1Au cours des années 1950, Toulouse était qualifiée de capitale provinciale, de « gros village ». Relativement isolée dans une région rurale, la ville était considérée comme ayant raté la « révolution industrielle » du xix^e siècle. Certes, l’aéronautique ou la chimie des engrais étaient apparues au cours ou au lendemain de la Première Guerre mondiale, s’ajoutant à des activités liées au secteur militaire (cartoucherie, poudrerie). Elles étaient cependant des industries d’État, du type arsenal, commandées de l’extérieur et peu susceptibles de développement autonome. La ville rose était avant tout une ville administrative et de desserte commerciale régionale.

2Au début de l’année 2006, Toulouse est la quatrième ville de France (430 000 résidents), la quatrième aire urbaine (1 050 000 habitants). Elle est l’agglomération dont la croissance est l’une des plus rapides (de 15 000 à 19 000 personnes supplémentaires par an). Divers indices révèlent les profondes transformations subies depuis cinq décennies : troisième agglomération, après Paris et Grenoble, pour le nombre de chercheurs ; une des rares villes qui a gagné des emplois industriels durant les dix dernières années, en dépit de l’accident d’AZF (Azote de France) ; la ville qui en matière de services de haute technologie à l’industrie (ingénierie informatique, systèmes embarqués) connaît une constante poussée d’effectifs. Airbus, dont le siège est à Blagnac, produit et vend plus d’avions que Boeing durant les années 2003-2005, son rival mondial au sein du duopole de l’aéronautique civile des avions de ligne. Il faut y ajouter les activités spatiales avec le CNES (Centre National d’Études Spatiales), Astrium, Alcatel-Thalès, l’électronique (Freescale, Motorola et Siemens) ainsi que le secteur pharmacie-biotechnologies avec Fabre et Sanofi.

3Cependant depuis juin 2006 souffle un vent de crise : Airbus va mal – l’avion A380 « super jumbo » sera livré avec deux ans de retard – et se trouve en déficit. Un plan Power Eight concocté par la maison-mère, la holding financière EADS (European Aeronautics Defence and Space) prévoit la suppression de 3 200 emplois à Toulouse, après une croissance de plus de 5 000 salariés au cours du dernier lustre. Or Airbus a reçu commande de 830 avions en 2006 (moins il est vrai que Boeing : 1 020) et livre un avion par jour ouvrable. Toulouse passe de phases d’euphorie à des périodes d’inquiétudes au fil des variations conjoncturelles ou des mutations structurelles de son industrie dominante (40 000 salariés en comptant outre la firme principale, ses partenaires et sous-traitants).

4Dans quel contexte économique et technique est-on passé de la situation des années 1950 à celle des années 2000 ? Quels acteurs ont dynamisé la croissance toulousaine ? Quels ont été les effets de cette dernière sur le fonctionnement d’une agglomération où les décideurs doivent répondre à de multiples défis d’aménagement ?

Une métropole régionale d’équilibre (1950-1971)

L’entre-deux-guerres : rappel

5Loin d’avoir toujours été une ville isolée, Toulouse fut tôt reliée aux autres grandes villes françaises et disposait au xix^e siècle d’un tissu de micro-industries dans des secteurs tels que la carrosserie, la chapellerie ou la chemiserie. Ceux-ci se caractérisaient par une division poussée du travail, donnaient lieu à une circulation des produits à distance nationale et internationale, à des innovations techniques réelles, bien que discrètes, et impliquaient l’importation de machines permettant des gains de productivité (Olivier, 2007). Cette « industrialisation douce » demeurait à mi-chemin entre l’atelier artisanal et la grande usine, qui restait presque absente de la ville. La division du travail de plus en plus poussée entre petits patrons, travailleur(se) s à domicile, marchands, était la règle. J.-M. Olivier, qui note que « l’évolution après 1914 reste à étudier », suppose que les ouvriers qualifiés issus de la carrosserie et de l’ébénisterie furent bientôt employés dans la production des aéroplanes, c’est-à-dire dans le développement d’une industrie aéronautique à partir de 1917. Différents travaux ont exploré la période de l’entre-deux-guerres, résumés dans les écrits de J. Coppolani (1954) ou des études plus sectorielles sur l’aéronautique (Jalabert, 1974). Il subsiste de nombreuses petites entreprises des secteurs traditionnels qui vont perdurer jusqu’aux années 2000 ; beaucoup ont disparu récemment en raison du processus général de délocalisation de ce type d’industries vers les pays du Sud.

