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Les Parlements de province

 | 
Jacques Poumarède
, 
Jack Thomas

II. Idéologies

Le parlement de Navarre et l’union des classes : doctrine et réalités

Frédéric Bidouze

Texte intégral

  • 1 . R. Bickart, Les Parlements et la notion de souveraineté nationale au XVIIIe siècle, Pari (...)
  • 2 . En particulier l’action de Rennes en faveur du parlement de Paris, après l’arrestation d (...)
  • 3 . Provoquant « un puissant réflexe de défense », cette affaire encouragea un progrès sensi (...)
  • 4 . J. Flammermont, Les remontrances du Parlement de Paris au XVIIIesiècle, Paris, 1888- 189 (...)

1De l’avis de tous les historiens qui se sont attardés sur la question, principalement R. Bickart et F. Olivier-Martin1, outre quelques signes de solidarité et de correspondance resserrés dans la première partie du XVIIIe siècle2, la doctrine de l’union des classes a pris naissance lors de la fameuse opposition des parlements concernés par les nouvelles prérogatives du Grand Conseil (déclaration du 10 octobre 1755)3. S’inspirant principalement de l’ouvrage d’Adrien Lepaige, Lettres historiques sur les fonctions essentielles du Parlement, sur le droit des pairs et sur les lois fondamentales du royaume, selon lequel le parlement est une cour souveraine unique formée de différentes classes, les parlements reproduisirent, avec des variantes toujours très fidèles, le modèle inauguré par celui de Paris à partir du 27 novembre 17554. Les remontrances du 22 août 1756 se firent plus explicites et quelques passages constituent le canevas « historique » de la doctrine reproduit maintes fois par les cours :

  • 5 . Ibidem, p. 12-13.

« La cour métropolitaine et toutes ses colonies sont les diverses classes d’un seul et unique parlement, les divers membres d’un seul et unique corps, animés du même esprit, nourris des mêmes principes, occupés du même objet »5.

  • 6 . J. Egret, La pré-Révolution française (1787-1788), Paris, 1962, p. 238.

2Ces assauts, qui se prolongèrent au cours des années suivantes, coïncident avec les grandes batailles fiscales des années 1750 et 1760. Après l’affaire du Grand Conseil, c’est à propos des conflits internes de certaines cours que l’union des classes se manifeste, notamment lors des démêlés du parlement de Besançon avec son premier président (1758-1761), de ceux du parlement de Pau pour les mêmes raisons (1763-1765), ou du conflit de la cour de Rennes avec le duc d’Aiguillon (1764-1765). Toutes ces affaires sont l’occasion de témoignages très nombreux, plus ou moins appuyés de la plupart des cours de France et le prétexte de nombreux discours sur l’union. Après la réforme de Maupeou en mai 1771, on n’entend plus parler de cette thèse ; sous Louis XVI elle ne réapparaît qu’en août 1787 après les sanctions d’exil infligées aux parlements de Paris (15 août-20 septembre 1787) et de Bordeaux (17 août 1787-20 octobre 1788). Là encore, on retrouve de nombreuses preuves de solidarité sous des « formes diverses plus ou moins compromettantes » selon l’expression de J. Egret6. Ces témoignages sombreront très vite dans la confusion la plus totale, victimes des choix respectifs des provinces dans le drame prérévolutionnaire de l’été 1788.

3De la même façon que l’exploitation des thèmes communs fut très variable, nous savons que le zèle des cours souveraines fut très inégal et notre propos n’est pas de renouveler une enquête qui, sur ce plan-là, serait inutile et prétentieuse. Mais l’union des classes est un épisode del’histoire parlementaire si représentatif de la fiction politique et sociale de l’Ancien Régime qu’elle constitue un support idéal pour éclairer le ton, le fonds et la forme d’un dialogue entre la province et le pouvoir royal. C’est ainsi qu’avant tout, nous aborderons l’histoire de ce thème exploité par le parlement de Navarre, non seulement sur le plan de la pure intention politique à un moment donné (comme la participation à un mouvement général de protestation), mais aussi sur un plan lexical, en prenant en compte le support (remontrance, lettre au roi, arrêté ou témoignage de solidarité envers la cour « agressée »), la fréquence d’un vocabulaire « type », d’un langage caractéristique voire même stéréotypé. Sans prétention, car nous le verrons, le discours « unioniste » de la cour de Pau est extrêmement pauvre, nous essaierons de coordonner les données politiques locales aux enjeux nationaux qui ont été, bon gré mal gré, traversés par ce « fantôme » politique que fut le thème de l’union des classes.

I – Le parlement de Navarre : le cadre historique et politique

  • 7 . C. Desplat, le For de Béarn d’Henri II d’Albret (1551), Pau, 1986, p. 48. Le renouvellem (...)
  • 8 . Pau ne répondit pas aux appels de la cour de Paris au début de l’année 1649. L’historien (...)
  • 9 . F. Bidouze, Les remontrances du Parlement de Navarre au XVIIIe siècle, mémoire de DEA, U (...)

4Étudier une doctrine qui, à bien des égards, fut l’esquisse plus ou moins opaque d’un trait d’union entre toutes les provinces françaises de l’Ancien Régime, semble peu s’harmoniser avec le comportement d’un des parlements du royaume qui représentait un « pays » des plus particularistes. Fondé en 1620, le parlement de Navarre était l’héritier de structures politico-judiciaires complexes : cour plénière, cour majeure, conseil souverain de Navarre et de Béarn, chambre des comptes de Pau et de Nérac… Le parlement prétendait jouer un rôle gouvernemental et se présentait comme l’héritier du conseil souverain, il défendait ainsi la fiction d’une double monarchie, française d’une part et navarro-béarnaise de l’autre. C’est pourquoi il fut le porte-parole d’une province qui, comme aucune autre dans le royaume, jouissait de prérogatives souveraines très étendues et surtout régulièrement confirmées par le monarque7. Son comportement au cours des XVIIe et XVIIIe siècles fut des plus loyaux et traditionnels à la fois. Absent de l’épisode de la Fronde (ce qui constitue un premier indice en matière d’adhésion doctrinale, un des premiers repères historiques de l’union étant le fameux arrêt de la chambre Saint-Louis du 13 mai 1648)8, le parlement fut des plus discrets jusqu’au milieu des années 1750. Ses remontrances, dont nous présentons une édition critique9, se montrent modérées, rarement violentes et surtout peu itératives ; seule, la fameuse crise des années 1763-1765 aboutissant à la démission du parlement, sorte d’épisode préparatoire à la réforme Maupeou, poussa les parlementaires palois à approfondir leur message et dévoiler leur discours d’opposition au pouvoir royal. Après le retour du parlement en 1775, son activité, quoique plus intense (près de 30 % des remontrances), n’aborde qu’avec parcimonie et contradictions les conflits de l’époque, notamment le dernier des années 1787-1788 où les hésitations de la province à députer aux États Généraux contrastent avec les plus nombreux et les plus actifs témoignages de solidarité envers les autres cours souveraines.

  • 10 . Un des fers de lance de la cause constitutionnaliste, Jean-Jacques Faget de Baure, est à (...)
  • 11 . Remontrances du 16 mars 1716 (Arch. dép. Pyrénées-Atlantiques, B 4548, fol. 104 et 105): (...)

5A priori et compte tenu de l’histoire particulière de la province, le thème de l’union n’avait pas de terrain propice à son épanouissement. Si l’on pense que le premier obstacle à sa réalisation concrète était l’esprit régionaliste, le parlement de Navarre ne devait pas se prêter à une idéologie en quelque sorte auto-destructrice10 ; le second, quant à lui, qui attribuait à Paris la qualité de cour supérieure, prend ici toute sa résonnance lorsque l’on sait que le parlement de Navarre se disait fondé « à l’instar » de celui de la capitale et prétendait bénéficier seul de toutes ses prérogatives, revendiquant en quelque sorte « la tête » mais non « les membres »11 ! Présentée ainsi, la problématique pourrait tourner court s’il n’y avait pas les preuves qu’à des périodes données, selon un vocabulaire spécifique et une stratégie bien menée, le parlement de Navarre n’avait pas bousculé ces obstacles au risque parfois de faillir à sa mission. Néanmoins, nous allons le montrer, il ne trahit jamais un particularisme étroit et une fiction de souveraineté présentée comme unique et incomparable. Nous essaierons d’illustrer, à l’aide d’un solide appareil comparatif structurant l’oeuvre du parlement de Navarre à travers une doctrine nationale, les sentiments unitaires, solidaires et tout simplement de correspondance, exprimés à l’adresse des cours souveraines du royaume.

