Toulouse, une métropole méridionale
| , ,Activités et échanges
Les dynamiques observables à Toulouse permettent-elles de tenir la ville pour une métropole ?
Résumé
Peut-on tenir Toulouse pour une métropole ? Suffit-il d’un demi-siècle d’augmentation de la population, d’extension des auréoles périurbaines, d’étalement et de dissémination de la banlieue pour appliquer le terme de métropole à la grande ville pluricommunale qu’est devenue Toulouse ? L’élargissement de l’agglomération et sa croissance économique, surtout liés à l’immigration et à des implants de services et d’industries dont les centres de décision lui restent extérieurs, n’ont jusque là entraîné, au-delà des mouvements pendulaires de travailleurs ou de chalandise, ni l’apparition d’autres foyers de croissance ni l’essor d’un réseau urbain consistant dans la mouvance de la ville qui devait engendrer l’équilibre de sa région.
Texte intégral
Précautions lexicales préalables
1On rêve volontiers à Toulouse de voir le nom de la ville en haut de l’affiche. Pas seulement quand il s’agit de jeux du stade. Mais aussi quand il s’agit de concourir pour le titre de « capitale européenne de la culture », ou d’obtenir une liaison ferroviaire plus rapide vers de grandes villes du voisinage : Bordeaux, Montpellier, Perpignan, Barcelone, ou vers la capitale nationale, ou encore d’imaginer une liaison moderne à travers les Pyrénées, pour atteindre directement, en toutes saisons, l’Espagne, si lointaine bien que si proche, et plus loin le Maghreb, plutôt que d’avoir à passer par le Perthus, à franchir l’estuaire de la Bidassoa vers Fontarabie ou à gravir le Somport… Pour résumer et tenir compte de mon habitude de consulter les atlas, ne puis-je suggérer qu’à Toulouse on souhaite tout simplement apparaître mieux et plus souvent sur les cartes à petite échelle ? Il reste à faire dans une telle perspective, car il faut souvent franchir une grande distance des slogans aux faits, des apparences à la réalité ou des mots à la carte : il me souvient d’avoir, à Arles, au printemps 2007, expliqué à un Californien – il avait pourtant accompli ses études en géographie – que Toulouse n’est pas établie sur le rivage de la Méditerranée mais à mi-chemin entre cette dernière et l’Atlantique.
- 1 Anne-Marie Seronde, De l’urbs à la ville : Rome, croissance d’une capitale, Aix-en-Provenc (...)
2Attribuer, dans une perspective de présentation géographique, l’appellation de métropole à la ville de Toulouse ou à l’ensemble de la vaste agglomération urbaine qui la contient me paraît malaisé. D’abord du simple fait de l’ambiguïté du terme de métropole. Ce dernier fut emprunté, en l’adaptant, à des géographes et des sociologues américains du milieu du xxe siècle qui l’appliquaient à des villes non seulement très peuplées mais disposant aussi de capacités et de compétences économiques, culturelles ou administratives dans des territoires beaucoup plus étendus qu’elles-mêmes, les standard metropolitan areas. L’ambiguïté de ce terme n’est d’ailleurs pas propre à la seule langue française ; un seul exemple suffirait à le montrer : dans la conclusion de sa thèse de géographie, De l’urbs à la ville : Rome, croissance d’une capitale, Anne-Marie Seronde-Babonaux soulignait alors que si Rome n’est pas devenue une métropole, elle est néanmoins et incontestablement une capitale, soit une réserve importante mais pas assez affirmée cependant pour retenir, en dépit de la fidélité de sa traductrice, Donata Cantelli, ses éditeurs italiens d’intituler un peu plus tard cette thèse Roma. Dalla città alla metropoli1. Autant dire que qualifier une ville de métropole ne démontre pas qu’elle le soit et qu’elle en exerce vraiment les fonctions spatio-économiques.
- 2 Pierre Deffontaines et Mariel Jean-Brunhes Delamarre, Atlas aérien. France, Paris, Gallima (...)
3Il est clair qu’en un demi-siècle Toulouse est devenue une ville grande et vaste. J’avais, voilà bien longtemps, traversé trop vite cette localité qui paraissait alors éloignée quand on l’envisageait depuis d’autres coins de France ; je la connaissais un peu à travers les descriptions qu’en donnait la littérature géographique de base ou à travers les inventaires photographiques organisés par des géographes, tels Pierre Deffontaines et Mariel Jean-Brunhes Delamarre2. Je savais le fleuve endigué dans sa vallée dissymétrique, séparant la ville en deux parties inégalement étendues et équipées ; le canal devenu de moins en moins fréquenté ; les campagnes immédiatement éployées tout autour, entre les branches des étoiles routière et ferroviaire ; surimposées à cet ensemble qui paraissait à la fois cohérent et clos sur lui-même, étaient deux exclaves industrielles plus récentes : celle de l’Office national industriel de l’Azote, en amont de la cité, en partie dans le lit majeur du fleuve, l’autre, celle de l’aviation, plus à l’écart, plus discrète, sur une terrasse alluviale de la rive gauche.
