Villages pyrénéens
| ,Églises et châteaux dans la structuration de l’habitat
Le rôle du château et de l’église dans la structuration de l’habitat dans les Pyrénées catalanes
Les exemples du Pallars Sobirà et de la Garrotxa
Texte intégral
1Les comarcas du Pallars Sobirà et de la Garrotxa seront, au cours de cet exposé, les territoires où on essayera d’analyser le rôle qu’ont eu au Moyen Âge, les églises et les châteaux dans l’organisation du peuplement de la Catalogne pyrénéenne. La première comarca est un bon exemple de territoire des Pyrénées axiales. Avec de petites différences, les conclusions auxquelles nous arrivons pour le Pallars Sobirà, peuvent être également appliquées à certaines hautes vallées des alentours, comme l’Alta Ribagorça, l’Alt Urgell ou l’Andorre. La Garrotxa, par contre, est un modèle de comarca des Prépyrénées. Quelques-unes de ses caractéristiques peuvent être communes avec les contrées proches, comme le Vallespir, l’Empordà, Osona, etc.
2Nous ne traiterons pas de manière séparée de la morphogenèse des villages de chacune de ces deux comarques ; nous présenterons conjointement pour l’une et l’autre chacun des éléments qui peut avoir influé sur la formation de leur habitat. En premier lieu nous analyserons le poids de l’église dans la genèse de certains villages en observant qu’il a beaucoup varié d’un endroit à l’autre. En second lieu, nous évaluerons l’importance des châteaux et du processus d’incastellamento. Finalement, en troisième lieu, il faudra parler de ces villages dont la naissance ne semble en rapport ni avec une église ni avec un château, mais qui, développés d’une manière peu ou très spontanée, existaient déjà antérieurement à l’âge féodal.
L’église et le village
- 1 P. Bonnassie, « Les sagreres catalanes : la concentration de l’habitat dans le "cercle de paix" des (...)
3Actuellement l’importance de l’église dans le processus de formation de beaucoup de villages est bien connue. Dernièrement on a publié de nombreux travaux sur ce sujet. En Catalogne particulièrement, le rôle fondamental de la sagrera (espace sacré et protégé entourant l’église) a été valorisé par les notables apports de P. Bonnassie, R. Martí, V. Fartís ou A. Catafau1. Dans les deux comarcas que nous avons choisi d’étudier, l’importance de l’église a été pourtant très diverse.
En Garrotxa
4La plupart des villages sont nés autour des églises. Si nous analysons les 25 villages les plus importants de la comarca, nous nous rendons compte que très probablement 21 d’entre eux ont leur origine dans la sagrera ecclésiale (fig. 1).
5L’église de Sant Esteve d’en Bas est située au sommet d’une petite colline. Ce lieu était déjà habité en l’an 898 et jouait sûrement un rôle central par rapport à l’ensemble des vilars (hameaux) de la vallée de Bas. On a conservé un acte de consécration de l’an 1119, où on nomme l’existence des 30 pas de la sagrera (ex omni parte cymiterium habens XXX legitimos passus). Si nous l’observons sur le terrain, cet espace correspond actuellement à la place qui se trouve autour de l’église, en rapport avec laquelle s’est construite une première ligne de maisons. Les constructions dessinent un plan essentiellement quadrangulaire.
6Nous pouvons trouver des exemples semblables avec les villages de Montagut de Fluvià, de Tortellà, d’Argelaguer, de les Preses, d’Oix, etc. (fig 2, 3 et 4). À Montagut, les maisons se sont organisées dans l’espace des 30 pas qui entouraient l’église de Sant Pere. Le plan du noyau initial était également quadrangulaire. A Argelaguer, seuls ont été conservés les édifices du côté septentrional ; nous ne savons pas si le côté sud fut jamais édifié. Partout prédominent les formes rectangulaires.
7À Maià de Montcal, village situé à l’est de Besalu, sur la rive gauche de la rivière Fluvià, il y a un groupe d’habitats plus désordonnés, construits au sud-est de l’église (fig. 5). En accord avec la taille et la forme de ce noyau originel, ces maisons doivent rappeler les habitats installés sous la protection de la sagrera ecclésiastique.
- 2 Ceci correspond au premier type de sagreres proposé par V. Farías, op. cit., p. 115 – 116.
