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Toulouse, une métropole méridionale

 | 
Bernadette Suau
, 
Jean-Pierre Almaric
, 
Jean-Marc Olivier

Religion et croyance

La Saint-Barthélemy à Toulouse et dans le Haut-Languedoc (septembre-octobre 1572)

Eckart Birnstiel et David Soulié

Résumé

Pourquoi les carnages de la Saint Barthélemy à Toulouse, Gaillac, Albi et Rabastens ne se déroulèrent que six semaines après les massacres de Paris ? Dans ces villes languedociennes, les protestants ne furent pas la proie d’une fureur populaire, mais plutôt les victimes d’une action orchestrée au plus haut niveau du pouvoir politique local répondant principalement à la situation géostratégique de la région après la troisième guerre de Religion, qui fit craindre aux autorités catholiques un encerclement de la part des forces protestantes.

Texte intégral

  • 1 La plus récente mise au point est celle d’Arlette Jouanna, La Saint-Barthélemy. Les mystèr (...)

1Notre but n’est pas de faire le récit des Saint-Barthélemy dans notre région. Nous aimerions plutôt poser la question des mécanismes qui ont déclenché les massacres locaux à Toulouse, Gaillac, Rabastens et Albi. Car l’explication que l’on a trouvée pour les massacres parisiens, à savoir qu’ils ont été la suite d’un éclatement de fureur populaire, ne peut pas être appliquée ici. Dans les quatre villes que nous venons de citer, on ne constate nulle part un tel phénomène. Au contraire, il semble bien que dans les cas présents, la folie populaire, qui à Paris avait été incontestablement le moteur des troubles du 24 au 26 août 1572, n’ait pas joué. Les massacres languedociens ne devaient se dérouler que six semaines plus tard, d’abord à Toulouse, le 4 octobre, puis dans les trois cités de la vallée du Tarn les jours suivants. Rappelons que, dans plusieurs grandes villes du royaume, on assiste à de véritables tueries1, répliques immédiates de la Saint-Barthélemy parisienne, comme à Orléans, Meaux, Bourges, Lyon où des scènes de violences fanatiques éclatèrent quelques heures après l’annonce du massacre parisien. Ainsi, ce décalage temporel nous oblige à trouver une autre explication pour comprendre ce qui s’est passé dans le massacre toulousain.

  • 2 Jacques Gaches, Mémoires sur les guerres de Religion à Castres et dans le Languedoc (1555- (...)
  • 3 Cf. Arch. dép. Haute-Garonne, B 55 à B 64, B 67, B 68, B3471 ; ils ont été analysés dans D (...)

2Examinons de plus près le cas de Toulouse. Nous nous référerons par la suite principalement aux Mémoires de Jacques Gaches2, né vers 1555 à Castres, où il fut élu consul en 1596 et 1604. Gaches appartenait à la haute bourgeoisie protestante de Castres, il est donc, en ce qui concerne les événements toulousains, un témoin plutôt partial. Mais ce qu’il relate coïncide parfaitement avec les autres sources dont on dispose à cet égard, notamment les arrêts du parlement de Toulouse3. Or que s’est-il passé à Toulouse ?

3Le 24 août, jour de la Saint-Barthélemy, tombait en 1572 un dimanche. Trois ou quatre jours après, Jean Daffis, premier président du parlement, fut informé à Toulouse, par courrier exprès du Conseil du roi, de ce qui s’était passé à Paris. Bien que Daffis semble avoir pris ses précautions pour que la nouvelle ne se répandît pas aussitôt dans la ville, le dimanche suivant,31 août, tout le monde était au courant, vu qu’entre-temps des voyageurs avaient dû regagner Toulouse et colporter la nouvelle. Ce même dimanche, les principaux membres du parlement se réunirent alors avec les capitouls et leur conseil pour décider des mesures à prendre, afin, paraît-il, de calmer les esprits des catholiques toulousains craignant des représailles de la part de leurs concitoyens protestants.

  • 4 Pierre-Jean Souriac, « Les “urgeans” affaires de la ville. Défendre Toulouse durant la pre (...)

