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Villages pyrénéens

 | 
Maurice Berthe
, 
Cursente Benoît

Églises et châteaux dans la structuration de l’habitat

Un exemple alpin : la structure du peuplement au Val d’Aoste1

Claudine Remacle

Volltext

  • 1 Notre intervention se base sur l’inventaire du patrimoine, auquel nous participons depuis quinze an (...)

1La Vallée d’Aoste est cette petite région italienne autonome, coincée au sud-ouest de l’arc alpin, à l’angle formé par la chaîne, entre les Alpes Graies et Pennines. Sur la carte, elle occupe un espace rectangulaire, disposé d’ouest en est, de 80 km de long sur 40 de haut, du Mont Blanc au Piémont (fig. 1). La Vallée a pour confins le Valais suisse au nord, la Haute-Savoie française à l’ouest et au sud, le Canavais à l’est et au sud. Drainée par la Doire Baltée, elle se caractérise par un adret et un ubac très marqués. Au large sillon central, siège des voies antiques portant vers les cols des Petit et Grand-Saint-Bemard, s’ajoutent six vallées latérales au nord et huit au sud.

Quelques indices des fouilles archéologiques et des sources

2Les découvertes archéologiques y signalent un peuplement dès l’Âge du bronze, localisé sur les versants ensoleillés de l’adret, en position dominante, touchant même les vallées latérales nord les plus ouvertes, le Valtournenche et le Val d’Ayas. Le site funéraire de Saint-Martin-de-Corléans prouve l’existence dès le troisième millénaire av. J.-C. d’une agglomération importante dans le bassin central au confluent de la Doire et du Buthier, là où sera fondée en 25 av. J.-C. Augusta Praetoria, la ville d’Aoste.

  • 2 Ch. Bonnet, R. Perenetti, Aoste aux premiers temps chrétiens, Musumeci Ed., 1986, p. 9.
  • 3 M.A. Cavallaro, Ipotesi sullo sviluppo di Aosta alto-medievale, Deputazione subalpina di storia pat (...)
  • 4 A. Zanotto, Valle d’Aosta antica e archeologica, Musumeci Ed., Aosta, 1986, p. 54 – 57, 281, 324, 3 (...)

3L’état de conservation exceptionnel des structures de la ville romaine et les fouilles des monuments de culte du IVe au XIe siècle imposent souvent une vision de continuité du peuplement de la cité2 malgré les invasions germaniques, mais aujourd’hui, cette thèse est controversée3. À Aoste, cependant, il n’y a pas de doute, les vestiges de la cathédrale paléochrétienne s’harmonisent avec le complexe du cryptoportique et du forum. A la campagne, les villae sont, en général, abandonnées ou transformées4. On sait par exemple que le château d’Issogne est installé à l’emplacement d’une villa. On a localisé des sites ruraux à Champérioux (Montjovet), à Messigné (Nus), à Seran (Quart), à Nicolin (Saint-Christophe), à Vetan (Saint-Nicolas), à Pertusat (Sarre).

Vallée d’Aoste : les bourgs et les principaux châteaux

Vallée d’Aoste : les bourgs et les principaux châteaux

4L’organisation ecclésiastique de l’ensemble de la Vallée se structure déjà au Ve siècle : l’évêché est en place à Aoste et plusieurs églises existent dès cette époque, à Villeneuve (10 km à l’amont d’Aoste) et Saint-Vincent (24 km à l’aval d’Aoste). Hélas, faute de documents, on ne peut parler du peuplement au haut Moyen Âge. De plus, les sources écrites du XIe au XIIIe siècle ne permettent aucune approche territoriale complète du puzzle des seigneuries.

  • 5 B. Orlandoni, Architettura in Valle d’Aoste. I. Il romanico e il gotico, Priuli et Verlucca Ed., Iv (...)
  • 6 M.C. Daviso di Charvensod, I pedaggi delle Alpi occidentali nel Medio Evo, Deputazione subalpina di (...)
  • 7 La limite entre les deux évêchés sur le cours du Lys a eu une répercussion importante sur le choix (...)