6L’approche de M. Grossetti met l’accent sur d’autres facteurs d’explication des transformations de l’économie toulousaine (Grossetti, 1994). Dès la fin du xix^e siècle ou le début du xx^e, sont créés des instituts d’enseignement technique liés à l’activité hydro-électrique, à l’agronomie et à la chimie, issus de la double volonté de la municipalité toulousaine et d’universitaires : cours, à la faculté des Sciences, de chimie agricole et industrielle dès 1888 ; d’électricité industrielle (1902) ; création de l’École de Commerce (1902), puis de l’Institut de chimie (1906), de l’Institut électrotechnique (1907) et de l’Institut agricole (1909), tous ancêtres des écoles d’ingénieurs d’aujourd’hui. Dès 1937 est lancée la soufflerie de Banlève (essais d’aérodynamique) et en 1940 est transféré depuis Paris l’ERA (Établissement de Recherche Aéronautique), devenu aujourd’hui le CEAT (Centre d’essais aéronautique de Toulouse, 650 salariés). Parallèlement, s’installe et se développe l’industrie aéronautique, de Latécoère à Dewoitine, des nationalisations des années 1930 à l’épopée de l’Aéropostale, encore peu liée cependant au secteur de la recherche.

7Au lendemain de 1945, l’industrie toulousaine est très diversifiée : si les grands établissements marquent l’espace toulousain (ONIA, 3 700 salariés ; SNCASO, 4 500), l’essentiel du tissu local demeure constitué de petites entreprises dans une douzaine d’autres secteurs qui représentent 40 % des actifs de la ville.

Aménagement du territoire et dynamique locale (1950-1970)

8L’évolution de l’industrie, dont la finalité demeure de produire et de vendre des objets manufacturés, ne s’explique plus par l’analyse des seules entreprises de fabrication. Il convient aussi d’envisager l’ensemble des liens étroits qu’elle noue avec de multiples partenaires, notamment dans le domaine financier, avec la mise en place de structures de plus en plus complexes, la capacité d’innovation propre à l’entreprise, mais aussi puisée dans les appareils publics ou privés de recherche ainsi que les politiques d’aide au développement de services à l’économie. Il faut également prendre en compte les rapports entre pouvoirs publics et entreprises, d’autant plus complexifiés que la déconcentration des activités administratives doublées de compétences économiques s’est étendue aux régions et que l’Europe intervient dans le financement de programme de recherches. Cet ensemble de transformations s’est mis en place et développé au fil des trois périodes observées.

9Les années 1950-70 sont celles des « métropoles régionales » et des « métropoles d’équilibre » (DATAR, Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale). Sans épiloguer sur les approches en économie spatiale qui prévalent alors, « pôles de croissance », « industries industrialisantes » (F. Perroux, 1961), le cas toulousain révèle un double processus : l’effet de politiques nationales et les initiatives d’acteurs locaux.

10La politique de développement industriel s’oriente à partir des années 1960 vers le développement de nouvelles techniques sous l’influence du Commissariat au Plan : secteur spatial (fusées et satellites) ; électronique et informatique ; télécommunications ; nucléaire civil. Sur le plan géographique, la décision de fortifier les principales villes de province se traduit par des choix de localisation de ces nouvelles activités. La présence de l’aéronautique paraît avoir joué un rôle important dans leur implantation à Toulouse : déconcentration de grandes écoles d’ingénieurs, l’ENSA (École nationale supérieure d’aéronautique ou Sup’aéro), l’ENAC (École nationale de l’aviation civile) et le renforcement de l’ENSICA (École nationale supérieure d’ingénieurs en constructions aéronautiques) présente depuis les années 60. Le CNES (Centre national d’études spatiales) constitue un centre à la fois de ressources, de recherche, d’expérimentation et de contrôle des expériences spatiales. Enfin l’État met en place la CII (Compagnie internationale d’informatique), chargée de mettre au point des ordinateurs de grande puissance tandis que Motorola installe une usine de composants électroniques.

