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Vivre et mourir en temps de guerre de la préhistoire à nos jours

 | 
Patrice Foissac

Guerres nationales (de l'Empire à 1918)

Le recensement des morts pour la France du Lot en 1914-1919 : analyse et constatations

Marie Llosa

Testo integrale

1Le décompte total des décès dus à la guerre a été établi par le rapport Marin de 1919. De là, dans chaque département, un nombre a été donné : pour le Lot, il a toujours été annoncé 6500 décès pour la Grande Guerre. Or, en reprenant les listes des morts pour la France inscrits sur les monuments aux morts, croisées avec les fiches du site du ministère de la Défense « Mémoire des hommes », le nombre de 7877 peut aujourdʼhui être annoncé. En effet, certains disparus nʼont été reconnus morts pour la France quʼen 1920 voire 1922, après le jugement civil. Dʼautres soldats, revenus blessés, sont morts aussi de leurs blessures et de ce fait sont mentionnés sur le monument communal.

2Que révèle ce recensement et comment peut-on expliquer ce manque de plus de mille noms dans ce rapport officiel ? Nous vous proposons de regarder de plus près cette liste et dʼen étudier certains points en particulier. Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux morts au front, les « tués à lʼennemi », pour nous attacher aux différents lieux de décès. Enfin, nous détaillerons certaines catégories de mobilisés dont la mort est imputable au service mais pour dʼautres raisons : les affectés spéciaux, les fusillés et les « embusqués » ainsi que les causes de leur mort.

  • 1 Antoine Prost, « Compter les vivants et les morts : l’évaluation des pertes françaises de  (...)
  • 2 Antoine Prost, op. cit., p. 41.

3Dans un article récent, Antoine Prost indique que lʼévaluation des pertes françaises de 1914-1918 nʼa pas fait lʼobjet de grands débats en France1. Les résultats des différents états répertoriés dans le rapport Marin ont été largement acceptés. Pourtant aucune commission parlementaire ou extra-parlementaire nʼa été créée pour dresser un bilan de la guerre. Ce consensus interroge dʼautant plus que le rapport Marin reprend purement et simplement les évaluations fournies par lʼarmée2.

4Antoine Prost a réalisé des sondages, notamment dans six communes de Meurthe-et-Moselle, et a construit un tableau présentant à la fois les morts selon lʼadministration militaire et selon la municipalité. Deux exemples : Atton aurait un seul décès selon lʼautorité militaire et 18 selon la commune. De même Faulx en compterait 26, et 36 selon la municipalité.

5Dans le Lot, nous avons procédé à un recensement des morts pour la France, en croisant plusieurs sources. La première est un relevé réalisé auprès des mairies par le service de lʼOffice National des Anciens Combattants (ONAC) du Lot, la seconde est le fichier du ministère de la Défense, « Mémoire des hommes », le troisième est un relevé sur des monuments commémoratifs du département. Un premier constat numérique fait apparaître la même observation : un nombre toujours cité de 6 500 morts pour la France, sans une indication précise de son origine. Or, selon la liste que nous avons établie, nous dénombrons 7 877 noms, soit plus de 1 300 noms supplémentaires dont 883 pour lesquels la majorité des données sont manquantes faute de nʼavoir pu nous rendre dans toutes les mairies. Face à cet état, plusieurs observations et explications sont nécessaires pour comprendre cette importante différence.

  • 3 Émile Vigarié, Livre dʼor de lʼAveyron, 6 tomes, imprimerie Georges Subervie, 1922.

6Nous avons également essayé de comparer ce recensement avec celui du livre dʼor de lʼAveyron, réalisé en 19223 et qui reprend dès le lendemain de la guerre une liste, publiée en six tomes, des morts par canton et par communes du département de lʼAveyron.

La notion de « mort pour la France »

7Avant dʼentrer plus dans le détail, il est nécessaire de rappeler la notion de « mort pour la France » et ce quʼelle spécifie exactement.

