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    Plan détaillé Texte intégral Un ouvrage devenu ésotérique Une mauvaise réputation De Grandvoinet à Napoléon Notes de bas de page Auteur

    Toulouse, une métropole méridionale

    Ce livre est recensé par

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    Parcelles d’histoire : le cadastre Grandvoinet (1788-1821)

    Pierre Gastou

    p. 87-95

    Résumés

    C’est dans les dernières années de l’Ancien Régime, que la ville de Toulouse décide la réfection de son cadastre. Elle choisit pour la mettre en œuvre Hyacinthe Grandvoinet, ingénieur-géographe du roi. Durant plus de trente ans, ce dernier va tenter de mener à bien sa tâche dans un contexte politique, administratif et militaire difficile. De cette aventure il ne reste qu’un document inachevé, mal connu, entaché d’une réputation de fausseté : le cadastre “Grandvoinet”.

    It was during the last years of the Ancien Regime that the city of Toulouse decided to re-do its cadastre. The city chose Hyacinthe Grandvoinet to undertake this project, the king’s engineer-geographer. For more than thirty years, he tried to carry out this task in a difficult political, administrative and military context. From this adventure, all that remains is an incomplete document, poorly known, and stained with a reputation of falseness: the “Grandvoinet” cadastre.

    Fue en los últimos años del Antiguo Régimen que la ciudad de Toulouse decidió renovar su catastro. Para llevar a cabo dicho proyecto la ciudad nombró a Hyacinthe Grandvoinet, ingeniero y geógrafo del rey. Durante más de treinta años, este personaje intenta llevar a bien esta tarea en un contexto político, administrativo y militar muy difícil. De esta aventura queda sólo un documento inacabado, mal conocido y manchado con una reputación de falsedad: el catastro “Grandvoinet”.

    Texte intégral Un ouvrage devenu ésotérique La genèse Les travaux Le contentieux Une mauvaise réputation Des erreurs manifestes Un intrigant entrepreneur De Grandvoinet à Napoléon Une réalisation simultanée Grandvoinet et son double À l’échelle du cadastre Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Entre le xve siècle et le xixe siècle, cinq cadastres de Toulouse ont été réalisés. Parmi eux, trois seulement étaient accompagnés de plans : celui de 1680, le cadastre napoléonien datant de 1830, et le moins étudié, le cadastre Grandvoinet réalisé entre 1788 et 18211.

    2Trois raisons principales peuvent expliquer cette méconnaissance : un abord complexe lié aux circonstances de sa réalisation, une réputation d’inexactitude qui l’a poursuivi jusqu’à nos jours, et une proximité avec le célèbre ouvrage napoléonien qui l’a longtemps maintenu dans l’ombre.

    3Ces constatations générales méritent d’être approfondies tant pour vérifier leur fondement que pour juger de l’intérêt historique de cette œuvre.

    Un ouvrage devenu ésotérique

    4La consultation de documents fiscaux n’est jamais simple, mais dans ce domaine le cadastre Grandvoinet cumule les handicaps : classement approximatif, ratures innombrables, double, voire triple numérotation, etc. Il faut dire que durant sa mise en œuvre, plusieurs régimes se sont succédés, le système métrique a été généralisé et de nouvelles divisions administratives ont été créées. Toutes ces circonstances ont modifié un projet élaboré dans la seconde moitié du xviiie siècle.

    La genèse

    5À cette époque, Toulouse n’a plus le même visage qu’au début du siècle. En quelques décennies, des travaux et aménagements l’ont sensiblement modifié sans avoir pour autant bouleversé sa structure propre : le réaménagement du quartier Saint-Cyprien, la construction des quais de Garonne, du canal de Brienne, du cours Dillon, du Boulingrin, de la façade de l’hôtel de ville et de la place Royale, l’alignement de plusieurs rues, le défrichement et la mise en culture de terres dans les quartiers de Lardenne, Saint-Simon, Lalande, Croix-Daurade…

    6Ces évolutions ont des conséquences fiscales. Le dernier cadastre, datant de la fin du xviie siècle, est devenu obsolète. Des parcelles ont disparu, d’autres ont été créées, leurs valeurs ont changé ; il s’ensuit un certain nombre d’injustices quant à l’allivrement2, qui sont relayées auprès des capitouls. De plus, l’exactitude des plans cadastraux est sujette à caution. Il semble en effet que la levée des angles ait été plus que douteuse ; c’est en tout cas ce qui ressort d’un rapport de Jean-François Virebent, l’arpenteur géomètre municipal, « concernant les motifs qui doivent engager cette ville à renouveler le cadastre »3. L’auteur conclut sur la nécessité de cette réfection et enjoint les édiles à entreprendre ce chantier.

