1Avec la mise en valeur des centres anciens, la multiplication des secteurs sauvegardés et des labels « Villes d’Art et d’Histoire », les cités découvrent leur patrimoine bâti et en particulier l’habitat médiéval qui constitue souvent l’ensemble de vestiges les plus anciens. Ces vestiges sont très inégalement conservés en quantité et en qualité selon les lieux, et de cette conservation dépend souvent leur mise en valeur. C’est en effet sur ce patrimoine, reconnu et publié par les archéologues dès le xix^e siècle, que repose par exemple la célébrité de la ville de Cordes1. Mais si les belles maisons aux façades de grès taillé qui bordent la rue centrale ont été plus ou moins étudiées et restaurées – constituant de fait un pôle touristique important – celles qui donnent sur les lices de la ville, bâties en simples moellons et très reprises, sont encore inconnues2. Les prospections et études effectuées ces trente dernières années dans la région ont permis de cartographier d’abondants vestiges dans les villes de Cahors, Figeac, Saint-Antonin-Noble-Val, Martel, Caylus, Lauzerte, Rodez, etc., témoignent non seulement d’une grande variété de types d’habitats et de techniques de construction, mais apportent également de nombreuses informations sur l’histoire de la ville et sur les étapes de sa croissance3. Dans cet ensemble, la ville de Toulouse semble particulièrement pauvre en vestiges. Capitale de Région ayant subi plus que d’autres villes la pression immobilière et de grands travaux d’aménagements, elle a enduré de fait de nombreuses destructions. Il ne faut pas oublier par ailleurs que les incendies de la fin du Moyen Âge ont plusieurs fois ravagé la ville. La cartographie que l’on peut dresser aujourd’hui des vestiges existants et connus est donc assez clairsemée, mais les prospections systématiques actuellement en cours devraient contribuer à la densifier. En effet, l’exemple de l’étude de la ville de Grenoble a bien montré que la plupart des vestiges sont conservés à l’intérieur des parcelles et des bâtiments, parfois même derrière les façades du xix^e siècle, remontées après l’élargissement des voies4. À Toulouse, seuls étaient connus la maison de la rue Croix-Baragnon et l’hôtel de la famille Maurand à l’angle de la rue du Taur et de la rue de Périgord, dont les vestiges sont assez importants. Ayant fait l’objet de travaux, ces deux édifices ont pu être étudiés de façon plus ou moins exhaustive et publiés5. Les prospections de façades ont permis par ailleurs d’en repérer dix autres, dont quatre sont des édifices détruits mais connus par des photographies ou des dessins anciens ; cette prospection cartographiée est en revanche inédite6. Enfin, les textes apportent des informations complémentaires en mentionnant notamment les différentes parties de ces demeures et leur fonction ainsi que leur mobilier, contribuant à détailler le tableau du cadre de vie des toulousains en particulier pour la fin du Moyen Âge7.

Les vestiges repérés

2Si les vestiges repérés sont souvent ténus ou difficilement lisibles, ils suffisent cependant à signaler les restes d’une demeure médiévale, notamment grâce aux formes très caractéristiques des ouvertures ou, à l’intérieur, par des couvrements voûtés.

3La maison qui s’élève au n° 19 de la rue Croix-Baragnon doit sa réputation à la belle tour d’escalier bâtie au xvi^e siècle dans la cour, sur laquelle figurent les armes de Berenguier de Bonnefoy (fig. 124)8. C’est au second étage et aux extrémités de l’élévation qu’apparaissent les traces de fenêtres médiévales. Seules les parties supérieures sont actuellement lisibles, les piédroits ont disparu grâce à l’habile remaillage de l’appareil de brique opéré lors de la construction des nouvelles fenêtres. Il s’agit donc de baies jumelles regroupées sous un arc de décharge au tracé brisé. Diverses traces disséminées sur la façade laissent penser qu’une série de fenêtres de ce type ouvrait ce niveau, peut-être le premier étage au-dessus d’un très haut rez-de-chaussée, selon le modèle de la demeure voisine élevée au n° 15 de la même rue.

4C’est également en façade que se trouvent les indices d’ancienneté de la demeure située au n° 71 de la rue du Taur (fig. 125). Ici encore, les modifications ont été nombreuses et habiles, mais les reprises opérées au niveau des fenêtres de l’étage n’ont pas fait entièrement disparaître l’appareillage de celles qui les précédaient. On peut lire ainsi, derrière les arcs des fenêtres du xix^e siècle, d’autres arcs en plein cintre de plus grandes dimensions. Sous l’intrados de l’arc de droite – mieux conservé que les autres – apparaissent les extrémités des briques ayant servi de claveaux à un arc plus petit. Il est ainsi possible de restituer ici, une façade ouverte de trois grandes fenêtres géminées. La grande taille des arcs et leur tracé en plein cintre les rapprocheraient sans doute du modèle des fenêtres de l’hôtel Maurand situé juste en face9.