11Ces actions nationales se conjuguent avec une dynamique locale née à la fin des années 1950, marquée à la fois par l’action de la municipalité Bazerque, celle des nouveaux préfets de région et celle d’universitaires internationalement connus (E. Durand, E. Dupouy, L. Escande, J. Cambou, …) qui œuvrent pour favoriser la venue de ces nouvelles activités. La présence de nouveaux centres de recherche et d’enseignement durant les années 1950-1960, la création des ENSI (Écoles nationales supérieures d’ingénieurs), de l’Institut de génie chimique (dès 1948), de filières électrotechniques dès 1955 à la faculté des Sciences, la création d’une licence d’informatique et d’automatique en 1967 sont en phase avec le développement des nouvelles activités. La décentralisation de l’ENSAE est assortie de la création d’un centre de recherche associé, le CERT-ONERA (Centre d’études et de recherches de Toulouse-Office national d’études et de recherches aéronautiques) dont les activités dominantes sont alors l’informatique et l’automatique. À cela s’ajoutent en 1968 la création des IUT (Instituts universitaires technologiques) dont l’un est voué au génie mécanique et électrotechnique, la fixation d’un centre INRA (Institut national de recherches agronomiques) à Auzeville, ainsi que la décentralisation d’un Centre de calcul du ministère de l’Agriculture, celle du Centre de gestion des Douanes, localisé au Mirail, et enfin du Centre des Télécommunications, fixé à Blagnac. Le siège du GIE (Groupement d’intérêt économique) européen d’Airbus est aussi installé à Blagnac en 1970. L’essentiel de l’appareil recherche-développement actuel est présent à Toulouse dans ses structures de base dès cette date.

12La politique locale et ses relations avec la politique nationale est marquée par deux réalisations : d’une part, le campus universitaire scientifique de Rangueil, auquel s’ajoute, le jouxtant, le complexe de Lespinet où sont localisés le CNES, des écoles d’ingénieurs, le centre de recherches et le LAAS (Laboratoire d’automatique et d’analyse des systèmes), devenu le premier laboratoire national des Sciences de l’Ingénieur (400 personnes), sans compter d’autres laboratoires situés au sud-est de la ville ; d’autre part, la fausse ville nouvelle du Mirail (incluse de fait dans le territoire municipal toulousain, au sud-ouest) où est délimitée au sud une zone industrielle qui accueille la CII (par la suite Thomson, puis Thalès) et Motorola.

13Les données du FIAT (Fonds interministériel d’aménagement du territoire) montrent que Toulouse a reçu de l’État entre 1963 et 1968 la manne financière la plus importante de toutes les villes françaises, soit 4,6 milliards de francs de dotations (Lille Roubaix Tourcoing, 3,6, Lyon Saint-Étienne, 2,2). Mais cette série de localisations nouvelles constituait-elle alors un complexe d’activités intégrées ou une simple juxtaposition d’organismes dont la réussite et la synergie n’avaient rien d’évident ? Ils n’étaient guère en phase en tout cas avec l’industrie dominante de l’époque, l’aéronautique, qui disposait de son bureau d’études et de ses services d’ingénierie. L’Aérospatiale demeurait une industrie-arsenal (Muller, 1989) techniquement performante, ainsi qu’en témoignent les innovations sur les avions Caravelle et Concorde, mais ces réalisations précisément font figure d’échecs commerciaux, relatif pour Caravelle (268 appareils) et quasi absolu pour Concorde (10 appareils).

14Quant à l’industrie chimique, l’ONIA (Office national industriel de l’azote), devenu APC (Azote et Produits chimiques), et la Poudrerie nationale ont entamé un lent déclin de leurs effectifs qui ne va cesser de s’accentuer.

La « technopole » (années 1970-1990)

15Le ralentissement de la croissance dès 1973 a relativement peu affecté Toulouse. Autour de l’aéronautique et du secteur spatial se développent des PME, dans différents secteurs de services, dont notamment les SSII (Sociétés de services et d’ingénierie informatiques) (Zuliani, 1998). Ces créations s’expliquent à la fois par les compétences acquises dans le système de formation et de recherche, par la floraison d’organismes de transfert de technologie et l’éclosion de structures financières d’aide à l’innovation. Les nouvelles compétences des collectivités territoriales d’aide à l’économie pour les régions, les regroupements de communes en matière d’aménagement participent de ces mutations. L’intervention du niveau local devient plus prégnante alors que se ralentissent les investissements d’État. Un nouveau vocabulaire fait son apparition : le technopôle ou la technopolis, la ville technologique.

