1Le château de Villandraut dont les ruines imposantes se dressent aujourd’hui à la lisière des landes du Bordelais est bien connu des spécialistes de l’histoire castrale et des historiens de la papauté d’Avignon1. Il passe en effet pour avoir été édifié par Clément V2, né dans la maison familiale des Got qui s’élevait à faible distance de l’emplacement du futur château dans la paroisse de Saint-Martin de Got3. C’est d’ailleurs dans cette maison qu’au printemps 1312 le souverain pontife établit une collégiale en même temps qu’il en fondait une autre dans l’église voisine d’Uzeste4.

2Néanmoins Villandraut pose encore bien des questions à l’historien : à quand remonte la domus des Got et dans quelles circonstances a-t-elle laissé la place à un château devenu chef-lieu d’une juridiction ? Que devint l’église paroissiale de Saint-Martin de Got lorsque fut fondée la collégiale ? À quel moment le village de Villandraut qualifié en 1312 de castrum seu burgum5 est-il apparu et de quelle manière évolua-t-il ?

3 La paroisse de Saint-Martin de Got, devenue après 1312 Saint-Martin de Villandraut6, appartenait au diocèse de Bordeaux comme celles de Saint-Léger, Balizac et Noaillan qui la bordaient à l’est et au nord ; en revanche, la paroisse d’Uzeste dont elle était séparée par le Ciron et celle de Préchac qui l’entouraient à l’ouest et au sud appartenaient à celui de Bazas (fig. 1). Au milieu du XIII^e siècle avec les paroisses de Saint-Léger, Origne, Balizac, Le Tuzan et Saint-Symphorien, Saint-Martin constituait la juridiction de Castelnau-de-Cernès dont le château s’élevait dans Saint-Léger7. Cette seigneurie appartenait aux Albret de même que celle de Cazeneuve dont relevaient les paroisses de Préchac, Insos et Cazalis8. Relativement petit pour une paroisse landaise – 1000 ha environ – le territoire de Saint-Martin était en majeure partie recouvert de sable, sauf en bordure du Ciron où affleurent calcaires et marnes. Au milieu du XIII^e siècle l’habitat y était dispersé en onze « lieux » ou « manses » dont celui de Got9 : c’est dans ce quartier qui correspond en gros au site du village actuel de Villandraut que se trouvaient, allons-nous voir, à peu de distance l’une de l’autre l’église paroissiale de Saint-Martin-de-Got et la maison de famille des Got appelée « Vignhendraud ». Nous sommes là au centre d’une clairière, appuyée au Ciron, à l’endroit où s’achèvent les gorges de la rivière que l’on peut alors traverser grâce à un gué. La nature du sous-sol avait permis dès le milieu du XIII^e siècle la création d’un petit vignoble, sans doute à l’origine du lieu dit Vinhandraud en bordure duquel les Got implantèrent leur maison familiale qui en prit le nom10.

4Vers 1830, le village de Villandraut s’inscrit à l’intérieur d’un quadrilatère de 400 m de côté, appuyé à la rive gauche du Ciron (fig. 2). L’habitat y est organisé selon deux axes : l’un, nord-sud, correspond à celui de la rue principale au tracé en baïonnette qui relie la Madeleine au sud au château au nord ; l’ancienne collégiale et son cimetière s’appuient au segment méridional, une place et la halle élargissent celui du nord. Le second axe, perpendiculaire au précédent et tangent à la façade du château, est matérialisé par le chemin qui reliait le pays de Buch à la Garonne et franchissait le Ciron par un gué et un pont.

5Le site le plus anciennement occupé de cet ensemble – en l’état de nos connaissances – est celui de la Magdeleine, au sud du village actuel, à 375 m du Ciron, à l’embranchement de deux chemins conduisant l’un à Préchac, l’autre à Bourideys11. Jusqu’à la Révolution, il existait à cet endroit une chapelle dédiée à sainte Madeleine qui nous est à peu près bien connue grâce aux visites de 1691 et 1738. L’édifice, propriété de la fabrique, fut vendu en 1795 avec le terrain attenant et démoli. En 1951, partant d’une tradition faisant état de la découverte de « sarcophages » ou de « pierres tumulaires », un érudit local effectua des sondages qui permirent la mise au jour d’un fond de sarcophage et de trois sépultures en coffre. La présence d’un cimetière, la certitude que nous avons du transfert du siège de la paroisse dans la maison des Got prouvent que nous sommes bien en présence du site de l’ancienne église Saint-Martin12.