4Le fait inhabituel que cette réunion, très haut placée, fut convoquée un dimanche après-midi, mérite une explication. Il faut savoir que les protestants toulousains ne jouissaient plus, depuis l’émeute du mois de mai 15624, de la liberté de culte dans Toulouse. Ils avaient, dès lors, installé leur temple à Castanet où ils se rassemblèrent tous les dimanches. À l’heure où les parlementaires délibéraient avec les capitouls et le conseil, les protestants, sortis de Toulouse à partir de 5 heures du matin, se trouvaient toujours à l’extérieur de la ville : ils ne devaient, habituellement, rentrer qu’au cours de la soirée. Et voici ce qui fut décidé : primo, que les portes fussent fermées immédiatement, c’est-à-dire avant la rentrée des protestants ; secundo, qu’au guichet, c’est-à-dire au seul lieu de passage une fois que les portes étaient fermées, fussent placés des hommes de confiance pour contrôler les entrées et les sorties.

  • 5 Gaches, Mémoires…, p. 118.
  • 6 Ce qui laisse supposer qu’il y avait des nobles parmi eux, le port d’armes blanches ayant (...)

5Inévitablement, les protestants séjournant à ce moment-là à Castanet, ou rebroussant déjà chemin, furent avertis de cette mesure par quelques sympathisants, ce qui eut pour conséquence que les uns, alarmés des nouvelles de Paris et de Toulouse, décidèrent de ne pas rentrer chez eux ; ils se retirèrent sans tarder dans les villes protestantes des alentours, telles que Puylaurens, Montauban ou Réalmont, où ils pouvaient être sûrs de trouver temporairement refuge chez leurs coreligionnaires. Il y en eut cependant d’autres qui rentraient dans Toulouse « pour donner ordre aux affaires »5 : on les laissait entrer paisiblement, mais ils durent déposer leurs armes, « épées et dagues »6, au guichet. La nuit tombée, la milice municipale fut renforcée et postée à tous les endroits stratégiques de la ville.

  • 7 Gaches, Mémoires…, p. 118.
  • 8 Cf. les documents reproduits dans Jean-Louis Bourgeon, Charles IX devant la Saint-Barthéle (...)

6Le lendemain, lundi 1er septembre, les portes se rouvrirent à la normale ; entrait et sortait librement qui voulait. En même temps, le président Daffis fit dépêcher des messagers aux conseillers protestants du parlement qui n’étaient pour lors pas rentrés, pour les exhorter à revenir à Toulouse afin de servir d’exemples aux autres réfugiés : « Il disoit qu’il estoit vray qu’il y avoit eu massacre à Paris ; mais qu’il procédoit de querelles particulières, et que, pour cela, le Roy n’entendoit point d’enfreindre son arrest de pacification »7, autrement dit l’édit promulgué à Saint-Germain-en-Laye, en août 1570, à la fin de la troisième guerre civile. Par ailleurs, les dires du président Daffis correspondaient exactement à la teneur de la dépêche du roi qu’il avait reçue à cet égard8.

  • 9 Gaches, Mémoires…, p. 119.

7Pour l’instant, le parlement tint à ce que les protestants rentrassent dans la ville et reprissent leur vie normale. À ces fins, on fit publier le mardi 2 septembre par les crieurs de la ville « défenses de la part du Roy de molester en rien ceux de la Religion »9.

  • 10 Ibid.

8Comment faut-il interpréter tout cela ? Pour Jacques Gaches, notre chroniqueur, il n’y a aucun doute que toutes ces mesures furent prises afin de faire rentrer les protestants fugitifs pour mieux les pouvoir abattre par la suite. Pourtant, il relate aussi que les conseillers protestants, rentrés à la demande du président Daffis, lui posèrent la même question, et qu’ils eurent pour réponse que « c’estoit pour contenir mieux le peuple »10. Quoi qu’il en soit, ce 2 septembre, aucun protestant ne fut encore inquiété dans l’enceinte de Toulouse.

9Ce qui devait changer le mercredi3 septembre. Durant la matinée, la milice municipale arrêta tous les chefs de famille protestants présents à Toulouse et les enferma dans les divers couvents et prisons de la ville. La chasse aux protestants avait commencé, sans que l’on sache précisément qui donna l’ordre de ces arrestations ; le fait que la milice les exécuta laisse néanmoins penser que le conseil de ville en avait décidé ainsi. Quoi qu’il en soit, le lendemain, mercredi 4 septembre, la garde des portes fut renforcée. En même temps, on donna ordre, à cri public, de remettre aux mains de la milice des protestants qui, jusqu’alors, avaient réussi à se cacher dans la ville. Furent également arrêtés à ce moment-là les trois conseillers protestants au parlement, à savoir Jean de Coras, Antoine de Lacger et François Ferrières, ainsi que deux conseillers protestants de la sénéchaussée, les dénommés Morgues et Mire. Ils furent emprisonnés avec leurs coreligionnaires, d’abord dans les couvents, puis, dès le 23 septembre, dans la conciergerie du parlement.