L’appareil industriel

16La CII, réussite technique mais non financière, disparaît, privée du soutien du gouvernement dans les années 1974-81. Reprise par Thomson, elle est finalement occupée par Thalès au cours de la période suivante, groupe impliqué à la fois dans l’aéronautique et l’informatique (2000 salariés aujourd’hui). Bendix, créée conjointement par Renix et Renault, dans le secteur électronique automobile est repris avec succès par Siemens en fin de période (2 000 emplois). Deux créations sont liées au secteur spatial au début des années 80, Matra Espace et Alcatel Space, chargés de la production des satellites et dont les effectifs se sont rapidement accrus (2000 salariés chacun à la fin des années 90), le volume d’emploi au CNES étant du même ordre. Autour de l’exploitation des produits satellitaires issus de Spot, se crée une série d’entreprises à forte ouverture internationale par leur marché, leurs contrats, la formation de stagiaires venus du monde entier : Spot Images, CEIS Espace, CLS Argos, SCOT Conseil et Geosys.

17L’aéronautique a connu un changement structurel important à partir de 1971 (Jalabert, 1995). Les entreprises liées au secteur militaire, Dassault, Bréguet, ont quitté Toulouse. L’ancienne entreprise Dewoitine, nationalisée et devenue l’Aérospatiale au fil des concentrations et des absorptions, est désormais vouée à la conception, l’assemblage, les essais des appareils Airbus, avions de ligne longs et moyens courriers qui peu à peu, grâce à de nombreuses innovations techniques, s’imposent sur le marché mondial. Autour de cette firme majeure qui représente 8 500 emplois à la fin des années 90, dont 7 000 dans les ateliers de production ou les bureaux d’études et 1 500 au siège d’Airbus (marketing, gestion, commercialisation, coordination des différents sites en France et en Europe), gravitent des entreprises partenaires et sous-traitantes, dont les principales comme Latécoère ou Ratier emploient jusqu’à 900 salariés et les autres entre 200 et 500 (Aircelle, Rockwell Collins, Honeywell, ABG Semca, Microturbo, Labinal, Goodrich). Aérospatiale évolue, passant d’une organisation d’internalisation des fonctions à une organisation progressive en « système » : rapprochement avec des firmes-pivot industrielles et de services de premier rang qui deviennent des partenaires privilégiés, ouverture de relations plus suivies avec la recherche, notamment dans les activités informatiques (laboratoires tels que l’IRIT ou le LAAS qui emploient 400 personnes chacun), développement en interne des centres de compétence forts (systèmes de vol, systèmes de propulsion, conception des aérostructures).

18L’INSEE recense alors 450 PME dans de multiples secteurs, dont plus du tiers sont des entreprises de services (ingénierie, conseils, contrôle de gestion) : soit des agences régionales de firmes nationales (IBM, Dassault Systèmes, STERIA…), soit des entreprises nées d’initiatives locales (Vérilog, Logical, Dialogic…). Le secteur de l’informatique se développe dans les domaines techniques de la R & D industrielle, mais monte en puissance dans le secteur bancaire et des services en général. S’ajoutent des centres de formation dépendant d’Aérospatiale-Airbus (Personnels de bord, École des vendeurs d’avions). Le GIE ATR (Avions de transport régional) franco-italien fabrique avec succès des avions régionaux. Le GIE Airbus, qui pilote les firmes européennes partenaires (Aérospatiale, DASA, British Aerospace, CASA), fonctionne comme une entité européenne dans sa structure, mais internationale dans ses activités : langue de travail en anglais, présence de personnels britannique et allemand et d’une vingtaine d’autres nationalités. Ouverture sur le monde, industrie de marché, l’aéronautique n’est plus une industrie-arsenal comme lors de la précédente période.

