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Les Recteurs et le rectorat de l’académie de Toulouse (1808-2008)

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Didier Foucault

Troisième partie. La Troisième République, « âge d’or » des recteurs de l’académie de Toulouse ?

De Perroud à Lapie la construction de l’école républicaine (1881-1914)

Hervé Terral

Texte intégral

  • 1 Il évoque à son propos « une bonté de saint laïque » (p. 327 de la biographie, infra). Bui (...)
  • 2 Rascol (Louis), Claude-Marie Perroud (1839-1919). La vie et l’œuvre d’un universitaire du (...)

1Les recteurs passent, la fonction demeure dans sa grandeur et sa servitude : « A la tête de chaque académie, le recteur, nommé par le ministre, le représente en tout », précise en ouverture de L’Éducation dans l’Université (1890) le philosophe Henri Marion. Elle est largement le reflet des ambitions et des conflits, peu ou prou larvés ou exprimés, d’une période. Ainsi la décennie 1870, marquée par une transition politique difficile, voit-elle se succéder à Toulouse pas moins de cinq recteurs : Roch Roustan (1863-1870), lié au Second Empire ; Adolphe Gatien-Arnould (1871-1873) ; Charles Dreyss (1874-1877) ; Thomas Chappuis (1877-1880) ; Charles Capmas (1880-1881). Ils assurent le relais avec les quatre décennies suivantes. Louis Rascol (1866-1951), directeur de l’école primaire supérieure d’Albi (la « Sup ») durant plus de vingt ans et biographe – quelque peu hagiographe1 – de Claude Perroud, parlera pour cet ensemble d’une « véritable carence de prérogative rectorale » : « Le prédécesseur de Perroud, muté à Toulouse à la veille de sa retraite, n’avait même pas défait ses caisses ; tel autre, après deux années de séjour, n’avait laissé dans les archives qu’un seul rapport écrit de sa main2 », fait-il remarquer – afin de mieux souligner sans doute la rupture qui va suivre. Un mois après sa nomination, Perroud aura en effet « paru dans plusieurs départements » et « donné l’impression d’un chef ».

  • 3 Il est alors âgé de 42 ans. Cette nomination se situe au mitan de ce que sera sa carrière, (...)

2Enfin Perroud vint, est-on tenté d’écrire, pour vingt-sept ans (1881-1908) et rien de moins, suivi de Jeanmaire (deux ans et demi seulement de 1908 à 1911… après deux années d’inspection d’Académie de 1878 à 1880 à Tarbes et Toulouse et, surtout, vingt-quatre ans de rectorat à Alger) et le « jeune » Lapie (1911-1914)3, lequel quittera le poste pour devenir directeur de l’enseignement primaire au ministère (1914-1925), puis vice-recteur à Paris (1925-1927). À l’évidence, le rectorat de Toulouse qui s’étend sur huit départements exige alors de fortes personnalités, à la hauteur des changements politiques en cours.

  • 4 Carré (Irénée), « Restons primaires », Annuaire de l’enseignement primaire, A. Colin, 1892 (...)
  • 5 Lapie (P.-O.), op. cit., p. 123.

3Qu’ont-ils en commun, ces trois recteurs, au delà de leurs importantes réalisations ? En premier lieu, une origine sociale relativement modeste. Le plus âgé, Perroud, est fils d’un maître-cordonnier endetté ; le deuxième, Jeanmaire, fils d’un cultivateur devenu maire de son village ; le troisième Lapie, fils d’instituteur public. Tous doivent leur ascension à la méritocratie : ils sont bien des « boursiers » et non des « héritiers », selon l’opposition développée par Albert Thibaudet dans La République des professeurs (1927). En deuxième lieu, ce sont des « primaires » par leurs parcours scolaires : Perroud a même connu, sous la monarchie de Juillet, l’école mutuelle qui fut le vecteur de la première vague de grande scolarisation populaire ; Jeanmaire a suivi tout le cursus de son école de village avant d’aller au collège voisin ; Lapie est même né… dans une école ! « Primaires », ils sont « premiers », à la base, au fondement de l’instruction et de l’éducation, comme l’affirme alors avec force l’Inspecteur général Irénée Carré4, et toute leur vie, dans leurs différents postes, ils manifesteront leur attachement à cet ordre d’enseignement (90 % du « corps enseignant » alors). En troisième lieu, ils sont étrangers à la région – même s’ils savent inscrire leur travail, quand ils le jugent à propos, dans une dimension locale (pour l’enseignement professionnel surtout) : Perroud est du Lyonnais ; Jeanmaire Lorrain ; Lapie Champenois (ces deux derniers connaîtront en outre le Maghreb, peu – Lapie à Tunis – ou beaucoup – Jeanmaire en Algérie) et tous trois, agrégés, sont passés par l’université ou les grands lycées parisiens ; ce sont des hommes de la « Grande France », voire de « la plus grande France » selon les définitions des Atlas, conçus par un Pierre Foncin ou un Onésime Reclus portés à défendre d’une même voix l’Alliance française et la francophonie naissantes. Fonction oblige, le recteur voyage beaucoup alors, aujourd’hui encore, par mandat national : ainsi le philosophe Gabriel Compayré (1843-1913), fils d’un chef de bureau à la préfecture du Tarn, professeur à la faculté des lettres de Toulouse, un temps député de Lavaur (1881-1889), va-t-il exercer par la suite ses talents d’administrateur à Poitiers (1889-1895), puis à Lyon (1895-1905), avant d’accéder à l’Inspection générale de l’enseignement secondaire (son tour de France est alors assuré). En quatrième lieu, tous trois ont reçu une éducation religieuse catholique – Perroud s’affirmant même à l’occasion comme un spiritualiste distinguant clairement anticléricalisme et opposition à la religion. En cinquième lieu, ce sont des hommes d’action voire de terrain, des arpenteurs : Perroud inspecte son académie sitôt arrivé ; Lapie s’honore d’un déplacement à l’observatoire du Pic du Midi, créé par son prédécesseur – s’inquiétant entre autres préoccupations d’une consommation à ses yeux abusive de… torchons (125 par an selon son fils)5 ; Jeanmaire avait gagné quant à lui, de ses courses en Petite et Grande Kabylie pour juger du développement de l’« enseignement indigène », le surnom familier de « l’ours de Mustapha »…

  • 6 Jeanmaire décède en 1912, neuf mois après sa retraite, à 70 ans ; Lapie, au retour d’un vo (...)

