1Dans le Lauragais, s’élève l’ancienne église paroissiale de Sainte-Colombe de Baziège, typique de la région avec son clocher-mur élégant (Ill.1). Cette petite église rurale fut pillée et brûlée fin février 1570 par les troupes protestantes1 et la vie religieuse fut réduite à néant. La découverte d’une source exceptionnelle dans les fonds des Archives départementales de la Haute-Garonne la fait cependant sortir de l’ombre2. En effet, en 1666, le recteur Guillaume Darbon prit possession de la cure et commença l’écriture d’un livre de raison3. Le document, en excellent état, se compose d’une centaine de folios, écrits principalement de 1666 à 1700. Le processus d’ornementation et de décoration de l’église y est minutieusement décrit « pour l’usage de ladite esglise, où je veux mettre toutes les choses les plus remarquables que je trouveray », écrit ce curé en guise d’introduction (Ill.2).

2Dans le diocèse de Toulouse, où les comptes de fabrique sont rares, cette documentation est d’autant plus précieuse qu’elle nous fait vivre le quotidien d’une petite paroisse rurale et de son église. Un livre de raison peut-il dès lors nous renseigner sur la commande artistique et peut-être même sur la préférence des prêtres en la matière ? Usage, autorité ou goût personnel ; peut-on répondre à ces questions à sa seule lecture ?

La question artistique dans le livre de raison

3Si les livres de raison ne s’inscrivent pas toujours dans le cadre de la famille étroite et peuvent aussi être tenus à l’intérieur de monastères ou de couvents, nous ne pouvons que nous interroger au sujet de la nature du manuscrit légué par le curé de Sainte-Colombe. Dans le Dictionnaire universel, c’est « un livre dans lequel un bon mesnager ou marchand écrit tout ce qu’il reçoit et dépense pour se rendre compte à lui mesme de toutes ses affaires »4. Depuis l’étude de Madeleine Foisil5, les historiens retiennent communément cette définition. Cependant, Sylvie Mouysset a récemment décrit « la perplexité des historiens confrontés à ces écrits ordinaires et objets très polymorphes »6. Y aurait-il ainsi autant de définitions qu’il y aurait de livres de raison ? Guillaume Darbon en a t’il écrit un ?

4Réservé à la famille étroite et transmis au seul héritier masculin, le livre de raison n’est pas une autobiographie ; il permet en revanche de donner un état des biens de la famille ou de son rédacteur7. Sylvie Mouysset a identifié 7 % de clercs parmi les scripteurs8 mais comme la plupart des auteurs, Guillaume Darbon n’a pas jugé bon de donner un titre à son manuscrit, rendant sa définition peu aisée. Ses premiers mots constituent toutefois un indice :

Ce livre a été achepté par moy, G. Darbon, p[re]bstre et indigne curé de l’église Saint-Eutrope du lieu de Sainte-Colombe les Baziège, pour l’usage de ladite église où je veux mettre les choses les plus remarquables que je trouveray.

5Comme dans le cadre d’événements strictement familiaux, le curé débute son récit par un événement fondateur : la prise de possession de son bénéfice ecclésiastique. Son livre est conçu comme un aide-mémoire car il y tient des comptes, y consigne ses achats et indique des éléments utiles pour la postérité, comme la mort de la reine Marie-Thérèse (1683), les malheurs de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) ou encore les années de misère de la fin du XVII^e siècle. En cela, le livre de Guillaume Darbon répond aux critères qui définissent le livre de raison.

6Pourtant, ce manuscrit pourrait aussi être un livre d’église, même s’il n’est certainement pas un livre de fabrique car les marguilliers n’en sont pas les auteurs. En effet, les évêques encouragent les curés à examiner de près la gestion des deniers par les marguilliers, ce qui est logique dans le cadre de petites paroisses peu alphabétisées où les recteurs sont amenés à tenir des livres sur leurs églises9. En comparant les sources, le manuscrit de Guillaume Darbon n’a rien à voir avec d’autres livres de raison tels celui de Guillaume Escaffré, curé de Saint-Pierre de Calvairac10. Ce dernier y consigne en effet ses comptes, les dettes contractées par ses paroissiens, son testament, un inventaire de sa bibliothèque et de ses biens. Il n’y a rien de tel dans le livre de Guillaume Darbon.

