Le Rouergue au tournant de l’an mil
|Deuxième partie. La crise de l’an mil
Chapitre 7. Essai d’interprétation
Texte intégral
1La transformation sociale du Rouergue semble achevée dès la seconde moitié du XIe siècle, voire même dès le deuxième tiers, à en juger par les nombreuses chartes de la période 1031-1065 (abbatiat d’Odolric à Conques). Avant d’examiner les structures de cette nouvelle société, il reste à interpréter les bouleversements du premier XIe siècle.
1. Changement social et documentation.
- 1 D. BARTHÉLEMY, “La mutation féodale a-t-elle eu lieu...” (1992), p. 770 : “il ne faut pas (...)
2La mutation de l’an mil : “révolution” ou simplement “révélation” ? Réduire les nouveautés du XIe siècle aux “mutations documentaires” ne permet guère d’expliquer le pourquoi de celles-ci1. En Rouergue, la dénonciation des milites par Bernard d’Angers et son successeur ne peut s’expliquer ni par la réforme grégorienne, ni par l’arrivée de nouveaux ordres religieux : leurs récits ont été rédigés pour l’essentiel entre 1013 et 1050. Dira-t-on que l’écolâtre aurait dépeint les mêmes désordres s’il était venu quelques décennies plus tôt, disons vers 950 ?
- 2 Vita Geraldi I, 18 ; I, 24 ; I, 37 ; I, 40… Les Miracula Geraldi, quant à eux, datent de l (...)
- 3 LMSF (Épître dédicatoire à Fulbert) : c’est la renommée naissante de Conques qui a attiré (...)
3C’est peu probable : certes les milites existaient déjà, ainsi que leurs violences, comme le montre la Vie de saint Géraud pour l’Auvergne des années 9002 ; mais elles n’avaient nullement mis en péril l’ordre ancien. Les institutions publiques fonctionnaient correctement, malgré un certain déclin perceptible à partir des années 950-960, et elles ne s’effondrent qu’à l’époque de Robert le Pieux. Davantage : ce n’est pas un hasard s’il a fallu attendre 1013 pour que les miracles de sainte Foy attirent des curieux comme Bernard d’Angers3 ; leur succès, leur renommée seraient difficilement concevables sans le contexte troublé de l’époque. C’est cette mutation sociale qui rend compte de nos mutations documentaires.
- 4 K. ASHLEY, P. SHEINGORN, Writing Failli... (1999).
- 5 D. BARTHÉLEMY, “Antichrist et blasphémateur” (1999), pp. 57-58 : Bernard d’Angers "se prés (...)
4Autre interrogation : peut-on se fier à une source hagiographique pour décrire les troubles de l’an mil ? Ne faudrait-il pas procéder à une critique préalable du Livre des Miracles de sainte Foy ? On voit mal sur quels critères elle pourrait s’opérer : la seule tentative d’ensemble, celle de Kathleen Ashley et Pamela Sheingom, se caractérise par son hypercriticisme4. Quant à Dominique Barthélemy, il va jusqu’à réduire les récits de Bernard d’Angers à des “histoires marseillaises” : par principe, on ne peut faire confiance à ce “Midi rustique”, si différent du Nord cultivé5 !
- 6 Et c’est cela même qui invite à relativiser l’affirmation des moines relayée par Bernard d (...)
5L’intention de Bernard d’Angers et de ses continuateurs était de convaincre leur public – un public voisin, averti, parfois réticent – de la réalité de ces miracles. Ils n’auraient pu y parvenir en les situant dans un univers de fantaisie. La crédibilité de leurs récits exigeait qu’ils fussent circonstanciés, et ils le sont, ce qui les rend exploitables pour l’historien. Nous ne sommes pas obligés de croire que Siger de Conques fut damné, mais nous pouvons admettre qu’il ait commis quelques violences envers l’abbaye et ses hommes, et qu’il n’aurait pu les commettre si Raimond III avait construit son château pour le ramener à l’obsequium6.
Chronologie des mutations
6Trois étapes ont marqué la fin de l’ordre carolingien :
- Milieu du Xe siècle : déclin (sinon disparition) du régime domanial et de l’esclavage ; raréfaction des chartes à Vabres et à Rodez ; raréfaction des clauses pénales, et notament disparition des amendes stipulées en or ou en argent ; premier déclin du système vicarial. C’est le premier fléchissement perceptible de l’ordre ancien depuis notre point de départ (801). L’assassinat du chef de la principauté raimondine, Raimond II (961) n’a pas dû arranger la situation.
- Fin du Xe siècle : à Conques, expulsion des abbés en titre (984) et transformation de l’abbaye en sanctuaire miraculeux ; transformation couronnée de succès dès la décennie suivante (multiplication des chartes), ce qui permet à l’abbé Girbert (996/997-1004) de constituer le premier Trésor. Toujours à Conques, refus de la dynastie capétienne (987) et ruine de la datation traditionnelle : nullement une évolution progressive, mais brutale rupture consommée en quelques années, et qui devait faire longtemps sentir ses effets. Sur un plan plus général, apparition des milites et premières violences attestées, aux confins occidentaux du Rouergue (Vailhourles et Varen)7.
- Premier tiers du XIe siècle : multiplication des châteaux et des milites, généralisation des violences en tout genre ; faillite de l’autorité comtale ; faillite de la justice publique ; effondrement du système vicarial ; disparition de l’alleu paysan.
- 8 A partir de 1030 ; cf. la donation du vicomte Hugues de Millau, en 1079-1087 (Conques, n° (...)
- 9 Ci-dessus (IV, 4 ; V, 1). Cf. Conques, n° 159 (996-1031): Breve memoriale de illo avero de (...)
- 10 Chanson, laisses I et III.
7La ruine des formules contractuelles se produit vers la fin de la période, aux alentours de 1030. Bref, la documentation se transforme parce que les cadres sociaux ont éclaté : successivement, le régime domanial ; l’alleu paysan ; la justice publique et vicariale. Cette ruine traduit simultanément l’émergence de la langue d’oc, qui se produit d’abord pour les toponymes8, mais aussi pour les nouvelles pratiques sociales, comme le fief (feo) ou la guerre seigneuriale (guerra)9. Ce n’est pas un hasard si les premiers poèmes d’oc (Chanson de sainte Foy) ou d’oïl {Chanson de Roland) qui se sont dégagés des modèles latins célébraient les cavaliers ou chevalers. La promotion des milites, c’est aussi la promotion de leur langue : ils n’allaient pas se mettre à la langue des clercs, ces clerczons tout juste bons à leur réciter ou traduire des livres latins10.
- 11 D. BARTHÉLEMY commet à cet égard un lapsus révélateur : “le mot de mutation convient mieux (...)
- 12 D. BARTHÉLEMY, L’an mil et la paix de Dieu... (1999), p. 136. Autre concession aux textes (...)
8Expliquer par la documentation les changements qu’elle révèle est une pétition de principe qui revient à nier le changement historique, voire même la simple possibilité d’une histoire fondée sur les sources. Poussée jusqu’à l’absurde, cette position formaliste aboutirait à détruire l’histoire au nom d’une sociologie11 du passé, pimentée de quelques apports anthropologiques. Dominique Barthélemy concède lui-même : “Autour de Conques, la chevalerie en manœuvres – c’est-à-dire la noblesse en action – fait un certain bruit, et de vrais ravages” ; mais c’est pour réitérer aussitôt son point de vue : “Cependant, la violence que nous révèle les dossiers de l’an mil n’a pas à être mise au compte d’une révolution sociale en cours... elle est endémique”12. Non, elle n’était pas endémique en Rouergue, du moins pas avant l’an mil. La ruine des institutions publiques s’explique bel et bien par une révolution.
2. Une révolution aristocratique.
9Le premier XIe siècle a vu la prise du pouvoir par une nouvelle classe, déjà constituée et pleine de vitalité : la classe chevaleresque. Il s’agit donc bien d’une révolution, et qui comprend deux faces. Révolution interne : en enrôlant à son service de nombreux milites, l’aristocratie change d’échelle – ses effectifs explosent – et d’assiette : elle ne se définit plus par ses domaines, mais par ses châteaux. Révolution externe : cette aristocratie totalement renouvelée anéantit ce qu’il restait d’autorité publique en la privatisant à son profit, en s’appropriant le ban. Il y a bien hiatus entre l’aristocratie domaniale carolingienne et la noblesse châtelaine du XIe siècle, même si leur filiation biologique est plus que probable.
- 13 En juin 1061-1065, ils donnent à l’abbaye de Conques la viguerie de la villa de Rignac, in (...)
- 14 V. FRÉZAL, Enquete archéologique… (1991), pp. 114, 118, 133 ; F. de GOURNAY, Les Documents (...)
- 15 L’Anonyme de Conques relate successivement la délivrance d’un certain Hugues, fils de Sige (...)
- 16 Conques, n° 23 (1010-1053) : Austrin de Conques donne son enclos à Serniag, chef-lieu (non (...)
- 17 Conques, n° 556 (1099-1108) : Bégon de Calmont donne l’église de Saint-Saturnin-de-Lenne ( (...)
