1Toulouse n’avait pas perdu le souvenir des pratiques romaines, contrairement à beaucoup d’autres régions. Les capitouls surveillaient étroitement la qualité et les dimensions des briques qu’ils avaient réglementées, dès le treizième siècle, en édictant un statut des tuiliers1. En 1768, par exemple, ils avaient infligé des amendes à dix tuiliers à la Croix-Daurade, Pech David, Saint-Étienne et Saint-Cyprien2. La carte de Cassini représentait cinq emplacements dans la commune. L’ingénieur, Pierre Lebrun, en 17533, en mentionnait au Pré des Sept-Deniers, aux Récollets et à Saint-Martin-du-Touch. En l’an XI, une tuilerie, autorisée en 1777, fonctionnait toujours à Casselardit avec des fagots achetés dans la forêt de Bouconne4. La reprise des affaires sous l’Empire permit de renouer avec une production dont les techniques n’avaient pas changé depuis plusieurs siècles.

2Tout juste mentionnées par la Statistique de 1803, pour la Haute-Garonne5, les briques et tuiles ne sont pas considérées comme des produits de l’industrie dignes de figurer dans les listes transmises à l’Empereur, en 1813, mais les sous-préfets ont inclus les tuileries dans leurs rapports préparatoires :48 dans l’arrondissement de Villefranche,49 pour celui de Saint-Gaudens, 84 pour Muret, 8 à Toulouse où « ces établissements peuvent à peine suffire aux besoins de la ville et des environs »6.

Qualité médiocre

3Le métier n’est plus contrôlé comme sous l’Ancien Régime, mais les critères de qualité sont restés ceux des Encyclopédistes7 ou ceux du directeur des Travaux publics de la ville de Toulouse, qui concordent. Pour être solide, écrivait Pierre Lebrun, la « tuile plane », c’est-à-dire la brique8, doit être assez cuite : la tuile des Sept-Deniers « a plus de cuisson » que celle des Récollets. Elle doit rendre un son clair, ne pas contenir de petits cailloux de calcaire qui laissent des trous, les « geais », comme celle qu’on fait aux Sept-Deniers et à Saint-Martin-du-Touch. Cependant, la tuile cassée ou mal cuite « se vend tout comme l’autre au Public. Les Massons, qui sont presque toujours débiteurs des Tuiliers, la reçoivent et l’employent bien souvent aux murs de face, où elle fond dès que la pluye ou le mauvais tems la touche, ce qui est non-seulement désagréable à la vue, mais très-dangereux »9. Ces conseils de l’ingénieur eurent bien du mal à être entendus.

4Jacques-Pascal Virebent, architecte communal avant, pendant et après la Révolution, signale « des abus énormes que les briquetiers et les tuiliers commettent » et attend les consignes du nouveau maire qui devait nommer une commission… (1818)10. Instruisant un projet de tuilerie aux Minimes, il a trouvé une terre « liante sans être ni trop maigre, ni trop grasse, amalgamée naturellement dans la proportion convenable pour produire de la bonne brique à bâtir, de l’excellente tuile creuse ou à canal pour couvrir les bâtiments et des carrelages d’un bon usage ; la terre propre à cette fabrication forme un banc d’une épaisseur et d’une étendue suffisante pour fournir cette briquetterie pendant un grand nombre d’années »11. Effectivement, ces terrains du nord de la ville furent largement exploités pendant les cent cinquante années suivantes (fig.48 et 56).

5Pour fonder une briqueterie permanente, il faut donc d’abord une bonne argile plastique. Les rives de la Garonne et de ses affluents n’en manquent pas, sur le territoire même de la commune. Il revient aux artisans de mieux la traiter qu’auparavant.

