1Désignés dès 1937 comme des départements de première urgence, le Lot et le Tarn-et-Garonne ont accueilli pendant la guerre dʼEspagne et, surtout après la victoire franquiste, de nombreux réfugiés espagnols. À lʼinstar de vingt-neuf autres départements, situés pour la plupart entre Garonne et Loire, le Lot et le Tarn-et-Garonne avaient ainsi été considérés comme suffisamment éloignés de la frontière franco-espagnole, de la région parisienne et des limites orientales de lʼHexagone, pour être à même de recevoir les civils venus chercher refuge pour échapper aux violences de la guerre1. Si la plupart des réfugiés étaient repartis dans la Péninsule, dans la zone de leur choix, la chute de la Catalogne aux mains des franquistes à la fin du mois de janvier 1939 avait provoqué un immense exode de près dʼun demi-million de personnes, la Retirada. Le Lot et le Tarn-et-Garonne accueillirent alors dʼautres réfugiés.

2Les républicains espagnols ont ainsi vécu, avec près de dix-huit mois dʼavance, les affres de lʼexode que connurent les Français au printemps 1940. La partie de lʼarmée restée fidèle à la Seconde République, instaurée en 1931, était vaincue par des troupes commandées par le général Franco, aidé par lʼAllemagne nazie et lʼItalie fasciste. Nombre de ceux qui avaient soutenu la République furent contraints à venir chercher asile en France pour échapper à la furie des combats et à la vindicte des vainqueurs qui pratiquaient une répression impitoyable envers leurs adversaires.

3En application du décret du 12 novembre 1938 prévoyant lʼinternement des étrangers dits « indésirables », les hommes en âge de porter les armes étaient internés dans les camps. Même si beaucoup de femmes, dʼenfants ou de personnes âgées ont passé des temps plus ou moins longs dans les camps, ils étaient généralement dispersés sur tout le territoire français en fonction des possibilités et des bonnes volontés locales. Dans le Tarn-et-Garonne fut implanté un camp dʼinternement, à Septfonds, destiné à désengorger les immenses concentrations dʼhommes – et parfois aussi de familles – improvisées dans des conditions précaires sur les plages du Roussillon, notamment à Argelès-sur-Mer et à Saint-Cyprien. En ce qui concerne les populations civiles, le Lot et le Tarn-et-Garonne, comme au moins soixante-quinze autres départements éloignés de la frontière franco-espagnole, ont reçu au début de lʼannée 1939 des réfugiés de la Retirada, hébergés dans des conditions souvent précaires dans des locaux adaptés ou non pour abriter des personnes. En avril 1939, les deux départements auraient compté respectivement 3 000 et 2 137 réfugiés espagnols2. Si ces réfugiés ne sont pas tous restés dans ces départements pendant les années suivantes, ils ont été rejoints par dʼautres exilés et ils ont constitué une partie notable de la population étrangère de la région pendant la Seconde Guerre mondiale.

4Dès avant la guerre, les républicains espagnols furent encadrés dans des structures militarisées, les Compagnies de travailleurs étrangers. Sous Vichy, ils furent lʼune des cibles de la politique dʼexclusion et de répression du gouvernement et internés à nouveau dans des camps. Cependant, beaucoup sʼengagèrent dans des formations militaires ou participèrent à la Résistance contre lʼoccupant de leur pays dʼasile.

Des Compagnies de travailleurs étrangers aux errances de lʼexode de 1940

5Lʼannée 1939-1940 fut marquée, pour le département du Tarn-et-Garonne, par lʼinternement de milliers de républicains espagnols dans le camp de Septfonds. Une pâture de 50 hectares, située sur la commune de Septfonds aux lieux-dits La Lande et Judes – dʼoù parfois sa dénomination comme « camp de Judes » – avait été repérée par les autorités militaires et servit pour la construction de baraquements. Environ 16 0003 républicains, choisis notamment parmi les ouvriers spécialisés des camps du Roussillon, furent ainsi internés à Septfonds, à partir de mars 1939. Ils étaient acheminés par train dʼabord jusquʼà Caussade puis jusquʼà Borredon, gare plus proche du camp et permettant dʼéviter aux colonnes dʼhommes en marche de troubler les habitants des lieux traversés.

