’Aouta et de ses successeurs. En effet, si l’on évoque la rotation du pouvoir entre les différents lignages avant l’arrivée des Français, il est évident que l’absence de rotation pendant la période coloniale signifie une rupture avec les traditions, et l’illégitimité du pouvoir d’Aouta, de Moussa et de leurs descendants… ou alors, leur pouvoir puise sa légitimité dans la domination coloniale, ce qui est fort différent.86
121Urvoy, selon l’auteur, dans « les populations du Soudan Central », décrit la façon dont les chefs de Dosso ont énergiquement pris le parti de la résistance aux Peuls, constituant une sorte de bastion de résistance qui aurait grosso modo coïncidé avec les limites actuelles de la chefferie. Ainsi, le territoire contrôlé par Aouta et ses successeurs aurait correspondu à une réalité précoloniale… Pour Rothiot, la réalité est en fait tout autre et l’élargissement du champ de collecte des traditions orales à d’autres groupes que ceux liés au principal pouvoir local permet de mettre en évidence d’autres discours qui contestent la version officielle :
- 87 Ibid., p. 44.
Cette thèse développée dans les années vingt avait pour objectif de justifier la création d’une vaste “province” commandée par le Zarmakoy Seydou. Elle est encore développée à la cour de Dosso, mais les multiples informations orales recueillies à Dosso même et dans les villages et chefs lieux de canton plus lointains, démentent cette thèse officielle et affirment que ce vaste territoire a été conquis par Aouta au cours des premières années de la domination coloniale. À la domination coloniale se serait ajoutée un “subimpérialisme” local selon l’expression de Fuglestad, ou un “expansionnisme” d’Aouta, terme que je préfère.87
122L’importance du facteur « Aouta » dans le déclenchement de certains actes de résistance paraît être un autre axe intéressant, par lequel l’auteur établit un registre de savoir relativement original par rapport aux approches généralistes usuelles menées sur la même thématique. Utilisant les événements de Kobkitanda – un des épisodes des révoltes menées dans l’ouest nigérien contre les autorités coloniales au moment de la première phase de l’époque coloniale, celle de l’installation – l’auteur émet une analyse singulière, en rapport avec le rôle d’Aouta les historiens nigériens :
- 88 Ibid., p. 182.
La révolte de Kobkitanda fut finalement une révolte isolée contre une double oppression, d’une part l’oppression coloniale avec l’impôt, le travail forcé et cette révolte fut d’autant plus courageuse que l’inégalité des forces ne laissait aucun espoir de succès – et d’autre part, l’oppression d’Aouta qui avec ses cavaliers, sous couvert de lever l’impôt, pillaient, rançonnaient et voulaient placer ces nouveaux villages sous son autorité. Aouta provoqua certainement cette révolte et réussit là ce qu’il n’avait pu faire ailleurs depuis Sargadje : entraîner les troupes coloniales à une répression sanglante. Tailleur et Löfler à la recherche de la gloire par une victoire facile lui facilitèrent sans doute la tâche.88
123Pour l’auteur, une bonne partie de ces révoltes sont autant dues à la volonté de résister à l’occupation française et ses exactions qu’à l’arbitraire que le nouveau Zarmakoy de Dosso fait régner sur les régions qu’il prétend dominer, par l’intermédiaire de ses cavaliers. De plus, manipulant les Français par les informations orientées et sélectionnées qu’il leur dispense, il incite à la répression contre des villages qui s’opposent avant tout à son emprise.
b. Une généralisation plus aisée que l’analyse de cas précis ?
124La position que défendent les historiens nigériens qui se sont penchés sur cette thématique, très importante à partir des années70, de la résistance à l’oppression coloniale est tout autre. Les stratégies propres aux chefferies qui ont « collaboré » avec le nouvel occupant afin de conforter et d’agrandir leur emprise sur les territoires et les populations convoitées sont généralement occultées, ignorées, sciemment ou non. Les révoltes sont avant tout présentées comme des actes de résistance qui revêtent un sens et une logique avant tout « nationalistes », qu’il apparaît utile de mettre en avant pour cristalliser le projet identitaire et national et dispenser un récit historique « thérapeutique ». L’objectif essentiel de tels tableaux consiste d’abord à affirmer la réalité, l’ampleur et le nombre des actes de résistance à l’occupant. Les calculs des chefs soucieux de prendre en compte à leur profit la nouvelle donne coloniale, les stratégies individuelles de condottiere locaux tels Aouta altèrent ce canevas général, puisqu’ils montrent des situations plus complexes, dans lesquelles « l’ennemi » et l’oppresseur ne se définissent pas seulement dans la personne du colonisateur européen ou de ces troupes coloniales venues de l’extérieur de l’espace nigérien. Ainsi, la prise en compte, par le biais d’une approche « micro-historique », de logiques d’acteurs particulières, rend compte de niveaux de complexité que certaines lignes-forces des problématiques mises en avant par l’histoire post-coloniale nigérienne ne semble pas permettre d’approcher dans toute leur dimension. Il est intéressant de noter que pour étayer sa position, Rothiot s’appuie sur les dits et non-dits des traditions qu’il a recueillies à Kobkitanda :
- 89 Ibid., p. 182.
Enfin, si la résistance de Kobkitanda était fondamentalement dirigée contre la domination française, et contre elle seule, pourquoi les vieux de Kobkitanda continueraient-ils de refuser de parler ? Nous sommes passés deux fois à Kobkitanda, le 27 décembre 1978 et le 22 décembre 1982, et la réponse aux questions sur l’affaire, a été celle-ci : « Nous ne savons pas ; ceux qui ont connu Kobkitanda Karo sont morts à ce moment et n’ont pas pu nous raconter ce qui s’est passé. Nous n’étions pas nés, mais tu as fait l’école, tu as étudié, tu as le papier, et tu sais ça. Nous, nous n’avons pas le papier, nous ne savons pas ». Refus catégorique de parler du Karo, de parler de Saybou, par contre nous avons eu beaucoup de renseignements sur la fondation du village, les famines, le travail forcé, les migrations, l’aménagement de Koulou, les structures foncières et leur évolution. Même refus de parler des relations avec le Zarmakoy de Dosso : elles sont « très bonnes », rien de plus. Ce refus de parler correspond-t-il au souci de ne pas dénoncer la domination française et la répression ? Pourtant dans les récits sur les famines, le travail forcé, les dénonciations des méfaits de la colonisation abondent. Alors est-ce un refus de parler des actes du Zarmakoy Aouta, dont un fils est actuellement Zarmakoy de Dosso et un autre chef du secteur de Sambera?89
125Un tel passage illustre peut-être la plus grande liberté d’action qu’un chercheur étranger, extérieur au milieu qu’il sonde, peut s’autoriser par rapport aux spécialistes nigériens… La latitude qu’il adopte au niveau de son espace d’analyse ainsi que l’ampleur du recul critique adopté permettent de relativiser les discours de la chefferie dominante, en particulier par la mise en valeur de relations différentes, recueillies auprès d’autres émetteurs. L’auteur prend en compte l’ensemble du contexte qu’il a sondé ainsi que les diverses attitudes manifestées par ces informateurs au cours des entretiens. À ce titre, les silences en réponse à certaines questions auxquelles on ne veut – ou ne peut – manifestement pas répondre sont censés dispenser un message tout aussi signifiant que les épanchements des mêmes personnes lorsque celles-ci abordent d’autres sujets, ceux-là davantage « autorisés ». En cela, l’historien nigérien dispose parfois, semble-t-il, d’une marge de manœuvre plus étroite qui entrave la mise en place d’une approche plus fine des terrains explorés qui permettraient de mettre à jour des processus contradictoires au niveau des sources orales, révélateurs d’une pluralité des discours relatifs aux enjeux inhérents aux enjeux locaux de l’histoire.