Du bois à la houille

6Dans les premières années du siècle, les autorités, s’inquiétant de la déforestation, interdisent des implantations trop proches des forêts. Le préfet interdit la remise en marche des tuileries les moins actives et procède à des fermetures, en milieu rural. Cette préoccupation inspire la réglementation de 1810. Désormais l’installation d’un four à brique, à tuile ou à chaux sera soumise à autorisation préalable et enquête « de commodo et incommodo ». La préfecture et l’administration des forêts contrôlent la consommation de bois : le candidat briquetier « est tenu de déclarer au mois de janvier de chaque année l’espèce et la quantité de combustibles qu’il entend employer pour alimenter son usine, ainsi que les lieux où ils seront pris »12. Comme l’écrit l’architecte communal, « le voisinage de la rivière de Garonne peut faciliter l’approvisionnement du bois pour l’usage de la briqueterie »13. De même le canal du Midi.

7Il faut aussi de bons chemins pour livrer la marchandise : on avait « détruit naguère les vieux fourneaux des deux briqueries (sic), parce qu’ils étaient trop éloignés des chemins », on va les reconstruire près de la route royale n° 20. Garonne, canal et routes nombreuses facilitent l’approvisionnement en bois, comme la livraison des produits finis. La houille de Carmaux est utilisée également, surtout après que le chemin de fer en assure un transport plus aisé.

Les fours-séchoirs

8Chaque candidat à l’établissement d’une briqueterie aurait dû fournir, avec un plan de situation, le plan descriptif de son installation, mais il en reste fort peu. L’enquête publique et l’avis du Conseil d’hygiène portant sur les risques d’incendie, on n’y décrit pas la carrière, l’emplacement pour laisser « pourrir » l’argile pendant l’hiver, l’aire de malaxage, le pétrissage aux pieds, l’outillage, la table de moulage (le travail se faisait en plein air, entièrement à la main), les hangars à sécher…

9De temps immémorial, les tuiliers du grand Sud-Ouest utilisent les mêmes fours ouverts, intermittents. Le feu, alimenté par une ou deux bouches, est entretenu sous une sole à claire-voie ; les produits crus sont posés en quinconce et assez espacés pour que la chaleur monte et circule partout. Ce sont les fours droits. Les dimensions sont constantes : quatre mètres cinquante sur quatre mètres quatre-vingts environ à l’extérieur, murs épais d’au moins un mètre. La hauteur atteint généralement deux mètres, la chambre de cuisson est donc un cube ouvert, de deux mètres de côté. Elle est surmontée d’une toiture légère, en auvent, qui ne ferme pas le four mais le protège des intempéries14 (fig.49-50).

10Les fours sont édifiés sur les lieux mêmes de la carrière, adossés à une levée de terrain ou partiellement enterrés dans une fosse. Les séchoirs sont des hangars attenants au four : ils profitent de sa chaleur, en protégeant du plein soleil par des toitures descendant très bas15. Certains exploitent deux fours alternativement : cela leur permet de répartir le travail sur une plus longue période, car chaque cuisson dure trois à quatre semaines, chargement et refroidissement inclus. Les plus aisés ajoutent un deuxième four contigu au premier sous le même hangar, comme Lafosse, à Lalande, en 1870, ou construisent directement des fours deux fois plus grands, comme Bonnafous, à Ginestous en 1873. Les dossiers conservés montrent la persistance du système de four-séchoir droit, intermittent : Rivière à Guilheméry ou Roques, route de Muret, édifient encore en 1881 et 1885 les mêmes installations16 (fig. 51 et 52).

11Ce type de four est recommandé par les frères Virebent, mais en plus petit gabarit, pour la fabrication de tuyaux de drainage, pour lesquels ils ont fait breveter une mouleuse mécanique17.

Fours intermittents

12Dès 1763, Duhamel du Monceau décrivait un système plus économe de four fermé, où chaleur et fumées sont renvoyées par une voûte vers le bas des piles de produits crus : cette technique augmente la puissance de chauffe, diminue les temps de cuisson, donc les quantités de combustibles, mais nécessite un investissement de départ plus lourd. Il ne semble pas que ce soit là un modèle courant à Toulouse. Cependant, Penent construit un four fermé, rond, de dix mètres de diamètre, en 1870, à La Faourette (fig. 53). Fauré régularise en 1884 son four voûté « non fumivore » : les fumées y circulent plusieurs fois à travers les briques crues, avant de ressortir affaiblies et refroidies par une haute cheminée établie à côté du four. Une publicité de Ringaud, dans l’annuaire de Haute-Garonne de 188018, pourrait concerner un four fermé à flamme renversée, inséré dans un séchoir percé de nombreuses ouvertures, mais le dessin peut avoir été créé pour plusieurs fabriques sans décrire précisément les installations de la route de Castres (fig. 54).

