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Les Recteurs et le rectorat de l’académie de Toulouse (1808-2008)

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Didier Foucault

Deuxième partie. Le rectorat du Premier Empire au début de la Troisième République : Une institution fragile qui s’impose durablement

L’administration des recteurs de l’académie de Toulouse durant la première moitié du xixe siècle : une gestion technique de plus en plus politique

Renaud Carrier

Texte intégral

  • 1 Les travaux de Germain Sicard et ceux d’Olivier Devaux, de l’Université Toulouse I, font e (...)
  • 2 Quenet (M.), « L’installation des recteurs napoléoniens : des hommes nouveaux et des bâtim (...)

1Si l’on excepte l’histoire des facultés de droit, peu d’historiens du droit ont investi l’histoire de l’éducation et du système éducatif1 et encore plus rares sont les études axées sur l’institution du recteur d’académie. À notre connaissance, la principale étude réalisée par un historien du droit sur les recteurs est précisément celle du recteur de Paris, Maurice Quenet, lequel a publié dans les Mélanges Durand une longue et belle analyse consacrée à l’installation des recteurs napoléoniens2. Cette constatation est un peu surprenante, lorsqu’on sait que l’un des champs, dans lequel les spécialistes de l’histoire de l’administration s’aventurent volontiers, est précisément l’analyse du fonctionnement d’un système de gouvernance. Leur domaine de prédilection est la confrontation des règles édictées par le pouvoir central avec la pratique.

2Les recherches effectuées dans le cadre de ma thèse de doctorat sur l’administration des préfets du département de l’Aveyron m’ont amené à constater l’omniprésence du préfet sur le terrain de l’éducation, les rapports avec le recteur étaient bons mais, le plus souvent, réduits à une dimension épistolaire. La problématique du colloque étant axée sur les recteurs, le prisme de l’analyse étant reversé, il m’a paru naturel d’examiner la façon dont ces nouveaux notables ont investi un domaine, qui, jusqu’à l’avènement de l’université napoléonienne, était du ressort d’une autre administration. Le dépouillement des nombreux documents d’archive permet de constater l’intense activité des premiers recteurs de l’académie de Toulouse.

3Le champ chronologique que nous avons, dans un premier temps proposé, s’étendait de la mise en place de l’université, c’est-à-dire de la nomination du premier recteur jusqu’à l’administration du recteur Nouzeilles, en poste à Toulouse de 1841 à 1850. Toutefois, nous avons décidé de porter un éclairage particulier sur l’administration du deuxième recteur : Louis Deferrand-Puginier, qui est à la tête de l’académie de novembre 1815 à septembre 1825. Recteur dont la longévité fut la plus grande, le contexte dans lequel il évolue nous a semblé particulièrement intéressant à présenter. Ce choix s’explique aussi par le fait que le professeur Jack Thomas propose une étude sur le premier recteur de l’académie de Toulouse, en outre, les contingences de la publication ne nous permettent pas de présenter de façon exhaustive l’administration de l’ensemble des recteurs de la première moitié du XIXe siècle.

  • 3 Condette (Jean-François), Les recteurs d’académie en France de 1808 à 1940, Lyon, Institut (...)

4Notre démarche se décomposera en trois parties. La première est une galerie des premiers recteurs de l’académie de Toulouse, où seront présentés quelques données prosopographiques empruntées dans la « bible » de tout chercheur qui aborde l’histoire des recteurs : la thèse de Jean-François Condette3. Ce premier temps de l’étude comportera quelques témoignages et anecdotes sur la façon dont les différents recteurs ont pu gérer leur académie et en particulier divers développements sur l’administration du premier recteur. Nous aborderons ensuite le quotidien de l’administration de Louis Deferrand-Puginier, pour, enfin, revenir sur les multiples affaires sensibles mettant en cause l’ordre public ainsi que celles ayant trait aux questions religieuses.

Les recteurs de l’académie de Toulouse de 1815 à 1850

5L’organisation de l’université impériale s’inscrit dans le prolongement de la réorganisation générale des institutions, opérée depuis l’arrivée de Bonaparte au pouvoir. Jean-François Condette souligne avec justesse que la naissance de l’université a été difficile. En effet, le Conseil d’État a contraint Fourcroy, alors ministre de l’Instruction publique, à modifier à neuf reprises son projet. Il est vrai que l’enjeu était considérable, puisqu’il s’agissait d’élaborer un système administratif permettant de contrôler un domaine qui avait été largement délaissé par l’État et que le privé avait récupéré. Les premiers recteurs ne sont pas toujours bien installés et la situation à Toulouse ne semble pas être plus satisfaisante que dans bien d’autres chefs-lieux d’académie, puisque plus de vingt ans après la création de l’institution, des locaux spécifiques n’ont toujours pas été affectés de façon à satisfaire le recteur de l’académie.

Des recteurs bien mal lotis mais exemplaires

  • 4 Toulouse, Bibliothèque interuniversitaire (BIUT) de l’Arsenal, ms 146, lettres du 17 octob (...)

6Le préfet de la Haute-Garonne comme les autres préfets de département voient plutôt favorablement l’institution d’un interlocuteur chargé exclusivement du domaine de l’enseignement. Pour autant, il ne facilite pas l’installation du premier recteur, et les préfets qui lui succèderont ne feront guère d’effort pour améliorer le sort du patron de l’académie. Ce constat est très mal vécu par les recteurs, comme on peut le constater dans un courrier adressé en 1822 au président du Conseil royal par Defferrand-Puginier. Celui-ci souligne qu’il est surprenant, qu’une académie aussi considérable que celle de Toulouse « soit privée d’un chef lieu et que le recteur soit obligé de louer des appartements pour ses bureaux, pour le conseil académique et pour lui-même ». Il regrette en outre que le logement qu’il occupe soit séparé des bureaux. Par ailleurs, il regrette aussi que les archives de l’académie soient mal placées, « dans un local qui n’est point stable d’où elle sont exposées à tous les inconvénients d’un déménagement que mille circonstances peuvent occasionner. Il n’est point d’ailleurs de la dignité du chef d’une grande administration telle que celle de l’académie de Toulouse, de n’avoir ni feu, ni lieu et d’être exposé à tous les cas fortuits qu’entraînent la location d’une maison »4. Ce courrier fait suite au projet de construction de logements pour les professeurs de la faculté de droit, que le recteur n’estime en aucun cas prioritaire :

Il me paraît beaucoup plus juste de s’occuper de la construction d’un chef lieu d’académie avant de faire des logements à MM. les professeurs de la faculté de droit dont le traitement est assez considérable à Toulouse pour qu’ils puissent fournir à cette dépense.

7Le décor est planté. Le recteur Defferrand-Puginier, auteur de ces derniers propos, n’est pas un homme à se laisser impressionner, pas même par ces notables puissants de la faculté de droit, qui n’hésitent pas à demander ce que le recteur n’est pas parvenu à obtenir depuis sept années qu’il est en fonction, pas plus que son prédécesseur et bon nombre de ses successeurs d’ailleurs. Mais quels sont ces hommes qui se sont succédés à la tête d’une académie composée de quatre départements : Haute-Garonne, Ariège, Tarn-et-Garonne et Tarn ?

8En fait, huit recteurs ont dirigé l’académie durant la première moitié du XIXe siècle. Le premier est Alexandre Jamme. Nous ne reviendrons pas sur l’homme lui-même, présenté dans l’étude proposée par Jack Thomas. Nous nous bornerons à souligner que ce recteur présente d’emblée les qualités qui font qu’une institution nouvelle prend tout son sens grâce à celui ou ceux qui l’incarnent. Ainsi, peu après son entrée en fonction, Alexandre Jamme n’hésite pas à intervenir directement auprès du ministre pour obtenir le report d’incorporation de certains enseignants qui viennent de comparaître devant le conseil de recrutement : « Votre Excellence jugera combien il importe au bien du service qu’ils ne soient pas enlevés à leur fonction ». Il se manifeste auprès du ministre de l’Instruction publique afin d’expliquer la situation assez particulière d’un professeur « en butte au caprice et à la haine d’un membre du bureau d’administration » de l’établissement où il enseigne. Ce professeur a demandé une mutation vers Toulouse mais Jamme refuse en soulignant ironiquement qu’il n’y a « aucune place de principal, ni de professeur à lui accorder dans son académie ». S’il venait à Toulouse, il « serait assuré d’y mourir de faim », d’autant qu’il est « sujet à des incommodités très graves, il est asthmatique, il ne peut uriner que par le secours de la sonde, il a une femme aussi incommodée que lui […], tout ce qui pourrait lui arriver de plus heureux serait que Votre Excellence lui diminue son travail tout en portant son traitement à 1400 F., œuvre aussi méritoire que juste ». Réponse faite à la fois de fermeté et d’une douce ironie, que l’on assimilera à une aptitude à prendre du recul et d’une profonde humanité ; autrement dit, quelques-unes des qualités utiles pour être un chef d’administration. Qualités indispensables car la gestion des établissements de l’académie n’est pas toujours facile, notamment sur le plan financier. La tutelle exercée par le recteur se manifeste de différentes manières : dans le cadre du processus de régularisation des comptes d’un établissement situé à Saint-Gaudens, les autorités administratives ont des problèmes pour faire rembourser un enseignant l’excédent de traitement qu’il a reçu. Le recteur justifie au ministre les difficultés rencontrées dans cette affaire par le fait que le traitement de ce professeur « ne peut qu’à peine fournir à son entretien ».

9Toujours à Saint-Gaudens, où les problèmes sont nombreux, le recteur doit arbitrer un conflit qui oppose le principal du collège avec l’un des professeurs, l’abbé Lodes. Cette affaire qui se prolonge plusieurs mois est l’objet de plusieurs rebondissements puisque le recteur, conseillé par l’inspecteur donne son soutien au professeur. Il pense « que le principal s’acharne contre ce dernier », accusé « d’employer toutes sortes de moyens pour discréditer et anéantir les études ». Seulement, peu après la titularisation du professeur, celui-ci quitte l’institution pour ouvrir une école clandestine qui concurrence le collège ! Le recteur Jamme lance alors une procédure devant le tribunal et fait fermer cette école, amende à l’appui. Alors qu’il pense que tout est réglé, il est sollicité par le ministre de l’Instruction publique, qui le somme d’autoriser cet individu – dont les amis ont une influence dépassant assurément les frontières du Comminges – à ouvrir officiellement un établissement. Le différend se poursuit devant les tribunaux et, au mois d’août, l’abbé Lodes « est relaxé par le même tribunal qui l’avait déjà condamné ». Le recteur fait appel, et demande au ministre que Lodes soit interdit d’enseignement.

10Cette affaire dont les suites sont sans fin, est révélatrice des problèmes que rencontrent les recteurs, chef d’une administration à la confluence de nombreux intérêts et dont les enjeux dépassent souvent le strict objet de l’instruction publique. Nous reviendrons largement sur la façon dont le successeur de Jamme parviendra à gérer les conflits mais, auparavant, nous allons nous arrêter sur l’engagement du recteur Jamme dans le processus de modernisation de l’enseignement du droit à Toulouse.