5La parcelle voisine, au n° 69 de la rue du Taur, a fait l’objet de travaux importants lors de l’aménagement récent de la Cinémathèque (fig. 126). Le dégagement d’une cour lui servant d’accès a été l’occasion de découvrir des élévations médiévales. En premier lieu, les vestiges d’une salle basse dont on conserve le mur sud et la moitié du pignon est. Apparemment, elle n’avait aucun lien avec la voie et se trouvait en fond de parcelle. Dans un premier état, elle présentait une salle de plain-pied éclairée par de petites lancettes en plein cintre largement ébrasées vers l’intérieur. Le pignon couvrant ce niveau unique accuse une pente de toiture assez prononcée10. La cheminée qui prenait place au milieu du mur gouttereau, aujourd’hui détruite et comblée, est un rajout de la fin du Moyen Âge.

6Toujours dans cette cour se trouve un bâtiment, dont le mur arrière a été dégagé à l’occasion des travaux (fig. 127). Celui-ci est pris entre l’extrémité de la façade de la cinémathèque et le bâtiment voisin à la salle basse. Rien, à première vue, ne trahit la construction médiévale, toutes les ouvertures étant modernes. Cependant, elles ont été visiblement percées après coup. Une série de petites ouvertures rectangulaires, ménagées à l’intérieur de cinq assises de briques, soulignent le niveau des combles. Ce dispositif correspond à un système d’évacuation des eaux qui ruissellent sur la toiture lorsque celle-ci est disposée à l’arrière du sommet du mur. Cette structure particulière a été reconnue sur deux autres édifices du xiii^e siècle ; elle permet d’escamoter le toit derrière un mur dont l’extrémité peut être découpée de créneaux et de merlons11. En outre, la visite intérieure de l’édifice a permis de confirmer l’authenticité médiévale de ce bâtiment puisque des portes en arc brisé sont toujours conservées au niveau des combles12.

7Les vestiges repérés au n° 1 de la rue du Prieuré occupent aujourd’hui une parcelle étroite (fig. 128). L’observation des maçonneries laisse apparaître cependant de larges reprises sur les parties hautes et sur l’une des deux façades latérales13. Ces reprises se caractérisent par l’utilisation d’une brique plus mince et plus claire. Elles laissent supposer que la façade latérale a été entièrement refaite ou que l’on a coupé la façade médiévale pour sa construction. Des fenêtres anciennes il ne subsiste que quelques claveaux du grand arc de décharge, deux piédroits et les cordons en calcaire dont le décor sculpté ou mouluré a été bûché. L’observation de l’arc de décharge montre que seuls les quelques claveaux qui surmontent les sommiers sont authentiques, le reste ayant été probablement repris lors de la construction de la baie actuelle. C’est donc deux fenêtres géminées qu’il faut sans doute restituer entre les deux piédroits réunis par ce grand arc, ou, beaucoup plus rare dans la construction en brique, une fenêtre triple.

8La maison située au n° 7 de la rue de l’Inquisition, connue sous le nom de « Maison de l’Inquisition », a fait l’objet de nombreuses reprises (fig. 129)14. La façade englobe la muraille romaine au sud et montre sur la partie centrale un trumeau prolongé d’un côté par quelques claveaux amorçant un arc, et, de l’autre côté, par le négatif d’un arc similaire. Rien, a priori, ne permet de conclure qu’il s’agit-là des vestiges de fenêtres géminées, mais la présence de nombreuses briques bûchées, notamment à hauteur des cordons, nous permet au moins de l’envisager. Jules Chalande rapporte que se trouvaient ici deux grandes demeures appartenant, au début du xiii^e siècle, à un certain Pierre Sellari ; celui-ci en aurait fait don à saint Dominique et à ses compagnons en 1214. Deux ans plus tard, elles auraient été abandonnées et mises en location15.

