Présentation d’une grille de description des formes d’habitat villageois dans les hautes vallées pyrénéennes
p. 171-178
Texte intégral
1Cette rapide communication a pour seul objet de présenter une grille de description des formes d’habitat dans les hautes vallées pyrénéennes, destinée à canaliser et à homogénéiser les enquêtes sur la morphologie et la morphogénèse villageoises. Cette démarche résulte d’une constatation faite dans les vallées du versant français : la grille habituellement appliquée aux villages de Gascogne et du Languedoc – villages ecclésiaux et sauvetés, villages castraux et castelnaux, bastides et villes neuves – s’avère généralement soit totalement inopérante, soit peu efficace. Il est des vallées où les villages ecclésiaux sont absents ou quasiment et où les castra sont peu nombreux. Utiliser une grille qui dans un réseau de plusieurs dizaines de villages ne permettrait d’identifier qu’une poignée d’agglomérations, n’aurait pas de sens. C’est le cas des vallées du Lavedan dans les montagnes de Bigorre, des vallées d’Oueil et du Larboust dans le bassin supérieur de la Garonne ou encore de la haute Cerdagne où une telle grille serait inefficiente. Elle n’aurait guère plus d’effets dans les secteurs de la chaîne où les villages nés auprès d’un château ou autour d’une église, quoique plus nombreux, restent cependant minoritaires, ainsi dans les vallées de la Pique et dans celle de la Garonne, notamment à leur confluent1. Parmi les rares zones où cette grille donnerait de bons résultats figure le bassin du Conflent, dans les Pyrénées catalanes, où les liens entre habitat et église ou château caractérisent la majorité des villages2.
2Ce constat d’inefficacité peut-on aussi le faire sur le versant méridional ? Là, la largeur de la zone montagneuse complique un peu les choses. Il importe d’y distinguer les vallées de la zone axiale de celles des zones sous-pyrénéennes3. Dans les vallées et bassins sous-pyrénéens, la grille habituelle pourrait donner des résultats d’ensemble assez satisfaisants, même si la typologie ternaire, village ecclésial, village castral et ville neuve, y est moins régulièrement représentée. C’est en tout cas ce que suggèrent plusieurs des communications présentées lors du colloque. Les zones sous-pyrénéennes de Catalogne sont celles qui se prêteraient le mieux à son utilisation. Les études sur l’habitat de la Garrotxa et du Pallars Sobirà y révèlent en effet le rôle essentiel de l’église et du château dans la structuration du village4. Elle pourrait être aussi utilisée dans les secteurs correspondants de l’Aragon où, si les villages ecclésiaux sont absents, le semis des bourgs castraux est assez fourni5. Mais son efficacité serait très faible dans les bassins de la Vieille Navarre où, au sein de la « poussière de villas » mise en place avant l’An Mil, seuls quelques rares castra et villes neuves ont pu trouver place6.
3Dans la zone axiale, la grille semble tout aussi inopérante que sur le versant français. En Catalogne, tout d’abord. Dans leur étude de l’habitat des hautes vallées de l’ancien comté de Pallars présenté au Xe colloque international d’archéologie de Puigcerdà, Joan Albert Adell i Gisbert et Eduard Riu-Barrera décrivent un habitat concentré où prédominent des villages ouverts « constituits per l’agregaciô no articulada de cases autónomes i que constitueixen per eilles mateixes unitats de residencia i treball »7. La majorité ce ces villages ont leur origine dans les « villae » apparues aux IXe et Xe siècles. Ce travail met surtout en exergue la singularité en Vieille Catalogne des formes villageoises du haut Pallars. La singularité est en réalité moins celle du haut Pallars par rapport à d’autres régions de la Vieille Catalogne, que celle de toute la zone axiale par rapport à la zone sous-pyrénéenne. Car les traits qui caractérisent le village des hautes vallées du Pallars et que décrivent d’autres recherches – dans les vallées d’Àneu, par exemple –, sont aussi ceux que l’on rencontre sur l’ensemble de la zone axiale du versant français8. Dans le sillage des observations faites par Benoît Cursente sur l’habitat des hautes vallées du Béarn, de rapides opérations de prospection menées dans les vallées d’Oueil, du Larboust, de Louron et en haute Cerdagne, confirment l’omniprésence d’un habitat dont les caractéristiques correspondent à celles des villages du haut Pallars9. Nous n’avons pas poussé assez loin nos investigations pour être dès à présent en mesure de décrire l’habitat villageois des hautes vallées aragonaises et navarraises et y évaluer l’importance des villages ouverts de type pyrénéen. Mais on peut être certain que la grille n’y serait guère plus utile que sur le reste de la zone axiale10.