8Ce dernier exemple introduit une problématique originale : celle d’une possible survivance, tout au long du Moyen Âge, de quelques maisons qui dans un premier temps entouraient les églises alors même que l’espace sacré qui les entourait n’a pas été systématiquement construit. En raison de l’importance qu’a eue dans la Garrotxa le peuplement dispersé, dans beaucoup de cas, on trouve fort peu d’habitations autour de certaines églises d’endroits peu peuplés. Ce fait ne veut pas dire pour autant que, nécessairement, une sagrera n’ait pas existé ni même qu’à un certain moment elle n’ait pas été édifiée : c’est ensuite qu’a pu survenir un processus de dépeuplement. A Batet de la Serra, dans l’espace de ce qui aurait pu être la sagrera de l’église de Santa Maria, nous voyons diverses fermes, qui peuvent être la survivance des habitats qui à un certain moment s’y établirent. La même observation peut être faite pour d’autres églises, comme celles de Toralles, de Sacot, des Arcs, de Sadernes, etc. Actuellement on ne trouve presque aucune maison dans leur proximité, mais il est possible qu’à l’époque médiévale elles aient eu une sagrera, qui a commencé à être peuplée puis qui a été abandonnée ou qui n’est jamais arrivée à être habitée2.
- 3 J. Bolòs, El mas, el pagès i el senyor. Paisatge i societat en una parròquia de la Garrotxa a l’Eda (...)
9Un autre aspect à signaler, parlant des édifices ecclésiastiques comme lieux d’attraction du peuplement, est qu’en Garrotxa sont concurremment utilisés les termes sagrera et cellera, ce dernier très usuel dans les régions de la Catalogne plus septentrionale. On peut analyser ce fait en relation avec quelques exemples. L’église paroissiale du village de Sallent est dédiée à saint Vincent. Dans les documents du Bas Moyen Âge, on mentionne qu’à ses alentours il y avait une cellera, terme qui semble avoir en principe une signification semblable à celui de sagrera. Cette cellera comprenait le groupe de maisons situé autour de l’église et également quelques habitations le long du carrer missader ou rue de ceux qui allaient à la messe. Il semble qu’au bout de cette rue il y avait le celler du monastère de Sant Esteve de Banyoles3.
- 4 J. Canal, C. Fochs, « La despoblació de la Vall d’Hostoles entre 1349 i 1486 », dans Annals 1992- 1 (...)
10Un autre exemple peut assez bien illustrer la différence entre sagrera et cellera : c’est celui de Sant Feliu de Pallerols, endroit où on a fait plusieurs études intéressantes ces dernières années4. Les auteurs du travail différencient clairement la sagrera (espace qu’il y avait autour de l’église), de la cellera qui formait une Villeneuve située au nord de l’église, entre cette sagrera et la rivière. Alors que dans le cas antérieur l’église et le village dépendaient d’un seigneur ecclésiastique, ici, au XIVe siècle, cet endroit relevait de la famille Cartellà, importants seigneurs de l’ancien comté de Girona, qui avaient la seigneurie d’Hostoles. Dans divers documents, faits vers l’an 1310, on différencie parfaitement la villeneuve de la cellera et l’ancienne sagrera. Il faut dire qu’entre la sagrera et la cellera, au côté ouest, il semble qu’il y avait une maison forte du seigneur. Nous devrions, donc, en faire mention en parlant plus loin des châteaux et des maisons fortes. L’étape suivante, après la construction de la cellera, a été de clore ce village derrière des murs, en y ouvrant des portails et mème en creusant un fossé.
11Au village de Mieres nous trouvons deux quartiers bien différenciés, tous deux d’origine médiévale (fig. 6). D’un côté, il y a le quartier de Sant Pere, autour de l’église paroissiale. Cette église est déjà documentée en l’an 866. Elle dépendait, en même temps qu’une bonne partie de la paroisse, du monastère de Sant Esteve de Banyoles. D’autre part, il y a le quartier de la Cellera, située à environ 500 mètres de distance de la petite colline où se dresse l’église de Sant Pere. Le quartier de Sant Pere de Mieres est actuellement formé de l’église, de quelques maisons proches et de diverses habitations construites le long des rues, celle qui descend à la route et celle qui va vers le sud. Il est très possible qu’en partie ce soit un reflet d’une ancienne sagrera. Le quartier de la Cellera de Mieres, situé au sud de Sant Pere, a un plan beaucoup plus quadrillé et il faut sûrement le mettre en rapport avec une Villeneuve constituée par le même seigneur – le monastère de Banyoles –, peut-être près de son cellier ou près de l’église de Romaria. Ce village, la nouvelle cellera, reçut, en l’an 1226, une charte de reconnaissance du roi Jacques Ier. Nous nous trouvons donc à Mieres devant un intéressant village clairement bipolaire.