II – Une correspondance de proximité et de faible intensité

  • 12 . Remontrances du 19 mai 1716 (B 4548, fol. 110 à 116) ; du 19 mai 1733 (B 4551, fol. 159- (...)
  • 13 . En 1766 on parle « d’intérêt commun avec nous » (B 4562, fol. 172) ; la correspondance s (...)
  • 14 . Information faite par les maîtres des Eaux et Forêts de Saint-Marcellin le 29 mai 1761 e (...)
  • 15 . Le procès des jésuites fut en quelque sorte en Béarn la condition sine qua non de la par (...)
  • 16 . Échange de courrier entre la fin juillet et la fin août 1762 (B 4659, fol. 108,109).

6Les relations entretenues par le parlement de Navarre avec les autres cours souveraines furent essentiellement, pendant le XVIIIe siècle d’ordre conflictuel ; il s’agissait de défendre la juridiction de son ressort, notamment en tant que chambre des comptes (réunie au parlement depuis 1691), puisque cette dernière s’étendait sur le domaine ancien et nouveau des rois de Navarre, comtes de Foix et vicomtes de Béarn, c’est-à-dire un ressort douze fois supérieur à celui du parlement ! C’est pourquoi se multiplièrent jusqu’en 1789 les procès avec le parlement de Bordeaux sur la juridiction d’Albret, avec celui de Toulouse sur celle des châtellenies de Rouergue, de Foix, Nébouzan...12. Considéré comme un parlement « de peu » par ses deux grands voisins, celui de Pau défendit farouchement ses prérogatives et trouva naturellement des appuis dans les cours de ressort équivalent, en particulier celle de Dijon qui militait en faveur du respect de sa juridiction face à la commission de Valence13. De même en 1761 furent échangés des positions communes avec Grenoble à l’égard des Eaux et Forêts14. Paris n’exerça en revanche aucune séduction particulière, si ce n’est au cours du procès des jésuites où, dans des conditions politiques précises mais représentatives de la question15, la cour de Navarre demanda « un exemplaire collationné des extraits que le parlement de Paris a recueilli des assertions soutenues par les autheurs des soy disants jésuites »16.

7Au total, le bilan reste bien faible et somme toute fidèle au comportement traditionnel du parlement et à son envergure limitée. Aucune stratégie, aucune politique commune ne sont à mettre à son crédit sur un plus ou moins long terme et en aucun cas d’évocation de l’union des classes avant le mois de novembre 1763 qui correspond au début d’une crise décisive pour l’avenir du parlement. Encore faut-il rester trèsprudent sur cette assertion brutale et définir le passage entre une correspondance modeste et des témoignages de solidarité, de soutien durables et fidèles.

III – Quels supports au service de la correspondance ?

8La correspondance stricte se rapporte aux lettres écrites et reçues par le parlement de Navarre : réception d’arrêtés, de remontrances ou de simples messages de remerciements, de félicitations ; expéditions uniquement de sa part de lettres de remerciements, de félicitations ou bien d’extraits de ses propres registres (surtout lors des querelles internes avec son premier président).

9Mises à part les correspondances éparses dont quelques-unes ont été citées plus haut, nous avons réalisé un relevé exhaustif pour les deux périodes, susceptibles d’alimenter le dialogue et d’intensifier les échanges.

10La première correspond à quelques mois près à la crise du parlement (1763-1765), la seconde, beaucoup moins intense, à la période pré-révolutionnaire (1787-1788). L’absence de correspondance dans les années 1750 s’explique aisément : notre parlement ne manifesta aucune réaction à l’égard de la déclaration du 10 octobre 1755, comme ceux de Rennes, Besançon et Douai, ainsi que les conseils souverains de Colmar et de Perpignan.

  • 17 . II existe un imprimé contenant les remontrances du parlement de Nancy, arrêtées le 12 ja (...)

11Toutes périodes confondues et d’après un dépouillement des tables des registres, huit parlements furent en relation avec celui de Pau : Grenoble (6 fois entre 1761 et 1765), Toulouse (3 fois en 1764,1765 et surtout 1788), Rennes (3 fois en 1765), Dijon (3 fois en 1765), Bordeaux (2 fois en 1765 et surtout en 1787-1788), Rouen (2 fois en 1764 et 1765) ; Paris (2 fois en 1762 et 1765), enfin Aix (1 fois en 1765)17. On s’aperçoit du relatif isolement du parlement qui n’avait pas une propension exagérée à s’épancher sur ses malheurs et, du moins, n’estimait pas que les interventions auprès des autres cours soient indispensables à son bon fonctionnement.

  • 18 . Remontrances du 14 décembre 1787 (B 4572, fol. 60-66) et du 18 janvier 1788 (100-105), à (...)
  • 19 . Lettres du 23 mars 1765 (B 560, fol. 141,141 v°) et du 31 août 1787 (B 4572, fol. 40 v°- (...)
  • 20 . Il est difficile d’établir des comparaisons précises ; néanmoins, d’après ce bilan chiff (...)
  • 21 . « Trois Parlements seulement – Pau, Metz et Douai – se turent ». J. Egret, Louis XV et l (...)

12Les grands témoignages de solidarité auprès du roi furent logiquement encore plus rares ; celles que J. Egret considère comme les plus significatives, lettres ou remontrances, réduisent l’analyse à une peau de chagrin. Seules trois remontrances sont à mettre à l’actif de nos parlementaires, dont aucune pendant la période essentielle du sujet, c’est-à-dire les années 1760. Elles concernent les atteintes portées aux parlements de Bordeaux et de Toulouse en 1787 et 178818. Enfin deux lettres au roi : l’une quasiment obligée en faveur de Rennes, victime des mêmes sanctions en 1765 ; l’autre chargée d’ambiguïté et de symbole, commentant, sur proposition du parlement de Paris en exil, la demande de réunion des états généraux19. Là encore le bilan chiffré est bien maigre, quand on pense à l’active opposition des parlements dans les années 1750 et 1760 puis 1787-178820 ; celui de Pau y participa « honorablement » selon l’expression de J. Egret et cette appréciation correspond exactement au degré bien modeste de solidarité dont il a fait preuve à l’égard de ses confrères. Enfin, il faut préciser certaines péripéties de la chronologie responsables de cette discrétion : l’absence de débat autour des prérogatives du Grand Conseil (1755-1757), la démission prématurée en 1765 et une parenthèse silencieuse de dix ans jusqu’au retour des « revenants » (1765-1775). Sur les quinze années d’intense activité (1755-1771), le parlement de Navarre n’en aura bénéficié que de quatre (1761-1765) pour exprimer sa tendance, encore que ce ne soit pas innocent, il ne participa point en effet à la campagne de solidarité en faveur de Besançon (1758-61)21, livré à des malheurs semblables au parlement de Navarre quelques années plus tôt.

  • 22 . « Sans doute notre parlement était trop jeune et trop loin pour s’unir aux révoltes... ; (...)

13En définitive, et avant d’approfondir les investigations sur la teneur du discours d’adhésion à l’union des classes, ce premier état des lieux chronologique et pratique illustre ce que l’historiographie22 a toujours suggéré sans vraiment s’y attarder, une absence d’ouverture évidente, sice n’est sur le plan défensif pour garantir l’originalité juridique et institutionnelle contre les ingérences des cours voisines de Bordeaux et de Toulouse : un ralliement tardif, opportuniste et relativement discret à ce que l’on peut se contenter d’appeler pour l’instant l’élan de solidarité et d’affection entre les cours souveraines du royaume.

  • 23 . On note en effet l’absence de participation à la querelle des sacrements, une contributi (...)

14Tardif, discret et opportuniste, que de qualificatifs peu flatteurs pour cette cour pendant les années fortes de l’opposition au pouvoir royal et de l’élaboration d’une conscience de souveraineté nationale par le discours parlementaire ! La cour de Navarre ne s’est que rarement aventurée dans les débats nationaux, ses préoccupations étaient plutôt locales, seule lui importait la défense des privilèges de la province et l’usage des fors en était la justification essentielle23.

  • 24 . R. Bickart, Les Parlements..., p. 173 et 277.

15Il s’agit désormais d’étudier précisément ce que les registres nous ont laissé comme trace d’adhésion à ce mouvement national que fut l’union des classes ; comment entre 1761 et 1788 l’interprétation constitutionnaliste d’une élite locale en pleine apogée a-t-elle pu se combiner avec une thèse qui, loin de faire l’unanimité et d’être claire, n’en a pas néanmoins livré un discours spécifique, défiant l’idée que l’unité du royaume n’existait qu’à travers le roi, que la France ne dépendait pas uniquement de ce dernier pour son existence en tant qu’entité politique24, mais que le parlement de Paris (le corps) et ses extensions dans le royaume (les membres) formaient une unité constitutive du gouvernement ?

  • 25 . J. Egret, La pré-Révolution française..., p. 240.

