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Toulouse, une métropole méridionale

 | 
Bernadette Suau
, 
Jean-Pierre Almaric
, 
Jean-Marc Olivier

Savoirs et transmission des connaissances

La Bibliothèque et la vie culturelle à Toulouse de sa création à nos jours

Marianne Miguet

Résumé

Comment, depuis sa constitution à la fin du XVIIIe siècle, dans la dynamique des Lumières, jusqu’à nos jours, la Bibliothèque de Toulouse s’est efforcée d’être partie prenante de la vie intellectuelle dans la cité en initiant, accueillant et accompagnant la créativité régionale sous toutes ses formes.

Texte intégral

1Depuis quatre-vingts ans le lecteur est accueilli à la Bibliothèque de Toulouse par deux magnifiques statues : « La jeune Littérature » et « La Littérature classique ». Ce duo de pierre, sculpté par Henry Parayre, symbolise bien les ressources qui y sont offertes et l’esprit qui devrait y présider. La bibliothèque poursuit effectivement l’idéal d’une cohabitation fructueuse entre la tradition et la contemporanéité, voire la tradition et l’avant-garde.

  • 1 Remerciements pour leur aide à Florence Courtial, conservateur à la Bibliothèque de Toulou (...)

2Nous allons tenter d’esquisser comment, de la fin du xviiie siècle jusqu’en ce début de troisième millénaire, la Bibliothèque de Toulouse a évolué au fil des contraintes historiques et matérielles, tout en restant fidèle à cet esprit1.

La création sous le signe des Lumières

3L’institution voit le jour en 1782, dans les dépendances du collège royal, actuel lycée Pierre-de-Fermat, rue Lakanal, grâce à l’archevêque de Toulouse Étienne-Charles Loménie de Brienne (de 1763 à 1787) et ses débuts sont prometteurs. Si l’orthodoxie de ce prélat fut toujours suspecte (Louis XVI lui aurait dit : « Monsieur le Cardinal, faites au moins semblant de croire que vous croyez en Dieu »), ses qualités d’administrateur à Toulouse et en Languedoc demeurent indiscutables.

L’archevêque E.-C. Loménie de Brienne

4Ce bibliophile exceptionnel, familier des Lumières, savait l’importance des bibliothèques pour la diffusion des sciences et de la pensée. Il mit donc tout en œuvre pour doter Toulouse d’un établissement conforme à ses vues. Il entendait que la bibliothèque fonctionnât en étroite union avec l’enseignement dispensé dans le cadre du collège royal, où des prêtres séculiers avaient succédé aux enseignants de la Compagnie de Jésus après l’expulsion de ceux-ci en 1767. Il proposa comme bibliothécaire Jean Castilhon (1720-1799), Toulousain d’origine, lui aussi adepte des Lumières. Cet homme de lettres, journaliste et écrivain, était bibliophile. Ce choix s’avéra décisif pour la réussite et la pérennité de son projet.

5En effet, Jean Castilhon sut concilier les devoirs de sa fonction et sa mission d’homme de lettres engagé dans la cité. Comme bibliothécaire, il fit des acquisitions d’une qualité déterminante, telles que les collections de l’astronome Garipuy et celles du poète et grand bibliophile Lefranc de Pompignan. Comme personnalité locale, il donna des cours de littérature, prononça en diverses circonstances des discours fondateurs, et se chargea, à la demande de Loménie de Brienne, de la création d’un « musée » sur le modèle du « musée » parisien d’Antoine Court de Gébelin.

6C’est avec passion qu’il assuma son rôle de premier plan dans le concert académique particulièrement brillant de la Toulouse du xviiie siècle.

  • 2 Maurice Caillet, « Un ami des Lumières, Jean Castilhon », Humanisme actif, mélanges de lit (...)