4Mais ces efforts quotidiens, entre comique et tragique parfois6, s’inscrivent dans une œuvre d’ensemble : la mise en place d’une politique républicaine d’instruction et d’éducation (les deux allant ensemble), conçue par Ferry ou Gambetta comme une des expressions majeures de la démocratie enfin triomphante (à côté de la liberté du travail et du suffrage universel). Ce que perçoivent très bien, par exemple, les instituteurs du canton de Bordères (Hautes-Pyrénées) qui, réunis en conférence pédagogique à Arreau « sous la présidence de leur inspecteur », félicitent leur ministre :

  • 7 Publié dans L’Union républicaine, le 4 août 1880.

Vous avez su faire comprendre au peuple que la plus sûre base du suffrage universel, c’était l’instruction, que la citadelle la plus inexpugnable de la liberté, c’était l’école, que l’implacable ennemi de la tyrannie, c’était l’instituteur7.

  • 8 Langlois (Charles-Victor), « La question de l’enseignement secondaire en France et à l’étr (...)

5Contrairement à une idée aujourd’hui très répandue, la scolarisation de la population était assurée à près de 90 %, dans le privé comme dans le public (d’après l’enquête de Jules Simon de 1864), mais de façon très lacunaire et très inégale quand même (selon le milieu urbain ou rural, le sexe des élèves, la région). Guizot, à qui Ferry rendra un hommage appuyé dans les années 1880, avait véritablement lancé l’enseignement primaire avec sa loi du 28 juin 1833… sans pouvoir modifier néanmoins le cours des saisons (à la campagne, la fréquentation de l’école suit inversement le mouvement des récoltes – pour longtemps encore !). Pour autant, tout est loin d’être harmonieux, cinq décennies plus tard. En particulier, une ligne de fracture existe entre les différents « ordres d’enseignement » (le terme n’a pas de connotation péjorative à l’époque) et Ferdinand Buisson, bras droit (ou gauche ?) de Ferry et directeur de l’enseignement primaire dix-sept ans durant, n’hésitera pas à caractériser l’enseignement secondaire comme « l’enseignement accessible aux familles qui peuvent entretenir leurs enfants, jusqu’à un âge relativement avancé, sans avoir besoin de leur faire gagner leur vie ». L’historien Charles-Victor Langlois, qui rapporte ce propos donné dans le cadre de l’enquête nationale sur les fins du Secondaire (1898-1899), ne manque pas de rajouter : « Aux établissements secondaires sont annexées des “classes élémentaires” afin d’éviter aux enfants de la bourgeoisie le contact des enfants du peuple8 ». Situation dont le logicien Edmond Goblot, sociologue pour l’occasion, tirera un livre fort roboratif, La barrière et le niveau, publié en 1925 seulement (écrit vraisemblablement avant la Grande Guerre). Pour l’heure, c’est à ses différentes facettes de l’enseignement que nos trois recteurs consacreront leur énergie – Perroud, durée oblige, nous servira de fil rouge pour analyser leur travail.

L’enseignement primaire

  • 9 Cf. Terral (Hervé), Hussards noirs en Midi toulousain, Toulouse, Association des amis des (...)
  • 10 Chiffres publiés dans Demnard (Dimitri), Dictionnaire d’histoire de l’enseignement, Paris, (...)
  • 11 Soulet (A.-J.), La crise de l’œuvre post-scolaire française, Paris, Librairie Félix Juven, (...)

6Il représente, à l’évidence, le cœur du projet républicain. Dans l’académie, qui se trouve du « mauvais côté » de la ligne Saint-Malo/Genève, tracée par le recteur Maggiolo, quant à l’inégal développement de l’alphabétisation du XVIIe au XIXe siècles, la maîtrise orale ou écrite du français demeure problématique. L’enquête de 1864 sur « l’illettrisme » (i.e. l’analphabétisme strict alors) des conscrits place les Hautes-Pyrénées en 21ème position nationale et 1ère régionale (11% d’illettrés), l’Aveyron en 34ème (19 %), le Gers en 41ème (25 %), la Haute- Garonne en 43ème (26 %), le Tarn-et-Garonne en 63ème (33 %), le Lot en 68ème (35 %), le Tarn en 71ème (36 %), l’Ariège en 89ème et ultime position (66 %) – dans le voisinage immédiat des départements limousins, bretons et berrichons. Même si ces chiffres prêtent à discussion9, ils témoignent du chemin à parcourir (la Meurthe, classée au premier rang national, offre seulement 2 % de conscrits illettrés quand la moyenne nationale stagne à 25 %). D’où, ici comme ailleurs, ici plus qu’ailleurs, un programme consistant de construction d’écoles – en premier lieu des « écoles de hameaux », particulièrement dans les zones de montagne, qui se voudront la manifestation la plus spectaculaire des efforts du nouveau régime. En ville aussi, le temps est venu des « palais scolaires » en bonnes pierres : Toulouse n’a en 1870 que six écoles publiques laïques de garçons (correspondant aux cinq cantons de centre-ville, plus l’école de Saint-Simon) et une seule de filles. Grosso modo, sur les huit départements, entre 1876 et 1906, on gagne une centaine d’écoles primaires publiques par département (sauf dans les Hautes Pyrénées où l’on passe de 728 à 717 établissements) : de 668 à 706 dans le Gers, de 605 à 700 dans l’Ariège, de 698 à 929 en Haute-Garonne, etc. Cette progression10 va de pair avec une forte diminution des écoles primaires privées (de 30 à 50 %) – sauf dans le Tarn et l’Aveyron, bastions catholiques confirmés, où celles-ci progressent, particulièrement jusqu’en 1901 (elles subissent après cette date les effets des lois de laïcisation). Mais un ancien instituteur tarnais devenu administrateur, A.-J. Soulet, évoque par ailleurs un « fléchissement » quant aux résultats : selon la circulaire ministérielle du 25 octobre 1908, l’Aveyron présentait encore 89 conscrits illettrés en 1906 (contre 25 en 1905), la Haute-Garonne 127 (contre 102), le Tarn 67 (contre 39)… Rien d’acquis donc, surtout pour « les enfants les plus misérables, les nomades, les anormaux de toutes catégories et aussi ceux qui habitent les régions les plus déshéritées des hauts plateaux et des montagnes »11.