Un recteur qui réforme l’enseignement du droit

11Parmi les interventions du premier recteur, l’une apparaît d’une étonnante modernité. Elle concerne l’enseignement du droit romain dispensé à la faculté de droit de Toulouse. En effet, l’article 42 de l’instruction ministérielle du 19 mars 1807 dispose que « le professeur de droit romain prendra pour texte de ses leçons, les Institutes de Justinien mais il en retranchera tout ce qui n’est plus applicable à notre législation, et remplacera ces matières en les rapprochant des plus belles lois répandues dans les autres livres de droit romain ». Malgré cette directive, le recteur constate « qu’on ne pourrait voir qu’avec douleur que la tête des élèves fût surchargée d’une foule de questions entièrement étrangères à notre législation et d’une doctrine dont il fallait oublier les deux tiers après l’avoir apprise avec peine ». Après de longs développements assez critiques sur le peu d’adaptation de l’enseignement du droit à la réalité, il écrit :

  • 5 BIUT Arsenal, ms 153, n° 51. Lettre au Grand Maître de l’Université.

Devons nous nous prosterner aveuglément devant tous les oracles qui ont commandé pendant si longtemps à nos contrées ? Toutes les parties de cette législation sont-elles également dignes de notre vénération ? Non, après avoir fourni les matériaux les plus précieux au Code Napoléon qui nous régit, la loi romaine n’a conservé son empire que dans ses rapports avec nos usages nos mœurs et le droit français5.

12Le recteur poursuit en s’interrogeant sur l’intérêt d’approfondir les lois sur les esclaves, les affranchis, et sur les formes de testament usités avant Justinien. Expliquant l’inutilité de l’étude de l’exhérédation, il affirme :

L’expérience m’a appris que dans l’acte de la première année les étudiants en droit sont très fermés sur le droit romain et chancelant sur le droit français et que dans le premier acte de la troisième année qui ne roule que sur les Institutes, ils sont chancelant sur le droit romain et très forts sur le droit français. La raison de cette étrange différence me paraît bien simple : ils suivent en même temps deux législations différentes mais ne sont pas toujours préparés à faire la concordance des deux.

13Et le recteur propose en conclusion « de simplifier les choses », en retranchant de l’étude du Code de Justinien les parties inutiles. Il annonce au ministre qu’il prépare un projet pour rationaliser l’enseignement du droit romain et, quelques semaines plus tard, il adresse son travail au Grand Maître de l’Université ainsi qu’aux inspecteurs généraux.

Un recteur qui s’engage

14Au printemps 1814, Jammes tente de limiter les effets dévastateurs de la crise en demandant au ministre l’autorisation d’exonérer en partie certains étudiants de leurs droits d’inscription trimestrielle, compte tenu de la détresse dans laquelle ils se trouvent.

15Le 16 avril 1814, le recteur adresse une lettre au nouveau gouvernement pour l’informer de la situation :

L’académie de Toulouse s’est empressée d’adhérer à tous les actes du Sénat et du gouvernement provisoire et de jurer obéissance et fidélité à sa majesté Louis XVIII. Nous avons la confiance d’avoir rempli à cet égard, les vues de Votre Excellence. J’ai l’honneur de lui envoyer cet acte conforme à celui que j’adresse directement à monsieur le Président du gouvernement provisoire.

16Par ailleurs le recteur demande des précisions sur les changements à faire dans la mesure où le mot « impérial » ne peut plus être employé, en soulignant que celui de « royal » lui semble désormais plus convenable.

17Une lettre du 3 mai 1814 évoque les efforts réalisés depuis 1811 pour relancer l’enseignement primaire. L’enquête qui a été initiée n’est pas encore terminée, en effet, sur les 1540 communes du ressort de l’académie, le recteur explique « qu’il est délicat d’avoir un avis certain sur les établissement primaires ». Des commissions ont été organisées dans chaque arrondissement pour examiner et évaluer les instituteurs sur leurs enseignements. Au printemps 1814, le travail est encore loin d’être finalisé dans tous les départements de l’académie.

18L’une des rares affaires consécutives au changement de régime, et délicates à gérer pour le recteur, résulte du passage du duc d’Angoulême à Toulouse. En fait, un certain Lasalle, directeur d’un établissement, prétend que son institution est devenue un collège parce que le duc d’Angoulême lui a permis de prendre son nom. Le recteur exprime sur ce point son total désaccord au ministre et rétablit la vérité :

Le duc en personne m’a informé qu’une école lui avait demandé l’autorisation de prendre son nom ; qu’il ferait ce que je jugerais convenable […]. Le départ précipité de Son Altesse royale l’empêcha sans doute de m’envoyer officiellement la pétition [la demande].

  • 6 Ibidem, lettre du 1er août 1814.

19Quelques jours après, le directeur de l’école adresse un courrier au recteur pour que son établissement prenne le nom de « Collège du Duc d’Angoulême ». La réponse est ferme, si l’appellation de l’école ne pose aucun problème, le fait de le qualifier « collège » est impossible. Le recteur est soucieux de préserver les intérêts du lycée et justifie sa position dans une lettre au ministre6. Quelques jours plus tard, l’affaire s’envenime du fait de la persévérance du directeur. Le recteur ne supporte plus cette situation :

Il n’est pas possible de pousser plus loin l’obstination et l’insubordination. Il fait semblant de croire que la décision de Votre Excellence du 29 juillet n’a été prise que sur mon avis et non pas sur le titre qu’il invoque, tandis que je ne lui ai marqué expressément que le titre qui vous avait été transmis. Vous ne sauriez croire, Monseigneur, le mal que cette obstination cause au lycée […]. J’y ai ramené certains élèves mais avec peine […], l’insurrection est manifeste […], l’impunité ne fait que l’enhardir […].

  • 7 Avec l’entrée de Louis XVIII à Paris, une ordonnance du 22 juin 1814 avait maintenu tempor (...)

20Les exhortations du recteur sont vaines et il renouvelle ses plaintes auprès du ministre à plusieurs reprises durant le mois de septembre, en soulignant que « la tolérance aurait les suites les plus funestes ». Rien ne semble faire plier le directeur de cette école, à tel point que le 8 octobre 1814, le recteur évoque encore « l’impunité de Monsieur Lasalle et ses effets désastreux ». Le manque de soutien dont est victime le recteur révèle la difficulté de sa fonction, dans un contexte pas très favorable pour l’institution7. Celui-ci tente de servir loyalement et légalement la cause de l’université mais son isolement nous laisse imaginer la difficulté de la tâche, puisque le préfet ne répond pas à ses demandes et que le ministre ne semble pas vouloir prendre position.

21La forte implication de Jamme et son sens de l’adaptation nous permettent de mesurer le degré d’engagement du premier recteur de l’académie de Toulouse. Ses successeurs s’inscriront dans ce sillage.

Galerie de recteurs

  • 8 Dans un courrier daté du 2 février 1820, on peut lire : « J’ai reçu la lettre de la commis (...)

22Louis Defferrand-Puginier est nommé en novembre 1815, alors qu’il exerçait depuis décembre 1809 les fonctions d’inspecteur d’académie. Cet audois originaire de Castelnaudary est âgé de quarante sept ans lorsqu’il prend ses nouvelles fonctions, qu’il occupe jusqu’à son décès en septembre 1825. Docteur ès lettres, professeur d’histoire et doyen de la faculté des lettres8, ses dix années à la tête de l’académie seront marquées par quelques affaires intéressantes et même retentissantes. Son entrée en fonction survient peu après la grande ordonnance du 17 février 1815. Ce texte d’inspiration fortement décentralisatrice aurait pu fortement transformer le visage de l’instruction publique et les fonctions de recteur, mais il n’a pas eu le temps d’être appliqué : les Cent Jours venant interrompre sa mise en œuvre, tandis que la seconde Restauration, préoccupée par des soucis plus immédiats, ne reprend pas le projet. La non application du texte maintient l’organisation académique napoléonienne sans changement profond et ce, jusqu’en 1850. Cette continuité dans l’organisation se retrouve dans la gestion du recteur même si, durant toute la période où Defferrand-Puginier dirige l’académie, l’université est sous la domination de l’Église. Le recteur Louis de Ferrand, puisque c’est ainsi qu’il faudrait écrire son nom, n’est ni un produit ni une victime de la Révolution. Issu d’une famille de la noblesse audoise – la famille de sa mère a donné plusieurs capitouls à la ville de Toulouse –, il a dû émigrer et ses biens ont été saisis. À la suite de la suppression de son nom sur la liste des émigrés, il fut indemnisé. Il ne peut être en aucun cas taxé d’anticlérical et ses relations avec les hommes d’Église sont généralement excellentes, mais nous aurons l’occasion de constater que sa vision de l’université est assez remarquable, dans un contexte où l’archevêque et les préfets sont loin d’être ses alliés objectifs.

  • 9 Jean-François Condette souligne que durant la Restauration, 19 recteurs sont abbés (27,5 % (...)

23Il n’est pas étonnant que son successeur soit un abbé9 : Armand Larrouy est nommé à Toulouse en octobre 1825. Fils d’un maître d’école, titulaire d’un baccalauréat ès lettre, d’une licence et d’un doctorat es science, il est professeur, puis directeur du petit séminaire de Saint-Raphaël entre 1781 et 1790. Professeur à l’école centrale de Bordeaux entre 1798 et 1803, puis au lycée de Bordeaux en l’an XI, il devient inspecteur de l’académie de Bordeaux en 1809. Nommé recteur de l’académie d’Aix-en-Provence en septembre 1824, il ne reste en poste qu’une année, puisque, dès octobre 1825, il devient recteur de l’académie de Toulouse, fonction qu’il occupe jusqu’au mois d’octobre 1830.

24Son successeur est François Malpel, recteur de septembre à décembre 1830. Ce natif de Villemur-sur-Tarn, docteur en droit en 1819, fut tout d’abord professeur de philosophie chez les doctrinaires au collège de Périgueux en 1788. Après un bref passage dans des collèges de Tarbes puis de Toulouse, il devient juge de paix du canton de Villemur, puis avocat au barreau de Toulouse entre 1806 et 1808. Il accède à une chaire de droit civil en 1819 à la faculté de droit de Toulouse, dont il devient le doyen lorsqu’il quitte ses fonctions de recteur, en décembre 1830.

25Jean-Baptiste Martineau (ou Martineaud), lui succède en décembre 1830, il dirige l’académie jusqu’en février 1832. Licencié en droit, agrégé des lettres et docteur ès lettres. Il commence sa carrière d’enseignant à Poitiers, où il est d’abord maître d’étude au lycée de Poitiers (1807-1808), professeur dans le même établissement jusqu’en 1815 puis secrétaire de l’académie et enfin agrégé pour les classes des lettres au collège royal. En 1826, il devient inspecteur d’académie à Limoges, chargé de l’administration de la même académie. Entre temps, il est nommé proviseur du collège royal de Limoges. Recteur à Douai en mars 1828, il revient à Limoges pour occuper les fonctions de recteur dès avril 1830. Un peu plus de deux années plus tard, il part à Toulouse où il décède à 43 ans, en février 1832, alors qu’il est encore recteur.