7Il faut également souligner le rôle capital de Jean Castilhon2 pendant la Révolution française. Il officiait depuis sept ans déjà au collège royal quand survinrent les événements qui allaient balayer toutes les institutions de l’Ancien Régime : l’Église, le parlement, le capitoulat, l’université, l’académie, la bourse des marchands.

8Dès les premières mesures de suppression, il comprit les dangers qui menaçaient le patrimoine culturel et tira parti de la crise pour mettre ces richesses à la disposition de la nation. En effet, de considérables fonds de livres précieux risquaient d’être aliénés ou détruits : d’abord les collections des bibliothèques des grands établissements religieux, puis celles des sociétés savantes et des collèges de l’université, enfin celles des émigrés et des condamnés.

9En octobre 1790, Castilhon présente aux administrateurs du district un mémoire justifiant la création par la ville d’une bibliothèque publique à partir de la bibliothèque du collège royal devenu national. Dans ce mémoire, il suggère que ce fonds soit complété par des ouvrages prélevés sur les collections des couvents que l’on avait fermés. Il assure ainsi le passage des fonds saisis dans les communautés religieuses vers le patrimoine public.

10Il définissait dans ce remarquable document les qualités que devait posséder un bibliothécaire digne de ce nom et terminait en demandant que, parallèlement à ces bibliothèques, soient ouverts des musées où seraient réunis, pour l’éducation des artistes, les peintures et les sculptures saisies dans ces mêmes établissements dissous.

  • 3 Chargé par les administrateurs du district et du département de l’application des mesures (...)

11Ce mémoire fut d’ailleurs à l’origine des mesures conservatoires prises par le district de Toulouse3, en accord parfait avec les textes mis au point par le comité d’instruction publique de l’Assemblée constituante pour assurer la sauvegarde des collections. Castilhon saura maintenir son activité et surmonter les périodes critiques, en particulier celle de la Terreur.

12Il sera nommé bibliothécaire de l’école centrale de la Haute-Garonne et obtiendra que la bibliothèque reste ouverte au public, « aussi libéralement qu’elle l’était auparavant ».

13Même âgé, il ne perdit rien de sa flamme pour les Lumières et de sa passion didactique. Toulouse, privée de ses académies, en avait gardé la nostalgie. Dès que les circonstances le permirent, Castilhon participa activement à la naissance d’un groupement littéraire pouvant prendre la relève de ces institutions disparues. C’est ainsi que la « Société du Lycée », dont il fut le président, vit le jour.

14Il disparaît en 1799, laissant la réputation d’un homme de bien, d’un doctrinaire convaincu mais sans âpreté, et d’un écrivain élégant. Né pour le travail méditatif du cabinet, il sut, quand les circonstances l’exigèrent, se muer en homme d’action.

15Il a été un des premiers et des plus efficaces pour assurer le sauvetage de l’essentiel des anciennes bibliothèques et contribuer, par la mise en pratique de conceptions novatrices, à la naissance de ces établissements qui, dans la France entière, servent encore aujourd’hui d’assises solides à la lecture.

Un xixe siècle et un début de xxe siècle difficiles

16Après la période post-révolutionnaire, sur laquelle des recherches restent à faire, commence une longue période pendant laquelle la bibliothèque fonctionne difficilement, comme étouffée par trop de richesses inutilisées. Car, tout au long du xixe siècle, la bibliothèque, confinée dans des locaux inadaptés, se limite à offrir ses services aux érudits locaux. Faute d’espace, de personnel et de moyens d’édition, son rôle se cantonne à celui d’un grand dépôt sous-exploité. Certes, les bibliothécaires sont partie prenante des académies savantes et participent, par leurs travaux personnels, à la vie intellectuelle de la cité. Mais ils sont submergés par l’immense tâche que constituent l’établissement de catalogues et la conservation des collections.

17En cette matière, la palme revient au bibliothécaire Henri Pont (en fonction de 1828 à 1882), qui officia pendant plus de cinquante ans. Il aurait catalogué près de soixante dix mille ouvrages. En 1860, il participe à l’épopée que fut la réunion des fonds de la bibliothèque du clergé à ceux du collège, autre étape importante qui double le fonds mais accroît encore les problèmes de stockage.