    7Ainsi, le 12 août 1786, la municipalité établit un cahier des charges en dix-huit points pour la confection d’un nouveau cadastre (fig. 15). Celui-ci spécifie qu’il sera effectué un plan de chaque moulon4 à une échelle différente pour la ville et pour la banlieue. Un numéro sera affecté à chaque parcelle et le bâti sera représenté ainsi que les cultures (fig. 16 et 17).

    8Huit cahiers minutes seront ensuite réalisés, classés par capitoulats, moulons et numéros de parcelles ; ces derniers seront suivis des noms, surnoms, qualités des propriétaires, ainsi que de la nature, situation, contenance et confronts de la propriété. Un plan général de la ville sera aussi levé et dessiné à l’échelle d’un quart de ligne par toise (1/3456) ; un modèle accompagne d’ailleurs le devis (fig. 18). Avant leur mise au net, tous les plans et registres minutes seront déposés au greffe pendant six mois pour vérification par les propriétaires. L’ouvrage devra être réalisé dans les quatre ans à compter du jour de la prestation de serment.

    Les travaux

    9En 1788, Hyacinthe Grandvoinet, ingénieur géographe du roi, est choisi pour mener à bien cette tâche. Les travaux de confection débutent peu de temps après la signature du bail. Le 24 décembre 1790, l’entrepreneur dépose au greffe les minutes des plans et du cadastre des quartiers de la Daurade et du Pont-Vieux (ville, faubourg, banlieue). Il a achevé la levée des plans de tous les moulons en ville ainsi que ceux des faubourgs Arnaud-Bernard, Matabiau, Saint-Étienne et Saint-Michel. À cette date les autorités évaluent que les 2/5e du travail ont été effectués. Cependant, avec la Révolution, les premiers problèmes apparaissent. Les capitoulats sont remplacés par des sections aux contours fluctuants, qui ne sont définitivement fixés qu’en 1801. En 1792, les travaux sont interrompus pour cause d’invasion, les Espagnols occupant le Roussillon. La patrie est en danger. L’ingénieur géographe est envoyé sur le théâtre des opérations. Ses diverses affectations l’éloignent de Toulouse durant 9 ans.

    10À son retour, une délibération du conseil municipal du 14 nivôse an 9 (4 janvier 1801) le désigne comme entrepreneur et continuateur de l’ouvrage pour une somme de 34 000 francs5. Un arrêté précise les modalités du traité : les travaux débuteront au 1er germinal an 9 (22 mars 1801) et seront achevés dans les trois ans. Les mesures seront désormais effectuées en mètres carrés, hectares et ares, et le plan général à l’échelle 1/5000 (fig. 19) ; les dix-sept sections devront remplacer les capitoulats. Un an et demi plus tard, le géomètre annonce qu’il a parachevé treize sections (3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 14, 16 et 17) et qu’il va les déposer au bureau des contributions pendant six mois pour vérification.

    Le contentieux

    11À partir de 1804, les relations avec la mairie s’enveniment. Un arrêté préfectoral du 9 prairial an 12 (29 mai 1804) confie officiellement à Grandvoinet l’arpentage et la levée des plans de vingt-sept communes de la Haute-Garonne. Concilier les deux fonctions s’avère une tâche délicate et c’est l’ouvrage toulousain qui en pâtit. Les lettres du géomètre s’excusant de son absence à la mairie ou justifiant un aménagement des conditions du traité par son travail pour l’opération du cadastre général du gouvernement sont explicites à cet égard.

    12Parallèlement, des vérifications systématiques ont décelé de nombreuses erreurs dans la levée des plans parcellaires. L’entrepreneur s’insurge contre cette procédure qui ne serait pas conforme au traité ; la Ville menace de ne pas recevoir l’ouvrage et de demander remboursement des sommes perçues. Dans une lettre au maire, le géomètre Lasseur affirme qu’il a « appris positivement que M. Grandvoinet cherchait à vendre tous ses biens »6. Il conseille de procéder à « une inscription hypothécaire pour une somme au moins équivalente [aux sommes déjà versées] soit au bureau […] à Castelnaudary, où sont situés des biens conséquents, soit à celui établi à Toulouse. » Recommandation qui sera suivie d’effet au cours de l’année 1810.