- 5 Ce fait a déjà été souligné par R. Martí, ci-dessus, note 1.
12Comme conclusion provisoire, en ce qui concerne la Garrotxa, nous retiendrons quatre points : 1) l’importance de l’église comme centre des noyaux du peuplement concentré ; 2) un rôle inégal de l’église en fonction de la concentration ou de la dispersion du peuplement : là où s’est développé un habitat important, l’église a eu un poids fondamental, là où a prédominé l’habitat dispersé il est difficile d’assurer si à un moment donné un village a existé autour de l’église ; seule une fouille archéologique pourrait permettre d’en décider ; 3) bien que normalement la sagrera et la cellera aient coïncidé dans un même espace, parfois cela n’a pas été ainsi. Comme nous l’avons vu, la création de la cellera doit parfois être mise en rapport avec le pouvoir seigneurial – même laïc – davantage qu’avec l’église elle-même ; 4) prédominance des sagreres à plan quadrangulaire5.
En Pallars Sobirà
13La situation que nous trouvons en Pallars Sobirà est totalement différente (fig. 7). Tandis que la majeure partie des églises de la Garrotxa étaient situées au milieu du village, dans une position centrale, l’immense majorité des églises du Pallars Sobirà furent édifiées hors du noyau de peuplement, parfois même à une certaine distance. Nous pouvons en mentionner quelques exemples.
- 6 J. Bolòs, « Formes dels pobles i societat al Pallars Sobirà a l’Edat Mitjana », dans Solidaritats p (...)
14Le village d’Escalarre est formé d’un groupe de maisons qui s’étendent d’est en ouest. Il a une longueur d’environ 150 mètres et une largeur d’un peu plus de 50 mètres. Or son église paroissiale, dédiée à Sant Martí, est située à environ 100 mètres au sud des maisons les plus méridionales du village actuel, à côté d’un chemin et entre deux champs. Tout ceci donne donc à penser que d’abord s’est construit et s’est organisé le village et qu’ensuite, à un moment postérieur, là où on l’a pu, on a construit l’église. Et cet exemple n’est point un cas unique ni exceptionnel6
15Nous pourrions trouver beaucoup d’autres exemples, dans les hautes vallées du Pallars Sobirà, comme Espot, Alòs d’Isil, Sorpe, Isavarre, Sant Joan d’Isil, Ribera de Cardós, etc. De plus, une disposition identique peut se rencontrer dans les terres plus méridionales de la comarca, proches de Sort et de Gerri. Ainsi, à Escàs et à Saurí, l’église est située dans la partie la plus haute du noyau habité alors qu’à Caregue ou à Bernui l’édifice ecclésiastique s’est construit tout en bas du village.
- 7 J. A. Adell, E. Riu, « Formes d’urbanisme, implantació d’esglésies i feudalisme a les valls altes d (...)
16Nous pouvons donc conclure qu’en Pallars Sobirà les églises se sont jointes au village qui existait déjà. De fait, une situation semblable caractérise bien d’autres villages d’autres vallées des Pyrénées axiales. Ainsi en haute Ribagorça, comme l’ont montré J. A. Adell et E. Riu, dans la vallée de Boí, et aussi beaucoup de villages de l’Alt Urgell et d’Andorre7.
Le château, la maison forte et le village
17Le poids qu’ont eu les châteaux dans la constitution des villages et l’importance du processus d’incastellamento ont été très étudiés ces dernières années, surtout dans l’Europe méditerranéenne. En ce qui concerne la Catalogne, bien qu’encore on n’ait pas fait beaucoup d’études, on connaît déjà, à grands traits, les zones où le processus d’incastellamento a été le plus important. En général, ce processus a été bien plus tardif que l’ensagrerament. Ainsi, par exemple, dans beaucoup de régions de Nouvelle Catalogne, le pourcentage de villages nés en-dessous ou autour du château est très grand ; beaucoup de ces villages reçoivent populairement le nom de vilacloses. Comme nous l’avons fait dans le cas précédent, nous nous appliquerons à étudier les possibles villages castraux, premièrement dans la Garrotxa et ensuite en Pallars Sobirà.
