1Dans les institutions républicaines françaises, le recteur chancelier des universités se présente comme un personnage singulier traversant depuis de nombreuses décennies l’histoire politique éducative. Si son titre reste une énigme, sans doute l’est-il davantage encore pour les universités et les universitaires pour qui il conserve un statut particulier. Dans un contexte récent marqué par une loi instituant pour toutes les universités françaises une plus grande autonomie et responsabilité dans les quatre années à venir, il y a un intérêt évident à s’interroger sur cette figure de l’État, au nom équivoque, vieux de deux siècles. Quelle est donc la place du recteur chancelier des universités, dans un contexte où chaque établissement devenu plus autonome entend se préoccuper davantage de ses nouvelles marges de manœuvre que du représentant de l’État dans son académie ?

2S’interroger sur la figure du recteur chancelier au début de ce millénaire peut mener à des chemins différents. Ma position et mon expérience me conduisent à cheminer de l’histoire à la sociologie et aux sciences politiques. Le choix d’une telle démarche est trop risqué pour ne pas s’équiper de balises.

3La première relèvera de la posture scientifique du sociologue : comment considérer cet acteur de l’État, dans une période pour le moins marquée par de nombreux changements ?

4La seconde empruntera un certain nombre d’analyses et de remarques à des travaux très récents, consacrés à ces deux siècles d’histoire.

« Recteur Chancelier », un énigmatique tandem lexical

5Tout d’abord, comment considérer cette surprenante dénomination, le « recteur chancelier », qui chacun le sait, constitue une énigme pour tout universitaire étranger ?

6Ancien recteur et membres de cabinet ministériels dans la période des années soixante et soixante-dix, historien de la langue et des mots, Gérald Antoine souligne la particularité de ce tandem lexical, si peu compréhensible, sans imitation ailleurs et qui évoque à la fois un double titre et une double responsabilité1.

7Parlons de ce double titre tout d’abord. Gérald Antoine considère que la loi d’orientation de l’enseignement supérieur, présentée par Edgar Faure en juillet 1968, offre une évidente lacune textuelle. Dans la précipitation où ils se trouvaient, les promoteurs de la loi n’ont pas vraiment défini le titre et la fonction du « chancelier des universités ». L’article 10 de la loi énonce simplement que le recteur d’académie « assure la coordination de l’enseignement supérieur et des autres enseignements. En qualité de chancelier des universités de son académie, il représente le ministre de l’Éducation nationale auprès des organes statutaires des EPSC(P)2 relevant de son ministère, assiste à leurs séances ou s’y fait représenter ».

8On mesure que cette loi d’orientation se borne à expliciter deux fonctions : en tant que recteur, coordonner l’activité des établissements supérieurs, et en tant que chancelier, représenter l’État.

9Cette seconde fonction n’est pourtant pas si troublante que l’on pourrait croire. Tout du moins, je le pense. Il faut pour cela revenir presque un siècle en arrière, à la naissance des universités de la Troisième République.

10Lorsque Léon Bourgeois, ministre de l’Instruction publique et des beaux-arts, présente, en juillet 1890, le projet de loi ayant pour objet la constitution des universités, il en revendique la tutelle pour l’État. Chaque université sera administrée, sous l’autorité du ministre de l’Instruction publique, par le recteur d’académie. Les pouvoirs que ce dernier exerce en matière d’enseignement supérieur, il les tient des lois et des règlements. Ce qui limite considérablement le pouvoir de décision du conseil de l’université ; conseil qu’au demeurant il préside. On peut s’étonner de ce second principe, contraire aux traditions universitaires. Mais ce serait oublier l’ambition républicaine pour qui l’université c’est l’État. N’oublions pas que la situation de l’enseignement supérieur en cette fin du XIX^e siècle3 : des facultés dans quelques grandes villes sans grands liens entre elles, des doyens nommés par l’État, quelques grandes écoles prestigieuses, créées en dehors des universités et puis des fonctionnaires nommés à la tête des académies et appelés recteurs. La réforme de l’enseignement supérieur voulue par les politiques sera difficile à s’élaborer. Au cœur des débats, il y a bien sûr la question des formes possibles d’une véritable décentralisation intellectuelle et scientifique.

11C’est pourquoi il peut être intéressant pour notre propos de voir comment dans le projet de loi sont abordés les droits de l’État vis-à-vis de l’université. L’État doit conserver « la surveillance et le contrôle de tous les actes qui engagent sa responsabilité »4. Ces actes sont « formellement réservés à l’État », au même titre que la collation des grades ou la nomination des professeurs, des agrégés, des maîtres de conférences et des secrétaires de faculté. On trouvera, dans d’autres débats, cette idée que l’université de France c’est l’État ! La volonté de l’État est claire. Il ne saurait être question de restreindre ses droits, tout au plus s’agit-il « d’augmenter – en les déterminant – les droits des universités et des représentants du pouvoir central ».