4Quand on m’avait proposé, au début des années 1960, de choisir Toulouse pour y enseigner à la faculté des Lettres et Sciences humaines, je savais que c’était la ville la plus peuplée entre Bilbao et Lyon, entre Bordeaux et Marseille, entre Nantes et Barcelone ; mais je distinguais aussi que la production industrielle, les échanges commerciaux, les flux de transports alors enregistrés à Toulouse n’étaient pas du niveau de ceux que l’on mesurait dans cinq de ces six villes. À cette époque, j’évitais probablement de qualifier Toulouse de métropole. D’abord parce que cela m’aurait entrainé hors du champ habituellement reconnu à la géographie : ce terme ne désignait alors dans la langue française qu’une ville abritant un siège archiépiscopal. Ensuite parce que s’il était employé métaphoriquement ce terme devait désigner la capitale d’un État étendu, telle Londres, le pôle du Commonwealth, plutôt qu’Athènes ou Rome.
5Toutefois on percevait déjà une contamination du lexique des géographes français : quelques-uns commençaient, à propos de villes qu’ils étudiaient en France ou dans le voisinage, d’user emphatiquement du terme de métropole en l’empruntant gauchement à des textes publiés aux États-Unis où ils avaient été appliqués à de grandes villes : populations nombreuses, activités multifonctionnelles, capacités de commandements étendus…, ou à des groupes de villes – des clusters ? – formant entre elles des centres d’affaires, ou des centres de production, ou des foyers dont l’emprise régionale était relayée, tant dans le sens de la diffusion que dans celui de l’attraction, par des villes gravitant à moyenne échelle autour de l’ensemble urbain central et dont l’influence était à plus petite échelle étendue à une fraction du continent. De ces grandes agglomérations urbaines, leurs observateurs avaient mesuré quels étaient les pouvoirs d’incitation et de commandement qu’elles exerçaient dans l’ordre politique, administratif, culturel, économique ou financier sur les espaces qu’elles dominaient, entrainant et soutenant leur développement. Recourir au terme de métropole pour évoquer de telles organisations territoriales urbaines participe donc du sens étymologique du mot métropole, métropolis : la ville mère, la ville matrice, celle qui enfante une autre cité, étendant de la sorte un territoire qu’elle contribue à façonner. Mieux vaut admettre que si le langage des géographes français avait pu être contaminé par celui de leurs collègues étatsuniens cela ne changeait rien à la nature des villes qu’ils avaient entrepris d’étudier chez eux ou à proximité.
Découvrir Toulouse
- 3 In litteris, (15 avril1962).
6À la veille de quitter le lycée Georges-Clémenceau de Reims où j’avais enseigné, entre autres, la géographie de la France et au moment de venir me présenter à Toulouse, je connaissais déjà l’influence et l’originalité de La Dépêche du Midi et sa distribution dans un vaste rayon, du Rouergue aux Pyrénées, de l’Agenais jusqu’au golfe du Lion. J’avais également compris que François Taillefer, qui m’avait appelé, était une des quelques figures qui comptaient en province parmi les géographes de cette époque et de sa génération. J’avais demandé à l’un de mes camarades de travail d’alors, Alain Badiou, de faciliter quelques-uns des premiers contacts que je cherchais à nouer à Toulouse ; il l’avait fait en m’écrivant et en évoquant brièvement « la bonne ville de Toulouse, ce gros bourg qui se prend pour une réalité urbaine »3. Formule évidemment bien rapide. D’autant que, me réclamant de la géographie, je n’ai jamais été bien placé pour sous-estimer le passé de Toulouse, ou le surestimer par rapport à son présent. Cette formule me fut expliquée un peu plus tard, avec d’habiles nuances, par le père de son auteur, Raymond Badiou, qui avait été maire de Toulouse sans jamais cesser d’enseigner les mathématiques dans des classes préparatoires du lycée de garçons du centre de la ville… Je n’ai pas oublié cette formule. L’occasion me fut donnée, une bonne trentaine d’années après, naviguant sur la mer Égée, de la citer à Jean-Pierre Vernant : il m’assura qu’il la trouvait pertinente quand il songeait à cette ville dont il avait commandé la libération à l’été 1944 après avoir dû cesser d’y enseigner la philosophie quelques mois plus tôt.
7Si Badiou et Vernant, grossissant probablement le trait car le temps de nos échanges était limité, doutaient de la réalité urbaine de Toulouse, il me semble que je puis retrouver le ressort de leur argument dans des réflexions telles qu’en mobilisait Thucydide en exposant la « guerre du Péloponnèse » voilà 2 400 ans : ce qui fait la grandeur d’une grande ville ce n’est pas seulement l’agglomération d’une grande quantité de matériel humain, ce sont d’abord les échanges, les débats, l’exercice de la pensée dont elle est le siège et qui mobilisent une partie notable de sa population active. L’appréciation de Badiou et de Vernant reflétait l’atonie qui avait affecté la ville au cours des années1950 ; un demi-siècle plus tard un observateur britannique croquait cela en trois mots – a sleepy market town –, langueur d’autant plus sensible si l’on comparait cette époque de la ville à ce qu’elle avait connu d’activités brillantes quelques siècles plus tôt, si l’on songeait aux innovations et aux transformations qui avaient marqué son tissu urbain et son appareil industriel après la Première Guerre mondiale ou encore si on la comparait à l’activité de celles des villes qui avaient été relancées par l’effort de reconstruction d’après la Seconde Guerre.