  • 11 Ibid., p. 120.

10Le3 octobre, c’est-à-dire un mois après ces arrestations, les protestants se trouvant toujours sous les verrous, il y eut une nouvelle réunion du parlement avec les capitouls. Et ce fut lors de cette réunion que Jean Étienne Duranty, avocat-général du parlement, se prononça en faveur d’une mise à mort des prisonniers protestants. Pourtant, l’assemblée ne semble pas avoir été encline à le suivre. Duranty reprit alors la parole : « Vous ferez ce qu’il vous plaira et direz ce que bon vous semblera ; quant à moy, je m’en vay exécuter, de par le Roy, ce que ma charge et mon debvoir me commandent »11. Ajoutons entre parenthèses qu’un tel ordre du roi n’a jamais existé. Dans sa dépêche du 25 août 1572, envoyée aux autorités des provinces et, ainsi, aussi au président Daffis, Charles IX avait clairement déclaré :

  • 12 Cit. d’après Dom Claude Devic, Dom Joseph Vaissète, Histoire générale de Languedoc, avec n (...)

jay incontinant escript aux gouverneurs & lieutenant generaulx en mes pays & provinces, [de] faire publier & entendre par tous les lieux & endroitz de leur gouuernemens, que chascun de mes subgectz eust a demeurer en repos en sa maison, sans s’esmouvoir ny prendre les armes pour se offenser lun lautre, soubz pretexte de la mort dudit admiral12.

11Mais revenons à Toulouse et suivons le récit de Gaches de ce qui s’est passé le lendemain, 4 octobre 1572 :

  • 13 Gaches, Mémoires…, p. 121.

avant soleil levé, deux escoliers […] ayant assemblé quelques autres garnemens en nombre de sept ou huit, armés de haches et de coutelas, s’en allèrent à la conciergerie par le commandement de l’advocat-général, et, estant entrés, faisoient descendre ces pauvres prisonniers les uns après les autres et les massacroient au pied du degré, sans leur donner loisir de parler ny de prier Dieu ; et, de la sorte, comme on aussure, en furent tués plus de trois cents, lesquels, après qu’ils eurent esté despouillés tous nuds, furent estendus dans la basse cour du palais l’un après l’autre et exposés en l’estat deux jours entiers, n’ayant qu’une feuille de papier sur leurs parties honteuses ; après quoy, on fit de grands fossés dans la sénéchaussée, où ils furent jetés et couverts de terre. Quant aux conseillers, ils furent pendus à l’ormeau du palais avec leurs robes longues, et leurs maisons et celles de tous les autres, pillées et saccagées13.

  • 14 Matthieu Blouin, Les troubles à Gaillac, publiés, traduits et annotés par Ernest Nègre, To (...)
  • 15 « Relation des troubles et guerres civiles advenues au dicèse d’Albi et autres lieux du La (...)
  • 16 Mémoires d’un calviniste de Millau, éd. Jean-Louis Rigal, Rodez, Carrère, 1911, p. 239.

12Ce massacre toulousain du 4 octobre, perpétré de sang froid par une poigné de jeunes appartenant apparemment à la clientèle de l’avocat général Duranty, connut des retentissements dans la région. Le lendemain, 5 octobre, soixante-quatorze protestants emprisonnés depuis un mois à Gaillac, furent eux aussi abattus dans les prisons de cette ville14. À Albi, le 6 octobre, une bonne dizaine des protestants qu’on avait emprisonnés la veille furent tués, tandis que d’autres réussirent à s’enfuir15. À Rabastens enfin, on commença à chasser les protestants dès que la nouvelle du massacre toulousain se fut répandue, à savoir les 5 et 6 octobre. Lors des troubles à Rabastens, une dizaine de protestants perdirent leur vie16.