7Les écoles normales départementales d’institutrices sont fondées par la loi du 9 août 1879, une des premières mesures effectives de la politique républicaine. Jusqu’alors, dans le sillage de l’ordonnance royale du 23 juin 1836 due au comte Pelet de la Lozère et complémentaire de la loi Guizot de 1833, l’enseignement des filles relevait très largement des congrégations religieuses ou quasi-religieuses (telles les Béates du Velay – auxquels les pédagogues républicains rendront un hommage appuyé) ; la formation des maîtresses leur fut également confiée dans des « cours normaux ». Pour la Haute-Garonne, par exemple, celui de Cintegabelle, né en 1871, n’a que des moyens limités – ce qui n’empêchera pas l’inspecteur d’académie de saluer a posteriori son travail :

  • 12 Article « Haute-Garonne », Buisson (Ferdinand) dir., Dictionnaire de pédagogie et d’instru (...)

Les filles de la croix (de Lavaur) ont rendu d’utiles services au département et les cinq institutrices qui sortent chaque année de cette communauté peuvent compter parmi les institutrices les mieux préparées à l’enseignement12.

  • 13 Istria, « Claude Perroud », Revue pédagogique, mars 1920, p. 264.

8La décennie 1880 va voir, en conséquence, la naissance des écoles normales départementales. Perroud soutiendra auprès des conseils généraux des programmes de construction qui, comme pour les écoles de garçons après 1833, ne sont pas d’emblée acquis. Il aura par ailleurs le souci d’envoyer dans les ENI les meilleurs maîtres des lycées comme professeurs : ainsi Jaurès à Albi13.

  • 14 Combelles (Justin), La “Sup” d’Albi. De ses origines à l’ensemble éducatif Louis Rascol, A (...)

9L’enseignement primaire ne se limite pas toutefois aux écoles maternelles (succédant en 1880 aux salles d’asile nées avec la monarchie de Juillet) ou élémentaires (celles qui donnent les « éléments » selon la formule l’ariégeois Joseph Lakanal en 1795). Outre les écoles normales, cet enseignement a un versant « supérieur » depuis la loi de juin 1833. Les écoles primaires supérieures qui avaient largement périclité (délaissées par des parents soucieux d’études plus relevées via l’enseignement « classique ») sont relancées avec vigueur par Ferry comme expressions de la « démocratie » scolaire (face au malthusianisme du lycée) et embryons d’une professionnalisation des études. En 1880 ne subsistent plus nationalement que 17 écoles et, au niveau académique, une seule (à Montcuq dans le Lot) – celle de Toulouse, métropole régionale, a même disparu en 1874 ! Les créations sont alors nombreuses. Pour les garçons, Mirepoix (Ariège, 1882), Aubin (Aveyron, 1886), Toulouse (1885), Luzech (Lot, 1885), Saint-Céré (Lot, 1887), Martel (Lot, 1887), Mazamet (Tarn), puis, de 1889 à 1908, Saint-Géniez-d’Olt et Rodez (Aveyron), Albi et Lavaur (Tarn), Mirande (Gers), Beaumont-de-Lomagne (Tarn-et-Garonne) – et les annexes aux collèges de Bagnères-de-Bigorre, Castres et Castelsarrasin. Pour les filles, Foix, Villefranche-de-Rouergue, Lavaur, Vic-Bigorre, Castelsarrasin, Moissac. La plus symbolique a bien des égards sera celle d’Albi, créée en 1905 et dirigée vingt ans durant par Louis Rascol : elle devient très vite polyvalente, offrant des sections industrielle, agricole, commerciale ainsi que des classes préparatoires aux fonctions publiques et… à l’école normale d’instituteurs, non sans difficultés matérielles néanmoins dans l’acquisition des outils, machines, voire terrains14. On y enseigne aussi l’anglais ou l’espagnol (un certain Léon Pompidou, cantalien d’origine et père d’un fils devenu depuis célèbre, aura en charge cette discipline 24 ans durant). Le recrutement dépasse le seul département du Tarn, gagne les départements voisins (on trouve même un fils de ministre cambodgien en 1909). Dès 1913, les effectifs dépassent ceux du lycée (344 élèves contre 330, l’institution Sainte-Marie en affiche 148 seulement). Les trois recteurs ont soutenu ce développement qui suppose des constructions et des aménagements divers (les bâtiments d’origine étaient ceux de l’école normale de filles). Perroud l’a défendu dès le départ, dans un discours de distribution des prix au lycée (27 juillet 1906) :

  • 15 Cité dans Rascol, op. cit., p. 173.

