1Août 1914 : la mobilisation fait irruption dans la société lotoise. Dans un département essentiellement rural, lʼannonce faite par le tocsin intervient en ces longues journées où lʼon sʼaffaire à rentrer les blés. En quelques jours, des milliers de Lotois vont sʼarracher à leur famille et à leur terre pour rejoindre les centres de mobilisation ou leurs unités.

2Depuis les années 1970, lʼimage quasi officielle qui sʼétait imposée dès le début du conflit de tout un peuple partant la fleur au fusil est remise en cause. Mon propos est de voir si cette vision traditionnelle de lʼacceptation enthousiaste de la guerre doit être acceptée ou rejetée dans lʼespace qui nous concerne. Peut-on identifier, à défaut dʼhypothétiques résistances, des attitudes divergentes ?

3Quels sont les faits incontestables ? Le préfet du Lot nʼeut à faire traquer par les gendarmes aucun déserteur dans le département. Cependant, lʼabsence du refus absolu que signifie lʼinsoumission ne nous dit rien sur lʼattitude et les réactions profondes des populations lotoises face à lʼévénement du premier août 1914 !

4Certes la conviction dʼune agression allemande ne fait pas de doute pour les Lotois du temps, et la défense de la nation demeure inextricablement liée à la nécessité de protéger les femmes et les enfants. Cependant, si les fils du Lot, disciplinés, se préparent au départ, doit-on parler pour autant dʼenthousiasme patriotique ?

5Pour répondre à cette question, il faut dʼabord reconstituer la façon dont fut vécue, dans le Lot, la courte crise de lʼété 1914. Les sources : correspondances, journaux dʼinstituteurs, etc., heureusement ne manquent pas, même si les greniers familiaux devraient encore livrer des témoignages qui pourront réformer ou compléter dans les années à venir les propos dʼaujourdʼhui.

La crise internationale

6La presse locale accorde une assez large place au compte-rendu circonstancié de lʼattentat de Sarajevo, sans que la restitution de lʼévénement ne permette de comprendre ses développements possibles. Le ton, aucunement alarmiste, est plutôt de sympathie pour le vieux François-Joseph. Aucun effort dʼanalyse de la situation balkanique ne vient éclairer les lecteurs. LʼUnion républicaine du Lot, qui privilégie systématiquement lʼactualité locale, relègue la nouvelle en avant-dernière page, entre lʼannonce de lʼouverture de bains-douches à Cahors et lʼétat civil du mois de juin.

7Le 3, le Journal du Lot rend compte des manifestations anti-serbes qui secouent Sarajevo. La Dépêche se contente de signaler, dans un premier temps, lʼimportance de lʼassassinat de lʼarchiduc François-Ferdinand, notant surtout les aspects spectaculaires de lʼévénement plus que les incidences politiques, le reléguant presque aussitôt en deuxième et en troisième page. Le 5, Le Journal du Lot sʼinquiète « des représailles qui commencent à gronder » dans certains milieux autrichiens, mais conclut quʼil faut « avoir foi dans lʼhomme auguste qui demeure seul à ce gouvernail impérial ».

8Le 12 juillet, la situation internationale revient à la une et le ton, désormais à la préoccupation, sʼinfléchit nettement. « Lʼattitude de la presse allemande, interprète fidèle de la pensée gouvernementale fut de pousser les choses au pire et dʼengager lʼAutriche-Hongrie aux résolutions irrévocables. Tout nʼest dʼailleurs pas fini et le foyer dʼincendie nʼest pas éteint… » écrit Émile Laporte dans le Journal du Lot. Les préparatifs du voyage officiel du Président de la République, Raymond Poincaré, en Russie et le procès de Mme Caillaux occupent, les jours suivants, lʼessentiel des colonnes de la presse départementale. Ce nʼest que le 24 juillet, par une brève parue dans le Journal du Lot, que lʼinquiétante actualité internationale refait son apparition. On parle « dʼun probable ultimatum du cabinet de Vienne au gouvernement serbe. […] La démarche sera très énergique et on envisage la possibilité dʼune guerre localisée à lʼAutriche et à la Serbie ». Le lendemain samedi, alors que le marché bat son plein, les journaux locaux font afficher en ville les dépêches de leurs correspondants parisiens. En un instant lʼambiance change. On sʼinterpelle avec animation : « la guerre va éclater ». La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Ce jour là, les Cadurciens abasourdis prennent conscience de la gravité de la situation internationale.

La courte montée des périls vécue à Cahors

9Jean Gardes, gendarme à la retraite, écrit le 27 juillet à sa fille Marie, gérante de lʼimprimerie que possède Albert Coueslant à Alençon : « Depuis hier, lui dit-il, ils ont fait rentrer les officiers qui étaient actuellement en permission. Ils ont commencé à verser les effets de toile et les ballots sont faits pour donner aux territoriaux comme gardiens des voies de communication et leurs lettres de convocation sont sous enveloppes prêtes à mettre à la poste pour les appeler. Enfin cela fait frémir, il faut espérer que Dieu mettra la main et que tout ce passera pour le mieux. » Le mardi, des groupes nombreux stationnent devant les kiosques à journaux. « Sʼil faut y aller, on ira » entend-on répéter désormais. On apprend le rappel des permissionnaires du 7^e. Un second fait témoigne de lʼaggravation de la crise : le 23^e dʼartillerie à lʼexercice dans les environs de Gramat quitte précipitamment le Lot pour rejoindre Toulouse.