13Les événements de Toulouse donnèrent donc l’impulsion à d’autres massacres dans la région. Mais pourquoi justement les villes de Gaillac, d’Albi et de Rabastens en furent-elles frappées ? Le partage confessionnel du Midi toulousain avait eu pour suite, dès le début des guerres de Religion en 1562, la formation d’un bloc protestant avec les trois puissants pôles de Montauban, Millau et Castres, et d’un bloc catholique dominé par les autorités ecclésiastiques et politiques de Toulouse, Gaillac et Albi (fig. 66, 67, 68 et 69). Lors de la deuxième guerre de Religion (1567-1568), les catholiques avaient réussi à faire, pour ainsi dire, un pont stratégique entre Albi-Gaillac et Toulouse, après avoir conquis et intégré dans leur camp la petite ville de Rabastens, auparavant protestante. Au cours de la troisième guerre (1568-1570), qui avait précédé les Saint-Barthélemy, Gaillac, ci-devant catholique, était tombé aux mains des protestants, de sorte que le paysage confessionnel dans le Midi toulousain se présentait de la manière suivante : les protestants dominaient les régions de Montauban et de Gaillac et étaient en train d’établir la jonction géographique avec le pays castrais, en ouvrant un couloir protestant par Réalmont. L’Albigeois, catholique, risquait dès lors d’être coupé du pays toulousain, ne disposant en tant que ville relais que de Rabastens, îlot catholique sur la route de Toulouse où néanmoins les protestants étaient en train de gagner du terrain. Ainsi, l’intérêt géostratégique des autorités du Languedoc, donc du parlement de Toulouse et du vicomte de Joyeuse, lieutenant général du Languedoc, se dessine de toute évidence : il leur fallut de toute urgence empêcher que les forces protestantes n’élargissent leur zone d’influence en coupant définitivement Albi de Toulouse, ce qui aurait pu être le prélude à un encerclement complet de ces deux villes et à l’anéantissement du pouvoir catholique dans toute la région. Les massacres d’Albi, de Rabastens et de Gaillac, précédés par ceux de Toulouse, apparaissent ainsi comme un acte délibéré destiné à briser l’encerclement du camp catholique et à réaffirmer son pouvoir politique dans la région.

14Que l’initiative des massacres ait été prise au niveau du gouvernement du Languedoc devient encore plus évident si l’on examine le réseau de communication par lequel ils avaient été préparés. Sous la date du 25 août, le roi Charles IX avait fait dépêcher la nouvelle du massacre parisien à Jean Daffis, premier président du parlement, ainsi qu’au vicomte Guillaume de Joyeuse, lieutenant-général du Languedoc. Daffis, de son côté, en avait informé, le 1er septembre, Philippe Rodolphe, évêque d’Albi, qui, le même jour, recevait la même nouvelle du secrétaire du comte Henri de Montmorency-Damville, gouverneur du Languedoc. Ainsi, la nouvelle s’était répandue de Toulouse et de Béziers à Albi et, de là, à Gaillac et à Rabastens. Il s’agissait donc d’une action, bien concertée au plus haut niveau politique, qui avait pour but d’étouffer dans l’œuf d’éventuelles insurrections urbaines orchestrées par les protestants dans ces villes, insurrections qui auraient été susceptibles de faire pencher la balance en faveur des forces protestantes omniprésentes dans la région. Et ces craintes n’étaient pas sans fondement : à Montauban, on avait chassé, dès l’arrivée de la nouvelle des massacres de Paris, les derniers catholiques qui y vivaient encore, et à Saint-Antonin-Noble-Val, plusieurs religieux avaient été tués par les habitants protestants. Plus loin dans le royaume, il y avait eu des massacres de catholiques à Nîmes et la prise d’armes des protestants à La Rochelle : ce fut la quatrième guerre de Religion qui s’annonçait ainsi. À Toulouse et à Albi, dans les deux grands centres catholiques du Midi, on avait donc raison de craindre un encerclement de la part des forces protestantes qui contrôlaient également les régions au sud de Toulouse.

  • 17 Ibid., p. 238
  • 18 Charles Pradel (éd.), Un marchand de Paris au xvie siècle, Toulouse, Douladoure-Privat, 18 (...)
  • 19 Janine Garrisson, « Luttes municipales à Gaillac au xvie siècle », Millénaire de Gaillac, (...)

15Un argument supplémentaire pour corroborer l’hypothèse politique de ces massacres se situe certainement dans l’étude de la qualité des victimes. Selon le chroniqueur protestant de Millau, à la suite des massacres d’octobre 1572, « il demeura beaucoup de femmes vefves »17. En effet, les témoignages évoquent essentiellement des mesures carcérales visant les hommes. À Albi, le marchand Jacques Faure18 évoque des pressions exercées sur son frère et sur lui-même pour le faire abjurer, mais ne mentionne aucun autre membre de sa famille – femmes, enfants ou parents. De plus, il est possible de dire que c’était environ un huitième de la population protestante qui était éliminé, soit environ la proportion correspondant aux hommes dans la force de l’âge19. Ainsi, l’emprisonnement puis l’exécution des hommes protestants correspondraient davantage à une élimination de rivaux politiques ou d’adversaires de combat alors que se profilaient de nouveaux troubles inéluctables.