26Le sixième recteur est Jean Ozanneaux, recteur de l’académie de Toulouse jusqu’en 1837. Son parcours est celui d’un homme brillant et ambitieux. Élève de l’école normale supérieure, licencié puis docteur ès lettres, il obtient entre temps l’agrégation de philosophie en 1821. Maître d’étude au lycée Napoléon en 1814, suppléant du professeur de 3ème au collège Charlemagne en 1815, professeur de rhétorique et de philosophie au collège de Colmar, puis à nouveau au collège Charlemagne. Il est ensuite professeur de philosophie au collège Louis le Grand entre 1826 et 1830. Il devient recteur d’académie à Bourges en 1830, puis à Clermont de 1831 à 1833. Il est nommé à Toulouse en 1833. Il quitte la ville rose en 1837, lorsqu’il devient inspecteur général des études. Il termine sa carrière comme inspecteur général de l’instruction publique pour l’enseignement des lettres.

  • 10 Voir : Carrier (Renaud), « Alternance des régimes, permanence des préfets (1814-1870) », L (...)

27Peu de temps après son arrivée, le recteur Ozanneaux est confronté à une affaire un peu compliquée. En effet, l’école vétérinaire est le théâtre d’une manifestation républicaine très particulière. À l’ouverture de l’année scolaire, certains élèves ont décidé de laisser croître la moustache ! « Cette circonstance futile », précise un rapport, prend une dimension politique lorsque le préfet apprend qu’il s’agit d’un signe de ralliement, que les étudiants se sont organisés en décuries, qu’ils ont élu un chef et qu’à compter du 1er janvier, ils doivent tous porter des casquettes rouges avec un liseré de couleur différent selon les sections. L’école devenant un foyer de républicanisme, le recteur donne l’ordre à tous les élèves de couper leurs moustaches. Devant le refus des étudiants, et malgré l’intervention du maire puis du préfet venus seconder le recteur, ce dernier décide de fermer pour vingt jours l’établissement. Il faudra recourir à la force publique pour faire sortir les sept meneurs qui seront ensuite exclus de l’école10 !

28Le septième recteur Bernadin Thuillier, né à Paris en 1801, est issu des classes moyennes, son père est tailleurs. Il est licencié ès lettres puis agrégé en 1824. Maître d’étude au sein de plusieurs établissements parisiens entre 1820 et 1822. Il devient professeur suppléant de rhétorique au collège Stanislas en 1823, professeur d’histoire puis de philosophie dans le même collège jusqu’en 1829. Chargé de cours de philosophie au collège Saint-Louis en 1830, puis au collège royal Louis le Grand en 1833, il devient recteur de l’académie de Toulouse en 1837, où il décède en fonction en 1841.

29Le huitième et dernier recteur de la première moitié du XIXe est Nouzeilles. Fils de militaire, titulaire d’une licence ès lettres, maître d’étude au collège royal de Pau en 1817, puis professeur aux collèges d’Avignon (1819-1825) et de Lyon (1825-1829). Il devient proviseur du lycée de Lyon en septembre 1830, recteur de l’académie d’Orléans en 1833, puis de celle de Bordeaux en 1838, avant d’être nommé à Toulouse en novembre 1841. Il occupe ce poste jusqu’en 1850, où il est nommé dans le Bas-Rhin. Il est considéré en 1838 comme l’un des meilleurs recteurs que possède l’Université.

30On peut noter une anecdote sur l’administration du recteur Nouzeille. Elle concerne sa participation à un banquet en septembre 1848. Organisé sur le Grand Rond pour fêter l’anniversaire de la Première République, le président du département, le maire de Toulouse (Roquelaine), réunis en compagnie du préfet et de quelques autres personnalités portent des toasts à « l’enseignement primaire laïque gratuit et obligatoire » et surtout à une « République qui accepte les traditions de 1792 ». Cette manifestation a un retentissement qui dépasse largement le cadre local. En effet, la presse du parti de l’ordre dénonce la présence de fonctionnaires séditieux, qui manquent à leur devoir de réserve et qui affichent publiquement leurs opinions. Une enquête ordonnée quelques semaines plus tard débouche sur la mutation du préfet. Le recteur demeurera encore deux ans à la tête de l’académie.

Le quotidien d’un recteur sous la Restauration

31Un point commun semble caractériser la plupart des recteurs de la première moitié du XIXe siècle, c’est leur capacité et leur façon de s’engager pour défendre les intérêts de l’université. De tous ces hommes de devoir, Defferrand-Puginier nous a semblé celui qui a rencontré le plus d’obstacles pour diriger le ressort de son académie.

La gestion courante

  • 11 BIUT Arsenal, ms 149, lettre du 17 janvier 1818 : « Mr Cavaillé âgé de 72 ans était depuis (...)

32Inspecteur d’académie apprécié pour sa rigueur, sa dimension humaine et pour sa fermeté, Deferrand-Puginier continue tout au long des dix années durant lesquelles il dirige l’académie de Toulouse de faire preuve des mêmes qualités. C’est ainsi qu’on peut constater l’humanité dont il fait preuve à l’égard de la famille d’un maître de pension du collège de Castres qui, décédé, laisse des dettes de plus de 1300 francs11. La dimension sociale du recteur se manifeste par exemple dans une intervention auprès du préfet et du ministre pour faire en sorte que quatre ouvriers qui avaient effectué les travaux de réparation du collège de Toulouse soient enfin payés :

On ne peut concevoir l’obstination avec laquelle le conseil municipal de Toulouse rejette les numéraires de ces malheureux ouvriers qui n’ont d’autres ressources pour la subsistance de leur famille que celles d’un pénible travail.

  • 12 BIUT Arsenal, ms 146, 25 novembre 1819.

33Le recteur insiste auprès du préfet en lui demandant de faire le nécessaire pour que la municipalité vote enfin le paiement des travaux12.

  • 13 Ibidem, lettre du 27 novembre 1820. Parmi les membres du conseil, outre le recteur, les in (...)

34Le recteur réussit aussi, assez adroitement, à justifier l’interprétation les textes à son avantage, comme c’est le cas lors de la réforme concernant la composition du conseil académique. Ce conseil est une institution composée de personnalités appartenant à l’université et se réunissant régulièrement sous la direction du recteur afin de traiter notamment d’affaires disciplinaires. En novembre 1820, le gouvernement souhaite que soient nommés au sein de ces conseils des fonctionnaires éminents. Le recteur fait un choix classique, en invitant le président de la Cour royale et l’un des conseillers de cette même cour. Mais cette nomination lui pose un problème, dans la mesure où l’article 83 du décret du 17 mars 1808 relatif à la composition de ce conseil, ne précise pas si l’on doit comprendre, dans les dix membres, le recteur président et les deux inspecteurs d’académie. Aussi, dans le cas où le nombre de conseillers serait dépassé, le recteur explique que « les occupations, l’âge et la santé des membres déjà existants ne leur permettant pas d’assister au conseil toutes les fois que je le réunis, j’ai cru que l’augmentation de ses membres pourrait être qu’avantageux au bien du service »13.

  • 14 Ibidem, lettre du 8 décembre 1820.

35Comme pour les préfets de département, les tournées font partie des obligations que devraient remplir les recteurs. En fait les inspecteurs sont un peu leur bras armé et parcourent l’académie avec zèle et autorité. Les instructions sont annuellement adressées par le ministère, attirant l’attention des recteurs sur tel ou tel point. En décembre 1820, Defferrand-Puginier se plaint de n’avoir à sa disposition qu’un seul inspecteur et ce, depuis plus d’un an14 :

Je lui avais recommandé de visiter autant d’écoles qu’il lui serait possible dans le courant de cet exercice et je lui avais transmis sur chacune des instructions écrites, l’ordre qu’il devait suivre pour la visite de ces divers établissements et le compte qu’il devait me rendre de son inspection.

36L’inspecteur Chabrier a parcouru dans les quatre départements qui composent l’académie de Toulouse, un nombre considérable d’établissement. En cette fin d’année 1820, l’inspecteur n’a toujours pas remis son rapport et il est en mission à Castelsarrasin pour visiter le collège de cette ville. Le recteur informe le ministre que, dès son retour, il lui adressera le rapport mais qu’il peut toutefois le rassurer quant « à la discipline des écoles […] que l’ordre le plus parfait existe […] et que s’il y a quelque plainte à former, elle ne peut avoir rapport qu’à des instituteurs clandestins que les tribunaux n’ont pas punis lorsqu’ils ont été poursuivis par MM. les procureurs du roi en police correctionnelle ». Le recteur revient sur une affaire qui a vu un instituteur qui, « malgré la preuve la plus authentique, a été scandaleusement acquitté par le tribunal de Gaillac et par celui d’Albi auquel M. le procureur du roi en avait appelé ».

Le recteur force de proposition

37Les extraits des rapports des inspecteurs, sur les écoles qu’ils ont visitées dans leurs tournées de 1821, conduisent le recteur à faire quelques propositions :

  • 15 BIUT Arsenal, ms 155, Lettre du 7 janvier 1822 : « J’ai acquis une nouvelle preuve des inc (...)

Les collèges communaux seront toujours dans un état languissant tant que le sort de leurs fonctionnaires ne sera pas déterminé d’une manière possible et jusqu’à ce que les dotations données par les villes soient invariablement établies. Il serait aussi bien essentiel que Messieurs les maires missent un peu plus d’activité et d’exactitude à s’assurer si les maîtres qui s’établissent dans leur commune sont pourvus du diplôme ou de l’autorisation qui leur donne le droit d’exercer des fonctions dans l’enseignement public. Ce défaut de surveillance occasionne souvent des affaires qui n’auraient pas lieu si on prévenait dans son principe, l’infraction aux lois de l’université15.

  • 16 Ibidem, lettre du 14 mai 1821.
  • 17 Ibidem, lettre du 9 juillet 1821.

38On constater la récurrence des lettres dans lesquelles le recteur se plaint du peu de zèle que mettent les maires dans la surveillance des instituteurs qu’ils laissent exercer avant de s’être assurés qu’ils sont pourvus d’une autorisation16. « Les plaintes d’un bon curé seront quelques fois sans effet lorsqu’un maire se plaira à favoriser la contravention d’un maître non autorisé ». Les abus sont nombreux, ils sont encouragés par l’attitude de certains maires et les procureurs du roi se plaignent fréquemment de ne pas obtenir de réponses de leur part. Les maires paralysent ainsi les procédures. Si on ajoute à cela l’indulgence extrême de bon nombre de tribunaux, on mesure l’état d’impuissance dans lequel se trouve le recteur. Il arrive quelques fois que les curés d’un chef lieu de canton se plaignent de l’attitude de quelques membres de leur comité. Lorsqu’ils formulent le souhait du remplacement de ces personnes, souvent indifférentes en matière de religion, le recteur ne peut rien faire car le préfet « trompé par une prévention assez naturelle en faveur de son maire, persiste à refuser17 ». Le recteur prie le Grand Maître de faire en sorte de disposer des moyens de ne plus s’arrêter au refus de l’approbation du préfet lorsqu’il sera acquis, par des témoignages tangibles et par les rapports des inspecteurs, que les plaintes du curé du canton sont fondées.