    13La fin de l’Empire et l’établissement d’un nouveau régime enterrent quelque peu l’affaire. Il faut attendre 1819 pour voir le maire se préoccuper des moyens de faire achever cet ouvrage. Après renouvellement de l’inscription sur les biens de Grandvoinet à Toulouse (17 février 1820), ce dernier dépose la totalité des documents qu’il a confectionnés le 10 avril 1821. Un inventaire réalisé par Vitry deux ans plus tard montre que l’ouvrage n’a pas été complètement achevé. Il manque tous les registres des mutations et beaucoup de documents n’existent qu’a l’état de minutes.

    14Longtemps le cadastre Grandvoinet s’est présenté comme un assemblage complexe de pièces parfois inachevées, souvent mal identifiées. Le récit de sa réalisation chaotique nous éclaire à ce sujet. En décembre 2003, les Archives municipales ont effectué un inventaire de ce fonds pour le rendre plus accessible. L’année suivante elles ont fait numériser les plans de la partie intra-muros de la ville et ont reconstitué l’organisation originelle des cahiers de matrices par section. Cette amélioration de l’accessibilité a permis d’examiner précisément les documents et ainsi de juger de leur exactitude.

    Une mauvaise réputation

    15Aborder un ouvrage précédé par une réputation, qu’elle soit bonne ou mauvaise, nécessite de faire la part entre les faits et les fantasmes. Certes, il est indéniable que la réalisation du cadastre Grandvoinet a été émaillée d’incidents mettant en cause sa rigueur scientifique. Toutefois, la personnalité de son auteur, ainsi que son parcours, ne sont peut-être pas étrangers à cette renommée équivoque.

    Des erreurs manifestes

    16Dès 1792, la commission des impositions déclare que les travaux de la 11e section ont été mal faits et qu’ils doivent être repris. Sur un procès-verbal de réunion de la commission daté du 24 novembre de la même année, il est noté que l’entrepreneur a aussi refait la 14e section7. Mais il s’agit ici de petites déconvenues, rien de commun avec ce qui va se passer dans les premières années du xixe siècle.

    17À cette époque de sérieuses inexactitudes apparaissent dans les plans remis par le géomètre. En les confrontant fortuitement avec ceux qu’il avait levés quelques années plus tôt dans la zone située entre la halle de la Pierre et la rue de la Trinité, Jacques-Pascal Virebent, architecte de la ville, déclare y avoir trouvé de nombreuses erreurs de contenance. Dans une lettre adressée au maire le 20 thermidor an 12 (8 août 1804), il déplore que « M. Grandvoinet, que je reconnais d’ailleurs bien en état d’exécuter son entreprise, a été mal servi de la part des aides qu’il s’est choisi »8.

    18Une vérification systématique est nécessaire ; c’est M. Molis, commissaire vérificateur des opérations d’arpentage de la Haute-Garonne et de l’Ariège, qui en est chargé. Les rapports qu’il rédige sont accablants pour l’entrepreneur : plus de la moitié des surfaces s’avère fausse, et la levée des angles semble aussi défectueuse. Dans une lettre au préfet du département datée du 4 novembre 1807, le maire soupçonne même l’entrepreneur de s’être inspiré, à plusieurs reprises, des plans de l’ancien cadastre de 1680, sans se déplacer. L’administration départementale a-t-elle tenu compte de ces informations ou a-t-elle uniquement mis en application les nouvelles lois et réglementations sur le cadastre (15 septembre 1807, 27 janvier 1808) ? Toujours est-il qu’en 1808 Grandvoinet perd son poste d’ingénieur du département.

    19Rétrospectivement, il semble bien que l’ouvrage présente des faiblesses techniques ; toutefois, sur bien des points, il soutient la comparaison avec le cadastre napoléonien. De plus, des vérifications antérieures avaient montré certaines approximations sans que pour autant l’entier travail de Grandvoinet soit remis en cause. La municipalité lui a d’ailleurs renouvelé son bail par la suite. Or, quelques mois plus tard, cette même institution va l’accuser, d’abord à mots couverts puis plus ouvertement, d’incompétence ; le Département va le limoger alors que sa tâche n’est pas achevée. Il semble que les causes de cette disgrâce ne soient pas uniquement d’ordre scientifique.