18Un rapport officiel souligne l’état catastrophique de l’établissement dans un long lamento dont voici quelques passages :

  • 4 F. Astié, Commission municipale, séance du 11 juillet 1868, rapport, Toulouse, 1868, 53 p.

Tous les bibliothécaires s’épuiseront sur les tâches de catalogage, besogne de Pénélope sans cesse recommencée et sans cesse perfectible […]. Toutes les richesses de notre bibliothèque sont aujourd’hui entassées dans une suite de salles irrégulières, anguleuses, mal éclairées et tellement encombrées qu’on peut à peine s’y mouvoir […]. Les rayons ploient sous le poids des livres et, descendant jusqu’au niveau du sol, laissent les volumes des rangs inférieurs trop exposés à la poussière et aux éclaboussures. On est vraiment attristé et humilié…4

Anciens locaux de la rue Lakanal (1785-1935)

  • 5 Eugène Lapierre, Formation et organisation de la bibliothèque publique de la ville de Toul (...)
  • 6 Eugène Lapierre fut membre de la Société archéologique du Midi de la France, de la Société (...)

19Le successeur d’Henri Pont, Eugène Lapierre, en fonction de 1882 à 1892, reprend l’idée d’un fonds toulousain et élargit les heures d’ouverture de la bibliothèque, mesure qui, dit-il, « amène immédiatement un nombre considérable de travailleurs »5. On lui doit de nombreux articles pour la presse concernant le théâtre et l’histoire, en particulier un travail considérable de mise en valeur des archives du parlement de Toulouse6.

Caricature d’Eugène Lapierre (pastel)

20En 1865, le projet d’une nouvelle bibliothèque installée dans le couvent des Jacobins échoue et le bibliothécaire suivant, Maurice Massip (en fonction de la fin du xixe siècle à 1914), est obligé de faire transporter une partie des collections dans les greniers pour que les rayons puissent accueillir de nouvelles acquisitions.

21Pendant la guerre de 1914-1918, la Bibliothèque municipale est dirigée par Eugène-Humbert Guitard. Il y met en place l’Office économique, créé pour fournir toute information utile au redressement du pays dans les domaines de la vie économique, de l’agriculture, des finances, des arts, etc. Ce service de référence, sorte de BPI (Bibliothèque publique d’information, établissement majeur installé dans le Centre Pompidou à Paris) avant l’heure, est doté de douze mille volumes, trois mille cinq cents fiches manuscrites, cent cinquante annuaires et mille journaux. Il s’emploiera par ailleurs à ce que la mairie crée un « Office d’esthétique urbaine » afin de juguler les actes de vandalisme alors nombreux.

  • 7 Patricia Fontan-Moreaux, Sous la plume et sur les traces d’Eugène-Humbert Guitard, thèse p (...)

22En 1920, il démissionne de ses fonctions à la bibliothèque pour prendre la direction de la librairie Marqueste au 7 de la rue Ozenne et fonder les éditions Occitania, à Toulouse en même temps qu’à Paris7. Il édite les meilleurs poèmes de ses amis Perbosc et Estieu, ainsi que de nombreux livres d’histoire.

23Mais la situation de la bibliothèque n’est toujours pas brillante comme l’évoque en 1921 l’écrivain Louis Gratias :

  • 8 Le beau poète de L’Âge d’or, de La Belle Journée, du Livre des plaisirs et des regrets, av (...)
  • 9 Louis Gratias, le Nouveau visage de Toulouse, Paris, Corti, 1934.