7On trouve par ailleurs un livre similaire à celui de Sainte-Colombe au cœur des comptes de fabrique de la paroisse Saint-Sernin d’Auzeville (1656-1790)11. Ce livre de fabrique comporte au verso les offrandes pour les cierges. Au recto, on trouve des comptes de recettes et dépenses de la fabrique. Puis au folio 47 du manuscrit, entre 1678 et 1693, le style change littéralement. En effet, le livre de fabrique est écrit à la première personne et ressemble à s’y méprendre au manuscrit de Guillaume Darbon. On y saisit au quotidien la vie de l’église, les achats effectués par le recteur et son vicaire et les événements importants de la paroisse.

8Il est donc à présent évident que des livres d’église étaient tenus par certains curés de paroisses. Peu d’entre eux nous sont parvenus, il est d’ailleurs assez curieux de voir celui de Saint-Sernin d’Auzeville inséré dans le livre de la fabrique. Mais dans les registres paroissiaux, l’on pouvait aussi parfois consigner des commandes importantes pour l’église et des informations sur les dégâts du temps. Néanmoins, ce livre de la paroisse Sainte-Colombe contient une foule de détails passionnants sur l’embellissement de l’église, dont le recteur est un acteur essentiel. Les curés participaient en effet parfois physiquement aux travaux, en cherchant notamment des financements.

9Dans cette petite paroisse rurale, l’argent circule peu12. A la fin du XVI^e siècle, le recteur n’y résidait pas, contraint de chercher des revenus ailleurs car ses 50 livres annuelles perçues en tant que co-décimateur ne pouvaient lui suffire13. En 1605, il lui fut adjugé, par arrêt du parlement, 100 livres annuelles ainsi que la moitié de l’entière dîme. En outre, l’église fut reconstruite en 1607 et 1609. Pourtant soixante-dix ans se sont écoulés depuis la première visite pastorale lorsque Darbon écrit qu’il a « trouvé l’église fort despourvue, n’y aillant que les murailles14 ». Il trouve pour seuls objets un calice d’étain, ses crémières, deux vieilles chasubles, un petit missel et une chaire à prêcher. Ainsi, tout reste à faire lorsque le curé arrive dans la paroisse en 1666.

10De 1667 à 1692, l’effort d’ornementation fut continu afin de se mettre en conformité avec les canons conciliaires. Le curé se pare dans un premier temps des ornements nécessaires pour la messe car « l’Instruction générale » du cardinal de Joyeuse préconisait :

Aux plus pauvres églises parrochielles, il doit y avoir pour le moins trois chazubles, une rouge l’autre blanche et la troisième noire pour le service des morts, le plus honnestes qu’il se pourra15.

11En matière de paramentique, l’état, le nombre et les couleurs des ornements, l’achat de nouveaux linges et vêtements sont au cœur des préoccupations16. Le curé se pourvoit en premier lieu du calice, de la lampe pour le maître-autel, de trois nappes ainsi que d’un pluvial mais d’une seule chasuble. Dans un deuxième temps, le maître autel est pourvu d’un tableau mais aussi d’un tabernacle, doré deux ans plus tard. Au sein de l’espace sacré, l’aménagement du maître autel est donc une priorité.

12Ce n’est qu’une dizaine d’années après son arrivée dans la cure que les chapelles latérales sont aménagées, les vitres posées et les murs peints. Enfin, dans un dernier temps, le curé et les paroissiens peuvent acheter des ornements complémentaires tels que le poile17, les chasubles vertes et violettes ou la bannière. En 1692, l’église est donc ornementée et manifestement embellie par rapport à son état initial, mettant en valeur le plus important des sacrements : l’Eucharistie.

Les acteurs de la commande

13Ce livre de raison est aussi riche de renseignements sur les personnages qui aménagent l’espace sacré, tels que les membres des bassins.