  • 20 Pour Toulouse, Paul Romane-Misculus, « Les protestants à Toulouse en 1568 et 1574 », Bulle (...)

16Pourtant, on se gardera de voir la seule et unique force motrice de ces massacres dans le domaine politique. Car il ne faut pas oublier que les chefs de famille protestants, cibles et finalement victimes des persécutions, comptaient parmi les plus riches des habitants. Nous le savons puisque les capitouls toulousains et les consuls albigeois ont fait un recensement des fortunes des protestants, en 1568, destiné à établir une taxe arbitraire, proportionnelle à leurs biens, pour subvenir aux frais de la défense de leur ville20. Nous ne disposons pas d’informations relatives à l’année 1568 pour Gaillac et Rabastens, mais on peut supposer que là aussi les protestants appartenaient aux couches les plus aisées de la population.

17Ainsi, un autre motif de se débarrasser des protestants gagne en relief : il s’agissait aussi de briser leur monopole financier. À Toulouse, le 7 septembre, à l’issue de la grande vague d’arrestation des protestants, le conseil ad hoc du parlement, de la sénéchaussée et des capitouls décida

  • 21 Devic, Vaissète, Histoire générale de Languedoc…, t. 12, p. 972.

que les biens meubles de ceulx de la nouvelle prethendue relligion seront saisis & mis sous la main du roy et de justice, lesquels seront inventoriez & mis en mains seures & responsables jusques en soit ordonne, & aux maisons ou seront renfermes les femmes de ceulx de lad. prethendue relligion linventaire faict, lesd. meubles leur seront commandes tenir en seure garde soubz lauctorite du roy & leur seront faictes deffenses de ne les bajller ni tirer hors de leur dit. maisons jusques a ce que aultrement en soit ordonne a peine de punition corporelle21.

Quelques jours plus tard, les consuls d’Albi décidèrent

  • 22 Arch. com. Albi, BB 26 (Délibérations consulaires et testaments politiques des consuls pou (...)

de se transporter aux maisons et boutiques de ceux de la prethendue nouvelle religion et saysir ce qui se trouvera dedans et l’asseurer en mains tierces, seures et responsables et y mettre le sceau et le cachet de monseigneur d’Alby et ses armoiries.22

  • 23 Arch. com. Rabastens, BB 1 (Registre des délibérations consulaires, période des guerres de (...)

18À Rabastens, on ne prit, paraît-il, de telles mesures qu’après le massacre des protestants. Le registre des délibérations des consuls note sous la date du 14 octobre : « les fruictz et biens meubles de ceulx de la Religion, seront mis dans une mayson et inventories, jusques que autrement en soyt ordonné »23. Bien entendu, en règle générale, les biens confisqués ne furent jamais restitués à leurs propriétaires protestants : soit ils étaient morts, soit ils s’étaient enfuis à toutes jambes pour ne jamais revenir.

  • 24 Devic, Vaissète, Histoire générale de Languedoc…, t. 12, p. 1020.
  • 25 Ibid., t. 12, p. 982.

19D’un autre côté, il ne faut pas oublier que les massacres furent partout suivis par le pillage des maisons des protestants assassinés, mais également parfois des riches catholiques. L’étudiant Latour, chef d’une bande de pilleurs toulousains, emporta de la maison du conseiller Jean de Coras, pendu la veille, plus de deux mille écus et, au total dans la ville, « un butin de pilhage que avoit esté faict estime de plus de quarante mille escuz »24. Mais ce n’étaient pas seulement de petits criminels qui cherchaient à s’enrichir. Dans la nuit du3 au 4 octobre, alors que les protestants furent abattus les uns après les autres sur les marches de la conciergerie du Palais de justice de Toulouse, un groupe de soldats s’attaqua aux biens d’un voyageur protestant logeant à l’hôtellerie des Balances, un certain Nicolas Mayer originaire de Lille qui, de peur de représailles, avait été dénoncé par le patron de l’auberge. Lui aussi, bien qu’étranger, fut mis à mort après avoir été dévalisé25.