5Vers l’an 1000, comme dans le reste de l’Europe, le territoire « se couvre d’un blanc manteau d’églises », mais cette transformation est accompagnée par l’érection en contrepoint d’un nombre impressionnant de tours crénelées5, perchées sur les reliefs rocheux dominant les voies de passage. Faut-il s’en étonner ? Non, la vallée est une région de frontière. Le cours du Lys6 a été la ligne de confins de la Quadregesima Galliarum, limite de l’Italie impériale de Dioclétien à la chute de l’empire romain, puis entre l’Italie médiévale et la Bourgogne et entre le diocèse d’Aoste et celui d’Ivrée7.

  • 8 A. Zanotto, Castelli valdostani, Musumeci Ed., Aosta, 1980.
  • 9 Par manque de sources, nous ne connaissons presque rien des vicissitudes de la Vallée sous les Méro (...)
  • 10 Par exemple, la tour octogonale d’Oyace, mais aussi les châteaux de Graines, de Cogne, d’Etroubles, (...)

6La féodalité se manifeste ici avec force, à tel point qu’elle semble avoir réorganisé l’habitat. On compte plus de cent châteaux8, tours et maisons-fortes dans la vallée centrale, et l’existence de nombreux castra, antérieurs ou postérieurs à l’emprise stratégique de la Maison de Savoie (1032-XIIIe siècle9), montre que la féodalité a pénétré profondément à l’intérieur de la chaîne alpine10 (fig. 1).

La hiérarchie des agglomérations

  • 11 Les paroisses sont plus nombreuses que les communes, elles sont actuellement au nombre de 90, mais (...)
  • 12 Loi de 1886. Mise en activité du catasto d’impianto en 1914. Le cadastre napoléonien n’existe que p (...)
  • 13 E.-E. Gerbore, « Il territorio di Fénis e della Rivière nel Basso Medioevo », Bibliothèque de l’Arc (...)

7À la fin du XIXe siècle, les quelques 70 entités communales11 occupent soit un versant du sillon central, de la Doire au sommet, soit un tronçon d’une vallée latérale, soit encore la tête des vallées. A cette époque récente bien documentée par le cadastre d’origine de l’État italien12, les communes sont peuplées de façon très dispersée, à tel point que la Vallée compte plus de 1250 noyaux comportant plus de 4 bâtiments, dont la plupart sont des hameaux. Des maisons isolées complètent ce tableau d’un habitat complètement pulvérisé, en général déjà documenté par les archives conservées du bas Moyen Âge13.

8Parmi les sites fortifiés, marqueurs et parfois organisateurs de l’habitat, les châteaux sont souvent en relation avec des villages compacts, appelés dans les textes burgus ou villa, dont certains ont acquis le droit de construire une enceinte, en 1274 pour Villeneuve et en 1337 pour Villefranche de Quart.

  • 14 A. C. Torgnon, Mazzo I, n. 1 (Reconnaissances de la fin XVIe siècle) ou A. C. Oyace, reconnaissance (...)
  • 15 M. Casanova, « "In Villa de Bagnyes". Réflexions sur un "village disparu" », Vallesia, Sion, 1978, (...)
  • 16 Villa, dans le vallon de Chevrère à Champdepraz.

9Des villages ruraux moins compacts, dotés de chapelle, de moulin et de four commun, jouent un rôle important par rapport à l’habitat dispersé des alentours. Dans les textes, ces gros villages, habités au Moyen Âge par des communautés fortes, prennent encore le nom de villae. Dans les reconnaissances, lorsque l’on passe à l’usage du français en 156114, le mot ville se substitue au mot latin et il ne tombe pas en désuétude, comme à Bagnes en Valais15. On le trouve encore dans les textes de reconnaissances au XVIIIe siècle. Dans les vallées latérales, il reste employé dans le parler local comme toponyme pour des villages, parfois réduits à quelques maisons éparses16, et surtout pour nommer le chef-lieu, la Veulla.