Je me souviens de l’ancienne bibliothèque municipale… je revins dans cette salle si peu hospitalière pour voir Marc Lafargue8 […] Marc Lafargue, derrière des piles de livres, offrait son vaste front […] Avant d’être à lui, il fallait longer les trois longues tables autour desquelles sommeillaient quelques vieillards dans une pénombre favorable, tandis qu’intrépides, quelques étudiants, deux ou trois étudiantes s’épuisaient à lire dans les ouvrages qu’on venait de leur remettre.9

Marc Lafargue, Autoportrait (huile sur carton)

La création de la bibliothèque rue de Périgord, « palais de la lecture pour le peuple » ou « temple de la pensée »

24En 1935, la bibliothèque de la rue de Périgord ouvre enfin, mettant un terme à cette situation catastrophique. Conçue par l’architecte Jean Montariol, construite sur l’emplacement de l’ancien couvent des Carmélites, elle offre au public un établissement longtemps sans équivalent en France.

  • 10 Luce Barlangue et Louis Peyrusse, Les Artistes de la Bibliothèque municipale, Toulouse 193 (...)

25Ce bâtiment tant attendu est une des plus spectaculaires réalisations de la municipalité socialiste, dirigée, à partir de 1925, par Étienne Billières (1876-1935). Celle-ci entendait, par une politique de grands travaux et d’équipements publics, combattre la crise économique et améliorer la vie des Toulousains10.

Bibliothèque municipale, la grande salle de lecture, projet, 1929, aquarelle de l’architecte Jean Montariol

26L’inspecteur général des bibliothèques, Pol Neveux, dès le début très attentif au projet, en définit la mission dans un discours révélateur des ambitions d’alors :

  • 11 Ville de Toulouse, Nouvelle bibliothèque municipale, inauguration (30 mars 1935), discours (...)

Cette maison sera celle de l’érudit, du savant et de l’humaniste comme de tous ceux, à quelque condition sociale qu’ils appartiennent, qui auront à cœur d’orner librement leur intelligence ou simplement de demander aux livres de beaux rêves consolateurs.11

  • 12 Ville de Toulouse, ouv. cité, p. 43, 53.

27Quant au discours inaugural du bibliothécaire François Galabert (en fonction de 1920 à 1937), il s’évertue à faire une louange si exhaustive des agréments de ce « palais » qu’il va jusqu’à évoquer « les sous-sols luxueux que vous ménagea l’architecte, attentif à donner satisfaction aux nécessités impérieuses de vos natures humaines. Ils sont si perfectionnés, si attrayants, j’allais dire si alléchants que les plus endurcis se laisseront séduire et, sans le secours de la pharmacopée laxative, se trouveront instantanément soulagés… », considérations hygiénistes plutôt crues, qui ne manquent pas de sel venant d’un digne protestant. Il conclut par cette invocation : « Apollon, ta coupole est peut-être un peu haute, mais ce n’est pas à toi, dieu de l’idéal, à descendre vers nous, c’est nous qui monterons vers toi »12.

28Pour autant l’unanimité ne se fait pas autour de cette nouvelle bibliothèque et le poète Armand Praviel (1875-1944) s’indigne de ce palais inutile, destiné à satisfaire les syndicats et où les véritables intellectuels ne pourront pas trouver, selon lui, le calme et la sérénité nécessaires à leurs recherches.

  • 13 Suzanne Kravtchenko, « Bibliophiles toulousains », Réforme, 19 juillet 1947, n° 122, p. 5.

29Mais tous les publics sont délibérément accueillis pour utiliser cette bibliothèque encyclopédique, offerte à tous en partage, et Suzanne Dobelmann-Kravtchenko, directrice de 1937 à 1950, décrit le spectacle de bibliophiles raffinés, à l’esprit ouvert, côtoyant avec courtoisie et intérêt d’autres lecteurs malgré des opinions parfois opposées et des situations sociales contrastées13. Nous pourrions dire strictement la même chose aujourd’hui : comment ne pas jubiler, le jour où l’on peut constater, dans la salle régionale de Périgord, la présence simultanée d’un académicien des Jeux floraux préparant son allocution, d’un pasteur de la Maison des chômeurs de La Reynerie venu faire des recherches archéologiques, d’élèves des lycées voisins révisant très amicalement leur bac, d’une journaliste de Toulouse-Mag venue préparer son prochain article…

Suzanne Kravtchenko à la Bibliothèque pour la jeunesse.