8Elle regroupe seulement les militaires morts au combat ou des suites du combat. Les maladies non imputables au service en sont exclues. « Mort pour la France » est une mention officielle qui doit figurer dans les registre de décès en marge des actes concernant des militaires tués au combat ou morts des suites de leurs blessures. Elle est instituée par la loi du 15 juillet 1915 pour honorer les morts en les distinguant. Cʼest lʼautorité militaire qui décide de son attribution et elle le précise quand cʼest elle qui constate le décès. Dans les autres cas, morts à lʼhôpital par exemple, il appartient aux familles de demander lʼattribution de cette mention marginale. Aujourdʼhui encore les descendants de soldats quʼils estiment oubliés (morts en captivité ou de maladie pulmonaire provoquée par les gaz, par exemple) effectuent cette démarche, ce qui explique que le fichier des « morts pour la France » ne soit pas définitivement arrêté. Un registre national avait été entrepris au sortir de la guerre avec lʼambition dʼêtre exhaustif, mais il nʼa pas abouti à lʼépoque.

Tués à lʼennemi

9Les tableaux qui suivent nous permettent dʼavoir un panorama des décès dʼune part lors de chaque année, et dʼautre part dans le détail des mois de guerre.

  • 4 RI : régiment dʼinfanterie.
  • 5 Rémy Cazals et André Loez, Dans les tranchées de 1914-1918, Coll. La vie au quotidien, Édi (...)

10La puissance de feu nouvelle des fusils – le Lebel français comme le Mauser allemand qui peuvent tirer une douzaine de coups à la minute, à une portée utile de 600 mètres – et surtout lʼartillerie provoquent quelquefois des paniques, et entraîne partout des pertes effrayantes. Les mois dʼaoût et de septembre 1914 sont les plus meurtriers du conflit pour lʼarmée française : les chiffres ne seront jamais connus exactement, mais une étude récente a avancé pour cette période 235 000 tués et disparus, dont 27 000 morts pour la seule journée du 22 août 1914. À lʼéchelle des unités, ces constats se vérifient : pour le 18e RI4 de Pau le mois de septembre 1914 a été le plus destructeur de toute la guerre avec 577 tués. En août, septembre et octobre 1914, 1 027 tués dans ce même régiment, soit 32 % du total des tués du régiment pendant toute la guerre5.

11Cette même tendance sʼobserve également dans le Lot puisque les pertes se montent pour le département à 557 décès en août, 602 en septembre, 142 en octobre, 163 en novembre et 341 en décembre. Le jour le plus meurtrier pour les Quercynois reste celui de la bataille de Bertrix qui fit 154 morts en une seule journée. Pour cette même année, nous pouvons mentionner également : 82 décès le 8 septembre, 90 décès le 20 décembre.

12Pour lʼannée 1915, nous avons un décompte de 70 morts le 25 septembre 1915, pour les fiches renseignées, sur un total de 1 733 décès soit une centaine de moins pour lʼannée complète. Les jours les plus meurtriers sont les 16, 17 et 18 février cumulant 66, 43 et 23 décès lors de durs combats. À partir de lʼapparition du casque Adrian et de lʼadoption de la tenue bleu horizon, les pertes baissent nettement.

13Durant lʼannée 1916, on estime à 1282 le nombre de décès, soit 750 de moins que pour lʼannée 1914. Ces données reflètent lʼimage des pertes de la longue bataille de Verdun du 20 février au 20 novembre 1916, soit 557 tués pour le Lot. La bataille de la Somme, quant à elle, du 1er juillet au 20 novembre, causera 214 morts lotois. Nous avons pu répertorier pour lʼannée 1916, un total de 2 544 décès.

14Lʼannée 1917 est surtout marquée par les terribles combats sur le Chemin des Dames, avec 23 décès dans le secteur de Craonne le 16 avril 1917. Pour autant, se sera lʼannée la moins meurtrière avec 890 décès.

15Enfin, lʼannée 1918, avec 1 177 soldats, est marquée par lʼépidémie de grippe espagnole, qui fait des ravages à partir de la fin de lʼété, et par le retour à la guerre de mouvement qui mènera à la victoire à partir de cette même période.

16Si les combattants ont été reconnus à leur juste valeur aux yeux de tous, dʼautres ont perdu la vie ailleurs que sur la zone des combats. Voici quelques exemples.