10Le mercredi 29, le Journal du Lot consacre quatre colonnes à la situation internationale : « violent conflit entre lʼAutriche et la Serbie », titre-t-il. Néanmoins la rédaction, qui rend compte des démarches diplomatiques, semble encore croire que la guerre pourrait être circonscrite à ces deux protagonistes. Le Réveil du Lot entrevoit parmi les échanges de vues des puissances lʼissue favorable de la crise : « Au bord du précipice, lʼEurope sʼest ressaisie. À la veille dʼune conflagration qui jetterait plus de 400 millions dʼhommes les uns contre les autres, qui verrait la ruine du vainqueur comme du vaincu… lʼEurope sʼest prise à réfléchir » affirme-t-il, conseillant le calme à la population de Cahors « où règne une effervescence légitime », car, ajoute ce journal, « certains faits ont même été considérablement grossis, beaucoup en ont conclu que la guerre sera inévitablement déclarée sous peu de jours. Cʼest aller trop vite ».

11La fermentation des esprits atteint les militaires de la garnison, particulièrement intéressés à la marche des événements. Simon Gardes, sergent au 7^e, confie par lettre à sa sœur Marie le 29 juillet :

Je vois que tu as lʼair de te faire beaucoup de mauvais sang pour moi à cause de la guerre. Tu sais que, si elle éclate, il faut que je parte et cela fait que si je vous sais tous à vous faire de la bile et pleurer, comment veux-tu que moi, qui nʼai besoin que de courage et de sang-froid, je résiste à tout cela ? Je puis tʼaffirmer que sʼil le faut, je partirais de bon cœur et avec du courage en main. Tu sais quʼentre lʼAllemagne et nous il faut que ça casse une fois ou lʼautre. Si lʼheure est arrivée, nous verrons qui aura le dernier mot, mais nous ne craignons rien. Dans le 17^e corps nous nous mobilisons en silence et nous préparons la guerre. Tous les permissionnaires sont rentrés. À lʼheure actuelle nous attendons le grand coup. La population est très agitée et les ouvriers des campagnes commencent à se préparer pour rentrer à lʼordre dʼappel.

12Le vendredi 31 juillet, « lʼassassinat de Jaurès éclate comme un coup de foudre » raconte Pierres Sudres, un membre du cabinet du préfet. « Crime de fou ? Attentat politique ? On ne sait », sʼinterroge t-il. « La stupeur est générale. Sur le boulevard Gambetta, la foule va et vient, inquiète. Elle se presse sur les vitrines des marchands de journaux pour lire les dernières dépêches. Les commentaires sʼéchangent, cherchant à scruter lʼénigme du lendemain. La boutique de « Frasie » est devenue le centre de la vie cadurcienne. Soirée tiède étouffante ! On respire mal ! Lʼacquittement de Mme Caillaux vient apporter une note nouvelle sans pouvoir néanmoins servir de diversion. Les faits semblent vouloir sʼenchaîner de plus en plus à présents », conclut laconiquement le jeune homme.

13Vers minuit, les Cadurciens, que lʼanxiété tient encore éveillés, observent intrigués une agitation inaccoutumée en ville. Une corvée de soldats se rend à la mairie pour prendre des fusils que lʼon distribue aux hommes chargés du service des communications. Des cyclistes militaires circulent en ville, convoquant les commandants de compagnie à la caserne. La salle du service télégraphique reste éclairée jusque tard dans la nuit. Au matin du premier août, le 7^e RI qui avait quitté la ville pour aller exécuter une manœuvre en campagne est rappelé au quartier. Les soldats remontant le boulevard entonnent la Marseillaise et le Chant du Départ. Toute la journée, des groupes se forment en ville, où chacun soupèse les dernières chances de maintenir la paix. Les moindres faits sont commentés abondamment. Les journaux sʼarrachent littéralement dès leur parution « et chacun, muni de sa feuille, va sʼisoler pour parcourir avec hâte les dernières nouvelles ». Si dans les conversations domine encore lʼespoir « que tout puisse sʼarranger pour le mieux sans le canon », on forme unanimement des vœux pour le triomphe de la Serbie et on souhaite une bonne « raclée » à lʼAllemagne ; mais, les heures passant, une même phrase revient sur toutes les lèvres : « ça ne peut durer, il faut en finir ». Sur ces entrefaites, on apprend que les maréchaux-ferrants et forgerons doivent rejoindre leurs unités et les territoriaux désignés pour la garde des voies de communication les postes qui leur ont été assignés. À la préfecture, les réunions de crise se succèdent depuis le matin, rassemblant chefs de service et officiers. Des mesures sont prises pour procéder au plus vite à lʼaménagement des bâtiments scolaires où lʼon prévoit de faire cantonner les soldats. Dans lʼaprès-midi, paraît un décret préfectoral interdisant lʼexportation du département vers lʼétranger des biens et produits nécessaires aux armées tels que bois de fusil, chevaux, conserves de viandes, nitrate de soude, plomb, nitroglycérine, dynamite, essence, etc.