39Dans un autre registre, le quotidien du recteur peut aussi être plus valorisant. Defferrand-Puginier dans le sillage de son prédécesseur, qui avait œuvré en faveur de l’amélioration de l’enseignement à la faculté de droit, soutien en 1821 la décision de la faculté d’autoriser provisoirement l’abbé Berger, professeur suppléant de cette faculté, à faire un cours de code commercial :

  • 18 Ibidem, lettre du 21 novembre 1821.

L’utilité de ce cours est démontré tous les jours d’une manière plus frappante par le peu de fruit que retirent de leurs études les élèves de troisième année en suivant à leur choix le cours de droit romain ou l’un des cours de la 1ère et 2ème année de Code civil. Ces mêmes élèves perdent leur temps ou à ne rien faire ou à écrire un cahier qui leur a été dicté et à entendre des explications qui leur ont été données les années précédentes et dont la répétition ne peut captiver leur esprit il en résulte nécessairement moins de facilité de la part des professeurs pour fixer l’attention de leurs élèves et par conséquent moins d’ordre dans la classe18.

Le mélange des élèves de 1ère année avec ceux de la 3ème est encore un inconvénient qu’il est aisé d’apercevoir. Ceux de la première année, naturellement plus timides seraient plus faciles à contenir. Mais ils sont dirigés par ceux de la 3ème année, dont l’exemple est bien sûr suivi par les plus jeunes, qui regardent souvent comme un point d’honneur de marcher sur les traces des anciens étudiants et de s’unir à eux lorsqu’il s’agit d’exciter quelque désordre ou de faire quelque espièglerie qui détourne de professeur ou quelque élèves appliqué à son devoir… .

40Le recteur n’a aucun doute sur le fait que le cours de droit commercial intéressera les étudiants et qu’il correspond davantage aux besoins de la formation.

41Il est assez naturel que le recteur soit régulièrement le destinataire des plaintes, mais la nature de celles-ci peut être extrêmement différente. Parmi les multiples requêtes qu’on lui adresse, l’une nous est encore familière aujourd’hui, c’est la qualité de la nourriture proposée dans les cantines. Le 6 septembre 1822, Defferrand-Puginier s’en explique au Grand Maître :

  • 19 Ibidem, lettre du 6 septembre 1822.

Il est impossible de mettre plus d’attention et de soin dans les choix des aliments. La viande, le pain et les comestibles de toutes espèces sont toujours de la première qualité, le vin est acheté dans le meilleur terroir et tenu dans d’excellentes caves où il ne peut que se bonifier. Instruit des propos que tenaient certaines personnes pour lesquelles c’est toujours un besoin de se plaindre, j’ai été souvent au collège royal à l’heure des repas et j’ai trouvé la nourriture des élèves saines et abondante. Il est arrivé quelques fois qu’un cuisinier avec les meilleures choses ait pu faire un mauvais plat, mais ces accidents n’arrivent-ils pas dans les ménages les mieux ordonnés et cela peut-il paraître étonnant dans un établissement où il y a plus de deux cents personnes à nourrir19 ?

42En fait, la question de la qualité des plats proposés au collège prend une certaine dimension, dans la mesure où elle cristallise les tensions entre le proviseur et le censeur. Ce dernier a plusieurs fois envoyé les élèves se plaindre au proviseur et lui porter les plats qui leur déplaisaient dans son appartement. Cette attitude est dénoncée par le recteur, qui dit avoir témoigné son mécontentement au censeur. Il semble aussi que l’établissement soit l’objet de critiques en ce qui concerne la qualité de l’habillement des élèves. Le recteur s’insurge et souligne que la situation est incomparable à celle qu’il avait pu connaître six ans auparavant dans le cadre d’une inspection, tant sur le plan de l’ordre que de la propreté.

Il y a trois ans, les élèves portaient dans l’été les mêmes bas pendant huit jours, je trouvais cela intolérable et je donnais les ordres pour que l’on fît faire des bas en qualité suffisante pour faire changer les enfants deux fois par semaine.

43La qualité, la quantité et l’entretien des draps de lit ont été nettement améliorés :

  • 20 Ibidem.

La plupart des parents font des demandes très peu raisonnables et se plaignent ensuite à tort et à travers sans examiner ce que l’on peut faire et sans écouter les bonnes raisons toujours appuyées sur les règlement que l’on a à leur donner20.

44Defferrand-Puginier est un recteur soucieux du protocole et de l’image que peut donner l’Université. À cet effet, il perd patience parce que plusieurs professeurs des facultés persistent « à ne point faire de costume et à se dispenser par ce moyen d’assister à certaines cérémonies auxquelles les convenances et les devoirs les obligeraient de se trouver ».

  • 21 Ibidem, lettre du 23 janvier 1822.

Il résulte de cela que les professeurs qui ont leur robe finissent par regarder comme une duperie d’aller représenter dans des cérémonies publiques tandis que certains de leurs collègues y manquent continuellement sous le vain prétexte qu’ils n’ont point de costume. Les invitations réitérées que j’ai faites à ces messieurs n’ayant produit aucun effet, j’aurai l’honneur de vous proposer M. le président de retenir sur leur traitement la somme nécessaire pour faire un costume complet s’ils ne défèrent point dans un délai fixé à la dernière invitation que je leur dresserai. Il est des occasions où l’académie est obligée de paraître en corps et où elle doit montrer par le nombre des professeurs qui font partir de sa réunion21

  • 22 Ibidem, lettre du 24 septembre 1823.

45Le 24 septembre 1823, Defferrand-Puginier adresse au Grand Maître de l’Université, avec deux mois de retard, l’état général de l’instruction primaire de son académie. Il justifie ce retard par le manque de sérieux des comités cantonaux qui, malgré des relances régulières, ne remplissent pas un devoir qui pourtant semble assez facile à remplir, puisque des modèles de tableaux sont préparés par les services du rectorat. Dix arrondissements n’ont pas rendus leur rapport et le recteur fustige « l’infinité de curés desquels il sera impossible d’obtenir une régularité administrative »22. Il suggère au ministre de faire tenir ces registres par les juges de paix, « qui deviendraient alors dépositaires des archives du comité de son canton ». Cette question des archives préoccupe le recteur qui témoigne de leur disparition chaque fois qu’un curé décède.

Le curé du canton n’aurait pas le moyen que je propose qu’une surveillance générale comme président et le juge de paix, qui en cette qualité a nécessairement des archives, aurait dans ces mêmes archives une case de plus pour celle du comité cantonal dont il serait responsable et il pourrait lui être accordé une petite somme pour faire faire les écritures et fournir aux frais divers qu’il aurait à payer.

46Dans le quotidien des recteurs, il faut aussi les interventions en faveur d’un élève ou d’un enseignant. Elles sont souvent fondées sur des motifs sociaux. Ainsi, en janvier 1824, Defferrand-Puginier soutient la demande d’une demi-bourse du fils d’un employé de la mairie de Toulouse. Le 24 février, il est satisfait d’apprendre que le proviseur a même accordé une bourse entière au jeune Laffitte « dont le père employé à la mairie a rendu dans plusieurs occasions des services essentiels au collège royal tels que des payements et des réparations urgentes qui auraient souffert de retards nuisibles aux intérêts de cet établissement… ».

Les relations parfois tendues avec le préfet

47Si les relations du premier recteur avec le préfet avaient été plutôt bonnes – un courrier adressé au ministre indique qu’il se félicite du soutien du premier magistrat du département qui, en exerçant son pouvoir de tutelle, a réussi à régler le différend financier qui l’opposait avec la municipalité de Toulouse –, les choses sont moins simples avec Defferand-Puginier, lequel, il est vrai, ne gère par son académie dans le même contexte.

  • 23 Ibidem, lettre du 24 février 1818 : « La conduite du maire […] me paraît blesser trop grav (...)

48Au mois de février 1818, une affaire l’oppose au préfet. Le premier défend la cause d’un instituteur, le second soutien un maire qui s’oppose à sa nomination dans sa commune. Le maire de Castelnau-d’Estretefonds s’est plaint au préfet de n’avoir pu opérer le recrutement qu’il souhaitait. Dans une première lettre adressée à son ministre de tutelle23, le recteur lui demande si le préfet a le droit de lui adresser des reproches, alors qu’il ne se permet pas d’en faire directement à ce maire « dans une affaire où la sûreté individuelle d’un de mes subordonné est aussi injustement attaquée ». Defferrand-Puginier précise qu’il s’est interdit de répondre au préfet sur le même ton. Quelques jours plus tard, le recteur, dans un autre courrier, explique que la préfecture a de nouveau refusé de délivrer à l’instituteur une autorisation d’enseigner et il s’en indigne :

On ne peut dissimuler que Monsieur le maire de Castelnau n’ait des intelligences à la préfecture pour continuer de tracasser le sieur Faure auquel on dit maintenant, ne sachant quel reproche lui faire, qu’il est trop jeune pour être instituteur.

  • 24 Ibidem, lettre du 28 février 1818.
  • 25 Ibidem, lettre du 28 mai 1818.

49Les fondements de la décision semblent au recteur bien légers, d’autant que « l’administration du roi ne fixe point l’âge que doivent avoir les instituteurs »24 et il en appelle à l’arbitrage du ministre de l’Intérieur. L’affaire se termine finalement favorablement pour le jeune instituteur, apprend-on dans un courrier adressé cette fois-ci au curé de Castelnau, qui est devenu l’interlocuteur du recteur et qui le tient informé de la situation locale25.

Le recteur, l’ordre public et les affaires religieuses

50Defferrand-Puginier est confronté à plusieurs situations délicates en matière d’ordre public. La ville de Toulouse est un foyer d’agitation important, et les étudiants ont pris une part active dans certains mouvements qui, parfois, ont une connotation politique ; notamment les affaires concernant les étudiants de la faculté de droit. Ces périodes sont difficiles à gérer car le recteur se retrouve souvent isolé, face à une situation où la pression monte et peut à tout moment dégénérer.

51La première affaire qu’il rencontre se déroule en novembre 1817. Des étudiants de la faculté de droit ont perturbé un spectacle. À la rentrée suivante, le recteur informe le ministre qu’il a « invité le préfet et le maire de Toulouse qui ont tous les deux les moyens de surveillance et de police dans les lieux publics de l’instruire dès les premiers mouvements qui seraient occasionnés par un étudiant ». En outre, il fait savoir publiquement, avant la rentrée, que les étudiants fautifs seraient privés d’inscription. Mais ce qui n’était qu’un chahut d’élèves farceurs peut devenir une véritable mutinerie lorsque un motif particulier est à l’origine du mécontentement des étudiants. C’est le cas lors de la première crise extrêmement délicate que Defferrand-Puginier ait eu à régler.

L’affaire des droits d’inscription à l’école de médecine

  • 26 L’inspecteur n’est autre que Royer-Collard.