    Un intrigant entrepreneur

    20L’attribution d’un marché tel que la confection d’un cadastre peut susciter des rancœurs. Ainsi Arnaud Meilhon, géomètre du cadastre de Saint-Jory et candidat malheureux de l’adjudication de 1788, pense, peut-être avec raison, que Grandvoinet a été favorisé. L’affaire est portée devant l’intendant de la province, le bail est annulé, puis finalement repassé avec la même personne. On peut imaginer aisément l’état d’esprit du plaignant suite à ces péripéties. D’autant que la famille Meilhon a tissé des liens avec les puissants. Le propre fils d’Arnaud, François-Saturnin, deviendra architecte des hospices civils de Toulouse, de la préfecture et du département ; il bénéficiera de grandes protections politiques, notamment de celle du baron de Bellegarde, maire de Toulouse de 1806 à 1811 et de 1818 à 1823.

    21Grandvoinet a su lui aussi faire son chemin. Fils de Ferdinand Grandvoinet et de Jeanne Blanc, il naît à Perpignan le 2 mars 1750. Après deux ans passés à l’École militaire de cette ville, il finit sa formation auprès de son père qui est ingénieur géographe du roi. Entre 1769 et 1779, ce dernier travaille sur les cartes Cassini de Narbonne, Perpignan, Bellegarde, Ax-les-Thermes et reçoit l’aide de son fils pour celle de Montlouis. Toutefois il est probable que le jeune Hyacinthe a aidé son père sur les cartes précédentes, mais n’ayant pas encore le statut d’ingénieur géographe, il n’a pas été officiellement crédité.

    22Ce statut, que le futur entrepreneur du cadastre de Toulouse obtient en 1773, est particulier au sein de l’armée9. Apparu en temps de guerre sous le règne de Louis XIV, il regroupait des ingénieurs militaires spécialisés dans les levés topographiques, à la différence des ingénieurs ordinaires cantonnés aux travaux de siège ou de fortification. Dès lors, ils ont constitué un groupe à part, dont les membres étaient reconnus pour leur adresse et leur célérité à dresser des cartes. N’ayant pas d’enseignement institutionnalisé, ils se formaient de façon empirique, un peu à la manière des compagnons auprès de leurs maîtres ; de plus, leur recrutement se faisait au coup par coup.

    23Cette situation a eu plusieurs conséquences : d’une part la création de dynasties d’ingénieurs géographes, et d’autre part une certaine rivalité avec le corps des officiers du génie. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les renseignements personnels du dossier militaire de Grandvoinet à la case « Genre de fonctions auxquelles il est le plus propre » : « Cet officier a bien plus de disposition pour l’état d’ingénieur géographe que pour celui du génie militaire ; les officiers militaires de ce corps en ont été convaincus lors de l’examen qu’il subit à Montpellier dans le courant de la 5e année ; il ne peut [sic] satisfaire à cette époque aux diverses questions qui lui furent proposées »10.

    24À l’instar de la majorité de ses collègues, Hyacinthe Grandvoinet va prendre fait et cause pour la Révolution – son dossier précise qu’il a « très à chœur [sic] les intérêts de la République »11 – ce qui va lui permettre d’accéder à des responsabilités relativement élevées. Intégré en tant que capitaine du génie dans l’armée des Pyrénées orientales en 1793, il participe à de nombreuses actions contre les Espagnols qui occupent alors le Roussillon. Sa bonne connaissance du terrain – il a aidé son père à en réaliser les cartes – est d’une grande utilité pour les généraux Boisclair, Pérignon et Augereau auprès de qui il est successivement détaché. Il est d’ailleurs promu au grade de chef de bataillon pour services rendus.

    25Ses affectations suivantes le mènent à Carcassonne, Narbonne, Castres puis Rodez. Mais il va quitter l’armée vers la fin de l’année 1799 ou au début de 1800. Cette démarche a-t-elle été volontaire ou contrainte ? Il est difficile de le déterminer ; toutefois l’antagonisme avec le corps du génie n’y est sûrement pas étranger. Revenu dans le civil, il reprend sa tâche d’entrepreneur pour la ville de Toulouse et préside même aux destinées du cadastre départemental.