19L’industrie chimique lourde continue à péricliter : l’ancien ONIA, rattaché à la Grande Paroisse, n’emploie plus que 700 salariés à la fin des années 80 contre 4 500 après la guerre, et la SNPE (Société nationale des poudres et explosifs) 400 contre plus d’un millier vers 1950. Quelques industries leur sont liées, telle ATOCHEM, Tolochimie, tandis que se développe le secteur pharmaceutique, avec SANOFI ou le Laboratoire Fabre, dont l’activité augmentera au cours de la période suivante. Dans les dernières industries de l’armement encore en activité, notamment la Cartoucherie (Groupe GIAT), les effectifs continuent de s’éroder. Les industries agro-alimentaires connaissent de leur côté quelque essor, dans la région et dans la ville (3A, Paré…). Le textile, en crise dans la région, maintient une activité de confection (Rouleau-Guichard, Boyer). L’imprimerie classique connaît aussi des difficultés, mais se modernise, comme l’établissement du groupe de presse Dépêche du Midi (1 000 salariés).

20Enfin, s’est amorcé au fil de ces années un centre de compétences dans les secteurs des biotechnologies végétales et des agro-ressources, qui, au-delà des laboratoires ouverts sur les milieux économiques, se traduit par la création de petites entreprises.

Technopôles : parcs d’activités et structures de promotion

21Les nouveaux parcs d’activités dits high tech se veulent une forme d’aménagement complexe et maîtrisée quant au contenu des activités qui doivent s’y localiser (Dreulhe, Jalabert, 1987). L’objectif est d’associer des activités innovantes, établissant entre elles des relations de transaction dans des domaines proches ou complémentaires. Les acteurs locaux développent une stratégie pour organiser ces espaces : systèmes de circulation internes, présence de structures d’accueil du type pépinières pour des entreprises en phase de démarrage (les start up), présence d’organismes financiers, bonne accessibilité, espaces paysagers, ensembles de bureaux, services divers de restauration et d’hôtellerie. Les nécessités de financement ont fait que nombre de ces « technopoles » ont dû accepter des activités fort peu technologiques, à commencer par des commerces, afin de bénéficier de recettes fiscales permettant d’achever leur équipement. Dans le cas toulousain, deux zones se jouxtant se sont ainsi développées, l’Innopole de Labège et le Parc technologique du Canal à Ramonville, toutes deux au contact immédiat du complexe universitaire et spatial de Rangueil-Lespinet. Gérée par un syndicat intercommunal, le SICOVAL (Syndicat intercommunal de la vallée de l’Hers), elles ont accueilli des activités liées aux secteurs électronique et informatique, puis aux biotechnologies. Deux pépinières d’entreprises sont gérées par le SICOVAL, devenu depuis communauté d’agglomération. S’ajoutent un actif Centre de congrès, divers centres privés de formation (École de Commerce) tandis que va s’installer la nouvelle école d’ingénieurs résultant de la fusion entre l’ESC et l’IGC (École supérieure de chimie et Institut de génie chimique). S’ajoute un complexe de loisirs, de nombreux restaurants, un multiplex Gaumont, un bowling… Le parc de Ramonville, qui accueille notamment les activités dérivées du secteur spatial, dispose aussi d’une pépinière, gérée par le conseil général de la Haute-Garonne.

22À ce pôle sud-est fait pendant un pôle nord-ouest autour de l’aéroport de Toulouse-Blagnac où, au fur et à mesure de la croissance du secteur aéronautique, se sont développées des zones d’activités sur les trois communes riveraines : Toulouse, quartier de Saint-Martin du Touch, au sud (assemblage des appareils de la famille des A320,et des ATR, bureaux d’études et siège d’Aérospatiale) ; Blagnac, au nord (siège du GIE Airbus, du GIE ATR, de diverses structures dépendantes d’Airbus et de nombreux sous-traitants dans des ensembles de bureaux) ; Colomiers, à l’ouest (assemblage des A330 et 340 dans les ateliers Clément-Ader, et divers partenaires), cette dernière commune disposant par ailleurs d’une autre importante zone d’activités diversifiées.