52À son origine, le passage de l’inspecteur général à Toulouse26. Lors de sa visite, il déclare qu’il y a beaucoup de générosité de la part des professeurs de médecine de se contenter de 30 francs d’inscription, alors que le règlement ministériel précise que l’institution est en droit d’exiger le double. Le recteur explique que le traitement fixe, payé par la ville de Toulouse aux professeurs, n’étant que de 500 francs, ces derniers ont pu voir dans cette augmentation le moyen d’améliorer leur sort. Quelques temps après la rentrée, il est instruit de cette augmentation et des difficultés qu’elle occasionne. Pour ne pas aller dans un sens opposé aux professeurs et pour « ne point les compromettre devant leurs élèves », le recteur engage le directeur de l’école à annoncer qu’après délibération le prix des inscriptions serait toujours de 30 francs et que les 30 francs restant, seraient exigés lorsque un étudiant réclamerait son certificat d’étude.

53Seulement au début mois de décembre 1819, « certains jeunes gens déclarent qu’ils ne veulent payer aucune d’espèce d’inscription, que les cours devraient être gratuits et les têtes se montèrent ». Sollicité par le directeur le recteur conseille de n’admettre en cours que les étudiants munis de leur carte. Un rapport adressé au ministre précise que « les élèves en masse ont pris part aux actes d’insubordination qui ont lieu à l’école de médecine, puisqu’ils ont presque tous refusé de se faire inscrire » Ils se sont dirigés vers l’école pour essayer d’y entrer en force. « Les élèves ont été contenus grâce à la force publique », qui avait été mobilisée pour prêter main-forte au portier chargé de filtrer les élèves porteurs de carte.

  • 27 Dans un courrier adressé au ministre par le recteur on peut lire : « L’obstination de cert (...)

54S’en suit un conflit entre les professeurs, qui sont favorables à l’augmentation des, droits et ceux qui y sont opposés. Les meneurs sont reçus par le recteur. Alors que l’issue de la crise n’est pas visible, pour sortir de l’impasse, le directeur de l’école « offre à MM. les étudiants de payer pour ceux qui ne seraient pas en état d’en faire la dépense disant d’une autre côté que ce serait compromettre la dignité des professeurs, de revenir sur l’une décision qu’ils avaient annoncée »27. Devant l’aggravation de la situation le recteur prend, le 22 décembre, un arrêté de fermeture provisoire de l’établissement. Peu de temps après, les étudiants s’adressent au directeur et sollicitent le recteur pour la réouverture de l’école. « J’ai cédé à leurs instances après y avoir mis les conditions convenables », souligne le recteur dans une lettre. En fait, il est expliqué aux étudiants que l’institution serait compréhensive et qu’à la fin de l’année, « lorsque l’un d’entre eux viendrait demander son certificat d’étude, il serait aisé de prendre alors pour prétexte le bas prix des denrées qui diminue sensiblement les ressources des habitants des campagnes dont les fils composent en grande partie la masse des élèves de l’école de médecine ». De sorte qu’à l’exception de 28 étudiants demandant un délai, tous les autres prennent leurs inscriptions.

55Au mois de février, le recteur peut conclure le long rapport qui retrace le déroulement de l’affaire en soulignant que « le plus grand ordre et la tranquillité la plus parfaite règnent maintenant ».

L’agitation politique à la faculté de droit

56En 1820, la loi du double vote entraîne une agitation chez les étudiants, qui fait de Toulouse un centre actif d’opposition. Le préfet informe le recteur que des étudiants parcourent la ville en criant « vive la charte » et que des mesures sont prises afin que des patrouilles exercent une étroite surveillance.

57Le lundi 12 juin, le général commandant la division fait prévenir le recteur qu’un grand nombre d’étudiants se sont réunis au pont des Demoiselles. Defferand-Puginier précise, dans une lettre adressée au ministre, qu’il n’a « épargné dès les premiers moments ni [ses] courses, ni [ses] écritures pour obtenir un résultat satisfaisant sur les recherches à faire pour découvrir les principaux auteurs des mouvements ». Il semble que le recteur n’ait pas rencontré, de la part du doyen de la faculté de droit et de nombreux professeurs, le soutien qu’il escomptait. En effet, le doyen prétexte des problèmes de santé pour ne plus sortir de chez lui, ce qui oblige le recteur à lui rendre visite. Quant au manque de zèle des professeurs, un rapport le souligne de façon éloquente :

Dans le moment où j’agitais avec MM. les professeurs des différentes questions qui faisaient le sujet de leur résistance et que je m’efforçais de leur prouver que le refus qu’ils faisaient de me prêter leur secours dans cette circonstance, pourrait être très funeste à la tranquillité publique, les appariteurs vinrent nous avertir que presque tous les étudiants de 1ère et 2ème année restés dans le préau refusaient de sortir.

58Le recteur explique qu’il s’est mis à une des fenêtres qui donnaient sur le préau pour déclarer :

Je suis surpris qu’après les invitations réitérées que vous avez reçues, vous persistiez à rester dans l’enceinte des bâtiments de la faculté, où vous savez que les règlements vous défendent de vous arrêter après la classe, je vous ordonne de sortir.

59Ces propos semblent avoir provoquer une réaction hostile, puisque le rapport précise :

Plusieurs voix ont crié « non, non, non », des sifflets nombreux se firent entendre, je restais impassible à la fenêtre jusqu’à ce qu’un premier cri « vive la charte » frappa mon oreille […]. Ce cri fut répété par plusieurs avec des vociférations horribles. « La charte, vive la charte et rien que la charte ». La plupart de ces jeunes gens avaient des figures sinistres. Cette réunion offrait le tableau de l’émeute populaire la plus atroce et la plus dangereuse. Messieurs les professeurs avaient l’air très troublé.

60Le recteur continue son récit en soulignant qu’il a ensuite décidé de se rendre auprès des étudiants pour les exhorter à sortir, que les cris « vive la charte » ont continué avec autant d’acharnement. Il déplore qu’un seul professeur l’ait suivi, et dénonce l’attitude se ses collègues à l’issue de la manifestation. En effet, alors que les étudiants décident de sortir du préau, certains sont invités par le recteur à s’expliquer mais l’interrogatoire se déroule de façon assez surprenante car les professeurs refusent de coopérer. Le recteur se trouvant « obligé de tout faire au milieu de l’impassibilité décourageante de ceux qui [l]’entouraient » ! Assez curieusement, ces événements se déroulent hors de la présence du doyen de la faculté et cette « absence servait aussi d’excuses à plusieurs de ces Messieurs… », rapporte de recteur particulièrement remonté contre les professeurs de droit. On apprend dans un rapport que le doyen s’est « retiré dans le moment du tumulte » et qu’il a expliqué postérieurement au recteur « qu’une colique qui lui était survenue sur le champ, l’avait obligé de sortir ». Le lendemain les étudiants interrogés sont priés par le recteur à venir rendre des comptes devant lui en présence des professeurs et du doyen. Cette séance, dont le compte rendu est résumé dans un rapport adressé au ministre, permet de réunir les éléments qui serviront quelques mois plus tard au conseil académique pour statuer sur le sort des étudiants agitateurs.

  • 28 BIUT Arsenal, ms 155, Lettre du recteur, d u15 décembre 1821, rendant compte de l’affaire.

61Deux des meneurs sont des ex officiers d’artillerie et l’un « mérite d’être renvoyé chez lui comme turbulent et dangereux » souligne le recteur. D’autant qu’il a organisé une souscription pour élever un monument en mémoire d’un étudiant de l’école de droit de Paris qui fut tué dans une émeute. Le rapport précisant par ailleurs que les étudiants ont refusé de souscrire pour le service funèbre de Mgr le duc de Berry. Parmi ces étudiants l’un semble avoir marqué tout particulièrement le recteur et fera l’objet d’une longue procédure, dont l’instruction débouche en décembre 1821 sur un arrêté du conseil académique qui l’exclut (ainsi que trois autres) de la faculté de droit. Cet étudiant est M. Tatareau « très remarquable par son âge et surtout par sa décoration au milieu de tous ces jeunes gens qu’il avait l’air de dominer par l’ascendant que son expérience et son titre d’ancien militaire devaient donner sur eux »28. Durant la séance le recteur revient sur les circonstances de la rébellion et son témoignage permet de prendre la mesure du caractère délicat de cette affaire :

  • 29 Le recteur fait ici référence à la réunion organisée chez le doyen.
  • 30 BIUT Arsenal, ms 155, lettre du 15 décembre 1821.

Quelques-uns de ces Messieurs par excès d’indulgence, d’autres pas un sentiment auquel on ne peu commander ne voulurent s’expliquer sur aucun de ces élèves et tout serait resté dans l’impunité si je m’en fusse tenu aux résultats de cette conférence29 sur lesquelles a été basée le rapport des professeurs en date du 19 juin. Il eut été à désirer que ces derniers missent les uns plus de franchise et les autres moins de craintes dans les révélations que je les invitais à faire sur les troubles qui eurent lieu dans l’enceinte de la faculté de droit pendant la matinée du 14 juin. Il y avait beaucoup trop de coupables pour que la rigueur de nos règlements pût s’étendre sur tous. Il eût suffi de remarquer trois ou quatre de ceux qui étaient les plus mal notés par les professeurs. Mais je ne fus point du tout secondé par ces messieurs et je fus obligé de me borner aux renseignements positifs que je m’étais procuré […]. La seule présence de M. Tatareau dans l’enceinte des bâtiments de la faculté eût été un mal puisque les règlements lui prescrivaient d’en sortir, et les cris qu’il a proférés joints à l’appel qu’il faisait à ses camarader pour les empêcher de sortir méritaient bien la punition à laquelle il a été condamné. S’il y eut le moindre doute sur la culpabilité, j’eusse été le premier comme je l’ai fait pour M. Barre à faire revenir sur l’erreur qui aurait été commise, mais toutes ces personnes qui connaissent M. Tatareau sont convaincues de la justice de la peine qu’il subit. M. Bastoulh professeur en droit qui comme je l’ai dit plus haut n’avait pas voulu s’expliquer à l’assemblée de MM. les professeurs m’a avoué depuis qu’il avait bien entendu M. Tatareau crier « vive la charte » mais qu’il avait cru devoir se taire quand il avait vu que tous ses collègues gardaient le silence et que j’étais le seul de mon bord pour chercher à découvrir les coupables. On voit par le rapport de MM. Professeur l’indulgence avec laquelle ils traitaient même M. Pinar qu’il ont été forcés de condamner depuis à la perte d’une inscription pour des actes de violences commis à la porte de la faculté de droit contre un de ses camarades qui ne partageait par ses mauvais sentiments et ses fausses opinions30.

  • 31 Ibidem, lettre du 9 juin 1824.
  • 32 Ibidem, lettre du 18 juin 1824.