17Dans le département voisin de lʼAveyron, Emile Vigarié a mis en place en 1922 avec lʼaide du comité des familles un recensement pour la réalisation du Livre dʼor de ce département. Nous avons approché les statistiques pour ces deux secteurs limitrophes, lʼAveyron restant à cette période là un département fortement rural, même si le bassin industriel de Decazeville emploie une main dʼœuvre très importante en ce début de siècle. Une grande similitude existe avec le Lot pour le nombre des décès à partir de 1915. La première partie du conflit reste la plus meurtrière pour le Quercy avec la présence des troupes des 7e et 11e RI qui comprennent dans leurs rangs des Lotois tués notamment au cours des combats de la Marne et quelque temps auparavant à la terrible bataille de Bertrix en Belgique.

18Pour autant, la mort qui emporte ces hommes a des causes diverses, les plus importantes étant les éclats dʼobus et les plaies par balles. Ensuite, des causes plus pathologiques ou infectieuses contribuent au rapatriement des soldats vers la zone de lʼarrière-front dans les ambulances ou des hôpitaux, pour gagner ensuite lʼarrière et les structures ouvertes pour le temps de guerre en plus des hospices publics. Le cimetière de Cahors en témoigne encore avec ses sépultures comprenant entre autres des Quercynois enterrés ici et des soldats de tous horizons, y compris dʼAfrique du Nord.

19Cʼest également le cas dans de nombreux départements de France, tout comme dans des villes proches comme Montauban, qui comporte en outre un important carré de soldats allemands.

Les tranches dʼâge

20Le décret du 9 septembre 1914 fait repasser devant le conseil de révision des hommes réformés ou « ajournés » ; on intègre des hommes de lʼarmée territoriale parmi les troupes combattantes. Ceux qui arrivent ainsi pour combler les vides nʼont pas connu la guerre de mouvement et sont précipités directement dans lʼunivers des tranchées.

  • 6 RIT : régiment dʼinfanterie territoriale.

21Nous pouvons constater en reprenant le nombre des décès par tranche dʼâge que les classes les plus jeunes sont les plus atteintes. Les plus âgés, les territoriaux, appelés également les « Pépères », sont moins exposés ou moins longtemps et, de ce fait, sont moins touchés. Lʼécart entre les deux est très important, le plus jeune est de la classe 1918. Il sʼagit dʼAndré Bru, de Puy lʼEvêque, né en 1900 et décédé à 18 ans à Niort dans les Deux-Sèvres, soldat au 7e régiment de hussards. Pour les mobilisés les plus âgés, il sʼagit en premier lieu surtout dʼofficiers, donc de militaires de carrière. Nous pouvons citer : le lieutenant-colonel Laparra de Douelle, né en 1861, commandant le 60e RI, décédé à Tracy-le-Mont (Oise) le 25 mai 1915 ; le capitaine Jean Rey, né à Montcuq en 16 mai 1865, du 129e RIT6, décédé à Vassogne, non loin de Craonne, dans lʼAisne, en juillet 1917 ; ainsi que Louis David, de Souillac, né en 1868, sergent au 18e RI, décédé dans ce même secteur mais le 16 septembre 1914, soit en pleine bataille de la Marne.

22La troupe a également fourni des territoriaux et les Lotois les plus âgés restent Émile Bergounhoux, de Miers, et Augustin Bouzou, de Gramat, nés tous deux en janvier 1869 et mobilisés à 45 ans.

Les autres fronts

23Tué à lʼennemi peut aussi être interprété comme tué par lʼennemi. Or je voudrais évoquer ici le parcours de certains de ces soldats. Généralement, le cas des prisonniers de guerre décédés en captivité ou à leur retour est peu évoqué, pourtant nous en dénombrons 100 en Allemagne, où ils sont décédés, la plupart dans des lazarets, de maladies contractées sur place ou des suites de leurs blessures sans doute mal soignées.

  • 7 Odon Abbal, Soldats oubliés – Les prisonniers de guerre français, Études & Communications (...)

24Louis Marin distingue dans son rapport quatre périodes de capture des prisonniers. Nous avons rajouté lʼannée 1919 car certains dʼentre eux sont encore en captivité à cette date ou tout au moins soignés dans des hôpitaux allemands à la suite de leur captivité. Suivant le rapport Marin, plus de la moitié des prisonniers auraient été capturés durant les 17 premiers mois de la guerre7.