12La question ainsi posée, les députés se sont penchés attentivement sur la détermination des droits de chacun. Or, au début des années 1890, la position des parlementaires est sans ambiguïté : chaque université sera administrée sous l’autorité du ministre par le recteur de l’académie. Alors que la commission de la Chambre a d’abord envisagé d’énumérer toutes les attributions de ce dernier, elle finit par y renoncer, au motif qu’une telle liste serait par nature limitative. Pour éviter tout oubli, il est préférable de signifier le principe de tutelle, en référence aux pouvoirs que le recteur tient des lois et règlement en vigueur et qu’il exerce vis-à-vis de l’université.

13En conséquence, parce qu’il représente l’État, le recteur a de fait le premier rang dans l’université. Il n’est pas seulement chancelier en titre ; il l’est bien dans les faits.

14Moins d’un siècle plus tard, avec la loi de 1969, le terme de recteur chancelier reste bien choisi. Cette fois-là encore, il n’est pas question de limiter les droits de chacun. En renforçant l’autonomie de l’université, il ne s’agit pas de restreindre les prérogatives de l’État. Le recteur représente l’autorité de tutelle auprès des nouvelles universités autonomes. Parce que leur autonomie est relative, le recteur s’assure qu’elles ne se soustraient pas aux lois de la république.

15Mais en même temps, en tant que chancelier, il est aussi le garant des titres. Or ce terme est alors doublement significatif : d’une part, il est toujours le garde des sceaux de l’université et de la tenue des registres ; d’autre part, il reste par son origine l’un des membres du corps des doctes et donc – à ce titre – l’exact équivalent du représentant de ce corps qu’est le président élu. Dans tous les cas, le chancelier valide – à sa place propre, aux côtés du président de l’université – les parcours universitaires d’État et les titres universitaires d’État qui les consacrent. De mon point de vue, tant que le diplôme universitaire est un diplôme d’État, le recteur est nécessairement chancelier.

16Je ne suis pas historien des systèmes éducatifs. Mais l’étude des mots est, au final, assez intéressante parce qu’elle donne à notre questionnement initial une nouvelle orientation.

17Comment peut-on encore parler du recteur chancelier après la loi dite L.R.U. de 2007 qui consacre « la liberté et la responsabilité des universités » ?

18L’hypothèse que je développerai est assez simple finalement. Dans son exposé introductif, Olivier Dugrip a considéré que les lois sur les universités ont assurément modifié les pouvoirs des recteurs et fait évoluer la fonction. Mais fondamentalement, elles ne l’ont pas transformé. C’est aussi ma position. J’ai le sentiment qu’on ne saurait considérer cette terminologie singulière – « recteur chancelier » – sans une attention toute particulière.

19À mon sens, cette terminologie est structurante de la fonction et permet d’en dessiner les figures. Ensuite, j’ai la conviction que ces figures se déclinent différemment selon les périodes, les contextes institutionnels et législatifs, les formes de l’action publique. Mais – sur le fond – elles se maintiennent.

20Il est évident que cette hypothèse n’a de sens que si elle est soumise à la discussion… Et c’est, bien évidemment, le projet de cette communication.

Les trois figures du recteur chancelier

21Je vois trois figures possibles du recteur chancelier ; mais il peut y en avoir d’autres ! La posture n’est donc pas dans l’exhaustivité mais plutôt dans un modèle de construction – de nature idéal typique – qui se fonde sur la relation entre université et État et qui n’a d’autre but que d’étudier leurs évolutions respectives.

Figure 1 – le représentant de l’autorité étatique

22Placé au sommet de la pyramide éducative, le recteur est le représentant de l’État. C’est évidemment la première figure. Les apparats de la fonctions en atteste : le titre prestigieux, le logement dont le décorum est une marque, les symboliques…

23À ce titre, il contrôle les actes universitaires. Gardiens des sceaux et des registres, il s’assure également de la légalité des décisions des conseils.

24Voici donc ce recteur, représentant de l’État et donc, avant tout, plus curateur que recteur.

25Pour le comprendre, on peut se référer à nouveau au débat des parlementaires de la fin du XIX^e siècle, qui s’interrogent sur la dénomination de celui qui représente l’université. Les députés évoquent d’abord la situation des universités étrangères, où c’est un « recteur » élu, qui préside le « sénat universitaire » et qui représente l’université dans les cérémonies. De ceci, lui vient l’épithète de magnificus. De cela, se justifie l’existence d’un « curateur » qui, en tant que représentant de l’État détient – à cette époque dans les universités publiques – le vrai pouvoir administratif.