14Néanmoins, lʼoptimisme un peu forcé de la rédaction du Réveil ne se dément dʼabord pas. Lʼéditorial du 1^er août paru en début dʼaprès-midi conclut ainsi : « Il nʼy a jusquʼici aucune raison de sʼalarmer, dʼailleurs les dernières nouvelles sont plutôt rassurantes et on a tout lieu de croire quʼun conflit européen sera encore cette fois-ci évité ». Toutefois, en bas de page, un encart de dernière minute annonce : « M. Jaurès a été assassiné… un ordre de mobilisation va paraître ». Le télégramme officiel signé Raymond Poincaré atteint ce même jour le préfet du Lot vers 16 h 15. Le rappel des classes de réserve est affiché peu après sur le boulevard.

Déjà les cloches de la cathédrale sʼébranlent, raconte Sudres, celles des autres églises ne tardent pas à les soutenir de leurs notes lentes et lugubres. Cʼest le tocsin qui va se répercuter jusque dans les plus lointains villages. Je quitte la préfecture, la rue de la Liberté est animée. Les habitants sont descendus sur les trottoirs et sʼinterpellent. Les femmes pleurent et se désespèrent. Elles mʼinterrogent au passage. Je ne peux que confirmer la fatale nouvelle. Maintenant les tambours parcourent les rues de la ville battant la générale. Le ciel sʼest assombri. De gros nuages couvrent la cité des Cadourques. Le temps semble vouloir sʼassocier à la tristesse qui envahit les cœurs ». En fin dʼaprès-midi, « une foule nombreuse de jeunes gens, dʼhomme de tout âge et de toutes conditions parcourent le boulevard précédés de drapeaux.

15Le dimanche 2 août, la crise occupe désormais huit colonnes du Journal du Lot. Le compte rendu des ultimes démarches pour préserver la paix se veut précis et objectif. Les mesures de mobilisation autrichienne et allemande sʼégrènent sinistrement. Le ton se veut ferme mais mesuré : « notre amour de la paix nʼest pas inspiré par la peur de la guerre. La France ne redoute pas un conflit mais elle ne le désire pas ». Cependant, sʼinstalle déjà le discours dʼunion sacrée quʼincarnera la ligne éditoriale du journal. Reprenant les paroles de Louis-Jean Malvy, député du Lot mais surtout ministre de lʼIntérieur chargé de la mobilisation, Louis Bonnet conclut : « ce nʼest plus un militant du parti radical socialiste qui vous parle, Messieurs, cʼest un Français qui sʼadresse à des Français ». Dimanche et lundi, une vive animation règne en ville. Les trains sont tous bondés de réservistes qui rejoignent leurs régiments dʼaffectation. La population attend impatiente des nouvelles de la capitale, mais le télégraphe et le téléphone ne sont plus à la disposition du public et le courrier ne parvient plus, hormis quelques journaux imprimés sur une seule feuille. On procède à la mobilisation des chevaux et des voitures. La police fait retirer toutes les affiches des bouillons Kub réputées comporter des indications codées à lʼusage des agents allemands. La grande plaque apposée sur la vitrine du café Pendaries est brisée par des jeunes gens. La foire du lundi est quasiment désertée et lorsque vers 19 h 15 un détachement de cinquante gendarmes quitte Cahors, la foule sur le boulevard leur fait une longue ovation. Le mercredi, ce sont les Gourdonnais qui font leur entrée en ville précédés dʼun drapeau et aux accents de La Marseillaise.

16« Les hommes partent », écrit le 5 août Clémentine Gardes à sa fille Marie. « Nous sommes dans un moment bien triste de voir partir tous ces pauvres hommes. Jamais de la vie je nʼai vu autant dʼhommes dans Cahors ». Quelques jours plus tard, Jean Gardes sʼétonne encore : « À Cahors, cʼest inouï et lʼon ne peut comprendre dʼoù viennent tant de troupes et tant de matériel de guerre qui passent à Cahors, se rendant sur le théâtre des opérations. Depuis le 2, il passe un train chargé tous les quarts dʼheure. Il en arrive tous les jours et je ne sais pas quand cela finira » (12 août 1914).

La population rurale et la montée des périls, des populations qui vivent dans un temps plus long

17En cette période de longues journées où lʼon sʼaffaire à rentrer les blés, les campagnes lotoises, que la presse nationale pénètre peu et guère plus la presse départementale, demeurent largement étrangères au récit de la surenchère diplomatique qui conduit le continent à la guerre en quelques jours.

18Le journal de lʼinstituteur dʼAlbas, Ernest Lafon, nous restitue précisément la façon dont fut vécue la crise dans un village de la basse vallée. Jusquʼau dimanche 26 juillet, on vaticine dans tous les groupes, sur la place publique, au café, chez le barbier, sur lʼissue du procès Caillaux. Les manchettes sensationnelles des journaux de Cahors qui parviennent ce matin-là répandent la première alarme, sans que lʼon ne sʼémeuve sérieusement de la possibilité dʼune conflagration européenne.