9Non loin de là, sur la place du Salin, se trouve le grand bâtiment que l’on appelle « l’ancienne Trésorerie » et qui sert aujourd’hui de Temple protestant (fig. 130). La façade qui s’élève sur la place a été en grande partie refaite ; les nouvelles ouvertures percées ont reçu un encadrement de pierre dont le décor néo-gothique accuse les xix^e-xix^e siècles. La façade latérale qui s’enfonce dans l’impasse de la Trésorerie a été peu touchée par cette campagne de travaux. Elle conserve une petite porte en arc brisé authentifiant l’origine médiévale de ce bâtiment. En effet, « la Trésorerie », comme la « maison de l’Inquisition » et la maison dite « du château narbonnais », furent des bâtiments utilisés par l’administration royale à partir de 1271. Dans ce quartier où siégeait le « château royal », se trouvait également l’hôtel de la Monnaie16.

10La famille Vinhas faisait partie des plus grandes familles toulousaines à la fin du Moyen Âge (fig. 131). Les vestiges de l’hôtel situé au n° 10 de la rue Temponière lui ont été attribués grâce à la clé de voûte décorée à ses armes, au croisement des ogives de la salle du rez-de-chaussée de la tour17. En réalité, peu de choses sont visibles. C’est seulement dans la partie basse de la tour, réaménagée en salle de sport, que la maçonnerie a été en partie découverte. Les vestiges sont cependant assez exceptionnels puisque deux niveaux de sous-sol voûtés sont conservés : le premier est équipé d’une cheminée, et le second est divisé en deux petites salles. Ces niveaux sont reliés par un bel escalier droit voûté de voussures à ressauts. Un escalier en vis accolé à la tour est accessible dès le premier sous-sol et monte jusqu’au dernier niveau de celle-ci. En l’absence de travaux touchant l’ensemble des vestiges et permettant une vue d’ensemble et une meilleure analyse des constructions, les informations portant sur cet édifice restent très lacunaires. Elles laissent pourtant deviner un ensemble bâti d’une grande ampleur, ne se limitant certainement pas à cette vaste tour en fond de parcelle.

11Du grand hôtel de la famille des Ysalguier, rue Peyrolières, il ne reste plus rien de visible aujourd’hui, mais les témoignages anciens signalent un vaste bâtiment avec tour et cour, et un des corps de bâtiment donnant sur la rue Clémence Isaure (fig. 132)18. Celui-ci est toujours conservé, mais la façade percée de grandes fenêtres est entièrement enduite. Une petite fenêtre géminée ouvrant sur la cour a été photographiée au xix^e siècle, puis démontée. La colonnette et le chapiteau, qui accusent la fin du xii^e siècle, ont été alors déposés à la Société archéologique du Midi de la France. Les Ysalguier étaient une des plus riches familles toulousaines au Moyen Âge. Arrivés dans la ville dans la deuxième moitié du xiii^e siècle, ils firent rapidement fortune. En effet, Raymond Ysalguier, changeur, figure parmi les capitouls de la ville dès 1295. Il administrait alors le quartier du Pont-Neuf, là où il avait établi son hôtel. On peut imaginer que celui-ci fut acquis durant cette période.

12Aucun vestige ne subsiste in situ de la maison dite « du château Narbonnais » ou « grenier du château Narbonnais » qui s’élevait rue du Château sur un pan de la muraille romaine et fut détruite en 1861. Relevés, dessins, aquarelles et photographies anciennes nous renseignent cependant sur l’état de la façade avant sa destruction (fig. 133)19. On peut également voir une petite partie de celle-ci remontée au Jardin des Plantes. La caractéristique de cette façade est de posséder un rez-de-chaussée d’une hauteur très importante et quasiment aveugle. Aménagé dans l’épaisse muraille romaine, ce niveau n’est ouvert que par une porte haute, flanquée d’un petit jour. Une telle disposition évoque la fonction de stockage. Cet édifice comprenait donc probablement un grenier dans sa partie basse. Il faisait partie des bâtiments servant à l’administration royale implantés dans le quartier20. Les quatre fenêtres géminées percées à l’étage supérieur signalent en revanche un niveau d’habitation. Il s’agit de fenêtres à arcs en plein cintre outrepassés dont les tympans n’ont pas été percés d’oculi.

13Également disparu, l’édifice connu sous le nom de la « tour des trois renards » s’élevait dans la rue du même nom et fut probablement détruit dans la deuxième moitié du xix^e siècle lors de l’aménagement de la place Saint-Sernin. Il est connu par un dessin de F. Mazzoli (fig. 134)21. En fait, seule la tour est connue, mais on peut penser que des corps de bâtiments l’entouraient ; de ceux-ci nous n’avons bien sûr aucune information. La tour était sans doute assez haute puisque, sur toutes les représentations connues, elle domine nettement les bâtiments voisins. On peut sans doute restituer trois ou quatre étages, le dernier étant ouvert de petites fenêtres géminées sous arc de décharge dont le tympan était percé d’un oculus rond.