    26Sans rien enlever aux qualités professionnelles de Grandvoinet, on peut imaginer que cette trajectoire ascensionnelle a été aussi le fruit de rencontres et d’alliances. Mais la politique évolue, les régimes changent et ce qui l’a porté un temps, l’a peut-être desservi par la suite. Son parcours atypique l’a marginalisé face aux corps constitués et ses ennemis ont eu beau jeu d’exploiter ses moindres erreurs.

    27Il semble donc que le cadastre Grandvoinet ne soit pas à la hauteur de sa noire renommée. Il n’est certes pas exempt de reproches, mais il n’est pas non plus l’aberration scientifique que plusieurs fonctionnaires ont dénoncée. Loin s’en faut. Et si l’ouvrage porte le nom de son auteur, c’est pour le meilleur et pour le pire, car avec lui c’est aussi un homme qui a été jugé et que certains n’ont pas hésité à condamner. Toutefois cette œuvre doit être regardée pour ce qu’elle est : un document original qui, par bien des aspects, annonce le cadastre napoléonien.

    De Grandvoinet à Napoléon

    28Les deux cadastres sont effectivement assez proches. D’un point de vue chronologique d’abord, leur confection s’est étalée de 1788 à 1821 pour la Ville, et de 1802 à 1830 pour le Département. Ensuite Hyacinthe Grandvoinet a supervisé en partie, ou complètement, leur réalisation. Et pour finir, ces deux ouvrages devaient, en particulier, représenter en plus du parcellaire, le bâti des propriétés. Se pose alors la question de l’intérêt historique, sociologique, fiscal de l’ouvrage municipal. S’agit-il simplement d’une ébauche du cadastre napoléonien ou d’un document vraiment original ?

    Une réalisation simultanée

    29L’« État des plans et répertoires remis au bureau du cadastre de la ville de Toulouse le dix avril mil huit cent vingt et un que M. Grandvoinet entrepreneur dudit cadastre par un dernier traité du 28 fructidor an IX a déclaré réintégrer dans ledit bureau »12 est l’épilogue d’un feuilleton cadastral à rebondissements, et c’est forcé et contraint que l’entrepreneur remet les dernières pièces de son œuvre.

    30Mais il ne faut pas s’y tromper, s’il conserve toujours certains documents trente-trois ans après avoir débuté les travaux, ce n’est pas pour les améliorer mais bien pour obtenir des subsides en échange. Ce qui ne manque pas d’aplomb sachant qu’il a déjà reçu le double de ce qui était prévu initialement.

    31La majeure partie de l’ouvrage a été effectuée bien plus tôt : près de la moitié entre 1788 et 1793 et le reste entre 1801 et 1808. Après cette date, ce sont essentiellement de menus travaux qui sont réalisés, liés aux vérifications entreprises par la municipalité.

    32Ainsi il ne reste finalement que six années au cours desquelles les deux ouvrages ont été menés simultanément. Sachant qu’entre 1808 et 1830, et à plus forte raison entre 1793 et 1830, Toulouse a connu de nombreuses évolutions (alignement des rues, destructions d’édifices…) ; la ville qu’ils représentent est donc sensiblement différente. Mais le fait que Grandvoinet les ait en partie supervisés a pu engendrer une certaine homogénéité.

    Grandvoinet et son double

    33En effet, durant 4 ans (1804-1808), Hyacinthe Grandvoinet mène les deux tâches de front. Sa nomination au sein de l’administration départementale soulève d’ailleurs quelques questions. S’agissait-il de bénéficier de l’expérience d’un géomètre œuvrant depuis longtemps à la levée d’un cadastre, de récupérer le travail qui avait déjà été fait pour Toulouse, ou était-ce simplement le fruit d’une intrigue politique ? Sûrement un peu des trois. Mais la question principale est de savoir si cette double fonction a pu engendrer une similitude dans l’organisation du travail et dans le résultat obtenu.

    34Autant Grandvoinet bénéficiait d’une certaine liberté dans le cadre du traité qui l’unissait à la Ville, autant la marge de manœuvre dont il dispose est plus étroite au sein du Département. En effet, un modus operandi assez strict ayant été élaboré en haut lieu, le géomètre en chef est contraint de le suivre.

