1En 1954, Henri Guérin, jeune peintre né en 1929, s’installe à Toulouse ; peu de temps après, il rencontre Dom Ephrem Socard, moine de l’abbaye bénédictine d’En Calcat dans le Tarn, qui lui propose de l’initier au vitrail et de partager avec lui ses commandes. Son destin de peintre verrier vient d’être scellé, indissociable de la dalle de verre utilisée par son maître, qui devient son matériau d’élection.

2Depuis lors, l’identité de son travail de peintre verrier réside autant dans le choix de son matériau, la dalle de verre, sa taille et sa mise en œuvre avec un joint de ciment, que dans ses capacités d’adaptation aux contraintes uniques, tant esthétiques que techniques, de chaque réalisation.

3En 2007, Henri Guérin poursuit une intense activité créatrice. Ses œuvres sont présentes dans plus de six cents lieux, non seulement en France mais dans le monde entier. Sa dernière commande vient de l’emmener en Suisse et ses dernières études concernent un projet en Jordanie.

4Nous avons choisi d’observer le processus de ces commandes hors des limites de sa région, de son pays, de regarder comment ce rayonnement loin de son atelier a contribué au développement et à l’épanouissement de sa créativité, tout autant qu’à sa renommée.

Les années 50 et 60

5Les dix premières années sont denses en réalisations pour des édifices religieux dans son périmètre géographique régional (Midi-Pyrénées et Aude). Elles sont marquées par la création de son propre atelier de vitrail en 1960, après sa collaboration avec le Père Ephrem.

6Dès le milieu des années 60, des commandes importantes en France (Paris, Marseille, Bordeaux) et la première réalisation à l’étranger au Canada donnent une impulsion majeure à son travail et le confrontent à la monumentalité. En effet, devant s’intégrer à des architectures contemporaines et à leurs ouvertures formant parfois des murs-rideaux, il crée des compositions puissantes qui structurent l’espace tout en maîtrisant la lumière de ces grandes plages vitrées. Ainsi, les 140 m² de vitraux qui habillent les murs de la chapelle ronde du Petit Séminaire d’Ottawa, réalisés en 1965 et qui constituent toujours à ce jour sa plus grande surface de vitraux créée pour un même lieu (fig. 100).

7Des rencontres à l’occasion de sa participation à des expositions de groupe à Paris, les Salons d’art sacré, puis les expositions de la SAD (Société des artistes décorateurs) au Grand Palais, sont à l’origine de commandes prestigieuses. Il réalise la grande verrière du Pavillon de France pour l’exposition universelle de Montréal, en 1967, avec l’architecte Jean Willerval. La Dépêche du Midi qui publie à la une en mars 1967 une photo de l’artiste dans son atelier pour relater cet événement contribue à asseoir sa renommée dans la région (fig. 101).

8Les contacts pris outre-Atlantique par le biais d’une galerie de New-York aboutissent à une belle réalisation, une dizaine d’années plus tard, avec la chapelle du Calvary Hospital de New-York. Réalisation tout à fait typique des expressions picturales de cette période par son lyrisme et sa palette contrastée de tonalités sourdes de bruns, pourpres, verts et bleus (fig. 102).

Les années 70-80

9Sa renommée lui permet de développer ses activités vers les édifices civils et les demeures privées, souvent en relation avec des travaux d’aménagement et de décoration intérieure. Il se confronte à d’autres disciplines artistiques (architecture, sculpture, design) lors de réalisations pour le 1 % culturel, par exemple. Il développe en outre une activité importante de peintre cartonnier de tapisseries avec les ateliers Pinton de Felletin (Creuse).

10Dans toute la France, de grandes commandes pour des édifices religieux lui permettent de réaliser de beaux ensembles complets, dont certains pour des édifices classés monuments historiques. Dans le domaine civil, les verrières de l’escalier Viollet-le-Duc du musée des Augustins de Toulouse constituent une de ses plus belles références de cette période.

11Dans ces deux décennies, ses réalisations se cantonnent cependant essentiellement à la France. Il faut attendre le début des années 90, pour voir se développer à nouveau des commandes pour l’étranger.

Depuis les années 90

12En Suisse, puis au Moyen-Orient et en Afrique, des réalisations d’ensembles complets vont marquer son œuvre vitrail et lui permettre d’élargir encore sa palette d’expression, allant de ses recherches de dialogue entre verre industriel et vitrail jusqu’à la figuration.

13Deux chantiers en Suisse inaugurent les années quatre-vingt-dix et témoignent de ses nouvelles mises en œuvre avec des transparences ou des translucidités : la chapelle de la paroisse italienne de Genève et la chapelle du collège du Rosey, à Rolle, avec leurs vitraux intégrés dans des surfaces vitrées traitées soit en sablage, soit en verre fumé (fig. 103).

14En 1991, à Jérusalem, pour la chapelle des Bénédictines du Mont-des-Oliviers, il met à profit ces nouvelles recherches pour s’adapter à l’esprit du lieu et tenir compte des contraintes climatiques, en créant de grandes verrières très vives pour retenir la lumière, encadrées d’ouvrants latéraux en verre fumé pour permettre la ventilation de l’édifice (fig. 104).

15En 1992, à nouveau en Suisse, dans l’église Saint-Julien de Meyrin près de Genève, apparaissent les premières figurations symboliques dans tout un ensemble de verrières inspirées du Cantique des Créatures de saint François d’Assise.