16Compte tenu de ce constat, nous étudierons la doctrine du parlement de Navarre en nous arrêtant sur deux phases chronologiques bien distinctes, non seulement parce qu’elles répondent à deux contextes différents on l’a vu, mais parce que les sources nous l’imposent ; la pauvreté de ces dernières pour la période des années 1760 contraste en effet avec la vigueur des interventions des années 1787-1788, soulignée d’ailleurs par J. Egret25 ; il nous reste néanmoins à préciser le fonds de cette activité remarquée : comporte-t-elle une rhétorique comparable aux autres, ne cache-t-elle pas d’autres intérêts plus éloignés qu’on ne le pense de la conscience nationale suggérée traditionnellement par l’union des classes ?

IV – La crise de 1763-1765 : le parlement de Navarre Martyr de la cause ?

17C’est une évidence, notre parlement qui n’avait manifesté aucun signe de solidarité avant 1760 se voit projeté sur le devant de la scène et, poussé par les urgences du moment, devient un des symboles du combat que mènent plusieurs parlements depuis quelques années.

  • 26 . P. Delmas, Du Parlement de Navarre..., p. 353-383 ; J. Egret, Louis XV et l’opposition p (...)
  • 27 . Ce fut le grand thème politique du parlement ; trois remontrances lui furent consacrées, (...)

18Revenons un peu en arrière et résumons brièvement l’affaire. Celle de Pau est bien connue26 ; dans la tourmente de la coalition contre les lois d’avril 1763, le parlement de Navarre en profita pour se libérer d’un règlement de discipline qui lui avait été imposé en 1747 et qui confirmait l’omnipotence de son premier président27. Menée par le président Duplàa, la « révolte » aboutit à des mercuriales contre le premier président Gillet de Lacaze le 12 novembre. Très vite, la correspondance du parlement s’étoffe de témoignages d’affaires semblables ; le 7 janvier 1764 on rapporte les démêlés du parlement de Toulouse avec le duc de Fitz-James, ainsi que ceux qui opposent M. Dumesnil aux magistrats de Grenoble. Les réponses sont pour le moins laconiques et dénuées de toute propagande :

  • 28 . B 4559, fol. 136 v°.

« Unis avec vous par les mêmes voeux nous nous empresserons toujours de partager vos peines, et vos succès, liés par les mêmes devoirs, nous le serons dans tous les temps par notre amour de la personne sacrée du roy, par nos efforts pour la conservation et l’exécution libre des lois, par notre zèle pour la splandeur de la félicité de l’Etat »28.

  • 29 . Lorsque le parlement de Navarre reçut un exemplaire des extraits que celui de Paris avai (...)
  • 30 . B 4559, fol. 147 v°-148.
  • 31 . Il se distingua en effet très tôt par les remontrances du 26 juin 1756 contre l’usurpati (...)
  • 32 . Lettre de Rouen du 10 mars 1764, B 4559, fol. 184 v°.

19Cette lettre, envoyée au parlement de Toulouse le 10 février, fait état d’une unité entre les cours souveraines, indissociable de la personne du roi, de leurs devoirs respectifs en tant que gardiennes des lois. Celle adressée au parlement de Grenoble le 9 mars n’est guère plus explicite ; les sentiments de « confraternité » et les expressions empruntées au parlement de Paris29, comme « nourris des mêmes principes, et des mêmes sentimens », n’illustrent pas une conviction profonde comme on pouvait s’y attendre30. Mais ces quelques exemples sont insuffisants ; la tiédeur de notre parlement apparaît au grand jour lorsqu’il se trouve en relation avec celui de Rouen, grand champion historique de la cause unitaire dès le milieu des années 175031. On constate l’existence d’un immense fossé entre les discours des deux parlements, même si les apparences sont sauves. Le 10 avril, on reçoit un paquet émanant de Rouen, narrant les difficultés de huit de ses magistrats mandés auprès du roi et on remercie la cour de Pau d’avoir donné des marques authentiques de sa sensibilité « aux outrages multipliés que la magistrature a essuyé »32. Sur quels témoignages concrets le parlement de Rouen se fondait-il ? Sur la brève conclusion de ses itératives remontrances du 28 novembre 1763 protestant contre l’enregistrement forcé des lois d’avril du 15 septembre par le commandant en chef du Béarn, le maréchal de Richelieu :

  • 33 . B 4560, fol. 99-112.

« Après avoir réclamé contre linjure qui vient dêtre faitte à la loy suprême de lenregistrement par la transcription Illusoire quon a prétendu luy substituer votre parlement est forcé délever sa voix contre les attentats inouis quil vient dessuyer, dans les classes scéantes de Toulouse et Grenoble, et contre les disgrâces quil a éprouvées dans celle scéante à Rouen »33.

  • 34 . Le parlement de Rouen rédigea en effet les remontrances du 19 avril 1759 et du 4 juillet (...)
  • 35 . Cité par R. Bickart, Les Parlements..., p. 173.
  • 36 . Remontrances du 28 novembre 1763. B 4560, fol. 99-112.

20Lorsque l’on connaît l’immense activité déployée par le parlement de Rouen au cours de ces années34, on ne peut que constater les divergences de vues entre ces deux cours. À la même époque où Rouen définit l’union des parlements – « suivant les lois fondamentales de la Monarchie, le Parlement de France, seul et unique Conseil public, légal et nécessaire du Souverain dont il est le conseil et l’organe, est essentiellement UN, comme le Souverain dont il est le conseil et l’organe »35 –, celui de Navarre se contente d’une rhétorique bien limitée, basée principalement sur l’unité des magistrats dans leurs fonctions – « liés par le même serment, ils sont assujettis aux mêmes obligations, ils sont soumis aux mêmes devoirs » –, et juge que la pire des calamités pour un magistrat est de déplaire à son roi36 ! Éclairés par cet exemple éloquent, nous pouvons avancer que les témoignages aussi tièdes soient-ils satisfaisaient apparemment les plus habiles des doctrinaires, car dans ce cadre précis le parlement de Navarre était beaucoup moins acteur que mobile, peu importait en définitive pour ses « confrères » la profondeur de ses convictions.

  • 37 . B 4560, fol. 30.

21C’est en toute logique et dans ce contexte précis qu’intervient la seule trace de « profession de foi » prouvant, selon Ch. Desplat, « l’adhésion tardive » à l’union. Celle-ci date du 2 juillet 1764 ; au cours d’une délibération et après « le récit fait par un de ces Messieurs », la cour déclare « quelle ne cessera jamais de maintenir le principe fondamental de l’unité de parlement, quoy que divisé pour le ressort territorial en différentes classes, principe fondé sur la nature, lessence, la constitution du parlement, et consacrés par les loix du Royaume »37. Rédigé en plein coeur de la crise (le départ de Gillet de Lacaze le 3 mars ayant poussé la révolte à son paroxysme), cet énoncé très simple et très stéréotypé se justifie facilement par la gravité et l’urgence de la situation ; ainsi isolé, il n’en prend que davantage de poids pour minimiser le rôle de notre parlement dans cette affaire.

  • 38 . Le parlement de Rennes fut, on le sait, dans la même situation que celui de Pau (cf. J. (...)
  • 39 . C. Desplat, Le For de Béarn..., p. 60.

22Jusqu’à son ultime séance (le nouveau parlement des « Intrus » s’installe en effet le 22 juin 1765), la cour de Navarre sera aussi modérée, mais la seule lettre envoyée au roi pour soutenir le parlement de Rennes38 (avec celle de 1787 en faveur de Paris) nous en dit plus long sur sa vision de l’union des classes. En effet, le 23 mars 1765, les magistrats palois, émus de la situation dramatique de leurs confrères bretons, décident de s’adresser exceptionnellement au roi. Ils supplient Sa Majesté de rendre « à la Bretagne ses juges et les gardiens de ses franchises » et réitèrent leurs réclamations à propos des atteintes à la liberté des magistrats et donc aux lois « les plus fermes appuis du trône », thèmes que nous retrouverons largement développés dans les années pré-révolutionnaires. Notre parlement esquisse un discours d’union, non pas d’une cour souveraine unique formée de différentes classes, mais de sanctuaires juridico-politiques où les lois « nationales » et les libertés provinciales sont intimement confondues. Ce n’était, ni plus ni moins, que la transposition du discours traditionnel de la double naturalité locale sur celui de souveraineté nationale. Cela confirme, quoi qu’il en soit, que les cours souveraines ont su adapter la doctrine de l’union des classes à la mesure de leur discours politique originel, mais également qu’en ce qui concerne notre parlement, il ne s’est jamais laissé aller à aucune dialectique, aucune méthode discursive trop compromettante non pas auprès du roi mais bel et bien au nom de cette reprogrammation du mythe constitutionnaliste dont parle Ch. Desplat39.

  • 40 . Après la première distraction de ressort par l’établissement du parlement de Toulouse, c (...)
  • 41 . Discours du 7 septembre 1560 au parlement de Paris, d’après lequel tous les parlements « (...)

