Toulouse, une métropole méridionale
| , ,Habitants et société
Population, famille et habitat à Toulouse en 1790
Résumé
Grâce aux riches sources toulousaines – compoix de 1680, capitation de 1695, recensement de 1790 et rôles de la contribution foncière de 1791 – il est possible d’analyser plusieurs aspects de la population toulousaine à la fin de l’Ancien Régime. Tous les quartiers toulousains ne sont pas égaux devant la densité de la population ou devant les évolutions qui se font jour au XVIIIe siècle. De même, les formes de l’habitat – nombre d’étages, nombre de corps de bâtiment, par exemple – varient aussi entre les quartiers densément peuplés près du parlement et les quartiers plus aérés dans le nord de la ville, dans les faubourgs et le gardiage.
Texte intégral
Introduction
1Cette contribution a pour objectif de dresser un état quantitatif de la population toulousaine en 1790 alors qu’elle connaît un accroissement important. Il s’agira dans un premier temps d’observer la répartition de la population dans la ville en termes d’effectifs et de densité et de définir l’identité sociale des différents capitoulats ou quartiers de la ville. Dans un deuxième temps, je décrirai les différentes formes de l’habitat toulousain et le degré d’occupation des maisons. Je m’interrogerai donc cette fois sur la densité de la population à l’échelle de la maison, c’est-à-dire telle qu’elle est réellement vécue par les Toulousains. Enfin, le dernier point portera sur les familles toulousaines, c’est-à-dire sur la taille et la structure des ménages.
2Cette présentation reprend quelques éléments issus de ma thèse de doctorat soutenue en 1999 et qui avait pour titre : « Approches démographique et sociale des ménages toulousains entre 1695 et 1790 ». Ce travail qui portait donc sur un siècle me permettra d’esquisser une évolution au cours du xviiie siècle.
- 1 Arch. mun. Toulouse, CC 2859 et CC 2860.
- 2 Arch. mun. Toulouse, CC 76 à 134.
- 3 Arch. mun. Toulouse, 1 G38 à 52.
3Trois sources sont utilisées : le recensement de la population toulousaine de 1790 qui est la conséquence de la création des municipalités par la loi du 14 décembre 17891. Bien que manquant d’homogénéité, il permet d’identifier le chef de ménage, sa profession, la taille et la composition du ménage, le nombre de familles résidant dans la même habitation. Le cadastre de 1680 fournit les cadres spatiaux qui sont toujours ceux du recensement de 1790, le capitoulat et le moulon, et il permet de calculer les densités de population2. Les rôles de la contribution foncière de 1791 décrivent les structures de l’habitat avec, notamment, le nombre d’étages et nombre de corps de logis des différentes habitations3.
État de la population
4La population toulousaine en 1790 s’établit à 52 439 habitants selon le comptage que j’ai effectué à partir du recensement. Elle s’établit officiellement à 53 152 habitants par l’avis au public daté du 15 janvier 1790. Cet écart de 713 habitants s’explique essentiellement par des lacunes dans les documents parvenus jusqu’à nous, en l’occurrence quatre moulons relativement peuplés au début de la rue du Taur et de la rue des Lois.
- 4 Benoît Garnot, La population française aux xvie, xviie, xviiie siècles, Paris, Ophrys, 198 (...)
5Sur un siècle, la population toulousaine a connu un accroissement de38,5 % (37 861 habitants en 1695) dû essentiellement a un apport de population extérieure et, dans une moindre mesure, à un accroissement naturel dont le solde est positif. Ce taux de croissance reste faible comparé à celui d’autres grandes villes de France sur la même période : Marseille + 46.7 %, Lyon + 54.6 %, Nantes + 100 %, Bordeaux + 144.4 %4. Ce sont des villes portuaires et/ou commerçantes bien plus attractives que ne l’est Toulouse.
6Pour près de 90 %, la population toulousaine est installée sur la rive droite de la Garonne. Ce n’est qu’après la construction, au milieu du xviiie siècle, des digues sur la rive gauche du fleuve, préservant celle-ci des inondations, que le quartier Saint-Cyprien commence à se peupler de façon significative.