10Quelle est en effet l’origine de ces nombreux milites du XIe siècle ? Il importe de distinguer entre milites majores (castellani) et milites castri. Les premiers sont très probablement issus de lignées vicariales ; les sires de Belcastel tirent leur pouvoir de la vicaria Ruthiniacensis13, ceux d’Arjac de la vicaria Arjacensis – cas exceptionnel, ils ont préféré garder le nom de la viguerie plutôt que d’adopter celui de leur château (Le Cayla)14 – ; les deux familles de Conques pourraient être issues des viguiers de Montignac (Siger)15 et de Serniacum (Austrin)16 ; l’origine vicariale est évidente pour les puissantes familles de Sévérac et de Calmont-d’Olt, cette dernière ayant dû cumuler plusieurs vigueries (Calvomontensis, Valle Serga17). Toutes ces familles ont privatisé la viguerie dont elles étaient dépositaires : ainsi s’explique la colère de Raimond III à leur encontre.
- 18 Conques, n° 14 (1062) : et omnes milites juraverunt similiter, et constituerunt ut filii e (...)
- 19 Vabres, n° 55 (XIIe s.). Ci-dessous, pp. 248-249.
- 20 Translatio sancti Vincentii, cap. 7 (P. L., t. 126, col. 1021) : cet homme ex Camerensi pa (...)
11Les milites castri, eux, ne semblent pas de la même origine. Lorsqu’en 1060/1062, ceux de Panat et de Cassagnes prêtèrent serment de respecter le monastère restauré de Clairvaux, ils s’engagèrent à déshériter leurs fils au cas où ceux-ci ne voudraient pas les imiter, “excepté un manse”18. Est-ce à dire que les fils de milites seraient réduits à la condition paysanne de leurs ancêtres ? Plus généralement, on voit mal les descendants des grands aristocrates des IXe-Xe siècles servir dans les garnisons castrales d’après l’an mil. Lorsque les textes nous permettent de les voir de plus près, comme à Bozouls, elles semblent relativement proches de la paysannerie19. A l’inverse, les milites de l’époque carolingienne semblent issus d’un milieu modeste, comme cet homme du Camarès qui s’était fait voler sa lance à Castres au IXe siècle20.
- 21 J.-P. POLY, É. BOURNAZEL, La Mutation féodale... (1980), évoquent cette “décomposition” de (...)
- 22 Conques, n° 14.
12Si maintenant on considère les milites dans leur globalité, on doit les considérer comme la classe dominante, où les uns et les autres sont complémentaires : les milites majores offrent leur prestige, leurs ressources, leurs forteresses ; les milites castri, leur force physique et aussi leur nombre, car il fallait être nombreux pour multiplier les cavalcades et soumettre l’ensemble des paysans, dans une région aussi compartimentée. C’est de la frange supérieure de la paysannerie que sont issus ceux qui ont permis son asservissement21. Triste logique de l’alleu paysan, qui a entraîné sa propre disparition en permettant la promotion des futurs milites castri, peut-être à partir des propriétaires de capmas. Leurs descendants s’intégrèrent aux couches subalternes de la noblesse (les submilitones, cités à Clairvaux en 106222).
- 23 P. BONNASSIE, “Sur la genèse de la féodalité catalane...” (1999), p. 580.
- 24 LMSF II, 5 : Raimond III “menaçait” (minitaretur) de faire construire un château au-dessus (...)
- 25 LMSF I, 23 ; I, 27.
13L’instrument de cette révolution, c’est le fief : il a permis d’intégrer de nombreux milites à l’aristocratie châtelaine ; il a multiplié les occasions de conflit. La mutation féodale, c’est à la fois la mutation du fief23 – mais nos sources ne permettent guère de la saisir, vu la privatisation précoce du fevum en Rouergue – et la mutation par le fief, qui a bouleversé l’ordre ancien en transformant les rapports de forces. Elle englobe la “révolution féodale” proprement dite, c’est-à-dire le soulèvement des feudataires : les princes contre le roi, puis les milites contre leurs princes. Bernard d’Angers évoque à la fois la colère du comte à l’encontre de ceux qui “négligeaient” de lui rendre obéissance (obsequium)24 et les récriminations des feudataires contre leur seigneur, et en particulier contre le comte de Rouergue25. S’il n’y a pas eu révolte caractérisée comme en Catalogne, il y eut pour le moins insubordination.
14Les causes de cette crise sont multiples :
- militaires : l’aristocratie était en mal de guerres depuis l’arrêt des dernières invasions (milieu du Xe siècle), alors même que la technique du combat se perfectionnait26 ;
- politiques : désagrégation de l’autorité supérieure, d’abord au niveau royal (mais son exercice par les comtes n’avait nullement altéré son caractère public), puis au niveau comtal ;
- culturelles : oubli du droit romain27, divorce entre le latin et la langue parlée28 ;
- socio-économiques : la croissance a fait éclater les anciennes structures (domaine esclavagiste, mais aussi alleu paysan). Elle a permis la prolifération des gens de guerre.
15C’est l’effet cumulé de ces divers facteurs qui a permis le déclenchement de la révolution des milites, avec des écarts chronologiques d’une région à l’autre : en Rouergue, la crise semble précoce, comme en Auvergne et Limousin – vers 990- 1030, soit une génération avant la Catalogne (1020-1060). On s’attachera plus particulièrement aux facteurs économiques.
3. Les effets de la croissance.
- 29 Voir ci-dessus, pp. 103-105.
- 30 En 801, le domaine de Pris comportait les annexes de Prisciculas (“le petit Pris”) vel Sor (...)
- 31 Conques, n° 108 (mai 888) : farinaria qui est constructus super Latacia. L’Ouche, affluent (...)
16La croissance agricole est perceptible en Rouergue dès le début du Xe siècle : apparition des chartes de précaire pour mettre les terres en valeur, multiplication des nouveaux toponymes29. Quand avait-elle commencé ? Il est trop tôt pour le dire ici, mais quelques indices suggèrent qu’elle était amorcée à la fin du Ville siècle30. Dès 888, on trouve à proximité de Conques un moulin (farinaria) construit sur l’Ouche31. Fait remarquable, les moulins ne semblent pas associés au système domanial ; on ne les mentionne pas dans le cadre des curtes et villae, mais sur des mas et des capmas, et leur diffusion se situe vers l’an mil :
- (région d’Almon, 997-1031) : uno caput mansum hubi Odolricus visus fuit manere, cum molinos, cum terras cultas et incultas (Conques, n° 166 ; cf. n° 167) ;
- (alleu vendu par une femme et ses fils pour 40 sous, in Betledo... in vicaria Dunense, vers 1010) : et habet ipse mansus unum molinum (Conques, n° 178) ;
- (Empers, comm. de Sébrazac ; 997-1031) : illo manso meo in Pers ubi Salomon visus est manere… cum molinos, cum pratos, cum boscos, cum terras cultas et incultas (Conques, n° 196 ; donation d’Austrin de Conques) ;
- (Poujols, comm. de Pruines ; 997-1031) : huno molendino cum ipso prato et cambono I (vente, pour 5 sous ; Conques, n° 318) ;
- (vers Segonzac, comm. de Nauviale ; v. 996-1031) : illos duos meos mansos quae dicuntur de Vinea ubi Guirbernus visus est manere, cum boscos, cum vineas, cum pratos, cum albaredas, cum molinos, cum terras cultas et incultas (Conques, n° 437).
- 32 A. DURAND, “Les systèmes de culture…” (1995), pp. 179-180 et p. 183.
- 33 Alain DOUZOU admet lui aussi l’existence d’une rotation triennale autour de Sylvanès (Cist (...)
- 34 A. DURAND, op. cit., p. 182 ; pp. 185-186. Le nom de la commune de Brandonnet (cant. de Mo (...)
- 35 A. DURAND, op. cit., p. 180.
- 36 A. DURAND, op. cit., p. 188 (graphiques).
17Les redevances du XIe siècle reflétaient les exigences de la classe dominante, comme en témoigne la primauté de l’avoine (civada) parmi les céréales prélevées sur les paysans. Aline Durand, qui a souligné cette importance de l’avoine, “a priori étonnante” en pays méditerranéen (plus précisément, des garrigues languedociennes au Rouergue), apporte quelques précisions : celle-ci se multiplie “dans la documentation vers 1030-1060” ; le climat était alors plus humide qu’aujourd’hui en Languedoc32. Cette fréquence de l’avoine est directement liée aux albergues, et par là aux “bouleversements sociaux des années 1000-1030”, à savoir le “développement du groupe des milites”. Elle suppose une “rotation triennale des cultures”33, non dans le cadre de la parcelle, mais dans celui du manse ; l’itinérance de ce système est liée à des pratiques d’écobuage34. C’est pourquoi l’avoine est attestée d’abord sur “des reliefs compartimentés, là où le manse perdure encore au XIIe siècle”35. En Rouergue, elle est de loin la première céréale attestée au XIe siècle (60 % de l’ensemble, contre 24 % pour le seigle, 14 % pour le froment, et 2 % pour l’orge) ; en Bas-Languedoc, l’avoine vient en troisième position au XIIe siècle (17 % des céréales attestées, contre 55 % pour l’orge et 24 % pour le froment)36.
- 37 C’est ainsi que des vignes devaient parfois diverses redevances n’ayant rien à voir avec l (...)
- 38 F. de GOURNAY, Étude du Cartulaire… (1988), t. II, pp. 279-283. Nos chiffres diffèrent lég (...)