6Cʼest le 27 février 1939 seulement que les pouvoirs publics décidèrent de créer ce camp. Devant la surpopulation qui affectait en février 1939 les camps improvisés sur les plages du Roussillon, il devenait urgent de prévoir dʼautres lieux dʼinternement. Le préfet du Tarn-et-Garonne, le 28 février, espérait que quatre et peut-être cinq baraquements seraient prêts pour lʼarrivée des premiers réfugiés quelques jours plus tard, chaque baraque devant abriter 350 hommes, évidemment « très rapprochés » à ses dires4. Mais le 5 mars quand le premier train arriva, seules quatre baraques étaient construites sur la quarantaine envisagée et les Espagnols durent sʼabriter des intempéries comme ils le pouvaient ; ensuite, ils sʼentassèrent sur de la paille répandue à même le sol5. Le camp comprenait 45 baraquements, ouverts sur un des côtés, couverts de tôle ondulée, surveillés par un millier de militaires : six pelotons de gardes mobiles, un escadron de cavalerie, un bataillon dʼinfanterie et un bataillon de tirailleurs sénégalais.

7Conformément à la circulaire du ministère de lʼIntérieur du 31 mars 1939 demandant aux préfets de recenser les travaux qui pourraient être confiés aux réfugiés espagnols sans concurrencer la main-dʼœuvre locale, il fut envisagé différents types dʼactivités pour les internés du camp : fabrique de sandales ou de brancards sanitaires dans le camp, aménagement dʼune route touristique commune avec le Tarn ou de canaux connexes au canal du Midi. Mais la plupart de ces projets se heurtèrent à des problèmes techniques, au refus du préfet du département voisin ou à lʼéloignement des chantiers du camp ainsi quʼà la méfiance envers les Espagnols. Aussi, des équipes furent-elles affectées à lʼentretien du camp ou à des travaux à lʼextérieur mais à proximité (tels que curage de fossés, mise au profil des accotements sur les chemins desservant le camp et, exceptionnellement, restauration de berges de rivières) et un grand nombre fut recruté par les agriculteurs ou les industriels des environs6.

8Dès le printemps 19397, le gouvernement avait fixé les obligations des étrangers considérés comme réfugiés ou sans nationalité, les déclarant assujettis – pour les hommes de vingt à quarante-huit ans – à offrir des prestations dʼune durée égale à celle du service militaire imposé aux Français. Des Compagnies de travailleurs ou de prestataires étrangers furent ainsi formées dans les camps dʼinternement du Midi et, pour en finir avec leur enfermement, nombre de républicains espagnols sʼy engagèrent. Lʼaménagement de camps militaires était lʼune de leurs affectations et, parmi les premières CTE constituées, le camp militaire de Caylus dans le Tarn-et-Garonne fut lʼune de leurs destinations. Dans le département du Lot, six CTE étaient implantées en 1939-1940, employées aux travaux agricoles, à des aménagements de routes ou à la construction de barrages. Six autres Compagnies de travailleurs étrangers furent constituées dans le camp de Septfonds et envoyées vers différentes destinations, notamment à la ligne Maginot8. Les Houillères de Decazeville, qui avaient délégué dans le camp leur responsable du personnel assisté dʼun jeune interprète, recrutèrent également à Septfonds pour combler les vides creusés par la mobilisation.

