1Lamothe-Landerron, modeste commune girondine de la rive droite de la Garonne, est située dans le canton de La Réole aux limites du département du Lot-et-Garonne (fig. 1 et 2). Dans un lieu de passage intense1 mais anonyme où rien ne retient le voyageur, l’historien trouvera un résumé des difficultés du groupement de l’habitat en Guyenne et tout particulièrement en Entre-Deux-Mers2. Lamothe-Landerron est née à la Révolution de la fusion de la moitié ouest de Saint-Martin-de-Serres et de Saint-Albert-de-Landerron, paroisses de l’ancien diocèse de Bazas (fig. 1 et 3). Son territoire de 918 ha est partagé entre la plaine alluviale – sans débouché sur la Garonne – et le plateau sédimentaire3. À l’ouest et au nord, le Médier et son affluent le Loup séparent Mongauzy et Saint-Michel-de-Lapujade de Lamothe-Landerron qu’aucune limite naturelle n’isole à l’est et au sud des communes lot-et-garonnaises de Saint-Martin-Petit et Jusix. Actuellement, l’habitat est dispersé sur la totalité du territoire communal, à l’exception de la basse terrasse inondable vide de constructions (fig. 3). Les deux églises, Saint-Albert et Saint-Martin, implantées en basse et moyenne terrasse ont l’ancien cimetière paroissial pour tout voisinage. Lamothe, sur la basse terrasse non inondable, est le seul point de concentration notable de l’habitat. Cette situation, courante en Entre-Deux-Mers4 pourrait être bien différente aujourd’hui si deux tentatives de groupement de l’habitat n’avaient pas échoué au Moyen Age.

2La mieux connue de ces tentatives est celle qui concerne le site castral de Landerron placé à la confluence du Loup et du Médier sur un éperon calcaire orienté à l’ouest et dominant la vallée de la Garonne. On relève la première mention d’un château de Landerron à la fin du XI^e s. dans le cartulaire de la Réole5. Ses seigneurs, les Marzeronde, également seigneurs de Sainte-Bazeille6 (fig. 2), sont vassaux du prieur de La Réole7. Ils sont connus bien avant le château : vers 1026-1030, Guillaume-Raymond de Marze Redonda donne au prieuré de La Réole la moitié de l’église de Baleyssac8 (fig. 2). L’un d’eux, Auger, est présent vers 1070 à la cour du duc de Gascogne réunie au château voisin de Taillecavat9. Les Marzeronde possèdent un vaste alleu à Guilleragues (fig. 2) sur lequel, entre 1080 et 1096, ils multiplient les concessions de fiefs, nouant ainsi des liens féodo-vassaliques avec des familles des environs10.

3Les liens des Marzeronde avec La Réole se renforcent à partir de 1080 lorsqu’Auger se donne au prieuré11. En 1086, il est déjà prieur de La Réole12. Vers 1096, lorsque son frère Géraud « homme puissant et noble » part pour Jérusalem, il lui confie, entre autres, la garde du château et de l’honneur de Landerron13. En son absence, Auger fait construire dans le castrum une église, lui attribuant « reliques, livres et cloche »14. De retour, entre 1099 et 1104, Géraud se montre très satisfait de cette initiative – « gavisus est gaudio magno » – ; sur les conseils de l’évêque Étienne de Bazas et en présence de plusieurs milites, il donne l’église à La Réole15. Mais la nouvelle église, dédiée à Saint Nicolas, bientôt détruite lors d’une guerre privée opposant Géraud au vicomte de Bezeaume, « resta longtemps abandonnée »16. Entre 1121 et 1127, Raymond de Montaud, fils de Géraud, se rend à La Réole avec les milites de Landerron pour demander au prieur Airard17 et à ses moines sa reconstruction. Sur le conseil de l’évêque Bertrand18, ces derniers « réédifièrent l’église, installant reliques, livres et cloche et imposant qu’un moine, du nom de Brocard, tant qu’il vivrait, la tienne en paix, et d’autres après lui »19.