126Cette difficulté que les historiens nigériens semblent avoir au niveau de l’approche critique des sources orales est difficile à cerner. Les travaux de recherche s’épanchent peu à ce sujet : tout au plus se bornent-ils à signaler, en demeurant au niveau de l’allusion (on cite rarement un exemple précis), les non-dits, les silences et la dimension fortement subjective de certains témoignages. Un examen minutieux de leurs écrits permet parfois de mesurer combien il leur est délicat de dévoiler au grand jour la subjectivité des discours inhérents à certains partis. A. Salifou semble avoir été confronté à ce type de difficulté. Une comparaison entre la version dactylographiée et la version publiée aux Études Nigériennes, au niveau d’une note relative aux flux commerciaux d’esclaves entre Zinder et les cités hausas du sud montre que l’auteur, d’une version à l’autre, a opéré une légère modification du texte.
- Version des Études Nigériennes : « Un Buuzuu nommé Idii (…) commandait une véritable caravane d’ânes et de mulets chargés de natron, de sel, de vans, de kaasari auxquels s’ajoutaient sans doute aussi des esclaves qu’il allait échanger justement à Zaariyaa et jusque dans le Nupé, contre des fusils et des sabres notamment. » (p. 178).
- Version de la Thèse dactylographiée : « Un Buzu nommé Idi… commandait une véritable caravane d’ânes et de mulets chargés de natron, de sel, de vans, de kasarii auxquels s’ajoutaient sans doute aussi des esclaves (bien que les informateurs de Zinder refusent de reconnaître le fait) qu’il allait échanger justement à Zaria et jusque dans le Nupé, contre des fusils et des sabres notamment » (p. 205).
127L’inflexion est minime : elle concerne une courte remarque entre parenthèse. Elle n’altère en rien le sujet général qui sous-tend cette analyse. Ce n’est en effet pas véritablement la présence ou non d’esclaves parmi les denrées transportées par les marchands impliqués dans les échanges interrégionaux qui subit une modification. Rien, dans l’ensemble du texte consacré à ce thème ne change d’une version à l’autre, hormis ce court paragraphe. Si l’auteur a jugé qu’il fallait, pour l’édition publiée de sa thèse, enlever cette petite subordonnée, c’est qu’il devait certainement avoir de sérieuses raisons de le faire par rapport aux personnes qui l’ont renseigné à Zinder… d’autant plus que la comparaison d’ensemble que nous avons faite montre que de telles retouches sont très rares. L’autre discordance, déjà mentionnée lors d’un chapitre précédent, ajoute un commentaire à la version des Études Nigériennes au sujet de la monographie d’Henri Gaden que l’auteur ne mentionnait pas dans la première mouture de sa recherche. La présence de cette seconde modification (qui cette fois retranche une information) paraît cependant assez révélatrice, malgré son caractère à première vue anecdotique. Le mode de prospection qui a permis de la dépister apparaît tout aussi signifiant. Nous l’avons en effet trouvé en sélectionnant et comparant un certain nombre de passages des deux versions qui se réfèrent à des thèmes que nous avons jugés, à l’aune des connaissances et des impressions accumulées au fil de nos lectures et de nos entretiens, comme autant de questions sensibles, polémiques, voire gênantes et dérangeantes, encore aujourd’hui, au niveau des approches historiques qui en sont faites par les spécialistes nigériens. Par conséquent, même si cette modification de détail n’altère pas les faits que l’auteur dégage par rapport à la thématique esclavagiste envisagée au niveau des échanges précoloniaux de cette partie du Soudan Central, elle n’en révèle pas moins, nous semble-t-il, un environnement difficile, mouvant et complexe, qui oblige la recherche historique à adapter certaines de ses productions en conséquence.
128La demande sociale forme un premier faisceau de contraintes. Elle pèse de tout son poids au niveau des discours relatifs à la fonction de l’histoire universitaire au sein de la cité. Le chercheur la place, à tort ou à raison, en position privilégiée par rapport aux objectifs essentiels qu’il assigne à ses recherches C’est par rapport à celle-ci qu’il se plaît souvent à situer son heuristique et les discours qui en résultent. L’instrumentalisation de l’histoire au nom de certains impératifs liés à la construction de la cité est clairement revendiquée par certains historiens qui n’hésitent pas à revendiquer une certaine marge de manœuvre par rapport à certains canons de la discipline lorsqu’ils manipulent les faits afin de bâtir les soubassements de l’histoire savante. Tel spécialiste affirmera l’irréductible altérité de certains types de traces, telles les traditions ancestrales, par rapport aux autres sources sur lesquelles peut s’appliquer, à la différence de la première, l’ensemble de l’outillage critique dont dispose l’historien. C’est aussi en fonction de la pression collective sous-jacente, réelle ou redoutée, supposée et anticipée, davantage suggérée en termes très généraux celle-ci, qu’il faut mesurer les non-dits, les silences ou l’accointance plus ou moins forte entre l’analyse historique et les sources orales qu’elle exploite. Cette occultation est donc intéressante à relever dans son contextesocial et mental. Elle dévoile l’atmosphère quelque peu troublée qui entoure la question de l’esclavage dans l’histoire nigérienne d’un halo qui en gomme la précision des contours. Le malaise semble patent, du côté de la collectivité comme, d’une certaine façon, du chercheur confronté aux renseignements plus ou moins contradictoires, marqués par le sceau d’une subjectivité plus ou moins affirmée.