Période Nombre de Lotois
1er août 1914 – 31 décembre 1916 39
1er décembre 1916 – 31 décembre 1916 1
année 1917 13
année 1918 41
1919 5
  • 8 Jean-Pierre Laurens, Prisonniers de guerre, Paris, Berger Levrault, 1918.
  • 9 Rapports des délégués du gouvernement espagnol sur leur visite dans les camps de prisonnie (...)

25Le taux de mortalité relevé pour lʼensemble des prisonniers français retenus en Allemagne oscille entre 3,2 % et 6,4 %. On relève dʼabord les camps de sinistre mémoire comme celui de Wittenberg en Saxe. « En janvier 1915, la présence du typhus exanthématique [y] fut officiellement constatée. On a compté dans une période de trois mois près de 800 morts identifiés8. » Le typhus sévit aussi à Langensalza, à Cassel, où « 616 Français, 348 Russes, 101 Anglais, 3 Belges moururent de cette épidémie et le total des morts du camp, de novembre 1914 à novembre 1915 est de 2007 prisonniers y compris ceux morts à la suite de blessures9 ».

26Adrien Rozières, de Lherm, a pris la peine de raconter son parcours dans un carnet qui est arrivé jusquʼà nous. Il note jour après jour sa capture, sa captivité et ses activités au camp de Wurtzburg où il est interné à la fin de lʼannée 1916. Voici la description quʼil en fait à son arrivée :

  • 10 Würzburg : Camp principal (plusieurs camps : Galgenberg et Marienberg).
  • 11 Extrait du Carnet dʼAdrien Rozière, de Lherm - Collection particulière.

Le camp de Würzburg10, cʼest une vraie cage de fer car de toute part que je tourne la tête ce ne sont que fils de fer barbelés entrelacés très hauts et très fins. Car ainsi le sont les cages de bêtes féroces contre qui on veut empêcher toute évasion11.

27La faim est souvent une des raisons des mauvais traitements pouvant engendrer le décès de ces soldats : il mentionne encore un peu plus loin :

De même que ce cher premier colis qui avec (sic) je vais pouvoir contenter mon pauvre estomac qui souffre tant depuis mon arrivée car il faut croire que depuis ce jour là, on nʼa pas pu manger à sa faim. Chose qui mʼétait inconnue. Et tout le monde au camp était comme moi. (…). Un jour, on a vu venir un inspecteur suisse et il a vu ce qui en était de la nourriture. On a été mieux 2 jours puis cela a été pareil. Le menu se composait de : le matin 6 heures café dʼorge grillé ; 11 heures : soupe claire, portion de rutabaga, dit choux raves ; 6 heures soir : 3e petite portion fromage ou boudin et comme pain 250g par jour noir comme de la terre.

28Il mentionne aussi dans son carnet le décès dʼun jeune camarade :

  • 12 André Lemaire, soldat au 67e RI, est inhumé à la nécropole nationale des prisonniers de gu (...)
  • 13 Extrait du carnet dʼAdrien Rozière de Lherm - collection particulière.

Hier, on nous a appris la mort dʼun camarade de Mainbernheim. La veille que nous sommes allés passer la visite à Kitzingen, on lʼavait envoyé à Wützburg car il était malade et il est mort 10 jours après. Il est enterré au cimetière français de Würtburg. Mes camarades et moi, nous avons versé une petite somme pour acheter une couronne, on enverra au camp pour la porter sur sa tombe avec lʼinscription « à notre regretté Lemaire André, âgé de 21 ans, décédé le 5 juillet 1916 à Würzburg, Les camarades de Mainbernheim reconnaissant12. La couronne a coûté 33 marks.13

Le front dʼOrient

29Les soldats ont également pris part aux combats sur le front dʼOrient (Grèce, Turquie, Serbie etc.). Pour les Lotois, cʼest 118 dʼentre eux qui ont perdu la vie sur ce secteur en Grèce ou en Turquie, ainsi quʼen Serbie ou en Roumanie. Quel périple pour ces agriculteurs ou ouvriers, dont les escapades se bornaient souvent au centre de recrutement le plus proche pour le service militaire !