10Le rôle des hameaux est extrêmement varié dans les réseaux de peuplement. Les textes les citent comme simples lieux-dits, localisés en se référant à un point d’habitat ou à un terroir plus important « aux pertinences de... ; dans le canton de... » et signalent la paroisse d’appartenance. Les hameaux correspondent souvent à un type de peuplement secondaire d’origine familiale, périphériques ou intercalaires par rapport aux villages dotés d’équipement collectif. Ils correspondent souvent à un peuplement lié à l’exploitation spécialisée des terres, étagées en altitude (vignes, châtaigniers, céréales, pâturages). En effet, de nombreux sites ne sont habités que temporairement au cours du cycle annuel. Les plus élevés sont des stations d’estivage pour le bétail, montagne ou arp.

  • 17 J. Mathieu, Eine Agrargeschichte der inneren Alpen. Graubünden, Tessin, Wallis, 1500-1800, Chronos (...)

11Contrairement à des régions toutes proches telles le Valais ou le Tessin, il faut souligner que l’économie dans ces villes, villages et hameaux est semi-concentrée17 : il n’y a pas d’innombrables granges à foin et à blé dispersées en satellite autour des agglomérations au sein des finages. Ici la production est en général ramenée dans la maison hivernale, avec presque partout, l’existence de mayens, points d’habitat de très petites dimensions attestés au bas Moyen Âge, qui constituent des lieux temporaires de séjours et de travail, étapes entre les maisons hivernales et les alpages, et où l’on consomme parfois la partie des récoltes produite sur place.

La dispersion de l’habitat dans la Vallée centrale

  • 18 A. Zanotto, Valle d’Aosta., ., op. cit., p. 30 – 38.
  • 19 Il est impossible d’esquisser vraiment en si peu de pages le rôle des grandes seigneuries féodales (...)
  • 20 M.C. Daviso di Charvensod, I pedaggi..., op. cit. Liste des péages : p. 386, à Bard et à Donnas ; p (...)

12Les bourgs, anciens chefs-lieux de seigneuries, jalonnent tout le parcours antique (fig 1). Celui-ci est assez bien connu grâce aux restes de routes et de ponts romains18 et à la Table de Peutinger. Son tracé suit la rive gauche de la Doire (adret) de Pont-Saint-Martin à Villeneuve (10 km à l’amont d’Aoste). Ensuite, il passe sur la rive d’ubac jusqu’au Valdigne. Ce parcours est celui sur lequel jettent leur dévolu les comtes de Savoie. Certes les seigneuries de Vallaise, de Challant, de Cly, de Nus et de Saint-Pierre et d’Avise interrompent ponctuellement les possessions sous le domaine direct de la Maison de Savoie19. C’est aussi le long de cette voie que se situent les péages, bien connus au bas Moyen Âge grâce aux comptes des châtellenies20. Les péages sont situés à l’emplacement des cluses et surtout au passage des torrents tributaires de la Doire. Des bourgs se cristallisent ainsi de part et d’autre des ponts, emplacement privilégié des péages, mais aussi confins fréquents entre deux seigneuries. Plusieurs bourgs sont donc situés sur le parcours antique conservé, aux cluses ou à l’apex des cônes de déjection, là où la gorge est profondément incisée dans la roche : Pont-Saint-Martin, Donnas et Bard, Verrès-Martorey, Châtillon-Chaméran, Villeneuve, Arvier-Liverogne. D’autres sont des fondations probablement médiévales : par exemple, Montjovet, Chambave et Nus.

  • 21 E.-E. Gerbore, Nus. Tessere di storia, Musumeci Ed., Quart, 1998, p. 54.
  • 22 À ce propos, il faut signaler la survivance de gros villages tout le long de ce grand chemin d’alti (...)