18Si les redevances ne donnent pas une juste idée de la production agricole37, elles n’en révèlent pas moins une amorce de spécialisation entre les “pays” composant le Rouergue (calculs portant sur 146 localités du Rouergue citées dans le Cartulaire de Conques)38 :
- Sur le Ségala (85 localités), l’avoine vient largement en tête des céréales exigées, bien avant le seigle ; le froment est très rare39. Pour le bétail, c’est le mouton qui vient en tête, suivi par l’agneau, puis par le porc ; la vache n’apparaît que sur deux terroirs40. La vigne est très fréquente : 35 localités sur 85 (41,2 %).
- Autant de traits qui rapprochent le Ségala du Rougier de Marcillac (28 localités), où la vigne est à peine plus attestée (12 localités sur 28 : 42,8 %), et où l’ordre de fréquence est le même pour les céréales exigées (avoine, seigle, froment) comme pour le bétail (mouton, agneau, porc)41.
- Le Causse, lui, s’oppose nettement au Ségala : rareté de la vigne (1 localité sur 17, soit 5,9 %), absence du seigle, fréquence du froment (6 localités, soit 35,3 % : à égalité avec l’avoine) : c’était déjà un fromental, et un pays d’élevage42 – tendance qui se confirme au XIIe siècle43.
- La Montagne ignore la vigne et, plus curieusement, les redevances en avoine et en seigle ; le froment y apparaît comme la seule céréale mentionnée, sur deux localités. Données quelque peu aberrantes qui peuvent s’expliquer par le faible échantillon de redevances disponibles (6 localités).
- 44 LMSF1, 6. Molières, comm. d’Escandolières.
- 45 Conques, n° 14 (1062, Clairvaux) : vidit locum idoneum de montibus circumquaque septum, de (...)
- 46 Conques, n° 87 (fin XIe siècle) : illi mansi de Seront una pupada de canbe (Sérons, comm. (...)
- 47 A. DOUZOU, op. cit., pp. 85 sv. ; A.-R. CARCENAC, Les Templiers du Larzac..., pp. 131-145.
- 48 Aniane, Diplomata, n° 13 (21 octobre 837) ; Sylvanès, n° 93 (1152).
19Le Vallon faisait déjà figure de région viticole : c’est là que les moines de Conques avaient entreposé leur vin, dès avant 1010, à Molières44 ; cinquante ans plus tard, le moine Deusdet fait une description riante de la vallée de l’Addy, dont les vignes et les prés irrigués (prata irrigua) auraient enchanté le pèlerin anglo-saxon Ælfwin45. On cultivait aussi des plantes non alimentaires comme le chanvre (canbe)46. Quant à l’élevage – ovin et chevalin, principalement –, il était largement pratiqué dans le sud du Rouergue, comme en témoignent les chartes (pourtant si différentes) de Sylvanès et de Sainte-Eulalie47. L’ancienneté de la transhumance semble bien établie, depuis les alpes ad pecora alenda mentionnés en 837 aux confins cévenols du Rouergue jusqu’à ce mas de Ivernatgas situé près de Sylvanès en 115248.
- 49 LMSF I, 14 : cum in quodam indicte afflictionis jejunio venerabilis illa imago... foras cu (...)
- 50 Sylvanès, n° 470, p. 382 (cap. 3) : in tempore illo facta est fames incomparabilis in illa (...)
- 51 Vita prima sancti Fulcramni V, 1-4 : audivit a dicentibus quod triticum venundaretur in Ru (...)
- 52 HUGUES DE FLAVIGNY, Chronique (PL, t. 154, col. 255) : accepit etiam pecuniam non parvam a (...)
20La situation alimentaire n’en restait pas moins précaire : Bernard d’Angers mentionne un jejunium (famine ou disette ?) dans la région de Conques49, et un siècle plus tard la Chronique de Sylvanès relate encore une “famine incomparable” (famés incomparabilis) qui se situerait entre 1133 et 113650. Mais le Rouergue faisait figure de pays favorisé, disposant d’excédents de grain. Alors qu’une sévère famine désolait sa propre région, l’évêque Fulcran de Lodève (948-1006) entendit dire qu’il restait en Rouergue du blé sur lequel spéculait l’aristocratie châtelaine ; il s’y rendit pour en acheter une quantité importante, malgré l’embuscade tendue par le comte Raimond51. Lors de la terrible famine de 1033, l’abbé Richard de Saint-Vanne de Verdun engagea l’abbaye de Saint-Amans de Rodez au comte de Rouergue Hugues pour une forte somme (pecuniam non parvam)52.
Commerce et voies de communication
- 53 Conques, n° 15 (1060) : et si homines vel feminas forfacturas faciunt ad illo loco vel ad (...)
- 54 LMSF III, 15 (même époque que III, 14). Ce marché n’était pas situé près de Servières (com (...)
- 55 LMSF I, 24 : cum vidisset facillimum cere commertium, nam propter peregrinorum frequentiam (...)
- 56 Conques, n° 17 (998-1010) ; LMSF I, 12.
- 57 Les Infruts, auj. la Baraque des Infruts, comm. de La Couvertoirade. En 1173, cette villa (...)
- 58 En 1079-1087, l’un des covicomtes de Millau, Hugues, y donne à l’abbaye sa part de la leud (...)
- 59 Conques, n° 572 (1060) : donavit denique perpetualiter medietatem teloneo salis de ponte S (...)
21Lorsqu’en 1060 ils prêtèrent serment pour la restauration de Clairvaux, les caballarii de Panat et de Cassagnes s’engagèrent à protéger les marchands (mercatores) qui fréquenteraient son marché à l’avenir53 : circonstance exceptionnelle, car autrement nos chartes restent muettes sur le commerce. Dès l’abbatiat de Girbert de Conques (996/997-1004), un marché est incidemment mentionné par un récit des Miracles de sainte Foy ; il était fréquenté par “la multitude paysanne et castrale” (ab omni rustica et castrensi multitudine)54. Bernard d’Angers rapporte pour sa part le cas de ce marchand itinérant venu d’Auvergne (Mercator, Arvernensis pagi incola) : à Conques, constatant le bas prix de la cire propter peregrinorum frequentiam, il en achète une grande quantité pour dix sous afin de la revendre au quadruple, en profitant de ses fréquents déplacements55, mais la punition divine préservera le cours de cette denrée indispensable au sanctuaire – son juste prix, dans l’intérêt du consommateur comme de l’abbaye. Autre trafic pris en charge par les moines, celui du sel extrait des salines de Pallas, depuis les premières années du XIe siècle56 ; la denrée, qui remontait par Lodève, était sans doute exemptée de péage à son entrée en Rouergue, aux Infruts57 sinon à Millau58. Il restait à compléter cet itinéraire vers le nord. Ce fut chose faite en 1060, lorsque Hugues de Calmont-d’Olt donna aux moines de Conques la moitié du tonlieu du sel sur le pont d’Espalion, au passage du Lot59.
- 60 Conques, n° 7 (910), 249 (v. 1010), 354 (997-1031).
- 61 Conques, n° 572 (1060).
- 62 Conques, n° 217 (v. 996-1031) : donation d’un capmas qui vocatur ad illa Strada (Lestrade, (...)
- 63 Conques, n° 110 (945). La Serre, comm. de Saint-Cyprien, ne peut passer pour un grand axe (...)
- 64 Conques, n° 314 (mars 1002 ; La Carrière, comm. de Mouret). Quelques années plus tard – ve (...)
22Les routes sont mentionnées par 34 chartes du Cartulaire de Conques, provenant du Rouergue du Nord-Ouest (17 chartes antérieures à 996, 15 entre 996 et 1031, 2 après 1031). La dénomination qui l’emporte, très largement, est strata publica (28 chartes) ; on trouve occasionnellement via publica (3 chartes60), via (1 charte61), strata (1 charte, et un exemple d’emploi toponymique62). Ces voies devaient être bien modestes : elles apparaissent principalement comme confronts des manses, par exemple à La Serre63 ; mais elles témoignent de l’ouverture d’une région aussi compartimentée que le Ségala du Nord. Ces voies permettaient la circulation de véhicules, comme la strata publica de La Carrière (Crosa Carraria), citée en 100264 . Certaines de ces routes avaient une importance particulière :
- la route de Rodez à Millau, en passant par Camboulas ; à Millau, la maladrerie de Trasgeig tirait son nom du trajectus, à quelque distance de la traversée du Tarn65 ;
- la route de Rodez à Cahors (avec bifurcation vers Cosa), ancienne voie romaine passant par Carantomagus (Le Cranton) et l’ancien vic de Saint-Mémory, non loin du site de la future Villefranche ;
- la route de Rodez à Javols, section de la transversale romaine Lyon-Bordeaux : elle passait par Espalion, site contrôlé par la forteresse de Calmont-d’Olt. Bon exemple de continuité entre la viguerie publique et la seigneurie, Calmont devint le siège d’une des plus puissantes familles du Rouergue. Elle prélevait le tonlieu du sel sur le pont d’Espalion, qui a fini par supplanter l’ancien vic de Perse (burgus vetulus en 1060)66 ;
- la vallée du Lot, axe fluvial67 et routier ; au début du XIIe siècle, deux fugitifs évadés du château de Montmurat pouvaient profiter de l’affluence sur cette semita publica pour échapper à leurs geôliers68. Des péages y étaient sans doute prélevés dès la première moitié du XIe siècle par les seigneurs locaux : Austrin de Conques et son épouse Avierne donnent à l’abbaye de Conques partent nostram de aqua Olte69, Pons de Mels en fait autant avec la Truyère (in aqua Triodoro)70 En 1183, à l’article de la mort, Durand Hector cèdera aux moines et famuli de la même abbaye un droit de transport gratuit (transvectionem sine precio) sur “sa part” du port de Blanadet (in sua parte portus de Bladenet)71.
