De toutes les côtes françaises, il n’en est aucune qui doive autant à l’homme qui ait été autant transformée, recréée, inventée par lui.
Philippe Saint Marc1

L’Aquitaine en train de s’aménager est devenue un fait irréversible. Quoi qu’on en veuille aujourd’hui, quoi qu’on fasse, les Aquitains aidés par la Mission ont engagé l’action qui leur permettra de transformer la capacité de leur pays à l’accueil touristique en un enrichissement réel pour ses habitants. [...] Un nouveau projet est à l’étude, qui établira des liens organiques novateurs entre les sites de l’intérieur et les gisements touristiques côtiers, l’image de marque du tourisme aquitain mettant en évidence les valeurs de nature, d’espace, de respiration, de silence, et la variété extraordinaire d’un pays dont le commun dénominateur est l’art de vivre. Ce pays ne saurait être un morceau d’Aquitaine : c’est l’Aquitaine toute entière, diverse, multiple, accueillante, authentique et ouverte au plus grand nombre.
Emile Biasini2

1La croissance engendre une formidable poussée de la demande touristique qui nécessite donc une adaptation de l’offre. Dans les années soixante, les Landes jouent un rôle pionnier en lançant un outil moderne d’aménagement pour créer la station nouvelle de Seignosse le Penon.

2Parallèlement, l’aménagement du territoire entre dans une nouvelle phase qui veut redistribuer les fruits de la croissance pour enrayer l’accroissement des disparités régionales. Le tourisme n’est plus une simple activité d’accueil mais un instrument structurant. Le littoral est donc privilégié avec l’aménagement du Languedoc Roussillon suscitant de nombreux espoirs sur le littoral aquitain qui a soif d’aménagement.

3Cette politique nationale s’inscrit en Aquitaine par la création d’une Mission Interministérielle pour l’Aménagement de la Côte Aquitaine (M.I.A.C.A.). Avant cet aménagement, la Côte Aquitaine est l’un des derniers espaces côtiers vierges d’Europe de l’Ouest. Ce qui caractérise cette Mission, c’est sa philosophie innovante entre aménagement et protection. De fait, elle connaît un long démarrage et seuls les programmes de développement des infrastructures de base sont un succès dans un premier temps : les premières opérations sont lancées dans les années soixante-dix mais faute de moyens et à cause de certaines résistances, la Mission laisse le développement spontané de la côte se poursuivre et les opérations se bloquer alors que la situation économique évolue.

4Le néo-saint-simonisme est une forme de socialisme planificateur et technocratique qui se retrouve dans les théories d’aménagement du territoire. Opposé au désordre du libéralisme, il cherche à rationaliser la production. Il s’inscrit dans le développement de la planification française à partir de la IV^ème République puis sous de Gaulle3 avec notamment la politique touristique de la M.I.A.C.A. Dans le cadre des catégories d’innovation schumpétériennes, la mise en place de la M.I.A.C.A. apparaît donc comme une innovation organisationnelle.

5De plus, le tourisme est une activité économique originale puisque le consommateur se déplace vers son produit touristique à consommer. Le produit touristique témoigne de l’insertion sociale de l’individu qui le consomme mais aussi de son épanouissement. Le produit touristique ne peut être stocké et il est même produit au fur et à mesure qu’il est consommé ce qui pose un véritable problème pour la M.I.A.C.A. qui a certaines pesanteurs. Le développement des stations touristiques interagit avec les mutations de la demande touristique. De plus, face à la concurrence des deux cents stations ou communes touristiques du littoral français, il est nécessaire de trouver un positionnement et de s’organiser de manière collective.

6Comment l’aménagement touristique a-t-il atteint son apogée lorsque de simple outil de complément, il est devenu instrument clé de l’aménagement du territoire ? Comment la M.I.A.C.A. a-t-elle eu une action décisive dans la création de l’identité de l’Aquitaine ?

Vers l’aménagement touristique : la genèse de la M.I.A.C.A.

7Sur la Côte Aquitaine, les possibilités d’hébergement n’apparaissaient pas assez nombreuses. Selon l’étude de l’I.N.S.E.E.4, la capacité d’accueil en 1966 est de 110 000 places en Gironde et de 60 000 places dans les Landes. Durant la saison 1965, les Landes ont reçu 200 000 estivants et la Gironde 350 000. La Côte Aquitaine reste donc sous-équipée. La crise des activités traditionnelles et le dépeuplement de l’arrière-pays font que les ressources des collectivités publiques sont limitées et leur capacité d’endettement aussi. La mise en œuvre d’une politique globale d’aménagement du territoire a permis de consacrer à l’aménagement de la région des moyens humains et financiers plus considérables : l’extension de l’aménagement aux 700 000 hectares de la côte est reprise en 1966 par la D.A.T.A.R. et relayée à l’échelon départemental et régional par le préfet de Région, Gabriel Delaunay5.