Les deux maisons nous sont également chères, le drapeau de l’Université flotte sur l’une comme sur l’autre, et elles ne rivalisent que pour mieux remplir la tâche assignée à chacune d’elles15.

10Louant la souplesse des collèges (plus que des lycées !) qui peuvent parfois ouvrir « une chaire d’agriculture comme à Figeac », Perroud ne manque pas de préciser dans un discours identique tenu en 1889 au collège de Castres (lequel intègre, pour sa part, une annexe primaire supérieure) :

  • 16 Cité dans Rascol, op. cit., p. 202.

Pourquoi séparer sans nécessité les adolescents des mêmes générations […]. Que de bienfaisants résultats pourraient sortir de ce rapprochement […]. Nos bacheliers trouveraient profit, et pour la santé du corps et pour l’équilibre de l’esprit, à passer quelques heures aux ateliers créés pour leurs camarades et ceux-ci ne perdraient pas leur temps à écouter leur professeur d’histoire16.

  • 17 Cf. « Esquisse d’une réforme de notre enseignement national », Revue pédagogique, 1922, n° (...)

11Rascol verra dans cette déclaration les prémices de « l’École unique », posée publiquement dès 1905 par Ferdinand Buisson, devenu député radical, et rendue au rang de débat national vers 1930. On peut considérer qu’elle annonce tout autant le point de vue de Paul Lapie qui, directeur du Primaire, aura pour souci d’assurer une authentique démocratisation de l’enseignement autour des écoles primaires supérieures et des cours complémentaires des écoles primaires17 – et non pas sur une ouverture tous azimuts du Secondaire satisfaisant en apparence un désir parental de promotion sociale. N’était-ce pas au demeurant le point de vue de Perroud lui-même ? Quand il affirmait dès sa Lettre à un ami écrite aux portes de son entrée dans le rectorat (1880) :

Nos lycées doivent rester des écoles d’humanités. Si l’on veut que le jeune homme en sortant de nos mains, au lieu d’être apte à tout apprendre vite et bien (voilà notre but), soit en mesure d’appliquer immédiatement un certain nombre de connaissances pratiques, qu’on ne l’envoie pas chez nous, qu’on le mette aux écoles professionnelles…

  • 18 Cité dans RASCOl, op. cit., p .167-168. Perroud est alors maître de conférences à la facul (...)

12Ajoutant à leur propos : « Écoles éminemment utiles, trop rares en France, pour lesquelles on devrait créer un cadre particulier dans l’Université18 ». L’unité de l’Université, à l’évidence, ne suppose pas la confusion !

L’enseignement secondaire

  • 19 Ce texte figurait dans un projet de plaquette pour le centenaire de l’École normale de fil (...)

13Le lycée, sis généralement à la préfecture, et le collège, plutôt à la sous-préfecture, constituent néanmoins un point nodal des missions rectorales. Ils sont l’image publique de la politique nationale, celle que les élites locales sont à même d’apprécier au cœur des tensions entre République et Église catholique trente ans durant. Chacun le sait, ce qui est reproché alors au secondaire, c’est de s’être replié sur lui-même, dans un conservatisme étroit, sur un passé scolaire quelque peu décrépi – entre programmes tels qu’en eux-mêmes l’éternité ne les change guère et bâtiments anciens, parfois insalubres, propres à générer les uns et les autres de spectaculaires émeutes d’élèves, internes en premier lieu : le lycée de Toulouse (actuel lycée Fermat) défraye ainsi la chronique au printemps 1882. Perroud, qui vient juste d’arriver dans l’académie, sera donc au premier rang pour entreprendre une politique, prudente, d’extension architecturale (à Toulouse) ou de construction stricto sensu (à Montauban, à Tarbes). Il sera au premier rang aussi pour faire appliquer l’esprit de la « discipline libérale », officiellement mise à l’honneur à la suite des réflexions conduites par le philosophe Henri Marion (1890). Rien d’étonnant dès lors à ce que le recteur réduise la place des sanctions, prône une sorte d’autodiscipline (ante 1968) fondée sur la conscience morale et l’autonomie du jugement, recommande les « classes-promenades » déjà valorisées par Victor Duruy (le legs du domaine de Bellevue par le baron Ozenne en décembre 1894 vient concrétiser le projet), encourage l’hygiène avec vigueur : « Il est indispensable que les élèves internes prennent au minimum un bain de pieds chaque semaine et un grand bain tous les mois », selon sa circulaire du 31 mars 1900 concernant les lycées de garçons, de filles et les écoles normales19. Le travail de Lapie, très critique – comme Durkheim - sur l’internat, va dans le même sens.

  • 20 ADHG, 2971W17. Pour l’évolution du lycée dans la période, on se reportera à l’ouvrage coll (...)
  • 21 Ce dont témoigne, par exemple, le maintien des aumôneries dans les lycées publics.