Reconnaître sa croissance
8Quelques mois après ma première installation à Toulouse, l’occasion me fut offerte de mieux prendre la mesure de la ville. On m’avait confié la tâche d’organiser et de rédiger la « Note et Étude documentaire » que la Documentation française – un service d’édition rattaché alors au Premier ministre – souhaitait publier sur Toulouse. Un peu plus tard, en me confiant le secrétariat de rédaction de la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, François Taillefer me permit d’élargir le champ de mes observations. Cela ne suffisait certes pas à faire de moi un spécialiste de Toulouse… Une fois décrit le cadre topographique de la ville, une fois reconnues dans l’espace bâti les différences de gabarit qui opposaient au centre « médiéval » de tonalités chaudes, lequel avait été rapidement, mais plus tard qu’ailleurs, aéré par des percées dans la tradition haussmannienne et par quelques essais d’alignements, les apophyses encore plus basses de ses faubourgs, les quartiers, il fallait encore signaler quelques îlots plus pâles de bâtisses ou de grands ensembles en béton armé élevés, selon diverses opérations immobilières : ces îlots que l’on dénomma bientôt les « cités » apparaissaient soit sur les pourtours de l’écusson central, soit à la périphérie extérieure de l’ensemble urbain ; il fallait aussi opposer la dissémination d’ateliers artisanaux ou industriels en perte de vitesse dans le centre ville à la concentration d’activités et de main-d’œuvre ouvrière plus récentes aux bords de cet ensemble, notamment sur les basses terrasses de la Garonne en amont de la ville et à sa porte. Tout cela paraissait fort tranquille, même quand le vent y rabattait une partie des déchets rejetés par l’industrie chimique dans l’atmosphère. Tout cela était organisé selon un système routier radioconcentrique, reflet classique des schémas d’une croissance urbaine largement spontanée ; la croissance du trafic automobile n’avait pas encore éprouvé ce schéma trop simple, même quand la ville avait reçu à l’automne1962 un afflux de Français arrivés de l’Algérie devenue indépendante. L’activité des chemins de fer était encore telle que rares étaient les zones d’entrepôt et les facilités logistiques largement fixées plus tard le long des routes qui menaient à la ville et permettaient de s’en écarter sans délai.
9Cet exercice d’inventaire fournissait d’autres occasions. Celle de vérifier d’abord que Toulouse était bien la ville de loin la plus peuplée dans un périmètre plus étendu que les huit départements désormais réunis dans le cadre de la région Midi-Pyrénées. Celle de souligner ensuite la croissance numérique de la population agglomérée dans Toulouse – centre et quartiers – et grossie de celle des rares communes contiguës, dans lesquelles on reconnaît, avec le recul du temps, les amorces de sa première couronne périurbaine ; le rythme de cette croissance était plus soutenu que dans les autres villes de la région alors que la population rurale de Midi-Pyrénées tendait partout à diminuer. Mais l’exode rural ne rendait pas compte à lui seul de la croissance de la population urbaine : quelques Espagnols rejoignaient là les effectifs de leurs compatriotes républicains sortis de leur pays en1939 et1940 du fait de la guerre civile et aux « pieds noirs » s’ajoutaient déjà des Maghrébins. Ces afflux de population, dont une partie n’était liée qu’aux conditions critiques des zones de départ, hâtaient les changements de la physionomie urbaine et commençaient de modifier radicalement la répartition des densités de la population communale et celle des diverses catégories socioprofessionnelles qui la composaient.
10Étaient alors conservées et entretenues à Toulouse bien des activités de transformation liées à la valorisation de ressources d’origine agricole : céréales, lait, viandes, fruits, tabac ; ces activités de chef-lieu avaient marqué la toponymie urbaine : moulins, amidonniers, halle aux grains…, aussi bien qu’illustré les relations de dépendance mutuelle entre leur concentration en ville et les divers terroirs agricoles d’où sortaient leurs matières premières. Plusieurs autres, qui avaient naguère réclamé une main-d’œuvre abondante et assuré la prospérité de familles marchandes, donnaient cependant des signes de déclin ; telles celles des « filatiers », bonneterie, vêtements – ou celle de la « corroyerie » et de la chaussure… Quelques-unes avaient déjà disparu, telle la brasserie. Si le « fromage des Pyrénées » n’était guère concurrencé encore par les fromages préparés dans d’autres terroirs souvent éloignés, il devenait cependant manifeste que bien des produits élaborés sur place perdaient des consommateurs et que bien des entreprises à base locale et régionale étaient concurrencées à partir de l’extérieur, plusieurs étant peu à peu intégrées, parfois marginalisées, dans des réseaux de division du travail de plus en plus étendus. Ce mouvement contribuait à limiter les fonctions des entreprises locales à la satisfaction des seuls besoins du marché local et de ses clientèles et pouvait même les réduire à la seule distribution de produits de grandes séries fabriqués pour des marchés aux dimensions bien plus vastes. Tertiairisation accentuée : entrepôts et magasins de vente au détail à grande surface commençaient de prendre le pas sur les ateliers ou les manufactures, accentuant les rôles de relais de Toulouse et sa dépendance.