30Voici comment un soldat de Labenque décrit son voyage jusquʼà Salonique.

  • 14 Extrait du carnet dʼun Lalbenquois - collection particulière.

29 avril : à 4 heures du matin que nous avons quitté le cantonnement pour nous rendre au port pour sʼembarquer à 5 heures du matin (…) le bateau « Djammack ». Nous avons quitté le port vers 9 heures du matin. Et tout le monde sentait encore pendant quelques heures nous avons aperçu la ville mais tout à coup elle nous a disparu, puis nous sommes restés jusquʼau lendemain quʼon ne voyait que ciel et eau.
30 avril : le matin à la pointe du jour nous avons aperçu la terre. À notre gauche cʼétait les îles de la Corse (…) nous les avons longé pendant quelques heures, puis elles nous ont disparu ; (…) dans lʼaprès-midi (…) nous avons longé la côté de la Sardaigne mais vers 4 heures du soir nous les avons quitté puis nous sommes restés jusquʼau lendemain quʼon voyait que le ciel et lʼeau.
Le 1er mai à 8 heures du matin nous avons aperçu les îles de Sicile que nous avons longé jusque 11 heures ; puis dans lʼaprès-midi nous avons rencontré 2 bateaux – le premier à 2 heures et lʼautre à 3 heures. Mais on ne voyait que le ciel et lʼeau.
2 mai : on ne voit que le ciel et lʼeau, mais dans lʼaprès-midi, nous avons rencontré un bateau anglais qui portait le drapeau de [la] croix rouge. Et le capitaine nous a dit que sûrement quʼil devait porter de[s] blessés.
Le 5 mai, à la pointe du jour on entendait le canon qui tirait mais vers 6 heures du matin en avant de nous on aperçut un cuirassier qui bombardait (…). Nous sommes restés toute la journée sans bouger de place puis le soir à la tombée de la nuit nous sommes montés sur de petites barques mais vers 8 heures le soir, les petites barques nous ont porté vers la terre14.

Les fusillés

31Dans toutes les armées existe une justice militaire chargée dʼappliquer un code qui prévoit des peines en fonction des délits et des crimes. Les chiffres retenus aujourdʼhui sont de 550 exécutions dans lʼarmée française, 750 Italiens, 330 Anglais, 48 Allemands (données officielles). La période au cours de laquelle furent exécutés le plus de Français va de septembre 1914 à août 1915. On trouve ensuite deux sommets pour les condamnations à mort, dʼaoût 1916 à janvier 1917 (à la suite des gigantesques batailles de 1916), puis de juin à octobre 1917 (après lʼoffensive de Nivelle et les mutineries), mais elles furent assez rarement suivies de lʼexécution de la sentence.

  • 15 Nous remercions chaleureusement le général André Bach pour nous avoir communiqué ces infor (...)

32Les Lotois font aussi partie de ces mutins et les informations communiquées par le général André Bach15 font apparaître 7 condamnations à mort dont 3 exécutions et une condamnation par contumace pour le département.

  • un soldat du 14e BCP16, arrêté pour abandon de poste du 3 septembre 1914 à La Bourgeonce dans les Vosges, jugé le 4 septembre, fusillé à Rouges-Eaux (Vosges). Un des premiers fusillés après jugement ;
  • un soldat du 7e RI arrêté pour refus dʼobéissance le 8 septembre 1915 en Champagne, jugé le 2 octobre et exécuté le 4 en Champagne ;
  • un soldat du 11e RI, arrêté pour abandon de poste dans le Pas-de-Calais le 28 septembre 1915, jugé le 7 octobre, exécuté le 8.

33Condamnés à mort mais graciés :

  • un soldat du 87e R.I., arrêté pour abandon de poste le 21 décembre 1916, jugé le 14 mars 1917, ayant bénéficié dʼune grâce présidentielle le 27 avril 1917 ;
  • un soldat du 346e RI, arrêté pour abandon de poste le 5 septembre 1916 à Verdun, jugé le 6 décembre, rejugé le 16 décembre, grâcié le 2 janvier 1917, ayant bénéficié dʼune remise de dix ans le 13 août 1919 ;
  • un soldat du 47e RI, déserteur à lʼennemi à Vienne-le-Château (Marne) le 25 février 1916, jugé par contumace le 20 avril 1916 ;
  • un soldat du 308e RI (81e division dʼinfanterie), arrêté pour abandon de poste du 2 juin 1916 dans lʼAisne, jugé le 5 juin, rejugé le 8 juin et condamné aux travaux forcés à perpétuité par le conseil de guerre de la 62e DI.