23Ce premier récit confirme donc la faiblesse structurelle de l’union des classes en Béarn. Nulle part nous ne relevons les références classiques reprises par nombre de parlements : l’ordonnance de 145440, le fameux discours du chancelier de L’Hospital de 156041, l’épisode de la Fronde... De même, le vocabulaire traditionnel n’est pas employé dans les remontrances, encore moins dans l’ensemble des textes : Curia regis et les affirmations « d’extension » et « de détachement », les termes « Cour métropolitaine », « colonie », « Confédération » (une seule fois et pour s’en défendre en 1788 !), « Correspondance » (une seule fois encore mais faisant référence à celle qui doit régner à l’intérieur de la compagnie en 1718). Que dire enfin des simples vocables comme « classe » (cité une seule fois dans le corpus de remontrances lors de ces fameuses itératives du 28 novembre 1763), « union » et « unité » inconnus dans ce même corpus !

  • 42 . J. Flammermont, Les remontrances du Parlement de Paris..., t. II, p. 556.
  • 43 . Si l’on se réfère encore aux larges extraits de R. Bickart, il n’y a que le parlement de (...)

24La fameuse séance royale du 3 mars 1766 dite « séance de la flagellation » et dont le préambule célèbre – « Ce qui s’est passé dans mes parlements de Pau et de Rennes ne regarde pas mes autres parlements »42 – fut censé mettre fin à une « confédération de résistance », menaça les magistrats d’une mise au pas définitive ; c’est en l’occurence ceux de Pau qui payèrent le plus lourd tribut en disparaissant de la scène politique pendant dix ans ! C’est à ce minuscule parlement, en effet, que revint le triste privilège d’être réprimandé pour une cabale à laquelle il avait bien modérément participé, dans le fond autant que dans la forme. Même si le pouvoir royal n’eut pas à distinguer à juste titre ces nuances, car le parlement de Navarre fut dans ces trois années fatales bien indiscipliné, la réalité locale de l’union n’a été que l’ombre d’une doctrine imputable à la plupart des parlements43.

25Au terme de ce premier volet chronologique nous avons déjà pu cerner et nuancer l’adhésion du parlement de Navarre à l’union des classes. Sans jouer sur les mots et même si aucun historien n’a jamais prétendu fixer une attitude et un comportement politiques uniques, une doctrine spécifique a bel et bien été élaborée au moyen d’une rhétorique singulière, calquée la plupart du temps sur celle des grands « champions » de la cause (Paris, Rouen, Toulouse...) ; notre parlement n’y a à aucun moment souscrit, si ce n’est par le fameux arrêté du 2 juillet 1764 et du bout des lèvres. Si, en contrepartie, l’union des classes est considérée comme un état d’esprit frondeur jouant sur l’exacerbation des conflits fiscaux notamment et une occasion pour les cours souveraines de communiquer entre elles, quelles que soient leurs intentions, il y a réellement adhéré, bien que très modérément par rapport aux autres.

V – Une adhésion tardive ?

26Mais il nous faut à présent comprendre les raisons qui ont paradoxalement propulsé notre parlement sur le devant de la scène pré-révolutionnaire de 1787-1788 et fait de lui un des plus actifs dans ce que l’on peut appeler la deuxième époque de l’union.

27Désormais, les sources ne nous font plus défaut, elles prennent la forme d’une lettre et de trois remontrances, en soi ces dernières représentent la preuve d’une collaboration active à l’union des classes des années 1787-1788. L’intérêt de l’analyse sera double : il nous faudra comprendre les raisons qui ont entraîné le parlement de Navarre dans un tel débat national alors qu’il n’en n’était pas coutumier dans le passé. De même, il sera indispensable d’examiner la structure des textes en les comparant à ceux des autres cours souveraines pour déceler si oui ou non il y rupture de langage, d’idéologie entre les deux époques.

28Cependant, et avant toute investigation, une question : quel fut le comportement de notre parlement sous le règne de Louis XVI ?

  • 44 . En effet, sous le règne de Louis XVI, sur un total de 16 remontrances, seulement 2 conce (...)
  • 45 . Remontrances du 15 janvier 1788 (ADPA, B 4572, fol. 89-98) qui protestent contre un nouv (...)
  • 46 . Remontrances du 11 décembre 1786 (ADPA, B 4571, fol. 166-182), 31 août (B 4572, fol. 46- (...)

29L’analyse des remontrances témoigne d’une activité beaucoup plus variée que par le passé ; si le parlement semble, sur le plan de la contestation fiscale, résigné44, l’intérêt de la cour se porte essentiellement sur deux domaines apparemment antinomiques : le premier, très classique, concerne la défense de la juridiction du ressort, tant du parlement que de la chambre des comptes, cour des monnaies ; le second correspond à des démarches beaucoup plus novatrices ou du moins rénovées dans leur structure dialectique, le débat sur la délimitation de l’intendance45, qui n’est plus en soi remise en cause, ainsi que la délimitation de la frontière du territoire national46, cette dernière discussion livrant une image du parlement résolument tournée vers l’avenir.

30Ces quelques éléments nous offrent un avant-goût des nouvelles tendances, ou du moins des nouvelles intentions des magistrats béarnais : elles tendent a priori vers une conscience nationale, résolument ouverte aux responsabilités que désiraient assumer les parlements de la pré-Révolution française. Ce nouvel état d’esprit a-t-il mis en péril la double naturalité traditionnellement véhiculée par la cour de Navarre ? La doctrine de l’union des classes a-t-elle eu voix au chapitre dans une province qui, quelques mois plus tard, aura toutes les peines du monde à adhérer à un mouvement de plus ample portée, la députation aux États Généraux ? Telle est la problématique essentielle de ce second volet.

  • 47 . J. Egret, La pré-Révolution française..., p. 240.

31Tournons-nous désormais vers les événements qui ont permis à l’union des classes de renaître. Les exils successifs des parlements de Paris et deBordeaux donnent l’occasion à celui de Pau de rendre les nombreux témoignages de solidarité dont il a bénéficié plus de vingt ans auparavant. Notre parlement est, avec ceux de Grenoble et de Rennes, celui qui se signale « du début à la fin de la crise par le nombre et la vigueur » de ses interventions répétées47. La lettre adressée au roi le 31 août 1787 annonce de façon très claire l’opinion générale de nos parlementaires à propos des incidents parisiens :

« Votre Parlement de Navarre ne doit pas borner ses vues aux besoins particuliers de son ressort et rien de ce qui intéresse le bonheur de vos sujets et le service de V. M., ne peut être étranger à son ministère ».

  • 48 . Il affirme en effet que Pau a immédiatement suivi Paris dans la fameuse lettre du 31 aoû (...)

32Mais elle prend bien soin de ne pas réclamer textuellement, comme lui, la convocation des États Généraux, contrairement à ce que prétend J. Egret48 :

  • 49 . ADPA, B 4572, fol. 40 v°.

« Invité par V. M. elle-même à fixer ses regards sur la situation de vos finances, votre parlement de Paris a été pénétré de la grandeur du mal et de la difficulté du remède et alors votre parlement a cru que le moment étoit arrivé de rétablir la nation dans l’exercice du plus précieux de ses droits : il a indiqué à V. M. la convocation des Etats généraux comme le seul moyen d’assurer le repos et le bonheur de ses peuples »49.

  • 50 . Ibidem, fol. 42 v°.

33Pour la première fois et malgré un vocabulaire des plus neutres, le parlement de Navarre exprimait une profession de foi susceptible de l’associer aux autres cours souveraines par un engagement inébranlable au service du roi et de ses sujets. Le prétexte suprême à cet attachement était l’exil du parlement de Paris à Troyes le 15 août : « ces disgrâces ont toujours été regardées comme celles de la nation elle-même »50. Le parlement de Navarre ne s’arrête pas en si bon chemin, et produit pendant plusieurs mois les preuves de son adhésion par des remontrances vigoureuses, éveillant les soupçons du pouvoir royal à maintes reprises.

  • 51 . W. Doyle, The Parlement of Bordeaux and the end of the Old Régime, 1771-1790, New-York, (...)
  • 52 . ADPA, B 4572, fol. 101.
  • 53 . Il faut préciser que d’autres remontrances du parlement de Navarre, datées du 31 août 17 (...)

34Lorsque le parlement de Bordeaux est à son tour exilé à Libourne du 17 août 1787 au 20 octobre 178851, une nouvelle occasion s’offre à notre cour ; de plus, la proximité de son ressort était susceptible d’ajouter à ses protestations un sentiment de confraternité plus naturel, étant donné les relations historiques entre les deux cours. Ainsi, le prétexte « officiel » des deux remontrances du 14 décembre 1787 et du 28 janvier 1788 se rapporte-t-il à l’inquiétude suscitée par la disparition de toute justice dans le ressort qui « laisse plusieurs provinces livrées à toutes les entreprises de l’intérêt personnel sans frein »52. Mais l’essentiel n’est pas là. Dès le préambule des remontrances du 14 décembre, les magistrats palois affirment que jamais la liberté de leurs représentations ne fut encouragée par autant de motifs de confiance, pourtant le ton de ces premières remontrances est relativement modéré, on se contente d’expliquer les motifs de la résistance de la cour de Bordeaux à l’installation de l’assemblée de Limoges ; en définitive, seule la dignité et le respect de la magistrature sont en jeu. C’est la colère du pouvoir royal qui attisera le mécontentement et poussera notre parlement à davantage d’audace. Non seulement les remontrances du 14 décembre sont renvoyées (et qualifiées de peu décentes et peu respectueuses), mais le garde des Sceaux Lamoignon les accompagne d’une semonce très sévère53 :

  • 54 . Lettre du garde des Sceaux du 2 janvier 1788, citée par R. Bickart, Les Parlements..., p (...)