4Ainsi, dès la fin du XI^e s., le castrum de Landerron n’est pas seulement la résidence fortifiée des Marzeronde mais aussi un lieu habité au moins par des « milites castri » de plus en plus nombreux issus de paroisses voisines ou plus lointaines20 (fig. 2 et 3). Vers 1099, le castrum est suffisamment peuplé – ou en passe de le devenir – pour justifier la construction d’une église vraisemblablement paroissiale21. Chacun y trouve son intérêt : pour le seigneur l’église favorisera le développement de l’habitat subordonné au château, pour le prieur et l’évêque elle sera une nouvelle source de revenus ecclésiastiques. Cette tentative suscite des jalousies : la destruction rapide de l’église par le vicomte de Bezeaume en est la preuve. Mais le noyau d’habitat est suffisamment fixé pour que l’église soit vite relevée et ne soit plus menacée22.

5La perte des archives de La Réole postérieures au XII^e s. nous prive par la suite de documentation. Aux XIII^e et XIV^e s., les fonds de l’administration anglaise nous donnent simplement quelques repères. Au milieu du XIII^e s., Landerron figure parmi les places-fortes restées fidèles au roi-duc alors en butte à la révolte de l’aristocratie gasconne. En 1253, La Réole ayant pris la tête de la rébellion, Landerron se trouve en première ligne. Le 17 septembre, le roi-duc s’adresse aux « milites, aux bourgeois et à tous les hommes de Landerron » ; les remerciant pour leur fidélité, il confie pour la durée du conflit la forteresse (« municione ») à un connétable de guerre23 en l’absence de ses seigneurs24. Certains milites ont pris le parti de la révolte : le roi-duc exige le 29 mai 1254 la destruction des maisons des frères Géraud et Raymond de Jusix partis à la Réole25.

6Landerron reste au XIII^e s. un noyau d’habitat chevaleresque réunissant une partie de l’aristocratie locale. Géraud et Bernard de Jusix en 125426, Garsie des Angles, Anissant, Géraud et Gautier de Serres, Frozin de Jusix et Guillaume de Fossés, chevaliers en 126327 : tous résident à Landerron28. Si l’on connaît le nom de certains milites castri, on ignore tout en revanche des « bourgeois et hommes de Landerron » évoqués en 1253, à commencer par leur nombre et leurs activités. Leur mention accrédite cependant l’idée de l’existence d’un bourg à Landerron qui ne paraît tirer aucun avantage du rôle joué par la place-forte dans la stratégie du roi-duc.

7À partir de la deuxième moitié du XIII^e s., le roi-duc privilégie en effet la fondation de bastides en paréage avec des seigneurs laïques ou ecclésiastiques locaux qui lui assurent, par la création de prévôtés royales, un contrôle en profondeur de la Guyenne. La châtellenie de Landerron n’échappe pas à la règle qui s’est vue progressivement environnée de trois bastides : Monségur, Castelnau-sur-Gupie et Saint-Osbert29 (fig. 2). En 1265, la création de la bastide et de la juridiction de Monségur amputa des trois-quarts le ressort de Landerron30. Le bourg de Landerron lui-même dut pâtir du développement de la bastide. Dès 1274, des milites du castrum de Landerron – les trois frères de Serres, Anissant, Géraud et Gautier ; Frozin de Jusix et Guillaume de Fossés – détiennent un emplacement à bâtir dans la nouvelle bastide31. Il est vraisemblable qu’une partie de la population du bourg de Landerron fut ainsi attirée vers Monségur.

8En 1276, onze ans après la fondation de Monségur, une nouvelle bastide voit le jour aux pieds mêmes du bourg de Landerron : la mort du castrum paraît annoncée32. La bastide est fondée – dans des circonstances inconnues – à Saint-Osbert ou Saint-Ausbert, paroisse attestée dès 1176-117733 et située dans la vallée, au sud-ouest de Landerron. Mais c’est un échec rapide : après 1277, on ne relève plus aucune mention de la bastide, si bien que sa localisation a un temps posé problème34. Cette fondation semble avoir dépassé le stade de simple projet : à l’ouest de l’actuelle église Saint-Albert35, commune de Lamothe-Landerron, on distingue encore un découpage parcellaire spécifique très net sur le cadastre de 1827 (fig. 5). Il s’agit d’un carré de 110m de côté délimité par quatre routes et bordé au sud par le rebord de la terrasse alluviale. Ce pourrait être la dernière trace de la trame très incomplètement lotie de la bastide avortée. À la fin du XV^e s., l’église de Saint-Osbert devenue Saint-Albert supplante cependant celle de Landerron dans son rôle de chef-lieu paroissial reléguant l’église Saint Nicolas au rang de chapelle36. Comment expliquer ce transfert malgré l’échec évident de la bastide ? Sans doute par l’abandon du bourg de Landerron et par une densification de l’habitat dans la plaine alluviale.