129Pourquoi A. Salifou a-t-il donc opéré cet escamotage ? Faute de plus amples renseignements, nous en sommes réduits à émettre des hypothèses. L’auteur aurait-il voulu éviter de froisser certains de ses informateurs ? Ceux-ci auraient pu peut-être lui reprocher ce regard, furtif mais critique, porté au niveau de leurs propres vues concernant les pratiques esclavagistes en question. Ils se seraient alors mis à se méfier de lui et des autres chercheurs qui, à la suite du premier doctorant nigérien, auraient envisagé de continuer d’autres enquêtes de terrain en exploitant à leur tour ces « gisements de connaissance » détenus par des acteurs qui peuvent à leur tour adapter leur attitude (ainsi que leur propre discours ?) en fonction de l’image que leur renvoient les acteurs et les productions scientifiques qui les interpellent. La critique peut en effet froisser certaines susceptibilités, d’autant plus quand on affirme détenir la « vraie connaissance » des faits passés. Le calcul de l’historien, confronté à un tel dilemme – produire une critique poussée des sources orales au risque de se voir fermer par la suite leur accès – montre la difficulté de concilier, dans certains cas, la restitution des informations selon les normes scientifiques qui en engagent pourtant la légitimité. L’omission maintient en l’état le postulat relatif aux sources orales tel qu’il fut énoncé lors des conférences UNESCO des années 60 : elles seraient donc fiables et utilisables sans pousser trop en avant la démarche critique. Les sources orales peuvent ainsi être polluées par une pratique répétée de la recherche qui utiliserait, collecte après collecte, un nombre restreint d’informateurs, ceux-là même qui détiennent un savoir enclin à développer certaines pistes privilégiées : le développement de l’état pré-colonial et l’ensemble des thématiques qui relèvent de la sphère politique, les éléments relatifs à l’histoire du peuplement. Une exploitation excessive et « inconsidérée » de la part de l’enquêteur pourrait aboutir à son tarissement, ou à une baisse dramatique de sa valeur en tant que source pour l’histoire. L’escamotage de cette courte phrase opérée par A. Salifou nous interpelle, car elle pose le problème des limites que le débat historique ne peut enfreindre, en particulier lorsqu’il aspire à adopter une posture critique vis-à-vis de certaines sources orales.
130L’auteur, passé un certain cap, se voit obligé de pratiquer une certaine autocensure, sans autre forme de procès. L’absence d’explication contribue à occulter et à évacuer la difficulté réelle qu’il y aurait à bâtir un discours historique suffisamment transparent à partir de tels témoignages. La question qui fut d’emblée posée avec toute son acuité par certains intervenants des fameuses réunions méthodologiques pendant la décennie pionnière, apparaît en toile de fond, et en permanence derrière ces prudentes manœuvres que l’on discerne trop rarement selon nous au niveau des parties des thèses et des mémoires de maîtrise consacrées aux réflexions méthodologiques et aux approches des sources. Dans quelle mesure peut-on envisager d’écrire une histoire totalement scientifique à partir des témoignages recueillis sur le terrain, malgré l’occultation de certains processus critiques au niveau des textes censés médiatiser les résultats auxquels on croit être parvenu ?
131Le problème ne se situe-t-il pas aussi à l’échelle de l’épistémologie de la discipline historique, telle qu’elle s’est construite au Niger et peut-être dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, depuis les indépendances ? Les objectifs préliminaires, posés comme autant de préalables incontournables pour le développement immédiat et ultérieur de la recherche, a consisté à la collecte systématique des traditions orales – en répondant à un double impératif. Il fallait d’abord en sauvegarder le plus possible, puisque le monde moderne opérait, annonçait-on, un travail de destruction ou, mieux, d’altération de la mémoire vivante. Selon les termes devenus célèbres, « un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle… » De plus, la mise en place d’archives orales par un effort suivi et systématique de collecte de terrain – un des buts essentiels du CELHTO de Niamey – devait, du point de vue disciplinaire, permettre de fonder une historiographie africaine authentique, disposant de sources suffisantes et originales : la collecte orale devait pallier au déficit de l’écrit.
132Il est significatif de constater que les orientations historiographiques cultivent les thématiques privilégiées par les traditions recueillies. Il semble y avoir une certaine adéquation entre les deux thématiques, celle du témoignage et celle du discours historique. L’histoire du peuplement, la mise en perspective des méfaits de la colonisation à travers le travail forcé, l’impôt ou le déclenchement des famines, les actes de résistance et les comportements « héroïques » de certains chefs que l’on présente comme d’authentiques figures patriotiques, tout cela est traité à fond par les travaux de maîtrise, et abondamment repris au niveau des thèses, avec, cependant, une envergure critique, des orientations thématiques et des approfondissements beaucoup plus importants. Par contre, les silences des sources, les acteurs et les événements souvent dévalorisants pour le groupe dans lequel s’effectue la collecte – et de ce fait évacués ou fortement pondérés par ces témoignages – sont peu exploités, sondés, interrogés au moyen d’hypothèses que viendraient étayer d’autres sources, orales ou écrites.
133Cela tient sans doute à plusieurs facteurs qui lient de façon ou d’une autre le spécialiste nigérien à son milieu d’investigation. Ces faisceaux complexes d’action et d’interaction entre le chercheur et le groupe, les historiens nigériens ne les ont pas suffisamment identifiés à notre avis. Les principales approches critiques des sources orales se trouvent ailleurs, chez les spécialistes en anthropologie, en linguistique, et toutes autres disciplines ayant constitué la tradition orale comme source et objet de recherche. Les cahiers du Cehlto, à l’échelle nigérienne, ont fourni des articles instructifs à ce sujet, notamment une courte allusion, la seule que l’on connaisse au niveau de ce type de littérature, à l’éventuelle impossibilité de reconstituer une trame historique suffisamment solide à partir des sources orales, malgré les barrières méthodologiques instituées.
134Les historiens nigériens posent-ils comme préalable la construction de leur objet d’étude ou demeurent-ils tributaires, dans le choix des problématiques et thématiques adoptées, du corpus de sources disponibles ?
