1En décidant de consacrer son 58^e Congrès à « Toulouse, une métropole méridionale », la Fédération historique de Midi-Pyrénées s’est imposé, peut-être imprudemment, un redoutable défi, puisqu’il s’agissait à la fois d’embrasser le passé de la ville rose dans la longue durée de ses vingt siècles d’histoire et d’ouvrir le plus largement possible l’éventail des approches disciplinaires. Cette ambition a été partagée par plusieurs des sociétés réunies au sein de notre Fédération régionale, notamment la Société archéologique du Midi, l’Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres, les Amis des Archives de la Haute-Garonne, les Toulousains de Toulouse : l’écho qu’elles ont donné au thème du Congrès s’est traduit par les communications présentées par leurs membres, qui se retrouvent dans le présent volume. À elles seules elles témoignent de l’activité et de l’ouverture des « sociétés savantes » et de leur engagement dans l’approfondissement de la connaissance de notre patrimoine culturel.

2Un renfort décisif a été apporté à ce projet avec l’adhésion de la recherche universitaire. Plusieurs des laboratoires et équipes de l’Université de Toulouse-Le Mirail et du CNRS ont saisi la balle au bond : citons le laboratoire LISST – Laboratoire interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires –, le laboratoire TRACES – Travaux et Recherches archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés –, et en première ligne le laboratoire FRAMESPA. Leurs directeurs respectifs, Marie-Christine Jaillet, Jean-Claude Barbaza et Jean-Marc Olivier ont ainsi encouragé les chercheurs à mobiliser leurs compétences et à présenter à cette occasion les apports les plus récents de leurs travaux. En assurant la rencontre entre chercheurs de métier et chercheurs de passion – les deux ne s’excluent pas –, le Congrès a puisé dans ce double apport une diversité d’approches et de points de vue qui s’est révélée particulièrement stimulante.

3Il n’en fallait pas moins pour parcourir la très longue histoire d’une ville qui, dans toutes les vicissitudes et les évolutions qu’elle a connues, a commencé très tôt à accéder au rang de métropole et l’a maintenu jusqu’à nos jours, sous une forme ou une autre, exerçant son ascendant sur un territoire à la géométrie variable. Il est désormais avéré qu’avant le début de notre ère, un important habitat, pouvant être qualifié d’urbain, avait été établi des Volques Tectosages sur la rive de la Garonne. Mais c’est évidemment Rome qui y a institué une organisation urbaine dont la force d’attraction et de rayonnement se fera sentir à toutes les époques. Tolosa figure très tôt en bonne place parmi les principales fondations romaines de Rome en Gaule Narbonnaise, comme l’indique le vaste périmètre de son territoire et comme l’ont confirmé les fouilles archéologiques menées ces dernières années. Résistant mieux que d’autres à l’effondrement de l’Empire romain, elle conserve une assise assez enviable pour accéder avec l’avènement du royaume des Wisigoths au rang de capitale politique : épisode glorieux dont, il faut l’avouer, le souvenir est mieux conservé par la chronique que par les vestiges monumentaux, eux-mêmes sujets à discussion ! Par la suite, la cité reste le siège, ou du moins un solide point d’appui des pouvoirs plus ou moins durablement établis, ducs d’Aquitaine relevant des empereurs carolingiens, puis comtes de Toulouse plus ou moins émancipés, jusqu’à l’âge d’or du puissant comté de la dynastie raimondine. Son éclipse définitive, avec son rattachement au domaine royal au XIII^e siècle, ne prive pas la cité de toute capacité politique : les privilèges accordés aux capitouls la dotent d’un autogouvernement durable, et la création du parlement assure aux magistrats de cette « cour souveraine » une place éminente dans le vaste territoire où s’étend son ressort. Plus près de nous, la centralisation politique et administrative à l’œuvre depuis le Premier Empire y a implanté des relais essentiels dans tous les domaines des pouvoirs publics, avant que la décentralisation engagée dans la seconde moitié du XX^e siècle fasse coïncider la région Midi-Pyrénées avec sa zone d’influence et, naturellement, y place le siège du pouvoir régional. Cette longue histoire, où s’affirme contre vents et marées la continuité d’une fonction de métropole, est abordée dans ce volume sous plusieurs angles. Le lecteur pourra y découvrir à son gré l’empreinte laissée par ces dominations successives sur la morphologie urbaine, comme sur l’aménagement du territoire environnant, à partir de sources nouvellement explorées, cadastres, sceaux, et bien sûr résultats de fouilles archéologiques récentes, dont celles qui ont ramené au jour l’implantation du palais comtal, puis royal, le château Narbonnais.

