Châteaux médiévaux et habitat groupé : le cas des Pyrénées garonnaises
p. 109-111
Texte intégral
1Les Pyrénées centrales appartiennent au domaine de l’habitat groupé en villages ou en hameaux. N’échappent pas à cette situation les Pyrénées garonnaises : on entendra par cette expression non seulement la haute vallée de la Garonne du Val d’Aran à Valcabrère, mais celles de La Pique avec ses vallées affluentes (Val d’Oueil et Larboust) et de l’Ourse (Barousse).
2Les villages de cette zone dépendaient au Moyen Âge central de deux ensembles politiques : le comté de Comminges étudié par Charles Higounet qui englobait au XIIIe siècle le Val d’Oueil et le Larboust démembrés du comté d’Aure1, et la vicomté de Labarthe à laquelle était rattachée la Barousse2. Ils abritaient environ une centaine de villages dont un petit nombre a disparu.
3La rareté des sources médiévales, l’inexistence en particulier de notaires, rend leur étude systématique aléatoire. Ch. Higounet en a fait le tour. Il s’agit aussi bien de quelques très anciens documents du monastère de Lézat (Xe siècle), que des textes sauvés par Larcher au XVIIIe siècle ou du Pouillé de 13873. Quant à la prospection sur le terrain, indispensable faute de fouilles archéologiques, elle est décevante, en raison de la dépopulation et du couvert végétal (forêts, prairies) des secteurs concernés, et cela malgré l’utilisation des atlas cadastraux du xixe siècle (cadastres dits napoléoniens).
4Aussi les limites de l’enquête tant documentaire qu’archéologique sont-elles très vite atteintes. Difficile, par exemple, de dater l’apparition d’une église. Utilisée seule, la méthode des vocables ne fournit aucune certitude et l’étude architecturale, dans une région très conservatrice des formes anciennes, ne donne que des résultats mal assurés. Dater l’apparition des châteaux est tout aussi problématique, à de rares exceptions : le château de Mauléon-Barousse, s’il s’agit bien de Castellum Barossa, existerait déjà en 1061- 10654, mais pas son grand donjon actuel de forme pentagonale. La petite tour d’Albespi (c. Garin) perchée sur sa motte pourrait être contemporaine de sa première mention dans un texte de 1126, ou un peu antérieure5. Mais en l’absence de toute fouille archéologique, il faut se contenter de replacer l’apparition des châteaux dans une fourchette chronologique large : XIe-XIIIe siècles.
5Et que dire des villages ! Le sens du mot villa fait ici, comme ailleurs, problème, le mot villagium n’étant utilisé qu’au début du XIVe siècle6. On n’en conclura pas, pour autant, que les villages agglomérés ne se forment qu’à cette époque ! Quant à leur désertion éventuelle, ou à leur déplacement, il est tentant d’en rendre responsable la crise du XIVe siècle ainsi que le suggère la lecture du Pouillé de 1387 ; mais c’est sous-estimer sans doute les désertions ou les déplacements ultérieurs.
6On s’en tiendra donc à des impressions générales, dont la première est que les Pyrénées Garonnaises ont bien connu une floraison de châteaux médiévaux : châteaux comtaux ou vicomtaux, comme Bramevaque, Castelblancat, Fronsac ou Mauléon-Barousse ; châteaux seigneuriaux composés d’un donjon et d’une petite enceinte, qualifiés comme tels par la toponymie (castet, castech) et dépendant de familles seigneuriales étudiées par Ch. Higounet : Antichan, Binos, Marignac, Saint-Béat, Saléchan, etc. Ces châteaux appartiennent, en majorité, à la catégorie des châteaux sur roque et sont généralement construits sur des verrous glaciaires, soit en position centrale dans une vallée (Castelvieil, Cier-de-Luchon, Le Sériail, etc.), soit en position latérale le plus souvent : Fos, Fronsac, Marignac, Moustajon, Saint-Béat, etc. Deux seulement sont des châteaux sur motte : Albespi (c. Garin) et Gouaux-de-Larboust en Larboust7.
7Ces châteaux, au nombre d’une trentaine, sont inégalement répartis : rares en Barousse, ils sont plus nombreux dans la vallée de la Pique et dans celle de la Garonne, notamment à leur confluent, dans le bassin de Marignac.