135Question importante, elle ramène aux potentialités de l’historiographie nigérienne envisagées par ses propres artisans. Quel sens donner aux précautions méthodologiques qu’ils ont érigées comme préalable à l’exploration d’un sujet ? Servent-elles finalement de prétexte, plus ou moins conscient, pour ne pas aborder certaines questions ? Arguer de l’inexistence des sources ou de la réticence que l’on va rencontrer dans la collecte pour tel thème, afin d’inciter l’étudiant à orienter sa recherche vers des horizons plus familiers et rassurants, permettrait d’éviter du coup l’émergence de discours ou de thématiques gênants, car censés toucher des « tabous » dérangeant l’ordonnancement de certaines constructions établies par les recherches antérieures. L’esclavage, le comportement de tels groupes ou de tels dirigeants, constituent assurément des thèmes peu porteurs, troublants…
136Or Rothiot, avec cet ouvrage consacré à Aouta, et de Sardan, avec cette « histoire d’en bas » consacrée aux captifs, démontrent qu’il est possible d’envisager de tels sujets d’études, affranchis des lignes-forces plus ou moins imposées par le corpus des sources orales disponibles. Ce sont deux auteurs non nigériens… dont les ouvrages ne semblent pas avoir été beaucoup pris en compte par les historiens nationaux. Ainsi, les actes du colloque de 1999 n’évoquent pas les travaux de Rothiot dans la partie consacrée aux résistances – or les éclairages qu’il apporte sur les rébellions de l’Ouest sont fort instructifs et originaux au regard des autres discours consacrés à cette thématique. Quant à l’ouvrage de J.-P. O. de Sardan, nous avons relevé une seule mention, formulée au niveau d’un mémoire de maîtrise…
Notes
1 A. Salifou, Le Damagaram…, introduction, p. 15.
2 Op. cit., p. 22.
3 La première thèse nigérienne, toutes disciplines confondues.
4 « À l’origine de toute acquisition scientifique, il y a le non-conformisme. Les progrès de la Science sont fruits de la discorde », Lucien Febvre, cité par Gérard Noiriel, sur la « crise » de l’histoire, p. 261.
5 « L’histoire qui sert, c’est une histoire serve » : ces propos de L. Febvre nous semblent parfaitement adaptés à la dénonciation du projet politique colonial contrôlant étroitement la production des savoirs (L. Febvre, « L’histoire dans un monde en ruines », 1920, cité dans C.Delacroix, F. Dosse, P. Garcia, Les courants historiques en France, p. 106).
6 La problématique chronologique semble en effet avoir mobilisé une part notable des réunions de Niamey et de Ouagadougou dans les années 60. Trois des six articles de fond retenus par Dioulde Laya pour l’ouvrage de synthèse évoquent directement ce thème. Ils exposent chacun des vues et une sensibilité différente.
7 Nous avons vu précédemment qu’il y a une différence entre la thèse dactylographiée et la publication aux Études Nigériennes de ce mémoire. Dans celle-ci, l’auteur reconnaît qu’un administrateur de l’époque coloniale, Henri Gaden, a engagé une étude d’une certaine envergure centrée sur le sultanat de Zinder, en utilisant à peu près la même approche monographique.
8 S. Dulucq, L’école historique d’Ibadan…, Décoloniser l’histoire ? De « l’histoire coloniale » aux histoires nationales en Amérique latine et en Afrique, SFHOR, Paris, 2003, p. 120.
9 Un master de 3e cycle en histoire (équivalent de l’ancien D.E.A.) s’est ouvert en 2006. Il amorce peut-être un palier important au niveau de l’évolution de la recherche scientifique nigérienne, avec la mise en route probable, dans les prochaines années, d’un travail de thèse d’histoire nigérienne entièrement mené depuis Niamey.
10 « Le titre plus modeste conviendrait mieux à cet ouvrage : Matériaux pour une histoire… Il ne faut chercher en effet ici qu’un essai pour recueillir et critiquer tous les renseignements historiques subsistants sur les populations françaises du Soudan central, et pour une mise en œuvre primaire, à forme de chronique. Une véritable histoire qui, négligeant nos artificielles limites politiques, tenterait, pour un groupe organique de tribus (Haoussas, Bornous), une vue d’ensemble des origines, des grands mouvements de populations, des mutations sociales, économiques et religieuses, est encore à écrire », Histoire des populations du Soudan Central, préface, p. 9.
11 Djibo Hamani, Contribution à l’étude des États hausa. L’Adar précolonial (République du Niger), présentation, p. 5, thèse, Aix, 1975.
12 Op. cit., conclusion, p. 231.
13 Première partie : Migrations azna et fondation des premières communautés villageoises ; Deuxième partie : Les premières organisations territoriales Azna ; Troisième partie : L’Adar sous les Istambulawa (le XVIIIe siècle) ; Quatrième partie : L’Adar au XIXe siècle : Les temps de la Jihad (1800-1836) ; Cinquième partie : Temps de répit et d’expectative (1836-1860) ; Sixième partie : L’Adar au XIXe siècle : le Zamani.
14 Beaucoup de titres anglophones ont trait aux structures étatiques pré-coloniales du monde hausa nigerian. Il est fort probable que l’auteur a commencé à en prendre connaissance au cours de ses voyages d’étude nigérians. La liste suivante donne les titres des 8 études originaires des universités du Nord-Nigeria : - U. Ahmed, B. Daura, An Introduction to Classical Hausa and The Major Dialects, Zaria, 1970. - F. H. El Masri, « The Life of Shehu Uthman dan Fodio before the jihad », Journal of the Historical Society of Nigeria,2, 4, 1963, pp. 435-448. - M. B. Alkali, A hausa Community in Crisis, Kebbi in the Nineteenth Century, thèse, M. A. Zaria, 1969. - Junaidu, Wazirin Sokoto, Tarihin Fulani, The Northern Nigerian Publishing Company, Zaria, 1970. - Labarun Hausawa Da Makwabtansu, The Northern Nigerian Publishing Company Zaria, 1971. - A. Smith, « Some Considerations relating to the Formation of States in Hausaland », Journal of the Historical Society of Nigeria, 3, 1971, pp. 329-346. - Y. Usman, « Some Aspects of the External Relations of Katsina before 1804 », Savanna, 1, Zaria, 1972, n° 2, pp. 175-197. - (Anonyme), Wakar Bagauda ta Kano, The Northern Publishing company, Zaria, 1972.
15 Abd al Qadir b. Mustafa, Raudat al-afkar fi akhbar bilad al Hausiyya.
16 Il s’agit des auteurs suivants : - Alhajj Sa’id, « Tarikh Sokoto », in Tedziret en Nisian, trad. O. Houdas, Paris, 1901. - M. Bello, Infak al Maisur fi ta’rikh bilad al tukrur, éd. Whitting, Le Caire, 1964. - U. Dan Fodio, Kitab al-farq, tgrad. ADH Bivar, BSOAS XIX, 1957, pp. 550-578. - U. Dan Fodio, Tanbih al-Ikhwan, trad. H. R. Palmer, J.A.S., 1914-15, pp. 185-192.