14Cette prospection de façades et des sources a donc permis d’augmenter le corpus initial des édifices civils toulousains antérieurs au xv^e siècle, la visite de chacune des parcelles du centre ancien, actuellement en cours, devrait apporter encore beaucoup d’informations ; les résultats de cette enquête sont très attendus22.

L’apport de l’archéologie du bâti

15L’étude archéologique d’un édifice en cours de travaux reste bien sûr la meilleure façon de l’appréhender. Elle permet l’observation détaillée de la construction et surtout, de pousser l’analyse au-delà des vestiges de façade repérés en prospection. L’opportunité s’est présentée, au cours de ces dernières années, d’observer le bâti des deux demeures médiévales toulousaines les plus connues : la maison située au n° 15 de la rue Croix-Baragnon et l’hôtel de la famille Maurand. À partir de ces deux études, il est ainsi possible d’avoir une vue d’ensemble sur les bâtiments conservés et d’envisager la distribution de la demeure, son confort et parfois même son décor.

La maison n° 15 de la rue Croix-Baragnon

16Cette demeure médiévale toulousaine est celle qui a le mieux conservé sa façade (fig. 136). L’observation de son abondant décor sculpté et mouluré a permis de la dater du premier quart du xiv^e siècle23. Les chapiteaux trouvent en effet leur parfaite réplique dans le triforium de l’église de Notre-Dame de Rabastens, dont l’achèvement est daté par les textes de 1318. De nombreux rapprochements stylistiques peuvent être effectués également avec les productions du cloître des Jacobins de Toulouse, élevé à la même époque.

17Les maçonneries conservées autorisent la restitution d’un corps de bâtiment double que sépare un simple refend, longeant d’un côté la rue et de l’autre une cour. Les limites des travaux et de la parcelle actuelle n’ont cependant pas permis de vérifier la présence d’autres bâtiments à l’arrière, autour de la cour, dont on ne peut toutefois exclure l’existence. Les murs de la cave, dont l’extension se limite à la partie longeant la voie, sont antérieurs à cette construction ; ils sont en effet les vestiges de la demeure qui précédait cet édifice sur la parcelle et était sans doute également médiévale. À l’étage, chacune des cinq fenêtres géminées est percée sous des arcs brisés et outrepassés et le tympan, sous l’arc de décharge, est évidé d’un oculus rond (fig. 135). Corbeilles et cordons sont décorés de sculptures.

18Le programme des deux premiers niveaux du corps double élevé au début du xiv^e siècle peut être assez précisément restitué. Il s’ouvrait au rez-de-chaussée par une grande porte en arc brisé, à l’extrémité de la façade, appareillée en blocs de calcaire et décorée de moulures en tores, de petites bases et d’un écu gravé sur la grande clé24. Cette ouverture se prolongeait par un couloir qui donnait sous le portique situé sous le second corps puis dans la cour (fig. 137). Le reste du rez-de-chaussée était occupé par un espace commercial donnant sur la voie par deux grandes baies couvertes d’un arc segmentaire, et par un petit jour haut. Malgré la hauteur très importante de ce niveau (6,50 m), un entresol n’aurait pu exister avec les vantaux des grands arcs, mais on peut supposer au moins la mise en place de mezzanines offrant une surface de stockage supplémentaire. C’est vraisemblablement dans la cour que se trouvait l’escalier conduisant aux niveaux supérieurs selon un schéma fréquemment utilisé au Moyen Âge. La salle de l’étage avait un rôle clé dans la circulation de la demeure puisqu’elle redistribuait la partie arrière et très vraisemblablement les niveaux supérieurs du corps double. Le premier étage était voué à l’habitation et la salle était équipée pour le confort. Une grande cheminée avait été en effet appuyée sur le mur de refend et, côté rue, les cinq fenêtres étaient garnies de coussièges. Elles étaient équipées de volets de bois, pivotant sur des gonds et maintenus fermés par de petites barres glissées dans des tiges métalliques fichées sous les tailloirs. On peut penser que les occuli étaient garnis de verre. Les murs de la salle n’étaient apparemment recouverts que d’un simple enduit et d’un lait de chaux blanc cassé, mais, au niveau des fenêtres, les claveaux de brique des arrières voussures avaient été retracés en rouge. La partie arrière comprenait le couloir d’accès à la salle, un escalier conduisant aux niveaux supérieurs et deux pièces. On peut penser qu’il s’agissait de chambres ou d’espaces étroitement liés à la salle. Les murs de l’une d’elles étaient recouverts d’un enduit ayant reçu un décor peint répétitif à base de rosaces à quatre pétales ou de cercles entrecoupés. Les motifs étaient cernés de noir sur fond beige et peints dans des dégradés de rouge et des tons d’ocre jaune. La partie arrière peut être restituée sous la forme d’une élévation sur couverts induisant la présence de piliers. La façade était donc peut-être en pans de bois côté cour. L’existence de niveaux supérieurs est certifiée par la présence, dans le mur de refend, de conduits d’évacuations d’eaux usées, pour des latrines, un évier ou un lavabo, ne correspondant à aucune structure au premier niveau.