13D’imposants châteaux sont implantés sur le roc à proximité de tous ces bourgs. Ces derniers comprenaient souvent, à l’intérieur de l’enceinte, un autre château, des tours et, naturellement, des portes. Il faut signaler que ces portes ont presque toutes disparu, alors que certaines ont encore été remises en état à la fin du XVIIIe siècle21. Tous les bourgs sont situés le long du tracé antique, y compris Etroubles et Saint-Rhémy sur la route du Grand-Saint-Bemard, mais il y a deux exceptions : sur la rive droite du Lys, le bourg fortifié des puissants seigneurs de Vallaise, dans une position exceptionnelle, à mi-versant, et, dans le Valtoumenche, le bourg de la seigneurie de Cly à Antey-Saint-André, resté à l’état embryonnaire. L’anéantissement du bourg de Thora sous l’éboulement de la Becca France en 1564 est la seule disparition de « village », documentée par les archives. Situé à 1850 m d’altitude, le passage par ce bourg évitait les forts dénivelés et les péages, et mettait à profit les cols transversaux entre le col du Grand-Saint-Bemard, le Valdigne22 et le Petit-Saint-Bernard.

  • 23 Sur roc, Pramotton, Ussel. Mais il est probable que certains sites fortifiés aient disparu, comme l (...)
  • 24 J.-G. Rivolin, « Il pedaggio di Bard ed il commercio delle mole (secoli XIII-XIV) », Mulini da gran (...)

14À l’ubac, la vallée centrale est, en général, peuplée de gros villages, excepté sur les cônes de déjection. De Pramotton à Charvensod, la structure du peuplement consiste surtout en gros villages en ordre lâche ou en tas, relativement proches des châteaux, surélevés23 ou non, par rapport à la plaine alluviale. Ces villages sont reliés entre eux par un parcours alternatif, très chargé au XIVe siècle si l’on en croit le trafic des meules de moulins, et probablement aussi de fer, en provenance de Saint-Marcel, mis en évidence par J. Rivolin24, pour éviter les différents péages situés à l’amont de Montjovet.

15Excepté à La Veulla d’Hône, en position montante le long du torrent Ayasse, les cônes de déjection sont par contre presque tous caractérisés par un habitat dispersé en une multitude de hameaux de fondation familiale dont la plupart ont un nom en rapport avec un patronyme (Issogne, Fénis, Gressan, Aymavilles). Sur ces cônes d’alluvions, les tours et les châteaux étaient nombreux. Certains indices laissent imaginer la disparition de villes, d’importance primaire au Moyen Âge, comme à Issogne, la survivance de toponymes, tels que Sommet et Pied-de-Ville. On pense peut-être qu’une forme d’habitat compact, une ville, y a perdu son rôle, à moins qu’elle ne soit jamais arrivée à s’affirmer, face à la continuité de l’habitat dispersé d’origine romaine.

  • 25 Surtout le commerce du vin, florissant au Moyen Âge, particulièrement, celui provenant de Chambave.

16Près des bourgs, dominés par les châteaux, l’adret viticole est peuplé de hameaux minuscules dont l’existence est en rapport direct avec les migrations saisonnières des communautés agro-pastorales de haute montagne. Dans certains cas, l’implantation d’un tel habitat semble générée par la concession des terres de réserves, situées aux alentours du centre de la seigneurie, à des fins spéculatives25. Les déplacements en altitude s’effectuaient en général au sein de la même seigneurie.

  • 26 Première mention des chanoines réguliers de Saint Gilles de Verrès en 1050. Cf. A.-P. Frutaz, Le fo (...)

17La plaine alluviale de la Doire et les premiers contreforts des versants d’adret comme d’ubac sont jalonnés de fermes appartenant à des ordres monastiques ou à la noblesse au moins depuis le XIIe siècle. Certains complexes bénédictins ont donné naissance à des paroisses, comme à Nus, à Sarre, à Chambave, à Arnad. Il s’agit toujours d’églises paroissiales isolées, qui ne commandent l’urbanisation d’aucun village. Jusqu’au XIXe siècle, au moment de l’expropriation des biens de l’Église, ces fermes26 ont conservé leurs grandes parcelles de terre non découpées. La plupart ont été prises en mains par des familles bourgeoises d’Aoste, ou par de gros propriétaires fonciers de l’une ou l’autre vallée latérale.

Un peuplement très diversifié dans les vallées latérales

  • 27 A. C. Torgnon, Mazzo I, n. 1. Fo 699 vo. Berzin est une des sept villes de Torgnon.