17 « Ce qui par contre apparaît presque comme une certitude, ce sont les mouvements de populations dans tout le Soudan Central et en particulier dans le vaste espace occupé par les Hausawas. Déjà au cours de la deuxième moitié du premier millénaire après J.-C., des événements similaires avaient affecté l’autre grand groupe ethnique du Soudan Central, les Kanuris, ou plus exactement les peuples qui allaient se fondre dans un ensemble unique sous la férule de la dynastie des Sefawas, pour donner les Kanuris. Le groupe hausa, qui semble plus anciennement constitué que celui des Kanuris, avait probablement été entraîné dans le même processus de regroupement et d’expérience étatique, mais d’une manière différente puisqu’il resta toujours divisé en un grand nombre d’entités politiques », op. cit., conclusion, p. 231.
18 Y. Urvoy, Histoire des populations du Soudan central, p. 223.
19 « Peut-on avancer l’hypothèse d’une relation entre les mouvements de population à partir de l’Aïr et la formation des premiers États hausas ? Au niveau actuel de nos connaissances, cela relèverait de la spéculation, d’autant que l’un des plus célèbres de ces états, celui du Gobir, existait avant même le déclenchement de la migration des Azna. Il resterait à connaître l’ampleur de ces mouvements dans l’ensemble du monde hausa, en particulier dans la région orientale, afin de savoir si des déplacements plus anciens avaient été ou non précédés par ceux des Gobirawa et des Azna. (…) À ce propos nous avons souligné le rôle des chasseurs dans la formation des premiers embryons d’États, non seulement en Adar, mais dans la plus grande partie, sinon dans l’ensemble des régions hausas : Zamfara, Tsotsebaki, Kano, Kance, etc. Nous avons également souligné le retard de l’Adar et d’une façon générale des zones hausas occidentales (exception faite du Gobir) par rapport à Daura, Kano, Katsina et Zazzau dans le processus de formation de l’État. Cette avance historique des états de l’Est semble avoir donné quelque crédit à la fameuse légende des “hausa Bakwaï” et “banza Bakwaï” dont nous avons fait le procès. Ce “retard” des communautés de l’Adar, tout comme celui de l’Arewa ou du Kebbi (qui s’était vite “rattrapé” à partir du XIXe) a ceci de positif qu’il nous permet d’imaginer le chemin que d’autres états hausas ont pu suivre avant d’accéder à des formes de gouvernement parmi les mieux élaborées qui aient existé avant la naissance des États modernes », D. Hamani, Contribution à l’étude des États hausa…, conclusion, pp.231-232.
20 « IV. La vie des premières communautés villageoises : l’agriculture, la société, la religion… »
21 « On appelle communément « ZAMANI » en Adar la période de domination directe d’une grande partie du pays par les Touaregs. Cette période s’étendit sur quarante ans, de 1860-61 à 1900. Elle fut donc interrompue par la conquête française. En fait, la mainmise touarègue ne dura pas partout quarante années ; certaines régions la connurent avant d’autres, et une partie du pays ne se trouva jamais concernée », D. Hamani, Contribution…, p. 191.
22 D. Hamani, op. cit., pp. 112-113.
23 S. Y. Souchet, Les Lisawan et le canton de Keita, précédé d’une esquisse de l’histoire de l’Ader, Tahoua, 1948.
24 D. Hamani, op. cit., pp. 116-117.
25 Ibid.
26 D. Hamani, Au carrefour du Soudan et de la Berbérie : le sultanat touareg de l’Ayar, Études Nigériennes, n° 55, 1989.
27 « Le Sultanat de l’Ayar, dont la capitale la plus prestigieuse est Agades, occupe la place centrale de cette étude ; ce choix s’explique par plusieurs raisons : la naissance de cette institution représente un moment capital de l’histoire du pays, et aussi le début d’une expérience unique dans le monde touareg, celle d’un pouvoir politique stable et sédentaire, établit non par suite d’une entreprise conquérante, mais par consensus de groupes jusque-là opposés », op. cit., avant-propos, p. 12.
28 « Cette étude se veut enfin essentiellement politique, et cette restriction mérite explication : si nous avons préféré nous en tenir à la dimension politique de cette expérience historique, c’est d’abord à cause de l’ampleur qu’aurait prise une étude étendue au domaine économique. La documentation que nous avons accumulée sur le sujet est si importante qu’elle aurait donné, à notre avis, un caractère démesuré à cette thèse. Nous avons donc jugé préférable de prévoir, dans un futur très proche, une publication séparée, consacrée à l’histoire économique de l’Ayar et de sa capitale. Cette restriction a également l’avantage de limiter le cadre de l’étude à l’Ayar et à ses rapports avec les pays proches. Les relations économiques de cette région s’inscrivaient en effet dans un espace qui allait de la Méditerranée au Golfe de Guinée, relations dont l’Ayar fut une des pièces maîtresses en raison de sa position géographique et du rôle joué par les ses caravaniers Kel Away. Toute étude de ce rôle économique doit donc se situer nécessairement dans le cadre général des relations trans-sahariennes et doit parler au moins autant du monde Hausa et de l’Afrique du Nord que de l’Ayar lui-même qui leur servait de lien », ibid.
29 Op. cit., p. 16.
30 Cette dernière thématique traite de la question essentielle des pratiques pédagogiques et didactiques qui avaient cours dans les sociétés précoloniales, et de la place qui devrait leur être conférée au sein des systèmes d’enseignement post-coloniaux. Nous traiterons plus loin de cette importante question.
31 Entretien avec Djibo Hamani.
32 Nous avons été parfois confronté à des remarques acerbes qui portaient un jugement fort négatif quant à la qualité de certains travaux de recherche auxquels les jurys français réunis pour l’occasion auraient accordé, pour des raisons multiples et compliquées qui auraient été liées à des questions de rapports entre spécialistes de la discipline en France même, une faveur prétendument déplacée. Nous avons choisi de ne pas nous appesantir sur de telles assertions, jugeant qu’elles avaient peu d’intérêt, sinon celui de mettre en évidence des contentieux personnels. Liés à divers facteurs, dont la rivalité d’ordre professionnelle doit à n’en pas douter jouer un rôle important.
33 Le professeur I. Kimba nous cita de mémoire Guerriers et paysans, que G. Duby publia en 1973.
34 Lors de nos entretiens, A. Salifou nous précisa qu’il demanda, malgré les réticences de Xavier Yacono, à ce qu’Henri Moniot fasse partie de son jury de thèse. Lorsque ce fut son tour d’intervenir, celui-ci loua le travail accompli et remercia A. Salifou pour l’occasion qui lui était donnée de clarifier ses positions par rapport aux réticences qu’il avait formulées au sujet de la faisabilité des recherches en histoire africaine : le débat fut alors ramené sur le terrain des sources, en particulier de la valeur de l’oralité.
35 K. Mwamba, Étude socio-historique de Niamey. Analyse des mutations socio-économiques de 1926 à 1960, Niamey, mémoire de maîtrise, 1984-1985. I. Abdou, La « mise en valeur » de la colonie du Niger : l’exemple du cercle de Niamey (1920-1940), Niamey, mémoire de maîtrise, 1994-1995.