Les « embusqués »

34Plus péjoratif que « planqué », le terme marque la fracture entre ceux qui risquent leur peau à tout moment et ceux qui ont le privilège de rester à lʼabri pour remplir les fonctions les moins utiles (depuis les affectés spéciaux dans les usines jusquʼaux employés de bureau). Le terme est relatif à la position de celui qui lʼemploie : pour un combattant, un militaire affecté à lʼarrière ou aux bureaux peut être un embusqué ; les civils peuvent également employer le terme. Les embusqués sont soupçonnés dʼavoir obtenu leur position privilégiée grâce à de lʼargent et/ou des relations. Le terme est fréquemment employé de manière ambiguë, les embusqués étant à la fois fortement stigmatisés et (parfois de manière inavouée) enviés pour la sécurité dont ils bénéficient.

35Dans cette catégorie nous pouvons notamment désigner ceux qui sont affectés au fonctionnement des casernes cadurciennes en août et septembre 1914. Nous avons trouvé le cas dʼun soldat du 131e RIT victime dʼun accident de la route à Cahors au début septembre, qui bénéficie effectivement de la mention « Mort pour la France ». La lecture de son extrait de registre matricule est intéressante car ce soldat dispose de deux inscriptions : la première stipule clairement « décès non imputable au service », pourtant un volet est rajouté et sur ce dernier est inscrit « Mort pour la France ».

36Dʼautres soldats plus à lʼabri sont notamment les gardes-voie, dont un est décédé le 14 août 1914 lors dʼun accident de chemin de fer, un second en 1915 et tous deux ont été reconnus « Morts pour la France ». Effectivement les accrochages de trains sont assez fréquents, compte tenu de lʼimportance de cet unique moyen de transport utilisé pour expédier aussi bien les marchandises les plus diverses que la troupe.

Affectés spéciaux

  • 17 Rémy Cazals, Les mots de 14-18, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2003, p. 5.

37Il fallut accepter dans les mines, les usines et les chemins de fer les ouvriers qualifiés qui ne pouvaient être efficacement remplacés par la main dʼœuvre féminine ou immigrée. Ils étaient plus de 500 000 en France en juillet 1917. Ces affectés spéciaux restaient sous lʼautorité militaire et sous la menace dʼun renvoi au front en cas dʼinsubordination17. Nous pouvons citer les exemples de décès de personnes qui travaillaient à la poudrerie de Castres ou à celle de Toulouse : une de Figeac en 1915 à Toulouse et une de Boissières à Castres en 1917.

Les causes de décès

38Si les obus et les balles sont à lʼorigine des blessures les plus graves, certaines maladies sont tout aussi destructrices.

39Il faut distinguer la zone des armées de celle de lʼIntérieur. Dans la zone des armées, on prend en compte la zone du front, les postes de secours et les ambulances. Les blessés ne font quʼy passer. Un peu en arrière, les hôpitaux dʼopération et dʼévacuation (HOE) disposent de milliers de lits et de beaucoup dʼantennes chirurgicales. Tous les blessés ne nécessitent pas de soins lourds, les éclopés, blessés légers, sont dans leurs unités.

  • 18 Cité par Antoine Prost dans son article p. 46-47.

40Selon les statistiques établies par la direction du service de Santé du ministère de la Guerre18, les fiches individuelles établies distinguent clairement les malades des blessés. Pourtant, comme lʼindique Antoine Prost, les statistiques des malades, pourtant plus nombreux, nʼont pas été exploitées. La guerre impose sa hiérarchie des valeurs à la diversité des souffrances et celles que cause le combat méritent seules considération.