    35De 1802 à 1807, la méthode du cadastre par masse de culture utilisée par l’administration d’état diffère sensiblement de celle adoptée à Toulouse. Il s’agit de diviser le territoire communal en regroupant en une seule et même masse les terrains cultivés de la même manière et portant des récoltes identiques (terres labourables, vignes, prairies, …), puis de les porter au plan13.

    36L’abandon de ce mode opératoire pour le cadastre parcellaire n’est pas non plus à mettre au crédit du géomètre en chef. Il s’agit d’une décision nationale motivée par le manque de fiabilité du procédé. De plus, Grandvoinet est démis de ses fonctions l’année où la nouvelle méthode est mise en œuvre.

    37Il semble donc que la double fonction de l’ingénieur géographe, qui s’étend sur une période finalement assez brève, n’ait pas influencé la réalisation des deux ouvrages dans le sens d’une similitude. Toutefois la nature même des projets – représenter la propriété foncière et le bâti – a pu engendrer un certain nombre de ressemblances.

    À l’échelle du cadastre

    38À l’instar des plans du cadastre napoléonien, ceux du Grandvoinet font figurer l’emprise des constructions. Il s’agit d’une première à Toulouse, l’ouvrage précédent ne faisant apparaître que les parcelles. Ces dernières sont en trait plein, alors que les édifices sont délimités par des pointillés, ce qui parfois pose problème pour distinguer la partie bâtie de la partie non bâtie (fig. 16).

    39De même les rivières, chemins, voies, fossés, talus sont signifiés sur les deux documents, mais les cultures – par l’intermédiaire d’un code couleur – le sont uniquement sur les plans rendus en 1821. Ainsi, les jardins, parterres, vergers sont en vert, les vignes sont en jaune, les prés en orange, les bois en marron, les terres incultes ou vacantes en rouge, et en blanc les terres labourables (fig. 17).

    40Mais ce qui distingue essentiellement le cadastre napoléonien du Grandvoinet, ce sont les échelles. Sur le premier, les zones urbaines sont représentées au 1/1250 et les zones rurales au 1/2500 alors que sur le second elles sont respectivement au 1/432 et au 1/1728. Le premier permet d’envisager la ville et sa banlieue d’une façon générale, de voir la structure générale d’un quartier, les articulations qui le composent, tandis que le second donne à voir l’organisation interne d’un îlot et l’imbrication des bâtis.

    41De plus, le cahier des charges accepté par Hyacinthe Grandvoinet en 1788 prévoyait la réalisation d’un plan général de la ville au 1/3456. Inachevé, ce document, dont seules les minutes ont été exécutées, n’en est pas moins exceptionnel. Il se présente sous la forme de trois plans roulés qui, réunis, composent une mappe de 4 x 4,70 m. Une version réduite au 1/5000 a été réalisée par le dessinateur Pascal Pommian en 1808 (fig. 19). Le plan d’assemblage des sections de Toulouse du cadastre napoléonien au 1/20000 soutient difficilement la comparaison.

    42C’est dans ces détails que réside l’originalité de l’ouvrage de Grandvoinet, qui donne une vision unique de Toulouse au passage du xviiie au xixe siècle, en bien des points différente de celle du cadastre napoléonien. Bien qu’en partie supervisés par la même personne, les deux documents s’avèrent donc plus complémentaires qu’identiques.

    43Il n’y a aujourd’hui plus aucune raison pour que le cadastre Grandvoinet demeure peu étudié. Son accessibilité a été sensiblement améliorée par les Archives municipales. Ce document, réputé hermétique suite aux péripéties de sa réalisation, est à présent facilement consultable. Sa réputation de fausseté, bien que fondée sur des faits réels, est en partie imméritée. D’ailleurs le plan du cadastre actuel, qui figure toujours la tour du clocher de l’église de la Dalbade effondré en 1926, ne l’est-il pas aussi ? Quant à la proximité avec le cadastre napoléonien, elle n’enlève rien à son originalité en particulier concernant la période révolutionnaire.

    44Il est donc souhaitable que les chercheurs s’intéressent de plus près à cet ouvrage, d’autant qu’il fait apparaître en filigrane le parcours d’un homme ambitieux à une époque trouble de notre histoire. À la lecture des lettres et rapports rédigés en marge de la confection, c’est à l’ascension et à la chute de Hyacinthe Grandvoinet que nous assistons.