13Une polémique avec les riverains indique qu’en 1896 cette usine allume chacun de ses quatre fours tous les deux mois. Elle n’est donc toujours pas équipée d’un four à feu continu. Pourtant, la révolution technique des Allemands Hoffmann et Licht, brevetée en 1858, avait été commercialisée en France après 1870 : or, dans les archives toulousaines du xix^e siècle, il n’a pas été conservé de demande d’autorisation de construire un four annulaire à feu continu. Le four Hoffmann implique des gisements d’argile abondants, de vastes chambres de séchage de produits crus façonnés, un bâtiment en forme d’anneau, rond ou ovale, de20 à40 mètres, des réserves de charbon, puis des stocks à écouler, un marché important, du personnel permanent qualifié. Techniquement et économiquement, on entre là dans des processus industriels qu’aucune des briqueteries toulousaines repérées avant 1900 ne semble avoir engagés.

Très petits ateliers

14Le statut des artisans était assez variable. En 1830, sur les 17 possesseurs d’une briqueterie, 6 sont propriétaires-exploitants, 11 propriétaires non exploitants, dont 6 exercent une autre profession19. La promotion sociale existe : Charles Laffont « exerçait la profession de tuilier soit comme ouvrier, soit comme fermier », puis, en 1821, « l’amour de son travail, ses économies et surtout sa probité l’ont mis à même de devenir propriétaire d’un terrain ». Gilibert Pellefigues, fermier d’une tuilerie en 1820, en est le propriétaire en 1839 et sollicite l’autorisation d’y construire un nouveau four. D’anciens ouvriers ou contremaîtres se mettent à leur compte : Méric, briquetier chez Lafon, s’installe en 1839, Fauré, briquetier chez Marty fils, en 1884. Un autre eut moins de chance ou de savoir-faire : « laborieux comme ouvrier, il a acheté une propriété, a construit sa maison et l’usine a dépassé ce qu’il avait ; il n’a pas pu payer ses dettes », écrit le syndic de faillite. Des constructeurs produisent eux-mêmes leur matériau : un entrepreneur de bâtiment à l’écluse Bayard en 1835, un fabricant de chaux au Pont-des-Demoiselles en 1844.

15Les effectifs restent faibles tout au long du siècle. Un « État des arts, métiers et professions exercés dans la commune de Toulouse » recensait 12 « maîtres » tuiliers ou briquetiers et 120 « compagnons » en l’an IX20. En 1813, officiellement, les 8 ateliers toulousains occupent40 ouvriers21. Entre 1820 et 1827, douze briqueteries emploient 50 à 90 ouvriers selon les saisons22. Au cadastre de 1830, pour les21 établissements recensés, 35 tuiliers sont propriétaires d’une maison ou d’une terre, dont 6 possèdent et exploitent une tuilerie ou une briqueterie, soit 35 professionnels relativement aisés. Mais les ouvriers locataires de leur maison ou logés sur place, a fortiori les saisonniers, ne sont pas répertoriés ici23.

16Le dépouillement du recensement de 1830-1831 a permis de relever43 professionnels, dont 7 propriétaires-exploitants, 3 locataires,26 simplement appelés tuiliers, et 7 « garçons tuiliers ». De plus, chez les patrons, logent 12 « brassiers », « rouliers » ou journaliers ; ce qui porte à 55 le nombre de travailleurs permanents. Certains d’entre eux ont des épouses et des enfants adolescents ou jeunes adultes, dits sans profession, qui devaient prêter la main.