26Et nos parlementaires vont s’interroger sur l’opportunité de passer à ce modèle commun aux universités étrangères. Leur réponse est connue car elle se poursuivra jusqu’en 1969. J’en citerai un long développement, saisissant de clarté :

Fallait-il, pour rapprocher nos universités des universités de l’étranger, adopter pour elles un mode analogue, leur faire élire et présenter chaque année un rector magnificus, et instituer auprès d’elles, comme représentant de l’État et gardien de la loi un curateur ? Nous pensons avec le gouvernement qu’il est toujours inutile de compliquer les choses et de changer sans nécessité le sens des mots. Les recteurs existent dans la législation de l’instruction publique depuis 1808. Ils sont ses administrateurs ; ils représenteront vis-à-vis des universités locales, les pouvoirs qu’ils tiennent des lois et règlements dont des pouvoirs de curateurs5.

27La loi de 1969 n’a pas changé les choses. Certes, le président est élu mais le curateur se maintient et, au final, conserve le nom de recteur.

28La loi d’août 2007 ne revient pas sur ce point. Lors des négociations, il a été envisagé de constituer un sénat académique, distinct d’un conseil d’administration très restreint. Mais ceci visait surtout le modèle de gouvernance interne aux universités. Le recteur quant à lui conservait bien toute sa place, comme nous le verrons.

La figure 2 – Le bras de l’action de l’État

29Représentant de l’autorité de l’État, le recteur n’en est pas moins celui d’un ministre, et donc d’un gouvernement. Placé – si je puis dire ! – en « CDD hebdomadaire », il est clairement au service d’une action politique. À toute période, le recteur est clairement chargé de mettre en œuvre une politique publique éducative, ici universitaire ; quand bien même, la nature particulière de cet ordre de l’enseignement ne le place pas dans la même position que celle qu’il occupe dans les enseignements primaire et secondaire.

30Certes, l’université bénéficie de prérogatives particulières mais le recteur veille aussi à ce que les orientations ministérielles soient prises en compte : travail plus ou moins délicat selon les périodes ; travail politique et administratif mais travail de persuasion, de contrôle et d’incitation… Cependant, il n’y a pas d’ambiguïté et chacun sait qu’un recteur « fait son travail » quand il s’efforce d’impulser la politique du ministre et du gouvernement.

31Chaque époque est marquée par les intentions politiques des nouvelles majorités gouvernementales qui engagent des réformes. Le recteur est le garant de cette action, de l’application de ces politiques d’enseignement supérieur… Sa non subordination au préfet de la république lui donne ici un rôle accru. Vis-à-vis des universités, les choses sont plus délicates mais elles s’opèrent ; sans doute grâce à un minimum de doigté et surtout à l’autorité que seul un docteur reconnu peut détenir auprès de ses pairs.

Figure 3 – L’animateur du territoire universitaire

32Cette troisième figure est tout aussi importante. Elle rappelle les évocations de Jean-François Condette, lorsque, décrivant les recteurs de la Troisième République – recteurs de longue durée –, il souligne un de leurs rôles particuliers : la défense et l’animation du territoire académique dont ils avaient la charge6.

33Dans une période plus récente, en s’en tenant au seul domaine universitaire, leur action en la matière n’a pas faibli.

34Au contraire ! Le recteur – à Toulouse peut-être plus qu’ailleurs – a dû faire face à la montée des effectifs étudiants, concevoir de nouveaux campus, mettre en œuvre des programmes de construction universitaire comme lors du plan U 2000, préparer la négociation des contrats de plan État région (CPER)... « Montant » régulièrement à Paris, il y défend la patrie universitaire locale auprès des services de l’État central.

35Mais il y a aussi son rôle d’animateur. Cette responsabilité est, pour le recteur Antoine7, une lacune instructive de l’application de la loi de 1969. Ainsi dans son article 8, la loi prescrit la création d’un « conseil régional de l’enseignement supérieur et de la recherche », destiné à organiser dans une même région ou académie, les rapports des structures de l’enseignement supérieur et de la recherche avec l’ensemble des acteurs du territoire. Ce conseil – présidé par le recteur chancelier – lui confirmait ce rôle majeur d’animateur du territoire universitaire. Et pourtant, à une exception près, cette disposition, reprise pourtant dans la loi de 1984 et qui aurait couronné cet aspect des missions du recteur chancelier, est restée lettre morte !