7En 1790, 73,2 % de la population réside à l’intérieur des murs de la ville. Ce qui n’empêche pas certains faubourgs (par exemple au sud de la ville, près de la porte Narbonnaise), d’être plus peuplés que certains quartiers de la ville intra-muros.
Densité de la population intra-muros
- 5 Paul Delsalle, Le cadre de vie en France aux xvie, xviie, xviiie siècles, Paris-Gap, Ophry (...)
- 6 Maurice Garden, « Quelques remarques sur l’habitat urbain. L’exemple de Lyon au xviiie siè (...)
- 7 Philippe Wolff, Voix et images de Toulouse, Toulouse, Privat, 1962, p. 228.
8En moyenne, la ville compte 250 habitants par hectare en 1790. Cette densité est relativement faible comparée à celle d’autres villes plus proches des350 à 400 habitants/ha (Rouen, Nîmes, Caen)5 et totalement insignifiante comparée aux 1 000 habitants à l’hectare que comptent certains quartiers de Lyon à la même époque6. Pour corroborer ces chiffres, Arthur Young, célèbre voyageur londonien, qui se trouvait à Toulouse le 14 juin 1787, note « Vu la ville de Toulouse, qui est très ancienne et très grande, mais pas peuplée en proportion de son étendue »7.
9Dans la continuité du peuplement ancien de la ville, c’est au cœur de la cité, dans les capitoulats du Pont-Vieux, de Saint-Barthélemy et de La-Pierre-Saint-Géraud que la population est la plus densément concentrée, ainsi que dans le nord du capitoulat de Saint-Étienne. On peut voir à quel point le bourg (extension médiévale au nord de la ville ancienne) est sous-peuplé, le bâti y est peu important, les champs sont encore nombreux et les institutions religieuses occupent de vastes parcelles de terrain. Seuls les petits moulons situés à proximité des portes Arnaud-Bernard, Pouzonville, Matabiau ont une densité de population importante.
10De façon générale et quel que soit l’endroit dans la ville, le peuplement se densifie près des portes et le long des grands axes de circulation (l’actuelle rue Saint-Rome, rue des Changes, des Filatiers et des Pharaons, ainsi que les rues menant du Capitole à la porte Matabiau ou à Saint-Sernin).
11Dans les faubourgs, la population se concentre à la sortie des portes de la ville. Le faubourg le plus peuplé se trouve au sud, à la porte Narbonnaise, lieu d’échanges essentiel avec la Méditerranée par voie terrestre et avec les Pyrénées par la Garonne et le port Saint-Michel tout proche. Le faubourg Saint-Étienne, situé entre la porte du même nom et le Canal du Midi, est également très peuplé. Sa population a doublé au cours du xviiie siècle. C’est le lieu par lequel transitent les marchandises entre le port Saint-Étienne et la ville.
12Toujours « hors les murs », mais au nord et à l’ouest de la ville, ce n’est pas dans les faubourgs que le peuplement est le plus important, mais dans le gardiage (parfois appelé la banlieue) autour de grandes propriétés, de paroisses (Saint-Martin du Touch en fort accroissement au cours du xviiie siècle) ou d’institutions religieuses (les Minimes au nord).
13En termes d’évolution au cours du xviiie siècle, on constate d’abord un accroissement constant de la population au cœur de la cité là où la densité est déjà la plus élevée, et une stagnation de la population dans le capitoulat de Saint-Barthélemy, dont le peuplement est probablement saturé. On remarque encore une augmentation près des portes et le long des grands axes de la ville. On constate surtout un important accroissement de la population au nord du capitoulat de Saint-Étienne. Ce quartier, qui était peu peuplé, est devenu très attractif avec l’activité qu’engendre le Canal du Midi au cours de ce siècle. La construction, au milieu du xviiie siècle, des digues sur la rive gauche de la Garonne, préservant celle-ci des inondations, donne le feu vert au peuplement du quartier Saint-Cyprien.