14Le bassin est à l’origine un plat creux, en étain ou en cuivre, utilisé par les cuisiniers et devenu, dans les églises, l’instrument des quêteurs. Michelle Fournié explique qu’il a laissé son nom, dans le Sud-Ouest, aux compagnies chargées de recueillir l’argent des fidèles pendant la messe18. Marguilliers ou ouvriers sont donc en charge de la fabrique ou bassin de l’œuvre. Dans la visite pastorale de 1596, quatre bassins sont mentionnés mais seulement deux sont actifs d’après le curé ; de plus, en 1674, le bassin du Très Saint Sacrement de l’autel, géré par des femmes, est fondé. Si Saint-Sacrement et Notre-Seigneur sont synonymes, ils ont chacun leur bassin dans l’église. Bassins et marguilliers sont omniprésents dans le processus de commande artistique en payant les œuvres d’art grâce à l’argent de la paroisse. Dès lors, comment mesurer la part réelle des marguilliers ou du curé dans le processus de commande artistique ? Dans le manuscrit, le choix du pronom « je », « nous » ou « ils » semble être un indice pertinent. Pour exemple, curé et marguilliers interviennent conjointement lors des achats tels que la chasuble, le luminaire, les nappes, le ciel19 – ou surciel – du maître autel ou la dorure du tabernacle. Le pronom « ils » n’apparaît que trois fois lorsque que le curé n’intervient pas dans la commande artistique.

15L’effort financier est donc continu sur plusieurs décennies et l’argent provient des bassins ou de la charité car les gros décimateurs – archevêque et chapitre Saint-Étienne – ainsi que le curé devaient chaque année remettre une somme d’argent, fixée à l’avance et devant être distribuée aux indigents. Cet argent était détourné de son but premier. Ainsi, lors du paiement des 55 livres du ciboire, les bassins versèrent 12 livres et apportèrent3 livres de la quête paroissiale. Le chapitre cathédral donna 6 livres pour l’argent des pauvres et cette somme fut employée à l’achat du ciboire. En décembre 1679, le poile fut acheté, pour une somme de24 livres. Les bassins y contribuèrent à hauteur de 4 livres et le curé de3 livres. La paroisse acheva de le payer fin juin 1680 grâce à l’argent des pauvres et de la fabrique.

16Les particuliers, notamment le seigneur laïc du lieu, Jean-Louis de Lamotte, contribuèrent aussi manifestement à embellir l’église. Dans son testament de novembre 1653, Jean de Lamotte, seigneur du lieu souhaitait :

[que mon héritier] fasse faire trois tableaux pour être mis aux murs de ladite église, auxquels seront mis mes armes, le premier sera mis au grand autel […] le second l’image de la Vierge à la chapelle Notre-Dame, et le troisième le patron de l’église de Sainte-Colombe20.

17Jean-Louis de Lamotte21 suivit ainsi les dernières volontés de son frère et en 1668, le tableau du maître autel fut livré, représentant le Christ, la Vierge et les saints. En 1673, un tableau de saint Eutrope avec des malades à ses côtés fut donné à l’église. Enfin, le dernier tableau, donné à l’église en 1677, devait symboliser la présentation de Jésus-Christ au Temple. L’un nous est parvenu. Le tableau du maître autel, dont l’auteur est inconnu, représente le Christ, cloué sur la croix, à sa gauche la Vierge, un évêque avec sa mitre et sa crosse épiscopale, qui pourrait être saint Eutrope, patron de la paroisse, puis saint Jean à sa droite22 (Ill.3 et 4).

18Une autre œuvre, aujourd’hui entreposée dans la sacristie, est extrêmement menacée (Ill.5). D’après la fiche de l’Inventaire, il s’agit de la représentation de saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus, et qui fut peut-être composée d’après le modèle d’un tableau de Rubens. Le seigneur fut donc à l’origine des trois principales œuvres d’art de l’église au XVII^e siècle mais il fut aussi sollicité à d’autres moments. Il participa ainsi au paiement du calice d’argent, du ciboire, mais aussi à la construction des fonts baptismaux. Le curé est donc secondé par les laïcs et notamment le seigneur du lieu, qui intervient dans l’histoire artistique de cette petite paroisse rurale.