30Car cette bibliothèque, tout en restant un lieu de recherche, va prendre une dimension pédagogique et sociale avec la création pendant les années sombres d’une bibliothèque pour la jeunesse appelée « l’Heure joyeuse », sur le modèle de celle de Paris. Cette bibliothèque sera constituée, à ses débuts, pour les enfants réfugiés de Belgique et du Nord de la France. D’anciens collègues ont témoigné que, pendant ces années de l’Occupation, des clandestins ont pu, parfois, trouver refuge dans les sous-sols de la bibliothèque de Périgord. Dans les années 1950, l’élan d’ouverture se poursuit avec la création d’une bibliothèque de prêt pour les adultes dans l’entresol de Périgord puis, à partir de 1970, l’implantation de bibliothèques de quartier et d’un bibliobus.

Aujourd’hui

31Actuellement, avec la création progressive de nouvelles bibliothèques dans les quartiers de la ville, les missions sociales, éducatives, scientifiques et culturelles se trouvent confirmées et amplifiées. Les réalisations récentes et à venir des quartiers du Mirail, d’Empalot, des Izards et des Pradettes correspondent à un objectif précis : œuvrer à instaurer une véritable mixité sociale et générationnelle.

La médiathèque José-Cabanis, tête de pont du réseau

  • 14 Pierre Jullien, « Une arche ouverte sur la ville : médiathèque José-Cabanis », Bibliothèqu (...)

32On doit ce bâtiment moderne et imposant14, ouvert en 2003, à l’architecte Jean-Pierre Buffi. Pour l’aménager on a fait appel à des designers contemporains. Les tapisseries des années 1950 de Marc Saint-Saëns sont bienvenues pour réchauffer le béton. Elle a réussi le pari de toucher un très vaste public (trois mille personnes par jour), auquel elle propose une offre considérable et très diversifiée de prêt de documents, d’accès aux nouvelles technologies, de rencontres et d’animations en liaison souvent avec l’actualité culturelle régionale ou générale.

La médiathèque José-Cabanis, ouverte en 2003

Lecture publique

33Dans les quartiers, vingt bibliothèques de proximité offrent des collections mises à jour, l’accès aux nouveaux supports et aux nouvelles technologies, dans un cadre aux équipements soignés : on a opté pour un mobilier et une décoration de qualité pour le grand public. Les bibliothèques de quartier proposent de fréquentes animations menées avec les associations et les écoles de quartier.

La BEP : Bibliothèque d’étude et du patrimoine (rue de Périgord)

34Elle ouvre à nouveau ses portes en 2003, après trois ans de grande rénovation. Les espaces sont redistribués, dotés d’équipements électroniques et de collections en accès libre. Deux salles sont consacrées à la documentation régionale et au patrimoine. Les galeries et les halls d’entrée offrent en permanence des présentations thématiques et, régulièrement, de grandes expositions qui font l’objet de publications et parfois de colloques. C’est un lieu d’élaboration et de partage du savoir, grâce à une politique d’acquisition infiniment plus active qu’autrefois et à des moyens accrus qui ont entraîné une mutation de l’institution. L’intérêt pour la créativité régionale est le même, avec peut être une plus large diversité et la prise en compte de nouveaux aspects.

La bibliothèque de Périgord en 2003, après sa rénovation

  • 15 Jean Goasguen et Anne-Marie Duffau, Le fonds régional de la Bibliothèque de Toulouse, Lyon (...)