19Les travaux ont donc permis ici l’examen détaillé de deux niveaux d’un corps de bâtiment, qui laissent entrevoir une demeure mixte avec son espace commercial et son étage d’habitation, mais il nous manque certainement les parties supérieures et d’autres constructions situées en fond de parcelle.

L’hôtel de la famille Maurand

20L’appellation de « tour Maurand » s’est maintenue jusqu’à nos jours et les textes médiévaux confirment bien l’appartenance de cet édifice à la grande famille toulousaine25. Mais la tour massive et imposante semble avoir occulté les corps de bâtiment qui s’organisaient autour et qui constituaient l’essentiel de l’habitation. L’hôtel fut vraisemblablement bâti vers la fin du xii^e ou le début du xiii^e siècle par Pierre Maurand ou un de ses fils. Ce personnage très riche, qui apparaît dans de nombreux actes émanant de l’abbaye de Saint-Sernin, fut la première victime de la répression organisée contre les Cathares en 1178. En dehors de l’abjuration qui lui fut alors imposée, on lui enjoignit, entre autres, d’abattre les tours de ses habitations. Cette sanction a-t-elle été réellement exécutée ? Il reste difficile de dire si les vestiges conservés de l’hôtel sont antérieurs ou postérieurs à cette date : la clé de voûte de la salle du rez-de-chaussée décorée d’une rosace très stylisée s’apparente à celles que l’on voit apparaître dans les salles capitulaires des premières abbayes cisterciennes, implantées dans la région précisément à cette époque.

21De l’hôtel, il ne reste aujourd’hui qu’une partie des caves de l’aile sud et deux niveaux de la tour auxquels il faut ajouter le sous-sol. Des traces d’ouvertures tronquées sur la façade ouest de la tour prouvent l’existence d’un second corps de bâtiment longeant la rue du Taur. Malgré les travaux récents, les vestiges identifiés restent très maigres. Ils laissent deviner cependant un bâtiment d’une ampleur exceptionnelle. Dans le cadre de son étude, les sources ont constitué un apport considérable. En effet, entre 1363 et 1368, le cardinal de Périgord acquiert l’hôtel de la famille Maurand, ainsi que les parcelle voisines, pour fonder un collège (fig. 140). Cette fondation produisit de nombreux documents écrits dont des comptes de construction qui nous permettent de suivre les travaux à partir de 1365. Les différentes parties des hôtels acquis, détruits ou réaménagés pour l’édification du collège, sont ainsi mentionnées. La présence des deux ailes donnant sur la rue du Taur et de Périgord est certaine, mais en existait-il d’autres qui auraient disparu avant 1365 ? Dans la cour sont mentionnés des écuries, un puits et des galeries de bois auxquelles devait s’accrocher logiquement le degré. Sous-sol et rez-de-chaussée semblent remplir le rôle de réserves ; aucune boutique ne paraît avoir occupé le niveau de plain-pied ; dans tous les cas, l’acte de vente du xiv^e siècle ne les mentionne pas. Les comptes signalent la salle sur la rue de Périgord et des chambres à l’extrémité de l’aile. On peut penser cependant que la salle fut déplacée, car les vestiges indiquent qu’elle avait été prévue à l’origine sur la rue du Taur. En effet, bien que ce corps ait été entièrement rebâti pour l’aménagement de la chapelle du collège, les traces conservées sur la tour indiquent la présence d’une série de fenêtres géminées percées de façon continue sur la rue du Taur. Une telle pratique est fréquente sur les façades médiévales et la série d’ouvertures, débordant le cadre même de la salle (elle se poursuit ici sur la façade de la tour), donne l’impression d’une plus grande ampleur de celle-ci. Par ailleurs, comme cela se rencontre dans d’autres demeures aristocratiques, la salle a un lien privilégié avec le premier étage de la tour qui lui sert de chambre de parement. Or le seul accès médiéval avec ce niveau est celui qui le relie à l’aile de la rue du Taur. Les vestiges de la tour permettent de restituer une chambre de parement particulièrement soignée, ouverte de deux fenêtres géminées sur chacune des deux rues. Ces baies étaient précédées de profondes arrière-voussures qu’imposait l’épaisseur des murs de la tour. Elle conserve toujours les latrines et les traces de la grande niche qui ouvrait le mur est ; celle-ci fut obturée pour l’aménagement d’une cheminée à la fin du Moyen Âge. La grande croisée d’ogives élancée sur de fines nervures chanfreinées a peut-être été faite tardivement. On peut imaginer cependant, à l’image de l’hôtel de la famille Gaillac, que cette salle avait reçu un décor peint26.