La circulation monétaire
- 72 P. BONNASSIE, “La monnaie et les échanges...” (1978) note deux changements d’importance en (...)
- 73 Conques, n° 181 : tota illa mea partae de illa vinea de Vasello que ego habeo cum Rigualdo (...)
- 74 Conques, n° 124 (juillet 907) : in argentum et in alias res conpreciatas valentes solidos (...)
- 75 Conques, n° 208 (932) : componat vobis auri libras III, argento pondera V.
- 76 LMSF I, 21 (tres aureos) ; II, 3 (unum aureum) ; III, 3 (aurem quem vulgo manconem dicimus(...)
- 77 G. FOURNIER, O. LAPEYRE, “A propos de la découverte d’un trésor...” (1988). La constitutio (...)
23Elle s’accélère au début du XIe siècle, à en croire les Miracles de sainte Foy72, mais aussi les chartes de Conques : vers 1015-1020, Hector d’Arjac vend à l’abbaye une vigne au prix fort (730 sous de Limoges, soit l’équivalent d’une quinzaine de manses)73. Un siècle plus tôt, en 907, des laïcs effectuaient déjà entre eux des ventes de terres pour de fortes sommes (quatre manses pour 350 sous, un manse pour 300 sous), mais le prix était peut-être acquitté en nature, à en juger par la formule in alias res conpreciatas valentes74. La monnaie d’or avait sans doute disparu depuis le VIIe siècle, malgré les clauses pénales stipulant des amendes en livres d’or – ces clauses précisent parfois l’équivalent en argent75. Elle fut réintroduite depuis l’Espagne musulmane ; les mentions sont relativement plus fréquentes pour l’Auvergne voisine76, ce que corrobore le trésor de monnaies islamiques enfoui à Aurillac77. En Rouergue, on n’a guère que deux mentions de mancusos :
- le cens annuel d’un mancus d’or (unum mancunum de aurum) dû au saint Sépulcre de Jérusalem par les détenteurs de l’église de Jouels, suite à la donation de Bernard de Peyrolles (1031-1060)78 ;
- le cens annuel d’un mancus (unum manconem auri) que l’abbaye de Conques devait verser au pape à partir de 1062 pour la possession de Clairvaux79.
- 80 Les païens d’Agen en recouvraient leurs temples : Guerpiron Deu, corron al fan, Cubergro.l (...)
24Mais l’or de Cordoue (aur cordoan) est explicitement mentionné par la Chanson de sainte Foy80, ce qui peut s’expliquer par le contexte pyrénéen de sa composition.
- 81 Conques, n° 205 (v. 1010), 213 (XIe s.), 253 (v. 1010), 256 (1061-1065).
- 82 F. de GOURNAY, Étude du Cartulaire..., t. II (1988), p. 292-293 ; P. OURLIAC, Le Cartulair (...)
- 83 J.-L. BIGET, Albi et l’Albigeois (1993), trace un parallèle entre les deniers raimondencs (...)
- 84 Conques, n° 499 (XIIe s. ?) : dedit pignus pro centum solidis de illa meliore moneta quod (...)
- 85 Conques, n° 148 (997-1004) : unde accepi de vospretium… hoc sunt solidi X de Lemovicanos m (...)
- 86 Conques, n° 507 (1087-1108 ; Melgueil) : si denarii fuerint détériorés ; ACLP, t. I, n° 42 (...)
- 87 A. DOUZOU, Cisterciens et société laique... (1971-1972), pp. 62-64.
25En pratique, la monnaie se réduisait donc au denier d’argent (et à l’obole), car le sou n’était qu’une unité de compte, une façon de compter en douzaines de deniers : solidi XXI de denarios Ruthenensos, III solidos de denarios Lemovicanos, solidi VII de dinarios Ruthenesos, solidos XII de denarios Pojesos81. Quel denier ? Dans la région de Conques, les deniers de Limoges étaient majoritaires avant 1031, puis les deniers du Puy prirent la première place ; la monnaie de Rodez ne s’impose qu’assez tard (à la fin du XIIe siècle)82. Peut-être est-ce un effet du pèlerinage de sainte Foy. On y trouve aussi, à partir de 1030, des deniers raimondins d’Albi (raimundencs83), melgoriens ; ces derniers l’emporteront largement au XIIe siècle, à Sylvanès puis à La Selve et Sainte-Eulalie du Larzac. Concurrence des monnaies84 qui s’explique par leur valeur inégale, comme par leurs variations. Dès 997-1004, on distinguait les “nouveaux” et les “anciens” sous de Limoges85 ; à partir de 1100, on envisage l’éventualité d’une dévaluation de la monnaie prêtée contre engagement86. La hausse des prix est difficile à évaluer, sauf pour l’arpent de vignes ; elle ne fait aucun doute entre le XIe et le XIIe siècle. Le prix moyen du manse, qui tournait autour de 50 sous au XIe siècle, sera toujours supérieur à 100 sous au XIIe siècle en Camarès87.
Croissance et mutation
- 88 A. DURAND, “Les systèmes de culture...” (1995). Cf. aussi F. de GOURNAY, Étude du Cartulai (...)
26La croissance avait rendu le régime domanial obsolète dès la seconde moitié du Xe siècle. Les surplus agricoles permirent de nourrir une aristocratie beaucoup plus nombreuse ainsi que ses chevaux : ce n’est pas un hasard si l’avoine (civada) vient en tête des céréales exigées à titre de redevances, et ce dès les années 1030-106088. La mutation de l’aristocratie ne peut s’expliquer sans cette croissance économique et démographique. Mais les seigneurs “demandaient” aussi des deniers aux paysans. Les fortunes nobiliaires s’accroissent aux XIe et XIIe siècles, et la masse monétaire gonfle, comme en témoignent une certaine hausse des prix et la hausse continue du montant des prêts :
- 996-1031 : 40 sous pour un capmas, 10 sous pour une partie de mas (Conques, n° 300)
- 1060-1065 : 80 sous pour la villa de Mascle89, qui comprenait 17 mas (ibid., n° 455)
- 1087-1108 : 80 sous et 422 sous (ibid., n° 507)
- au XIIe siècle : 5 marcs d’argent vers 1189 (ibid., n° 543), 9 marcs vers 1170 (n° 573), 18 marcs en 1189 (n° 531).
On a pu parler d’“activité bancaire” pour les Templiers du Larzac, où la majorité des sommes prêtées dépasse 100 sous90 (le maximum est de 1500 sous pour le four castral de Clermont en Lodévois, engagé en 1185 au commandeur de Sainte-Eulalie91).
La question minière
- 92 ALBENQUE, Les Rutènes... (1948), pp. 168-175 ; M. LABROUSSE, “Exploitation...” (1958).
- 93 STRABON, Géographie IV, 2, 2 : Παρα δε τοι Ρουτηνοι αργυρεια, εχουσι δ’αργυρεια και οι Γαβ (...)
- 94 Comme en témoigne l’inscription de Smaragde, trouvée en 1890 au Puech de Serre, à 1800 m. (...)
- 95 Atlas Midi-Pyrénées, Paris, 1970 (B2 : Géologie et richesses minières).
- 96 Conques, n° 278 (1031-1065) : quartum de vineas de Aurnant.
- 97 Le terme gaulois nantos ne signifiait pas “vallée”, comme l’affirment certains toponymiste (...)
- 98 INSEE, Nomenclature des communes et des lieuxdits… (s. d.), t. Il et III.
27Le pays des Rutènes était réputé pour ses richesses minières92, en particulier pour son argent93, exploité dans la région de Villefranche (mines de La Baume et de La Maladrerie) sous l’empereur Tibère (14-37 de notre ère)94. Il recelait aussi de nombreux gisements d’or, de cuivre, de plomb et de fer95. Un toponyme comme Aurnant (région de Saint-Antonin)96 paraît désigner un ruisseau aurifère exploité par les Gallo-Romains (auri nantos, formation romano-celtique)97. L’exploitation de ces gisements s’est poursuivie au Moyen Age, comme il ressort des toponymes miniers de formation romane98, particulièrement nombreux pour le fer :
- La Mine, Mines, Minier99 ;
- Argentiès100 ;
- Ferrière, Ferrières, Ferriès, Montferrier ; Ferrieu, Ferrais, Roqueferral101 ;
- Aurières, Laurière, Auribal, Aurias Cumbas, Combauriès ; ces trois derniers types (Auri vallis, Aureas Cumbas, Cumbas Aureas) sont les équivalents romans d’Aurnant102.
- 103 AD Av., IG 466 (Velletri, 25 mai 1181-1185 ; copie moderne, papier).
- 104 AD Av., IG 466 (Villeneuve, mai 1191 ; vidimus, 1266).
- 105 AD Av., IG 466 (Clermont, 29 juillet 1214 ; copie moderne, papier).
- 106 Chronicon breve de gestis Aldeberti, 8 (éd. Cl. BRUNEL, Les miracles de saint Privat suivi (...)
- 107 Entre la bulle d’or accordée par Louis VII (1161) et la mort de Raimond Bérenger IV (1162) (...)
- 108 Chronicon breve de gestis Aldeberti, 8 : Argentarie, multis retro annis, in Gaballitana re (...)
- 109 Ibid., 8 et 16. D’après le chroniqueur, Aldebert III aurait voulu imiter l’exemple des rég (...)