9Lʼindustrie de guerre sʼintéressa rapidement aux ouvriers qualifiés regroupés à Septfonds. Les usines dʼarmement et dʼaéronautique nécessitaient de la main-dʼœuvre formée et cʼest ainsi que le camp de Septfonds fut lʼobjet de nombreux plans de recrutement. Des réfugiés espagnols furent embauchés par la Poudrerie nationale et à la Cartoucherie de Toulouse, mis à la disposition de lʼautorité militaire. Ce qui vaudra aux intéressés un refus de rapprochement avec leurs épouses de la part du préfet de la Haute-Garonne, car « si les miliciens étaient autorisés à recevoir leurs femmes, ils se disperseraient dans la ville de Toulouse, ce qui rendrait tout à fait impossible toute surveillance de police9. » Pourtant, la Direction des Poudres ne cessait de solliciter le camp de Septfonds pour recruter, en novembre et décembre 1939, des maçons, des métreurs, des serruriers, des charpentiers, ainsi que des manoeuvres et des manutentionnaires, vantant lʼinstallation de « cantonnements bien installés », « un travail assuré, une vie suffisamment confortable » pour les réfugiés10. Si bien quʼil apparaîtra alors dans les courriers officiels, que le camp de Septfonds était réputé pour avoir fourni de la main-dʼœuvre espagnole au profit de la métallurgie et des Poudreries nationales11. Les usines toulousaines dʼaéronautique Bréguet et Dewoitine ainsi que lʼentreprise Gnome et Rhône spécialisée dans les moteurs dʼavions, installée en région parisienne12, recrutèrent des ajusteurs à Septfonds. Bréguet et Dewoitine avaient envoyé des représentants dans le camp pour choisir les ouvriers, les agréer et passer un contrat avec eux13. Ainsi, 51 ajusteurs partirent chez Dewoitine le 8 septembre 1939, 25 autres le 11 septembre et 11 le 18 septembre, ainsi que des tourneurs et des mouleurs.

10Ainsi, avec de nombreux rapatriements et les embauches à lʼextérieur de ceux qui ne pouvaient envisager de retourner en Espagne, le camp de Septfonds ne contenait que quelque 250 hommes en mai 194014. Mais la défaite et lʼarmistice eurent évidemment des conséquences importantes sur le sort des réfugiés espagnols. Pour ceux qui étaient employés dans lʼindustrie de guerre, lʼarticle 6 de la convention dʼarmistice ordonnant lʼarrêt immédiat de la « fabrication de nouveau matériel de guerre en territoire non occupé », ils furent débauchés du jour au lendemain. Par ailleurs, les réfugiés civils conduits en zone Nord en 1939 ainsi que les CTE qui y étaient affectées depuis une année connurent, comme la population française de ces départements, les errances de lʼexode. Si quelques CTE reçurent des ordres dʼévacuation, les hommes, généralement livrés à eux-mêmes, tâchèrent de se replier vers le Midi comme ils le pouvaient. Aussi, à lʼété 1940, les réfugiés espagnols se retrouvèrent majoritairement en zone non occupée. Et les camps dʼinternement du Midi se remplirent à nouveau.

Internement et enrôlement dans les Groupements de travailleurs étrangers

11Dès le mois de juillet 1940, les autorités de Vichy décidèrent que les prestataires espagnols devaient retrouver leur statut dʼavant-guerre : seuls étaient admis librement à résidence ceux qui, appréciés comme non « dangereux pour la sécurité publique », justifiaient de moyens dʼexistence, cʼest-à-dire essentiellement dʼun contrat de travail. Il en était de même pour les engagés pour la durée de la guerre qui devaient justifier, de surcroît, dʼun certificat de bonne conduite sous les drapeaux. Les autres Espagnols furent soit affectés à des entreprises civiles avec assignation à résidence, soit maintenus en unités de travailleurs, soit renvoyés dans des camps dʼinternement15. Les premiers jours de juillet, le ministère de lʼIntérieur donnait des instructions pour que soient signalés tous les étrangers en « situation irrégulière » arrivés dans les départements de la zone non occupée16. Les rapports envoyés au ministère étaient révélateurs de lʼimportant mouvement de repli effectué. Le cas du Tarn-et-Garonne était significatif à cet égard. Le 12 juillet 1940, le préfet indiquait au ministre de lʼIntérieur que de nombreux réfugiés précédemment internés dans le camp de Septfonds et « qui avaient été incorporés dans des Compagnies de travailleurs à lʼintérieur de la France […] [étaient] revenus en Tarn-et-Garonne par suite de lʼévacuation des régions occupées. » À la fin de juillet 1940, le préfet signalait que 200 étrangers – en fait des réfugiés espagnols – avaient été envoyés au camp de Septfonds et 400 autres – majoritairement espagnols – devaient être conduits également dans des camps dès quʼil y aurait les moyens de transport suffisants17.