62Cette affaire aurait pu être bel et bien oubliée si une autre, dont certains points sont comparables, n’était pas venue trois ans plus tard faire ressurgir l’amertume du recteur. En 1824, le conseil académique vote l’exclusion pour six mois de deux étudiants qui ont chanté des chansons révolutionnaires (Marseillaise et Chant du départ31) sur la promenade des allées d’Angoulême. Ces jeunes gens ont été arrêtés par la police et condamnés par le tribunal de police correctionnelle. Mais le recteur rencontre toutes les peines du monde pour obtenir leur exclusion au sein du conseil académique. En effet, une fois encore, les professeurs de la faculté de droit semblent protéger leurs étudiants. Le doyen écrit personnellement au recteur pour lui demander d’être clément auprès d’étudiants qui étaient « pris par le vin. Est-ce une faute de s’être enivré ? ». Defferrand-Puginier enrage car d’autres sources prouvent que les étudiants n’étaient nullement ivres. Aussi dans le courrier qu’il adresse au Grand Maître, le 18 juin 1824, il s’attache non seulement à restituer le déroulement de l’affaire qui vient d’aboutir à l’exclusion des deux étudiants mais il revient longuement sur les événements du printemps 1821. Ce récit détaillé est destiné à faire apparaître le manque de soutien de la part des professeurs de la faculté de droit et leurs manœuvres pour limiter les conséquences des actes de leurs étudiants : Monsieur Delpech a adressé une lettre publique aux journaux afin de faire croire que les auteurs des cris « vive la charte » étaient étrangers à la faculté ; le professeur de droit romain a, quant à lui, écrit à un député en défendant la même idée. Le recteur termine sa page de reproches en soulignant qu’il « pourrait prolonger encore cette narration [s’il voulait] retracer toutes les preuves de faiblesse que MM. les professeurs ont données dans divers troubles occasionnés par les élèves de la faculté de droit et s’il en est quelques-unes auxquels les peines académiques aient été appliquées ce n’est pas la faute de MM. les professeurs »32.

63Plusieurs affaires mettant en cause l’ordre public se déroulent à la fin de l’hiver et au début du printemps 1822. La première a lieu au collège royal, la seconde une fois encore au sein de la faculté de droit.

« Les jeunes révoltés » du collège royal

  • 33 Ibidem, lettre du 8 mars 1822.

64Au mois de mars 1822, le recteur doit d’abord affronter une crise grave qui se déclenche au collège royal, théâtre d’une sorte de mutinerie dont les fondements ne sont pas d’ordre politique, comme il s’empresse de l’exprimer dans une lettre, qui se veut rassurante, adressée au Grand Maître le 8 mars 182233.

65Lors de l’office religieux du dimanche précédent, certains élèves se sont amusés à chanter faux pour provoquer le proviseur :

L’aumônier ayant repris les élèves sur la manière dont ils chantaient les vêpres, vit tout le monde cesser de chanter et fut obligé malgré les invitations qu’il fit à ses jeunes élèves de chanter seul. Pour le punir de cette désobéissance, il les priva de la promenade et les fit entrer à l’étude. Il leur permit ensuite sur l’invitation de M. le censeur de prendre une heure de récréation. Mais quand il fallut remonter dans la salle d’étude, personne ne fit un mouvement pour s’y rendre. L’appel nominal fut fait et tout le monde obéit. Le lendemain, lundi une salle d’étude profita d’un moment où le maître fut obligé de sortir pour barricader la porte et faire ensuite beaucoup de train. M. le censeur parut, força la porte et se trouva bientôt au milieu de ces jeunes révoltés. Quelques cris, quelques sifflets se firent entendre quant M. le proviseur parut. Quatre élèves ont été mis au cachot et trois d’entre eux déjà très mal notés ont été renvoyés à leurs parents avec invitation de les retirer s’ils voulaient éviter les désagréments d’une expulsion en forme.
Le jeudi 7 mars, les élèves divisés en deux bandes sont envoyés à la promenade de deux côtés très opposés, ayant la rivière entre elle, la troupe des grands a abandonné le maître d’étude qui les accompagnait, s’est mise à courir et a été prendre un bac, a forcé le batelier de les passer et a ensuite joint à une assez grande distance la troupe des petits qu’elle a entraînée avec elle.

66Aussitôt informé par le proviseur, le recteur se rend au collège royal pour être alors le témoin « des suites de cette folie ». Il alerte le maire et lui demande de mettre la police en mouvement pour arrêter ces jeunes gens incontrôlables. Les autorités attendent jusqu’à 8 heures et demi du soir puis décident de fermer les portes de l’établissement « afin d’empêcher les élèves insurgés d’entrer avec violence et de causer le moindre désordre ». À la même heure, les élèves sont arrivés et voyant les portes fermées, ont contourné le bâtiment pour jeter une « grêle de pierres » sur les fenêtres de l’appartement du proviseur dans lequel il se trouvait en compagnie du recteur. À 9 heures, les portes furent ouvertes et « les élèves conduits par les commissaires de police entrèrent assez fiers dans le collège ». Les sept élèves meneurs et auteurs des troubles sont renvoyés de l’établissement, mais assez rapidement, le recteur est sollicité par les familles pour les réintégrer. Dans un premier temps il refuse, considérant que les actes d’insubordination qui lui avaient d’abord paru n’être qu’une mutinerie d’enfants, ont été suivis d’autres désordres à la fac de droit, au spectacle et dans les rues de Toulouse. En outre, le recteur évoque le comportement d’un élève qui lui semble inexcusable :

  • 34 Ibidem, lettre du 3 mai 1822.

L’un d’entre eux était noté depuis longtemps comme étant d’un caractère violent et très emporté. Il fut surpris il y a environ trois mois tenant à la main une pierre assez grosse dans le moment où le maître venait d’être atteint par une autre qui était partie du groupe où il se trouvait34.

67Le recteur finira pas céder sous les pressions du préfet, des familles et d’une veuve éplorée.

Des signes de rébellion à la faculté de droit

68Le fait que le recteur ne soit par enclin à la clémence s’explique par la situation quelque peu agitée de ce printemps 1822. En effet, outre la mutinerie du collège, il doit à nouveau régler une affaire au sein de la faculté de droit où fin mars, une trentaine de jeunes gens n’appartenant pas à l’établissement sont entrés dans la classe de l’abbé Berger où étaient réunis les élèves de 3ème année. Deux ayant crié « vive la charte » provoquent le départ du professeur :

Les élèves de M. Berger se tournèrent d’un air de surprise en témoignant par leur seul regard qu’ils méprisaient ces signes de rébellion. Les jeunes gens étrangers à la faculté de droit se retirèrent et tout fut parfaitement tranquille jusqu’à la fin.

  • 35 Ibidem, lettre du 29 mars 1822.
  • 36 Ibidem, lettre du 3 mai 1822

69Seulement les jours suivants ces entrées intempestives se répètent. Le recteur espère que les « vacances de Pâques qui vont commencer donneront le temps à toutes ces jeunes têtes de se calmer ». Il convient avec le doyen de faire numéroter les bancs de façon à ce que chaque étudiant possédant une carte ait sa place. En fait, avant de venir jusqu’à la faculté de droit puis de se répandre dans la ville, ces manifestations avaient commencé au spectacle lors de la représentation de la tragédie de Scylla, où beaucoup d’allusions semblent avoir été « saisies avec un certain enthousiasme par les uns, et sifflets par les autres de manière à occasionner des rixes et même des duels »35. Les efforts déployés permettent d’arrêter plusieurs personnes, dont un étudiant en droit, lequel est finalement acquitté par le tribunal de police correctionnelle. Cela déclenche la colère du recteur qui marque sa désapprobation au ministre : « Les tribunaux de Toulouse ont acquitté d’une manière que je ne veux point qualifier les jeunes gens qui ont été arrêtés en flagrant délit… »36. Quelques semaines plus tard, une nouvelle lettre du recteur, adressée au président du Conseil royal, rend compte des agissements de plusieurs de étudiants de la faculté de droit, exclus par le conseil académique et qui sont allés porter le trouble dans la sous-préfecture de Muret. La clémence des tribunaux de Toulouse a « donné une nouvelle force à l’audace de quelques jeunes mutins qui ne demandaient qu’à recommencer ». L’appel de la décision d’acquittement fut porté à la cour royale de Muret où, cette fois-ci, les auteurs des troubles sont condamnés. Le président de ce tribunal ayant la malchance de croiser ces « jeunes mutins » aux portes de la ville, il est alors l’objet d’insultes et est traité de « brigand » :

  • 37 Ibidem, lettre du 10 juin 1822

On croit avoir reconnu dans le nombre les élèves condamnés par le tribunal de Muret à deux mois de prison et à 500 francs d’amende. Ces étudiants étaient accompagnés de plusieurs autres que l’on suppose être les mêmes qui s’étaient rendus à Muret le jour de leur jugement pour servir de témoins à décharge37.

70Le recteur semble inquiet devant le manque de soutien dont il est l’objet. Il craint d’autres manifestations ; d’autant qu’il apprend que six étudiants se sont rendus auprès de l’archevêque de Toulouse pour lui demander la permission de faire un service pour ce jeune étudiant parisien décédé deux ans auparavant et qui avait été le prétexte à tant de troubles à la faculté de droit.

71L’intervention de l’archevêque dans la précédente affaire est révélatrice du contexte dans lequel devait opérer le recteur. En effet, si le fait pour l’archevêque de recevoir des étudiants n’est nullement condamnable, néanmoins des hommes appartenant à toute la hiérarchie de l’Église catholique tourmentait régulièrement le recteur ; soit parce que leurs établissements concurrençaient gravement les collèges, soit parce que les méthodes employées n’étaient pas très chrétiennes !

Une pluie de petits séminaires

72En 1820 dans son rapport annuel, le recteur exprime ses plaintes concernant les démarches faites par des ecclésiastiques pour remplacer le chef d’une institution à Lafage : « Ces Messieurs dans le premier moment ont paru compter pour rien l’autorité de l’université ». En effet, ils se sont adressés directement à l’évêque de Montpellier. Le recteur dépêche son inspecteur, lequel dans son compte rendu précise que l’évêque a l’espoir d’obtenir l’ouverture d’un second petit séminaire dans son département. Le recteur s’étonne que les règles hiérarchiques les plus élémentaires ne soient pas respectées et que cette demande ne soit pas passée par lui avant d’être transmise au Conseil royal. Il adresse un courrier à l’évêque, en l’informant que « les demandes devaient être adressées en premier lieu à l’autorité qui avait seule un titre pour la recevoir et juger si elle est admissible ». D’autant que le petit séminaire de Montauban nuit beaucoup au collège de cette ville, en recevant un grand nombre d’élèves externes :

  • 38 Ibidem, lettre du 8 décembre 1820.

Je m’en suis plaint à M. le préfet, à M. le procureur du roi, à M. le maire, mais les abus ne cesseront d’exister que lorsque le gouvernement aura annoncé une volonté ferme de les empêcher38.

73L’année suivante, l’archevêque de Toulouse soutien deux projets d’ouverture de plusieurs établissements, l’un à Polignan, près de Saint-Gaudens, et l’autre à Toulouse. Le recteur est soucieux. Il insiste sur le fait que l’établissement pur et simple de petits séminaires nuirait infiniment aux collèges voisins, sans donner un plus grand nombre de sujets pour l’état ecclésiastiques.

  • 39 BIUT Arsenal, ms 150, lettre du 19 septembre 1821.

En effet, l’expérience prouve que beaucoup de parents aisés, sous prétexte de donner à leurs enfants des principes plus religieux, et sans autre but réel que celui d’épargner une misérable rétribution, mettraient leurs enfants au petit séminaire, avec le projet bien formé de ne point leur faire suivre l’état auquel ils paraîtraient se destiner […]. Ce n’est pas en multipliant les écoles que l’on obtiendra un plus grand nombre de sujets pour le service des autels39.