Identité sociale
14Comme dans toutes les villes, les différents quartiers de Toulouse ont une identité sociale et professionnelle issue du Moyen Âge et liée à la proximité de tel ou tel élément naturel, institution ou administration, indispensable au métier pratiqué.
- 8 Arch. dép. Haute-Garonne, 2 Mi 905 et 2 Mi 906.
15Le recensement de 1790 compte beaucoup de lacunes quant à l’identité professionnelle des chefs de ménage. Je me réfère donc aux informations transmises par les rôles de la taxe de la capitation de 16958. Cette taxe, générale et proportionnelle, répartit l’ensemble de la population en 22 classes et300 rangs ou catégories de personnes représentatifs de l’ensemble des dignités, grades et professions existants. Elle permet d’évaluer une hiérarchie sociale et économique des personnes au sein de la France moderne telle qu’elle était perçue par ses contemporains.
16Une transcription cartographiée de la taxe moyenne de la capitation nous permet de distinguer assez clairement que c’est dans la cité (et en son sein au sud de la ville et dans le capitoulat de Saint-Étienne), que se trouvent les familles les plus aisées. Puis, plus l’on s’éloigne, plus le niveau économique des familles est faible.
17Il est possible de distinguer cinq grands groupes socioprofessionnels dont la répartition est significative dans la ville. La noblesse de robe formée des conseillers au parlement se trouvent essentiellement au sud du capitoulat de Saint-Étienne et dans les quartiers adjacents, à proximité du parlement. En rang en-dessous, la moyenne bourgeoisie constituée des avocats et procureurs au parlement se rencontre dans le même secteur, mais bien plus nombreux ; ils se trouvent de part et d’autre de le rue Nazareth et de la rue Perchepinte et dans les rues qui leur sont perpendiculaires. La haute bourgeoisie, composée de grands marchands et de négociants en gros, se situe autour de la halle de la Pierre, de la bourse des marchands et à proximité du poids de l’huile. Les classes populaires composées des maîtres artisans se répartissent au sein du cœur actif de la cité sur les grands axes de circulation et leurs rues perpendiculaires. Enfin, les « pauvres » (qualifiés ainsi par les dizainiers et exemptés de capitation) se rencontrent en forte proportion dans le bourg et les faubourgs. Il s’agit de femmes, d’artisans ainsi que des actifs dans les métiers des transports et de l’agriculture.
18L’analyse des densités a permis jusque-là d’observer la répartition de la population dans la ville sur la base de la superficie totale des moulons sans se limiter au bâti. Or, le niveau d’urbanisation des moulons est très différent d’un capitoulat à l’autre.
Habitat et densité
19L’objectif à présent est de pouvoir déterminer un niveau d’entassement réel des Toulousains, tel qu’il est ressenti au quotidien au sein de la famille selon les quartiers de la ville et donc selon leur identité sociale. La seule solution permise par les sources est de mettre en parallèle les structures de l’habitat telles qu’elles sont indiquées dans les rôles de la contribution foncière (nombre de corps de logis, nombre d’étages pour déterminer le niveau d’urbanisation de certains capitoulats représentatifs de la diversité de la ville) et le nombre de familles par maison donné par le recensement de la population. Il sera alors possible d’en déduire un niveau moyen d’aisance ou de promiscuité au sein de l’habitat toulousain.
Structure de l’habitat
- 9 Benoît Garnot, « Le logement populaire au xviiie siècle : l’exemple de Chartres », Revue d (...)
- 10 Paul Delsalle, Le cadre de vie en France aux xvie, xviie, xviiie siècles, Paris-Gap, Ophry (...)
- 11 Annick Pardailhe-Galabrun, La naissance de l’intime. 3000 foyers parisiens, xviie-xviiie s (...)