12À lʼété 1940, comme de nombreux réfugiés espagnols se trouvaient sans travail et sans ressources dans le Tarn-et-Garonne, suscitant des craintes auprès de la population18, le camp de Septfonds fut destiné, du début août à la fin de 1940, à « contenir tous les Espagnols isolés provenant dʼusines de guerre ou de Compagnies de travailleurs »19. Quant aux familles de ces anciens ouvriers ou ex-prestataires, elles étaient accueillies dans un immeuble aménagé pour elles à Septfonds. Un témoignage, parmi dʼautres, montre les difficultés de ces débuts de lʼOccupation pour les réfugiés : Enric Yuglà Mariné se souvient comment il mit 31 jours pour aller de Bourges à Montauban, avec une vingtaine dʼamis espagnols, surtout des femmes et des enfants. À Montauban, le groupe se dispersa, chacun cherchant à survivre par ses propres moyens, et Enric Yuglà parvint à sʼinstaller à quelques kilomètres du chef-lieu du Tarn-et-Garonne et à trouver des petits travaux pour vivre20.

13Après lʼarmistice, seuls restaient incorporés dans une formation militaire française les Espagnols engagés dans la Légion étrangère pour cinq ans. Ceux qui sʼétaient engagés pour la durée de la guerre furent internés à nouveau dans des camps du Midi ; ainsi, les 21^e, 22^e et 23^e Régiments de marche de volontaires étrangers (RMVE) furent directement dissous au camp de Septfonds à partir du 22 juin 194021. Le camp de Septfonds devint donc un centre de démobilisation pour les volontaires étrangers (parmi lesquels un grand nombre de Juifs), au nombre de plusieurs milliers. Puis le camp fut divisé en deux. Une partie du camp servait pour le triage et lʼhébergement des « étrangers indésirables en surnombre dans lʼéconomie nationale. » Cette partie était clôturée et dépendait du ministère de lʼIntérieur. Lʼautre espace était réservé aux Groupements de travailleurs étrangers (GTE) qui étaient rattachés au ministère de la Production industrielle et du Travail, bien que ce fût le ministère de lʼIntérieur qui désignât les étrangers devant en faire partie22. Cette partie constituait un camp de travail dʼoù les hommes avaient le droit de sortir après les heures de travail. Le 27 septembre 1940, le gouvernement de Vichy avait en effet créé, dans le prolongement direct des CTE, des structures pour les étrangers de 18 à 55 ans « en surnombre dans lʼéconomie nationale », étrangers qui avaient cherché refuge en France et se trouvaient dans lʼimpossibilité de retourner dans leur pays dʼorigine. Aux CTE succédèrent donc les GTE23.

14Ce qui importait pour lʼÉtat français, cʼétait de « maintenir la discrimination effectuée […] entre les réfugiés et les autres étrangers » ; si ces derniers bénéficiaient dʼun régime de droit commun, avec un statut de travailleurs libres, les réfugiés étaient soumis à un régime dʼexception et étaient incorporables dans des groupes de travailleurs24. Comme dans les CTE, les Espagnols constituèrent la très grande majorité des effectifs des GTE. Les étrangers affectés à ces groupements ne recevaient pas de salaire, mais une éventuelle prime de rendement ; leurs familles bénéficiaient cependant de subsides variables25. Trois GTE furent formés au camp de Septfonds : les GTE 533 et 552 composés dʼEspagnols et le GTE 302 réservé aux volontaires étrangers démobilisés, essentiellement Juifs26. Il ne faut surtout pas omettre de rappeler que le camp de Septfonds servit ensuite de lieu de détention pour les communistes étrangers arrêtés dans le département du Tarn-et-Garonne, de centre de rassemblement pour les étrangers astreints au STO27 et, surtout, prit part à la logique dʼextermination des Juifs mise en place par les nazis avec la complicité du régime de Vichy : les 23 août et 2 septembre 1942, 295 Juifs – dont 26 enfants – habitant le Lot et le Tarn-et-Garonne partirent de Septfonds pour Auschwitz.

15Une multitude de camps sʼouvrit ainsi pour recevoir les GTE, les travailleurs étant répartis en petits groupes en fonction des tâches auxquels ils étaient affectés. Les hommes des GTE restaient groupés dans le cas des travaux dʼintérêt général, tels que lʼaménagement de routes, les constructions de barrages ou la coupe du bois nécessaire aux gazogènes. Certains travailleurs étaient affectés le jour dans une entreprise ou une ferme et revenaient le soir au cantonnement ; dʼautres encore furent amenés à vivre chez leur patron à la campagne ou dans des logements individuels en ville, tout en restant attachés administrativement à un GTE. Bien que les cas dʼespèce fussent très divers, les travailleurs étrangers placés individuellement dans lʼagriculture étaient nourris et logés et recevaient environ 10 F par jour28.