En Garrotxa
18En ce qui concerne la Garrotxa, nous croyons qu’il faut distinguer diverses possibilités. Les villages castraux qui ont clairement subsisté jusqu’à aujourd’hui sont rares. Les exemples sont exceptionnels et tardifs. Ils sont essentiellement liés aux châteaux du vicomte et à celui du seigneur de Santa Pau. Pour le reste un certain processus d’incastellamento est peut-être également intervenu mais il est difficile à définir, soit qu’il n’ait pas suscité l’apparition d’un noyau groupé important, soit qu’il s’identifie au développement d’un village ecclésial.
19Le village d’El Mallol est situé au sommet d’une colline. Vers l’an 1200 est déjà documentée l’existence d’un château à cet endroit. En effet, assez précocement, le vicomte de Bas a décidé de transférer sa résidence du château perché de Castelló de Sant Miquel à El Mallol, endroit situé au milieu de la plaine de Bas. Il est possible qu’en rapport avec cette nouvelle fortification on ait construit un village. Actuellement nous voyons deux rues parallèles organisées au pied de l’endroit où devait se trouver le château vicomtal. Tout était enclos derrière des murailles. Il se peut aussi que la localité de Castellfollit de la Roca soit un village castral, compte tenu du fait que le vicomte y a édifié une fortification. La localité s’étend le long de deux rues parallèles au rocher.
- 8 J. M. Font Rius, Cartas de población y franquicia de Cataluña, I, Madrid-Barcelona, 1969, n° 364, p (...)
20Le village de Santa Pau est un cas encore mieux documenté (fig. 8). Les barons de Santa Pau, en l’an 1300, concédèrent une charte de peuplement dans le but d’attirer des habitants à l’endroit, situé en-dessous de leur château. Nous voulons surtout signaler deux points. D’une part, cette villeneuve (ou ce village pourvu de franchises) reçut le nom de cellera (cellaria)8. En second lieu, c’est sûrement à ce moment-là que s’est édifiée la partie du village située autour de la place de l’église et en-dessous du fossé (vall) du château.
- 9 J. Bolòs, V. Hurtado, Atles històric del comtat de Besalù. Anys 785-988, Barcelona, Dalmau Ed., 199 (...)
21À côté de ces trois châteaux, nous trouvons beaucoup d’autres fortifications qui n’ont provoqué aucun déplacement ou aucune concentration de la population. Les châteaux antérieurs à l’an 1000, situés en des endroits perchés, ont perdu leur fonction après le processus de féodalisation et il ne semble point qu’ils aient motivé à aucun moment la concentration de l’habitat. De même pour les châteaux de Finestres, de Gurn, de Bestracà, d’« Alló », etc9. Il faut ajouter que même des châteaux construits postérieurement, comme celui de Montpalau ou celui de Sales ne semblent pas avoir attiré la population : ils n’ont pu éviter que celle-ci ne s’installe autour de l’église de Sant Jaume (Palau de Montagut ou Sant Jaume de Llierca) ou peut-être de l’église de Cabissó, à presque 1 km de la fortification. De même, beaucoup de maisons fortes nées au Bas Moyen Âge ne semblent pas avoir provoqué de grandes mutations dans la forme du peuplement, peut-être à cause du poids qu’avait l’habitat dispersé, peut-être aussi en raison de l’existence des anciennes sagreres ecclésiales. Il faudrait, malgré tout, faire une analyse plus attentive de l’évolution, en distinguant le cas des seigneuries laïques et celui des seigneuries ecclésiastiques.
22Ainsi, nous pouvons mentionner la maison forte de la Masó de les Preses, qui se situe au-dessus du village, au versant d’une montagne, éloignée du noyau de peuplement, lequel s’abrite, comme nous avons vu, autour de l’église. Dans beaucoup de cas, la maison forte, qui fut construite après l’église, reste éloignée de cet édifice et nous la trouvons isolée de n’importe quelle sorte de construction. Ainsi, par exemple, en est-il du château (ou maison forte) du Coll, de la maison forte de la Torre, dans la vallée du Bac, en partie dela maison forte de Sacot, etc. La construction du château d’Oix ne semble pas non plus avoir influé sur le village voisin, qu’il faut plutôt relier à la sagrera de l’église de Sant Llorenç.