20Sur un plan général, il apparaît que la plupart des maisons sont constituées d’un seul corps de logis (65,1 % pour la partie intra-muros de la ville, 85,1 % pour les faubourgs). Dans la ville, les maisons ont en moyenne deux étages, mais un quart des maisons peuvent atteindre trois étages et quelques-unes d’entre elles peuvent même aller jusqu’à quatre étages (c’est le maximum). Dans les faubourgs, les maisons ont en moyenne un seul étage et ne dépassent pas trois étages. En termes de comparaison, Toulouse est une ville plus haute que Chartres où les maisons dépassent rarement deux étages9 et que Dijon où 43 % des maisons ne dépassent pas un étage10. En revanche, Toulouse est une ville plus basse que Paris caractérisée par une plus forte proportion d’habitations à deux étages (62 %), un taux plus élevé de maisons à quatre étages (10 %) ainsi que de nombreuses maisons à cinq étages et plus (4 %)11, lesquelles n’existent pas encore à Toulouse.
21En 1790, on compte en moyenne 2,8 familles par maison dans la ville intra-muros et 2,5 familles par maison dans les faubourgs. Un tiers des maisons sont occupées par une seule famille. Si le nombre de familles par maison tend à augmenter au cours du xviiie siècle, c’est le résultat d’une urbanisation plus importante des parcelles déjà construites par l’ajout d’un corps de logis supplémentaire à l’arrière, dans ce qui était la cour ou le jardin, ou par l’élévation des habitations au détriment de nouvelles constructions sur des parcelles nues.
22En mettant en parallèle l’importance du bâti dans chaque capitoulat et le nombre moyen de familles dans chaque maison, il apparaît que c’est dans le capitoulat de Saint-Barthélemy que le bâti occupe le plus d’espace au sol, avec de nombreuses habitations à3 ou 4 corps de logis. Ce sont les hôtels particuliers des familles nobles et parlementaires déjà cités dans ce quartier de la ville. La Dalbade n’est pas en reste, c’est dans ce capitoulat que ce trouve le plus fort taux de logements à3 corps de logis. Plus l’on s’éloigne du cœur de la cité en se dirigeant vers le bourg ou les faubourgs, et plus la part du bâti diminue.
23Concernant la construction à la verticale, c’est dans les capitoulats de La-Pierre-Saint-Géraud et Saint-Barthélemy que les maisons sont les plus hautes avec une majorité d’habitations à3 étages (près de 70 % atteignent3 étages à La Pierre-Saint-Géraud). On se souvient que c’est dans ces quartiers que la population n’a pas augmenté au cours du xviiie siècle, c’est signe d’une urbanisation déjà forte. À la Dalbade, la plupart des maisons compte 2 étages, dans le bourg et le faubourg Saint-Cyprien, elles ont 1 à 2 étages (40 % dans chacun des cas) et dans les faubourgs, elles ne comptent plus qu’un seul étage, voire un unique rez-de-chaussée dans les faubourgs du nord de la ville.
L’occupation des maisons
24À l’exception du capitoulat de la Dalbade où le nombre moyen de familles par maison est très élevé (3,5), on remarque que ce nombre est très proche dans les autres secteurs de la ville malgré les différences sociales. Il y a, par exemple, autant de familles par maison dans le capitoulat de Saint-Barthélemy que dans les faubourgs de la ville ; or, comme nous l’avons vu, les structures de l’habitat sont très différentes. Incontestablement, l’espace de vie de chaque famille varie beaucoup. Alors que les structures de l’habitat sont très développées dans le capitoulat de Saint-Barthélemy, la part des maisons ne recevant qu’une famille est importante (40 %). C’est une proportion proche de celle des capitoulats du bourg (entre 40 et 45 %) et même supérieure à celle des faubourgs populaires du sud de la ville où les structures de l’habitat sont bien moins étendues. Incontestablement, les habitants de la cité bénéficiant d’une aisance incontestable dans leurs logis contrairement aux familles des quartiers périphériques où les familles cohabitent dans des espaces réduits.
25Dans les capitoulats de Saint-Pierre-des-Cuisines, Saint-Sernin et Saint-Cyprien, bien qu’un nombre important de maisons ne soit occupé que par un seul feu, la proportion de maisons qui abritent quatre familles et plus est la plus élevée. Aussi, on peut penser que la promiscuité des familles est plus forte dans le bourg et le faubourg Saint-Cyprien où la plupart des maisons sont basses et ne comptent qu’un seul corps de logis.