16Cette nouvelle expression trouve son plein accomplissement quelques années plus tard dans deux grands chantiers au Cameroun, avec la cathédrale de Bertoua en 1996, puis la basilique de Mvolyé à Yaoundé, en 1998. À Bertoua, les 100 m² de vitraux se répartissent sur de hautes et larges verrières qui permettent la composition de grandes fresques bibliques sur la thématique de la Sainte Famille, vocable de l’édifice : la Sainte Trinité dans le chœur, la Tige de Jessé couronnée de la Nativité à la tribune. Personnages et animaux sont représentés dans une figuration qui reste symbolique : têtes et visages sont simplement composés d’une pièce ovale de verre blanc. La volonté d’intégration à l’architecture et au lieu n’est pas oubliée pour autant puisqu’il invente des encadrements de claustras de briques à ses verrières pour permettre l’aération de l’édifice – claustras créés par le sculpteur toulousain Claude Lorentz (fig. 105). Par ailleurs, il n’y a pas de parti pris systématique au sein d’une même réalisation : ainsi tout un ensemble de petites verrières pour les bas-côtés est resté dans son expression habituelle de non figuration, en jeux de rythmes, de formes et de couleurs.

17Adaptation aux contraintes dont il fait preuve également à Yaoundé en 1998, en créant ici des verrières évidées, protégées par une paroi extérieure d’écailles de verre pour les surfaces exposées au vent et à la pluie (fig. 106). L’illustration du vocable de l’édifice – Marie, reine des apôtres – se fait ici aussi par des grandes fresques narratives : en façade, le Couronnement de la Vierge, encadré de scènes de la vie de Marie (les Noces de Cana, la Crucifixion) et dans les verrières latérales du chœur, d’un côté, les Femmes de la Bible, de l’autre, les Apôtres recevant l’Esprit Saint. Dans ces deux grands ensembles de narration symbolique (Bertoua et Yaoundé), les différences marquées de palette, d’échelle des scènes nous font prendre conscience ici aussi que l’intégration au lieu est essentielle.

18Jeux de rythmes et de matière également pour deux réalisations en Asie, en 1998 : la grande rosace du musée des Sciences pour enfants de Fukui au Japon, et la chapelle des frères de Saint-Jean à Cébu aux Philippines. Vitraux dans lesquels sont intégrées des lamelles de verre sur champ donnant de vifs éclats de lumière aux compositions, nouvelle invention de l’artiste (fig. 107).

19Pour la grande église du monastère des Clarisses de Windhoek en Namibie, en 2002, il épanouit son style de narration symbolique dans une monumentale verrière triangulaire, portant un grand oiseau, symbole du Saint Esprit, au sein des flammes du buisson ardent ; puis en 2004, dans deux grands arcs majestueux, il déploie le Cantique des Créatures de saint François, thème déjà choisi à Saint-Julien de Meyrin en Suisse en 1992. La poésie et la grâce qui émanent de cette composition font écho pour l’artiste aux liturgies de ces moniales qui vivent la louange de Dieu en dansant et chantant aux rythmes des musiques inspirées des traditions de leur pays ; liturgies qui ont nourri à leur tour son inspiration artistique, sa palette et ses harmonies (fig. 108).

20En 2006, une commande pour la chapelle de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem le ramène à un dialogue avec la nature par des transparences : les vitraux en suspension devant les fenêtres de la nef reçoivent latéralement le luxuriant cadre végétal du jardin du couvent (fig. 109).

21Tout récemment, en 2007, pour la crypte du monastère du Grand Saint-Bernard en Suisse, une confrontation avec un élément naturel fort, la haute montagne et son environnement enneigé une bonne partie de l’année, lui fait composer deux puissantes verrières (fig. 110).

22Enfin, sa toute dernière étude, un très important ensemble de vitraux pour une église en Jordanie, lui a donné de renouer avec une représentation symbolique de grands thèmes évangéliques de la vie du Christ.

23Cette évocation rapide des réalisations d’Henri Guérin hors de France donne la mesure de l’importance de ce créateur pour l’histoire du vitrail contemporain. Chaque nouvelle création, toujours œuvre unique et conjoncturelle – comme nous venons de le voir pour chacune des réalisations internationales – vient enrichir cet extraordinaire répertoire de vitraux tout en portant la marque picturale de l’artiste par sa facture, sa palette et sa rythmique. En effet, que ce soit dans des compositions abstraites de jeux de rythmes et de couleurs, les plus fréquentes dans son œuvre, ou dans des figurations symboliques, la patte de l’artiste est toujours reconnaissable. Elle tient à la relation indissociable entre sa technique et son expression picturale. Henri Guérin le dit lui-même : « Je suis un peintre qui peint avec du verre ». Il a incarné sa vocation de peintre dans un matériau, la dalle de verre, et de cette matière, il a fait surgir son expression picturale intime, depuis toujours liée à la lumière. Il ne se contente pas de transposer une peinture en verre : il compose sur sa table de taille selon un processus de création continu, depuis une petite maquette gouachée jusqu’à la réalisation du vitrail, en auteur compositeur interprète uniquement de ses propres projets, et cela depuis plus de cinquante ans. Sa palette de couleurs, ce sont ses rayonnages de dalles de verre – plus de huit cents tons créés pour lui en région parisienne par le verrier Gérard Albertini, d’origine vénitienne.

24Ainsi, tous ces vitraux issus d’un travail de longue patience et dispersés aux quatre coins du monde venus à la lumière panneau après panneau, dans son modeste atelier, installé dans une partie de sa maison familiale de Plaisance-du-Touch, près de Toulouse, ont porté loin le nom de sa ville d’adoption et en retour ont largement contribué à y faire reconnaître son talent (fig. 111 et 112).

25« Je n’oublie jamais quand je regarde une œuvre désormais immobile et silencieuse qu’elle est née d’un homme en mouvement. Centre tumultueux dont tout l’être s’est immobilisé à la pointe d’un œil, d’une main ».1