19Le lundi 27, lʼintérêt pour le procès Caillaux décroît sensiblement, la gravité de lʼheure apparaît aux plus timorés, assure lʼinstituteur. On sait que les carnets de mobilisation ont été distribués aux agents de la compagnie dʼOrléans, sur la ligne de Cahors à Monsempron-Libos. Le mardi, Lafon avoue que « cʼest avec une fièvre croissante quʼon attend lʼarrivée du courrier. Incapable de continuer ma classe avec calme, je fais les cent pas autour des rangées de bancs, guettant lʼarrivée du courrier. Quʼapportera-t-il encore ce matin ? ». Le soir, de nombreux groupes se forment sur la place et commentent anxieusement les nouvelles. On dit que de grands mouvements de troupes sont signalés sur la frontière autrichienne. À la poste, toute la journée, sʼest échangé un grand nombre de télégrammes, les Albassiens de Paris sʼefforçant de contacter la famille au pays.

20Le mercredi 29, les artisans du bourg ont perdu le goût du travail. Ils passent la journée dans les rues et sʼinterrogent. Lafon convient que, distrait dans son travail, il a désormais « des absences fréquentes et que son oreille est constamment tendue vers les rumeurs qui viennent des fenêtres ouvertes ». Le soir, les commentaires vont toujours bon train. On a le sentiment que si lʼAllemagne veut la guerre, rien ne pourra lʼéviter. Le village se couche avec lʼimpression que lʼon sera bientôt fixé.

21Le jeudi 30, le maître dʼécole constate que lʼémotion gagne la campagne. Du perron de lʼécole, il voit des gens graves, dissimulant au fond de leur poche le livret vert de la caisse dʼépargne, se diriger vers la poste. Lʼaffolement atteint la petite épargne. Mme Caillaux est acquittée mais « cette sensationnelle nouvelle nʼa plus que lʼimportance dʼun fait divers ». Le soir, sous les ormeaux, la population attend lʼarrivée du courrier avec une impatience marquée. « Au moment où sʼarrête lʼomnibus, une foule anxieuse se presse autour de lʼattelage fumant. Dʼune voix mal assurée, Albert nous apprend que les voies sont gardées militairement dans la région et que le 7^e dʼinfanterie se prépare à partir au premier signal. »

22Le vendredi, deux cyclistes courent à la gare de Castelfranc prendre les journaux ; ainsi Albas peut connaître les nouvelles avec 2 heures dʼavance sur lʼhoraire habituel. Elles ne laissent pas dʼêtre inquiétantes. Une activité fébrile règne sur le réseau dʼOrléans, il passe des rames vides, de nombreux trains seraient maintenus sous pression. Une heure avant minuit, le maire reçoit la dépêche donnant lʼordre de tenir prêts les chevaux de réquisition.

23Au matin du samedi premier août, un calme absolu règne dans le bourg. Les artisans ont déserté leur boutique mais, en cette chaude matinée dʼété, les paysans sont aux champs. Le boulanger Soulacroup arrive à bicyclette de la gare et jette à la cantonade : « Jaurès a été assassiné ! ». « Ce fut un véritable coup de massue assené sur nos cerveaux déjà si abattu », commente Ernest Lafon. À 10 h du matin, une Luzechoise de passage qui a pu se procurer la seconde édition de La Dépêche apprend au village la décision dʼune mobilisation partielle. À 2 h et demie, une autre femme qui rentre de Cahors rapporte que les territoriaux sont déjà partis assurer la garde des voies ferrées. Le télégramme transmettant lʼordre de mobilisation parvient à la poste dʼAlbas à 5 h de lʼaprès-midi. Lorsque la préposée quitte précipitamment son bureau pour se rendre chez le maire, une partie de la population du bourg, subitement alertée, lui fait cortège. « De ses doigts fébrilement agités, M. Mourgues décachète le petit bleu. Il jette un coup dʼœil et passe machinalement la main sur son front. Dominant son émotion, il articule nettement la phrase qui tombe lugubre au milieu du solennel silence : Par décret du Président de la République, la mobilisation générale des armées de terre et de mer est ordonnée ; premier jour de la mobilisation dimanche 2 août. » Le tocsin sʼélève à lʼinstant où les enfants quittent les classes. « Devant les affiches placardées à la mairie, les mères, les femmes, les sœurs viennent lire lʼordre de mobilisation générale puis, les yeux dérobés au pli de leur tablier, elles sʼen furent au secret du foyer pleurer et calmer leur trouble, pour ne pas influencer les hommes. Ce nʼest quʼaprès que les hommes sʼattroupèrent devant les affiches tricolores. Point de bravade, mais lʼâpre et calme résolution de faire face à lʼinéluctable et chacun retourne chez soi préparer la musette ». Seuls quelques jeunes gens raillent le destin et sʼinterpellent : « Quand pars-tu ? Où vas-tu ? As-tu graissé tes godillots ? »