4Assuré du caractère inopérant dans les Pyrénées de la grille qui a fait ses preuves en Gascogne et en Languedoc, il restait à élaborer un canevas propre à détecter toutes les formes présentes dans l’habitat valléen. La grille que nous proposons conserve de l’ancienne toutes les rubriques qui permettent de repérer les types de villages dont est constitué le réseau des plaines et que l’on trouve aussi en montagne, sous des formes parfois sans défaut, plus souvent dégradées. Mais nous y avons inséré des éléments nouveaux qui nous paraissent susceptibles d’expliquer l’ossature des villages d’apparence inorganique dont les formes restent à élucider. Une série d’impératifs a guidé notre démarche :
- ne jamais isoler l’étude sur le village de l’ensemble que constitue l’unité valléenne, à la fois comme milieu géographique contraignant et comme réseau d’habitat cohérent ;
- lier l’étude du village à celle de son territoire et de son histoire ;
- apporter une attention particulière au site du village et à ses aménagements. À son assise topographique notamment, car elle détermine peut-être la forme des îlots. On a pu observer qu’en Cerdagne, lorsque le site du village est plat ou très légèrement pentu, l’îlot est de forme quadrangulaire ; il a cette forme aussi quand le site est aménagé en terrasses. L’îlot a par contre des formes courbes, circulaires ou ovales, quand la pente n’est pas aménagée, l’arrondi permettant aux voies de circulation interne d’aborder la pente en oblique et de contourner l’obstacle d’une forte déclivité ;
- utiliser les mêmes termes, où que se déroule l’enquête, pour caractériser le tissu aggloméré (nous avons retenu les catégories descriptives proposées par le géographe Demangeon). Il conviendrait aussi de s’accorder sur les termes à employer dans la description des types de maisons.
5La fiche VII est au cœur de notre problématique. Elle est destinée à faciliter le travail de restitution des processus de structuration et à analyser le rôle des « maisons dominantes » – et des îlots qu’elles contrôlent –, dans la morphogénèse du village pyrénéen. Il est clair cependant que l’aire d’utilisation de cette nouvelle grille ne se limite pas aux hautes vallées des Pyrénées. Elle devrait donner de bons résultats, au moins côté français, partout où les villages dont les formes sont restées jusqu’ici inexpliquées sont qualifiés d’« inorganiques » ou d’« anarchiques ». Ces villages ne sont pas seulement nombreux sur tout le piémont des Pyrénées ; ce type d’agglomération est fréquent aussi dans l’ensemble de l’espace gascon et languedocien. Dominique Baudreu a récemment montré que les « villages ouverts » de la plaine languedocienne « semblent faire écho, sur le plan morphologique, aux agglomérations typiques des montagnes analysés en particulier dans les Pyrénées gasconnes »11.
Fiche I IDENTIFICATION GÉNÉRALE
I, 1 : Commune actuelle (ou municipio)
I.2 : Circonscrition administrative (France : canton, département)
I, 3 : Unité valléenne (ex. Lavedan)
I, 4 : Sous-ensemble, s’il y a lieu (ex. Barèges)
I, 5 : Carte topographique (France 1/25000e IGN, et équivalent espagnol)
Fiche II DESCRIPTION DE L’UNITÉ VALLÉENNE
6II, 1 : Description morphologique sommaire (ex. : auge glaciaire, vallée encaissée)
7II, 2 : Cotes d’altitude extrêmes des agglomérations villageoises (la ⊞ haute, la ⊞ basse)
8II, 3 : Description du réseau villageois :
- Nombre de communes (municipios)
- Nombre des unités agglomérées (en cas de communes comportant plusieurs noyaux agglomérés)
- Distance moyenne séparant deux noyaux agglomérés
9II, 4 : photocopie de l’ensemble valléen (au 1/50000e de façon à homogénéiser les informations des deux versants)
Fiche III DESCRIPTION DU TERRITOIRE DE LA COMMUNE (MUNICIPIO) ACTUEL
10III, 1 : Superficie en hectares
11III, 2 : Description sommaire du territoire (morphologie, relief, hydrographie...)