19A partir du milieu du XVII^e siècle, les recteurs se font les relais actifs des exigences de leur hiérarchie et l’on en voit certains, par exemple en Bretagne, n’hésitant pas à acheter eux-mêmes les ornements avant de chercher à se les faire rembourser par la fabrique23. L’étude des pronoms du livre de raison est là encore révélatrice, le pronom « je » utilisé à 17 reprises sur 41. Pour exemple, en avril 1668 :

Je soussigné ayant représenté à MM les lieutenants et paroissiens […] qu’il estoit indigne des bons chrestiens de souffrir que le précieux sang de Jésus Christ fut sacrifié sur nos autels dans des vases indécents et que dans nostre église n’y ayant qu’un méchant calice d’estain, je les priois et coniurois de vouloir m’aider de leurs charités pour en achepter un d’argent, offrant de donner de mon creu [… ]3 écus blancs en faveur de nostre église pour l’achat d’un calice d’argent, laquelle prière ayant esté goûtée par les paroissiens et lieutenants, ils ont donné ce qui s’en suit en faveur de l’église [… ]24.

20Il écrit par ailleurs à propos de la chapelle Sainte-Anne :

J’ai pris soin avec l’aide de Dieu de la mettre en cet estat, ne trouvant aucune marque ni mémoire qu’il n’y ait jamais eu messe, ni qu’elle ait été dédiée à aucun sainte, quelles balivernes qu’en puissent dire par caprice certains personnages, mal intentionnés pour l’église et pour son embellissement25.

21Le curé se rend donc régulièrement à Toulouse pour effectuer des achats. Par exemple, il écrit : « j’ai pris chez le sieur Mathieu, sculpteur de Tolose, un petit tabernacle peint de blanc avec sa clef et serrure, la Vierge sous le dôme et saint Eutrope et sainte Colombe », il en paye d’ailleurs 14 livres sur un total de26 livres. Puis, il commande des tapisseries, des chandeliers et même des petits tableaux qui devaient entourer le grand tableau du maître autel avant la mise en place du retable au XVIII^e siècle.

22Acteur principal et essentiel, le curé investit ses propres deniers pour son église. C’est à cette condition sine qua non qu’il peut l’ornementer.

La culture artistique d’un prêtre rural

23Dès le début du XVII^e siècle, le cardinal de Joyeuse, ses vicaires généraux et visiteurs se sont attelés à imposer une rigoureuse conception de l’espace sacré, afin que « les églises soient tenues par tout dedans et dehors bien réparées, ornées, [que] les murailles soient peintes au-dedans des images des saints, et autres peintures honnestes et dévotes, ou pour le moins qu’elles soient blanchies […] qu’il y aie une image du crucifix au milieu de l’église26 ». De plus, l’objet central devient le tabernacle : « que les bailles ou marguilliers des bassins ou confrairies du Corpus Christi fassent faire un tabernacle le plus beau et le plus honorable qu’il leur sera possible27 » écrit le cardinal de Joyeuse, à la fin du XVI^e siècle, repris par ses successeurs.

24En 1678, au détour d’une visite pastorale du vicaire général, le ciboire est détruit car non conforme au concile provincial. « Il a brisé et interdit une petite boîte de bronze servant de ciboire, dont le couvercle étoit en piramide, n’y ayant point d’autre ciboire » écrit Guillaume Darbon. Lorsque la paroisse est visitée en 1698, M^gr Colbert de Villarcef impose des prescriptions beaucoup plus générales : l’église doit être intégralement lambrissée, l’autel doit être couvert d’une table de sapin, dans laquelle est insérée la pierre sacrée, avec un marchepied de noyer à une marche pour chacune des chapelles.

25Il n’est pas aisé de retracer une histoire de la commande artistique lorsque les artistes sont peu renommés. Néanmoins, quelques indices sont fort intéressants. Ainsi, en 1668, lorsque le curé commande le calice, il se rend dans un des ateliers les plus renommés de la région toulousaine : celui des Lacère. Bertrand I Lacère (1627-1701) est par exemple connu pour divers ouvrages tels qu’un buste reliquaire pour la cathédrale de Saint-Bertrand-de-Comminges ou la croix des consuls de Castelnaudary. C’est un des lieux les plus féconds dans le domaine de l’orfèvrerie28. Parmi les autres artistes mentionnés dans le livre de raison, l’on trouve un certain Denvié. Pour la chapelle Sainte-Anne, le curé commande un tableau composé des figures de saint Jean Baptiste, saint Blaise et sainte Anne :

Sera mémoire que le tableau de sainte Anne a esté fait par Denvié, peintre de Toulouse et que pour le payer nous avons fait queste, et partant le tableau appartient à l’église et non au sieur Delon de Villenouvelle29.