24Au sud du Lot, ce même jour, E. Piécourt, un adolescent de 13 ans à lʼépoque, raconte : « On dépiquait à la machine à Bouquet à coté de Sérignac. Cʼétait le soir vers 5 ou 6 heures de lʼaprès-midi, jʼétais moi-même à une pièce de terre qui a pour nom la Garenne ; voilà que tout à coup la cloche de Sérignac se met à sonner ainsi que les cloches des environs, Ferrières, Floressas, Mauroux, Lacapelle… mon père, le soir quand il rentra, nous dit « Nous avons eu beaucoup de mal à dépiquer ; quand la cloche a sonné tous les jeunes sont partis. Presque personne nʼest resté pour manger, tout le monde était atterré. »

Ambiance générale : sentiments religieux et tensions économiques

25Lʼambiance particulière de cette journée de mobilisation paraît empreinte, pour ceux qui restent, de la légitime et bien compréhensible émotion que suscitent les menaces qui assombrissent le destin dʼun être cher. Elle se teinte de lʼangoisse que suppose, pour des populations rurales, la drastique raréfaction de la main dʼœuvre, conjuguée quelques fois à la privation de lʼoutil de travail, réquisitionné par les commissions de remonte et du train des équipages. À Tour-de-Faure, Eugénie Valette décrit à son fils unique les premières manifestations de la guerre dans son village. « Que te dirayge, mon petit Marcel, tout ce que tu sait, toute la journée il monte et desan des trin bondés dʼhomes qui partent. Tous ces hommes nous fons leurs adieu, cela nous fait mal au cœur. Il parait que les trois fils Besse partent la semene prochaine qunital le […] est eque de Paul Balitran sont partie ce matin ainsi que Hanrie Bras. Demain matin tous les cheveaux de Tour-de-Faure vont a Cahors, tous sans exption ce qui derange bien les proprietere. Garigou qui na pas de bœuf, il les a vandue comme nous, voila que Conquet atandait Antonin et Balmes pour dépiquer mais anvin ils doivent ettre partie… » (orthographe conservée).

26Quant aux futurs poilus, la réunion de quelques vivres et effets personnels ne sont pas leurs seules préoccupations dʼavant départ. En cette heure douloureuse, une large majorité dʼentre eux revient à la pratique consolatrice de la religion que la plupart de ces hommes nʼa jamais véritablement quittée. Beaucoup entendent la messe, se confessent et communient avant de partir. On glisse dans les poches des médailles, des scapulaires. Les soldats ne sont pas seuls à connaître ce réveil du sentiment religieux. Toutes les églises de Cahors regorgent de fidèles pendant ces journées de la mobilisation. « Et bien, chère Marie, écrit Clémentine Gardes à sa fille le 5 août, lui recommandant son frère, nous nʼavons quʼà prier que le bon Dieu le conserve. Il mʼa dit quʼil voulait aller se confesser avant de partir. Je me suis procuré des médailles, une qui remplace le scapulaire, lʼautre, médaille miraculeuse que je lui mettrai dessus. On fait des prières tous les soirs pour notre chère patrie. Tous les vicaires de la cathédrale sont partis, il ne reste plus que le curé. » Cette réaffirmation du sentiment religieux est attestée dans lʼensemble du département. « Les habitants de Luzech », nous dit La Revue religieuse de Cahors et Rocamadour, « se sont montrés beaucoup plus assidus quʼà lʼordinaire lors de la retraite annuelle de Notre-Dame-de-lʼIle ». Lʼimpression fut de « profonde piété et de recueillement ». Deux mille communions ont été distribuées.

27Néanmoins, ces heures sont aussi marquées par lʼâpreté du gain. À peine lʼordre de mobilisation est-il connu que le prix des denrées de première nécessité, comme le pain, subit une hausse importante. Repoussant les bornes de la cupidité, certains commerçants, installant leurs étals en gare de Cahors et de Souillac, vendent 1 F voire 1 F 50 le litre de vin aux soldats mobilisés et 75 centimes le pain dʼun kilo, soit trois fois et deux fois le prix normal.

Quʼen est-il de lʼétat dʼesprit des partants ?

28Repérons-nous ces légendaires scènes dʼenthousiasme patriotique si souvent évoquées ? Autant dire tout de suite que les témoignages sont divergents. Le mercredi 3 août, le Journal du Lot affirme péremptoirement : « sitôt la nouvelle connue, nos braves populations se sont empressées de faire les préparatifs nécessaires pour partir et rejoindre leur corps, lʼenthousiasme est grand parmi les populations, elles sont toutes animées dʼun grand enthousiasme patriotique. » Cʼest la transcription locale de la vision qui sʼimposera pour de longues années dʼune opinion publique censée être belliqueuse et unanimement enthousiaste au moment de lʼaccueil puis du départ à la guerre « la fleur au fusil ». Quʼen est-il réellement pour les 205 000 Lotois ?