11Si superficiel fût-il, cet examen physionomique de la ville et des statistiques de sa population donnait aussi l’occasion de percevoir comme Toulouse accroissait son avance d’agglomération la plus peuplée dans une aire géographique plus vaste que sa tombée administrative ; on pouvait commencer à définir cette aire en observant l’attraction exercée par le marché des emplois en ville. Tenir compte à cette fin du rayon des migrations pendulaires de main-d’œuvre, d’abord selon les itinéraires des voies ferrées et aussi, bien plus discrètement, par les axes routiers ; tenter d’apprécier aussi les mouvements de chalandise, moins systématiques, justifiés par l’appareil commercial de détail dont disposait la ville et qui pouvaient affecter jusqu’à des parties de l’Aude, du Lot-et-Garonne, des Pyrénées-Atlantiques, de la Lozère, du Cantal…, ce qui poussait à supposer que ces évasions de clientèles potentielles déséquilibraient, peu à peu et d’une façon variable suivant les branches d’activité, les utilités commerciales dont disposaient plusieurs villes moyennes ou plus petites de l’espace considéré.
12Quelles qu’aient pu être à cette époque les tensions que matérialisaient de tels flux, notamment en matière de logement malgré l’activité d’entreprises de construction devenues bien plus nombreuses à Toulouse qu’au sortir de la guerre, il subsistait toujours des activités minières ou industrielles qui justifiaient encore pas mal d’emplois dans les villes moyennes de la région – plus de10 000 habitants – et souvent dans des villes plus petites – de 5 000 à10 000 habitants. Mais il paraissait aussi indéniable que l’action métropolitaine de Toulouse ou son influence sur le développement régional demeuraient limitées, mal affirmées, et qu’elles semblaient fragiles, malgré la démultiplication à usage local de plusieurs rouages administratifs nationaux. Ni la croissance de la population résidente, ni l’augmentation des clientèles extérieures à son rayon d’attraction immédiat ne transformaient vraiment la nature des rapports entre la ville et les divers compartiments de sa région, non plus qu’avec les autres parties du territoire national et les autres grandes agglomérations qu’elles contiennent et dont la plupart n’étaient, comme Toulouse, que des centres de services d’intérêt régional.
La qualification de métropole d’équilibre
13Ce fut cependant à cette époque où la France demeurait un état très centralisé que l’on commença d’employer officiellement, dans les ministères et les offices chargés d’aménager le territoire et dans leurs relais préfectoraux, l’expression de métropole d’équilibre que le néologisme de métropole régionale remplaça bientôt dans le langage courant. Il avait alors fallu distinguer et désigner en France huit villes ou groupes de villes à partir de quoi tenter, en structurant plus fermement quelques grandes régions, de remédier aux effets fâcheux de l’influence attractive de Paris. Il s’agissait, après avoir pris conscience des réalités du « désert français » en le comparant au trop plein de sa capitale, d’orienter des investissements vers ces quelques villes ou de décider d’y fixer des équipements qui puissent contribuer à asseoir un jour leur autonomie dans les réseaux du territoire national et dans ceux de l’espace européen. Ce fut donc au moment où l’on décidait, après des décennies de réflexions et de projets, de vouloir une politique d’aménagement et de rééquilibrage du territoire national pour freiner ou réduire son excessive domination par les institutions et les acteurs économiques de la région urbaine de Paris, que l’on multiplia l’appellation de métropole pour l’appliquer à Toulouse et à sept autres villes.
14Sans doute faut-il admettre qu’appliquer, dans le cadre de ce vaste projet, l’appellation de métropole à plusieurs grandes villes du territoire national ne se bornait pas à une simple affaire de titulature. Cela avait pu arriver, mais ailleurs, bien longtemps auparavant, ainsi quand l’empereur d’Orient éleva à cette dignité une ville principale de l’une de ses provinces, Antioche, laquelle fut donc métropole de la Syrie et de l’Orient, avant d’en être déchue au profit de Laodicée. Dans la France convaincue de la nécessité d’aménagement du territoire, après sa reconstruction, après l’adoption de la Constitution de 1958, l’appellation de métropole d’équilibre renvoyait à un concept et à un objectif à atteindre plutôt qu’il ne désignait une réalité perceptible. Il avait fallu choisir dans ce but des villes déjà dotées d’une gamme de services assez étendue pour que leurs habitants évitent tout recours généralisé à ceux d’une autre ville qu’ils estimeraient mieux équipée : loin des nouveaux mondes, on ne disposait en France ni d’assez d’espace ni d’assez d’optimisme pour tenter de créer ex nihilo de telles métropoles.