« Chaque parlement est circonscrit dans son ressort pour toute matière ; il ne peut ni ne doit s’occuper de ce qui est étranger. Il aurait besoin, pour en prendre connaissance, d’un pouvoir nouveau ; sans cela, rien de ce qui se passe hors de son ressort ne peut être permis ni soumis à son examen »54.

  • 55 B 4572, fol. 100-105.
  • 56 . K.M. Baker, Politics and Public Opinion under the Old Régime : Some Reflections, dans J. (...)

35La contre-attaque ne se fait pas attendre. Dès le 18 janvier, un arrêt de protestation signe le début d’une véritable profession de foi en faveur de l’union en considérant « qu’isoler ainsi les vues de chaque cour du royaume, c’est rendre les provinces étrangères les unes aux autres, les inviter à séparer leurs intérêts, à circonscrire la patrie dans les bornes qui les distinguent ». Les remontrances du 28 janvier55 permettent d’affiner la doctrine : les parlementaires béarnais sont assujettis à des devoirs communs aux autres, le « maintien de la constitution » ; « quand ils plaident la cause de la patrie entière, qu’importent les limites de leur territoire » ; c’est au parlement de Navarre de contester l’isolement dans lequel le pouvoir royal voudrait confiner les cours : « on s’efforce d’isoler les cours souveraines, de détourner leurs regards des atteintes portées à la liberté dans un territoire etranger ». Il développe pour la première fois à travers un débat national ce discours révolutionnaire56 où les pluriels locaux de « libertés », « lois » (« fors »), « constitutions » (« coutumes ») ne fréquentent plus les singuliers de liberté, loi etconstitution mais s’effacent entièrement devant ces derniers concepts politiques encouragés par une crise de l’autorité absolue. Nos magistrats agrémentent cependant leur discours par l’inévitable lien affectif et original (voire originel) capable de les particulariser, comme si le grandsaut effectué risquait de fondre à jamais la province dans un schéma national commun dessiné par des concepts universels :

« Qu’il seroit doux de nous livrer sans réserve au sentiment héréditaire dans les coeurs béarnois pour le sang d’Henri IV, de n’employer que le langage de ce sentiment en faveur d’un prince généreux, qui comme V. M. est la postérité de ce grand ROI ! Nous, ses premiers sujets, pourrions avec quelque confiance vous adresser nos voeux pour la réunion de son auguste famille ».
Henri IV « Père de la Patrie et symbole du sentiment national ».

36Le parlement de Navarre trouvait ainsi la parade à une volte-face politique quelque peu inédite dans ses convictions ; le mythe henricien, qui vécut ses heures de gloire dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, continuait de préserver la fiction d’une double naturalité.

  • 57 . B 4572, fol. 122-130. Encore une fois ces remontrances « de proximité » contrastent avec (...)
  • 58 . Lettre de la compagnie au garde des Sceaux du 10 mai 1723, B 4550, fol. 2 et 3.
  • 59 . B 4572, fol. 134.
  • 60 . J. Egret, La pré-Révolution française..., p. 242, ne cite quant à lui que cinq parlement (...)

37Cette audacieuse adhésion à l’union des classes n’eut qu’un temps certes, et son opportunisme allait se révéler progressivement au cours des premiers mois de l’année 1788. Alors que les protestations des cours se prolongent à propos de l’arrestation de l’avocat général du parlement de Toulouse de Catellan, le débat s’oriente vers la dénonciation des lettres de cachet. Pau y participe à sa mesure par ses remontrances du 21 avril 178857. À Pau, les lettres de cachet avaient déjà fait l’objet d’un débat à partir de l’été 1721, lors de l’affaire du conseiller Bonnecaze. À la suite en effet de remontrances exigeant que la compétence du parlement soit reconnue en matière de contagion, le rapporteur de la compagnie, le conseiller Bonnecaze, avait été interdit des fonctions de sa charge et les arrêts du parlement rendus à la suite de ses rapports cassés. Voici comment les magistrats s’étaient exprimés à propos des lettres de cachet : « à la vérité nous avons quelque fois entendu parler de lettres de cachet lorsqu’il a plu au roy d’ordonner que quelque officier d’un parlement vint rendre à S. M. compte de sa conduite » mais « nousn’avons jamais entendu dire qu’aucun parlement du royaume ait entrepris d’interdire un des ses juges subalternes ny de le décréter d’ajournement personnel excepté qu’il ny ayt contre luy non seulement des plaintes mais même quelques preuves ou de concussion ou de prévarication dans son ministère »58. Quoique les propos soient quelque peu détachés, comme si le parlement voulait à nouveau se distinguer du commun, il n’en développe pas moins une désapprobation en règle basée sur les concepts de preuve et de fragilité des décisions autoritaires : « nous sçavons tous que l’infaillibilité n’apartient qu’à Dieu et que tout homme est sujet à se tromper ». Aussi n’est-il pas surprenant de lire dans les remontrances d’avril 1788 qu’« il est un moyen de garantir à jamais votre justice des erreurs attachées à l’humanité... renoncer à l’usage de signer des ordres rigoureux. Toujours ils ont affligé votre coeur. Ils ont troublé cette conscience si pure par le souvenir de quelques surprises faites à votre religion » ; si les propos sont modérés et peu percutants, ils n’en posent pas moins les principes de l’irrégularité des lettres closes en soulignant qu’elles « punissent des actions qu’on ose qualifier, de prétendus délits qu’on ne peut nommer, confondant les peines légales avec l’oppression ». L’arrêté du 2 mai enfin « proteste contre toute subversion des formes dans la constitution du parlement, soit dans la manière d’y délibérer... particulièrement contre tout ce qui rendrait incertaine la liberté individuelle des sujets du roi... contre tout ce qui tendrait à séparer du gouvernement un des ressorts principaux »59. Les magistrats palois, forts de leur expérience malheureuse de 1765, ajoutaient à leur action une maturité et une unité d’action avec les autres cours souveraines assez inédites. Bref, sur ce plan le parlement de Navarre n’a pas à rougir de ses entreprises et fait partie de ceux ayant officiellement condamné les lettres de cachet60.

  • 61 . Remontrances du 26 juin 1788, B 4572, fol. 166.
  • 62 . Ibid.
  • 63 . C. Desplat, Pau et le Béarn..., p. 1288.
  • 64 . B 4572, fol. 165-179. Pourtant, au cours des remontrances du 14 décembre 1787 sur le pro (...)
  • 65 . Le serment de Louis XVI en 1776 servit de révélateur à un débat d’opinion qui ne s’était (...)
  • 66 . J. Egret, Louis XV et l’opposition parlementaire..., p. 231.
  • 67 . « Les Parlements forment un seul corps, dont la première classe réside dans la capitale, (...)