Dans la préfecture, le départ des régiments lotois…

29Un soldat, Jean-Baptiste Delcayre, de Meyronne, affecté au 131^e RIT, qui écrit le 7 août de Cahors à son épouse pour la rassurer sur sa santé, lʼinforme de lʼétat dʼesprit depuis lʼannonce de la mobilisation : « Une grande animation règne dans la ville parmi les soldats et dans la ville, tout le monde encourage et tous les régiments qui passent pour aller à la frontière sont salués par des « Bravos » et « Vive la France ». Cʼest curieux à voir. Notre détachement est rentré à la caserne le jour de notre arrivée en chantant la Marseillaise et drapeaux en tête. Les officiers étaient joyeux, mon commandant nous a félicité. » Les Cadurciens, pendant ces journées, ne marchandent pas leur soutien patriotique aux soldats, mais cʼest véritablement à lʼoccasion du départ des trois régiments lotois que la population met en scène sa ferveur patriotique.

30Le premier à partir, le 5 août, est le 7^e RI, régiment implanté à Cahors depuis 1873 et qui fait partie de lʼarmée active. À 14 h 00, le premier bataillon franchit les portes du quartier Bessières avec à sa tête le colonel et la musique. « Les voies conduisant à la gare débordent de foule : acclamations, bouquets escortent le régiment. Sur le boulevard, des capitaines à cheval saluent du sabre leurs femmes et leurs familles qui regardent des terrasses » (Souvenirs du médecin de réserve L. Delon). Les soldats entonnent « les chants guerriers de la Révolution ; au bout de leurs fusils ou à leurs képis, de nombreux soldats avaient attaché de petits drapeaux tricolores » (Journal du Lot, 6 août 1914). Lʼévêque, à proximité de la gare, bénit le drapeau, suscitant les applaudissements. Ce geste symbolise le début de lʼUnion sacrée entre partisans de la politique de laïcisation et conservateurs fortement attachés à la tradition catholique. À 19 h, après un violent orage qui nʼa pas dispersé la foule, le deuxième bataillon part à son tour. « Les soldats avaient attaché des bouquets de fleurs, de laurier, à leurs fusils ». La population les salue avec frénésie. Le troisième bataillon rejoint vers 21 h la gare dont les quais sont toujours noirs de monde. Des cortèges chaleureux saluent le régiment sur tout son parcours lotois. À Souillac, une imposante manifestation lʼaccueille, une gerbe de fleurs portant lʼinscription : « nos vœux vous accompagnent » est offerte au colonel Hélo.

Tu nous dit avoir vu des trains de soldats venant de Bretagne tout enguirlandés et les soldats plein dʼentrain », écrit J. Gardes à sa fille, « il en était de même de ceux passant à Cahors. Cʼétait magnifique à voir. Quand le 7^e est parti de Cahors, cʼétait féerique de voir cet entrain et des petits drapeaux au bout de leurs fusils. Oui ! cʼétait à ne pas sʼen faire une idée de voir cet entrain de ces pauvres petits soldats de partir pour un pareil carnage et se dire quand les reverrons nous ?

31Les mêmes scènes se renouvellent le dimanche 9 août lorsque, vers 20 h 30, sʼembarquent les réservistes du 207^e RI. « Le pauvre Simon est parti dimanche au soir à 9 heures » raconte Jean Gardes à sa fille dans une lettre du 12 août, « avec ta mère, nous sommes allés lʼaccompagner jusquʼà lʼentrée de la gare. Il est parti très gai, même il ne faisait aucun signe de mécontentement. Il a confiance dans lʼavenir, dans sa compagnie. Les réservistes et ceux de lʼactive ont aiguisé les baïonnettes avec une lime. Je pense que sʼils venaient à rencontrer ce sale ivrogne de Guillaume, il passerait un mauvais quart dʼheure ». « Quand le 207^e est parti », ajoute-t-il dans une autre lettre en date du 24 août, « il nʼy avait pas tant de drapeaux au fusil ni de musique. Ils sont partis la nuit et le lieutenant-colonel lʼavait défendu. Néanmoins il y avait le même entrain, contents et joyeux. Simon était le chef du 11^e wagon. À quand le reverrons-nous ? On dit bien que ce ne sera pas long, mais qui sait ? ».

32Le 11 août, cʼest enfin au tour du 131^e régiment dʼinfanterie territoriale de quitter la ville. La mise sur pied de cette unité, composée dʼhommes âgés de 35 à 39 ans, se déroule dans une indescriptible « pagaille ». Aussi, cʼest « dans un brouhaha continuel que, suivant les rumeurs quotidiennes qui circulaient à la caserne, chacun voulait tour à tour aujourdʼhui être compris dans le nombre des partants et le lendemain, au contraire, figurer parmi ceux désignés pour rester » (souvenirs de campagne du 131^e territorial, Georges Murat). En plein midi, ces « pépères » sʼefforcent de faire bonne figure en défilant au milieu de la population qui les « ovationne discrètement ». La confusion est telle, lors de lʼembarquement, quʼun certain nombre de soldats désignés pour rester au dépôt sʼajoutent de leur plein gré à ceux qui partent alors que dʼautres se dissimulent et sʼen retournent lorsque le calme est revenu à la caserne. Cʼest avec « une visible satisfaction » que les partants constatent que le convoi prend la direction de Toulouse, ce qui « rassérène bien des visages et non des moindres ». Ainsi donc les hommes presque quadragénaires du 131^e, sʼils ne quittent pas tous Cahors à regret, ne manifestent-ils pas un grand désir de découvrir rapidement le front.