16Dans le Lot également, des GTE furent implantés ; trois camps furent improvisés, à Catus, Cajarc et Puy-lʼÉvêque, pour héberger les GTE n^os 508, 549 et 554. Les Espagnols constituaient lʼimmense majorité des effectifs de ces groupes ainsi que des GTE n^os 501 et 538, basés dans les communes de Concots et de Vers. À Catus, le camp était installé dans une grande écurie et les ouvriers, mal nourris, travaillaient dans des fermes assez éloignées. À Cajarc, plus de 200 ouvriers constituaient la main-dʼœuvre dʼune entreprise chargée de la construction dʼun barrage sur le Lot29. Sur le Causse de Limogne-en-Quercy, la mémoire perdure de ces Espagnols employés à la construction de la route qui relie Villefranche-de-Rouergue à Cahors par Concots ; le soir, les réfugiés aidaient souvent aux travaux des fermes des environs, mais ils avaient lʼobligation de se présenter régulièrement à lʼadministration du camp pour attester de leur présence. Les témoignages concordent sur leur dur labeur et leur maigreur, due à une nourriture insuffisante. Certains, cependant, furent embauchés dans des exploitations agricoles – où ils travaillaient la vigne, sarclaient le maïs et les choux – et quelques-uns restèrent même dans la région après la guerre30.

17Avant même lʼoccupation de la zone dite « libre », les Allemands de la commission Todt sʼadressèrent directement aux travailleurs des GTE rassemblés pour lʼoccasion par les préfets. Dans un premier temps, les Allemands prenaient la peine de susciter des engagements volontaires : les agents recruteurs jouaient habilement sur le mauvais accueil réservé par les Français pour persuader les réfugiés de sʼenrôler. Ainsi, les 7, 8 et 10 août 1942, les GTE n^os 508 et 554 du Lot furent-ils rassemblés par la gendarmerie : à Cahors et à Catus le premier jour, à Figeac et à Cajarc le deuxième, et à Catus encore le troisième jour. Karl Hack, responsable allemand de la commission, chargé de la propagande pour le recrutement de travailleurs étrangers volontaires, était assisté par un Espagnol dʼorigine allemande, un certain José María Otto. Ce dernier jouait sur sa bonne connaissance de la situation des exilés pour susciter des engagements. Ces agents recruteurs insistaient sur le fait que les Espagnols considérés comme des « rouges » avaient été contraints de travailler pour lʼorganisation Todt et désertaient en masse. À présent, argumentaient-ils, les Allemands avaient changé dʼattitude : le groupe devait être constitué sur la base du volontariat, il serait uniquement espagnol et chacun serait consulté sur son lieu de travail31.

18Les représentants de la commission Todt soulignaient également que les travailleurs auraient, comme les militaires allemands, accès à la cantine et des salaires plus élevés que dans les GTE ; après six mois passés en Allemagne, les volontaires auraient même droit à une permission de dix jours pour se rendre en Espagne avec un passeport allemand. De toute manière, soulignaient les agents recruteurs, les Espagnols nʼétaient pas assurés de garder leur travail actuel en France puisquʼils devraient laisser leur place aux prisonniers de guerre quʼils remplaçaient. Pourtant, après ces allocutions destinées à démontrer aux réfugiés où se trouvait leur intérêt, seul un petit nombre de volontaires se proposait ; sans doute cette démarche sʼexpliquait-t-elle par la lassitude due aux nombreuses difficultés rencontrées depuis la Retirada, par lʼabsence de perspectives ou par un simple désir de survie assorti dʼune désorientation politique certaine. Mais, lors des recrutements dʼaoût 1942, les Allemands nʼobtinrent que 138 engagements sur six groupes totalisant 2 424 hommes32. Après lʼoccupation de la zone Sud, les Allemands effectueront des réquisitions.