6Le second site remarquable du village est celui de l’ancienne collégiale et de son cimetière13. La collégiale était un édifice de plan rectangulaire (42 x 12 m), flanqué à l’angle sud-est d’une tour carrée, en saillie de 8 m sur l’alignement du mur méridional (fig. 3). Ce mur de 1,63 m d’épaisseur à l’origine avait été porté à 3 m au XVII^e siècle lorsqu’on avait voulu doter l’édifice d’une voûte en berceau à pénétration. Il était percé de fenêtres modernes mais aussi de meurtrières en croix pattée. Le pignon oriental ne comportait aucun élément décoratif et le mur nord n’était percé que de trois ouvertures en arc brisé. Quant à la façade ouest elle possédait une grande porte en arc brisé surmontée de voussures retombant sur trois paires de colonnes alternant avec des colonnettes, le tout couronné d’un gâble flanqué de deux pinacles. Au-dessus, s’ouvrait une fenêtre en forme de triangle curviligne. L’édifice a été détruit en 1864 pour faire place à une église néo-gothique et le cimetière désaffecté a été transformé en place publique ; mais, grâce à des dessins et gravures de la première moitié du XIX^e siècle, J. Gardelles reprenant une hypothèse avancée un siècle plus tôt par Léo Drouyn, a pu démontrer de manière convaincante que la collégiale fondée par Clément V au printemps 1312 avait été établie contre la courtine de ce qu’il qualifiait, abusivement d’ailleurs, « d’ancien château de Got ». Il s’est appuyé en particulier sur la présence d’une tour à l’un des angles de la collégiale14, celle d’archères ouvertes dans le mur sud15 ainsi que sur deux mentions, l’une de 131316, l’autre de 131617, qui précisent que l’édifice se trouvait, in Castro de Vinhandrau et in ipso loco de Vinhandrault, écartant pour des raisons topographiques l’idée que la collégiale aurait pu être édifiée dans la basse-cour du château neuf. A ces arguments nous en apporterons d’autres qui prouvent de manière indiscutable l’existence d’une maison des Got, antérieure au château ; sa restauration sinon sa reconstruction peu de temps avant la construction du château neuf ; enfin le transfert dans cette maison de l’église paroissiale avant son érection en collégiale.

7La preuve de l’existence d’une résidence des Got nous est fournie lorsque, le 9 janvier 1268 (n. st.), Béraut de Got, père du futur Clément V, reconnaît que le lieu appelé « Vignhandrau » qui se trouve dans la paroisse de Saint-Martin de Got ainsi que « la maison faite et édifiée » en ce lieu se trouvent dans la justice et détroit de Castelnau-de-Cernès18. À ce titre, Béraud promet d’être fidèle à Amanieu VII d’Albret et de lui apporter son aide contre tous sauf le roi d’Angleterre. D’autre part, à deux reprises il est fait allusion dans ce document à d’éventuels travaux : la maison est dite « ab las obras qui son ni qui s’y feran » et, plus loin, Béraud rappelle qu’il peut « perfar et forgear » la dite maison. Il semblerait donc que ce soit à l’occasion de la construction d’une nouvelle résidence mais aussi peut-être dans l’éventualité de nouveaux travaux que le sire d’Albret ait demandé cette reconnaissance à son vassal. Nous savons qu’en ce dernier tiers du XIII^e siècle les Got avaient le vent en poupe19 et la construction d’une nouvelle demeure dans les années 1260 ne saurait donc nous surprendre. Mais il est probable aussi que d’autres travaux eurent lieu au tout début du XIV^e siècle, peut-être même après l’élection de Bertrand de Got. En effet, selon J. Gardelles, les archères du mur sud de la collégiale et les voûtes de la tour sud-est ne pouvaient appartenir qu’à un édifice de la première décennie du XIV^e siècle, donc contemporain ou peu s’en faut du château neuf20.