35Il faut souligner l’importance du domaine régional et occitan à la BEP dans les fonds anciens et modernes. Ce fonds régional est exceptionnel15, il conserve, entre autres documents rares et précieux, des archives d’auteurs parmi lesquelles les fonds Rémusat, Marc Lafargue, Antonin Perbosc et, récemment, José Cabanis.

36Le service régional s’emploie à rassembler la documentation la plus large possible par des achats chez les libraires régionaux ou dans les ventes publiques. Ces acquisitions peuvent être aussi à titre gracieux, comme les trente ans de correspondance avec José Cabanis, offerte par un fidèle de l’académicien toulousain.

37Le dépouillement de revues régionales : ce travail complète une des principales richesses du fonds régional, une multitude de recueils factices où sont rassemblés des extraits et des tirés à part de revues savantes, colloques – comme celui-ci –, témoignages de la créativité de nos auteurs et source d’information très utilisée. À partir de cet ensemble, on peut aborder des périodes ou des sujets jusqu’alors oubliés.

Publications

38La bibliothèque a édité, depuis les années 1940, plus de cent publications qui traitent pour la plupart du patrimoine et de l’histoire régionale. Initiées par des chercheurs ou des collectifs les plus divers et réalisées parfois en coopération avec eux, elles peuvent faire suite à des colloques (« Le Tango de Carlos Gardel », « Vous avez dit tolérance : les protestants français au xviiie », « Toulouse à l’époque romantique », « L’humanisme à Toulouse ») et faire l’objet de présentation sur l’un ou l’autre des sites du réseau (« Cabanis », « Edmond Dulac » prévu pour fin 2008). La bibliothèque a publié la seule étude consacrée à José Cabanis qui avait peu de chances de trouver un éditeur.

Manifestations

39Animations, conférences et présentations d’auteurs sont fréquentes et se déroulent dans l’ensemble du réseau.

  • 16 Pour mémoire : « Quinze ans d’acquisitions », « Cheyne éditeur de poésie et de livres d’ar (...)

40La bibliothèque a organisé régulièrement de grandes expositions : À l’occasion du bicentenaire de l’édit de Tolérance, une manifestation de portée nationale « Vous avez dit tolérance, les protestants français au xviiie siècle – Toulouse », créée avec l’historienne Janine Garrisson ; « Toulouse à l’époque romantique », présentée à la fois à la bibliothèque de la rue de Périgord et à l’université de Toulouse-le-Mirail ; « L’humanisme à Toulouse », présentée en collaboration avec des universitaires de Toulouse et, en 2005-2006, « Les artistes de la Bibliothèque municipale, Toulouse, 1935 », évocation, à l’occasion du centenaire de la SAM (Société des artistes méridionaux), de la vie politique artistique et intellectuelle des années 1930, autour de ce monument qui en est la représentation emblématique. On ne peut passer sous silence les expositions qui se succèdent et permettent de présenter les fonds de la bibliothèque16.

  • 17 Cette exposition intitulée « Toulouse, une ville des écrivains » a été présentée par la su (...)

41La bibliothèque a souvent fait œuvre de pionnier. Ainsi, en 1990, elle a permis au public de découvrir les auteurs régionaux connus ou débutants (historiens, romanciers, auteurs de romans policiers, poètes, etc.). L’opération, menée en partenariat avec la jeune revue littéraire Porte-plumes17, lança une dynamique de rencontre avec les écrivains de la région qui fut relayée ensuite par les libraires, après la fermeture pour rénovation du site de Périgord.

Les écrivains de Toulouse à la bibliothèque, 1998

42Promotion du livre « traditionnel » donc, mais aussi d’une des nouvelles formes contemporaines du texte puisque, durant tout le mois de juin 2007, la médiathèque José-Cabanis a proposé au public de s’initier au slam.