14Perroud et ses successeurs auront aussi à affirmer la présence des lycées face à la concurrence catholique (en sus de celle venue des écoles primaires supérieures, comme nous l’avons vu). Le lycée des garçons à Toulouse fait alors figure de navire amiral face au Caousou, émanation des Jésuites et point de ralliement des élites de la ville (particulièrement dans les professions juridiques qui lui demeureront longtemps fidèles). En 1913, il affiche 1300 élèves, alors que le Caousou n’en a plus que 197 en 1911 (il va même fermer en 1912 sur injonction des tribunaux avant de renaître de ses cendres, onze ans plus tard). Dans ces affaires délicates et « sensibles », les recteurs doivent apporter leur soutien au proviseur Alphonse Fleurieu (en poste de 1905 à 1914) – lequel dans un rapport à son supérieur (mai 1913) n’hésite pas à distinguer deux catégories d’élèves dans son lycée quant à leurs dispositions morales : « de la spontanéité et de la franchise chez les nôtres, de la dissimulation et de la restriction mentale (chez ceux) qui nous viennent cette année des maisons religieuses » (pour la seule année de baccalauréat)20… Mais ils doivent tout autant se montrer respectueux de la loi de 1905 (sur la séparation des Églises et de l’État), loi de compromis quoi qu’on en ait pu dire21, et ne pas donner dans des manifestations anti-religieuses. La question excède bien sûr le climat des seuls lycées : en 1889, pour le centenaire de la Révolution, les élèves de l’école communale et de l’école lassalienne se battaient déjà dans les rues de Gaillac (Tarn) ; en 1912, on tire de nuit sur le domicile des époux Donat, instituteurs publics à Couffouleux (Aveyron) – Jaurès intervient à la Chambre à ce propos. La fermeté et, tout autant, le doigté s’imposent donc aux recteurs !

  • 22 Le 25 novembre 1880, Le Gaulois, journal national conservateur, avait écrit : « La jeune f (...)

15L’enseignement secondaire des jeunes filles, émanation de la loi Camille Sée (21 décembre 1880), représente l’autre grand enjeu des rivalités entre la république ferryste et la hiérarchie catholique. Victor Duruy avait tenté de lancer cet enseignement sous l’Empire libéral contre l’avis de Mgr. Dupanloup. Ferry en reprend l’idée car, à ses yeux, la conquête de la conscience des femmes est essentielle : si elles ne votent pas encore, elles éduquent leurs enfants et peuvent influencer leurs époux, frères et pères ! S’il n’existait en 1881 qu’un cours secondaire dans l’académie, à Montauban, un dense réseau d’établissements est constitué dès la fin de la décennie, regroupant 1139 élèves : deux lycées (Toulouse, Montauban), quatre collèges (Tarbes, Cahors, Albi, Vic-Bigorre), six cours secondaires, etc. Le lycée féminin de Toulouse (actuel lycée Saint-Sernin) voit le jour le 7 janvier 1884 avec 46 élèves, succédant à un éphémère cours secondaire installé deux ans plus tôt dans un appartement de la rue Baour-Lormian (les familles assistant au cours22!). La prudence pédagogique lato sensu est alors requise, particulièrement dans le choix de la directrice (Mlle Baillaud, inspectrice des écoles maternelles et sœur du doyen de la Faculté des sciences) et de la surveillante générale en charge de l’internat (Mlle Lescure qui, dit-on, faisait songer à l’esprit de l’école de Saint-Cyr fondée par Mme de Maintenon, autorité reconnue dans l’histoire de l’enseignement féminin). Pour ces affaires, Perroud semble exceller, qui, comme pour les ENI, envoie les meilleurs professeurs (Jaurès encore !) collaborer à cet enseignement si sensible et si singulier : il ne conduit pas au baccalauréat ; il est teinté de littérature, de morale et de psychologie ; il doit former des épouses éclairées, maîtresses dans l’économie domestique et précieuses auxiliaires de leur mari (telles les épouses des recteurs alors). Lapie poursuivra l’œuvre, lui qui, professeur à Bordeaux, a consacré une étude volumineuse à ses questions (La femme dans la famille, 1908).

L’enseignement supérieur

  • 23 Cité in Rascol, op. cit., p. 148.
  • 24 Cité in Rascol, op. cit., p. 243. Discours de 1891.
  • 25 Cité in Lapie (P.-O.), op. cit., p. 124.

16Après 1870 et l’humiliante défaite, la République entend reconstruire son enseignement supérieur, pièce jugée défaillante dans le dispositif national. Ce n’est pas seulement l’instituteur prussien qui a vaincu à Sadowa, selon une formule classique prêtée à Jules Simon ; c’est aussi l’université humboldtienne de Berlin et ses sœurs savantes. À l’échelon du rectorat toulousain, là où est née une des plus vieilles universités dans le sillage de la croisade des Albigeois (1229), dans une ville qui s’honore – aujourd’hui encore – d’abriter la plus vieille société savante d’Europe (l’Académie des Jeux-Floraux, ancienne Compagnie du Gai Saber fondée en1323), la tâche dévolue au recteur Perroud sera immense. Il ne se dérobera pas, lui qui, dès son arrivée, préside publiquement à une réunion solennelle de rentrée des facultés (15 décembre 1881) et dessine un ambitieux programme : « La Nation a voulu la science […]. Elle a demandé à l’Université de s’associer à elle pour la restauration de la patrie23 ». S’appuyant sur les doyens Duméril (Lettres), Bonfils (Droit), Baillaud (Sciences), le jeune Caubet (futur directeur de l’école de médecine), Fraissinhes (inspecteur d’académie à Toulouse et ancien camarade de l’ENS), Perroud s’efforce de rapprocher les différentes facultés : un conseil général des facultés se réunit une première fois le 4 févrie r1886… avant que n’apparaisse le très officiel conseil de l’université de Toulouse dans le cadre des « universités régionales » (1896). Entre temps, il fait construire et aménager (nouvelles facultés de Lettres, de Sciences et de Médecine, Observatoire). Parmi les nombreuses évolutions de l’université toulousaine, on peut donner la création de nouvelles chaires qui, outre les chaires d’intérêt général semblables à leurs consœurs de l’hexagone, « correspondent aux caractères de la région »24 : elles sont tournées d’une part vers les études « romanes » (i.e. occitanes) et hispaniques – Thomas, titulaire de la chaire romane, lançant de surcroît les Annales du Midi, toujours bien vivantes, et la Bibliothèque méridionale (actuel Centre de ressources occitanes et méridionales, CROM) –, d’autre part vers des enseignements scientifiques appliqués aux réalités locales (cours de chimie agricole, d’électricité industrielle, création d’Instituts techniques à l’initiative du professeur Paul Sabatier, recruté dès 1882, et devenu doyen). Paul Lapie poursuivra dans le même esprit : en collaboration avec son collègue bordelais, il ouvre des cours à Madrid, prémices de l’Institut français « inauguré sous le patronage des deux académies » et en présence de son ami et mentor, le ministre Th. Steeg25 ; lors de l’attribution du prix Nobel de chimie à Sabatier (1912), il peut faire son éloge public et rappeler devant le président de la République le caractère pratique des recherches de l’université :