41Ces faits sont effectivement tout à fait visibles dans le Livre dʼor de lʼAveyron réalisé par Emile Vigarié en 1920, car nous nʼavons pu que constater les décès des personnes « tuées à lʼennemi », les décès imputables au service, ou cités ouvertement comme de maladie ne sont pas répertoriés. Or, pour le département du Lot, nous avons pu établir que plus de 200 dʼentre eux ont perdu la vie soit dans des hôpitaux temporaires du département, soit à leur propre domicile.

Répartition par année de blessure

Année Statistiques des blessés Décès par maladie dans le Lot
1914 634 923 10
1915 845 663 35
1916 619 450 39
1917 433 577 32
1918 596 888 62
1919 22 055 38
3 sans précision de date

42Portons lʼattention sur ces causes multiples de décès :

43Je ne peux donner ici de chiffres précis sur les origines diverses de ces décès de par le manque de données. Si la loi sur les archives a déjà pu permettre lʼaccès via les fiches « Mémoire des hommes » à certaines de ces données, elles ne sont pas le but final de notre enquête. Malgré tout, elles permettent dʼéclaircir notre propos et de montrer les différents aspects de cette guerre.

  • 19 Rémy Cazals, Les mots de 14-18, op. cit., p. 18.

44Les causes des décès hormis les plaies par balles ou éclats dʼobus peuvent être dʼorigines diverses. Les statistiques françaises font état de plus de 3 millions de blessés, certains ayant pu être touchés plusieurs fois. En dehors des accidents, les blessures furent causées à 60 % par éclat dʼobus, 34 % par balle, 0,3 % par arme blanche19.

45Dans la carte des répartitions par département, nous pouvons constater lʼincroyable nombre dʼhôpitaux ouverts durant le conflit, hôpitaux temporaires ou auxiliaires, dans lesquels de nombreux soldats venus de tous horizons ont été soignés. Cela explique pourquoi aussi les carrés militaires sont aussi nombreux en France y compris dans le Lot : la ville de Cahors dispose dʼun carré entretenu par le Souvenir français, à Saint-Céré un carré municipal est aussi à mentionner tout comme dans dʼautres lieux du département, à Figeac notamment.

46Nous avons des maladies dites infantiles ou infectieuses mais qui font des ravages en lʼabsence à cette époque de médicaments comme la pénicilline pouvant enrayer des infections. Citons la rougeole, la scarlatine, mais aussi la fièvre typhoïde. Cette dernière est à lʼorigine de nombreuses hospitalisations. Cette maladie infectieuse est contagieuse et se caractérise par des troubles nerveux et intestinaux. La vaccination restera la meilleure des préventions mais elle est tout de même à lʼorigine de décès compte tenu des conditions dʼhygiène quasi inexistantes.

47De même, des soldats sont atteints du typhus, souvent les captifs en Allemagne.

48Dʼautres décès sont plus violents, comme les suicides aussi bien sur le front que dans les hôpitaux où sont soignés les patients, tel ce soldat territorial décédé par pendaison suite à une commotion cérébrale par ensevelissement.

Lʼobusite

  • 20 Louis Crocq, Les traumatismes psychiques de guerre, Paris, Odile Jacob, 1999.
  • 21 www.crid1418.org ; lexique des termes employés en 1914-1918.

49Dʼautres peuvent être atteint de troubles mentaux tels lʼobusite20 qui est le nom donné en France aux affections psychologiques consécutives à lʼexpérience du bombardement21. Cet aspect a fait récemment lʼobjet dʼun film, Les fragments dʼAntonin.

50Toutefois les causes par maladies concernent surtout des pathologies pulmonaires telles des pleurésies, des broncho-pneumonies, voire la tuberculose, ou encore une fatigue générale.

51Enfin, il ne faut pas omettre les nombreux décès dus à lʼépidémie de grippe espagnole qui dura de septembre 1918 à avril 1919. Ce fléau tua plus de 210 000 personnes en France.

52Pour cette période, nous relevons dans les causes de décès de nombreuses pneumonies grippales ou broncho-pneumonies grippales. De plus, certains étant en permission sont décédés ainsi à leur domicile.

  • 22 Dictionnaire médical Larousse à cachexie.

