« Quotienscumque de terminis fuerit orta contentio, signa, que antiquitus constituta sunt, oportet inquiri, id est aggeres terrae sive arcas quas propter fines fundorum antiquitus apparuerit fuisse coniectos atque constructas, lapides etiam quas propter indicia terminorum notis evidentibus sculptos constiterit esse defixos. ∂i hec signa defuerint, tunc in arboribus notas, quas decurias vocant, convenit observari... »
Loi des Visigoths, L. 10, tit. 3, § 31

1Les prescriptions de la Loi des Visigoths sont bien claires, pour régler un conflit de limites, il faut procéder à un examen attentif des marques et des bornes qui séparent les domaines. Je voudrais dans les lignes qui suivent et sans aucune prétention à l’exhaustivité, promener le lecteur en Catalogne, en Languedoc et en Provence aux IX^e et X^e siècles pour assister sur le terrain à quelques opérations de bornage.

2Le 17 mai 881, Theotarius, évêque de Gérone, les comtes Dela d’Ampurias et Sunyer de Roussillon tiennent un mall public dans le villare de Purtos en Ampurdan2. Devant une nombreuse assemblée de prêtres et de boni homines, Stremirus archiprêtre mandaté par l’évêque évoque le conflit pendant entre André et le prélat au sujet de la villa d’Uliano en Ampurdan. Ces possessions, dit-il, doivent être à l’évêque en vertu d’un précepte royal, mais André les occupe injustement en aprision. Interrogé par le comte, André dit qu’il les tient à bon droit, les comtes, évêques, vicomtes décident alors de procéder à une enquête sur place.

3Ils « se rendirent sur la archa ou borne qui est à Mantegrin et qui divise les deux villae... et ils prescrivirent à Undila que les juges fassent mesurer ces terres... Ils divisèrent ces terres de la façon dont l’indique la Loi des Visigoths. Undila vint avec les prêtres et plusieurs bons hommes et mesura ces terres en largeur autant que devait en avoir André et il fit de même pour le puits qui est dans ce villare, vers l’occident il y a 80 perches et la perche qui servit à la mesure fait 8 pieds et demi, ils parvinrent jusqu’à la pierre plantée que les comtes et l’évêque ordonnèrent de planter. Dans la partie vers Uliano à l’est, il y a 40 perches en largeur que Stemirus reçut d’André pour la part de l’évêque... Vers l’ouest, il reçut en largeur 38 perches et la terre que délimitèrent les juges vers l’est mesure 77,5 pieds de largeur. Alors l’évêque, les comtes et les juges ordonnèrent que l’on pose cinq pierres plantées en guise de fixurias ou bornes dans la villa d’Uliano et dans le quartus que l’on appelle Bitinga... ».

4On a donc affaire à un règlement classique du conflit suivant les formes de la justice publique3 et les prescriptions de la Loi des Visigoths. Les considérations techniques sont détaillées et la procédure de partage est très complète. Il y a d’abord arpentage général puis pose de bornes. Ce sont les juges et les bons hommes qui procèdent au mesurage et le rédacteur précise la longueur de la perche dont ils se sont servis4. Il ne semble pas y avoir de professionnels de la mesure comme on en verra plus tard dans le comté de Barcelone, mais les juges et les bons hommes manient avec efficacité et la mesure et le calcul.

5Archa, petra fita, fixurias, terminia, le vocabulaire de description est précis. Si l’on saisit mal le sens actuel de tous ces signes de limite, on peut néanmoins essayer de voir plus clair dans le sens du mot archa5. Employé par les Gromatici romains au sens de construction quadrangulaire peut-être comportant une niche, parfois considéré comme un tombeau, il est possible de voir dans les descriptions du Moyen Age un prolongement de cette signification. Il pourrait s’agir d’une construction pérenne dont les axes servent à prendre des alignements de bornage.

6Une procédure moins évoluée se déroule à Aspiran (Hérault) en 8976. Boson, vicomte d’Agde et Béziers tient un plaid pour fixer les limites de la villa. Il interroge les hommes du lieu afin de connaître les limites puis se détermine en fonction de ce qu’il vient d’entendre.

7J’arrive maintenant en Provence vers 993. Le vicomte de Marseille Guilhem intervient pour arbitrer un conflit entre l’abbé de Saint-Victor Allard et deux laïcs Thierry et Noé7. Ces derniers ont usurpé un domaine du fisc royal sis à La Cadière8 donné à l’abbaye par Guilhem I comte de Provence (v. 967). La notice rapporte en ces termes le bornage effectué par Guilhem I avant que la querelle ne s’envenime :

« Venant vers le comte, Ponce lui dit : Seigneur comte, voici cette terre, délivrée des chaînes des païens [les Sarrasins de La Garde Freinet]9, mise dans ta main par une donation royale. C’est pourquoi nous te demandons que tu ailles là bas et que tu plantes des bornes entre l’oppidum, le castrum et la terre du sanctuaire, car il est de ton pouvoir de la borner et de distribuer à chacun ce qu’il te plaira. Ayant entendu cela, le comte approuva et monta sur son cheval sans désemparer. Lorsqu’il fut dans les limites de la villa de La Cadière, il commença à demander le nom des montagnes, des vallées, des ruisseaux et des fontaines. Après avoir entendu, il posa des bornes sur la terre du sanctuaire, bornes qui sont décrites dans la charte qui se trouve dans le cartulaire de Saint-Victor, puis il parla en ces termes : Tout ce que je possède entre ces bornes à cause d’une donation royale provenant du fisc royal, je le donne à Saint-Victor et aux moines qui résident ici. »

8Contrairement à ce que l’on voyait en Catalogne, il n’y a pas d’audience publique pour procéder au bornage, le comte écoute et tranche. Point de juges et de bons hommes. Il faut assurément y discerner le début d’une évolution qui, en Catalogne comme en Provence, voit aux alentours de 1020 ici les officiers publics qui « cessent de réunir des cours de justice et de résoudre les conflits » et là la Loi des Visigoths ne plus être appliquée10.

9L’évolution provençale et languedocienne de la conduite des opérations montre des pratiques beaucoup plus sommaires qu’en Catalogne, ne serait-ce pas là une des raisons de la disparition des mesures géométriques de champs au profit de formes d’évaluation différentes ?