36 K. Mwamba, op. cit., et Alpha Boureima Gado, Les famines dans le Zarmatarey et le Songhay de 1880 à 1973, Niamey, mémoire de maîtrise, 1983.
37 Ce mémoire devait être soutenu le 27 janvier 2005.
38 Y. Moumouni, Contribution à l’étude du passé Songhay : l’histoire du Dendi (des origines à la fin du XVIe siècle), Université de Cocody-Abidjan, 1996-1997.
39 « Il n’est pas exclu que les premiers souverains de Koukya soient des yéménites et de race blanche, mais nous sommes plutôt tenté de pencher pour une origine berbère (targui) que la mythologie, un véritable recueil de l’histoire du pays, évoquait », op. cit., p. 62.
40 L’auteur analyse successivement puis en les comparant les organisations politiques distinctes de chacun de ces groupes. Les Mawris zarmaphones se seraient, selon la thèse, installés dans trois espaces essentiels en milieu zarmaphone, éloignés les uns des autres, au cours d’anciennes migrations. Au sein de chacun de ces territoires (Tondi Kandjé, Zigi, Issa-Mé) se seraient développés des ensembles politiques distincts et originaux.
41 Par exemple :
- le mémoire de M. Rigo, Contribution à l’histoire du Gobir, accorde77 pages aux thèmes d’ordre politique ; les 20 dernières pages sont consacrés à l’économie.
- La Siciya du Sud (D. Mamadou) annonce bien en introduction l’ambition totalisante du mémoire, mais les trois quart de l’ouvrage orientent l’analyse vers les sphères politico-institutionnelles.
- Contribution à l’histoire des populations du Boboye, essai sur l’histoire des Tobili et des Gole (Yeni et Koygolo à l’époque coloniale) de H. Soumana aborde essentiellement les questions relatives au peuplement et aux phénomènes politiques et socio-politiques.
- Les migrations Arawa et la formation de la principauté de Runkundum (A. Arzika) adopte un cheminement quelque peu similaire à celui mis en place par la première thèse de D. Hamani sur l’Adar précolonial : dans un premier temps, l’histoire du peuplement (les migrations arawas : leurs différentes étapes, les causes, les directions), ensuite l’histoire politique : la mise en place de la sarauta, la description du fonctionnement des institutions, le processus d’intégration des premiers occupants, les relations extérieures. L’histoire du peuplement sert ainsi de préalable à a la valorisation du récit à tendance politique.
- La principauté de Dargol : des origines à la pénétration coloniale (1691-1900), D. Yacouba. Ce mémoire, soutenu en 2000-2001, oriente l’ensemble de son analyse à partir de l’évolution de la chefferie précoloniale : son orientation est résolument politique.
- L’Introduction à l’histoire de l’Azawak (R. Alfarouk) s’ordonne autour du plan suivant : 1ère partie : origine et formation des différentes catégories touarègues ;2ème partie : les institutions politiques ; 3ème partie : l’Azawagh au XIXe siècle. Un tel plan laisse de côté les aspects sociaux, économiques et culturels au niveau des deux dernières parties.
42 Hassimi Alassane, Marchés précoloniaux et échanges. Cas du Kurfey pendant le XIXe siècle, pp. 37-38.
43 « Il faudra attendre 1985 pour que le premier document écrit par un Nigérien et qui aborde de façon intéressante le passé économique du Kurfey voit le jour. Il s’agit du mémoire de maîtrise de Salifou Mahamane intitulé Le Kurhway : des origines à la pénétration coloniale. Mais cette étude n’a pas beaucoup pris en compte l’impact du commerce dans l’analyse de certaines questions », op. cit., p. 7.
44 Op. cit., p. 63.
45 « Qu’est-ce qui explique que les Twaregs de l’Imanan et du Tagazar se sont organisés alors que les Zarmas et les Kurfayamas n’ont vécu sous pouvoir centralisé que sous les conducteurs de migrations ? », op. cit., p. 40.
46 M. Adi, Le sel du Mangari, 1987-1988.
47 Ould Sidi Ali Sidi Mohamed, Titres et fonctions politiques dans le Soney : essai de reconstitution de l’organisation politique et militaire sous la dynastie des Askias, 1493-1591.
48 Mahaman Addo, Institutions et imaginaires politiques hausa. Le cas du Katsina sous la dynastie de Korau (XVe-XIXe siècles), thèse Université Aix-Marseille, p. 120.
49 Djibo Hamani, Au carrefour du Soudan et de la Berbérie : le sultanat touareg de l’Ayar, p. 75.
50 Djibo Hamani, op. cit., conclusion générale, p. 415.
51 D. Hamani, L’Adar précolonial, Études Nigériennes, conclusion, p. 232.
52 « Le Tarikh es Sudan nous dit que le nom du premier souverain Sonai Zâ-al-Ayaman avait pour origine la phrase : dja men el Yemn (il est venu du Yémen). On raconte en effet que ce personnage, accompagné de son frère, avait quitté le Yémen pour parcourir le monde et que le destin avait conduit les deux voyageurs dans la ville de Koukiya, cité très ancienne, élevée au bord du fleuve, sur le territoire du Songhay. Ils étaient dans un piteux état, sales et déguenillés. Les gens du pays leur ayant demandé d’où ils venaient, l’aîné leur répondit : “il est venu d’Al Yaman : Jâmin al-Yaman” en arabe. Et les indigènes l’appelèrent Za ala Yaman (ou Za al Yaman) à cause de la difficulté qu’ils avaient à prononcer l’arabe. Il s’installa parmi eux et découvrit qu’ils étaient polythéistes, n’adorant que des idoles. Satan leur apparaissait sous la forme d’un poisson, au-dessus de l’eau du fleuve, à des moments connus, avec un anneau au nez. Ils se rassemblaient pour lui, l’adoraient et il leur donnait ses ordres (instructions) et ils se dispersaient pour obéir à ce qu’il ordonnait et s’abstenir de ce qu’il interdisait. Il (Za al Yaman) assista à cela et lorsqu’il vit qu’ils étaient dans un égarement manifeste, il conçut le projet de le tuer (le poisson) et Dieu l’aida en cela, et il lui lança un fer (harpon) le jour du rassemblement et le tua. Et ils lui firent allégeance et le firent roi. On dit qu’il était musulman, à cause de cet acte, et que l’apostasie se produisit parmi ses successeurs après lui (p. 4 du texte arabe) », D. Hamani, « États et institutions politiques dans l’espace précolonial », Actes du colloque, 1999, p. 180.