38Les derniers feux d’une action commune venaient cependant de s’éteindre ; un des édits de mai, pour retirer aux parlements leur prétendu pouvoir politique, attribua à la cour plénière l’enregistrement des édits, déclarations et lettres patentes. Le parlement de Navarre y vit, comme tous, « un projet effrayant de substituer à un corps antique et immuable avoué par la nation, une assemblée composée d’une manière incertaine par le choix des dépositaires passagers de la puissance royale »61 ; c’était en même temps s’insurger contre la réduction du nombre des offices provoquée par la réforme judiciaire : « Par les provisions scellées de votre sceau royal V. M. avoit donné à chacun des magistrats de cette compagnie un titre perpétuel »62. À nouveau le particularisme politique coïncidait avec les intérêts sociaux de ses partisans63, et la notion de propriété se voyait bien limitative ; la doctrine unitaire du parlement de Navarre n’allait pas s’en remettre. Ses dernières remontrances enterrent les sentiments unitaires et révèlent de manière condensée la pensée politique profonde des parlementaires, tel un testament par anticipation de ce qui devait subsister de son véritable discours. Les thèmes classiques attenants à la souveraineté indépendante, repris avec force et vigueur, font pourtant l’effet d’un retournement très brutal, peut-être parce que les remontrances précédentes les avaient trop laissés (pour une fois !) dans l’ombre. En effet, les magistrats d’un pays étranger à la France quoique soumis au même roi exposent « les droits particuliers de deux nations que la précipitation des administrateurs a confondue avec vos sujets des diverses provinces de France » ; si « l’idée systhématique d’établir dans vos nombreux états un plan uniforme de gouvernement est incompatible avec les divers intérêts locaux... cette uniformité impraticable dans les différentes provinces de votre royaume ne peut sans aucun rapport s’appliquer à un pays qui n’a jamais été, qui n’est pas devenu une province de France.L’avantage que nous avons d’être gouvernés par le même roi ne nous assujettit pas à une cour étrangère pour l’administration et la législation »64. De même, si la particularité de chaque province n’est pas niée, celle du Béarn est comparée à celle des États de Charles Quint, « Allemagne, nations belgiques et nombreux royaumes d’Espagne » ; le roi de France se voit naturellement rappeler le serment de respecter les fors locaux65. La demande de révocation de l’édit « portant établissement de la Cour plénière » prend délibérément la forme d’une trahison vis-à-vis du discours professé quelques mois auparavant et notamment le refus catégorique du préambule affirmant « le caractère d’universalité et d’uniformité qu’elles (les lois) doivent avoir dans toute l’étendue de votre royaume ». Le parlement de Navarre, en passant du pluriel au singulier pour les concepts de loi, de constitution et de liberté, et en incarnant le sanctuaire de leur respect et de leur fidélité, se voyait, devant un tel préambule, pris au piège de sa dialectique contre nature ; l’union des classes étant ici, comme le dit à juste titre J. Egret, essentiellement un argument pour ses adversaires66. Est-ce pour autant que la rhétorique toujours aussi ambiguë du parlement abandonnait les enjeux pratiques du moment ? Point. Les magistrats, au nom du droit constitutionnel de vérifier les lois, s’insurgent contre la prorogation du second vingtième pour deux ans, au nom des lois fondamentales de la nation béarnaise sur le consentement de l’impôt. Le pluriel ici ne sait plus choisir, perverti par la dualité fictive cultivée et entretenue jusqu’aux derniers jours par les registres de la cour béarnaise. À la même époque, les autres parlements continuaient pour la plupart de professer avec fermeté la théorie de l’union des classes, y compris le parlement de Besançon dont on a vu les similitudes avec celui de Pau67

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  • 68 . J. Egret, Louis XV et l’opposition parlementaire..., p. 444.
  • 69 . Une analyse lexicologique du corpus des remontrances est en cours, avec l’aimable collab (...)

39Si les professions de foi des cours souveraines n’ont pas fait illusion sur l’unité de l’opposition parlementaire, comme le souligne J. Egret68, et que les parlements provinciaux ont davantage défendu leurs prérogatives corporatives et individuelles, constatons l’étonnante retenue de notre parlement sur le plan de son éloquence. Faute de textes suffisamment fournis, une analyse lexicale n’a pu, sur ce plan, être mise en oeuvre69. L’absence révèle ici une originalité indéniable mais qui n’est pas surprenante. Elle corrobore d’une part notre hypothèse initiale, à savoir le sentiment d’une « idéologie » contre nature, d’autre part elle affirme avec force la permanence du discours parlementaire palois, y compris aux heures les plus décisives et les plus riches de son existence. La volonté de députer aux États Généraux dans le cadre de ses propres institutions se comprend mieux. L’histoire de l’union des classes en Béarn offre, en effet, l’occasion de saisir à quel point la majorité des parlementaires a fait perdurer ses projets régionalistes jusqu’au bout. Si C. Desplat s’attarde sur la réalité de ces convictions et pose la question de leur sincérité, puisqu’ils étaient un argument au service d’une prééminence sociale, nous constatons que, au vu des comparaisons nombreuses auxquelles nous nous sommes livrés, le parlement de Navarre a su intelligemment et parfois naïvement imposer un double langage préservant coûte que coûte une fiction que, semble-t-il, les populations ne partageaient pas.

40Cette brève étude ne peut pour l’instant répondre à toutes ces questions, mais entend confirmer la continuité inébranlable d’un discourssavamment dosé qui ne s’est visiblement jamais compromis avec la panoplie langagière de la plupart des cours souveraines. C’est pourquoi nous pouvons penser qu’un tel corpus parlementaire, pourtant si souvent dénaturé par un langage stéréotypé, monotone et lassant (le parlement de Navarre n’a pas failli à la règle), ne peut que retenir notre attention. L’intérêt d’une telle fidélité lexicale, dans ce débat révélateur et politiquement représentatif que fut l’union des classes au XVIIIe siècle, ne saurait nous échapper. Il tend à prouver que ce langage de l’élite provinciale interrompu par la Révolution, le seul susceptible d’être accessible au pouvoir royal, s’appuyait sur la continuité d’un mythe. Chargé d’une dimension affective incomparable entre la province et son roi, le dialogue ne pouvait que prolonger, jusqu’à la fin tragique de ce que ce dernier représentait, un attachement indéfectible à un projet si dépendant des conditions historiques de l’union de 1620.

Notes

1 . R. Bickart, Les Parlements et la notion de souveraineté nationale au XVIIIe siècle, Paris, 1932, p. 141-193. F. Olivier-Martin, Les Parlements contre l’absolutisme traditionnel au XVIIIe siècle, Paris, 1949-1950, p. 44-52.

2 . En particulier l’action de Rennes en faveur du parlement de Paris, après l’arrestation de trois de ses magistrats en 1718, et la vague de solidarité qui suivit l’exil des parlementaires parisiens dans l’affaire du refus des sacrements en 1753 (témoignages de Bordeaux, Aix, Toulouse, Rouen).

3 . Provoquant « un puissant réflexe de défense », cette affaire encouragea un progrès sensible des prétentions traditionnelles. J. Egret, Louis XV et l’opposition parlementaire, Paris, 1970, p. 74.

4 . J. Flammermont, Les remontrances du Parlement de Paris au XVIIIesiècle, Paris, 1888- 1898, t. II, p. 73.

5 . Ibidem, p. 12-13.

6 . J. Egret, La pré-Révolution française (1787-1788), Paris, 1962, p. 238.

7 . C. Desplat, le For de Béarn d’Henri II d’Albret (1551), Pau, 1986, p. 48. Le renouvellement du sacramento mutuo était la garantie de l’existence des lois béarnaises (les fameux fors de Béarn), et assura la reprogrammation d’un mythe politique au XVIIIe siècle ; appelé néo-foraliste ou constitutionnaliste, ce courant, assez original en France à cette date, fut soutenu par les esprits éclairés de la province et tout particulièrement par les parlementaires.

8 . Pau ne répondit pas aux appels de la cour de Paris au début de l’année 1649. L’historien du parlement l’explique par sa jeunesse, son éloignement ou plus politiquement par la conviction du maintien de sa souveraineté. P. Delmas, Du Parlement de Navarre et de ses origines, Pau, 1898, p. 298.

9 . F. Bidouze, Les remontrances du Parlement de Navarre au XVIIIe siècle, mémoire de DEA, Université de Pau, 1991, et Les remontrances du Parlement de Navarre au XVIIIe siècle, t. I-II, Édition critique, t. III, Le discours parlementaire : essai sur une culture politique en province au siècle des Lumières, thèse d’Histoire, Université de Pau, 1996, multigr., 1117 p.

10 . Un des fers de lance de la cause constitutionnaliste, Jean-Jacques Faget de Baure, est à classer selon C. Desplat dans la tendance « monarchienne », en ce sens qu’il considérait le for comme une constitution aristocratique qui s’opposait au despotisme de l’administration royale ; seul correctif mais non des moindres, il s’en distingue par son « nationalisme béarnais ». C. Desplat, Le For de Béarn..., p. 35.

11 . Remontrances du 16 mars 1716 (Arch. dép. Pyrénées-Atlantiques, B 4548, fol. 104 et 105): « ainsi il doit jouir de ces mêmes honneurs et privilèges, que jouit sur ce même fondement le parlement de Paris dans le royaume de France. Par cette même raison l’exemple du parlement de Rouen qui n’est que parlement de province ne doit point être opposé au parlement de Navarre ». Cette assertion prétentieuse et dédaigneuse vis-à-vis de Rouen est un exemplaire rare de la doctrine du parlement de Navarre à ce sujet, comme tout aussi rares furent les assertions contraires comme celle-ci : la cour espère que Sa Majesté « voudra bien rappeler à son égard la disposition de l’arrêt de son conseil, comme elle a eu labonté de le faire à l’égard du parlement de Dijon et qu’elle maintiendra de même son parlement de Navarre dans sa juridiction pour tout ce qui peut regarder les précautions nécessaires à prendre contre la maladie contagieuse dans l’étendue de son ressort ». Remontrances du 10 juin 1721 : Arch. dép. Pyrénées-Atlantiques (ADPA), B 4549, fol. 134 à 136).

12 . Remontrances du 19 mai 1716 (B 4548, fol. 110 à 116) ; du 19 mai 1733 (B 4551, fol. 159- 169) ; et surtout du 26 juin 1781 (B 4570, fol. 10-39), qui conteste l’édit de juillet 1779 ne laissant à la cour de Pau, pour la compétence comme bureau des finances, que le Béarn, la Navarre et la Soule. Cette affaire entraîna un long conflit avec les parlements de Bordeaux et de Toulouse.