23Les politiques territoriales d’aménagement sont accompagnées de séries d’actions émanant des acteurs publics. Au début des années 80, la Région a créé le CCRDT (Comité Consultatif pour la Recherche et le Développement Technologique), structure de financement de la recherche appliquée rapprochant laboratoires publics et acteurs économiques. Diverses stratégies de valorisation de la recherche donnent naissance à des associations d’animation (conférences, documentation, colloques), et à des structures concrètes de transferts telles les CRITT (Centre régionaux d’innovation technique), tant à Toulouse qu’en région.

24Globalement cependant, ces initiatives demeurent éclatées, sans inter-communalité d’ensemble forte, sans véritable structure de concertation pour organiser des grappes sectorielles d’entreprises. Les jeux d’acteurs multiples évoluent entre action aménagiste et recherche d’animation, octroi d’aides financières dispersées et soutiens ponctuels. L’État exerce sa présence plus discrètement que durant les années 60/70, mais intervient par le contrôle de nombreux organismes, par le financement d’aides aux entreprises innovantes (action de l’ANVAR, Agence nationale de valorisation de la recherche). L’influence des milieux d’affaires devient plus apparente, qu’il s’agisse de la Chambre de Commerce pilotée par un industriel de l’aéronautique, où de groupements corporatifs.

Depuis l’an 2000…

25Faute de recul suffisant, l’appréciation de l’évolution toute récente de l’industrie locale ne peut être que partielle. Si divers éléments conjoncturels (explosion d’AZF, crise subite d’Airbus) n’ont pas encore donné lieu à des réalisations concrètes et fonctionnelles issues de décisions récentes, du moins peut-on déceler quelques tendances du changement.

Le paradoxe aéronautique

26Ainsi les années 1999/2000 ont été marquées par la réorganisation d’Airbus. Le regroupement entre Aérospatiale et Matra a été suivi d’une restructuration d’ensemble qui regroupe une partie de l’aéronautique européenne autour d’EADS, holding financière qui chapeaute plusieurs entités (Airbus, Eurocopter, autres avions, missiles et engins, Espace), Airbus représentant toutefois plus de 60 % de l’activité et 70 % du chiffre d’affaires. Le capital d’Airbus est lui-même réparti entre l’État français (15 %), le groupe Lagardère (15 %), Daimler Chrysler (30 %), CASA (4,5 %), British Aerospace (20 %), le reste étant dispersé dans le public. Mais au conseil d’administration, les groupes Lagardère et Daimler ont voix prépondérante. Le siège d’Airbus (Airbus Central Entity), qui demeure localisé à Blagnac, a désormais entière autonomie financière et chapeaute quatre entités nationales, Airbus France (siège à Toulouse), Airbus Allemagne (Hambourg), Airbus Espagne (Madrid), Airbus GB, qui comprend les usines de British Aerospace entrant dans le giron d’Airbus. Système complexe où les projets de nouveaux avions, A380, puis A350, sont élaborés par les bureaux d’études des différents pays sous la houlette de celui de Toulouse. Ainsi est lancé le programme de l’A380 super jumbo, capable de transporter de 550 à 800 passagers, dont l’assemblage final est effectué dans un nouveau hall installé sur une zone aménagée à cet effet, AeroConstellation, à l’angle nord-ouest de l’aéroport, chevauchant les limites des communes de Blagnac, Beauzelle et Cornebarrieu, soit 380 hectares dont 200 sont déjà aménagés. Le pari de réaliser en trois années à la fois l’aménagement de la zone avec les contraintes techniques inhérentes au projet, de construire l’immense hall de montage, d’ouvrir l’itinéraire à grand gabarit de Langon à Blagnac et les infrastructures d’accès, a été tenu. Pour la première fois, l’ensemble des acteurs ont collaboré à cette réalisation, qui a exigé la modification du schéma directeur, la transformation selon la nouvelle loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) du POS (Plan d’occupation des sols) en PLU (Plan local d’urbanisme), le premier de France, et entente entre l’État (préfet, DDE), la communauté de communes du nord-ouest, puis celle d’agglomération du Grand-Toulouse (CAGT) nouvellement créée, le conseil général et les SEM d’aménagement. Le rôle du maire de Blagnac, ancien cadre et consultant d’Airbus, a été majeur dans ces réalisations, où les services fonciers et immobiliers d’Airbus ont piloté la réalisation de la zone d’activité sur laquelle ont été transférées depuis l’ancien aéroport de Montaudran les installations d’AFI (Air France Industrie, 600 salariés), libérant un site au sud-est de la ville, au contact du complexe de Lespinet (Jalabert, Zuliani, 2002, 2003, 2004, 2005 et Sparaco, 2005).