18Dans les vallées latérales, on observe aussi une pénétration ancienne et profonde du pouvoir féodal : les donjons des châteaux de Graines dans le Val d’Ayas, d’Oyace dans le Valpelline et les châteaux des seigneurs d’Avise dans le Valgrisenche sont tous des forteresses sur roc qui confirment la pénétration de la chaîne alpine pour le contrôle des passages transversaux ou des populations locales. Cité précédemment, le miniscule bourg d’Antey-Saint-André laisse entrevoir qu’il a existé des tentatives de création castrale dans certaines vallées latérales. Les cas « d’enchâtellement » sont mal connus, mais ils ont existé puisqu’une reconnaissance concernant la ville de Berzin27 confirme l’existence du droit des habitants de construire une chambre sur la porte d’entrée du bourg pour abriter leurs réserves.

19Le château de Champorcher est un autre témoignage, le plus accompli et le mieux conservé de castrum de haute montagne. Il est probable que d’autres sites fortifiés soient restés à l’état embryonnaire, puis aient disparu, peut-être tout simplement parce que le milieu alpin lui-même offrait dans la plupart des cas des abris sûrs, en dehors de tout contrôle.

20D’une vallée latérale à l’autre, la structure de l’habitat est différente. Certes une relation existe entre la dimension des villages et l’extension de leur finage. En outre le cloisonnement imposé par la morphologie complexe des vallées a certainement joué un rôle dans l’établissement des tenures. Comme en Valais, le nom de la paroisse, et bien plus tard de la commune (XVIIIe siècle), distingue un vaste territoire et n’indique aucune agglomération précise, à part parfois la ville.

21Les épaulements et les vallées ouvertes bien exposées, au-dessus de 1000 m, sont peuplées de plusieurs villes, gros villages relativement peu nombreux quand on les compare à la multitude de hameaux disséminés sur certains versants moins favorisés. Cependant, il ne faut pas verser dans le déterminisme géographique, il est probable que ce soit l’histoire qui justifie les différences et que l’influence du système féodal soit primordiale.

  • 28 Ce sont de vrais villages avec des édifices collectifs variés, four, moulin, chapelle, et une place (...)

22La vallée de Cogne, de même que Charvensod, territoire sous la dépendance de l’évêque, est peuplée d’agglomérations importantes, centres de communautés humaines fortes28, de même que le Valdigne à l’amont de Morgex et le val d’Ayas, territoire en partie sous la juridiction de l’abbaye d’Agaune, mais aussi des seigneurs de Challant, installés au château de Villa, avant leur « conquête » des seigneuries de « plaine ».

  • 29 E. Rizzi, Storia dei Walser, Fondazione E. Monti, Milano, 1992, p. 59.

23Un contraste intéressant émerge dans cette vallée, à l’aval et à l’amont de Champoluc. Il témoigne d’un processus qui s’est présenté dans plusieurs cas. Là où le relief se fait plus âpre, le canton dit des Allemands est peuplé de hameaux de fondation familiale à la suite de la migration de Haut-Valaisans au XIIIe siècle29, comme l’est d’ailleurs aussi le territoire occupé par les populations d’origine alémanique de la vallée du Lys. Dans le Valpelline, la lecture des reconnaissances, émaillées de suggestions sur le peuplement, indique nettement que l’habitat du territoire à l’amont d’Oyace est lui aussi secondaire, cristallisé à l’emplacement de sites occupés, avant, de façon temporaire. Les textes indiquent que cette structure diffuse de l’habitat correspond à un peuplement tardif, occupant des terroirs dédiés, dans un premier temps, aux montagnes, aux pâturages.

  • 30 Dans le Valpelline, par exemple, le chef-lieu, situé au confluent des deux branches du Buthier, est (...)

24À la confluence des torrents ou exceptionnellement sur un éperon rocheux, les sites occupés par des châteaux cristallisent parfois un point d’habitat et un centre de culte, ce sont des paroisses-mères par excellence : Introd, Valpelline30, Antey, Etroubles, Champorcher... Cependant, même dans ce cas, l’habitat de la paroisse est d’une dispersion extrême. La trilogie habituelle château, église, village se rencontre ici, mais jamais seule.