22Les comptes de construction restent malheureusement lacunaires et nous ne savons pas à quel endroit s’ouvrait le portail d’accès à l’hôtel. Nous ne connaissons pas plus le rôle précis de la belle salle voûtée du rez-de-chaussée de la tour, utilisée comme grenier à grain puis comme sacristie lors de l’aménagement du collège. La tour a été écrêtée au niveau des bâtiments voisins au lendemain de la Révolution, mais des relevés effectués auparavant montrent qu’elle possédait quatre niveaux au-dessus des caves, dominant les constructions alentours du haut de ses 25 m. On accède aujourd’hui au niveau des combles – vestiges du second étage – par un escalier ménagé dans l’épaisseur de deux murs et couvert d’un berceau rampant. La porte surmontée d’un arc en plein cintre sur laquelle aboutit ce degré reste le seul vestige de la construction médiévale dans les parties hautes.

23L’étude archéologique du bâti permet avant tout de reconstituer tout ou partie des éléments architecturaux disparus. Cette restitution peut être plus ou moins détaillée en fonction des vestiges conservés. Si une image assez précise de la demeure peut émerger, elle reste cependant une « coque » vide, que seuls les textes peuvent nous permettre de remplir.

L’apport des textes

24Les sources privilégiées sont principalement les inventaires après décès, les comptes de constructions et les prix-faits. Comme partout ailleurs, les inventaires après décès sont des actes tardifs ; ils sont produits à Toulouse à partir de la fin du xiv^e siècle et concernent essentiellement le xv^e siècle. Ils sont cependant assez nombreux à être conservés et ont été bien exploités par Ph. Wolff et ses étudiants, et plus récemment par V. Lamazou-Duplan. Les comptes de construction sont des documents produits généralement pour de grands chantiers ; la simple construction d’une demeure urbaine ne justifie pas en principe sa rédaction. Il faut mentionner cependant ceux du collège de Périgord donnant de nombreux détails sur les hôtels qui s’élevaient sur la parcelle, en partie détruits ou en remploi, donc riches en informations. Enfin, si les prix-faits alimentent bien la connaissance de l’habitat en Provence dès la fin du Moyen Âge, il ne semble pas que l’on en ait conservé avant l’époque moderne à Toulouse27.

L’apport des comptes de construction du collège de Périgord

25L’exemple de l’hôtel Maurand l’a bien montré, ce type de texte nomme les différentes parties qui occupent la parcelle et les désigne par leur fonction au sein de l’habitation. Malheureusement, les indications topographiques ne sont pas systématiques ; il reste difficile de se faire une idée de l’organisation des bâtiments en l’absence de vestiges. Ces comptes de construction ne nous permettent donc d’établir qu’une liste des pièces et des lieux des demeures, accompagnés parfois de quelques détails ; cette liste qui reste riche en informations ne doit pas être, bien sûr, considérée comme exhaustive28.

26La construction du collège de Périgord a nécessité l’achat d’une grande partie des parcelles d’un moulon bordé au nord par l’abbaye Saint-Sernin, à l’ouest par la rue du Taur et au sud par la rue de Périgord (fig. 140). La limite orientale reste plus floue : elle semble avoir été constituée au Moyen Âge par la rue « des Moriers », voie au tracé sinueux, que les constructions du collège paraissent avoir peu à peu absorbée. Les comptes évoquent principalement quatre demeures, si l’on exclut celle d’Adhémar Maurand.

27L’hôtel de Guillaume de Saverdun, orfèvre, donnait sur la rue de Périgord. Lorsque la rédaction des comptes débute en 1365, on achève de le détruire. On sait cependant que l’édifice possédait une cour bordée de galeries de circulation dont le plancher était recouvert de carreaux de terre cuite, une pièce au rez-de-chaussée utilisée pour le stockage et des caves. Une chambre peinte, dont le plancher était également recouvert de terres cuites de pavement, est aussi mentionnée à l’étage et, enfin, un mur de latrines est en cours de destruction. Il s’agit plus précisément d’un mur percé de canalisations pour l’évacuation des eaux usées, signalant la présence d’aménagements de confort tels que latrines, lavabos ou éviers.