13 . En 1766 on parle « d’intérêt commun avec nous » (B 4562, fol. 172) ; la correspondance se poursuit longtemps, au-delà de la démission collective du parlement, lettre du parlement de Dijon au début de l’année 1771 (B 4565, fol. 38).

14 . Information faite par les maîtres des Eaux et Forêts de Saint-Marcellin le 29 mai 1761 et rapport d’une lettre du procureur du parlement de Grenoble (B 4559, fol. 48-56).

15 . Le procès des jésuites fut en quelque sorte en Béarn la condition sine qua non de la participation du parlement de Navarre à l’union des classes et plus généralement à l’opposition au pouvoir royal. En effet, les conditions du procès furent dominées par ces considérations de politique générale, mais aussi régionales : les états ayant saisi la question, le parlement ne pouvait, en digne concurrent, que s’y intéresser. Son attitude, sévère à l’égard d’une compagnie par qui la plupart des parlementaires avaient été éduqués, choque (seul avec les parlements de Paris, Rouen et Toulouse, Pau imposa le serment), d’autant plus que cette dernière avait dans la province au milieu du XVIIIe siècle un grand prestige intellectuel et moral. C. Desplat, Le Parlement de Navarre et l’expulsion des Jésuites (mai 1762-mai 1764), Annales du Midi, t. 83, n° 104, oct.-déc. 1971, p. 363-386.

16 . Échange de courrier entre la fin juillet et la fin août 1762 (B 4659, fol. 108,109).

17 . II existe un imprimé contenant les remontrances du parlement de Nancy, arrêtées le 12 janvier 1788 sur les ordres d’exil et lettres de cachet, suivies de l’arrêté du parlement de Navarre s’opposant à la demande du garde des Sceaux de connaître des renseignements sur les procès criminels en cours. Bibl. mun. Pau, remontrances du parlement de Nancy, p. 12.

18 . Remontrances du 14 décembre 1787 (B 4572, fol. 60-66) et du 18 janvier 1788 (100-105), à propos de l’exil du parlement de Bordeaux ; et celles du 21 avril 1788 contre l’arrestation de l’avocat général de Catellan (fol. 165-179).

19 . Lettres du 23 mars 1765 (B 560, fol. 141,141 v°) et du 31 août 1787 (B 4572, fol. 40 v°-43).

20 . Il est difficile d’établir des comparaisons précises ; néanmoins, d’après ce bilan chiffré, il est indiscutable que l’activité du parlement de Navarre a été une des plus réduites qui soit. Si l’on tient compte de l’ouvrage de R. Bickart, Les Parlements..., p. 141-193, au chapitre intitulé « Unité des parlements. Les "classes" », un bref relevé le confirme aisément. Pau est avec Douai et Metz le parlement n’ayant pas « officiellement » protesté au cours de la phase dite des classes, si l’on excepte les années 1787-1788.

21 . « Trois Parlements seulement – Pau, Metz et Douai – se turent ». J. Egret, Louis XV et l’opposition parlementaire..., p. 143.

22 . « Sans doute notre parlement était trop jeune et trop loin pour s’unir aux révoltes... ; peut-être faut-il voir dans ce calme l’esprit de notre compagnie, qui malgré l’union des deux couronnes, se considérait surtout comme Parlement de Béarn, indépendant et par suite, se désinterressait de tout ce qui pouvait se passer en France » : P. Delmas, Du Parlement de Navarre..., p. 298, à propos de l’absence de réaction lors de la Fronde ; ou encore cette réflexion de ce même auteur pour la période 1764-1765 : « Nous ne voyons pas bien que la constitution du Parlement de Navarre, ni les lois du royaume fassent mention quelque part d’une telle unité », Ibidem, p. 366. P. Delmas semblait ne pas être dupe des soit-disant liens politiques, la pauvreté des sources n’a pas paru susciter de sa part la recherche de preuves supplémentaires. Plus récemment et sans s’y investir davantage, C. Desplat parle d’adhésion « tardive » et souligne le paradoxe entre un particularisme traditionnellement étroit et une « profession de foi » bien soudaine à l’égard de l’union des classes en pleine crise (2 juillet 1764, ADP A, B 4560, fol. 30). C. Desplat, Pau et le Béarn au XVIIIe siècle, Biarritz, 1992, p. 1254.

23 . On note en effet l’absence de participation à la querelle des sacrements, une contribution plus politique que réellement justifiée au procès des jésuites (cf. note 15), une forte opposition à la fiscalité royale, mais là encore, par un état d’esprit pragmatique, modéré et peu querelleur.

24 . R. Bickart, Les Parlements..., p. 173 et 277.

25 . J. Egret, La pré-Révolution française..., p. 240.

26 . P. Delmas, Du Parlement de Navarre..., p. 353-383 ; J. Egret, Louis XV et l’opposition parlementaire..., p. 156-158.

27 . Ce fut le grand thème politique du parlement ; trois remontrances lui furent consacrées, ce qui est exceptionnel pour cette cour ! Ce sont celles du 22 novembre 1718 (B 4549, fol. 62- 66), du 3 septembre 1720 (fol. 104-106) et surtout du 15 décembre 1747 (B 4556, fol. 34-44).

28 . B 4559, fol. 136 v°.

29 . Lorsque le parlement de Navarre reçut un exemplaire des extraits que celui de Paris avait recueillis des assertions soutenus par les jésuites (cf. note 14), ce dernier inaugurait en quelque sorte, mais bien timidement, cet état d’esprit unitaire (lettre du 7 août 1762) ; le parlement de Navarre répondit sans employer la formule, se contentant d’une simple reconnaissance (lettre du 21 août 1762).

30 . B 4559, fol. 147 v°-148.

31 . Il se distingua en effet très tôt par les remontrances du 26 juin 1756 contre l’usurpation du pouvoir parlementaire par le Grand Conseil. A. Floquet, Histoire du Parlement de Normandie, Rouen, vol. 6, p. 441-461. Très explicites, ces remontrances constituent selon M. Levinger « une attaque virulente » et soutiennent que seules les cours parlementaires ont capacité à défendre l’ordre public et les lois du royaume. M. Levinger, La rhétorique protestataire du Parlement de Rouen (1753-1763), Annales E∂C, mai-juinl990, n° 3, p. 597.

32 . Lettre de Rouen du 10 mars 1764, B 4559, fol. 184 v°.

33 . B 4560, fol. 99-112.

34 . Le parlement de Rouen rédigea en effet les remontrances du 19 avril 1759 et du 4 juillet 1760 (itératives) et du 8 janvier 1761 (!) en faveur du parlement de Besançon, un arrêté du 10 août 1764 en faveur de Toulouse, et à nouveau les remontrances des 23 juillet et 29 juillet 1765 où il s’efforce « de prouver l’unité du Parlement ». R. Bickart, Les Parlements..., p. 165-167.

35 . Cité par R. Bickart, Les Parlements..., p. 173.

36 . Remontrances du 28 novembre 1763. B 4560, fol. 99-112.

37 . B 4560, fol. 30.

38 . Le parlement de Rennes fut, on le sait, dans la même situation que celui de Pau (cf. J. Egret, Louis XV et l’opposition parlementaire..., p. 158-174) ; ses difficultés dramatiques provoquèrent une vague protestataire qui parvint à obtenir son retour (partiellement en juillet 1769). A la différence de Pau, Rennes fut un des premiers parlements à manifester des signes de solidarité envers les autres, dès 1718 en faveur de Paris, puis il fit allusion pour la première fois à l’unité des parlements dans ses remontrances du 12 août 1757, à michemin entre la tendance normande et béarnaise, le roi étant « source de la législation » mais « par la constitution fondamentale de la monarchie, votre Parlement est le conseil nécessaire où la loi se vérifie, l’organe par lequel elle se promulgue, le garant de sa sagesse... le ministre essentiel de votre royaume par lequel la chose publique est policée et entretenue ». A. Le Moy, Les remontrances du Parlement de Bretagne au XVIIIe siècle, Angers, 1909, p. 56. De nouvelles remontrances furent rédigées lors des derniers feux de révolte avant la réforme Maupeou (19 février 1771) et enfin de concert avec le parlement de Pau dans les années 1787-1788 (7 lettres, arrêtés ou remontrances du 22 août 1787 au 2 mai 1788, J. Egret, Louis XV et l’opposition parlementaire..., p. 240.

39 . C. Desplat, Le For de Béarn..., p. 60.