15On s’était donc accordé sur ce que l’avenir de la métropole régionale voulue à Toulouse reposerait d’abord sur les perspectives de l’industrie aéronautique : on entrait alors dans la période « Caravelle » et l’on constate aujourd’hui qu’industries aéronautiques et spatiales établies dans l’agglomération de Toulouse et le reste du Sud-Ouest forment en Europe le plus grand ensemble industriel dans cette branche. L’avenir de la métropole régionale devait ensuite reposer sur les transformations dans le sens de la recherche et du développement de la grosse entreprise d’industrie chimique, ONIA, et celui de ses satellites, installés à Toulouse suite à une décision de l’État prise une quarantaine d’années plus tôt : la proportion d’emplois d’ingénieurs avait d’ailleurs commencé d’y augmenter par rapport à celle des ouvriers. En troisième lieu, il reposerait sur la croissance de l’appareil universitaire : elle était recherchée dans deux directions, celle de la multiplication des laboratoires de recherches et celle du transfert depuis la région parisienne vers la province d’établissements d’enseignement supérieur spécialisés. Ces décisions dirigistes témoignent que l’on ressentait les prémisses de la fin d’une période d’industrialisation et que l’on voulait accélérer le passage à la période suivante.
16De la multiplication des laboratoires de recherches fondamentales et d’applications capables de synergie avec les entreprises industrielles existant ou à créer dans la région, le microscope électronique installé à Rangueil par le CNRS demeure le meilleur symbole. Accompli très vite, parce qu’il s’agissait d’une création, l’établissement de ce microscope, aujourd’hui désuet, associait à Toulouse une image de dynamisme et de modernité et son fonctionnement eut le mérite de conférer à ses utilisateurs à Toulouse une sorte d’autonomie et de primauté : il était alors le seul de ce type en France.
17Dans la même perspective s’inscrivirent, un peu plus tard et pendant quelques années, le transfert et le développement à Toulouse d’écoles d’ingénieurs susceptibles de renforcer le potentiel industriel local et ses capacités d’innovation. La création d’un Institut national de sciences appliquées, INSA, fut accomplie d’autant plus rapidement qu’il s’agissait encore d’une nouveauté par rapport aux édifices traditionnels ou plus anciens. Transférer et élargir des écoles supérieures d’aéronautique, l’une militaire, l’autre civile, en procédant au rapprochement topographique et même fonctionnel des deux institutions, toujours dans le périmètre de Rangueil où l’on avait décidé de déménager dans le même temps les facultés des Sciences et de Médecine, réclama bien plus de temps : beaucoup des acteurs impliqués avaient paru craindre d’affaiblir plusieurs de leur réseaux de relations entretenus dans la région parisienne à partir de ces grands établissements de formation professionnelle. Les plus optimistes pariaient toutefois sur la proximité avec les usines aéronautiques ou celles qui tiraient parti de l’essor de l’électronique, toutes promises à la croissance, et avec la nébuleuse des laboratoires et des industries de sous-traitance étendue dans le voisinage de ces usines. Dans le même mouvement et pour obéir à une logique analogue, Toulouse reçut aussi les services de l’Office national de la météorologie et leur école. À tout cela, où l’on disposa très vite de capacités de calcul considérables et d’importantes ressources professorales, furent encore joints des services du Centre national d’études spatiales et quelques usines qui vivent des échanges à peu près permanents avec ce Centre.
18La multiplication de ces établissements et la croissance de leurs équipements et de leurs activités rappellent que ce fut du côté de l’université, au sens large, que l’on avait cherché une partie des moyens de multiplier les effets des investissements industriels publics ou privés dans l’agglomération de Toulouse et, plus rarement, au-delà. Nul doute que cela avait donné à Toulouse un poids accru en même temps qu’une spécificité nouvelle par rapport aux villes du même rang en France et en Europe : autant d’arguments pour suggérer que l’agglomération urbaine prenait de la sorte l’apparence d’une métropole au sens que les techniciens de l’aménagement du territoire et ses décideurs prêtaient à ce mot. Si chacun pouvait retrouver des évolutions contemporaines comparables dans d’autres villes en France, à commencer par les autres métropoles d’équilibre, il n’en était pas moins clair qu’en répondant aux multiples incitations à la croissance et aux efforts accomplis pour y parvenir, le cours des dynamiques économique et démographique avait été changé à Toulouse. Toutefois il devenait clair également que ce changement affectait surtout, sinon exclusivement, l’ensemble urbain le plus peuplé de la région. Car on ne distinguait dans les autres villes aucun phénomène d’essaimage d’activités comparable et qui soit en outre capable de compenser les progrès de la désindustrialisation, tant dans le textile que dans la métallurgie et la mécanique, ou encore de la déréliction des activités minières.
Les mirages de la ville neuve
- 4 John Ardagh, The New French Revolution, Harmondsworth, Penguin Books,1968, et France in th (...)
- 5 Idem, A Tale of Five Cities. Life in Provincial Europe Today, Londres, Secker & Warburg,19 (...)