  • 31 La position excentrée des églises exprime un consensus entre les différentes agglomérations ; ce ge (...)
  • 32 Il est fréquent que les églises les plus anciennes gèrent une vallée ou une rive, c’est-à-dire un d (...)

25Un réseau complexe d’agglomérations, parfois composées de plusieurs villes, couvre toutes les terrasses fluvio-glaciaires des versants proches, faisant partie de la même paroisse, de la même seigneurie. Ainsi, ne faut-il pas s’étonner que, dans un cas sur deux, les églises paroissiales soient à l’écart des noyaux habités31, ce qui implique une dispersion ancienne de l’habitat attestée par les archives de la fin du Moyen Âge32.

Le tissu aggloméré des sites habités : une évolution marquée par les coutumes

  • 33 Les Coustumes du Duché d’Aouste avec les uz et stils du pais, Chambéry, 1588, p. 365 et p. 381 et, (...)

26Avant de conclure, il faut évoquer l’évolution des villages, de leur tissu. Jusqu’en 1837, le régime successoral en vigueur dans le duché d’Aoste a privilégié les héritiers masculins et les héritages ont été divisés en parts égales. Les listes de partage nous décrivent ce processus fondamental. Elles expliquent l’évolution des maisons et des villages et par conséquent celle du peuplement. On y prévoit la multiplication des foyers autour de vieux ruraux partagés et grevés de servitude et la construction de bâtiments neufs et d’annexes. En conséquence, l’architecture est ici évolutive, surtout dans les zones où prédomine la pierre. Ces croissances du bâti sont réglées par les coutumes, bien connues grâce à leur publication en 158833. Les maisons des familles-souches évoluent en une succession d’ajouts de corps qui s’étagent sur la pente ou s’étirent le long des chemins. Lors des périodes de peuplement dense, le tissu des villages et des hameaux devient plus serré. Tous les espaces sont remplis et même les passages sont couverts. En cas d’abandon, les familles en voie d’extinction cèdent du terrain aux lignées voisines plus vigoureuses qui s’étendent en formant littéralement tache d’huile. Si l’espace manque, les jeunes familles nucléaires essaiment là où se libère une place.

  • 34 C. Remacle, « Les marges forestières du paysage agro-pastoral », Uomini e boschi in Valle d’Aosta, (...)

27En cas de non nécessité, l’espace reste libre et les agglomérations s’aèrent ; les édifices survivants changent parfois de nom. Au Val d’Aoste, à part quelques hameaux placés dans des endroits privés d’eau ou dangereux (crues, avalanches, éboulements)34, les sites habités disparaissent rarement de la fin du Moyen Âge au XIXe siècle, car l’ensemble complexe des maisons est soumis aux enjeux de la propriété et met des siècles à mourir.

Anmerkungen

1 Notre intervention se base sur l’inventaire du patrimoine, auquel nous participons depuis quinze ans. Ce travail aborde le territoire, village par village, et analyse corps par corps les maisons conservées en se basant sur le jeu des appuis. Il s’accompagne de recherches sur les cadastres pour les XVIIIe et XIXe siècles et d’examen des parcellaires. Grâce à certaines monographies et aux inventaires des archives des Challant et des Vallaise, l’étude des sources foncières est parfois plus approfondie et une réflexion peut s’engager sur la structure du peuplement. Cet article est un premier essai de synthèse.

2 Ch. Bonnet, R. Perenetti, Aoste aux premiers temps chrétiens, Musumeci Ed., 1986, p. 9.

3 M.A. Cavallaro, Ipotesi sullo sviluppo di Aosta alto-medievale, Deputazione subalpina di storia patria, Torino, 1996, p. 8 – 10.

4 A. Zanotto, Valle d’Aosta antica e archeologica, Musumeci Ed., Aosta, 1986, p. 54 – 57, 281, 324, 331, 348, 355, 367, 373.