Une usine d’une cinquantaine d’ouvriers en 1851

17Un document établi pour la constitution des Chambres des prud’hommes donne une liste nominative de 33 hommes salariés permanents, de plus d’un an d’ancienneté dans l’usine des Sept Deniers : deux contremaîtres, quatre maîtres chauffeurs (préposés à la cuisson), sept maîtres briquetiers et dix ouvriers briquetiers (affectés au moulage et au séchage), un maître de barque et neuf rouliers24.

18Sont expressément exclus de cet état les hommes de peine, terrassiers et tous les moins de21 ans. De plus, chaque mouleur avait en général à son service au moins une femme et un enfant pour sabler le moule, puis porter la brique à sécher, mais les femmes et les enfants ne sont pas non plus pris en compte pour les élections prud’hommales. Au total, plus de cinquante employés ont donc dû travailler dans cette usine. Combien avaient alors cette importance ?

Entreprises artisanales

19Selon les statistiques de 188725,217 personnes travaillent aux briques. Trois ans plus tard,441 : en moyenne dix par unité, dont 8 à 16 % de femmes déclarées, et quelques enfants sporadiquement signalés. Le rapport entre ouvriers et manœuvres semble plus régulier : 60 à 70 % des personnels sont des ouvriers, 10 à 15 % sont manœuvres. La dernière décennie voit baisser fortement le nombre de briquetiers : 163 sont répertoriés au titre du « régime industriel » en 1892, répartis dans23 établissements, dont 10 ont moins de cinq ouvriers, aucun ne dépassant les 15. Par ailleurs, le système de l’équipe rémunérée aux pièces et payée au seul chef d’équipe (ou chef de famille) a subsisté jusqu’au xx^e siècle : il ne facilite pas les dénombrements26.

20Malgré la difficulté de connaître les effectifs réels, on ne relève pas de briqueterie vraiment industrielle, comme il s’en forme dans cette deuxième moitié du xix^e siècle à Marseille, en Bourgogne, en région parisienne, qui emploient jusqu’à plusieurs centaines d’ouvriers27.

Production traditionnelle

21Sous la Restauration, la production avait triplé en dix ans : 650 000 briques et tuiles en 1818, un million en 1820, 1411 000 en 1825, 1 779 000 en 182728. Les fours toulousains, qui n’ont changé ni de techniques ni de dimensions depuis plusieurs siècles admettent alors environ20 000 pièces par cuisson, quatre fois par an. Mais les pertes sont importantes : produits trop ou pas assez cuits, cassés ou de mauvaise qualité, souvent vendus quand même à moindre prix : les maçons savent monter les murs avec des briques de taille variable, des morceaux cassés de briques neuves ou de récupération ; ils gardent les grandes briques neuves pour les parties sensibles : angles, encadrements de portes et fenêtres. Ils prendront d’ailleurs l’habitude de ménager des couches de galets. Peu de stocks : certaines briqueteries sont même construites sur place et détruites à la fin du chantier. Les inventaires de faillites montrent des stocks faibles : dans une briqueterie arrêtée en cours d’activité, 30 000 pièces en cours de séchage sont inventoriées sous le hangar, 13 000 dans le four, et20 000 « briques cuites, sur le sol ».

22Les produits restent traditionnels. Ce sont toujours les productions locales du xviii^e siècle qui sont en vigueur : la grande brique plane ou brique foraine (environ 42 x28 x 5 cm), difficile à cuire, la brique commune plus petite, sans être standardisée ; les briques à tailler ou à sculpter29, les briques de parement sont de tailles variables. La tuile de couverture est la tuile romaine ou canal. Les statistiques officielles ne distinguent que briques et tuiles ; les gros marchés ne font pas le détail30. Mais la langue commune, qui a adopté le mot « brique », garde les qualificatifs anciens pour distinguer les tailles et les qualités : lors d’une faillite de 1865, le syndic procède à la vente de lots de « foraines à bâtir », de « briques marteaux », de « briques rougettes », de « briques violettes » ; un autre inventaire mentionne des « briques à carreler » et des « tuiles à canal »31. L’usage des briques crues n’avait pas disparu : une fabrique s’était spécialisée près du canal, Clamens, puis Izart, en produisaient 148 000 en 1827. Le produit était encore utilisé en 1863, puisqu’un syndic de faillite a trouvé à vendre un stock de plus de 30 000 briques crues à20 F le mille, alors que les foraines se sont vendues 5 50 F le cent.