36Cela n’a toutefois pas empêché les recteurs de jouer, de multiples manières, ce rôle ; en relation avec les universités, qui en ont bien compris l’utilité.

37En conclusion de cette partie, trois figures donc qui me semblent structurantes de la fonction de recteur chancelier. Trois figures qui – comme je vais essayer de le démontrer – conservent toute leur légitimité en ce début de XXI^e siècle et dans le contexte d’une nouvelle autonomie des universités.

Transformations des figures du recteur chancelier dans le contexte de ce début de XXI^e siècle

38Qu’en est-il en ce début du XXI^e siècle ? Ces figures se trouvent-elles affaiblies ou menacées par les évolutions de l’enseignement supérieur après l’adoption de la loi LRU ?

39En aucun sens, à mon avis. L’hypothèse soutenue est bien la stabilité de ces figures de la fonction de recteur chancelier jusqu’à nos jours. Se conservant, tout en se déclinant de manière particulière selon le contexte, elles ont acquis un caractère structurant.

L’autorité de l’État

40Dans le contexte actuel d’évolution des modèles d’autorité, on voit se développer des processus de déconcentration qui accentuent l’autonomie des établissements universitaires. Certes, ces transferts de compétences déchargent le rectorat de tâches de gestion qui lui incombaient naguère, mais ils lui conservent un rôle de contrôle de la vie universitaire. Principalement sur trois points essentiels : la vérification de la légalité des actes, la certification des comptes et celle des diplômes universitaires d’État.

41On peut même considérer que la loi L.R.U. affaiblit le jeu d’arrangements habituel entre le niveau local ou régional et le niveau central. Si tel est le cas, cela pourrait conduire les recteurs à un durcissement de leur fonction de curateur. Il semble du reste que les rectorats s’y préparent en renforçant leurs services comme les directions « Enseignement supérieur », ce qui leur permettra de mieux suivre ces dossiers.

42Ces exemples démontrent la prégnance du modèle centralisateur qui organise le système d’action publique et administrative français. Les modèles d’autorité et de contrôle ne disparaissent pas mais suivent les processus sociaux. Ainsi dans le cadre des relations entre l’État et les universités, ils se transforment plus qu’ils ne cessent.

L’action publique universitaire

43Dans le cadre de la nouvelle autonomie des universités, les processus de décentralisation sont évidents.

44Du fait de la complexité des problèmes à résoudre, l’État n’est plus le seul producteur de politiques publiques. Dans le domaine universitaire, les établissements sont invités, selon des modalités différentes de celles du passé, à concevoir et à réaliser de nouvelles actions à ses côtés. Cette transformation de l’action publique signifie moins un désengagement de l’État qu’une transformation de ses modes d’action. Dans ce cadre, le recteur se voit attribuer d’autres fonctions qui lui permettent de conserver une influence déterminante. Je prendrais trois exemples dans lesquels le recteur se trouve ainsi fortement impliqué, auprès des universités, dans des programmes qui associent ces dernières à des initiatives du ministère : l’orientation active, le plan licence et les bourses de mobilité.

45Dans leur préparation et leur mise en œuvre sur le terrain, se dessinent des configurations nouvelles de l’action publique universitaire, avec un État qui impulse, cadre et vérifie l’action des établissements. Dans ce dispositif, le recteur n’est pas un simple agent du ministère. Auprès des responsables universitaires il a une fonction d’incitation, de conseils, d’information et de renseignements. Ils les assure de son soutien et les rassure même…

Les nouvelles politiques publiques territoriales

46L’action publique universitaire est aussi territoriale. Or l’émergence d’un territoire universitaire régional prend aujourd’hui une forme particulière du fait de l’évolution dans la manière de l’État à utiliser le territoire comme acteur de son intervention.

47Les sociologues de l’action publique parlent de « gestion publique territoriale » pour évoquer les nouveaux modèles publics où l’ensemble des acteurs d’un territoire définissent et construisent un projet de développement.

48On assiste en France dans la production des politiques publiques à une inflation de territoires d’intervention, qui peuvent se trouver en partie déconnectés des lieux de vie et d’appropriation où s’expriment les problèmes à résoudre8. Du fait des enjeux de la gestion publique et des situations sociales et économiques plus incertaines, moins stabilisées, le territoire devient un espace de gestion des problèmes et se constitue ainsi progressivement comme l’épicentre de l’action publique.

49Pour l’université, les choses se sont construites progressivement depuis le programme Université 2000 jusqu’au plan U3M (Université du troisième millénaire).