28Les descriptions sont plus fournies pour la demeure de Jean de Capdenier, seigneur de Pechbonnieu. Cet hôtel mitoyen de l’hôtel d’Adhémar Maurand bordait la rue du Taur par un petit corps de bâtiment dont quelques vestiges sont toujours visibles au niveau des caves. Le portail d’entrée s’ouvrait ici et se prolongeait par un porche. On peut restituer par ailleurs au moins une aile supplémentaire s’enfonçant à l’intérieur de la parcelle et intégrant une tourelle. Le porche débouchait à l’arrière sur une cour, permettant l’accès aux galeries de circulation accrochées aux constructions, et un verger équipé d’un puits et sans doute d’une citerne. Dans les parties basses de la demeure se trouvaient les réserves, les écuries, la cuisine jouxtant le porche et une salle dite « basse » équipée d’une cheminée. Une grande chambre est également mentionnée ; elle se situait probablement à l’étage. Au nord de la parcelle se trouvait enfin le système d’évacuation des eaux usées avec la fosse maçonnée qui lui était associée.

29L’hôtel d’Aymeric de la Garrigue donnait à l’arrière du moulon, son portail ouvrant en effet sur la rue des « Moriers ». Il semble qu’il ait pu y avoir plusieurs corps de bâtiment puisque l’on évoque une cour avec son système de distribution par galeries. On distingue de la cour le verger garni d’un puits et d’une treille. Une simple cloison de planches séparait le jardin de la parcelle voisine de Bonmancipe Maurand. Au rez-de-chaussée sont mentionnées des réserves, des écuries, une cuisine et une salle basse. Celle-ci ouvrait sur le verger ; elle était équipée d’une cheminée et de bancs maçonnés le long des murs. Il est également question d’une salle à l’étage vers laquelle semble se diriger directement l’escalier. Du côté du portail d’entrée, on mentionne une chambre haute équipée d’une cheminée.

30Le dernier édifice cité par les comptes est celui de Bonmancip Maurand. Membre, sans doute, de la famille d’Adhémar Maurand, son hôtel occupait une parcelle donnant à l’arrière sur la rue des « Moriers ». On retrouve une demeure à plusieurs corps de bâtiments avec une tourelle en fond de parcelle, une cour qui est dite « grande » avec un puits, des galeries de circulation et un jardin. On peut, semble-t-il distinguer une salle d’étage équipée d’une cheminée d’une salle basse ouvrant sur le jardin. Les réserves et les écuries sont situées de plain-pied comme sur les parcelles voisines. Un corps entièrement détruit comprenait des écuries, des chambres hautes et basses, des greniers et la cuisine. Plusieurs murs aménagés de conduits d’évacuation d’eaux usées sont détruits, trahissant la multiplication d’éviers, lavabos et latrines dans les bâtiments. Enfin, les comptes signalent que le porche d’entrée était pavé.

31L’image que laissent ces demeures occupant un moulon du Bourg n’est sans doute pas celle des habitations toulousaines communes. Il s’agit incontestablement d’habitations patriciennes, encore occupées par de grandes familles toulousaines au milieu du xiv^e siècle. La crise qui les touche de plein fouet est sensible dans l’état de délabrement de ces édifices dont témoigne le texte : elles ne peuvent plus entretenir leur grande demeure familiale et doivent s’en séparer.

Les inventaires après décès

32Les inventaires sont des actes dressés en particulier lorsque des défunts laissent des héritiers mineurs. Les notaires visitent alors la demeure et notent le contenu mobilier de chaque pièce ; il s’agit donc de documents de toute première importance pour la connaissance du contexte privé. En passant d’une pièce à l’autre, celles-ci sont nommées, mais les indications topographiques sont rares ou trop peu précises pour donner une image du bâtiment. Par ailleurs, l’inventaire ne concerne que les biens ayant quelque valeur, la liste ne peut donc être considérée comme exhaustive. Ces listes restent enfin des documents particulièrement évocateurs puisqu’elles permettent d’avoir une idée de la variété des demeures et des programmes et du train de vie des propriétaires ; elles constituent donc l’indice concret d’un niveau social29.