12III, 3 : Population actuelle
13III, 4 : Répartition générale de l’habitat (agglomération principale, noyau(x) secondaire(s) avec église, hameaux permaments, habitats temporaires)
Fiche IV LA COMMUNE (MUNICIPIO) : DONNÉES HISTORIQUES
IV, 1 : Situation administrative ancienne :
- Diocèse, archiprêté, paroisse.
- Comté, vcté, châtellenie, viguerie, etc.
IV, 2 : Situation seigneuriale
IV, 3 : Plus anciennes mentions textuelles
IV, 4 : Plus anciennes représentations cadastrales, iconographiques...
14IV, 5 : Données démographiques anciennes (du Moyen Âge au XIXe siècle)
15IV, 6 : Traces archéologiques ou attestations écrites d’habitats désertés :
- Désertion proprement dite (extinction d’une communauté)
- Déplacement de site d’une communauté. Sens ? Distance ?
Fiche V SITES VILLAGEOIS (= noyaux agglomérés pourvus d’une église)
16V, 1 : Altitude
17V, 2 : Exposition (ex. soulane, fond de vallée...)
18V, 3 : Assise topographique (replat, première pente, verrou, terrasse, cône de déjection...). Croquis sommaire
19V, 4 : Éléments hydrographiques (sources, torrents, aménagements hydrauliques...)
20V, 5 : Situation par rapport aux axes de communication
Fiche VI CARACTÉRISATION DU TISSU AGGLOMÉRÉ
21VI, 1 : Structure (catégories descriptives de Demangeon)
VI, 1,1 : Village mononucléaire :
- En tas
- Quadrillé
- En ligne
- En étoile
- Amorphe
VI, 1,2 : Village polynucléaire. Les diverses composantes :
- En tas
- Quadrillé
- En étoile
- En ligne
- Amorphe
VI, 1,3 : Enceinte villageoise :
- Absente
- Vestiges
- Caractérisation et datation
VI, 2 : Adaptation au site :
- Pas d’aménagements visibles
- Aménagements (terrasses aménagées par courbes de niveaux, escaliers, etc.)
22VI, 3 : Types de maisons :
- Maisons blocs de hauteur
- Maisons entourées de dépendances
Fiche VII MODALITÉS DE LA STRUCTURATION
VII, 1 : l’église et le cimetière
VII, 1,1 : description de l’église :
- Localisation dans le village
- Titulature
- Description rapide (dimensions, architecture, décor)
- Plus anciennes mentions textuelles
23VII, 1, 2 : description du cimetière :
- Associé à l’église ? Si non, à quelle distance ? Topographie ? Forme ? Dimensions ?
- Si associé : forme, dimensions, enveloppant ? latéral ?
24VII, 1, 3 : Quel rôle dans la structuration de l’habitat ?
- Nul
- Faible
- Éphémère (traces d’habitat disparu auprès de l’église)
- Important
25VII, 2 : Le château
26VII, 2,1 : Éléments descriptifs :
- Vestiges
- Mentions textuelles
- Localisation par rapport au village
27VII, 2,2 : Rôle dans la structuration ?
- Nul
- Éphémère
- Faible
- Important
28VII, 3 : Les maisons dominantes
29VII, 3, 1 : Observe-t-on une organisation de l’espace et du réseau viaire en ilôts formés autour de maisons ?
- Non
- De façon partielle
- De façon dominante
VII, 3, 2 : Caractérisation des ilôts repérables :
- Nombre, forme, dimensions
- Croquis à joindre à partir du cadastre
30VII, 3, 3 : Les maisons dominantes : vestiges archéologiques, anciennes attestations écrites...