20Psychose d’encerclement, appât du gain, violence gratuite lors des règlements de comptes personnels, ce sont bien là les raisons principales des Saint-Barthélemy dans les villes du Midi où, à la différence de la Saint-Barthélemy parisienne, le facteur religieux semble n’avoir été qu’un prétexte déclencheur à une date où la spirale des violences à Paris et dans les autres grandes villes du royaume avait cessé.

Notes

1 La plus récente mise au point est celle d’Arlette Jouanna, La Saint-Barthélemy. Les mystères d’un crime d’État, 24 août 1572, Paris, Gallimard, 2007 [Les Journées qui ont fait la France], p. 190-200.

2 Jacques Gaches, Mémoires sur les guerres de Religion à Castres et dans le Languedoc (1555-1610), éd. Charles Pradel, Paris 1879-1894 [réimpr. Genève, Slatkine, 1970].

3 Cf. Arch. dép. Haute-Garonne, B 55 à B 64, B 67, B 68, B3471 ; ils ont été analysés dans David Soulié, Les répercussions de la Saint-Barthélemy parisienne en Haut-Languedoc. Étude sur les massacres des protestants en octobre 1572 à Toulouse, Albi, Gaillac et Rabastens [mémoire de maîtrise ss. dir. d’Eckart Birnstiel], Toulouse, université de Toulouse II-Le Mirail, 1995.- cf. aussi du même auteur La Saison des Saint-Barthélemy. Étude sur les enjeux de la violence dans les provinces françaises (août-septembre-octobre 1572) [mémoire de D.E.A. ss. dir. de René Souriac et Eckart Birnstiel], Toulouse, université de Toulouse II-Le Mirail, 1996.

4 Pierre-Jean Souriac, « Les “urgeans” affaires de la ville. Défendre Toulouse durant la première guerre de Religion, 1562-1563 », Histoire urbaine3, 2001, p. 39-65.

5 Gaches, Mémoires…, p. 118.

6 Ce qui laisse supposer qu’il y avait des nobles parmi eux, le port d’armes blanches ayant été un privilège nobiliaire.

7 Gaches, Mémoires…, p. 118.

8 Cf. les documents reproduits dans Jean-Louis Bourgeon, Charles IX devant la Saint-Barthélemy, Genève, Droz, 1995 [Travaux d’histoire éthico-politique 55], p. 104, 106.

9 Gaches, Mémoires…, p. 119.

10 Ibid.

11 Ibid., p. 120.

12 Cit. d’après Dom Claude Devic, Dom Joseph Vaissète, Histoire générale de Languedoc, avec notes justificatives, nouvelle édition refondue, 16 vol., Toulouse, Privat, 1872-1893, t. 12, p. 967-969.

13 Gaches, Mémoires…, p. 121.

14 Matthieu Blouin, Les troubles à Gaillac, publiés, traduits et annotés par Ernest Nègre, Toulouse, Collège d’Occitanie, 1975, p. 305.

15 « Relation des troubles et guerres civiles advenues au dicèse d’Albi et autres lieux du Languedoc à cause des hérésies, depuis 1561 jusqu’en 1587 », Revue du Tarn, 1878, annexe p. 13.

16 Mémoires d’un calviniste de Millau, éd. Jean-Louis Rigal, Rodez, Carrère, 1911, p. 239.

17 Ibid., p. 238

18 Charles Pradel (éd.), Un marchand de Paris au xvie siècle, Toulouse, Douladoure-Privat, 1882.

19 Janine Garrisson, « Luttes municipales à Gaillac au xvie siècle », Millénaire de Gaillac, Albi, Impr. coop. du Sud-Ouest, 1975, t. 2, p. 123-168.

20 Pour Toulouse, Paul Romane-Misculus, « Les protestants à Toulouse en 1568 et 1574 », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme français 1961, p. 69-94 ; 1964, p. 272-283 ; pour Albi, Arch. com. Albi, GG 79 (Culte réformé).

21 Devic, Vaissète, Histoire générale de Languedoc…, t. 12, p. 972.

22 Arch. com. Albi, BB 26 (Délibérations consulaires et testaments politiques des consuls pour 1569- 1576), f° 130 v.

23 Arch. com. Rabastens, BB 1 (Registre des délibérations consulaires, période des guerres de religion), f° 97 r.

24 Devic, Vaissète, Histoire générale de Languedoc…, t. 12, p. 1020.

25 Ibid., t. 12, p. 982.

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