40 . Après la première distraction de ressort par l’établissement du parlement de Toulouse, cette ordonnance déclare « que les présidents et conseillers desdits parlements institués et ordonnés en chacun lieu de Paris et Toulouse, y ont telle puissance et autorité les uns comme les autres ; et par ce doivent être tenus et réputés UNS, et comme faisant UN même parlement », remontrances de Rouen du 8 janvier 1761, cité par R. Bickart, Les Parlements..., p. 169. Le parlement de Navarre réserve bien entendu aux ordonnances du royaume une place de choix mais ne les fait pas intervenir à ce propos, les parlements étant les garants de la conservation et de l’entretien des anciennes coutumes et du maintien de l’intégrité de la justice, remontrances itératives au second vingtième du 14 février 1757, ADPA, B 4558, fol. 38-50.

41 . Discours du 7 septembre 1560 au parlement de Paris, d’après lequel tous les parlements « ne forment qu’un même corps et ne sont que différentes classes du parlement du roi », remontrances de Paris du 27 novembre 1755, reprises par Toulouse le 19 décembre, cité par R. Bickart, Les Parlements..., p. 152.

42 . J. Flammermont, Les remontrances du Parlement de Paris..., t. II, p. 556.

43 . Si l’on se réfère encore aux larges extraits de R. Bickart, il n’y a que le parlement de Douai qui n’ait pas développé un discours type, du moins nos connaissances sont-elles très limitées à son sujet ; seul encore le parlement de Dijon se manifeste de manière très modérée, mais les possibilités de s’exprimer jusqu’en 1771 lui ont ouvert des brèches tendant à hausser légèrement le ton (remontrances du 16 avril 1771 où les effets de l’unité se réduisent aux lois générales du royaume communes à toutes les cours. R. Bickart, Les Parlements..., p. 184). Enfin l’attitude de celui de Besançon est comparable à certains égards ; en effet il est au centre d’une campagne de protestation qui eut lieu entre 1758 et 1761 (et à laquelle seuls ne participèrent point les parlements de Navarre, de Douai et de Metz !) à propos d’un conflit semblable à celui de Pau quelques années plus tard. Nos recherches ont très tôt saisi ces particularités communes, et F. Prost, Les remontrances du Parlement de Franche-Comté au XVIIIe siècle, Lyon, 1936, p. 148, soulignait l’indépendance de ce ressort en employant le terme de « petite patrie » et n’était pas loin de penser que l’incorporation tardive fut en soi un gage de particularisme, en défendant son parlement de n’avoir jamais fait oeuvre doctrinale (comme P. Delmas, Du Parlement de Navarre..., p. 448).

44 . En effet, sous le règne de Louis XVI, sur un total de 16 remontrances, seulement 2 concernent la fiscalité, surtout indirecte (droit de greffe et octrois municipaux).

45 . Remontrances du 15 janvier 1788 (ADPA, B 4572, fol. 89-98) qui protestent contre un nouveau ressort administratif lui enlevant en particulier Bayonne et le Labourd au profit de Bordeaux.

46 . Remontrances du 11 décembre 1786 (ADPA, B 4571, fol. 166-182), 31 août (B 4572, fol. 46-52) et 14 décembre 1787 (fol. 66-72) concernant essentiellement la frontière navarraise; elles illustrent une politique traditionnelle de défense des prérogatives du parlement de Navarre et exposent deux définitions simultanées de la frontière : « L’une, politique, était conforme au droit international tel qu’il s’élaborait depuis deux siècles. L’autre, anthropologique et économique se montrait respectueuse d’une activité pastorale toujours prépondérante dans les Pyrénées ». C. Desplat, Le Parlement de Navarre et la définition de la frontière franco-navarraise à l’extrême fin du XVIIIe siècle, Lies et Passeries dans les Pyrénées, 3“ Journées, Luz Saint-∂auveur 1985, 1986, p. 120.

47 . J. Egret, La pré-Révolution française..., p. 240.

48 . Il affirme en effet que Pau a immédiatement suivi Paris dans la fameuse lettre du 31 août 1787, tout comme Grenoble (21.08), Toulouse (28.08), Perpignan, Besançon, Bordeaux (3.09) et Dijon (12.09). J. Egret, La pré-Révolution française..., p. 242. Nous pensons qu’il a été abusé par ses sources, essentiellement P. Delmas qui, citant la lettre, se contente de dire imprudemment qu’« elle prend chaleureusement la défense des parlements, surtout celui de Paris, qui réclame la réunion des Etats généraux ». Il dit vrai, mais notre parlement prend bien soin de ne prendre aucun avis en ce qui le concerne. P, Delmas, Du Parlement de Navarre..., p. 410.

49 . ADPA, B 4572, fol. 40 v°.

50 . Ibidem, fol. 42 v°.

51 . W. Doyle, The Parlement of Bordeaux and the end of the Old Régime, 1771-1790, New-York, 1974, p. 264-285.

52 . ADPA, B 4572, fol. 101.

53 . Il faut préciser que d’autres remontrances du parlement de Navarre, datées du 31 août 1787, sur le problème de la frontière franco-navarraise, avaient aggravé les relations ; en effet, les magistrats y faisaient l’apologie de leur fonction et esquissaient un discours compromettant en affirmant qu’on voulait réduire les cours à la seule distribution de la justice, et leur interdire la connaissance de ce qui appartient à l’ordre public ; on justifiait pour la première fois cette communauté de devoirs et de responsabilité en termes de respect des lois, en se référant au parlement de Paris : « Un de vos augustes ancêtre (Louis XIV) rendoit ce glorieux témoignage à vos cours, lors qu’il disoit dans son édit du mois de juillet 1644, en parlant de son Parlement de Paris : c’est lui qui est le lien de l’obéissance de tous les ordres, qui a rendu de grands et signalés services aux roys nos prédécesseurs, dont il a fait régné les loix, reconnoitre l’autorité et la puissance légitime ». Ibidem, fol. 67.

54 . Lettre du garde des Sceaux du 2 janvier 1788, citée par R. Bickart, Les Parlements..., p. 185. Cette réponse était identique à celle que fit Louis XVI à une députation des magistrats bretons après leurs remontrances du 22 décembre 1787.

55 B 4572, fol. 100-105.

56 . K.M. Baker, Politics and Public Opinion under the Old Régime : Some Reflections, dans J. R. Censer et Jeremy Popkin éd., Press and politics in pre-revolutionnary France, Berkeley, University of California Press, 1987, p. 213.

57 . B 4572, fol. 122-130. Encore une fois ces remontrances « de proximité » contrastent avec l’absence de manifestations solidaires envers les parlements de Metz (président d’Ornacieux) et de Grenoble (conseiller Meyrieu), si ce n’est par une traditionnelle allusion de principe.

58 . Lettre de la compagnie au garde des Sceaux du 10 mai 1723, B 4550, fol. 2 et 3.

59 . B 4572, fol. 134.

60 . J. Egret, La pré-Révolution française..., p. 242, ne cite quant à lui que cinq parlements dans ce cas : Metz (le 5.01), Dijon (le 13.02), Grenoble (le 23.02), Toulouse (le 21.04) et Rennes (le 2.05) ; la distinction se fait certainement sur le degré d’opposition et les larges justifications apportées par ces cours les plus offensives. R. Bickart Les Parlements..., p. 127, citait également les parlements de Navarre et de Bourgogne, ce dernier proclamant la « liberté individuelle ».

61 . Remontrances du 26 juin 1788, B 4572, fol. 166.

62 . Ibid.

63 . C. Desplat, Pau et le Béarn..., p. 1288.

64 . B 4572, fol. 165-179. Pourtant, au cours des remontrances du 14 décembre 1787 sur le problème de la frontière, les magistrats se félicitaient de l’action menée par le parlement de Paris, prétendant refuser les lettres patentes d’Henri IV du 13 avril 1590 distrayant du domaine de la couronne les grands fiefs qui composaient son domaine de Navarre. L’arrêt du parlement de Paris fut confirmé et la réunion de ses domaines au domaine de la couronne fut déclaré : « Ainsi la vertueuse résistance de cette cour devint aussi utile à l’Etat, qu’une déférence timide à des ordres surpris lui auroit été funeste ». B 4572, fol. 66-72.

65 . Le serment de Louis XVI en 1776 servit de révélateur à un débat d’opinion qui ne s’était jamais tout à fait interrompu. C. Desplat, Le For de Béarn..., p. 47-60.

66 . J. Egret, Louis XV et l’opposition parlementaire..., p. 231.

67 . « Les Parlements forment un seul corps, dont la première classe réside dans la capitale, et les autres dans les provinces... réunies... au Parlement national, elles (les cours de province) forment, sous un seul Monarque une seule et même Cour », cité par R. Bickart, Les Parlements..., p. 192-193. Nous sommes en effet très loin de la plus expressive parmi les rares professions de foi produites par le parlement de Navarre !

68 . J. Egret, Louis XV et l’opposition parlementaire..., p. 444.

69 . Une analyse lexicologique du corpus des remontrances est en cours, avec l’aimable collaboration d’A. Geffroy, du laboratoire de lexicologie politique de l’ENS de Saint-Cloud.

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