53Deux soldats décédés à Salonique ont perdu la vie suite à une « cachexie palustre » cʼest-à-dire une altération profonde de lʼorganisme parvenu au dernier degré de lʼaffaiblissement. Elle est la conséquence de maladie prolongée22, ici le paludisme.

Conclusion

54Si le rapport Marin a essayé de fixer des chiffres pour que la reconstruction des villes et villages mais aussi des vies puisse se réaliser, ce recensement avait pour objectif dʼéclaircir le parcours de ces Quercynois durant la Grande Guerre. Si les combattants perdent la vie, ils ont eux aussi un frère, un cousin, un camarade de village, voire une épouse, une sœur, une mère qui peuvent mourir aussi. Adrien Rozières nous le rappelle :

Cʼest dur dʼêtre exilé, loin de France sur une terre étrangère, loin de ceux que lʼon aime et apprendre la mort de quelquʼun de sa famille. Quand finiront-ils tous ces tourments ? Sur les 13 camarades que nous sommes, il y en a 8 qui ont perdu quelquʼun depuis la guerre, soit un frère, sœur, père ou mère. Ceux qui sont la cause de cette guerre doivent en avoir gros sur le cœur dʼêtre à lʼorigine de tous ces grands malheurs.

55Il nous montre également combien la route fut longue pour partir et pour revenir « au pays ».

Le 18 décembre. Le départ. Joie. Nous quittons le camp de Würzburg à 10 heures du matin pour nous rendre à la gare. Nous embarquons à 11 heures, nous passons à Sauda, Osterbruken, Karlsruhe, Offenburg, Mülheim, Bäle en Suisse, Delle, Besançon, Dôle, Auxonne, Dijon, Chagny, Châlons sur Saône, Mâcon, Lyon, Valence, Lidron, Montélimar, Avignon, Tarascon, Nîmes, Sète, Béziers, Narbonne, Carcassonne, Toulouse, Agen, Castelfranc.

Note

1 Antoine Prost, « Compter les vivants et les morts : l’évaluation des pertes françaises de 1914-1918 », dans Le Mouvement social, janvier-mars 2008, p. 41-60.

2 Antoine Prost, op. cit., p. 41.

3 Émile Vigarié, Livre dʼor de lʼAveyron, 6 tomes, imprimerie Georges Subervie, 1922.

4 RI : régiment dʼinfanterie.

5 Rémy Cazals et André Loez, Dans les tranchées de 1914-1918, Coll. La vie au quotidien, Éditions Cairn, 2008, p. 28.

6 RIT : régiment dʼinfanterie territoriale.

7 Odon Abbal, Soldats oubliés – Les prisonniers de guerre français, Études & Communications édition, 2001, p. 30-31.

8 Jean-Pierre Laurens, Prisonniers de guerre, Paris, Berger Levrault, 1918.

9 Rapports des délégués du gouvernement espagnol sur leur visite dans les camps de prisonniers français en Allemagne, 1914-1917, Librairie Hachette & Cie, 1918, p. 306.

10 Würzburg : Camp principal (plusieurs camps : Galgenberg et Marienberg).

11 Extrait du Carnet dʼAdrien Rozière, de Lherm - Collection particulière.

12 André Lemaire, soldat au 67e RI, est inhumé à la nécropole nationale des prisonniers de guerre à Sarrebourg (Moselle).

13 Extrait du carnet dʼAdrien Rozière de Lherm - collection particulière.

14 Extrait du carnet dʼun Lalbenquois - collection particulière.

15 Nous remercions chaleureusement le général André Bach pour nous avoir communiqué ces informations.

16 BCP : bataillon de chasseurs à pied.

17 Rémy Cazals, Les mots de 14-18, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2003, p. 5.

18 Cité par Antoine Prost dans son article p. 46-47.

19 Rémy Cazals, Les mots de 14-18, op. cit., p. 18.

20 Louis Crocq, Les traumatismes psychiques de guerre, Paris, Odile Jacob, 1999.

21 www.crid1418.org ; lexique des termes employés en 1914-1918.

22 Dictionnaire médical Larousse à cachexie.

Autore

Doctorante à lʼuniversité Toulouse-Le Mirail. Membre du CRID-1418 (Collectif de recherche International et de débat sur la guerre 1914-1918).

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