    Notes de bas de page

    1 Il est conservé sous les cotes 1 G 1 à 1 G 37 ; sauf mention contraire, tous les documents cités proviennent des Archives municipales de Toulouse.

    2 Expression, en livres, de la valeur fiscale des biens estimés.

    3 1 G 37.

    4 À la fin du xviiie siècle, Toulouse est divisée administrativement en 8 capitoulats ou quartiers, eux-mêmes divisés en moulons ou îlots (423 en tout).

    5 1 D 32, fol. 10.

    6 Lettre du 3 mars 1809 (3 D 107).

    7 1 G 82, p. 50.

    8 3 D 107.

    9 Pour plus d’informations sur les ingénieurs géographes du roi se référer à Patrice Ract, L e s ingénieurs géographes des camps et armées du roi, de la guerre de Sept Ans à la Révolution (1756- 1791). Étude institutionnelle, prosopographique et sociale, Thèse soutenue à l’École des Chartes en 2002.

    10 Vincennes, Archives du Service Historique de l’Armée de Terre, 2 Ye carton 1671.

    11 Ibid.

    12 3 D 107.

    13 On peut voir les plans par masse de culture des communes de Grépiac, Labège, Pechbusque aux Archives départementales de la Haute-Garonne (3 P 209, 3 P 228, 3 P 383).

    Auteur

    • Pierre Gastou

      Assistant de conservation, responsable des collections iconographiques aux Archives municipales de Toulouse (gastoupierre@mairie-toulouse.fr).

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    Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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    1 Il est conservé sous les cotes 1 G 1 à 1 G 37 ; sauf mention contraire, tous les documents cités proviennent des Archives municipales de Toulouse.

    2 Expression, en livres, de la valeur fiscale des biens estimés.

    3 1 G 37.

    4 À la fin du xviiie siècle, Toulouse est divisée administrativement en 8 capitoulats ou quartiers, eux-mêmes divisés en moulons ou îlots (423 en tout).

    5 1 D 32, fol. 10.

    6 Lettre du 3 mars 1809 (3 D 107).

    7 1 G 82, p. 50.

    8 3 D 107.

    9 Pour plus d’informations sur les ingénieurs géographes du roi se référer à Patrice Ract, L e s ingénieurs géographes des camps et armées du roi, de la guerre de Sept Ans à la Révolution (1756- 1791). Étude institutionnelle, prosopographique et sociale, Thèse soutenue à l’École des Chartes en 2002.

    10 Vincennes, Archives du Service Historique de l’Armée de Terre, 2 Ye carton 1671.

    11 Ibid.

    12 3 D 107.

    13 On peut voir les plans par masse de culture des communes de Grépiac, Labège, Pechbusque aux Archives départementales de la Haute-Garonne (3 P 209, 3 P 228, 3 P 383).

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    Gastou, P. (2009). Parcelles d’histoire : le cadastre Grandvoinet (1788-1821). In B. Suau, J.-P. Almaric, & J.-M. Olivier (éds.), Toulouse, une métropole méridionale (1‑). Presses universitaires du Midi. https://doi.org/10.4000/books.pumi.33611
    Gastou, Pierre. « Parcelles d’histoire : le cadastre Grandvoinet (1788-1821) ». In Toulouse, une métropole méridionale, édité par Bernadette Suau, Jean-Pierre Almaric, et Jean-Marc Olivier. Toulouse: Presses universitaires du Midi, 2009. https://doi.org/10.4000/books.pumi.33611.
    Gastou, Pierre. « Parcelles d’histoire : le cadastre Grandvoinet (1788-1821) ». Toulouse, une métropole méridionale, édité par Bernadette Suau et al., Presses universitaires du Midi, 2009, https://doi.org/10.4000/books.pumi.33611.

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    Suau, B., Almaric, J.-P., & Olivier, J.-M. (éds.). (2009). Toulouse, une métropole méridionale (1‑). Presses universitaires du Midi. https://doi.org/10.4000/books.pumi.33526
    Suau, Bernadette, Jean-Pierre Almaric, et Jean-Marc Olivier, éd. Toulouse, une métropole méridionale. Toulouse: Presses universitaires du Midi, 2009. https://doi.org/10.4000/books.pumi.33526.
    Suau, Bernadette, et al., éditeurs. Toulouse, une métropole méridionale. Presses universitaires du Midi, 2009, https://doi.org/10.4000/books.pumi.33526.
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