23Certes il ne faut pas oublier l’exemple, sus-mentionné, de la création de la villeneuve ou cellera de Sant Feliu de Pallerols, qui peut, par bien des aspects être considérée comme la constitution d’un village castral. Ainsi peut-on se demander si, à son exemple, d’autres celleres, dans cette région n’ont pas plus de rapport avec la construction d’une maison du seigneur – ecclésiastique ou laïc – qu’avec l’existence de l’ancienne sagrera de l’église.
24Comme conclusion de ce paragraphe nous pouvons retenir les points suivants. Les villages castraux les plus importants sont ceux que nous pouvons mettre en rapport avec la famille vicomtale, ou avec la famille des Santa Pau. Les autres châteaux ne semblent pas avoir comporté la création d’habitats ou le déplacement de populations. Mais nous n’en sommes ici qu’aux premières approximations dans la connaissance de l’habitat de la Garrotxa. Seule une soigneuse recherche archéologique, par exemple autour des châteaux du Cós, de Montpalau, de Mont-ros, du Coll, etc., pourrait confirmer certaines des affirmations exposées plus haut.
En Pallars Sobirà
25La situation en Pallars Sobirà est bien différente. Comme nous l’avons dit, il n’y a pas eu de création de villages en rapport avec les églises. Par contre, il y a eu un certain incastellamento, au moins partiel, qui a supposé la constitution de villages à l’abri des nouvelles fortifications construites par les seigneurs féodaux. Dans la plupart des cas, cependant, ces nouveaux villages n’ont pas impliqué la destruction ou l’abandon des anciens villages ; on note plutôt un processus de dédoublement. Il faut aussi distinguer clairement les châteaux qui existaient déjà avant l’an 1000, des châteaux créés par les nouveaux seigneurs féodaux à partir du XIe siècle.
- 10 P. Tragó, Spill Manifest de totes les coses del vescomdat de Castellbó, La Seu d’Urgell, 1982, p. 5 (...)
26Nous centrerons notre exposé surtout sur ces villages créés à l’âge du féodalisme. Très souvent, ils ont reçu le nom de forces. A Areu, nous trouvons un modèle évident de força ou village castral, né au pied d’un château (fig. 9). Le Spill manifest de Pere Tragó dit : « En lo lloch de Àreu és la força separada de la vila. La ditta forsa ofortalesa és al peu de la costa e les cases fan muralla closa, e dins la fortalesa és la sglésia parroquial. En la summitat de la fortalesa havia una torre fort quadrada [...]. La vila és en lo pla baix sens muralla e a y altre eclésia [...] »10. Nous pouvons ainsi opposer un bourg sûrement nouveau à un bourg adossé à la fortification et appelé força. Le village castral était formé par le château, à son côté par l’église de Sant Feliu – qui est devenue paroissiale – et par une série de maisons qui se sont adossées au côté est. Le bourg primitif est situé à environ 400 métres plus au sud. Il convient de signaler que dans ce cas il y a eu seulement un processus d’incastellamento partiel – si nous pouvons le nommer ainsi – puisqu’il n’a pas provoqué l’abandon de l’ancien habitat, mais la création d’un village double. D’un autre côté, le village inférieur ne trouve pas son origine dans l’église (bien qu’actuellement elle reste située au milieu du village) sinon dans les diverses maisons édifiées à côté de la voie qui devait suivre le fond de la vallée. Des cas très similaires à celui d’Àreu peuvent se rencontrer aussi dans d’autres villages, surtout dans la Vallferrera, comme Araós ou Tor, où les forces sont actuellement des villages abandonnés, ou comme Tavascan, Alins, Olp, etc. (Fig. 9).
27En conclusion nous pouvons relever trois points :
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Il y a une différence évidente entre les vallées les plus hautes et les terres les plus basses de la comarca, où le féodalisme a dû s’implanter plus profondément. Les villages les plus méridionaux, dans cette même comarca, comme ceux de Bresca ou de Peramea, ont sûrement une origine et des caractéristiques différentes
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- 12 J. Bolòs, ci-dessus, note 6 ; J. M. Bringué, « Redelme, qüèstia i llibertats camperoles al comtat d (...)