4La vie et les ressources des hommes – et des femmes – qui sont la chair de la ville ne sont pas négligées pour autant. Des aperçus novateurs sont ainsi donnés sur les activités de production et d’échange d’une cité qui ne s’est pas contentée de collecter les rentes perçues sur le plat pays par différents canaux. Sans doute l’Ancien Régime a-t-il consacré la prééminence des privilégiés, parmi lesquels la noblesse de robe parlementaire finit par former une véritable caste dominante, entourée du groupe professionnel des gens de justice. Cependant sa fonction commerciale ne se limite pas aux grandes heures du commerce du pastel – moins fugaces d’ailleurs qu’on ne le croyait ; elle est soutenue, on le verra, par son rôle d’entrepôt de marchandises destinées à l’approvisionnement de marchés régionaux et même frontaliers, auquel contribue la fonction portuaire impartie par l’ouverture du canal du Midi. De même découvrira-t-on que la ville n’est pas restée obstinément en marge de la production, notamment pour allumer les fours à briques d’où est sorti son matériau de construction emblématique, et pour entreprendre de nouvelles fabrications au cours de la révolution industrielle du XIX^e siècle. Tout cela explique la diversité de sa population active, quand les sources permettent de la connaître. L’analyse de l’habitat, entre autres, révèle qu’elle se répartit de part en part d’un large spectre social, au sein d’un espace urbain fortement différencié, sans aller cependant jusqu’à une ségrégation rigoureuse… du moins jusqu’aux « grands ensembles » d’habitation des dernières décennies du XX^e siècle !

5En étroite association avec ces fonctions de nature politique et économique, la cité a su abriter dans ses murs un important patrimoine symbolique et s’affirmer comme un foyer actif de production intellectuelle, dans des formes qui ont évidemment varié au fil des âges. Pendant de très longs siècles, de l’effacement du paganisme antique à la Révolution française, le rôle prépondérant est revenu à l’Église, qui a fourni à la cité ses repères tutélaires essentiels, à commencer par Saint-Sernin et la Daurade. L’emprise du christianisme est donc un axe majeur de l’histoire de la ville, dont quelques points forts sont examinés ici de façon novatrice, notamment dans des moments d’affrontement moins explorés jusqu’ici que la croisade des Albigeois : par exemple les violences infligées à la communauté juive par les Pastoureaux, la mobilisation antiprotestante lors des guerres de Religion, le destin difficile de l’Église constitutionnelle pendant la Révolution… Plus près de nous, les pratiques spirituelles d’une autre nature ne sont pas ignorées, qu’il s’agisse de la franc-maçonnerie ou de l’acclimatation présente de l’islam.

6Ici plus encore qu’ailleurs, les institutions d’enseignement sont étroitement tributaires de l’Église, à commencer par l’université, dont la fondation – après la crise cathare – vise à asseoir et transmettre un savoir d’une orthodoxie sans faille. Pour autant l’institution universitaire saura s’enraciner fortement dans le milieu urbain, y attirer des maîtres de prestige et accueillir dans ses collèges comme chez l’habitant des étudiants venus d’horizons plus ou moins éloignés. Sa dépendance de l’Église, appelée à durer pendant des siècles, finira par entretenir un double sillage d’adhésion inconditionnelle et de distance critique, dont la divergence s’accentue dès le XVII^e siècle. Cette tension n’empêche pas la pénétration des nouveaux domaines de la connaissance et de la pensée : Fermat n’est pas isolé dans sa ville, qui s’ouvre aux nouveautés dans les sciences, la médecine, l’astronomie, voire la philosophie… Un constat analogue peut être établi en matière de beaux-arts et de littérature, à la lecture des communications qui leur sont consacrées ici. Toulouse accueille autant qu’elle refuse les nouveaux modèles, elle les adapte autant qu’elle les fait évoluer, elle entretient ses traditions autant qu’elle échafaude ses mythes au gré de l’air du temps. Peut-être met-elle parfois un peu de complaisance à affirmer son identité par des rites et des pratiques sociales volontiers exubérantes et à se parer de couleurs et de représentations flatteuses, dont plusieurs exemples sont analysés ici ! Même si cette affirmation identitaire prête à sourire, la « ville rose » y trouve un facteur de cohésion, sinon de consensus, et la recherche d’un certain art de vivre.

7Dans son foisonnement, cet ouvrage permet au lecteur de pénétrer dans l’atelier où s’élabore jour après jour l’histoire de la cité. Si chacun des auteurs est, comme il se doit dans une œuvre collective, responsable de ses analyses, la participation de tous permet d’offrir ainsi un ample panorama des vingt siècles qui ont fait Toulouse.