  • 26 Discours de Paul Lapie in Paul Sabatier. Prix Nobel 1912, Toulouse, E. Privat éd., p. 13.

D’Alsace-Lorraine, d’Allemagne, d’Angleterre, des industriels viennent demander des conseils à Toulouse. Oui, Toulouse, qui embaume le monde du parfum de ses violettes, l’embaumera peut-être un jour de parfums plus variés, plus pénétrants, plus tenaces : les parfums catalytiques26.

  • 27 Rappelons que Buisson, sous couvert d’« éducation libérale », terme officiel, a alors enco (...)

17Ce qui unit par ailleurs les trois ordres, primaire, secondaire et supérieur, par delà la visée patriotique de la période, c’est qu’ils sont ordres… d’enseignement. À ce titre, ils font appel à la pédagogie, discipline qui, à bien des égards, devrait être considérée comme première, hier comme aujourd’hui. L’inspecteur général Félix Pécaut, qui fit ses classes de pasteur à la faculté de théologie de Montauban, n’avait pas manqué de saluer en Guizot et Ferry « deux ministres pédagogues ». De même, les trois recteurs toulousains. Si Jeanmaire a surtout consacré son talent outre-Méditerranée en défendant un enseignement de l’arabe et du berbère dans les classes d’indigènes, Perroud a pris l’initiative nationale de lancer (15 mars 1892) un Bulletin de l’Enseignement secondaire de l’Académie, en parallèle à L’Université (enseignement supérieur) et aux divers bulletins départementaux de l’enseignement primaire, ouvert aux nouveautés induites par la circulaire du 7 juillet 1890 « relative à l’emploi du temps, à l’éducation physique et à l’hygiène dans les lycées et collèges » : éducation du corps, de la volonté, de l’intelligence (un ensemble proche de « l’éducation intégrale » chère aux positivistes et aux libertaires27), rapports familles-lycée, réflexions sur le baccalauréat, etc. Perroud n’avait-il pas au demeurant déclaré : « Aimant les écoliers, je veux être aimé d’eux » (Discours à la distribution des prix du lycée d’Auch, 2 août 1887) ? Lapie, qui s’était penché de très près sur « la réforme de l’éducation universitaire » (Revue de Métaphysique et de morale, septembre-octobre 1901) et avait même donné une synthèse de ses réflexions sociologiques sous le titre « l’École et la Société » (L’Année psychologique, 1911), reprend l’initiative de Perroud et lance le Bulletin de l’Université et de l’Académie de Toulouse, synthèse des deux précédents bulletins qui entend s’adresser (c’est une nouveauté !) aux « trois ordres d’enseignement » (souligné par Lapie lui-même). Dans le numéro du 15 mars 1912, il présente son texte, le plus transversal sans doute : « Méthode directe, méthode active », « Thème d’allocations prononcées en 1911-1912 dans divers collèges et lycées de l’Académie » qui, avec d’autres conférences (« L’enseignement des sciences physiques » ou « La composition française »), viendront constituer son ouvrage ultérieur Pédagogie française (1920).

Le souci de l’enracinement local

18Voici enfin l’un des derniers points de convergence de la période. Parce qu’il est souvent oublié ou limité au strict domaine économique (la défense de l’agriculture, de l’industrie, du commerce), il importe d’en rappeler les grandes lignes culturelles et sociales. Certes, l’école de la République, pas plus que celle de Guizot, ne s’est préoccupée de défendre ou de seulement maintenir les « langues provinciales » : l’article 14 du règlement-modèle des écoles primaires du 7 juin 1880 fait du français la seule langue « en usage dans l’école » (la classe mais aussi la cour !) et interdit de facto toutes les autres (les « patois »). Pour autant, le jeune Lapie visait dans ses Civilisations tunisiennes (1898) le « triomphe définitif de la langue française acquise comme une langue maternelle » par la « méthode orale » (i. e. directe) – concédant :

  • 28 Lapie (Paul), Les civilisations tunisiennes, Paris, F. Alcan, 1898, p. 33-34.

Ce triomphe doit-il être la mort des autres idiomes ? Rien ne serait plus regrettable […]. Un jour viendra où l’on voudra faire revivre l’arabe ou l’hébreu comme le provençal : conservons-les donc pour nous épargner le miracle de sa résurrection. Laissons aux Tunisiens le soin d’entretenir le culte de leur langue ; elle doit subsister, au même titre que le latin ou le grec, pour conserver son antique littérature (sic !). Mais si plusieurs langues littéraires peuvent subsister, l’unique langue sociale doit être et sera le français28.

  • 29 Discours de Charles Moureu (Académie des Sciences) in Paul Sabatier. Prix Nobel 1912, Toul (...)
  • 30 Burney (John M.), Toulouse et son université, Toulouse-Paris, PUM-CNRS, 1988, p. 276.