19Mon intérêt pour Toulouse fut renouvelé à partir des derniers mois de la décennie1960 quand je regagnai la ville et son université devenue plurielle après un long séjour en Grèce. D’autant mieux que j’avais eu bientôt l’occasion d’y retrouver une vieille connaissance, John Ardagh, longtemps correspondant du Times, puis de l’Observer, à Paris et à Alger ; il avait fini de rassembler ses observations sur la France dans un volume publié en1968 qu’il avait naturellement laissé intituler The New French Revolution…, avant de le mettre à jour plus tard pour deux éditions révisées successives chez le même éditeur en1970, puis en1977, sous un titre plus banal : France Today… et, plus récemment, de le refondre pour tenir compte des évolutions observées4. Il était venu à Toulouse pour y étudier la ville et ses habitants dans une perspective de comparaison avec quatre autres villes européennes, Stuttgart, Bologne, Newcastle et Ljubljana, qu’il tenait pour des entités urbaines de second rang dans les réseaux nationaux dont elles relevaient : ni trop vastes, ni trop encombrantes quoique déjà très influentes, mais des villes où l’on exprimait beaucoup d’appétit pour l’avenir ; cela le conduisit à la publication d’un fort volume, A Tale of Five Cities5. Mais s’il avait arrêté le choix de Toulouse, c’était bien parce qu’il ne la tenait pas, entre les grandes villes de France, pour une ville du rang immédiatement subordonné à celui de Paris, ce qui devrait apparaître mieux, même pour un Toulousain, dès que ce dernier tiendrait compte de ce que les autres villes alors envisagées n’étaient ni Hambourg ou Munich, ni Milan ou Turin, ni Liverpool ou Édimbourg, ni Zagreb.
20Le temps avait passé. La forme et les contenus de Toulouse avaient changé. C’était l’époque où nous étions presque tous, moi parmi les premiers, épatés par les débuts de la réalisation d’une ville neuve au Mirail, dans un secteur de la commune de Toulouse caractérisé jusque là par une très faible densité démographique. Le projet était séduisant.
21Il ne s’agissait pas seulement, en contournant les obstacles économiques et matériels de la ville héritée des siècles précédents, de pousser à l’augmentation de la population urbaine et de faciliter le logement des habitants supplémentaires, ce qui était recommandé à toutes les métropoles d’équilibre. On cherchait de plus à mettre en œuvre sur cette marge de l’espace urbain bâti de nouveaux principes urbanistiques et architecturaux ; bien des partis retenus pour la construction reposaient sur des processus industriels et des assemblages de matériels fabriqués en grande série pour abaisser leurs coûts. On prétendait aussi, grâce à l’édification de cette ville neuve, recomposer l’espace urbain, à la fois dans le cadre de la commune de Toulouse et dans celui de la banlieue qui commençait d’être étoffée alentour. On proposait de ne plus se satisfaire des distinctions ou de l’opposition entre « centre ville » et « banlieues » ou « quartiers » pour réfléchir à l’organisation et à l’équilibre de l’agglomération. Le projet participait donc d’une ambition élevée : faire de l’opération conduite en périphérie le ressort d’une mutation qui porterait sur l’ensemble de l’espace urbain et des valeurs qui peuvent lui être attachées : proximité, sociabilité, diffusion culturelle…, de façon à consolider toute la ville pour que les citadins y vivent désormais ensemble ; on aurait à ce propos évoqué la « mixité sociale » si l’on avait su employer déjà le langage du xxie siècle.
22Un tel projet flattait l’imagination. Moins par ses qualités esthétiques que parce qu’il agençait les divers partis immobiliers retenus dans une perspective d’urbanisme impressionnante en elle-même, à grande échelle, et résolument inscrite, à plus petite échelle, dans un projet d’aménagement du territoire régional. Semblables ambitions relevaient peut-être de l’utopie. Mais nous avions en tête des exemples d’opérations semblables ou comparables, qui avaient abouti : la greffe, sur le noyau médiéval de Ferrare, d’une ville neuve dessinée et bâtie à la Renaissance, l’aménagement, près de Paris et inséparable des fonctions exercées depuis Paris, de la ville neuve de Versailles après qu’un roi eût décidé pour magnifier son règne d’y étendre un immense palais à la place du petit château laissé par son prédécesseur… John Ardagh évoquait la création de Petersburg quand Pierre le Grand voulut équilibrer différemment les espaces de son empire à partir d’une escale plus que médiocre et de quelques hameaux humides. Et le souvenir de nos pérégrinations dans les Balkans nous renvoyait à la fondation de Constantinople, une ville créée pour devenir le centre d’un immense empire, une métropole, ce qu’elle fut pendant des siècles là où n’avait existé qu’une grosse bourgade fondée dix siècles auparavant comme une fille de Mégare, sa métropole.
À la recherche du rééquilibrage et de la réarticulation…
23Toulouse a continué de grossir, ce que l’imagerie satellitaire montre mieux que les limites administratives de son agglomération ou celles des schémas directeurs de cette dernière.
- 6 Idem, France in the New Century, ouv. cité, p. 360.