Dans certaines vallées, le développement du féodalisme et, par suite, le processus d’incastellamento, a été encore moins important ; ainsi, par exemple, dans les vallées d’Aneu et d’Espot12. Pour cette raison, nous n’y trouvons aucun exemple de força. Ceci ne veut pas dire que dans ces vallées il n’ait pu y avoir des fortifications plus anciennes, sûrement d’avant l’an 1000, qui ont pu motiver, dans quelques cas, la construction d’un certain noyau de peuplement (par exemple les châteaux de Llort ou de València d’Àneu)
Villages ni ecclésiaux ni castraux : le « poble casaler »
- 13 Dans les documents catalans, nous trouvons que le mot casal a une signification semblable à celle q (...)
28Ce paragraphe nous amène à parler de beaucoup de villages du Pallars Sobirà dont l’église est située en dehors des limites de l’habitat initial et qui n’ont aucun château dans leur voisinage. S’il existe un château, il est situé très loin et n’a pas entraîné la construction du village. Ces villages, nous pouvons également les nommer en catalan, en accord avec la terminologie établie durant le congrès, pobles pirinencs ou pobles casalers13. Nous en proposons ici divers exemples.
29À Sorpe, village construit à 1270 mètres, à mi-versant, nous voyons clairement un village-rue (fig. 10). Le village actuel s’étend, du nord au sud, sur une longueur d’environ 250 mètres et sa largeur est d’environ 50 mètres ; il est possible que le village originel n’ait eu qu’une longueur d’à peu près 125 mètres À environ 50 mètres de l’extrême nord du village, vers l’est, se trouve l’église romane de Sant Pere.
- 14 Tragó, ouvr. cit., p. 53.
30À ce type pyrénéen nous devons rattacher l’immense majorité des villages des hautes vallées du Pallars, comme Ainet de Besan, situé sur la rive nord de la Noguera de Vallferrera, dont le Spill manifest du XVIe siècle dit : « són cases sens muralla e no són lloch clos » ou comme les villages d’Escalarre ou Isavarre14 (fig 10). La plupart des villages des hautes vallées du Pallars Sobirà sont nés d’une manière spontanée, en rapport avec les maisons les plus importantes, qui parfois ont pu s’organiser le long d’un chemin ou à un croisement de chemins. Bien qu’actuellement certains de ces villages, comme Cerbi, Arròs de Cardós ou Esterri de Cardós, présentent un plan presque quadrangulaire, ceci ne doit pas nous faire penser nécessairement à une ordonnance préméditée de l’espace urbain.
Dédoublement de villages, déplacements et dispersion
31Avant de terminer, nous voulons mentionner d’une manière spéciale les mutations survenues dans les deux comarcas. étudiées En premier lieu, le processus de division, de fragmentation du peuplement. En second lieu, le processus de déplacement forcé de la population.
32En Pallars Sobirà, nous insisterons surtout sur le processus de fragmentation des noyaux de peuplement. Espot est un village déjà réparti en deux noyaux à l’époque médiévale : Espot Solau, bâti sur la soulane, et Espot Obago, édifié sur l’autre rive de la rivière Escrita (fig. 11). Entre les deux, il y avait un pré où se faisaient les réunions et où s’est construite l’église paroissiale. Sûrement, à l’époque médiévale, il y avait encore d’autres noyaux ou vilars.
- 15 J. Bolòs, « Parròquia i organització del territori. Una aproximació cartogràfica », dans I Congrès (...)
33Il existe d’autres cas de fragmentation ou de dédoublement, comme dans les villages de Berrós et de Boldís. Il y a un Berrós Jussà et un Berrós Sobirà. Il y a un Boldís Jussà et un Boldís Sobirà. Dans d’autres comarcas des Pyrénées, nous trouverions des exemples semblables de dédoublement, dont certains d’époque assez reculée, comme dans le cas de Bar et de Barguja, en Cerdagne15. En fait, ils reflètent une forme de peuplement semi-dispersé en vilars, typique du Haut Moyen Âge et, en partie, de la société antérieure à la féodalisation.