Apparition du standard national

23Alors que les caractéristiques des produits locaux subsistaient, les standards du nord avaient bien tenté de conquérir les Toulousains : quelques ateliers proposaient des briques « à la flamande » ou « façon Bourgogne », plus petites mais plus épaisses, plus cuites, plus régulières, plus foncées, parfois blanches ou jaunes, à recouvrir ou non d’un enduit. Le procédé était ancestral lui aussi, mais issu d’une autre culture que la toulousaine. Il était déjà utilisé çà et là (1830, 1835, 1836) : plusieurs briquetiers mettaient en œuvre la cuisson en plein air, en meule, sans murs fixes. Ils appelaient cette méthode « flamande » et semblaient l’appliquer à des chantiers temporaires. Hubert Genaux fils est venu de Gaillac tenter sa chance à Toulouse en 1872 avec son four à ciel ouvert, à la flamande, pour cuire les petites briques bien calibrées et bien dures, à la mode du nord de la France, dites « briques belges ». Il affirme avoir comme clients « les grandes fabriques de Toulouse qui le prient avec insistance de rechercher un système pour les briques réfractaires et de pays »32. Le Conseil d’hygiène découvre le procédé et s’enthousiasme pour la cuisson de 60 000 briques en 12 jours au lieu de20 ou40 000 en trois semaines. Mais la brique produite « paraît devoir être difficilement acceptée par nos ouvriers trop ennemis des améliorations pratiques les plus évidentes ». « Tout appelle à triompher des résistances inintelligentes dans un avenir plus ou moins prochain ».

Mécanisation de la production

24Les constructions haussmanniennes du centre de Toulouse et les usines utilisèrent en effet de grandes quantités de ces petites briques normalisées, épaisses, rouge foncé et non la grande orangée de dimensions fantaisistes. Les briques mécaniques sont plus compactes et plus solides, car fortement comprimées dans les moules manuels à balancier ou mécaniques actionnés par des machines à vapeur. Les machines inventées par des Anglais et fabriquées dans le nord de la France sont calibrées sur le format courant :22 cm x 11 cm x 6 cm : on ne peut pas façonner de briques foraines de40 cm à la machine. Les maçons apprennent donc à utiliser la petite brique. Dans l’Annuaire départemental de 1888, Lougarré, aux Sept-Deniers, vante sa « spécialité de briques rouges et blanches pour construction… [les] qualités exceptionnelles pour les briques à tailler et [ses] briques de Bourgogne dites Belges, comprimées et non comprimées ». Borie-Chanal, chemin de Périole, vend des « briques et tuiles mécaniques ». Avec Virebent, Ringaud et Rivière, ils sont bientôt quatre à présenter leur « usine à vapeur », les chaudières actionnant des machines à corroyer et des presses à façonner (fig. 55).

25Cette mécanisation leur permet d’ailleurs de fabriquer d’autres produits mis au point dans d’autres régions : tuiles Gilardoni dont Marseille s’était fait une spécialité, briques creuses pour hourdis de plafonds ou pour murs à crépir.

26Mais c’est toujours dans les fours droits de leurs ancêtres qu’ils cuisent les nouveaux produits : Vidal, qui a vu son usine dévastée par les inondations de 1875, l’a reconstruite avec un four droit traditionnel. Les Ringaud, qui avaient racheté une tuilerie Gélis en 1865, fabriquent, en 1896, des tuiles plates, des briques creuses, du carrelage, des tuyaux et de la « brique pleine, blanche et rose » dans des fours intermittents. Des deux grands progrès techniques du xix^e siècle, four à feu continu et presse à vapeur, les Toulousains ne semblent donc avoir adopté que cette dernière. Ils ne sont pas passés à la dimension supérieure qu’impliquait le four à feu continu répandu dans toutes les autres régions productrices avant la fin du siècle. Du moins dans Toulouse intra muros, cadre de cette communication.