24Voilà l’agglomération devenue millionnaire, étendue et étirée très loin à travers des banlieues polymorphes que l’on peut, en dépit du quadrillage souvent inconfortable de la voirie qui les dessert, pas toujours efficacement, réduire à une mosaïque d’aires élémentaires : solitudes habitées dont les usagers ignorent trop souvent ce que sont leurs voisins. Dans son dernier ouvrage, John Ardagh constate que ces banlieues intégrant plusieurs petites villes du voisinage font de Toulouse une conurbation6. Dans l’étalement périurbain qui accompagne cette expansion, la nouveauté tient surtout à ce que le recours majoritaire des banlieusards à la voiture individuelle plutôt qu’aux transports collectifs facilite la dispersion des espaces bâtis et leur discontinuité ; les troisième et quatrième couronnes de la banlieue sont élargies sous le signe du fragmentaire et de la préservation de réserves d’allure naturelle ou rurale. Voilà que, dans son expansion spatiale, le projet de grande ville semble disparaitre ; de tels progrès du front suburbain recommandent d’emprunter aux géographes et aux sociologues étatsuniens le terme de counterurbanization qu’ils ont imaginé pour rendre compte de l’éparpillement matériel de l’habitat et de la désagrégation sociale des habitants, une contre-urbanisation qui fait douter de la ville puisqu’on y refuse souvent ce qui définit l’urbanité : l’artificialité des solutions urbanistiques, la densité démographique, les possibilités de mélange social. Ces périphéries de la banlieue pourraient être qualifiées d’« anti-ville » puisque réduites à l’accumulation d’unités de voisinage ou de ménages élémentaires entre lesquels la diffusion culturelle, à travers divers petits écrans, représente probablement moins un moteur d’intégration qu’une série de mécanismes de distinction ou de partition qui peuvent entrainer des formes d’exclusion. Nous voilà donc bien éloignés, avec une telle « dissociété », de ce que désignaient les Anciens en recourant au mot de polis : à la fois la cité, assemblage cohérent des habitants, et la ville concrète, l’espace qu’ils ont maîtrisé et défini comme leur territoire pour l’habiter ensemble. La città diffusa que décrivent, entre autres, les géographes italiens a-t-elle encore un caractère urbain ?
- 7 Pasquale Coppola (a cura di), Geografia politica dei regioni italiane, Turin, Einaudi,1997 (...)
25Cependant, l’effort d’innovation expérimenté avec la ville neuve n’a pas réussi à faire de son projet l’expression emblématique de la croissance d’une métropole : ce que l’on avait un temps imaginé créer en bâtissant au Mirail n’a finalement ajouté que des quartiers ou des « cités » à d’autres quartiers sans que le poids du centre en ait été allégé et ses fonctions réévaluées et métamorphosées. Il faut même constater désormais que le soin que l’on veut prendre du Mirail depuis la fin du xxe siècle, après avoir interprété cette partie de la ville comme un fardeau pour la commune de Toulouse et l’ensemble de l’agglomération, consiste surtout à faire disparaître une grande partie de ce qui fondait l’originalité de son dispositif. Une telle expérience peut paraître d’autant plus amère en Europe que l’on a finalement su à Rome conserver et récupérer la voierie et les architectures futuristes de la ville neuve, l’EUR, qui avait été construite à la veille de la Seconde Guerre mondiale pour l’exposition universelle voulue par Mussolini : cette entreprise de récupération et d’intégration de l’EUR dans Rome est allée de pair avec l’accession de la ville au rôle de métropole régionale débordant les limites du Latium comme le signalait déjà Giuseppe Dematteis en1997 dans un chapitre de l’ouvrage rassemblé par Pasquale Coppola7.
26Au-delà du constat de l’enlisement du projet de ville neuve au Mirail et de son abandon au profit d’une périurbanisation sans limite, ne faut-il pas demander si la croissance de l’agglomération de Toulouse et son étalement cartographique dans un espace régional à faibles densités de population n’ont pas entretenu et parfois accéléré la langueur des villes moyennes ou petites de son rayon ? Malgré la reprise récente d’une croissance démographique modérée dans quelques-unes de ces dernières, ne faut-il pas souligner que ces accroissements s’accompagnent de l’épaississement des flux de migrations pendulaires et de leur diversification : beaucoup de ces déplacements quotidiens de population active ou de population estudiantine qui reposaient plutôt sur les voies ferrées empruntent majoritairement des itinéraires routiers ? Autant dire que le rayon selon lequel les banlieues continuent d’être étendues et délayées autour de Toulouse continue de s’allonger. Cela entraine que le plus gros de l’énergie, oratoire ou autre, dépensée pour l’aménagement de l’agglomération de Toulouse vise la structuration des cercles successifs de ses banlieues, à commencer par les débats relatifs à la construction d’une deuxième rocade autoroutière.
- 8 Gabriel Weissberg, Le Char et l’Edelweiss. Crise industrielle, changement social et politi (...)
27Examiner comment, en dépit de l’abondance de ses éléments – 8 000 PME, parfois minuscules, rien que dans les huit départements de Midi-Pyrénées –, le tissu industriel régional a été émietté et s’est étiolé dans le temps où la population de la grande ville centrale et son produit industriel continuaient de croître permet de se demander si l’on n’a pas accordé plus de soin à la rentabilité financière des investissements que d’attention aux équilibres du territoire régional. La croissance et l’extension de Toulouse ne dissimulent-elles pas que la présence d’une telle grande ville et quelques-unes des réussites qu’on y a obtenu dans l’assemblage d’avions gros ou moyens porteurs ont semblé dispenser de veiller à lui faire jouer un rôle de métropole régionale ? N’aurait-on pas dû rechercher plus tôt la redistribution du potentiel de créations d’emplois et de développement économique au profit de la nébuleuse de villes moyennes ou petites qui gravitent autour de la très grande sans être suffisamment liées les unes aux autres par des articulations efficaces ? La création de quelques antennes universitaires selon les opportunités offertes par la redistribution des moyens, et des effectifs, casernes et garnisons, relevant de la Défense nationale, n’y suffira pas. On mesure la gravité de ce problème en consultant parmi d’autres une thèse de doctorat consacrée à Tarbes8. La croissance de Toulouse n’a guère poussé au développement des villes éparpillées dans la région et l’a sans doute obéré. La grande ville peut-elle se réclamer de l’appellation de métropole alors qu’on est tenté de soupçonner que la concentration des activités et des fonctions que l’on continue d’y observer a bien pu, loin de l’activer, entraver la croissance des villes de la région alentour ? L’étalement suburbain de Toulouse ne dissimule pas qu’il est contemporain de la stagnation de bien des centres urbains correspondant à des villes ou à des bourgades : ces petits centres n’apparaissent qu’à des niveaux très inférieurs à celui du pôle régional si l’on interprète leur distribution selon le classique schéma pyramidal des réseaux christallériens.