74Selon le recteur, seuls 10 % des élèves présents dans ce type d’établissement seraient intéressés par la condition d’ecclésiastique. Il considère que des établissements soumis au régime universitaire ont toute légitimité et que ceux dépendant de l’Église ne doivent pas les concurrencer directement : « Il y aura toujours des grands abus dans l’administration des petits séminaires si l’on ne prend pas des mesures pour s’assurer que les jeunes gens qui y sont élevés se destinent réellement à l’état ecclésiastique », déclare le recteur qui soumet l’idée d’obliger les élèves des petits séminaires à s’engager dans les ordres sacrés !

75En novembre 1821, le recteur s’oppose formellement à l’exécution de la délibération par laquelle le conseil municipal de Pamiers a décidé que les bâtiments du collège seraient offerts à l’archevêque pour y établir un petit séminaire.

Le prétexte qu’a pris un des membres du conseil municipal a été que le collège était un fardeau pour la ville, qui voulait retirer les fonds qui lui avaient été allouées jusqu’ici dans le budget. Cette proposition a été adoptée à force d’intrigues et MM. les régents du collège réunis m’assurent que l’on a déjà envoyé secrètement un émissaire à M. l’archevêque afin de lui offrir les bâtiments du collège pour y établir son petit séminaire.

  • 40 Ibidem, lettre du 19 novembre 1821.

76Le recteur est indigné, il écrit au sous-préfet de Pamiers pour l’informer que le « conseil municipal n’a aucun droit de disposer des bâtiments du collège qui en vertu du décret du 11 décembre 1808, sont une propriété de l’université »40.

77Entre 1822 et 1823, à la suite des rapports des inspecteurs, plusieurs lettres font état de l’ouverture de petits séminaires non autorisés dans l’académie.

Les bons et les mauvais curés

  • 41 Ibidem, lettre du 2 mars 1821.

78En mars 1821 le recteur reçoit copie d’une lettre de dénonciation qui a été adressée au conseil royal contre un des employés de bureaux de l’académie. L’auteur a été facilement reconnu, même si la lettre est anonyme. Defferrand-Puginier, dans la réponse qu’il adresse au Conseil royal, souligne qu’il a retrouvé à chaque phrase M. le curé de Rieumes « dont le caractère inquiet, altier et turbulent s’est fait connaître depuis longtemps ». Il transmet les délibérations du comité de Rieumes qui revient « sur la conduite que M. le curé a tenu depuis le commencement et la discorde qu’il a toujours cherché à semer au lieu d’employer cet esprit conciliateur qui devrait caractériser un homme de son état »41. Et le recteur s’applique à réfuter les accusations en utilisant la dérision et le mépris, tout en précisant cependant que depuis qu’il est à la tête de l’administration de l’académie, il n’est jamais entré une lettre dans ses bureaux qui n’ait été auparavant ouverte et lue par lui :

Il est par conséquent impossible que mes employés, qui sont d’ailleurs des hommes sûrs, aient pu rien dérober à ma connaissance et paralyser quelqu’une de mes opérations

79Le différend porte sur la personne de l’instituteur qui n’est pas apprécié par le curé et qui fait l’objet de ses attaques. Au-delà du fond – à notre avis qu’assez secondaire – cette affaire présente comme intérêt de nous dévoiler comment le recteur Defferrand-Puginier règne sur son académie et sur sa façon d’administrer. En effet, en expliquant qu’avant de bien connaître le curé de Rieumes, il a « voulu entrer dans ses vues » en demandant au préfet son avis concernant le renouvellement des membres du comité, le recteur témoigne de son tempérament conciliateur et de son parti pris plutôt favorable aux hommes d’Église. D’ailleurs, bon nombre de curés lui servent d’informateur pour ce qui se passe dans les écoles et autres institutions d’éducation situées dans les campagnes. Il est donc impossible de parler de recteur anticlérical ; ce qui est confirmé par la réponse du préfet qui donne de multiples illustrations de l’esprit malsain de ce curé :

Ce dernier refusa même de se rendre à une séance à laquelle assistèrent M. le procureur du roi et M. le sous-préfet de Muret, qui s’étaient rendus à Rieumes pour chercher à rétablir la bonne harmonie entre les membres du comité et le Président […]. C’est une chose qui sera toujours difficile avec un homme d’un caractère aussi passionné […], avec lequel il serait impossible de traiter les affaires avec le calme et l’impartialité qu’elles exigent.

  • 42 BIUT Arsenal, ms 155, lettre du 14 mai 1821

80Rieumes n’est pas un cas isolé, et dans une lettre adressée, en mai 1821, au Grand Maître, le recteur souligne que, si généralement il n’a qu’à se louer de ses relations avec les curés, néanmoins « certaines des réponses sont tout au moins inconvenante et quelques fois grossières », et qu’il se contente, dans ces occasions, de répondre sur le ton qu’il se doit de prendre comme chef d’administration. Le recteur n’hésite pas à solliciter directement les supérieurs hiérarchiques de ces curés en leur demandant de les rappeler à leurs devoirs42.

  • 43 Ibidem, lettre du 8 février 1822.

81Au mois de février 1822, le recteur est confronté à un problème entre les communautés catholiques et protestantes, qui se disputent le droit d’avoir un instituteur dans la petite commune de Burlats. L’ancien instituteur, soutenu par le maire « quoi que très grossier et très ignorant, devait par ses propos donner, à des enfants simples et sans expérience, de très mauvaises impressions, qui ne pouvaient tendre qu’à détruire toute espèce de principe de religion ». Le maire, dont « le zèle excessif pour la propagation de ses principes religieux lui ferait désirer plutôt d’avoir un missionnaire qu’un instituteur ». Aussi le rétablissement de l’ancien instituteur est-il impossible selon le recteur. Toutefois, compte tenu du nombre peu important de familles protestantes (17 au total dans la commune), Defferrand-Puginier estime qu’un instituteur catholique serait malgré tout un choix plus naturel et plus sage43.

L’enseignement religieux et la moralité

82L’un des rapports adressé au Grand Maître sur l’état des institutions primaires évoque l’enseignement du catéchisme. L’inspecteur d’académie Jourdan, qui est spécialement affecté à la visite des écoles communales, précise que le catéchisme est récité tous les jours dans les grandes comme dans les petites écoles, de telle sorte que dans le plus grand nombre de celles qui se trouvent dans l’académie de Toulouse :

  • 44 Ibidem, lettre du 24 septembre 1823.

On sait aussi bien la lettre et l’esprit du catéchisme que dans celle des frères. La prière généralement commune commence et finit le travail de la journée […]. Les élèves sont tenus de remettre un billet de confession tous les mois. Ils sont également conduits aux offices tous les dimanches et fêtes et même les autres jours de la semaine lorsque les localités le permettent. […] Messieurs les curés et messieurs les maires, me dit aussi M. Jourdan, attestent qu’il s’est opéré un grand changement dans les mœurs, le caractère et la conduite des enfants, les rues et les places publiques ne sont plus obstruées comme autrefois par une troupe d’enfants occupés soit à se battre, soit à insulter les passants ou à jurer et à blasphémer d’une manière épouvantable44.

83Le recteur regrette que la modicité des fonds accordés pour les tournées ne permette pas de visiter tous les ans les principales écoles de chaque canton :

Les inspecteurs tiennent en haleine les maîtres et les élèves ; d’ailleurs, par de bons examens, on trace aux instituteurs la marche qu’ils doivent suivre, on peut juger des bonnes ou mauvaises méthodes.

84Le rapport à la religion est un des critères sur lesquels les autorités administratives fondent leur jugement et décident de soutenir ou non les personnes concernées par un problème. À l’évidence, un maître de pension de la ville de Caussade, dont l’établissement est en concurrence avec un autre qui a la préférence du maire, va recevoir les appuis du recteur parce que contrairement à ce que disent ces adversaires, on ne peut rien lui reprocher sous cet angle :

  • 45 Ibidem, lettre du du 15 février 1824.

On a accusé M. Fournier d’être l’ennemi de la religion catholique et de tourner les élèves de la pratique des devoirs religieux. Mais les faits prouvent, au contraire, le prix qu’il attache à ce qu’aucun de ses élèves n’y manque. S’il en était autrement pourquoi se montrerait-il si empressé de réclamer pour son école la surveillance des catholiques ? Pourquoi n’aurait-il pour collaborateurs que des catholiques ? Pourquoi compterait-il au nombre de ces derniers le neveu de M. le curé de Caussade ? Pourquoi les élèves de M. Fournier, conduits par deux de ses maîtres aux offices divins, les dimanches et les fêtes, y donneraient l’exemple du recueillement et de la piété ? Pourquoi les hymnes, les cantiques, le catéchisme seraient-ils appris et récités de manière à mériter les éloges publics de M. le curé45 ?

85La moralité des enseignants est souvent l’objet de l’attention du recteur. Ainsi, ce dernier justifie son refus de soutenir un enseignant qui souhaite obtenir l’autorisation d’ouvrir une école près de Sorèze par les informations qu’il a pu réunir sur lui. Les détails des aventures décrites dans une lettre adressée au Grand Maître laissent penser que, pour certaines affaires, le recteur laissait de côté son style laconique et sobre et prenait le parti de sourire en décrivant par le menu « les intriques qu’il a pu avoir avec des servantes qui étaient passées successivement dans sa maison » :

  • 46 Ibidem, lettre du 18 février 1824.

L’une d’elles, qui l’avait suivi de Bordeaux à Sorèze, le quitta quelques temps après, se plaignant que M. Lavielle avait abusé d’elle et l’avait trompée. Il la remplaça par une fille de Sorèze, qui donna lieu à des disputes très vives entre M. Lavielle et sa femme qui voulut le quitter pour retourner dans sa famille à Bordeaux. Cette fille, s’étant ensuite mariée et ayant entièrement changé de conduite, le Sieur Lavielle chercha par les moyens les plus odieux à mettre le trouble dans son ménage. Ces intrigues suivies de plusieurs autres furent longtemps ignorées du chef de l’école de Sorèze et la conduite de M. Lavielle n’eût été connue que dans un cercle très obscur, sans une aventure qui le mit à découvert et obligea le directeur à le congédier. M. Lavielle s’était introduit dans la maison de M. Duguet, maître de quartier dans la dite école de Sorèze et, sous l’apparence de l’amitié la plus intime avec le mari, il parvint à séduire une jeune femme sans expérience qui fut l’objet d’un scandale public, après lequel il fut impossible au directeur M. Ferlus de conserver plus longtemps M. Lavielle dans son école. Cette conduite fut bientôt connue du feu curé de Sorèze, qui logeait en face de M. Duguet et qui crut devoir l’en avertir. Ses avis n’eurent aucun effet dans le premier moment. Mais la rumeur générale tira enfin le mari de la sécurité dans laquelle il vivait et des billets surpris ne lui laissèrent plus aucun doute sur l’inconduite de sa femme. M. Duguet, plein de confiance, était le seul qui n’y crût point, mais le bruit public était si prononcé et le scandale si grand, que la dame ayant annoncé et M. Lavielle s’étant présenté pour être le parrain de l’enfant, feu M. Mazas, le curé, refusa de l’accepter sans beaucoup déguiser ses motifs au mari qui, seul dans la ville, ne voulait pas y croire. Madame Duguet fut battue et enfermée par son mari ; la mère de la jeune femme reprocha publiquement à M. Lavielle de mettre le désordre dans la maison de sa fille. La dispute d’envenima au point d’en venir aux mains dans la boutique de Mme Duguet, alors marchande de mode à Sorèze. Le résultat de ce combat fut un carreau de vitre cassé et un scandale épouvantable qui ne permettait plus au directeur de Sorèze de conserver un tel maître dans son établissement46.