28Qui contrôlait l’exploitation de ces mines durant notre période ? Quelques textes tardifs montrent que l’évêque de Rodez s’arrogeait la perception de la dîme sur les mines d’argent de son diocèse. En 1181-1185, le pape Lucius III demandait à l’abbé de Conques et au prévôt de Montsalvy de faire restituer ces dîmes à l’évêque Hugues (decimas argenti fodinarum in episcopatu Ruthenensi), injustement revendiquées par les abbés de Figeac103. En mai 1191, le même évêque Hugues obtenait du comte de Toulouse Raimond V “la dîme des mines d’argent de tout le diocèse de Rodez” (decimam argenti fodinarum argenteriarum totius diocesis Ruthenensis) ; Raimond agissait sans doute en qualité de “comte de Rouergue”104. En 1214, c’est le “comte de Rodez” qui reconnaît aux évêques la perception de la dîme sur les “miniers” argentifères de Prades, Montjaux et Trépadou : ego Hugo Dei gratia comes Ruthenensis credo et scio et presenti charta confiteor, quod episcopi Ruthenenses in minariis Prati, Montis Jovis et Trepadorii et eorum mandamentis decimam argenti debent recipere105. L’évêque de Rodez n’avait fait que suivre l’exemple d’Aldebert III, son collègue de Mende, lequel avait réclamé la dîme sur les mines d’argent (argentarie) de son diocèse, et l’avait obtenue du comte de Barcelone après avoir convoqué “tout le clergé et le peuple du Gévaudan”106. L’affaire remonterait aux années 1161-1162107. Le clerc de Mende qui nous la rapporte précise lui-même que cette revendication épiscopale n’avait aucun antécédent108. C’est donc une innovation : Aldebert voulait exercer la “pleine et royale autorité” (regiam et plenam potestatem) que le roi Louis VII lui avait octroyée en 1161 sur tous les hommes de son diocèse, tam majores quant uniores109. A Mende, aucun comitatus ne pouvait contester à l’episcopatus ce monopole de l’autorité publique ; il n’en allait pas de même à Rodez.
- 110 Le Kaymar, comm. de Pruines. C’est le plus important gisement de fer de la région Midi-Pyr (...)
- 111 Ph. ABRAHAM, “Mines et métallurgies antiques...” (1997), p. 242-243 : Ferrière, Ferrières, (...)
- 112 Centre de datation par le radiocarbone, Université Claude Bernard (Lyon 1) : 1425 BP pour (...)
- 113 Site des Bordes (comm. de Conques) : 2165 BP, soit de 363 à 62 avant J.-C.
- 114 Communication personnelle de Ph. Abraham.
29Un cas particulier, bien étudié par Philippe Abraham : la région du Kaymar110. Ses gisements (fer et plomb argentifère) sont attestés tant par l’archéologie (prospection et fouilles) que par la toponymie : pas moins de 115 microtoponymes sur 541 parcelles ; à elle seule, la commune de Nauviale comprend 47 parcelles dénommées “Ferrière”111. Leur datation a réservé quelques surprises : alors qu’on s’attendait plutôt à l’époque gallo-romaine, le radiocarbone renvoie, pour certains sites distants de 300 m. seulement, aux VIe-VIIe siècles (Roussy)112, ou à l’époque de La Tène (les Bordes)113. Dans le cas de Roussy, il s’agit “probablement” d’une “reprise d’un district plus ancien”114. Pour l’ensemble des gisements de la région de Conques, trois périodes se dégagent :
- l’époque gallo-romaine et le Ve siècle (gisements de Sénergues) ;
- les Vie et VIIe siècles (Conques, Pruines, Mouret) ; celui du Riou del Prat (Golinhac) est daté de 641 à 764, et celui de Ferrières (Pruines), de 735 à 845, au moment même où le fisc royal de Conques (fiscum regis) est attesté par les textes115 ;
- à partir de 1075 pour les gisements de Farradure (Campuac : 1075-1158) et des Fargues (Conques : 1075 – 1208).
- 116 M. LABROUSSE, “Exploitation” (1958), p. 101 (commentaire de l’inscription de Smaragde : CI (...)
- 117 Plutôt que vicaria Ferrariensis, “la viguerie de la Ferrayrie”. C’était aussi l’avis d’Ale (...)
- 118 BN, Doat 143, f° 258 (1087-1108). Cabessières (comm. de Conques) est à proximité des Fargu (...)
- 119 Conques, n° 190 : droit de taverna, corvée à la semaine (hunum hominem ad opéra tota septi (...)
30De même que les mines d’argent du Villefranchois relevaient du fisc impérial à l’époque de Tibère (14-37 ap. J.-C.)116, la “viguerie ferrière” (vicaria ferrariensis117) qui s’étendait du Kaymar jusqu’à Conques relevait du fisc royal jusqu’à la fondation de l’abbaye (vers 795-800). Et là, nous avons à la fois une datation scientifique et un texte. La datation au radiocarbone indique 1075-1208 pour le gisement des Fargues (comm. de Conques) ; le texte, exceptionnel, révèle la privatisation de son exploitation à la fin du XIe siècle, car c’est Austrin de Mouret qui donne à son abbé de frère des droits sur les petras ferrales de Cabessières : ego Austrinus de Moret et uxor mea Richarda… donamus sancto Salvatori de Conchas et sanctae Fidi et abbati Begoni, fratri meo... mansum nostrum de Cavabeceira... donamus etiam fevum... quantum ipsi monachi conquistaverunt vel conquistavant in terras et petras ferrales, et alias in boscos118. Vers 1010-1050, Odembellus et son frère Rainon exerçaient déjà la seigneurie banale sur les mas voisins de illa Beciaria et d’Andaliago119. La situation peut se résumer en trois points :
- Les manses miniers de Cabessières, Recoulès et Andaliacum étaient partagés entre plusieurs familles : celle de Conques120, celle de Mouret121 , celle d’Odembellus et de Rainon122, notamment.
- Ces familles avaient privatisé le fisc, les mines, le fief et la viguerie.
- Elles ont soumis ces terres à de précoces et lourdes banalités123.
- 124 Conques, n° 190. On aura remarqué la tournure “vulgaire”, dénotant une pratique irréductib (...)
- 125 Cf. l’ermitage de Monédiers, de l’autre côté des gorges du Dourdou (AD Av., 4H 9 ; 10 févr (...)
31Ici, il y eut bien privatisation du domaine public, appropriation de la viguerie – de la viguerie sur les mines de fer. A proximité d’une abbaye immuniste, les milites y étaient maîtres chez eux, au point de parler tranquillement de “leur” monnaie. C’est l’expression même des deux fils de Pons, Odembellus et Rainon, entre 1010 et 1050 : dabimus nos aut propinqui nostri super altare sancti Salvatoris V solidos de nostra moneda124. Comment comprendre cette expression ? Entendaient-ils par là la monnaie de Rodez ? ou plutôt la monnaie de leur choix ? Une hypothèse plus audacieuse n’est pas à écarter : les deux frères auraient pu mettre la main sur un atelier monétaire, dont ils exploitaient les profits125.
- 126 LMSF 1,31: cujus miraculi assiduitas adeo multiplex extitit, ut ferreorum compedum. quos p (...)
- 127 Conques, n° 196 (mai 997-1031). L’édition Desjardins porte par erreur caballum meum ferrad (...)
- 128 L. LECIEJEWICZ et alii, “Sur le Lévezou…” (1970), pp. 75-76, 86, 88-89. Saint-Jean-le-Froi (...)
32Le Rouergue médiéval était riche en fer. En témoignent les nombreuses entraves (bodias, bogias) que les captifs apportaient à Conques après leur délivrance ; elles encombraient l’abbatiale, et les supérieurs du monastère les firent fondre pour forger de nombreuses portes de fer à l’intérieur de l’église126. Austrin de Conques avait lui-même légué à l’abbaye son cheval à ferrer, caballum meum ferrandum127. Les fouilles de Saint-Jean-le-Froid sur le Levézou (XIe-XIIIe siècle)128 ont permis d’exhumer, outre un four métallurgique et des scories ferreuses, de nombreux fers à cheval, ainsi que des clous à ferrer et divers objets du même métal (notamment des clous, une clé, et une sorte de truelle). L’âge féodal fut bien un âge du fer, et le XIe siècle, siècle des cavallers, un siècle de fer.
Notes
1 D. BARTHÉLEMY, “La mutation féodale a-t-elle eu lieu...” (1992), p. 770 : “il ne faut pas s’éreinter à trouver une explication entièrement satisfaisante” aux “changements documentaires” ; “il faut seulement prendre acte et, donc, le doute plane à propos de l’intensité et du caractère ‘structurel’ de la crise”. C’est la démarche de l’auteur (postulat d’une documentation “lacunaire et aléatoire”) qui suscite ce "doute”, sans chercher à le dissiper – pour en tirer argument contre le “mutationnisme”.
2 Vita Geraldi I, 18 ; I, 24 ; I, 37 ; I, 40… Les Miracula Geraldi, quant à eux, datent de la seconde moitié du Xe siècle.
3 LMSF (Épître dédicatoire à Fulbert) : c’est la renommée naissante de Conques qui a attiré Bernard d’Angers dans le Midi. Déjà, à Chartres, il fréquentait l’ecclesiola sancte Fidis sise hors les murs ; il s’est décidé à venir à Conques après trois années d’enseignement dans sa ville natale d’Angers, trois années décevantes : postpositis repente rebus, ad desideratum gloriose martiris mausoleum divino ducente perveni.