50L’opération « Campus » en est un autre exemple. Les acteurs universitaires d’un territoire, soutenus par des collectivités partenaires, développent un projet non seulement immobilier mais universitaire, scientifique et urbain. Le rôle du recteur est ici affirmé comme celui d’un animateur, d’un intermédiaire et même d’un maïeuticien. Rôle important mais différent de celui qu’il joue pour préparer les CPER.

51Cette dernière évocation me permet d’insister sur l’intermédiarité qui me semble structurer les trois figures du recteur chancelier. Le recteur est bien un intermédiaire : au sein de systèmes locaux ; dans les relations entre le local et le central ; enfin, entre l’action publique et l’action universitaire. Utiliser le concept d’intermédiarité est intéressant. Dans d’autres travaux9, j’ai pu le définir comme de nouvelles médiations politiques qui au travers des dispositifs particuliers et des formes de négociation permettent de trouver des réponses à une action politique – ici éducative – toujours problématique.

52S’agissant du recteur chancelier, cette intermédiarité le place dans une double situation : c’est d’une part un acteur de coopération et de réduction des tensions et, de l’autre, un acteur sous tension car le recteur est mis à l’épreuve, du fait de l’intermédiarité et de l’asymétrie de sa position. Il doit sans cesse composer avec des règles mouvantes ou à définir et avec des exigences hétérogènes. Il doit, certes, contrôler mais aussi défendre les opérations qu’il conduit, harmoniser les propositions qu’il reçoit, mettre en ordre de mouvement l’ensemble des partenaires impliqués...

53On doit donc considérer combien le travail public rectoral n’est pas un « bricolage » ni une fonction honorifique ou de détente mais bien un travail acharné : travail de coopération ; travail de persuasion ; travail de médiation.

Conclusion

54Je ne saurais conclure de manière péremptoire. Il me semble cependant que l’hypothèse annoncée, tout en restant ouverte pour un débat, se trouve en partie confirmée. Les figures du recteur chancelier sont assez stables – seuls les contextes d’action publique et sectoriels en modifient la déclinaison. Représentant du local et de l’État, le recteur chancelier est-il en France un personnage particulier ? Oui, certainement ! Particulier et nécessaire.

55Les parlementaires de la fin du XIX^e siècle, après s’être interrogés sur la dénomination de la fonction, s’en sont tenus à l’existant. Rappelons leurs débats :

Un changement de nom ne changerait rien au fond des choses. Il n’engendrerait que de la confusion. Il aurait en outre cet inconvénient de paraître isoler, ce qui n’est dans l’intention de personne, les universités du reste de l’instruction publique. Les universités relèveront avec leurs franchises personnelles du Ministre, comme tous les autres établissements publics d’enseignement. Partant, le recteur de l’académie est entre elles et le ministre, l’intermédiaire naturel et nécessaire…

56Rien n’est naturel, bien sûr, et à n’en pas douter un tel choix résulte plus d’un modèle de gouvernement des affaires publiques universitaires que d’une hésitation lexicale ou de tout autre facteur. Mais alors on peut s’interroger sur les raisons qui ont permis à ce recteur chancelier d’avoir pu ainsi traverser avec force ces deux siècles ? En osant l’exercice, j’y vois trois raisons principales.

57Tout d’abord, comme j’ai pu le développer précédemment, il faut garder à l’esprit le rôle des grands corps de l’État qui, en France, structure les relations entre l’État central et le(s) territoire(s). Depuis les travaux des sociologues et politologues sur le pouvoir local, l’on connaît ces relations particulières entre représentants de l’État et structures politiques locales. C’est en ce sens que j’ai parlé de ces formes renouvelées de l’intermédiarité, qui peuvent aussi s’appliquer aux relations qu’entretient le recteur avec l’ensemble de ses partenaires locaux et régionaux – y compris universitaires – et qui participent de l’équilibre politique territorial.

58Mais il convient également de rappeler l’importance des franchises universitaires, qui se sont étendues au système éducatif dans son ensemble, en lui donnant une place toute particulière dans nos institutions publiques. La relative autonomie dont dispose le recteur d’académie à l’égard du préfet en est une forte illustration.

59Enfin, le choix d’un universitaire comme représentant de l’État auprès des universités a certainement joué un rôle déterminant dans la pérennité de la position du recteur chancelier. C’est un choix que les universitaires eux-mêmes ne songent pas à remettre en cause. Ils trouvent dans cet arrangement, qui maintient toutefois dominante la représentation de l’État, un avantage certain mais aussi une assurance de conserver, si ce n’est des droits, tout du moins une attention particulière pour leurs prérogatives et leurs privilèges. Délégué de l’autorité publique, le recteur chancelier est aussi – tout au moins l’espèrent-ils – demeuré l’un des leurs, un primus inter pares.