19On ne saurait mieux dire (Jeanmaire, recteur à Alger, aura néanmoins soin de doter les maîtres européens de rudiments du berbère et de l’arabe). Le ministre félibre Maurice Faure étant passé par là et ayant encouragé, après Ernest Lavisse, les études d’histoire locale (circulaire du 25 février 1911), c’est en présence du recteur Lapie que Sabatier, prix Nobel de Chimie 1912, se voit qualifier de « Frédéric Mistral de la Gascogne », « dans l’ordre de la Science » (Mistral obtint le Nobel littéraire en 1904… avec le soutien de philologues allemands !) : « Votre popularité y est telle qu’en votre personne l’Académie des Jeux-Floraux s’empressa d’ouvrir sa maison, jalousement littéraire, à un candidat uniquement célèbre par ses inventions scientifiques29 ». Le nom est lâché : l’Académie, qui entend enraciner son histoire jusqu’en 1323 avec la sobregaya Companhia dels VII trobadors de Tolosa (encore dénommée Compagnie de la Gaie Science), sert alors de « compensation » (avec la politique…) aux universitaires toulousains en mal de reconnaissance intellectuelle via leurs seuls cours destiné au grand-public30.

  • 31 Sur la figure complexe de Perbosc, instituteur et fondateur de l’occitanisme, je me permet (...)
  • 32 Perbosc (Antonin), Lettre du 1er avril 1908 à Prosper Estieu, Bibliothèque du Collège d’Oc (...)
  • 33 Perroud (Claude), « En Gascogne. L’abandon de la terre », La Revue des Pyrénées, Toulouse, (...)
  • 34 Terral (Hervé), « Gabriel Tarde : le patois dans la grotte », Lengas. Revue de sociolingui (...)

20C’est au demeurant à l’un des nouveaux membres de cette Académie, l’instituteur occitaniste Antonin Perbosc (1861-1944)31, que Perroud adresse en avril 1908 un ouvrage qu’il vient de publier chez Privat : Charles Jarrin, Poèmes de Bresse et de Bugey (il avait, jeune professeur à Bourg, déjà écrit sur l’histoire du pays en 1873-74). Perbosc y voit une « pensée sœur de la nôtre »32. Et pour cause ! Perbosc a donné au Journal de l’Aveyron (1902) un plaidoyer contre « la désertion des campagnes ». Perroud, libéré de ses fonctions par la retraite, rend dans La Revue des Pyrénées (1911)33 un hommage appuyé à un article de La Revue des Deux-Mondes (1er août 1910), « L’abandon de la terre », du Dr Emmanuel Labat (1853-1925). Ce dernier, gersois d’origine, a quitté une brillante carrière parisienne pour retourner en Gascogne ; il est en 1913 salué pour un autre article par l’inspecteur général Darlu, un Bordelais, dans la Revue pédagogique, organe officiel des « Primaires » ; son ouvrage de synthèse, L’Âme paysanne, recevra en 1919 le même accueil favorable. C’est devoir dire que, si cette thématique a été fortement reprise par les tenants de la Révolution nationale en 1940 (le célèbre « retour à la terre »), elle ne leur appartient pas en propre, tant elle irrigue en profondeur la pensée des responsables administratifs de la Troisième République. À la demande explicite de Ferdinand Buisson, le sociologue Gabriel Tarde (1843-1904), issu d’une vieille famille périgourdine, avait déjà entrepris une défense de l’école laïque, « l’école sans Dieu », contre sa supposée responsabilité dans la « criminalité » de la jeunesse (Revue pédagogique, 15 mars 1897), avant de donner « l’instituteur et la désertion des campagnes » (Manuel général de l’Instruction primaire, 17 juin 1899, dirigé par… Buisson) et de plaider pour la défense des « patois »34 – position qui sera aussi celle de Jaurès en 1911 (article du 15 août 1911 de La Dépêche de Toulouse, entre autres).

Conclusion

  • 35 Perroud (Claude), Discours à la distribution des prix aux élèves des écoles communales de (...)

21À l’occasion d’un modeste discours de distribution des prix prononcé aux deux tiers de sa déjà longue carrière de recteur (1899) et lors même qu’il a décliné la direction de l’Enseignement secondaire (1889), Claude-Marie Perroud fit remarquer avec modestie ou détachement : « Les années succèderont aux années, les générations passeront les unes après les autres, nos noms auront disparu dans le torrent de l’oubli, mais l’œuvre durera35 ». À l’évidence, ce colloque montre que, si l’œuvre patiente des recteurs fut manifeste – particulièrement dans la difficile période de construction de l’école républicaine – et perdure, toujours présente à ce titre, leurs noms eux-mêmes demeurent encore vivants dans nos mémoires. Œuvrant dans une des plus vastes académies de France, à l’identité régionale fortement marquée par l’histoire, rurale et tournée vers son développement industriel tout à la fois, les recteurs Perroud, Jeanmaire ou Lapie s’imposèrent, chacun à sa façon, comme des personnalités singulières et fortes, réunies par un projet démocratique d’envergure, républicain d’esprit, qui à l’évidence les portait, voire les transcendait.

Notes

1 Il évoque à son propos « une bonté de saint laïque » (p. 327 de la biographie, infra). Buisson recevra le même qualificatif de son vivant (L’Enseignement public/revue pédagogique, mars 1930, p. 277).

2 Rascol (Louis), Claude-Marie Perroud (1839-1919). La vie et l’œuvre d’un universitaire du XIXe siècle, Paris, Librairie Henri Didier, 1941, p. 147.

3 Il est alors âgé de 42 ans. Cette nomination se situe au mitan de ce que sera sa carrière, selon son fils, biographe et futur ministre de l’Éducation nationale. Cf. Lapie (Paul-Olivier), Paul Lapie. Une vie - une œuvre, Paris, Ed. Sudel, 1937, p. 112.