4 K. ASHLEY, P. SHEINGORN, Writing Failli... (1999).
5 D. BARTHÉLEMY, “Antichrist et blasphémateur” (1999), pp. 57-58 : Bernard d’Angers "se présente comme un pur produit des écoles du Nord, relate ses pèlerinages dans un Midi rustique, bruissant de ce qu’on appellerait aujourd’hui des histoires marseillaises. Et pourtant, il va nous dire d’y croire I”.
6 Et c’est cela même qui invite à relativiser l’affirmation des moines relayée par Bernard d’Angers (LMSF II, 5) : le château de Raimond III aurait signifié la destruction du bourg de Conques, rien moins ! Affiirmation qui n’en traduit pas moins deux réalités : la volonté d’indépendance des moines de Conques, la peur que les châteaux inspiraient aux populations.
7 MSG, chap. 4 (mention des milites de Tatil Isam), 5, 6.
8 A partir de 1030 ; cf. la donation du vicomte Hugues de Millau, en 1079-1087 (Conques, n° 16) : Dono etiam quinque mansos in Frontinies, videlicet in Podio Guarnal unum. in la Vileta alium, in Frontinio I, in la Rocheta I, in la Ceparleira I, in Angles I, in Joz II, in Genesta II, in Molaezes II, in Vellag I, in Boschet I, in las Combetas I, in Castrias IIII, in Plano Podio I...
9 Ci-dessus (IV, 4 ; V, 1). Cf. Conques, n° 159 (996-1031): Breve memoriale de illo avero de Boni Monto quae laisavit Hugo filius Ariberto, et apprehensi illa appendaria de Serla in escamge a feu...
10 Chanson, laisses I et III.
11 D. BARTHÉLEMY commet à cet égard un lapsus révélateur : “le mot de mutation convient mieux en biologie qu’en sociologie...” (La mutation féodale a-t-elle eu lieu ?, 1992, p. 771).
12 D. BARTHÉLEMY, L’an mil et la paix de Dieu... (1999), p. 136. Autre concession aux textes de l’époque : “Une vraie montée des violences est-elle cependant exclue, dans des secteurs comme celui de la planèze ?”(p. 257).
13 En juin 1061-1065, ils donnent à l’abbaye de Conques la viguerie de la villa de Rignac, in tali ratione ut monachi habeant duas partes de justicia et terciam partem aliam nos habebimus de manu illorum (Conques, n° 3).
14 V. FRÉZAL, Enquete archéologique… (1991), pp. 114, 118, 133 ; F. de GOURNAY, Les Documents écrits... (1992), p. 171.
15 L’Anonyme de Conques relate successivement la délivrance d’un certain Hugues, fils de Siger de Conques (LMSF III, 4), et l’assassinat de Hugues, “frère bâtard du viguier de ce lieu” (vicarii loci ejusdem... frater nothus), tué par un villageois qu’il persécutait (LMSF IV, 3). Il s’agit sans doute du même personnage, Hugo de Conchas, témoin en 1010-1053 (Conques, n° 23) et en 1031-1065 (ibid., n° 32) ; l’Anonyme laisse entendre qu’il tirait son nom du château de Conques : ejusdem Conchacensis oppidi incola atque originali ortusprosapia… (LMSF III, 4).
16 Conques, n° 23 (1010-1053) : Austrin de Conques donne son enclos à Serniag, chef-lieu (non identifié) de la vicaria Serniacensis.
17 Conques, n° 556 (1099-1108) : Bégon de Calmont donne l’église de Saint-Saturnin-de-Lenne (pôle administratif du ministerium de Valle Serga) avec la chapelle castrale de La Roque-Valzergues (pôle défensif) : illam nostram ecclesiam que vocatur sanctus Saturninus cum capello de castello de Roca que pertinet ad eandem ecclesia.
18 Conques, n° 14 (1062) : et omnes milites juraverunt similiter, et constituerunt ut filii eorum simili modo jurent aut in vitas patrum aut post mortem illorum. Si enim non juraverint filii eorum. non habeant partent in hereditate patrum suorum, excepto uno manso.
19 Vabres, n° 55 (XIIe s.). Ci-dessous, pp. 248-249.
20 Translatio sancti Vincentii, cap. 7 (P. L., t. 126, col. 1021) : cet homme ex Camerensi pago habitait une chaumière (tugurium).
21 J.-P. POLY, É. BOURNAZEL, La Mutation féodale... (1980), évoquent cette “décomposition” des communautés alleutières, et vont jusqu’à parler de “koulakisation” (pp. 485-486).
22 Conques, n° 14.
23 P. BONNASSIE, “Sur la genèse de la féodalité catalane...” (1999), p. 580.
24 LMSF II, 5 : Raimond III “menaçait” (minitaretur) de faire construire un château au-dessus de Conques ut debitum sibi neglegentes reddere obsequium violentia sua subjugaret sueque ditioni submitteret.
25 LMSF I, 23 ; I, 27.
26 Étriers, arbalète, lance bloquée sous le bras à l’horizontale...
27 J. BELMON, Les Vicomtes... (1991) privilégie ce facteur d’explication (pp. 197, 221-222, 289).
28 Cf. Michel BANNIARD, Viva Voce. Communication écrite et communication orale du IVe au IXe siècle en Occident latin, thèse (1988), Paris, Institut des Études Augustiniennes, 1992. En Rouergue, l’occitan apparaît dès la première charte conservée, en février 801 (Conques, n° 1 : qui decurrit deves Andate).
29 Voir ci-dessus, pp. 103-105.
30 En 801, le domaine de Pris comportait les annexes de Prisciculas (“le petit Pris”) vel Sordingas (Conques, n° 1). Dadon n’a pas dû être le seul à essarter le pays de ses propres mains (Conques, n° 580).
31 Conques, n° 108 (mai 888) : farinaria qui est constructus super Latacia. L’Ouche, affluent de droite du Dourdou.
32 A. DURAND, “Les systèmes de culture…” (1995), pp. 179-180 et p. 183.
33 Alain DOUZOU admet lui aussi l’existence d’une rotation triennale autour de Sylvanès (Cisterciens et société laique..., pp. 81-82).
34 A. DURAND, op. cit., p. 182 ; pp. 185-186. Le nom de la commune de Brandonnet (cant. de Montbazens) rappelle sans doute ces pratiques ; il est attesté en 961 (HGL, V, n° 111, col. 248 : illo alode de Brandonedo... cum ipsas ecclesias). Cf. A. SOUTOU, “Le nom de lieu Compolibat..” (1965).
35 A. DURAND, op. cit., p. 180.
36 A. DURAND, op. cit., p. 188 (graphiques).
37 C’est ainsi que des vignes devaient parfois diverses redevances n’ayant rien à voir avec le vin : à Mazerac (comm. d’Almon), 5 deniers, 5 setiers d’avoine, 5 pains et le quart (Conques, n° 87 ; fin XIe siècle) ; à Rosario en Bas-Rouergue, le quart, un setier d’avoine et un denier (ibid., n° 334 ; 1031-1060) ; ailleurs encore, une cuisse de vache ou six deniers, una coissa de vaca o VI denarios omni anno (ibid., n° 517 ; v. 1065-1087).
38 F. de GOURNAY, Étude du Cartulaire… (1988), t. II, pp. 279-283. Nos chiffres diffèrent légèrement de ceux d’Aline DURAND. “Les systèmes de culture...” (1995), mais ils vont dans le même sens quant à l’importance des redevances en avoine.
39 Avoine : 19 terroirs (22, 3 %). Seigle : 5 terroirs (5, 9 %). Froment : 1 terroir (1, 2 %).
40 Moutons : 21 terroirs (24, 7 %). Agneaux : 13 terroirs (15. 3 %). Porcs : 12 terroirs (14, 1 %). Vaches : 2 terroirs (2, 3 %). Aucune redevance en vaches en dehors du Ségala.
41 Avoine : 5 terroirs (17, 8 %). Seigle : 2 terroirs (7, 1 %). Froment : 1 terroir (3. 6 %). Pour le bétail : mouton, 7 terroirs (25 %) ; agneau, 5 terroirs (17, 8 %) ; porc, 2 terroirs (7, 1 %).
42 Porcs : 6 localités (35, 3 %). Moutons : 5 localités (29, 4 %). Agneaux : 3 localités (17, 6 %).
43 A. DOUZOU, Cisterciens et société laique... (1971-72), t. I, p. 88 : “dans le Camarès et sur le Larzac l’élevage ovin prédomine” (par opposition aux Monts de Lacaune, où “c’est plutôt l’élevage du gros bétail”). A.-R. CARCENAC, Les Templiers du Larzac... (1994), pp. 131-145.
44 LMSF1, 6. Molières, comm. d’Escandolières.
45 Conques, n° 14 (1062, Clairvaux) : vidit locum idoneum de montibus circumquaque septum, de vineis uberrimum, de pratis atque irriguis aliquid ornatum.
46 Conques, n° 87 (fin XIe siècle) : illi mansi de Seront una pupada de canbe (Sérons, comm. d’Aubin) ; n° 190 (v. 1010-1050) : les mas d’Andaliago et de illa Beciaria devaient chacun IIII cereos de canbe (vers Cabessières, comm. de Conques) ; n° 213 (XIe s.) : le cens imposé aux trois mas de Canuas comprenait III manadas de canbe.