26Ce phénomène est encore plus accentué dans les faubourgs du sud et de l’est de la ville où le niveau d’occupation des maisons est plus élevé que dans le bourg alors que l’habitat est de structure plus réduite. Le bourg et les faubourgs sont des quartiers populaires où les familles occupent souvent une pièce unique dans une maison qu’elles partagent avec d’autres familles.
27La Dalbade se trouve dans une situation intermédiaire avec à la fois des moulons très bâtis (forte proportion d’habitations à3 corps de logis) et un peuplement de familles modestes issues du milieu artisanal.
28Ainsi, il apparaît que les zones de la ville les plus urbanisées et donc les plus densément peuplées assurent aux familles de vastes espaces de vie au sein de grandes habitations. À l’inverse, les capitoulats en cours d’urbanisation, où la densité est plus faible en raison de la persistance de nombreux jardins, sont aussi ceux qui reçoivent le plus de familles modestes qui s’entassent dans les maisons. Certes, la taille des ménages aisés, notamment en raison d’une importante domesticité, est plus élevée (6,75 personnes en moyenne) que dans les ménages les plus pauvres (3,18 personnes par famille), mais la confrontation des densités de population et des structures de l’habitat témoignent parfaitement d’une réalité sociale où l’espace occupé par une famille est fortement corrélé à son aisance et son statut social.
Familles toulousaines
29Entrons à présent dans la maison pour s’intéresser aux individus et mettre l’accent sur ce qui distingue la famille toulousaine. En 1790, 62 % des familles sont des ménages simples composés d’un couple avec ou sans enfants ou une famille monoparentale, 22,4 % sont des personnes vivant seules (célibataires, veufs et veuves, ecclésiastiques) et 11,1 % sont des familles complexes (un couple vivant avec un ascendant ou un collatéral ou deux couples vivant ensemble).
- 12 Aude Jansou, Les familles et la société albigeoise et gaillacoise à la fin du xviie siècle (...)
30On a l’habitude d’opposer une France méridionale qui permet la transmission du patrimoine à un héritier unique désigné par la coutume ou le testateur et une France septentrionale qui pratique le partage des biens à égalité entre tous les descendants : un schéma ici simplifié, qui ne fait pas cas de tous les usages locaux spécifiques. Cette pratique successorale, utilisée dans le sud de la France, engendre le maintien de deux générations « à même pot et feu » et se traduit par un taux de familles complexes pouvant dépasser les30 %. Les exemples sont nombreux dans le sud de la France et dans la proche région toulousaine. Or, les chiffres indiqués plus haut pour la ville de Toulouse ne laisse paraître rien de tel. Comme d’ailleurs dans d’autres villes du Sud (Gaillac et Albi par exemple12), ce sont les ménages simples qui prédominent.
31Il est en réalité nécessaire de distinguer la France urbaine de ce clivage nord/sud compte tenu des caractéristiques démographiques et sociales qui lui sont propres et qui jouent sur les structures de ménages : la forte mortalité, la part importante de l’immigration, les structures de l’habitat, les activités professionnelles pratiquées, le patrimoine restreint dont dispose la majorité des citadins sont autant de facteurs qui favorisent les ménages simples, de taille réduite. La prédominance des ménages complexes dans la France méridionale ne concerne que la France agricole ayant vocation à transmettre son patrimoine foncier dans son intégralité à un héritier unique.
32Bien que la répartition des grandes structures de ménages soit constante au cours du xviiie siècle, des évolutions sont notables. On constate à la fois davantage de personnes seules, en raison d’un attrait sans cesse renouvelé de la ville, et de ménages complexes au détriment de la famille simple, ce qui serait liée à une diminution de la mortalité au cours du xviiie siècle. Cette augmentation des ménages composés d’une seule personne entraîne la diminution de la taille moyenne des ménages qui passe de3,5 à3 personnes par foyer.