Ailleurs dans la profondeur des campagnes lotoises, quʼen est-il ?

33Dans certains points du département, des scènes dʼenthousiasme semblent sʼêtre produites. Elles sont évoquées incidemment dans des correspondances qui finalement nous renseignent assez peu. Le récit de lʼinstituteur écrivain Ernest Lafon, qui assiste au départ des 70 hommes mobilisés de son village, est de loin le plus riche dʼinformations. Il décrit dʼabord la cohue qui règne sur la place dʼAlbas, dès 6 h, en ce matin du 3 août 1914 :

Bien triste matinée ! Je les ai vus partir tous ces jeunes gens, leur mince bagage sous le bras, réunis au bout de lʼescalier de la petite place pour le suprême départ. Lʼadjudant Delrieu en tenue ralliait le petit bataillon… Ils ont tous le sourire des héros, des vainqueurs. Pas un geste, pas une parole de regret. Nous serons de retour pour les vendanges ou au plus tard pour boire le vin nouveau, affirment-ils. Ils sont tous là, sans distinction sociale, ouvriers, paysans, bourgeois, intellectuels, il nʼy a plus que des Français animés du même courage. Fraternellement enlacés, les futurs poilus avec leurs valises économiques, ou le mouchoir gonflé de provisions, comme aux beaux jours du tirage au sort, descendent la rue en chantant la Marseillaise. Nous les regardons sʼéloigner avec orgueil et fierté. […] Sur le Lot, ils chantent lʼhymne des Girondins et lʼécho de lʼabrupte falaise répète « mourir pour la patrie, cʼest le sort le plus beau ». Du port, ils agitent les mouchoirs vers le clocher du village… Nous les suivons des yeux sur la route de Camy et au bout de la côte, les mouchoirs sʼagitent une dernière fois.

34Lafon rejoint la gare de Camy pour assister au départ du train :

Quelle foule ! Il en est venu de partout, de la montagne et de la plaine. Les nôtres tranquillement assis à lʼombre dʼun platane se trouvent un peu isolés au milieu de toute la population luzechoise qui, fanfare en tête, accompagne ses enfants. Comment rapporter tant dʼémouvantes scènes, le stoïcisme de la part de ceux qui restent et qui sʼefforcent de maintenir leur abnégation à lʼaltitude du courage de ceux qui sʼen vont ? Je vois encore ces couples muets, la femme appuyée sur lʼépaule du mari observant une héroïque froideur, une réserve sublime pour éviter toute défaillance.

35Alors que le convoi composé de voitures disparates apparaît au débouché du tunnel, se déroule une scène qui présente toutes les composantes des manifestations patriotiques attestées dans les grandes villes. Parqués dans des wagons à bestiaux, entassés pêle-mêle dans les compartiments de toutes classes, les hommes penchés aux portières, souriants, « lancent des appels frénétiques et des lazzis : « Vive la France ! À Berlin ! » Quelques-uns agitent une pancarte sur laquelle on peut lire « train de plaisir ». Enfants dʼAlbas et de Luzech sʼentassent dans les fourgons de queue pendant que la fanfare joue le Chant du Départ et, lorsque le train sʼébranle, les futurs poilus entonnent une vibrante Marseillaise, agitant leurs chapeaux. La foule attend que le convoi ait complètement disparu avant de sʼécouler lentement dans la cour de la gare ; à lʼenthousiasme succède un lugubre silence coupé de profonds sanglots. Il y a bien donc à Luzech des signes dʼadhésion assez spectaculaires.

Pendant ce temps sur le Causse central…

36Un prêtre lotois originaire du Causse central, Joseph-Henri Mejecaze, qui rédigea ses souvenirs de fantassin1, restitue une réalité de la mobilisation bien différente de la scène attestée à la gare de Luzech-Camy. « Embarqués en gare de Gramat, nous passons la nuit en gare de Cahors dans la salle dʼattente où, en notre honneur, on a porté quelques bottes de paille… Je nʼai pas remarqué, tout au moins chez les partants, cet enthousiasme dont font état certains journaux, peut-être parce quʼil sʼagit surtout de paysans, lesquels, comme chacun sait, ne sʼemballent pas facilement. Mais ils sont décidés à faire leur devoir ». Il ajoute quelques jours plus tard, faisant preuve dʼune perception lucide de ce que signifie la guerre : « Et tous les partants, nous le sentons, tout au moins dʼune façon confuse, nous allons vers lʼaustère devoir, cʼest-à-dire vers les privations, vers la fatigue, vers la souffrance, vers le danger et pour un certain nombre vers la mort. »

Acceptation ou résignation ?