Répression et engagements dans la Résistance

19Début 1941, les Espagnols représentaient, dans les deux départements, le contingent dʼétrangers le plus considérable. Dans le Lot, à la fin de lʼannée 1940, les Espagnols étaient au nombre de 1 797 – dont 1120 réfugiés – sur 4 659 étrangers (Italiens, Polonais et Portugais). Ils occupaient majoritairement des emplois dʼouvriers agricoles ou de manœuvres33. Dans le Tarn-et-Garonne, le préfet en signalait 18 000 sur 160 000 habitants, déplorant que les réfugiés dʼAlsace-Lorraine ne pussent trouver du travail, les paysans leur préférant des Espagnols qui ne demandaient que la nourriture et non un salaire. Aussi, réclamait-il leur internement34. À Montauban, de nombreux réfugiés espagnols tentaient de vivre. À côté des réfugiés anonymes, vint le dernier président de la République espagnole, Manuel Azaña. Il était au Pyla-sur-Mer, près dʼArcachon, gravement malade, quand les Allemands approchèrent de Bordeaux. Il sʼinstalla au Grand Hôtel du Midi et il y décéda le 3 novembre 1940. Toujours à Montauban, le docteur De Acosta, chirurgien espagnol réputé, assura seul toutes les opérations de chirurgie générale à lʼhôpital de la ville, dont il a même été directeur à titre temporaire au début de lʼannée 1940. Lorsque De Acosta a demandé, en mai 1940, à continuer à exercer sa profession, le préfet du département appuya favorablement la requête, de même que lʼInspection départementale de lʼHygiène. Mais, sous Vichy, faute dʼavoir été autorisé à exercer, De Acosta partit pour Perpignan, puis pour le Maroc, en attendant dʼaller au Mexique. À partir de lʼautomne 1940, la situation de certains Espagnols a connu quelque peu dʼamélioration à la suite de la signature de lʼaccord franco-mexicain du 22 août. La Légation mexicaine de Vichy assurait, en effet, la protection officielle des réfugiés espagnols et distribuait – notamment par lʼintermédiaire des Quakers – des subsides pour aider les nécessiteux.

20Les organisations politiques et syndicales espagnoles, éclatées et divisées depuis la Retirada, étaient complètement désorganisées. Montauban était une plaque tournante pour les mouvements politiques espagnols en voie de reconstitution clandestine. Les dirigeants du Parti ouvrier dʼunification marxiste (POUM) sʼy trouvaient, ainsi que des militants communistes et anarchistes. Sous Vichy, les réfugiés espagnols se trouvèrent soumis à un contrôle permanent et multiforme, tant de la part de lʼÉtat français que des représentants franquistes et de lʼoccupant. La localisation des dirigeants républicains était soigneusement répertoriée, leurs déplacements sévèrement contrôlés et les départs de France limités par les exigences franquistes ; internements et, pour le moins, assignations à résidence étaient le lot de la plupart dʼentre eux, notamment en cas de décision négative dʼune Cour de justice au sujet de leur extradition. Le POUM fut le premier parti espagnol touché par une répression collective ; en février 1941, pratiquement tous les dirigeants du parti, notamment Wilebaldo Solano, Ignacio Iglesias et Juan Andrade furent arrêtés à Montauban et traduits dans cette même ville devant la Section spéciale du Tribunal militaire de la 17^e Division militaire. Les peines furent lourdes, allant dʼun an de prison à vingt ans de travaux forcés, assortis de nombreuses années dʼinterdiction de séjour ou dʼamendes. Wilebaldo Solano, considéré à juste titre comme le principal responsable du mouvement, fut condamné à vingt ans de travaux forcés, Ignacio Iglesias à douze années de la même peine et Juan Andrade à cinq ans de prison35. Les dirigeants du POUM avaient ainsi connu seulement deux ans de liberté après leur sortie de prison de Barcelone, où ils avaient été incarcérés à la suite des événements de mai 1937.