33Si ces tendances se vérifient dans tous les groupes sociaux, des divergences marquantes existent : il apparaît clairement que la part des solitaires et celle des ménages complexes sont plus élevées dans la noblesse et la bourgeoisie, que dans les classes populaires et les ménages dits « pauvres ». Cette prédominance se fait au détriment des ménages simples, moins nombreux dans les hautes strates de la société que chez les petites gens. La taille moyenne des ménages s’en trouve elle-même affectée. Cette variation résulte d’une importance différentielle consentie au lien matrimonial et notamment au remariage des veufs et des veuves. Les familles issues de la noblesse et de la bourgeoisie n’ont pas les mêmes impératifs économiques ou domestiques à se remarier, contrairement aux familles plus pauvres, et peuvent se maintenir plus longtemps dans le veuvage ou le célibat. Un recensement à l’instant « t » fait alors apparaître plus de familles à ce stade du cycle des ménages. De même, concernant l’importance des familles élargies et multiples préfigure des moyens financiers plus importants pour nourrir et loger l’ensemble des parents au foyer et une mortalité moindre qui rend possible cette situation.
34Bien que la population de la ville soit en forte augmentation, Toulouse à la fin du xviiie siècle connaît une urbanisation et un peuplement diffus en raison de l’importante superficie de son enceinte. C’est un atout qui donne à voir une ville aérée avec cours, jardins et champs cultivés. Les quartiers les plus densément peuplés à l’échelle de la ville en raison d’une urbanisation totale des rues et des moulons sont aussi ceux où la densité à l’échelle de la famille est la plus ample au profit de familles nobles, bourgeoises. Ce sont les capitoulats situés au cœur de la ville, dans son centre actif autour duquel s’est développé son peuplement dès sa création. À l’inverse, les quartiers les moins densément peuplés en raison d’une urbanisation discontinue (dans le bourg et à l’extérieur des murs de la ville) sont aussi ceux où la promiscuité est la plus importante : les familles les plus miséreuses cohabitent dans des maisons de faible superficie. Nous avons vu aussi que les structures familiales spécifiques résultent de conditions démographiques et économiques propres au milieu urbain et inchangée au cours des siècles. La ville garde encore aujourd’hui dans son bâti le reflet de ce peuplement et de cette urbanisation différentiels.
Notes
1 Arch. mun. Toulouse, CC 2859 et CC 2860.
2 Arch. mun. Toulouse, CC 76 à 134.
3 Arch. mun. Toulouse, 1 G38 à 52.
4 Benoît Garnot, La population française aux xvie, xviie, xviiie siècles, Paris, Ophrys, 1988, p. 16.
5 Paul Delsalle, Le cadre de vie en France aux xvie, xviie, xviiie siècles, Paris-Gap, Ophrys, 1995, p. 72.
6 Maurice Garden, « Quelques remarques sur l’habitat urbain. L’exemple de Lyon au xviiie siècle », Annales de Démographie historique, 1975, p. 29-35.
7 Philippe Wolff, Voix et images de Toulouse, Toulouse, Privat, 1962, p. 228.
8 Arch. dép. Haute-Garonne, 2 Mi 905 et 2 Mi 906.
9 Benoît Garnot, « Le logement populaire au xviiie siècle : l’exemple de Chartres », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1989, n° 2, p. 199.
10 Paul Delsalle, Le cadre de vie en France aux xvie, xviie, xviiie siècles, Paris-Gap, Ophrys, 1995, p. 43.
11 Annick Pardailhe-Galabrun, La naissance de l’intime. 3000 foyers parisiens, xviie-xviiie siècles, Paris, PUF, 1988, p. 466.
12 Aude Jansou, Les familles et la société albigeoise et gaillacoise à la fin du xviie siècle d’après les registres de Capitation, mémoire de maîtrise, université de Toulouse-Le Mirail, 1998, 2 vol., p. 147.
Table des illustrations
![]() | |
---|---|
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/33691/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 52k |
![]() | |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/33691/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 52k |
![]() | |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/33691/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 77k |
![]() | |
Titre | Tableau 1 : Structures de l’habitat et occupation des maisons |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/33691/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 26k |
![]() | |
Titre | Tableau 2 : Structures de ménages en 1790 |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/33691/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 26k |
© Presses universitaires du Midi, 2009