4 Carré (Irénée), « Restons primaires », Annuaire de l’enseignement primaire, A. Colin, 1892 – repris in Terral (Hervé), L’école de la République. Une anthologie (1878-1940), Paris, CNDP, 1999, p. 61-63.

5 Lapie (P.-O.), op. cit., p. 123.

6 Jeanmaire décède en 1912, neuf mois après sa retraite, à 70 ans ; Lapie, au retour d’un voyage aux États-Unis, dans ses fonctions à 57 ans ; seul Perroud parviendra à 80 ans, poursuivant pendant dix ans ses travaux d’historien.

7 Publié dans L’Union républicaine, le 4 août 1880.

8 Langlois (Charles-Victor), « La question de l’enseignement secondaire en France et à l’étranger », La Revue de Paris, 1-1-1900, p. 113-152. Cité p. 120.

9 Cf. Terral (Hervé), Hussards noirs en Midi toulousain, Toulouse, Association des amis des archives départementales, 2004. Certains départements, tels l’Ariège, semblent avoir une tradition de résistance à la conscription : s’affirmer « illettré » peut être alors utile…

10 Chiffres publiés dans Demnard (Dimitri), Dictionnaire d’histoire de l’enseignement, Paris, J.-P. Delarge éd, 1981, p. 831-833.

11 Soulet (A.-J.), La crise de l’œuvre post-scolaire française, Paris, Librairie Félix Juven, s.d., p. 63-65. Préface de Gabriel Compayré.

12 Article « Haute-Garonne », Buisson (Ferdinand) dir., Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Paris, Hachette, 1887, 1ère partie, vol. 1, p. 1143.

13 Istria, « Claude Perroud », Revue pédagogique, mars 1920, p. 264.

14 Combelles (Justin), La “Sup” d’Albi. De ses origines à l’ensemble éducatif Louis Rascol, Albi, Archives et patrimoine, 2002. Cf. en particulier p. 34 et sq.

15 Cité dans Rascol, op. cit., p. 173.

16 Cité dans Rascol, op. cit., p. 202.

17 Cf. « Esquisse d’une réforme de notre enseignement national », Revue pédagogique, 1922, n° 2, p. 79-99. Repris in Terral (Hervé), Paul Lapie. École et société, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 229-249.

18 Cité dans RASCOl, op. cit., p .167-168. Perroud est alors maître de conférences à la faculté de Douai.

19 Ce texte figurait dans un projet de plaquette pour le centenaire de l’École normale de filles de Cahors (1984). Je n’en ai pas trouvé trace aux archives départementales.

20 ADHG, 2971W17. Pour l’évolution du lycée dans la période, on se reportera à l’ouvrage collectif, Le lycée Pierre-de-Fermat 1806-2006, publié en auto-édition par l’Association des anciens élèves et au numéro hors série (mars 2007) de sa revue Altier – actes du colloque du 11 mars 2006 : « L’histoire des lycées depuis 200 ans ». Je remercie particulièrement les historiens J. Leduc et O. Loubes pour m’avoir fait découvrir certains documents.

21 Ce dont témoigne, par exemple, le maintien des aumôneries dans les lycées publics.

22 Le 25 novembre 1880, Le Gaulois, journal national conservateur, avait écrit : « La jeune fille française, élevée sous la protection vigilante de la famille, avait été avec soin préservée de l’éducation garçonnière et des brutalités de la science. Elle grandissait dans une poétique ignorance des mystères des choses […]. On leur apprendra tout, même l’impureté. Elles n’auront même pas été vierges avant de devenir femmes. »

23 Cité in Rascol, op. cit., p. 148.

24 Cité in Rascol, op. cit., p. 243. Discours de 1891.

25 Cité in Lapie (P.-O.), op. cit., p. 124.

26 Discours de Paul Lapie in Paul Sabatier. Prix Nobel 1912, Toulouse, E. Privat éd., p. 13.

27 Rappelons que Buisson, sous couvert d’« éducation libérale », terme officiel, a alors encouragé l’expérience de Paul Robin à l’orphelinat de Cempuis.

28 Lapie (Paul), Les civilisations tunisiennes, Paris, F. Alcan, 1898, p. 33-34.

29 Discours de Charles Moureu (Académie des Sciences) in Paul Sabatier. Prix Nobel 1912, Toulouse, E. Privat éd, p. 24.

30 Burney (John M.), Toulouse et son université, Toulouse-Paris, PUM-CNRS, 1988, p. 276.

31 Sur la figure complexe de Perbosc, instituteur et fondateur de l’occitanisme, je me permets de renvoyer à mon anthologie : Terral (Hervé), Antonin Perbosc. Les langues de France à l’école, Canet-en-Roussillon, Trabucaire, 2006.

32 Perbosc (Antonin), Lettre du 1er avril 1908 à Prosper Estieu, Bibliothèque du Collège d’Occitanie, Toulouse, Fonds « correspondance Perbosc-Estieu ».

33 Perroud (Claude), « En Gascogne. L’abandon de la terre », La Revue des Pyrénées, Toulouse, Privat, t. XXIII, 2ème trimestre 1911, p. 177-185.

34 Terral (Hervé), « Gabriel Tarde : le patois dans la grotte », Lengas. Revue de sociolinguistique, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2007, n° 62, p. 175- 199. J’ai dans ce même numéro publié les textes de Perbosc sur la question des patois parus en 1886-87 dans La Tribune des Instituteurs et Institutrices.

35 Perroud (Claude), Discours à la distribution des prix aux élèves des écoles communales de Toulouse, 6 août 1899, Toulouse, Imprimerie Cléder, 1899, p. 5.

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