8Cette inégale répartition se retrouve dans leurs relations avec l’habitat villageois. Si, sur ces 30 châteaux, 26 peuvent être mis en rapport avec un habitat villageois, soit un quart des villages de la zone considérée, cette proportion tombe à 14 % en Barousse, mais s’élève à 41 % dans la vallée de la Garonne.
9 L’habitat villageois lié à un château n’est d’ailleurs pas toujours d’une identification facile et indiscutable. Ainsi dans quelle catégorie ranger Saint-Béat ? Faut-il y voir une agglomération née précocement du prieuré des bords de la Garonne, ou faut-il le rattacher au château qui domine l’habitat médiéval et actuel ?
10Pour ce qui est des 26 cas retenus, 13 sont indiscutablement des villages castraux, en particulier Mauléon-Barousse et Fronsac, tous deux dépendant d’un grand château vicomtal ou comtal. Parmi eux, plusieurs ne l’ont été que temporairement, avant que l’habitat ne glisse des abords du site castral incommode vers un site plus accueillant en contrebas : Cier-de-Luchon, Fos, Lez-de-Boutx, Marignac, etc. Mais il y a eu des abandons purs et simples, laissant les donjons dans un isolement artificiel qui est à l’origine du mythe des tours à signaux dont Maurice Gourdon s’est fait le champion : Castelblancat, Castelvieil, Le Sériail, etc.8
11Dans l’autre moitié des cas, le village, bien que dépendant du château sur le plan seigneurial, ne semble jamais s’être regroupé autour de lui ; soit qu’il ait préféré s’agglomérer autour ou auprès de l’église en contrebas : 9 cas sur 13, dont Antichan et Cazaux-Layrisse ; soit qu’il ait rejeté le château en position marginale, parfois même en position d’infériorité topographique : 4 cas sur 13, dont Saléchan et Binos.
12En conclusion, une majorité des villages des Pyrénées garonnaises est sans rapport direct ou indirect avec un château. Et là où un château s’est implanté, il n’a réussi qu’une fois sur deux, durablement ou temporairement, à fixer un habitat : les villages castraux ont le plus fort taux de déplacement ou de désertion des vallées garonnaises. Cet échec relatif de l’incastellamento laisse donc la voie à d’autres processus de formation, qu’il s’agisse du processus ecclésial, dont Luchon est un magnifique exemple9 ou du processus casalier cher à Benoît Cursente.
Notes de bas de page
1 Ch. Higounet, Le comté de Comminges, de ses origines à son annexion à la couronne, 2 tomes, 1949.
2 Sur la Barousse, on glanera quelques renseignements dans A. Sarramon, Les Quatre-Vallées, 3e éd., 1985, et J.-L. Pene, La Barousse, 1984.
3 A.D.H.P., J.B. Larcher, Dictionnaire (8 vol.) et Cartulaire de Comminges. Les Glanages du même auteur (25 vol.) se trouvent à la Bibliothèque municipale de Tarbes. Cartulaire de l’Abbaye de Lézat, 2 vol., éd. P. Ourliac et A.-M. Magnou 1984-1987. R. Corraze, « Un pouillé commingeois au XIVe siècle », Bulletin philologique et historique du comité des travaux historiques, 1938, p. 102- 227.
4 Cartulaire de l’abbaye de Conques, éd. E. Desjardins, 1879, doc. 68 (1061-1065) : Arnaldus cognomine Willelmus de Castello Barossa donne à Conques son église de Clarac en plaine de Rivière.
5 Ch. Higounet, ouv. cité, p. 241, note 28.
6 H. Castillon d’Aspet, Histoire des populations pyrénéennes, 1842, p. 466-468, Privilèges des vallées de Luchon : « in castris, castellis, urbibus, villis, villagiis et oppidis de Fronsaco, Blancato, Gauxio et Borderis », etc.
7 G. Pradalié, « Les tours médiévales des vallées garonnaises », Château-Gaillard, XIV, 1988, p. 367-373.
8 M. Gourdon, « Les tours à signaux ou tours de guet dans le haut-comté de Comminges », Revue de Comminges, t. XXI à XXIII (1906-1908).
9 Luchon est qualifiée de castellum en 1315. H. Castillon d’Aspet, ouv. cité, p. 467 : « in nostro castello de Bagneriis ».
Auteur
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Gérard Pradalié
Maître de conférences, Université de Toulouse-Le Mirail
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