27La situation d’Airbus est aujourd’hui paradoxale. De 2000 à 2005, les effectifs toulousains atteignent près de 10 000 emplois pour Airbus France, et 4 500 pour Airbus Central Entity (contre 2 500 en 1999). Les partenaires et sous-traitants de différents niveaux augmentent leurs effectifs. Les chaînes de montage doivent répondre à des flux de commandes (2 500 avions fin 2006, soit 5 années de production, pour l’essentiel des appareils de la famille A320, 330 et 340, dont plus de la moitié assemblés à Toulouse) et augmenter leur cadence de production. C’est alors que survient l’affaire du retard de l’A380 et les difficultés en cascade qui en découlent : reprise du câblage mal réalisé sur les tronçons délivrés par Hambourg, coûts des pénalités imposées par les compagnies aériennes, chute de l’action EADS, soupçon de délits d’initiés de nombreux dirigeants, démission du président et plan d’économie POWER 8. Difficulté supplémentaire : la nécessité de revoir entièrement le projet de l’A350, insuffisamment préparé, reporté à 2013, alors que Boeing s’apprête à mettre à l’essai le modèle B787, son rival, commandé déjà à plus de 500 exemplaires. En dépit de ces difficultés, les commandes continuent d’affluer en 2007, et l’embauche de 200 compagnons à la production contraste avec l’allègement prévu de 3 000 salariés tant du coté d’Airbus Entity que des services administratifs d’Airbus France. Les difficultés (relatives) actuelles renvoient moins à la capacité industrielle intrinsèque de l’entreprise qu’à l’organisation d’ensemble d’EADS, aux conflits franco-allemands et à la complexité organisationnelle et aux insuffisances du cheminement des décisions. En revanche, l’installation d’une chaîne de montage des A320 en Chine et l’annonce d’investissements d’Airbus en Inde, dans la région de Bengalore, centre reconnu de conception et de gestion des systèmes informatiques, marque le début d’un processus de recomposition et d’internationalisation des localisations qui se manifeste aussi chez Latécoère, avec l’ouverture d’usines en Tchéquie (fabrication des portes d’avions), en Tunisie (câblage) et au Brésil près du constructeur Embraer.

Les pôles de compétitivité

28Au plan territorial, les logiques évoluent : les technopoles cèdent la place à la « clustérisation » de grappes technologiques, générées localement par un enchaînement d’activités complémentaires dans des secteurs ayant tendance à se rapprocher fonctionnellement. Pour identifier ces SPL, systèmes productifs locaux, certains auteurs préfèrent l’acronyme SLC, systèmes locaux de compétences (Zuliani, Grossetti, 2005), signifiant l’accumulation des compétences dans un espace donné et sa capacité de transversalité, non sans liens caractérisés avec des fonctionnements de plus en plus mondialisés et concurrentiels. C’est dans ce contexte que naissent les « pôles de compétitivité » qui résultent de la convergence entre des politiques locales d’essais de structuration de filières et d’un nouvel interventionnisme de l’État dont le discours à l’adresse des acteurs locaux est du type suivant : « organisez-vous, soyez compétitifs dans vos projets de développement des territoires liés à des domaines d’activités et l’État vous appuiera ».

29À Toulouse, on assiste à l’essai de conforter les secteurs stratégiques existants en encourageant leur rapprochement. Trois domaines entrent dans ce champ : les systèmes embarqués (qui intéressent aussi bien l’automobile avec Siemens ou Actia, l’aéronautique, l’espace, l’instrumentation médicale, la géo-localisation, les autres transports terrestres) ; les biotechnologies qui sont liées à la pharmaceutique et au système de santé ; les agro-ressources. Les politiques de soutien favorisent la naissance de start-up (notamment pour les biotechnologies) et l’amélioration de la technicité des entreprises sous l’effet de plusieurs facteurs : politiques nationales en faveur de l’innovation, aides régionales diverses en faveur de la montée en compétence des PMI (petites et moyennes industries), regroupement des actions économiques de la Région dans une agence de développement économique régional (Midi-Pyrénées Expansion), création d’une agence de financement avec appel à projets, efforts accrus en matière de formations dans les lycées techniques. Cette technostructure régionale de soutien à l’économie se double d’une organisation nouvelle de l’appareil métropolitain, en trois communautés d’agglomération, permettant une certaine homogénéisation des politiques. Plus généralement, cet ensemble révèle une logique de collaboration public/privé qui s’ancre dans le développement territorial.