34L’incastellamento a comporté en beaucoup d’endroits un processus de déplacement de la population. Ceci a été bien étudié, par exemple, dans les comarcas catalanes du Conflent ou du Vallespir (il suffit de rappeler les exemples notables de Mosset ou de Cortsaví). En Garrotxa le cas plus évident de déplacement se trouve à Santa Pau. Bien que l’apparition du nouveau village castral n’ait pas entraîné la disparition de l’habitat dispersé profondément enraciné dans ces contrées, elle a sûrement impliqué la désertion d’un habitat lié à la sagrera des Arcs et, même, plus tardivement le déplacement de l’église paroissiale des Arcs à Santa Pau. Curieusement, aux derniers siècles de l’époque médiévale le « veïnat » des Arcs reçut le nom de Vilanova dels Perduts.
Conclusions
35Nous devons nous interroger sur la cause des différences que nous avons constatées dans les deux comarcas que nous avons prises comme modèles, l’une située dans les Pyrénées catalanes occidentales et l’autre dans les Prépyrénées.
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Les villages castraux n’ont joué qu’un rôle secondaire dans les hautes vallées du Pallars Sobirà, où nous ne les trouvons que de façon marginale et où ils n’ont été introduits qu’à une époque tardive. Les villages ecclésiaux sont quasi absents. Par contre, on doit remarquer le poids fondamental de ces villages dont il semble qu’ils soient nés d’une maniére spontanée, en rapport avec quelques maisons ou casals. Ceci nous amène à parler d’une féodalisation tardive ou quasi inexistante.
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Il faut signaler, de plus, qu’alors que les villages ecclésiaux et castraux sont les fruits de la féodalisation et sont par conséquent nés au XIe ou au XIIe siècle, les villages pyrénéens (ou casalers) tirent leur origine des villages ou vilars du Haut Moyen Âge. Ceci permet de comprendre que l’église ait été édifiée sur un terrain collectif, comme c’est arrivé à Espot.
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Dans la Garrotxa, le poids des villages ecclésiaux est fondamental, alors que celui des villages castraux est plus secondaire. Dans cette comarca des Prépyrénées, d’une part la féodalisation fut précoce et, d’autre part, les seigneurs ecclésiastiques (monastères) y jouèrent un rôle important. Ce fait explique peut-être que les villages castraux y furent marginaux et plus tardifs.
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Par contre (en dehors des zones étudiées ici) il est certain que les villages castraux constituent la majorité des villages dans les terres de repeuplement et spécialement dans les comarcas de la Nouvelle Catalogne (comme, par exemple, dans la Segarra, mais celle-ci est déjà très éloignée de l’aire pyrénéenne).
Notes
1 P. Bonnassie, « Les sagreres catalanes : la concentration de l’habitat dans le "cercle de paix" des églises (XIe siècle) », dans L’environnement des églises et la topographie religieuse des campagnes médiévales, Paris, 1994, p. 69 – 79 ; R. Marti, « L’ensagrerament : l’adveniment de les sagreres feudals », dans Faventia, 10,1988, p. 153 – 182 ; V. Farías, « La sagrera catalana (c. 1025 – c. 1200) : características y desarrollo de un tipo de asentamiento eclesial », dans Studia Historica-Historia Medieval, t. XI, Salamanca, 1993, p. 81 – 121 ; A. Catafau, Les celleres et la naissance du village en Roussillon (Xe-XVe s.), Perpignan, 1998.
2 Ceci correspond au premier type de sagreres proposé par V. Farías, op. cit., p. 115 – 116.
3 J. Bolòs, El mas, el pagès i el senyor. Paisatge i societat en una parròquia de la Garrotxa a l’Edat Mitjana, Barcelona, Curial, 1995, p. 148 – 153.
4 J. Canal, C. Fochs, « La despoblació de la Vall d’Hostoles entre 1349 i 1486 », dans Annals 1992- 1993. Patronat d’estudis historiés d’Olot i comarca, 11, Olot, 1993, p. 77 – 103.
5 Ce fait a déjà été souligné par R. Martí, ci-dessus, note 1.
6 J. Bolòs, « Formes dels pobles i societat al Pallars Sobirà a l’Edat Mitjana », dans Solidaritats pageses, sindicalisme i cooperativisme, Lleida [1998], sous presse.
7 J. A. Adell, E. Riu, « Formes d’urbanisme, implantació d’esglésies i feudalisme a les valls altes del comtat de Pallars », dans Cultures i medi, de la Prehistòria a l’Edat Mitjana, Puigcerdà, 1995, p. 625 – 629.