47 A. DOUZOU, op. cit., pp. 85 sv. ; A.-R. CARCENAC, Les Templiers du Larzac..., pp. 131-145.
48 Aniane, Diplomata, n° 13 (21 octobre 837) ; Sylvanès, n° 93 (1152).
49 LMSF I, 14 : cum in quodam indicte afflictionis jejunio venerabilis illa imago... foras cum ingenti processione efferretur ; I, 15 : cum in quodam indicte afflictionis jejunio venerabilis imago cum enormi constipatione promiscui sexus processionaliter foras quoque eveheretur…
50 Sylvanès, n° 470, p. 382 (cap. 3) : in tempore illo facta est fames incomparabilis in illa regione, negavit enim terra fructum cultoribus suis et luxerunt omnes qui colebant eam... Cf. Alain DOUZOU, Cisterciens et société laique... (1971-1972), pp. 15-16.
51 Vita prima sancti Fulcramni V, 1-4 : audivit a dicentibus quod triticum venundaretur in Rutenico a quibusdam nobilibus viris qui morabantur in locis tutissimis. His vero auditis, vir vene- rabilis sumpto precio ire disposuit ut inde victum sumeret, quo egentium miseriam sublevaret… (V, 3). Cf. aussi Vita tertia sancti Fulcramni III, 13.
52 HUGUES DE FLAVIGNY, Chronique (PL, t. 154, col. 255) : accepit etiam pecuniam non parvam a comité Rutenensi, concessa loco vadii abbatia sancti Amantii… Verum comes data pecunia et abbatiam sibi usurpavit cum redditibus et fundis ; et ut asserunt habitatores Rutenae urbis, antequam pecunia recepta fuisset ex ejusdem abbatiae fundis, ipse morte praeventus est, et sic abbatia a successoribus ejus retenta est... La date de 1028 (col. 253) doit être corrigée ; le passage qui suit sur les actes de cannibalisme (col. 254) est démarqué de Raoul Glaber.
53 Conques, n° 15 (1060) : et si homines vel feminas forfacturas faciunt ad illo loco vel ad alla honore vel ad allos mercatores que veniant ad regrediant ad illum mercatum, erimus adjutorio domino Deo et sancto Petro sine inganno...
54 LMSF III, 15 (même époque que III, 14). Ce marché n’était pas situé près de Servières (comm. de Villecomtal), mais près d’un autre château, celui d’Étienne.
55 LMSF I, 24 : cum vidisset facillimum cere commertium, nam propter peregrinorum frequentiam offerentium cereos multo vilior habetur, ilico notam sue artis peritiam revocat ad memoriam… : ce marchand était venu pour prier (orationis causa), mais son sens du commerce a vite repris le dessus ! Les gardiens de la cire du sanctuaire étaient des laïcs, comme Guibert l’illuminé (I, 1) ou Étienne (II, 5).
56 Conques, n° 17 (998-1010) ; LMSF I, 12.
57 Les Infruts, auj. la Baraque des Infruts, comm. de La Couvertoirade. En 1173, cette villa sera inféodée par l’abbé de Conques Isarn au comte de Rodez Hugues II (AD Av., 4H 19, f° 31v° – 32 v°) ; acte étudié par J. BOUSQUET, “Quatre études...” (1964).
58 En 1079-1087, l’un des covicomtes de Millau, Hugues, y donne à l’abbaye sa part de la leude : in ipso Ameliavo partem quam habeo in ledda (Conques, n° 16).
59 Conques, n° 572 (1060) : donavit denique perpetualiter medietatem teloneo salis de ponte Spelei.
60 Conques, n° 7 (910), 249 (v. 1010), 354 (997-1031).
61 Conques, n° 572 (1060).
62 Conques, n° 217 (v. 996-1031) : donation d’un capmas qui vocatur ad illa Strada (Lestrade, comm. de Golinhac).
63 Conques, n° 110 (945). La Serre, comm. de Saint-Cyprien, ne peut passer pour un grand axe de circulation.
64 Conques, n° 314 (mars 1002 ; La Carrière, comm. de Mouret). Quelques années plus tard – vers 1010 – , les envoyés de Hugues de Cassagnes allèrent chez des paysans réquisitionner des charriots (véhicula) pour dérober le vin des moines, entreposé à Molières (LMSF I, 6).
65 AM Millau, A 1 (cartulaire de la maladrerie Saint-Thomas), n° 10 (1153) : als malautes de la fermaria de Trasgeig... Cf. Susanne Frances ROBERTS, Charity and hospitality... (1975), p. 327, et Marcel VILLOUTREIX, Les noms de lieux du Limousin, Limoges, 2002, p. 166 (Le Trech, comm. de Tulle ; Treix, comm. d’Ars). Le latin trajectus se retrouve dans les noms de Maastricht et d’Utreeht.
66 Conques, n° 572 (1060).
67 Ci-dessus, chap. 1 (le pagus).
68 LMSF Lond. 4.
69 Conques, n° 32 (1031-1059).
70 Conques, n° 34 (996-1031). La Truyère était donc navigable ? C’est ce que donnerait à penser le toponyme Lanau (comm. de Neuvéglise, Cantal), en amont de Mels.
71 Conques, n° 559 (9 avril 1183). Blanadet, comm. de Vieillevie (Cantal) est à mi-chemin entre Conques et Entraygues.
72 P. BONNASSIE, “La monnaie et les échanges...” (1978) note deux changements d’importance entre l’époque de Géraud d’Aurillac et celle de Bernard d’Angers : la diffusion de l’or (p. 282) et l’amplification globale des échanges (p. 286).
73 Conques, n° 181 : tota illa mea partae de illa vinea de Vasello que ego habeo cum Rigualdo fratre meo... accepi etenim de ipso abbate Adalgerio supra nominato monachisque suis in precio, hoc sunt solidi septingenti XXX de Lemoticanos...
74 Conques, n° 124 (juillet 907) : in argentum et in alias res conpreciatas valentes solidos CCCL ; ibid., n° 128 (juillet 907) : in argentum aut in alodum aut in alias res conpreciatas valentes solidos CCC. Ces deux ventes concernent la villa de Mousset (comm. de Mouret).
75 Conques, n° 208 (932) : componat vobis auri libras III, argento pondera V.
76 LMSF I, 21 (tres aureos) ; II, 3 (unum aureum) ; III, 3 (aurem quem vulgo manconem dicimus). Conques, n° 364 (unum denarium aureum). L’hypothèse de Mme CASTAING-SICARD (Monnaies éodales..., 1961, p. 68) sur un Rouergue relativement privilégié en monnaies d’or ne repose que sur des localisations erronées ; cf. A. SOUTOU, “Localisation géographique...” (1970), p. 122.
77 G. FOURNIER, O. LAPEYRE, “A propos de la découverte d’un trésor...” (1988). La constitution et l’enfouissement du trésor se situeraient aux environs de 1155 (p. 482).
78 AD Av., 3G 453 (1031-1060). Jouels, comm. de Sauveterre-de-Rouergue.
79 Conques, n° 14 (1062) : in memoria census per singulos annos… unum manconem auripersolvant.
80 Les païens d’Agen en recouvraient leurs temples : Guerpiron Deu, corron al fan, Cubergro.l tot d’aur cordoan (v. 47-48).
81 Conques, n° 205 (v. 1010), 213 (XIe s.), 253 (v. 1010), 256 (1061-1065).
82 F. de GOURNAY, Étude du Cartulaire..., t. II (1988), p. 292-293 ; P. OURLIAC, Le Cartulaire de La Selve... (1985), pp. 104-105.
83 J.-L. BIGET, Albi et l’Albigeois (1993), trace un parallèle entre les deniers raimondencs d’Albi et les deniers ugonencs de Rodez, qui tireraient leur nom du comte Hugues [1010-1053] (t. I, p. 33).
84 Conques, n° 499 (XIIe s. ?) : dedit pignus pro centum solidis de illa meliore moneta quod tune currerit in isto comitatu quando redemptum fuerit pignus. ACLP, t. I, n° 39 (1142) : .XII. den. delz meillors que corrau a Rodes.
85 Conques, n° 148 (997-1004) : unde accepi de vospretium… hoc sunt solidi X de Lemovicanos medios novos et medios veteros.
86 Conques, n° 507 (1087-1108 ; Melgueil) : si denarii fuerint détériorés ; ACLP, t. I, n° 42 (vers 1145 ; Melgueil) : E sel moneda de Melgur abatia...
87 A. DOUZOU, Cisterciens et société laique... (1971-1972), pp. 62-64.
88 A. DURAND, “Les systèmes de culture...” (1995). Cf. aussi F. de GOURNAY, Étude du Cartulaire... (1988), t. II, pp. 279-280 : pour 146 localités du Rouergue, l’avoine apparaît sur 30 terroirs, le froment sur 10, le seigle sur 9.
89 Près de Trébosc, comm. de Montrozier.
90 A.-R. CARCENAC, Les Templiers du Larzac… (1994), pp. 147-156.
91 ACLP n° 221 (1185) : eu Aimerix de Clarmont. filz d’Amabilia, et eu Maria, sa moiller... metem em peinnora... alz fraires del Temple... e per nom a te. B. Eschafre, maistre de la maio de Sancta Eulalia, lo forn del castel de Clarmont el bosc Lattjardenc... per .M.D. sol. raimundenx...