53 Op. cit., pp. 181-182.
54 « Au début du XIXe siècle, l’infiltration insidieuse des Touaregs au Tagazart et en Imanan, et des Peuls dans le Boboye, rompit l’équilibre fragile des sous groupes du Zarmatareye car les nouveaux venus n’entendaient rien aux compromis et aux jeux des alliances matrimoniales. L’impression fut brutale de la part des Touaregs qui instaurèrent une ère endémique de razzias, tandis que les Peuls n’entrèrent en belligérance ouverte qu’à l’avènement d’Osmane Dan Fodio dans le Gobir, belligérance qu’il fixa comme finalité la conquête du pays zarma et sa soumission aux Peuls », Boubé Gado, Le Zarmatarey…, introduction, p. 15. « Perhaps the most characteristic development in Tuareg history after about 1700 is the growing intermixture with the sedentary population of the south together with the increasing involvement in trade and especially agriculture », Fuglestad, A History of Niger…, p. 38.
55 Il s’agit du royaume du Muniyo et de son souverain, le Muniyoma Koso : « Il fut sans conteste le souverain le plus puissant et le plus célèbre que le Muniyo eût jamais connu. Nous l’avons vu, à plusieurs reprises il fit preuve d’une très grande énergie et parvint ainsi à se hisser toujours au dessus des événements. Mais cette énergie, il l’avait surtout, sinon uniquement, déployée pour assouvir ses propres intérêts et ceux de son suzerain », M. Zakari, Le Mangari…, p. 148.
56 I. Kimba, Guerre et société, p. 6.
57 « Le Zarmatarezy ou pays des Zarma comprend le Zarmaganda, le Tondikangué, le Kiota, le Fakara, le Namari, le Kogori et le Boboye. » Manuel d’histoire des CM1, INDRAP, Niamey.
58 Boubé Gado, Le Zarmatarey, pp. 184-185.
59 « L’épopée commence souvent par un mythe, avec toute la mise en scène où les puissances surnaturelles et leurs intermédiaires se manifestent avec évidence. La phase de préparation au pouvoir prend ensuite des allures d’initiation. Les rapports du pouvoir au sacré sont attestés par l’anthropologie dans presque toutes les ethnies africaines, se prolongent jusque dans les “Républiques” dites “modernes” », L. Kesteloot, B. Dieng, Les épopées d’Afrique noire, Karthala, 1997.
60 Fatoumata Mounkaila, Le mythe et l’histoire dans la geste de Zabarkane, Thèse, université de Dakar, 1985.
61 Ousmane Tandina, Une épopée zarma. Wangoungna Issa Korombéize Modi ou Issa Koygolo, thèse, université de Dakar, 1984.
62 « Ces différents zamus qui nous décrivent en fait les Wangaris dans leur ensemble, nous les montrent dans la première devise avec leur caractère altier, tendre ou violent, où l’esprit aventurier et l’esprit chevaleresque se donnent constamment la main tantôt douce, tantôt ensanglantée ; dans la deuxième, troisième et quatrième devises, avec leur foudre de guerre qui pousse l’ennemi dans une fuite éperdue, tandis que dans la cinquième devise ressort nettement la recherche presque effrénée du butin par les Wangaris qui ont fait de la guerre une activité économique au même titre que les Twaregs, qu’ils combattaient au temps de la reconquista ! »
63 B. Gado, Le Zarmatarey, avant-propos des Études Nigériennes, p. 6.
64 Une dernière partie relate la fin de la vie du héros. Elle en constitue l’ultime étape. Dans le passage que l’auteur lui consacre, l’auteur développe le style épique. Le récit atteint un pic lyrique au niveau du style et de la sémantique utilisés. Cette partie totalement nouvelle des Études Nigériennes représente l’aboutissement du projet épique et de la stratégie rhétorique visant à valoriser le personnage : I-K entre dans le panthéon des personnalités africaines extraordinaires… « Ainsi les Wangaris vont-ils porter au loin leurs regards pleins de convoitises marchandes où les troupeaux de bœufs et même les chevaux ne suffiront plus à leur recherche de la gloire ou même plutôt de biens, quand l’honneur et la richesse ne se comptent qu’au nombre des esclaves à vendre ou à faire travailler aux champs ! En 1884, I-K avait près de 74 ans et il avait encore 11 ans à vivre une aventure qui n’est plus celle des pionniers de la résistance zarma, une vie qui n’est même plus la sienne, mais celle des Wangaris, qui n’arrêtèrent la fougue guerrière de leurs chevaux qu’à la fin du siècle, sur les rives herbeuses et marécageuses de la Volta ! » (Études Nigériennes, p. 252).
65 L’auteur définit ainsi la notion d’État : « Par ce terme, il faut entendre à la fois l’espace politique (de taille réduite) sur lequel s’exerce l’autorité du chef et le système même de cette autorité avec tout le pouvoir et tous les attributs liés au chef et à son propre entourage notamment sa famille » (p. 41).
66 « Dans ce cas, ce qui est justement remarquable, c’est bien l’absence de véritables conflits entre chefs et guerriers tout au long du XIXe siècle. Les grands guerriers zarmas n’ont à peu près jamais destitué les principaux chefs en place. On ne peut y voir une dualité de classe, d’autant que tout porte à penser que les guerriers étaient liés aux “maisons régnantes”, et appartenaient à l’aristocratie (et le fait, avancé par Boubé Gado, que Issa Korombé soit, selon les traditions, le fils d’un “riche cultivateur” ne suffit guère à prouver le contraire…) », J.-P. O. de Sardan, Les sociétés songhay-zarma, 1984, p. 81.
67 « Boubé Gado, dans un ouvrage récent, a posé le problème du rapport entre chefs et guerriers, et conclut à l’émergence, dans la seconde moitié du XIXe siècle, d’un pouvoir militaire se substituant aux chefferies traditionnelles, et ayant pour fondement la classe sociale nouvelle des Wangaaris, les guerriers. Si l’hypothèse est intéressante, les arguments sont peu convaincants », ibid.
68 « Une fois mise en place cette chefferie aristocratique, celle-ci peut-elle évoluer elle-même vers l’État ? En effet le pouvoir de l’aristocratie ne passe pas, dans le cas de la chefferie, par l’existence de l’État. La chefferie n’a pas d’appareil d’État. Elle n’a ni armée professionnelle, ni corps de fonctionnaires. Aucune des définitions classiques de l’État ne peut s’appliquer à elle. L’aristocratie n’a pas le monopole de l’usage légitime de la violence : elle a la maîtrise ultime de la violence, mais d’un point de vue purement pratique (supériorité militaire) ; la légitimité qu’elle s’est forgée se pose au contraire comme sans rapport avec le monde de la violence, puisqu’elle s’insère dans celui de la tradition », J.-P. O. de Sardan, op. cit., p. 95.