5 B. Orlandoni, Architettura in Valle d’Aoste. I. Il romanico e il gotico, Priuli et Verlucca Ed., Ivrea, 1995, p. 20.

6 M.C. Daviso di Charvensod, I pedaggi delle Alpi occidentali nel Medio Evo, Deputazione subalpina di Storia patria, Palazzo Carignano, Torino, 1961, p. 382.

7 La limite entre les deux évêchés sur le cours du Lys a eu une répercussion importante sur le choix des sites d’érection des églises des différentes paroisses. Elles sont sur la rive droite, coincées entre le cours d’eau tumultueux et le rocher à Lillianes et Fontainemore, alors que l’agglomération principale est en face, sur la rive gauche, sur la Riparia Lombarda.

8 A. Zanotto, Castelli valdostani, Musumeci Ed., Aosta, 1980.

9 Par manque de sources, nous ne connaissons presque rien des vicissitudes de la Vallée sous les Mérovingiens et les Carolingiens. Avant l’arrivée des comtes de Savoie sur la scène, en 1032, les seigneurs, laïques et ecclésiastiques, étaient rivaux, ils occupaient soit les bastions d’Aoste, soit avaient déjà construit de nombreux châteaux. À partir du XIe, la politique de la Maison de Savoie est celle de s’assurer tous les points stratégiques de la région : le long du parcours antique, Bard en 1242, Cly en 1376, Quart en 1378, Montjovet en 1438 (Châtel-Argent leur appartenait déjà), mais aussi vers le Valais, Oyace en 1252.

10 Par exemple, la tour octogonale d’Oyace, mais aussi les châteaux de Graines, de Cogne, d’Etroubles, de Courmayeur, de Champorcher, d’Antey-Saint-André, de Gressoney, de Saint-Oyen...

11 Les paroisses sont plus nombreuses que les communes, elles sont actuellement au nombre de 90, mais il n’y en avait que 52 en 1207. Leur nombre croît progressivement à partir de la seconde moitié du XVe siècle.

12 Loi de 1886. Mise en activité du catasto d’impianto en 1914. Le cadastre napoléonien n’existe que pour une douzaine de communes au nord d’Aoste.

13 E.-E. Gerbore, « Il territorio di Fénis e della Rivière nel Basso Medioevo », Bibliothèque de l’Archivum Augustanum [abr. BAA], XI, Aoste, 1980. O. Zanolli, Inventaire des archives des Vallaise, 4 tomes, BAA, Aoste, 1985-1989. J.-C. Perrin, Inventaire des Archives des Challant, 4 Tomes, BAA, Aoste, 1974-1977.

14 A. C. Torgnon, Mazzo I, n. 1 (Reconnaissances de la fin XVIe siècle) ou A. C. Oyace, reconnaissances début XVIIIe siècle.

15 M. Casanova, « "In Villa de Bagnyes". Réflexions sur un "village disparu" », Vallesia, Sion, 1978, p. 89 – 105.

16 Villa, dans le vallon de Chevrère à Champdepraz.

17 J. Mathieu, Eine Agrargeschichte der inneren Alpen. Graubünden, Tessin, Wallis, 1500-1800, Chronos Verlag, Zürich, 1992, p. 150 – 162.

18 A. Zanotto, Valle d’Aosta., ., op. cit., p. 30 – 38.

19 Il est impossible d’esquisser vraiment en si peu de pages le rôle des grandes seigneuries féodales et la progression du pouvoir de la Maison de Savoie.

20 M.C. Daviso di Charvensod, I pedaggi..., op. cit. Liste des péages : p. 386, à Bard et à Donnas ; p. 386, à Verrès ; p. 386 – 389, à Montjovet ; les Challant cèdent les châteaux et les péages à Amédée VIII en 1438 ; p. 389, à Châtillon ; Amédée VI investit Iblet de Challant du péage du château de Châtillon en 1366 (péage en fonction jusqu’au XVIIIe siècle) ; p. 390, pour la seigneurie de Cly, au bourg de Chameran, voir de Tillier, p. 220 ; p. 390, Chambave, en 1100, péage au bourg concédé par Humbert II de Savoie au prieuré de Chambave dépendant du monastère de Fructuaire ; p. 391, Quart et Villefranche ; p. 391 – 393, Aoste, octroyé à l’évêque pour 1/3 en 1152 ; p. 393, Grand-Saint-Bernard apud Sanctum Remigium ; p. 394, Châtel-Argent, situé à la grosse Tour Collin ; p. 395, péage du Petit Saint-Bernard, situé probablement à Châtel-Argent.