33En effet, la demeure du petit épicier Arnaud d’Avignonet, rue de la Daurade, décédé en 1400, ne semble contenir qu’un ouvroir, une pièce assurant à la fois les fonctions de salle et de chambre et une chambre à l’étage30. En 1448, de la maison du savetier Jean Cordier ne sont mentionnés que l’ouvroir, la chambre et le cellier. En 1445, Jean Delfau ne paraît avoir vécu que dans trois pièces : une chambre « basse » et, au-dessus, la salle et une autre chambre. La veuve de Pierre Michel ne possède semble-t-il que deux chambres en 142031. On peut penser qu’il s’agit là de pièces en location.

34Parmi les plus vastes hôtels urbains évoqués par les inventaires toulousains, on trouve celui de noble Bertrand Tornier, rue Temponières (1402), que l’étude de V. Lamazou-Duplan a permis de bien reconstituer32. L’édifice comprend ainsi au moins deux corps de bâtiment et une grande tour habitable. Au rez-de-chaussée se trouvent les écuries, les celliers, le chai, et la boulangerie. À l’étage peuvent être replacées la salle, la chapelle, la chambre du maître et sa dépense et celle de la maîtresse à l’intérieur de la tour. Au-dessus, d’autres chambres, des resserres et sans doute des galeries de circulation. Enfin, la chambre haute de la tour surmonte les bâtiments. À cet ensemble, il faut ajouter la cuisine, les escaliers et les corridors que l’imprécision du texte n’a pas permis de replacer. Au total, un édifice très vaste muni de nombreuses pièces, une tour, et, chose plus exceptionnelle, une chapelle privée intégrée à la demeure selon un modèle issu des palais princiers. Plus modeste mais toujours dans la même gamme, l’hôtel de Guilhem Azémar, rue Fauga, décédé en 1401, possédait un hôtel avec tour, un large porche, une salle basse, des écuries, un cellier en sous-sol, deux chambres en rez-de-chaussée et cinq autres à l’étage33. Dans une gamme moyenne, l’épicier Jean Capelle vit en 1387 dans une demeure comprenant un ouvroir jouxtant une petite chambre où dorment les valets. À ce niveau se trouvent également une cuisine et une autre chambre. La salle est à l’étage ainsi que trois autres chambres34.

35Le mobilier mentionné également par ces inventaires peut être révélateur d’un certain train de vie, bien qu’il soit peu varié. L’aisance, selon Philippe Wolff, se marquait plus par l’abondance et l’entretien du mobilier courant que par la possession de meubles particuliers35. Ce mobilier courant est constitué, à Toulouse comme ailleurs, de tables, souvent pliantes, et de leurs escabeaux, des bancs, des tabourets et plus rarement des chaises. Toutes sortes de contenants servant au rangement, du coffret au coffre, des dressoirs et des armoires. Enfin, les lits sont omniprésents, avec ou sans courtines36. Pour s’éclairer, on utilisait des chandelles et des candélabres portatifs ou fixés au mur. Des seaux pour puiser l’eau avec leur chaîne évoquent la présence de puits. Des accessoires tels que chenets ou pelles à feu témoignent de l’existence de cheminées37. Cuves, bassins et aiguières pour la toilette sont également présents38. La vaisselle paraît très simple, même parmi les plus riches, elle est essentiellement constituée de pièces en cuivre, en fer et surtout en bois ; quelques rares pièces en argent sont inventoriées chez Guilhem Azémar en 140139.

36Si les textes permettent de mieux rentrer dans l’univers privé de l’homme du Moyen Âge, grâce aux mentions des lieux associés à leur fonction et au mobilier qui garnit les pièces de la maison, l’image que l’on peut se faire du bâtiment reste considérablement floue. L’idéal du chercheur réunissant sur une même demeure textes et vestiges, ne s’est malheureusement que très partiellement réalisé avec l’hôtel des Maurand.

37Cependant, entre vestiges et textes, une gamme de demeures toulousaines commence à être bien cernée : celle des grandes familles patriciennes telles que les Maurand, les Vinhas, les Ysalguier, les Capdenier, les Tornier, les Azémar… Ces édifices, élevés sur de grandes parcelles, se caractérisent par la présence de plusieurs corps de bâtiments avec cour et jardin, englobant une tour et de nombreuses pièces dont certaines aux fonctions bien spécialisées. Les données restent en revanche très maigres pour l’habitat modeste, apparemment non conservé en élévation, que les inventaires évoquent avec trop peu de détails. On entrevoit cependant cet habitat par le biais de l’archéologie sédimentaire, exhumant quelques rares vestiges d’édifices bâtis en terre ou en pans de bois40 ; il semble en effet que seules les fouilles du sous-sol puissent apporter des informations sur ce type d’habitat à Toulouse.