L’urbanisation n’a pas chassé toutes les briqueteries

27Tout au long du siècle, les autorités redoutent d’abord que les fours ne propagent des incendies : aussi oblige-t-on à « éloigner les fours de40 mètres au moins des routes et des chemins ». Il faudra que « les bouches des fours soient tournées du côté opposé à la route » pour éviter que les chevaux ne soient effrayés par les feux. Comme en zone rurale, la tutelle tente de concilier l’agriculture et l’industrie et impose des restrictions aux briqueteries : « la mise des feux ne devra pas avoir lieu à l’époque de la floraison des blés ni pendant l’enlèvement des récoltes », « les arbres et haies vives des voisins seront protégés par des toiles ou paillassons tendus près du four ». Le charbon est moins bien accepté que le bois : les pétitionnaires sont obligés de construire « des créneaux en briques à la partie supérieure des fours, si on chauffe avec la houille, afin que la fumée soit divisée par les vents »33.

28Tout allait bien quand on était encore à la campagne : « cet établissement ne peut nuire à aucune habitation, puisqu’elles sont toutes éloignées du lieu où le pétitionnaire projette de bâtir cette briqueterie ». Les plans de situation fournis montrent en effet souvent des projets d’implantation sur des terres agricoles, ou dans les vastes propriétés de châteaux comme Casselardit, Ginestous, Bracqueville ou Gounon. Mais l’urbanisation gagne et la cohabitation devient difficile : à Terre Cabade, dès 1835, des oppositions aux tuileries se manifestent à cause des habitations à venir. Dans le même quartier, en 1886, la briqueterie est « au milieu d’un pâté de maisons qu’elle rend inhabitables ». « Les habitations du voisinage ont beaucoup à souffrir… nos arbres dépérissent… il est impossible de préserver même l’intérieur de nos habitations de ce charbon et des vapeurs nuisibles. » Mais, remarque l’industriel, « la briqueterie existe depuis soixante-quinze ans où il n’y avait aucune construction, les propriétaires qui sont venus s’établir aux environs ne se sont pas préoccupés de son existence ». Les réticences des riverains pèsent lourd et embarrassent les autorités : en 1864, les propriétaires du quartier du Béarnais, entre canal de Brienne et canal du Midi, réagissent : « nos petites propriétés ont déjà perdu un tiers de leur valeur depuis le chemin de fer »… L’entrepreneur a beau faire remarquer la présence d’usines plus polluantes à proximité (usine à gaz, fabriques de goudron et de salpêtre, fonderie), il n’obtient pas l’autorisation.

29Cependant, l’exploitation de l’argile et l’urbanisation coexistèrent encore longtemps34. La persistance de fabriques en pleine ville, à Terre-Cabade, Guilheméry et Périole, s’explique par la proximité du chemin de fer. Après les inondations de 1875, les autorités tolèrent les installations polluantes : « la brique fait défaut, de nombreuses constructions se font en ville et dans les quartiers inondés ». La fabrique de Rapas jouxte la nouvelle École Normale, avenue de Muret, alors que les tuileries de Saint-Cyprien et Bourrassol ont disparu plus tôt. Des briquetiers tirent argument de leur exploitation même pour favoriser l’urbanisation. Un terrain envisagé pour une briqueterie, en 1865, était plus élevé que la route de Castres qu’il longeait : « l’abaissement de niveau du terrain permettra plus tard d’y bâtir des maisons d’habitation ». Et, en effet, les espaces occupés naguère par des briqueteries furent construits dès le xix^e siècle : à Terre-Cabade, l’une des briqueteries ancestrales « est destinée à être vendue sous peu comme terrain de construction ».

30Au xx^e siècle, quelques sites d’exploitation ont subsisté sur le territoire communal au nord, Ginestous et Sept-Deniers, et au sud, Pech David. Les entreprises industrielles importantes et modernes s’étaient implantées, elles, plus loin, en dehors de Toulouse : à Saint-Jean, Bruguières, Pechbonnieu, Colomiers, Portet…