8 J. M. Font Rius, Cartas de población y franquicia de Cataluña, I, Madrid-Barcelona, 1969, n° 364, p. 540 – 541.
9 J. Bolòs, V. Hurtado, Atles històric del comtat de Besalù. Anys 785-988, Barcelona, Dalmau Ed., 1998.
10 P. Tragó, Spill Manifest de totes les coses del vescomdat de Castellbó, La Seu d’Urgell, 1982, p. 58. Voir aussi J. Bolòs, ci-dessus note 6.
11 En Vallferrera, déjà en 1166, on parlait de tous les châteaux de la vallée (de omnibus castellis vallis Ferrarie qui ibidem sunt vel in antea erunt) possédés par Guillem de Galliners. La condition des personnes y était aussi très différente : en 1120, par exemple, on pouvait donner des hommes et des femmes, à Araó, à Alins et à Ainet, à des institutions ecclésiastiques. En 1201, le seigneur pouvait requérir, s’emparer ou user de la force dans ces mêmes lieux d’Araó, Alins et Ainet. Le vocabulaire utilisé est celui que l’on rencontre dans d’autres contrées entièrement féodalisées. Voir F. Valls Tabemer, Privilegis i ordinations de les valls pirenenques. II, Vall d’Aneu, Vallferrera i Vall de Querol, Barcelona, 1917.
12 J. Bolòs, ci-dessus, note 6 ; J. M. Bringué, « Redelme, qüèstia i llibertats camperoles al comtat de Pallars (segles XIV-XV) », dans Collegats. Anuari del Centre d’Estudis del Pallars, VI, 1992-1993, p. 99-124 ; B. Marquès, « Ordinacions i privilegis de les valls d’Aneu i d’Espot en un manuscrit del segle XV », dans Urgellia, IV, La Seu d’Urgell, 1981, p. 349 – 368.
13 Dans les documents catalans, nous trouvons que le mot casal a une signification semblable à celle qu’il a sur le versant occitan. Un document de 930-936 dit : vindimus vobis kasale cum suas kasas et sua superposita et suo orreo et cortina [...] in ipsa villa Lorroi. Un autre de 955 : ipsos casales cum ipsas mansiones et ipsos orrios et omnia hedificia quod ibidem est. Publiés par R. d’Abadal, Catalunya carolíngia, III : Els comtats de Pallars i Ribagorça, Barcelona, I.E.C., 1955.
14 Tragó, ouvr. cit., p. 53.
15 J. Bolòs, « Parròquia i organització del territori. Una aproximació cartogràfica », dans I Congrès d’Història de l’Església Catalana, des dels orígens fins ara, Solsona, 1993, p. 259 – 284.
Table des illustrations
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Titre | Fig. 1 : La Garrotxa |
Crédits | Informatisation : Cécile Gloriès |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/26823/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 43k |
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Titre | Fig. 2 : Plan du village de Montagut |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/26823/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 30k |
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Titre | Fig. 3 : Plan du village d’Argelaguer |
Crédits | Informatisation : Cécile Gloriè |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/26823/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 20k |
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Titre | Fig. 4 : Plan du village de Tortellà |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/26823/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 28k |
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Titre | Fig. 5 : Plan du village de Maià de Montcal |
Crédits | Informatisation : Cécile Gloriès |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/26823/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 15k |
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Titre | Fig. 6 : Plan du village de Mieres |
Crédits | Informatisation : Cécile Gloriès |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/26823/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 46k |
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Titre | Fig. 7 : Le Pallars Sobirà |
Crédits | Informatisation : Cécile Gloriès |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/26823/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 42k |
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Titre | Fig. 8 : Plan du village de Santa Pau |
Crédits | Informatisation : Cécile Gloriès |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/26823/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 60k |
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Titre | Fig. 9 : Les villages d’Àreu et Araós |
Crédits | Informatisation : Cécile Gloriès |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/26823/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 29k |
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Titre | Fig. 10 : Les villages d’Escalarre, Isavarre et Sorpe |
Crédits | Informatisation : Cécile Gloriès |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/26823/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 36k |
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Titre | Fig. 11 : Le village d’Espot |
Crédits | Informatisation : Cécile Gloriès |
URL | http://books.openedition.org/pumi/docannexe/image/26823/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 26k |
© Presses universitaires du Midi, 2001