21En décembre 1941, cʼest au tour de divers responsables du mouvement libertaire, non internés au Vernet, dʼêtre appréhendés : les enquêtes policières sont parties de la découverte dʼun centre de propagande libertaire espagnol à Casablanca et se sont poursuivies dans les régions de Périgueux, Montauban et Toulouse ; elles ont visiblement cherché à élucider les ramifications entre les diverses tendances libertaires et leurs représentants, avant dʼaboutir à des arrestations et au transfert en Algérie dʼautres cadres anarchistes jugés dangereux et internés au Vernet. Ce fut au tour des communistes dʼêtre frappés par la répression en 1942 ; une vaste rafle dans onze départements du Sud-Ouest aboutit à lʼarrestation de 131 Espagnols. Le procès qui sʼensuivit, connu sous le nom dʼaffaire Reconquista de España, eut lieu en janvier 1944 à Toulouse.

22Par rapport au grand nombre dʼEspagnols enrôlés dans les GTE, abandonnant rapidement le recours au volontariat pour le travail dans les chantiers Todt ou en Allemagne, les Allemands procédèrent à des réquisitions individuelles et collectives. Comme dans dʼautres régions, les GTE stationnés dans le Lot connurent des ponctions de travailleurs : une commission franco-allemande de recrutement de la main-dʼœuvre espagnole opéra dans le camp de Catus les 24 et 28 février 1943, ainsi que le 1^er mars suivant, et 114 travailleurs furent embauchés de force36. Cependant, tous les travailleurs officiellement recrutés ne se retrouvaient pas pour autant sur les chantiers allemands. Les archives abondent en plaintes de provenances diverses au sujet des désertions de républicains espagnols. Beaucoup de travailleurs espagnols requis ne se présentaient pas aux convocations. Sur les 150 Espagnols du camp de Cajarc sélectionnés pour aller construire le Mur de lʼAtlantique ou travailler en Allemagne, 30 seulement se présentèrent. Dʼautres sʼévadaient des centres où ils étaient employés par les autorités allemandes. À partir du camp de Cajarc et dʼautres camps lotois, beaucoup dʼEspagnols désertèrent quand il sʼagissait de travailler pour les Allemands. Les réfractaires formèrent, avec le capitaine Philippe – Jean-Jacques Chapou – les maquis des environs37. Déserter signifiait, pour les réfugiés espagnols, aller grossir les rangs des maquis et participer à une résistance active contre lʼoccupant.

23Ainsi, dans le Lot, dans le triangle Grèzes-Espagnac-Camboulit, voisin de Figeac, Jean-Jacques Chapou – fondateur du mouvement Libération dans le département – créa, avec les républicains espagnols, les maquis « Liberté-République-Fraternité ». Encore plus vulnérables que les résistants français du fait de leur condition de réfugiés, les résistants espagnols apportaient leur expérience de la lutte armée acquise en Espagne et étaient des spécialistes des actions rapides de harcèlement des troupes dʼoccupation. Nombre dʼentre eux tombèrent lors des affrontements, comme lʼindiquent diverses stèles érigées dans la région à la mémoire des maquisards tués pendant lʼOccupation. En 1944, les républicains espagnols prirent part à la libération de plusieurs villes, notamment Gramat et Figeac ; ils participèrent à lʼoccupation de la gare de Capdenac, nœud ferroviaire important.

24Internés dans des camps, enrôlés dans des Compagnies de travailleurs étrangers peu de temps après leur arrivée en France, transférés dʼun lieu à lʼautre, engagés sur divers fronts au cours des opérations de la Seconde Guerre mondiale, les républicains espagnols subirent durement les conséquences de la guerre mondiale et de lʼOccupation. Particulièrement surveillés sous Vichy, sans droits reconnus, considérés avec suspicion, les Espagnols furent lʼobjet des réquisitions allemandes. À cette situation de vulnérabilité sʼajoutèrent les interventions du gouvernement franquiste pour obtenir du régime ami de Vichy la surveillance et la livraison de nombre de ses opposants.

25La préoccupation première de la grande majorité des réfugiés fut, pendant cette période, de se faire oublier et de survivre. Lorsque les familles avaient pu, par chance, se reconstituer dans les deux départements après le grand chaos de lʼexode et de lʼarrivée sur le sol français, elles menèrent, la précarité en plus, une vie quotidienne qui sʼapparentait à celle de nombreux Français. Cependant, en dépit de la marge de manœuvre très étroite qui était la leur, des Espagnols reprirent en France, contre lʼoccupant de leur pays dʼexil, le combat contre le fascisme mené en Espagne entre 1936 et 1939.