8Le parti retenu d’implanter la collégiale dans un bâtiment dont une partie au moins appartenait aux courtines d’une résidence fortifiée s’explique fort bien par les circonstances dans lesquelles la fondation en fut décidée au printemps 1312 – il n’en est d’ailleurs pas fait mention expresse au Regestum21 – alors que le pape, gravement malade, venait de dicter son testament22. Or avant cette fondation, à une date que nous ne pouvons préciser, mais probablement proche, Clément V avait fait procéder au transfert du siège de l’église paroissiale de celle que l’on appelait Saint-Martin de Got dans celle du « bienheureux Martin du château de Villandraut »23 – ce qui vient à l’appui de l’identification que nous avons proposée du site de la première église Saint-Martin, réduite désormais au rang de chapelle annexe sous le vocable de Sainte-Madeleine. Les travaux d’aménagement de la collégiale auraient été faits opere plurium sumptuoso24, ce qui est peut-être vrai pour Uzeste mais certainement pas pour Villandraut, une construction sommaire dont l’inauguration aurait eu lieu le 19 août 131325.

9Chaque fois que le souverain pontife évoque Villandraut dans une de ses bulles il ne parle jamais de la domus familiale mais du château (castrum)26 ; s’agirait-il d’un abus de langage, fréquent il faut le reconnaître, ou bien serions-nous en présence d’une situation juridique nouvelle ? Et par château que faut-il entendre : la vieille maison de famille ou bien le château neuf ? Élu le 5 juin 1305 Bertrand de Got prit, le 24 juillet, le nom de Clément V, passa à Villandraut entre le 8 et le 14 septembre avant de se faire couronner à Lyon27. Il y revint de la mi-novembre 1306 à la mi-janvier 1307 : malade, entouré seulement de quelques proches, il s’installa forcément dans la maison familiale28. Nous ne pensons pas, d’autre part, qu’à cette date la construction du château neuf avait commencé. Nous en voulons pour preuve la donation faite à Bordeaux le 2 décembre par Amanieu VII d’Albret à Arnaud Garcie de Got, frère du souverain pontife et à son fils Bertrand, en présence d’un autre fils d’Arnaud Garcie, le cardinal Raimond de Got29. Moyennant l’hommage d’une paire de gants blancs à mouvance de seigneur, le sire d’Albret fit don à Arnaud Garcie, son fils Bertrand et leur descendance de la haute justice dans le château de Villandraut et la paroisse de Got (zn Castro Vinhandraud et parrochia de Got), à l’exception de deux quartiers relevant de la seigneurie foncière des Albret. Par cet acte assorti de nombreuses garanties la domus des Got devenait ainsi un véritable château, un statut dont allait bénéficier à son tour le château neuf quelques années plus tard, tandis que la maison des Got était transformée, au moins en partie, en collégiale. Le sire d’Albret – au demeurant largement payé en retour – ne pouvait faire moins en faveur du frère du souverain pontife auquel le roi de France venait de faire don de la vicomté de Lomagne et d’Auvillar30. Or, pour aussi paradoxal que cela puisse paraître, nous ignorons dans quelles circonstances précises fut édifié le château neuf de Villandraut. Qui du pape ou de son frère en décida la construction ? S’il ne fait aucun doute que ce fut grâce aux largesses pontificales que le palais-forteresse sortit de terre, relativement vite semble-t-il, nous ignorons par quels circuits s’opéra le financement. Si, comme nous venons de le suggérer, c’est au cours de l’hiver 1306-1307 que commencèrent les travaux ils ne devaient pas être terminés, même s’ils étaient avancés, lors du dernier passage de Clément V en novembre 130831. Il y a donc de fortes chances pour que le souverain pontife n’y ait jamais résidé. Peut-être songeait-il à s’y retirer lorsque la mort interrompit son dernier voyage à Roquemaure le 20 avril 1314. À cette date cela faisait moins d’un an que la collégiale avait été inaugurée, mais on peut estimer qu’au moment où fut prise la décision de l’installer dans la maison des Got (mai 1312) le château neuf devait être habitable. Nous ignorons ce que devinrent alors les autres bâtiments de l’ancienne résidence : seules des fouilles au nord de l’église actuelle seraient susceptibles de nous éclairer sur l’importance et le plan de cet ensemble.