92 ALBENQUE, Les Rutènes... (1948), pp. 168-175 ; M. LABROUSSE, “Exploitation...” (1958).
93 STRABON, Géographie IV, 2, 2 : Παρα δε τοι Ρουτηνοι αργυρεια, εχουσι δ’αργυρεια και οι Γαβαλει
94 Comme en témoigne l’inscription de Smaragde, trouvée en 1890 au Puech de Serre, à 1800 m. au sud-ouest de La Bastide-l’Évêque : Zmaragdo vilico / quaestfori) magistro / ex decurion(um) decr(eto) / familiare Ti(berii) Caesari / quae est in me...lis (CIL XIII, n° 1550). Villefosse propose in metallis” (approuvé par Hirschfeld).
95 Atlas Midi-Pyrénées, Paris, 1970 (B2 : Géologie et richesses minières).
96 Conques, n° 278 (1031-1065) : quartum de vineas de Aurnant.
97 Le terme gaulois nantos ne signifiait pas “vallée”, comme l’affirment certains toponymistes, mais plutôt “rivière, ruisseau” (cf. gallois nant) : P.-Y. LAMBERT, La Langue gauloise, Paris, Errance, 1994, p. 197.
98 INSEE, Nomenclature des communes et des lieuxdits… (s. d.), t. Il et III.
99 La Mine, comm. de Saint-Félix-de-Sorgues ; Mines, comm. de Saint-Georges-de-Luzençon ; Minier-Bas, comm. de Naussac ; le Minié-Bas et le Minié-Haut, comm. de Saint-Geniez-d’Olt.
100 Les Argentiès, comm. de Campuac.
101 La Ferrière, comm. de Mounès-et-Prohencoux, de Nauviale, de Saint-Geniez-d’Olt, de Saint-Jean-du-Bruel (où l’on trouve également Femère-Haute). Ferrières, comm. d’Aurelle-Verlac, de Pruines, de Saint-Félix-de-Lunel, de la Salvetat-Peyralès. Ferriès, comm. de Campuac, de Lassouts. Montferrier, comm. de Bertholène. Ferrieu, comm. de Flavin, de Vezins-de-Levézou. Ferrals, comm. de Salles-la-Source. Roqueferral, comm. de Combret.
102 Aurières, comm. de Montézic, de Murols, de Saint-Santin. Laurière, comm. de Villefranche-de-Rouergue. Moulin d’Auribal, comm. de Najac. Combaurie, comm. de Villecomtal. Combauriès, comm. de Toulonjac. Aurias Cumbas jouxtait Mas-Berthès, comm. de Pruines (Conques, n° 205, vers 1010 ; cf. n° 172,997-1031).
103 AD Av., IG 466 (Velletri, 25 mai 1181-1185 ; copie moderne, papier).
104 AD Av., IG 466 (Villeneuve, mai 1191 ; vidimus, 1266).
105 AD Av., IG 466 (Clermont, 29 juillet 1214 ; copie moderne, papier).
106 Chronicon breve de gestis Aldeberti, 8 (éd. Cl. BRUNEL, Les miracles de saint Privat suivis des opuscules d’Aldebert III, éveque de Mende, Paris, 1912) : convocavit omnem clerum et populum Gaballitane regionis et super hoc querimoniam suam exposuit.
107 Entre la bulle d’or accordée par Louis VII (1161) et la mort de Raimond Bérenger IV (1162) ; si le comes Barcilonensis désigne le fils de ce dernier, le comte-roi Alfonse le Chaste, il faudrait repousser le terminus ante quem en 1165-1170, date de la rédaction de cette chronique (Cl. BRUNEL, op. cil., Introduction, p. xliv).
108 Chronicon breve de gestis Aldeberti, 8 : Argentarie, multis retro annis, in Gaballitana regione invente sunt, in quibus nullum jus nullamque communionem episcopipredecessores sibi vendicabant…
109 Ibid., 8 et 16. D’après le chroniqueur, Aldebert III aurait voulu imiter l’exemple des régions voisines (considérons exemplum adjacentium regionum).
110 Le Kaymar, comm. de Pruines. C’est le plus important gisement de fer de la région Midi-Pyrénées signalé par l’Atlas Midi-Pyrénées (Paris, 1970). Nous remercions M. Philippe ABRAHAM de nous avoir transmis le résultat de ses travaux, ainsi que les datations au radiocarbone effectuées à l’Université de Lyon I (CNRS, UMR n° 5138).
111 Ph. ABRAHAM, “Mines et métallurgies antiques...” (1997), p. 242-243 : Ferrière, Ferrières, Farrié, Farrière, la Farayrie, le Farreyrou…
112 Centre de datation par le radiocarbone, Université Claude Bernard (Lyon 1) : 1425 BP pour le site de Roussy (comm. de Conques), soit, après correction dendrochronologique, de 563 à 669 ap. J.-C. ; le laboratoire propose comme date la plus probable le milieu du VIIe siècle (644 ap. J.-C.).
113 Site des Bordes (comm. de Conques) : 2165 BP, soit de 363 à 62 avant J.-C.
114 Communication personnelle de Ph. Abraham.
115 Conques, n° 581 (838) : le lieu de Conques relevait du fisc royal (fiscum regis) lorsque Dadon vint s’y retirer à la fin du Ville siècle.
116 M. LABROUSSE, “Exploitation” (1958), p. 101 (commentaire de l’inscription de Smaragde : CIL, XIII, 1550). L’inscription provient du Puech de Serre, comm. de La Bastide-l’Évêque.
117 Plutôt que vicaria Ferrariensis, “la viguerie de la Ferrayrie”. C’était aussi l’avis d’Alexandre ALBENQUE (op. cit., p. 174). La multiplicité des toponymes ferriers de la région du Kaymar laisse penser que ferrariensis ne renvoyait pas à un toponyme particulier (la Ferrayrie, comm. de Conques), mais avait une valeur appellative plus générale, comme le suggère également la diversité des formes anciennes : aice Ferrarias, 888 ; ministerio Ferriacense, 915 ; vicaria Ferriarense, 933 ; vicaria Ferraricense, 960 ; ministerio Ferrariense, 961 ; vicaria Farranicense, 962 ; vicaria Ferrairense, 966 ; vicaria Feirracense, 997-1004 ; vicaria Ferraries, XIe siècle (Conques, respectivement n° 108, 262, 157, 218, 340, 85,330, 40,362).
118 BN, Doat 143, f° 258 (1087-1108). Cabessières (comm. de Conques) est à proximité des Fargues.
119 Conques, n° 190 : droit de taverna, corvée à la semaine (hunum hominem ad opéra tota septima cum suo pane).
120 Conques, n° 32 (1031-1059) : Austrin de Conques, sa femme Avierne et leurs deux fils donnent à l’abbaye partem nostram de manso de Beceria et de Andaliaco.
121 Doat 143, f° 258 (1087-1108) ; Conques, n° 371 (1087-1108).
122 Conques, n° 190 (v. 1010-1050).
123 Conques, n° 190 (v. 1010-1050) : taverna et corvée d’une semaine sur Andaliacum (deux mas) et sur illa Beciaria (un mas et un capmas). Doat 143, f° 251 (1060-1065) : sur les mêmes terres, Gerbert cognomine Ricardus, sa femme et tous leurs enfants donnent totum drictum et tortum quem in istas terras Jam dictas amparabamus, excepta vigaria de sirvento nostro. Doat 143, f° 257 (1087-1108) : Deusdet Gerbert donne sur le mas de Cabessières drictum et tortum, excepta vicaria de sirvento meo. Conques, n° 371 (1087-1108) : frères de l’abbé Bégon III, Hugues et Austrin de Mouret prélevaient sur le mas de Recoulès le quart et un cens comprenant l’albergue et le banvin (taverna) ; la donation de ce mas fut effectuée par Austrin qui en fit consigner le cens in presentia domni Begoni abbatis et Ademaris sacristae et Bonefaci monachi (Boniface de Vigouroux : abbé de Conques en 1108, il succédera à Bégon de Mouret) et vicarioli ejusdem mansi et ipsorum hominum qui eodem manso laborabant. On ne saurait mieux souligner l’importance exceptionnelle du mas de Recoulès.
124 Conques, n° 190. On aura remarqué la tournure “vulgaire”, dénotant une pratique irréductible aux schémas des scribes (cf. l’échange en fief, escamge a feu : Conques, n° 159 ; ou la mention d’une guerra dans la région d’Almont : ibid., n° 247).
125 Cf. l’ermitage de Monédiers, de l’autre côté des gorges du Dourdou (AD Av., 4H 9 ; 10 février 1271 n. s.), qui tire son nom de *Monetarius, tout comme le Massif des Monédières (Corrèze) ou le village de Monédeyres (comm. de Queyrières, cant. de Saint-Julien-Chapteuil, Haute-Loire).
126 LMSF 1,31: cujus miraculi assiduitas adeo multiplex extitit, ut ferreorum compedum. quos pagensi lingua bogias vocart, inmensitas occupationem in monasterio faceret ; quocirca tantam feri massam extundi atque in multimodas januas redigi studio fabrorum seniores decreverunt...
127 Conques, n° 196 (mai 997-1031). L’édition Desjardins porte par erreur caballum meum ferradum, ce qui induit en erreur (“mon cheval ferré”) ; le manuscrit porte caballum meum ferrandum (“mon cheval à ferrer”).
128 L. LECIEJEWICZ et alii, “Sur le Lévezou…” (1970), pp. 75-76, 86, 88-89. Saint-Jean-le-Froid, comm. et cant. de Salles-Curan, à 987 m d’altitude.
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.