86Cette affaire, digne d’un bon roman, est loin d’être seulement anecdotique et amusante ; en effet, elle révèle, comme beaucoup d’autres, la force d’inertie de la machine administrative, l’importance du clientélisme local, la place de l’Église et de la morale dans la société du XIXe siècle. Rien de nouveau, dans cette constatation, mais il est tout de même intéressant de constater que la position du recteur dans son académie et très comparable à celle du préfet pour son département. Il a absolument besoin d’interlocuteurs fiables dans toutes les contrées même les plus reculées de son territoire de gestion.

87Au regard de cette étude, on peut confirmer que l’académie de Toulouse n’était pas facile à administrer. C’était surtout le cas du département de la Haute-Garonne et les préfets envoyés à Toulouse étaient souvent des préfets de combat ; ils étaient choisis parce qu’expérimentés et fiables. On peut facilement reprendre cette analyse pour les recteurs tant les affaires sont nombreuses aux quatre coins de l’académie. Seulement la situation de recteur, on l’a vu, est souvent celle d’un homme isolé ; il n’est pas toujours soutenus par les autorités administratives et politiques locales. Quant à l’éloignement avec Paris, il est encore plus mal vécu lorsque des influences concurrentes viennent court-circuiter les décisions du recteur, . Pour certaines affaires, on voit trois, quatre lettres, parfois plus, insister sur la légitimité d’une décision ou d’une position. Les recteurs, contrairement aux préfets, n’adoptent pas de posture administrative. Ils sont avant tout des gestionnaires, et la dimension politique qu’ils sont contraints d’adopter est souvent contre nature. Pourtant, l’évolution est sensible, et l’on voit apparaître au fil des régimes, des recteurs plus adroits politiquement, qui savent mieux gérer les tensions politiques et les conflits. Ces recteurs préfigurent ceux d’aujourd’hui, dont la dimension politique est indéniable. Au total, au même titre que l’institution préfectorale, l’institution du recteur a la postérité qu’on lui connaît parce que les hommes qui l’ont incarnée depuis 1809, lui ont donné ses lettres de noblesse.

Notes

1 Les travaux de Germain Sicard et ceux d’Olivier Devaux, de l’Université Toulouse I, font exception.

2 Quenet (M.), « L’installation des recteurs napoléoniens : des hommes nouveaux et des bâtiments anciens », Mélanges offerts à Yves Durand. État et société en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 1998, p. 455-470.

3 Condette (Jean-François), Les recteurs d’académie en France de 1808 à 1940, Lyon, Institut national de la recherche pédagogique, collection « Histoire biographique de l’enseignement », 2006, 2 t.

4 Toulouse, Bibliothèque interuniversitaire (BIUT) de l’Arsenal, ms 146, lettres du 17 octobre 1822 et du 6 décembre 1822 Le recteur regrette aussi que l’on n’ait pas encore pensé à donner à la faculté des lettres un local spécifique, ce qui l’oblige à faire effectuer les divers cours dans les classes du collège royal et dans les auditoires de la faculté des sciences. La situation de la faculté de droit semble alors être particulièrement enviée car « magnifiquement logée, tant pour les cours que l’on y suit que pour ceux qui seront nouvellement établis. Le secrétaire de cette même faculté y occupe avec ses bureaux un logement tel que le recteur lui-même pourrait le désirer. Les appariteurs, le portier sont aussi très bien établis avec leur ménage et toutes les parties de cet édifice posent un corps entièrement neuf et d’une vaste étendue ». La question de l’aménagement de la salle des institutes de la faculté de droit continue de se poser, le recteur transmet un devis de près de 40 000 francs au Grand Maître, tout en lui faisant part que priorité devrait être donnée à la construction de bâtiments pour accueillir les services de l’académie : « N’est-il pas plus raisonnable et plus juste de songer à employer une aussi forte somme à construire un chef-lieu d’académie dont le besoin devient tous les jours plus urgent plutôt que de faire pour la faculté de droit une construction qui serait purement de luxe ? »

5 BIUT Arsenal, ms 153, n° 51. Lettre au Grand Maître de l’Université.

6 Ibidem, lettre du 1er août 1814.

7 Avec l’entrée de Louis XVIII à Paris, une ordonnance du 22 juin 1814 avait maintenu temporairement l’organisation ancienne de l’université, « jusqu’à ce qu’il ait pu être apporté à l’ordre actuel de l’éducation publique, les modifications qui seront jugées utiles ». Une vive campagne d’opinion se déchaîne alors contre l’université et son centralisme. Voir l’analyse de POIRIER (J.), « L’opinion publique et l’université pendant la première Restauration », La Révolution Française, juin 1909, p. 234-270 et p. 330-342.

8 Dans un courrier daté du 2 février 1820, on peut lire : « J’ai reçu la lettre de la commission du 22 janvier dernier à laquelle était joint l’arrêté du 19 janvier concernant les nominations des professeurs de la faculté des lettres de l’académie de Toulouse. La place que j’occupe dans cette nouvelle organisation est une preuve de confiance d’autant plus flatteuse pour moi que je n’avais fait aucune demande pour l’obtenir et que je ne la dois qu’à la bienveillance de la commission et à des services auxquels elle a bien voulu attacher quelques prix. Je redoublerai d’efforts, Monsieur le Président, pour mériter de plus en plus cette confiance par mon zèle et par une autorité dont je ne crois pas avoir cessé de donner les preuves dans les circonstances pénibles où je me suis trouvé, quels qu’ayant pu être en apparence les retards que j’ai mis à informer la commission des mesures que j’ai prises, puis arrêter dans leur source des maux que j’ai été assez heureux de prévenir. Je mes suis empressé d’écrire à M. le préfet et à M. le maire de Toulouse pour tenter d’obtenir un emplacement propre à établir la faculté d’une manière convenable et proportionnée à l’étendue et à l’importance de son enseignement. Je fais prendre aussi quelques informations pour trouver un local à louer en supposant que la ville de Toulouse se refuse à en fournir, il serait beaucoup mieux de faire tous les cours dans une même enceinte que d’avoir une salle au collège royal une ou deux autres à la faculté des sciences où l’on ne pourrait faire un cour étrangers à cette dernières faculté sans un dérangement fréquent pour le professeurs de chimie qui travaille souvent dans la salle et qui est obligé quelques fois de laisser ses appareils »…

9 Jean-François Condette souligne que durant la Restauration, 19 recteurs sont abbés (27,5 %).

10 Voir : Carrier (Renaud), « Alternance des régimes, permanence des préfets (1814-1870) », La Préfecture de la Haute-Garonne, Histoire, Institution, Architecture, 2007, p. 73-113.

11 BIUT Arsenal, ms 149, lettre du 17 janvier 1818 : « Mr Cavaillé âgé de 72 ans était depuis 48 ans dans l’enseignement et n’a pas envoyé ses état depuis le premier trimestre 1815. Affaibli par les emprisonnements et les mauvais traitements qu’il avait éprouvé pendant la Révolution, l’ayant incapable des plus petites choses à l’exception de l’enseignement du latin dont il avait les principes gravés dans la mémoire… J’ai été obligé lorsque j’étais inspecteur, faisant une tournée à Castres de calmer son imagination… »

12 BIUT Arsenal, ms 146, 25 novembre 1819.

13 Ibidem, lettre du 27 novembre 1820. Parmi les membres du conseil, outre le recteur, les inspecteurs et les deux magistrats, on note le doyen de la faculté de théologie, vicaire général du diocèse, un professeur à la faculté de théologie, les doyens de la faculté de droit et des sciences, un professeur de la faculté des sciences, le proviseur du collège royal.

14 Ibidem, lettre du 8 décembre 1820.

15 BIUT Arsenal, ms 155, Lettre du 7 janvier 1822 : « J’ai acquis une nouvelle preuve des inconvénients que fait naître cet état d’incertitude par les menées qui ont lieu dans la ville de Pamiers pour détruire son collège aussitôt qu’il a été question de la création d’un petit séminaire que l’on a cru devoir tenir lieu de tout. Plusieurs membres du conseil municipal voyant maintenant qu’ils ont échoué dans le projet qu’ils avaient de donner les bâtiments du collège ont conçu depuis le projet de priver cet établissement de la dotation dont il jouit depuis la création de l’université ».

16 Ibidem, lettre du 14 mai 1821.

17 Ibidem, lettre du 9 juillet 1821.

18 Ibidem, lettre du 21 novembre 1821.

19 Ibidem, lettre du 6 septembre 1822.

20 Ibidem.

21 Ibidem, lettre du 23 janvier 1822.

22 Ibidem, lettre du 24 septembre 1823.

23 Ibidem, lettre du 24 février 1818 : « La conduite du maire […] me paraît blesser trop gravement l’ordre hiérarchique de l’administration de l’instruction publique pour que je ne mette point la plus grande importance à vous en rendre compte afin que vous puissiez prendre les mesures convenables pour amener dans la ligne de ses attributions un magistrat qui s’en est aussi essentiellement éloigné ! »

24 Ibidem, lettre du 28 février 1818.

25 Ibidem, lettre du 28 mai 1818.

26 L’inspecteur n’est autre que Royer-Collard.

27 Dans un courrier adressé au ministre par le recteur on peut lire : « L’obstination de certains élèves est d’autant plus blâmable que Mr le directeur a offert à ceux qui n’auraient pas les moyens, de payer sur ses propres émoluments le prix de leur inscription ».

28 BIUT Arsenal, ms 155, Lettre du recteur, d u15 décembre 1821, rendant compte de l’affaire.

29 Le recteur fait ici référence à la réunion organisée chez le doyen.

30 BIUT Arsenal, ms 155, lettre du 15 décembre 1821.

31 Ibidem, lettre du 9 juin 1824.

32 Ibidem, lettre du 18 juin 1824.

33 Ibidem, lettre du 8 mars 1822.

34 Ibidem, lettre du 3 mai 1822.

35 Ibidem, lettre du 29 mars 1822.

36 Ibidem, lettre du 3 mai 1822

37 Ibidem, lettre du 10 juin 1822

38 Ibidem, lettre du 8 décembre 1820.

39 BIUT Arsenal, ms 150, lettre du 19 septembre 1821.

40 Ibidem, lettre du 19 novembre 1821.

41 Ibidem, lettre du 2 mars 1821.

42 BIUT Arsenal, ms 155, lettre du 14 mai 1821

43 Ibidem, lettre du 8 février 1822.

44 Ibidem, lettre du 24 septembre 1823.

45 Ibidem, lettre du du 15 février 1824.

46 Ibidem, lettre du 18 février 1824.

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