37Comment interpréter lʼexaltation patriotique dont firent preuve les Cadurciens et, en général, les populations les plus urbaines du département (Cahors mais aussi Gourdon ou Souillac) ? Un Toulousain du 83^e RI raconte ainsi « passons à Montauban, Caussade, Cahors, Gourdon, charmant accueil, fleurs, baisers, population enthousiaste ». Que dire, à lʼopposé, de la retenue, de la gravité, des hommes du canton de Gramat qui diffère tant de la scène observée en gare de Luzech-Camy, cʼest-à-dire des manifestations dʼadhésion dʼune autre population agricole : celle de la vallée ? Doit-on chercher une explication dans le rapport à lʼÉtat, dont le droit de faire la guerre est lʼéclatante manifestation régalienne de lʼautorité ? Lʼattitude des civils au moment du départ des troupes, les manifestations spontanées dʼenthousiasme qui se produisent aux sorties des casernes où lors de lʼembarquement dans les gares, ces scènes de fraternisation entre civils et militaires seraient donc la marque dʼune meilleure intégration au sein de la communauté nationale des populations les plus urbaines et les plus riches du département ? Toutefois, il faut garder à lʼesprit que si les partants du Causse central font preuve dʼune silencieuse retenue, cela ne signifie pas, comme le souligne Méjecaze notre témoin, quʼils nʼaient pas bénéficié du soutien de la population civile. Alors, ne faut-il pas tout simplement lire dans ce contraste la manifestation de la traditionnelle (et commode) opposition du caractère rude et taciturne des petits éleveurs caussenards avec lʼesprit délié et extraverti des vignerons ribeyrols ?

38Quoi quʼil en soit, tous les petits Lotois, ceux de Cahors comme ceux de la vallée et du Causse central, avaient lu à lʼinstar de tous les petits Français les mêmes manuels scolaires, véritable école de patriotisme, qui, si elle proposait un idéal de paix, enseignait, à lʼimage du petit Bara, le sacrifice personnel à la liberté de la patrie. Lʼécole publique et le système de conscription furent sans doute les principaux vecteurs dʼune indéniable culture patriotique qui, à la veille de la guerre, imprégnait le fond des consciences lotoises. Redisons le, il nʼy eut aucun cas dʼinsoumission dans le Lot !

39Cependant, cette culture patriotique nʼest que le terreau qui prédisposait à une résignation disciplinée que le sentiment de faire une guerre imposée par la perfidie de lʼadversaire favorisait. Pour le bon sens lotois, lʼagression allemande ne faisait aucun doute. Le ton de la presse est en soi révélateur. Elle épargne significativement aux lecteurs lotois les outrances des récits convenus et cocardiers qui abondent dans la presse nationale. Le Journal du Lot du 3 août expose un argumentaire synthétique et adroit, recevable par une population plus angoissée du départ des chefs de famille et des difficultés économiques qui pointent à lʼhorizon que désireuse dʼune hypothétique revanche sur lʼennemi de 1870 :

40« Lʼultimatum arrogant que lʼAllemagne a adressé à la France et à la Russie, écrit-il, ne pouvait pas être accepté. « Aux armes ! », cʼest par ce cri que la France a répondu, tous les Français lʼont entendu ! Ah ! certes, ce nʼest pas sans déchirement, sans douleur, que mères, femmes voient partir leurs enfants, leurs époux ; mais une belle confiance cependant anime tous les cœurs. La République nʼa pas cherché à faire la guerre : elle la subit… La France, terre de la civilisation, de la liberté, fidèle à son idéal démocratique accomplira le grand effort que lʼAllemagne… lui a imposé… Elle vaincra ».

41Émile Dufau, de Saint-Denis-Catus, est lʼun des 135 instituteurs lotois mobilisés dans lʼété 1914. Il exprime clairement ce sentiment de faire une guerre imposée par lʼennemi dans la lettre quʼil écrit le 3 août à ses grands-parents quʼil nʼa pu embrasser avant son départ :

Cher pépé et chère mémé, la guerre est déclarée, il faut que je parte sans vous embrasser une dernière fois. Certes, je sais la douleur que vous devez éprouver en face de tels événements. Je ne doute pas que vous en soyez très frappés. Mais que voulez-vous, il faut se résigner, la paix nʼa pu être conservée malgré lʼattitude pacifique de la France. Il est de notre devoir de défendre notre chère patrie. Jʼirai au combat sans faiblesse, vous pouvez en être sûrs…

Comment conclure ?

42Ainsi donc, ce que lʼon entrevoit des réactions des Lotois à lʼannonce de la mobilisation témoigne de la complexité des émotions, faite de stupéfaction et de résignation. La bruyante démonstration dʼenthousiasme de quelques dizaines, voire au mieux de quelques centaines dʼindividus le soir du premier août 1914 sur le boulevard Gambetta ne peut pas être confondue avec le sentiment profond de la masse des Lotois, comme le démontre le silence des hommes du Causse.

43Mais lʼultimatum injurieux imposé à la France, la violation de la neutralité belge, suscitent dans le Lot comme dans tout le pays un incontestable patriotisme défensif. Les Lotois, longtemps étrangers aux préoccupations nationales, peu ou mal informés, vivent avec soumission lʼévénement, sans songer à se soustraire au sacrifice à venir.