43Dernier exemple : le premier Salon du livre de Toulouse s’est tenu dans la bibliothèque de Périgord en 1982, dans le cadre de « la Fureur de lire » instituée par Jack Lang. La bibliothèque s’y est associée de diverses manières : « Fureur de lire » sur le thème du voyage, déploiement d’un calicot arborant un poème de Baudelaire sur la façade, panneaux calligraphiés par les jeunes de l’atelier d’écriture de Bagatelle (animé par le poète Christian Le Bars), ballets d’inspiration africaine évoluant sous la coupole, étals de bouquinistes installés dans la cour de la bibliothèque…

44L’ensemble du réseau des bibliothèques s’implique également dans les grandes manifestations culturelles de la ville, telles que le « Marathon des mots » ou le « Printemps des poètes ».

Conclusion

45Tous ces exemples illustrent à quel point les acteurs engagés dans le champ culturel et intellectuel – auteurs, éditeurs, libraires, enseignants, chercheurs, membres de sociétés savantes, etc. – sont les partenaires actifs et permanents de la bibliothèque, confirmant ainsi la place de celle-ci dans la vie intellectuelle de Toulouse.

46La bibliothèque est aujourd’hui à la croisée des chemins et se doit de relever un défi ambitieux : celui de perpétuer ses deux traditions de mise à disposition des connaissances relayées par le livre et d’acteur de la vie culturelle, tout en proposant à ses publics de nouvelles perspectives.

47Car l’acception ancienne d’une bibliothèque, entendue strictement comme un « lieu où l’on trouve et emprunte des livres », est révolue. Sous l’impact des nouvelles technologies de la communication et de l’information, mais aussi des mutations sociologiques actuellement à l’œuvre qui changent les mentalités et font évoluer les attentes des usagers, les bibliothécaires sont invités à repenser leur identité professionnelle et leurs missions. Les lecteurs attendent désormais des bibliothèques qu’elles soient, à l’exemple de ce qui se pratique dans les pays anglo-saxons, d’authentiques lieux de vie où l’on puisse non seulement étudier mais aussi se rencontrer, communiquer électroniquement avec l’extérieur, découvrir la culture sous ses multiples formes, se former au multimédia…

48Toute la difficulté est là : concilier des missions traditionnelles d’érudition et de recherche, et rester parfaitement en phase avec les mutations des pratiques contemporaines.

49Au vu de ce modeste survol historique, n’est-ce pas, après tout, qu’une péripétie de plus dans la saga de la bibliothèque ? Depuis plus de deux cent cinquante ans, la bibliothèque est un pôle actif de la cité : elle demeure parce qu’elle a su changer. Elle s’est ouverte et renouvelée à chaque grande étape de la démocratisation du savoir et de l’accès à la culture. Elle s’y est employée en maintenant son exigence d’ouverture et de qualité et en poursuivant son dialogue avec les forces réflexives et créatives de la communauté toulousaine et régionale.

« La Fureur de lire », sur le thème du voyage, 1992.

Notes

1 Remerciements pour leur aide à Florence Courtial, conservateur à la Bibliothèque de Toulouse, et à Zoé Fachan.

2 Maurice Caillet, « Un ami des Lumières, Jean Castilhon », Humanisme actif, mélanges de littérature offerts à Jules Cain, Paris, 1935, p 21-35.

3 Chargé par les administrateurs du district et du département de l’application des mesures de sauvegarde de tous les objets et documents présentant de l’intérêt pour l’éducation publique, Castilhon, après avoir présidé à la naissance du Muséum, l’actuel musée des Augustins et s’être assuré que la bibliothèque du Collège devenu national serait maintenue, mit tous ses soins à recueillir et à inventorier la masse énorme des livres nationalisés – la plus importante, fait-il observer, après celle des dépôts parisiens. Il est nommé, en 1794, président de la commission bibliographique chargée par le district de Toulouse de cataloguer les livres rassemblés dans « les bibliothèques nationales ». Tâche écrasante pour une équipe de dix-huit membres (dont seulement six assidus) de classer et de cataloguer les livres enlevés aux bibliothèques conventuelles puis, à partir de 1792, à celles des émigrés et des condamnés. Il ne cessa d’être l’âme énergique de cette commission dans des conditions plus que difficiles.