69 J.-P. O. de Sardan, op. cit., pp. 95-96.
70 « C’est sans doute l’Islam (à défaut de conquête extérieure) qui a joué partout le plus efficacement cette fonction : aux critères “antagonistes” d’honneur, de noblesse, d’ascendance, qui engendrent nécessairement des rivalités que seul l’affrontement peu régler, et toujours temporairement (car l’honneur se venge, la défaite se surmonte ; jamais les critères de référence ne sont eux-mêmes mis en cause par le conflit, un noble mort reste aussi noble que son vainqueur), l’Islam superpose ou substitue des critères “intégrationnistes”, fondés sur une hiérarchie (celle du savoir, ou de la sainteté). L’unité de la classe dirigeante ne peut se réaliser que dans sa hiérarchisation, alors que l’égalité engendre perpétuellement la rivalité », op. cit., p. 96.
71 Entretien avec Mahamane Tidjani, mercredi 5 janvier2004.
72 « La cartographie des choix géographiques commence à s’élargir. De larges espaces restent encore inexplorés notamment l’Est et le Nord du Mangari, l’Azawag, tout le Nord-Est, au centre le Gobir, la vallée de la Tarka, le Goulbin Kaba, le Daoura, enfin à l’Ouest le Liptako, le Dendi, le Zarmaganda, l’Anzourou, le Kourfey et l’Arewa. L’absence d’une politique effective de recherche historique n’a pas permis une orientation plus équilibrée qui tiennent compte de toutes les régions et de toutes les communautés socioculturelles du territoire. En outre, la crise de la fin des années 80 a entraîné un relâchement voire un abandon des principes d’orientation de la recherche définis au moment de la création de l’année de maîtrise. La première urgence de l’historiographie nigérienne demeure toujours celle de couvrir au plus vite toutes les parties du pays », I. Kimba, L’historiographie nigérienne : bilan critique et perspectives, pp. 17-18.
La liste des espaces encore vierges de toute recherche me paraît fort discutable. Le Gobir, l’Azawag, le Dendi ; l’Arewa et le Kourfey – ce dernier a fait l’objet de deux études dans le cadre de mémoires de maîtrise. Cette erreur est d’autant plus singulière que la liste des mémoires dressée par le professeur Kimba mentionne l’essentiel des maîtrises soutenues depuis 1982…
73 L’école doctorale récemment mise en place au sein du département d’histoire met encore l’accent sur cet axe de recherche. Les thèmes de recherche proposés aux premiers étudiants de D.E.A. inscrits depuis 2006 doivent permettre de poursuivre un travail de collecte des sources au niveau d’espaces nigériens qui n’auraient pas encore été défrichés, ou trop peu (Entretien avec M. Addo, 1er mai 2007).
74 Djibo Hamani, entretien du 3 juillet 2005.
75 M. Zakari, Contribution à l’histoire des populations du Sud-Est nigérien. Le cas du Mangari (XVIe-XIXe), 1983, pp. 5-8.
76 Ibid., p.7.
77 M. Issa, Le Damergu au XIXe siècle, 1996.
78 Op. cit., p. 7.
79 Habou Sani, Kance, une ville au XIXe siècle : institutions, économie, culture, mémoire de maîtrise, Niamey,2005, p. 1.
80 Celle de Kance, dans le cadre de ce mémoire de maîtrise très récent, est d’ailleurs identifiée à l’ensemble du terroir de l’ensemble historique dont la cité en question constitue en fait l’épicentre. Ainsi dans ce cas, l’approche urbaine rejoint en fait celle de l’espace politique appréhendé selon un angle classique pour le monde hausa de la cité-Etat, ou Kasar Hausa : « Situé dans la zone sud-sahélienne, Kasar Kance correspond en gros au Daura nigérien qui fait frontière avec le Damagaram au nord, les États Tsotsebaki à l’est, le Katsina Maradi à l’ouest et Kasar Kano (Nigéria) au sud. Kasar Kance couvre une superficie de 2200 km2 environ. Elle est limitée à l’est par Kasar Bande, à l’ouest par Kasar Korgom, au nord par Takiéta et au sud par Kasar Magaria », Ibid.
81 A. Salifou, « Mallam Yaroh, un grand négociant du Soudan Central à la fin du XIXe siècle », Journal de la Société des Africanistes, 12, fasc. I, 1972, pp.7-27.
82 Mahamane Salifou, Le Kurhway : des origines à la pénétration coloniale, mémoire de maîtrise, Niamey, 1986, p. 9.
83 S. Matty, Le sultanat de Zinder face à la colonisation-de la mort de Ahmadu Kuran Daga (1899) à Barma Mustapha (1923-1950), mémoire de maîtrise, Niamey, 1986, p. 7.
84 Outre l‘article d’André Salifou déjà mentionné, il en existe un autre, plus récent, de Maïkoréma Zakari, consacré à une figure religieuse locale. M. Zakari, « Une figure tijâni de l’est nigérien : Malam Abba Tchillum de Kolori-Kollo », in. J.-L. Triaud, David Robinson, La Tijâniyya, une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique, Karthala,2000, pp.237-248.
85 Utilisation de la double transcription (texte en langue vernaculaire à gauche et traduction littérale à droite accompagnée de nombreux commentaires), dépôt des bandes d’enregistrement au CEHLTO de Niamey…
86 J.-P. Rothiot, L’ascension d’un chef africain au début de la colonisation : Aouta le conquérant (Niger), L’Harmattan, 1988.
87 Ibid., p. 44.
88 Ibid., p. 182.
89 Ibid., p. 182.
Table des illustrations
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Titre | La situation de l’ADAR (ADER) |
Crédits | D’après Y. Urvoy, Histoire des populations du Soudan central, p. 216 |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34361/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 39k |
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Titre | L’ADAR précolonial présenté dans un manuel de l’école primpaire |
Crédits | Histoire et Géographie en CM1, I.N.D.R.A.P., Niamey, p. 56 |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34361/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 21k |
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Titre | Les migrations touarègues en Aïr et au Niger – manuel d’école primaire des CM1 |
Légende | Histoire et Géographie en CM1, INDRAP, Niamey, p. 38. |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34361/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 32k |
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Légende | Djibo Hamani, le sultanat touareg de l’Aïr. p. 32. |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34361/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 96k |
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Titre | L’Ouest nigérien |
Légende | Edmond Séré de Rivière, Histoire du Niger, p. 49. |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34361/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 44k |
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Titre | Le Zarmatarey57 |
Crédits | (manuel d’école primaire, classe de CM1) |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34361/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 22k |
© Presses universitaires du Midi, 2009