28On se soucie aujourd’hui à Toulouse de soutenir des réclamations qui peuvent paraître contradictoires : celle d’une liaison ferroviaire à « très grande vitesse » avec Paris et celle d’un second aéroport. Dans le même temps sont apparues, en 2006, des difficultés d’organisation de l’industrie aéronautique qui pèsent sur l’Aérospatiale devenue EADS. Or les établissements fixés à Toulouse de ce groupe européen constituent le seul pôle d’emplois industriels d’envergure subsistant à Toulouse depuis 2001, date de l’accident explosif dans ce qui fut l’ONIA, un établissement successivement remanié en APC, puis en AZF, avant de passer à la société de La Grande Paroisse devenue une dépendance du groupe Total quand ce dernier prit le contrôle financier de Fina. Ces difficultés parfois dramatiques démontrent à l’envie que, dans le cadre national et européen, les institutions régionales, dernières instances de proximité, ne jouissent que d’une capacité d’incitation et de décision très limitée, cependant que dans un système économique mondialisé, la métropole dite régionale continue de dépendre beaucoup de la capitale nationale et de ses pouvoirs de décision. D’autant que, de même que Rome ne s’est pas faite en un jour, on n’est pas encore parvenu, depuis les lois de décentralisation, à définir vraiment les compétences décisives des institutions régionales.
29Alors que la masse de la grande ville et l’étendue de ses besoins ordinaires ne peuvent dissimuler quelles disparités continuent de la séparer de la région qu’elle domine, s’est-on jamais assez soucié de ce que l’installation, dans le site industriel qui fut sinistré en 2001 et à proximité de laboratoires pharmaceutiques de Sanofi, d’éléments des Laboratoires Pierre-Fabre voués aux recherches et à leurs applications participe encore d’un mouvement de croissance unipolaire et pourrait déboucher sur la réunion, ou la concentration, dans ce site d’une partie du réseau des entreprises de transport, des ateliers de conditionnement et des laboratoires de fabrication que cette entreprise gère ou engendre notamment dans Midi-Pyrénées et le sud-ouest de la France depuis Castres et Paris ?
30Malgré les appellations de métropole d’équilibre ou de métropole régionale, malgré les ambitions affichées depuis des années par les « schémas directeurs » successifs pour qu’émerge un espace solidaire entre ladite métropole et son terrain régional ne voit-on pas, autour de Toulouse, répéter les erreurs et poursuivre les tendances qui avaient, à une autre échelle et dans un temps bien plus long, conduit au constat du « désert français » ?
Notes
1 Anne-Marie Seronde, De l’urbs à la ville : Rome, croissance d’une capitale, Aix-en-Provence, Édisud,1980 (Préface de Giulio Carlo Argan), p. 34 et 464.- Idem, Roma. Dalla città alla metropoli Roma, Editori Riuniti,1983, (Prefazione di Giulio Carlo Argan), p. 1, 32 et 510. L’édition récente de travaux modernes portant sur la nature de la ville de Rome – Denis Bocquet, Rome ville technique (1870-1925), une modernisation conflictuelle de l’espace urbain, Paris, De Boccard, 2008, Bibliothèque des Écoles fr. d’Athènes et de Rome, fasc. 334 – permet de compléter les arguments développés par A.-M. Seronde dans sa première et sa cinquième parties.
2 Pierre Deffontaines et Mariel Jean-Brunhes Delamarre, Atlas aérien. France, Paris, Gallimard,1958, tome III, p. 93 et 96-97.
3 In litteris, (15 avril1962).
4 John Ardagh, The New French Revolution, Harmondsworth, Penguin Books,1968, et France in the New Century. Portrait of a Changing Society, Londres, Viking,1999.
5 Idem, A Tale of Five Cities. Life in Provincial Europe Today, Londres, Secker & Warburg,1979.
6 Idem, France in the New Century, ouv. cité, p. 360.
7 Pasquale Coppola (a cura di), Geografia politica dei regioni italiane, Turin, Einaudi,1997. Voir chap. 6, « Il tessuto delle cento città », p. 192-229.
8 Gabriel Weissberg, Le Char et l’Edelweiss. Crise industrielle, changement social et politiques de développement local à Tarbes, thèse de doctorat en géographie et aménagement, Université de Toulouse-Le Mirail,1999.
© Presses universitaires du Midi, 2009