VII, 4 : Autres éléments structurants :
- Le pont
- La route
- La place du marché
- Etc.
Notes de bas de page
1 Nous renvoyons à la lecture de la communication de Gérard Pradalié, « Châteaux médiévaux et habitat groupé : le cas des Pyrénées garonnaises », ci-dessus, deuxième partie. Dans les Pyrénées garonnaises un quart des villages peut être mis en rapport avec un habitat castral ; la proportion tombe à 14 % en Barousse mais s’élève à 41 % dans la vallée de la Garonne. Les villages issus d’un processus ecclésial sont beaucoup moins nombreux ; Luchon en est un exemple.
2 A. Catafau, « Le rôle de l’église dans la structuration de l’habitat sur le versant français des Pyrénées. L’exemple du Conflent », ci-dessus, deuxième partie.
3 La zone axiale y est précédée d’une zone sud ou sous-pyrénéenne formée de sierras accolées à la zone axiale et de sierras extérieures qui dominent le bassin de l’Èbre.
4 J. Bolós, « Le rôle du château et de l’église dans la structuration de l’habitat dans les Pyrénées catalanes. Deux exemples différents : le Pallars Sobirà et la Garrotxa », ci-dessus, deuxième partie.
5 C. Laliena Corbera et J. F. Utrilla Utrilla, « La formación del hábitat agrupado en el Pirineo central en los siglos XII y XIII : poder político y control social », ci-dessus, deuxième partie.
6 J. M. Larrea, La Navarre du IVe au XIIe siècle. Peuplement et société, Bruxelles, 1998.
7 J. A. Adell i Gisbert et E. Riu-Barrera, « Formes d’urbanisme, implantació d’esglésies i feudalisme a les valls altes del comtat de Pallars », Cultures i medi de la prehistòria a l’edat mitjana, X colloqui intemacional d’arqueologia de Puigcerdà, Puigcerdà 1995, p. 625 – 629. Ces auteurs notent aussi la position décentrée de l’église : « tots els pobles de la vall... presenten la forma urbanística d’agregació irregular de cases autònomes amb l’església parroquial exterior al nucli o en una posició clarament marginal » (p. 627).
8 A. Gomez, M. Miquel et J. I. Padilla, « Castells i fortificacions medievals a l’alt Pallars : la dinámica dels sistemes castrals a las valls d’Àneu », Cultures i medi de la prehistoria a l’edat mitjana, p. 634. I. Alonso, M. Miquel et J. I. Padilla, El capbreu de les Valls d’Àneu, quaderns del consell cultural de les Valls d’Àneu, n° 1, 1995, p. 14.
9 Prospections menées par M. Berthe, B. Cursente et G. Pradalié, en groupe ou individuellement, dans les mois qui ont précédé la tenue du colloque.
10 J. J. Larrea, La Navarre du IVe au XIIe siècle. Peuplement et société, p. 498 – 509 et « Notas sobre los orígenes del poblamiento del valle de Salazar (Navarra) », ci-dessous, troisième partie. Ph. Sénac, La frontière et les hommes (VIIIe-XIIe siècle). Le peuplement musulman au nord de l’Èbre et les débuts de la reconquête aragonaise, Paris, 2000, p. 313 – 314.
11 D. Baudreu, « Des villages ouverts dans la plaine de l’Aude : une anomalie ? », Les sociétés méridionales à l’âge féodal, Hommage à P. Bonnassie, Toulouse 1999, p. 133 – 140. Vingt-deux des cent trente cinq villages étudiés sont des « villages ouverts » caractérisés par l’absence de murailles collectives, la position périphérique ou extérieure de l’église, un parcellaire plus ou moins densément bâti, organisé en îlots, et la présence éventuelle d’un château en général postérieur à l’époque romane. Ce type d’agglomération est selon lui encore plus fréquent en Languedoc oriental (p. 136).
Auteurs
-
Maurice Berthe
Professeur émérite, Université de Toulouse-Le Mirail.
-
Benoît Cursente
DR, CNRS, FRAMESPA, UMR 5585.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
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