4 F. Astié, Commission municipale, séance du 11 juillet 1868, rapport, Toulouse, 1868, 53 p.

5 Eugène Lapierre, Formation et organisation de la bibliothèque publique de la ville de Toulouse, Toulouse [ca 1890], 14 p.

6 Eugène Lapierre fut membre de la Société archéologique du Midi de la France, de la Société de Législation, de l’Académie des Jeux floraux. La Bibliothèque lui doit cent vingt-sept œuvres répertoriées.

7 Patricia Fontan-Moreaux, Sous la plume et sur les traces d’Eugène-Humbert Guitard, thèse pour le diplôme d’État de docteur en pharmacie, Toulouse, 2003.

8 Le beau poète de L’Âge d’or, de La Belle Journée, du Livre des plaisirs et des regrets, avait été contraint d’accepter un poste de bibliothécaire.

9 Louis Gratias, le Nouveau visage de Toulouse, Paris, Corti, 1934.

10 Luce Barlangue et Louis Peyrusse, Les Artistes de la Bibliothèque municipale, Toulouse 1935, Toulouse, 2005, 84 p.

11 Ville de Toulouse, Nouvelle bibliothèque municipale, inauguration (30 mars 1935), discours, Toulouse, 1935, p. 37.

12 Ville de Toulouse, ouv. cité, p. 43, 53.

13 Suzanne Kravtchenko, « Bibliophiles toulousains », Réforme, 19 juillet 1947, n° 122, p. 5.

14 Pierre Jullien, « Une arche ouverte sur la ville : médiathèque José-Cabanis », Bibliothèque(s), mai 2004, p. 18-19.

15 Jean Goasguen et Anne-Marie Duffau, Le fonds régional de la Bibliothèque de Toulouse, Lyon, 1979, p. 434-468.

16 Pour mémoire : « Quinze ans d’acquisitions », « Cheyne éditeur de poésie et de livres d’artistes », « Entre les lignes de la portée », « Monstres, chimères et dragons », « Walter Benjamin : fragments », « Michel Butor », « Le passé décomposé », Dante Alighieri et la Commedia », « La philosophie d’hier et d’aujourd’hui », « Emmanuel Lévinas », « Bleu : voyage autour d’une couleur », « Je vous écris des Pyrénées », « Des toros et des livres », « Pierre-Jules Hetzel », « L’Espace du poème depuis Mallarmé », « La Chine dans le miroir »…

17 Cette exposition intitulée « Toulouse, une ville des écrivains » a été présentée par la suite au Centre Georges-Pompidou.

Table des illustrations

Légende L’archevêque E.-C. Loménie de Brienne
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34186/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 47k
Légende Anciens locaux de la rue Lakanal (1785-1935)
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34186/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 60k
Légende Caricature d’Eugène Lapierre (pastel)
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34186/img-3.jpg
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Légende Marc Lafargue, Autoportrait (huile sur carton)
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34186/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 18k
Légende Bibliothèque municipale, la grande salle de lecture, projet, 1929, aquarelle de l’architecte Jean Montariol
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34186/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 85k
Légende Suzanne Kravtchenko à la Bibliothèque pour la jeunesse.
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34186/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 30k
Légende La médiathèque José-Cabanis, ouverte en 2003
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34186/img-7.jpg
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Légende La bibliothèque de Périgord en 2003, après sa rénovation
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34186/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 61k
Légende Les écrivains de Toulouse à la bibliothèque, 1998
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34186/img-9.jpg
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Légende « La Fureur de lire », sur le thème du voyage, 1992.
URL http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/34186/img-10.jpg
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Auteur

Bibliothécaire, responsable du service de documentation régionale, Bibliothèque d’étude et du patrimoine de Toulouse (marianne1.miguet@wanadoo.fr).

© Presses universitaires du Midi, 2009

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