26Ce peintre est peut-être Jean Danvyé, auteur d’un huile sur toile ornant l’église de la Daurade, intitulée Miracle arrivé à Toulouse le 18 août 1672 au feu de Saint-Michel30. Rien n’est cependant certain en l’absence de quelconque acte notarié. Pour d’autres travaux de peinture, des peintres décorateurs et doreurs de Castelnaudary viennent à Sainte-Colombe. Un certain Jean Bonnefons travaille dans l’église, mais il ne nous est point connu. Les lieux mentionnés dans le livre de raison nous apprennent donc que cette paroisse du Lauragais est partagée, en terme de commande, entre deux centres artistiques : Toulouse mais aussi Castelnaudary. Dès lors comment le prêtre opère-t-il ses choix ? Est-il influencé par autrui ou se réfère-t-il à ses goûts propres ?

27Il faut là encore lire entre les lignes et se contenter d’indices épars. Guillaume Darbon ne livre pas son opinion personnelle et ne fait en aucun cas part des raisons de ses choix, qui plus est il ne fait preuve d’une quelconque émotion artistique. Ses préoccupations sont celles d’un prêtre de son temps. Il se charge d’améliorer comme il le peut son église en participant à l’ensemble des achats. Quelques détails peuvent cependant nous inciter à penser que la commande artistique est affaire d’usage. Au début du livre de raison, les intervenants sont en effet essentiellement le curé, les bassins, les paroissiens qui participent activement par l’argent qu’ils versent31. A la fin du XVII^e siècle, il y a cependant une évolution car une institution religieuse fait son apparition : les Pères de la Merci32. Ils interviennent en tant que métayers d’une ferme située à proximité de Sainte-Colombe. A ce titre, ils donnent une vigne aux paroissiens chargés de payer la maison presbytérale et prélèvent des revenus au sein de la paroisse. Plus tard, au XVIII^e siècle, l’artiste qui conçoit le retable du maître-autel, encore visible aujourd’hui, est un certain Bourgella. Ce dernier a aussi travaillé pour le couvent des Pères de la Merci à Toulouse, ce n’est donc probablement pas une coïncidence.

28D’autres ecclésiastiques apparaissent aussi dans le livre de raison. Lors du paiement d’un pluvial en 1688 : « Ledit sieur de Pelut a fourni 4 livres 10 sous que j’ay cautionné audit sieur abbé et l’église me le devra. Le 4 mai 1688 le curé a payé Mr l’abbé de Pelut dans la chapelle Notre-Dame de Roqueville33 ». Dans la chapelle de Roqueville, une communauté de chapelains missionnaires fut instaurée par Charles de Montchal en 1640. Il en fit un lieu de préparation des clercs aux ordres, l’élite du clergé venant se former à la vertu. De nombreuses missions sont prêchées par les chapelains dans les paroisses rurales et urbaines34. Anne de Pelut est, en 1683, recteur de Montgiscard, paroisse voisine de celle de Sainte-Colombe puis en 1689, chapelain de Roqueville. Les contacts entre ecclésiastiques sont donc fréquents et nous permettent d’entrevoir des échanges artistiques. Il ne serait pas surprenant que le curé Darbon prenne conseil à ce sujet auprès de ces ecclésiastiques, d’autant plus qu’ils aident au paiement des œuvres d’art.

29Les dimensions de la culture artistique des prêtres ruraux sont donc bien difficiles à déchiffrer. Dans la paroisse de Sainte-Colombe de Baziège, la commande des œuvres d’art échappe bien souvent au curé car les acteurs de la paroisse peuvent être multiples. La commande artistique serait ici davantage une affaire d’usage et d’autorité que de goût personnel. Ce livre de raison est une source d’autant plus exceptionnelle qu’elle atteste bien, lorsque l’on s’intéresse à la diffusion de la Réforme catholique dans un cadre diocésain et à l’aménagement des espaces sacrés, que la chronologie n’est pas figée, loin des textes formatés des autorités religieuses.