10C’est aussi au mois de mai 1312 qu’il est pour la première fois fait mention du bourg de Villandraut : le souverain pontife évoque, on s’en souvient, l’église de Saint-Martin in Castro seu burgo Vinlandraut32 et, deux ans plus tard, parlant des deux collégiales de Villandraut et d’Uzeste l’évêque d’Agen dit de la première qu’elle se trouve in Castro et de la seconde in villa33. Certes, chaque fois que la collégiale est dite in Castro, on peut entendre par là « à l’intérieur de la courtine entourant la domus des Got » – en 1838, il en restait on l’a vu, un fragment au sud de la collégiale –, mais il paraît difficile de loger un bourg dans une telle enceinte. Faute de documents nous nous sommes demandé s’il ne serait pas possible de retrouver dans le parcellaire du village des données susceptibles de confirmer l’existence d’un bourg subordonné à la maison puis au château et à la collégiale. Or l’examen du plan cadastral de 1838 révèle effectivement la présence, à l’ouest de la collégiale, d’un îlot en forme de quart de cercle dont les parcelles de la périphérie (n° 188-191) évoquent les contours d’un fossé loti ultérieurement à l’est, en bordure de rue. On pourrait donc imaginer un bourg ceint d’une palissade et de fossés larges et peu profonds34 dont la limite sud correspondrait à une impasse et à son prolongement dans la bordure nord des parcelles n° 191, 190, 189 et la limite ouest à la bordure orientale de la parcelle n° 189. En revanche, la restitution de la limite nord est rendue difficile en raison du remaniement de ce secteur lors de la mise en place, à l’époque moderne selon toute vraisemblance, d’un lotissement de trois îlots parallèles, celui du centre à usage de place publique ayant reçu ultérieurement une halle. Sans doute parce que les concepteurs du projet souhaitaient autant que faire se pouvait « ouvrir » cette place sur la porte principale du château neuf, il en est résulté un décrochement par rapport à l’axe initial du village – la rue tangente à la façade ouest de la collégiale. L’ouverture d’une large rue orientée est-ouest au sud de cet ensemble a encore accentué la rupture avec le parcellaire antérieur. Mais nous pensons néanmoins que le bourg primitif a pu s’étendre au nord jusqu’à l’impasse qui se trouve au sud des parcelles n° 91, 99.

11Vers l’est, enfin, le bourg ne devait pas dépasser la limite entre les parcelles n° 81, 82 et celle du cimetière, dans l’alignement du mur oriental de la collégiale. Il convient de noter enfin qu’à l’angle sud-est, les contours parfois arrondis de la parcelle n° 68 témoignent de l’existence de carrières qui se prolongeaient vers le sud. Long de 110 m de l’est à l’ouest pour 80 du nord au sud, le bourg de Villandraut aurait eu une superficie de moins d’un hectare.

12Si son existence est toujours attestée à la fin du XVI^e siècle, il est certain aussi qu’à cette époque un vaste glacis séparait la collégiale du château35. D’autre part, à la fin du XVII^e siècle des pièces de vigne s’étendaient encore de part et d’autre du chemin conduisant au gué et au pont sur le Ciron ; elles étaient encloses de murs et celle du sud incluait le pigeonnier et la fontaine du pape et se prolongeait sur les bords du Ciron par des aubarèdes36.

13En l’état actuel de nos connaissances on ne peut guère que formuler des hypothèses sur la manière dont prit naissance et se développa ce bourg qui prit le nom de la maison de famille des Got. La chose dut se produire dans la seconde moitié du XIII^e siècle autour de cette maison sous forme d’un petit castelnau. La création de la châtellenie en 1306 en fit un bourg castral mais le transfert ultérieur du siège de la juridiction dans le château neuf fut compensé par l’implantation de la collégiale dans l’ancienne maison des Got. Le château et la collégiale, le gué et le pont sur le Ciron permirent au petit bourg de se maintenir jusqu’à la fin de l’Ancien Régime et finalement de l’emporter sur ses rivaux du voisinage – Noaillan et Préchac – et de devenir chef-lieu de canton.

Fig. 1. Situation de Villandraut en 1307 :

Fig. 2. Le village de Villandraut d’après le plan cadastral de 1838 : 1. limites supposées du castrum ou burgum. ; 1. emplacement de l’église Saint-Martin de Got ; 2. emplacement de la domus des Got ; 3. tour de l’angle sud-est de la collégiale ; 4. château neuf ; 5. fontaine du pape ; 6. colombier.

Fig. 3. Villandraut : ruine de la tour située à l’angle sud-est de l’ancienne collégiale. On distingue à droite le chevet de la collégiale, à gauche le mur méridional percé de meurtrières en croix pattée (Dessin, 1^ère moitié du XIX^e siècle. Arch. dép. Gironde 162 T 4).