9Si Saint-Osbert n’a pas représenté la menace attendue, il faut sans doute rechercher dans la proximité de Monségur et dans le désintérêt de ses seigneurs les raisons de la disparition progressive du bourg de Landerron. Au XIV^e s., Landerron figure encore parmi les places-fortes anglaises assiégées et prises en 1324 au nom du roi de France37. Enfin, en 1342, les habitants de Landerron et Sainte-Bazeille, en compensation des dommages subis, furent exemptés du paiement de la grande coutume des vins de Bordeaux, privilège confirmé en 134338. La place-forte, passée aux mains des Albret depuis 135739, est mentionnée une dernière fois en 138340. Le castrum né au XI^e s. sur les hauteurs dominant la vallée de la Garonne ne semble pas avoir survécu à la guerre de Cent Ans. Un habitat ouvert réduit à quelques maisons semble avoir perduré sur l’éperon de Landerron jusqu’au XVIII^e s.41. L’ancienneté de l’abandon du site explique sans doute l’absence de structure significative dans le découpage parcellaire du cadastre de 1827. Vers 1860, Léo Drouyn a dressé un plan sommaire des rares vestiges encore visibles du site : traces de réaménagement de l’éperon, restes de constructions et de la chapelle du Bon Larron, ancienne chapelle Saint Nicolas42 (fig. 5). Tout a disparu aujourd’hui, le plateau de Landerron est en grande partie couvert de pavillons, seule une prospection aérienne et des sondages apporteraient peut-être du nouveau. Par sa position topographique et par sa taille réduite, moins d’un hectare sans doute, le castrum de Landerron ne différait sans doute en rien des autres « bourgs castraux » de l’Entre-Deux-Mers ou des castelnaux de la Gascogne voisine43. Comme beaucoup d’entre eux, il a difficilement survécu après le XIII^e s., victime du développement d’une agglomération concurrente.

10À partir du XVI^e s., on constate l’existence dans la vallée d’un « Bourg de Lamothe » fréquemment mentionné et partagé entre les paroisses de Saint-Albert et de Saint-Martin-de-Serres. Le terme de « bourg » est utilisé dans la région pour désigner toute concentration d’habitat en rupture avec la dispersion dominante. De quoi s’agit-il en fait ? C’est, au moins depuis le XVIII^e s.44, un village-rue où les maisons s’alignent sur environ 400m de long de part et d’autre de la route de Bordeaux à Toulouse. C’est encore le seul point d’habitat groupé de la commune de Lamothe-Landerron. Le toponyme renvoie à un site fortifié : la maison-forte de Lamothe45 est-elle à l’origine du groupement ? Difficile de le savoir et d’en dire plus faute de sources écrites ou archéologiques46.

11Un castelnau abandonné, une bastide avortée, un village-rue : le groupement de l’habitat connaît dans la commune de Lamothe-Landerron une succession d’échecs relatifs qui trouvent à l’époque contemporaine leur aboutissement avec le cas de Saint-Martin-Petit. À la création des départements en 1790, la paroisse de Saint-Martin-de-Serres fut partagée entre la Gironde et le Lot-et-Garonne. La moitié ouest – église comprise – forma, on l’a vu, une partie de Lamothe-Landerron et le reste devint commune sous le nom de Saint-Martin-Petit. L’habitat y est entièrement dispersé : pas d’église ni même de village des morts – les habitants de Saint-Martin-Petit continuent de fréquenter l’église de Saint-Martin-de-Serres et à y enterrer leurs morts – même la mairie est restée isolée de tout habitat. Cette situation extrême est la conclusion provisoire d’une histoire à rebondissements qui a finalement contribué à maintenir une caractéristique sans doute héritée de l’Antiquité et encore trop peu étudiée : la dispersion de l’habitat.

Fig. 1 : Localisation de la commune de Lamothe-Landerron.

Fig. 2 : Le pays de Lamothe-Landerron : l’entre Drot et Garonne bazadais.

Fig. 3 : La commune de Lamothe-Landerron et ses abords immédiats.

Fig. 4 : Le site du castrum de Landerron au XIX^e s. (d’après Léo Drouyn, La Guyenne militaire, Bordeaux, 1865, II, p. 408).

Fig. 5 : Le site présumé de la bastide de Saint-Albert