30C’est dans ce contexte que l’État, sous la houlette de l’ex-DATAR devenue DIACT (Délégation interministérielle d’aménagement et de compétitivité des territoires) lance un appel à projet pour la création de pôles de compétitivité. Le pôle AESE (aéronautique, espace, systèmes embarqués), classé de niveau international, est interrégional (Aquitaine et Midi-Pyrénées), élargit et structure des collaborations entre trois types d’acteurs : industriels, laboratoires de recherche, gestionnaires territoriaux. Présidé par le directeur d’Airbus France, le pôle lance de nombreux programmes de recherches, tandis qu’à Toulouse, est prévu l’aménagement d’une partie des terrains de Montaudran en une « Aerospace Valley » (transfert éventuel depuis le site de la Roseraie de l’ENSICA en cours de regroupement avec l’ENSAE, accueil du siège de Galileo…).

31Parallèlement, le pôle bio-cancer-santé, de niveau régional, s’inscrit dans l’opération nationale de lutte contre le cancer et dans une démarche de réutilisation du site d’AZF, et s’appuie sur deux entreprises pharmaceutiques (Sanofi, Pierre Fabre) qui y regroupent et développent leurs installations, un nouvel Institut de recherche, l’ITAV (Institut des techniques du vivant), diverses PMI de biotechnologies, et la déconcentration du centre hospitalier anti-cancéreux depuis le centre-ville.

32Enfin un autre pôle a été « labellisé » en 2007, celui des biotechnologies végétales et des agro-ressources, constitué autour de l’INRA (Institut national de recherches agronomiques), des écoles d’ingénieurs agricoles, du SICOVAL, où sont majoritairement installés ces organismes, et d’industriels de l’agro-alimentaire.

33En un demi-siècle, l’appareil « industriel » toulousain a considérablement évolué et englobe désormais secteur des services aux entreprises, parcs d’activités, structures d’accueil et de transfert, appareils de formation et de recherche en phase avec le tissu industriel, actions et dispositifs mis en place par les organes administratifs et les collectivités locales au service du développement économique. Des activités anciennes, en voie de disparition, sont remplacées par des activités liées aux nouvelles « technologies », non sans les aléas que rencontrent ces nouveaux secteurs soumis à des concurrences internationales exacerbées, à des incertitudes financières et politiques et à des choix d’aménagement parfois plus longs à mettre en place que prévu. Au-delà de ces changements, l’on observe certaines permanences, tant dans le maintien et la croissance d’activités (recherche universitaire, aéronautique) que dans l’utilisation des sites anciens (aéroport de Blagnac), même lorsqu’ils changent d’affectation (Montaudran, ancienne zone AZF). Le secteur spatial, les biotechnologies, les agro-ressources, les nanotechnologies, sont autant de domaines venus recomposer le tissu local. Cette nouvelle donne doit être examinée à partir d’une triple problématique : celle des trajectoires futures de ces activités qui offrent aujourd’hui des opportunités synchroniques d’organisation, renforçant les économies d’agglomération, mais dont la pérennité n’est nullement garantie (variations conjoncturelles d’activités, concurrences mondialisées, …) ; celle des structures sociales du travail, qui relèvent de hauts niveaux de qualification et laissent apparaître en creux de faibles opportunités d’embauche pour les demandeurs d’emplois peu qualifiés ; celle enfin que traduisent les vifs débats entre acteurs quant à l’aménagement de l’agglomération : grand « contournement » autoroutier (aujourd’hui abandonné), nouvelles lignes de « Transports en Commun en Site Propre », deuxième aéroport en grande périphérie, sans oublier l’échéance de la réalisation d’une ligne ferroviaire à grande vitesse vers la capitale.