21 E.-E. Gerbore, Nus. Tessere di storia, Musumeci Ed., Quart, 1998, p. 54.

22 À ce propos, il faut signaler la survivance de gros villages tout le long de ce grand chemin d’altitude, en particulier Vedun, où des sondages dendrochronologiques ont révélé l’existence, à la périphérie de l’agglomération, des bases d’une maison-tour du XIe siècle. Sur ce sujet, voir C. Remacle, « Les maisons rurales en pierre au Val d’Aoste (XVe-XVIe siècle) », Le village médiéval et son environnement, Publications de la Sorbonne, Paris, 1998, p. 203 – 219.

23 Sur roc, Pramotton, Ussel. Mais il est probable que certains sites fortifiés aient disparu, comme la bastia du Châtelair, près d’Ayé et Arlier à Chambave, signalée par E.-E. Gerbore, Il territorio di Fénis..., op. cit., p. 122.

24 J.-G. Rivolin, « Il pedaggio di Bard ed il commercio delle mole (secoli XIII-XIV) », Mulini da grano nel Piemonte medievale (XII-XV), Società per gli Studi della Provincia di Cuneo, Cuneo, 1993, p. 189 – 214, mais aussi R. Orlando, « Il commercio vercellese delle macine della Valle d’Aosta », Atti del XXXI Congr. Stor. Subalp., Aosta 1956, Vol. II, p. 811, et M.C. Daviso di Charvensod, I pedaggi..., op. cit., p. 49.

25 Surtout le commerce du vin, florissant au Moyen Âge, particulièrement, celui provenant de Chambave.

26 Première mention des chanoines réguliers de Saint Gilles de Verrès en 1050. Cf. A.-P. Frutaz, Le fonti per la storia della Valle d’Aosta, Aosta, 1998, p. 67.

27 A. C. Torgnon, Mazzo I, n. 1. Fo 699 vo. Berzin est une des sept villes de Torgnon.

28 Ce sont de vrais villages avec des édifices collectifs variés, four, moulin, chapelle, et une place. Ils jouissaient de droits d’usage commun sur des bois et des pâturages.

29 E. Rizzi, Storia dei Walser, Fondazione E. Monti, Milano, 1992, p. 59.

30 Dans le Valpelline, par exemple, le chef-lieu, situé au confluent des deux branches du Buthier, est un témoignage d’un site fortifié qui regroupait sur un promontoire et au carrefour des chemins : tour, église paroissiale et La Veulla.

31 La position excentrée des églises exprime un consensus entre les différentes agglomérations ; ce genre de compromis se retrouvera aux XVIIe et XVIIIe siècles au moment de la fondation des dernières paroisses lors de la Contre-Réforme.

32 Il est fréquent que les églises les plus anciennes gèrent une vallée ou une rive, c’est-à-dire un des versants d’une vallée latérale : ainsi par exemple, dans le Valtoumenche, Antey drainait les âmes situées sur la gauche orografique du Marmore et Torgnon celles de la rive droite. Les autres paroisses Valtoumenche, Chamois et La Madeleine sont fondées après le XIVe siècle.

33 Les Coustumes du Duché d’Aouste avec les uz et stils du pais, Chambéry, 1588, p. 365 et p. 381 et, pour leur interprétation dans ce domaine, C. Remacle, L’habitat rural valdôtain, Allemandi Ed., Turin, 1994, p. 217-220.

34 C. Remacle, « Les marges forestières du paysage agro-pastoral », Uomini e boschi in Valle d’Aosta, Aoste, 1997, p. 36 – 49.

Abbildungsverzeichnis

Titel Vallée d’Aoste : les bourgs et les principaux châteaux
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