Les premières tentatives d’accroissement de l’offre et le rôle pionnier des Landes (1960-1969)

8Les élus sont impatients de faire profiter leur région des fruits du tourisme massifié. Les initiatives se multiplient de façon dispersée mais ce sont les Landes qui mènent la course à l’aménagement. Le département des Landes, ainsi que le Préfet de Région et de département, ont un profond désir d’aménagement. Ainsi, dans les Landes, l’idée du lancement d’une station nouvelle entraîne la création d’un outil adapté.

9Dans cet état d’effervescence, l’institution d’une Mission d’aménagement en Languedoc-Roussillon et la création du Groupe Central de Travail sont accueillis avec enthousiasme.

La S.A.T.E.L., instrument d’une politique de développement touristique

10Le Comité Départemental du Tourisme des Landes (C.D.T. L) est créé en 1959 et en lançant une publicité intensive dans le Métro de Paris « Vacances dans les Landes » qui remporte un franc succès, il montre le besoin d’un aménagement touristique littoral. L’état sauvage de la côte nécessite des investissements énormes et des infrastructures à rentabilité indirecte, l’initiative privée ne peut suffire. Il faut donc créer une Société d’Economie Mixte (S.E.M.) qui réunit les efforts locaux, et les moyens financiers et techniques externes.

11Lancée dès janvier 1960 par le préfet des Landes, l’idée de la création d’une S.E.M. débouche sur une subvention au C.D.T. pour étudier le tourisme dans les Landes6 puis sur l’approbation le 20 avril 1961 par le conseil général7 de la création d’une S.E.M. pour la réalisation de deux stations nouvelles : Seignosse le Penon et Moliets. Il faut plus d’une année pour établir les statuts mais la Société pour l’Aménagement Touristique et l’Equipement du département des Landes (S.A.T.E.L.) a été créée le 18 octobre 1962 pour exécuter les projets du C.D.T.L en matière de développement touristique8. C’est le résultat de la prise de conscience des possibilités touristiques de la côte landaise. Elle a passé un accord avec la Société Centrale d’Equipement du Territoire (S.C.E.T.) pour deux contrats qui doivent faciliter son action : une convention d’administration et une convention d’utilisation des services fonciers de la S.C.E.T.

12Selon l’article 2 de ses statuts9, la S.A.T.E.L. doit : « étudier et réaliser en vue du développement touristique de l’ensemble du département des Landes les travaux d’équipements touristiques collectifs, les travaux d’aménagement et d’équipement de terrains en vue de la constitution de lotissements et de résidences secondaires et les travaux d’aménagement de terrains de camping et plus généralement toutes opérations financières, commerciales, mobilières et immobilières, pouvant se rattacher directement ou indirectement à un objet social ».

13C’est une société anonyme au capital de 250 000 francs détenu par le département des Landes à 48 %, la Caisse des Dépôts et Consignations (C.D.C.) à 24 %, la S.C.E.T. et la S.C. E. TO. à 16 %, la Chambre de Commerce et d’industrie des Landes à 2 %, la Chambre d’Agriculture et M. Hirigoyen. Ce capital est faible face aux ambitions de la société, d’autant plus que l’Etat refuse de subventionner certains travaux la privant d’une part non négligeable de son budget. C’est M. Hirigoyen qui en est le premier président de 1961 à 1968 puis M. Folin, conseiller général et maire de Bénesse-Maremne, lui succède en 1968. M. Renoir en est le premier directeur.

14Elle doit réaliser sur dix ans au Penon et à Moliets, 28 000 lits en hôtels, villages de vacances ou résidences secondaires ce qui revient à doubler la capacité de la côte landaise. Dans le cadre du plan d’aménagement des lacs landais établi par le Ministère de la Construction, elle a mené d’autres actions comme la création d’une plage au lac d’Aureilhan, plusieurs à celui d’Hossegor et le lac marin de Soustons. Elle participe également à la création de la S.E.M. pour l’Equipement de Biscarrosse (S.E.B.)10 qui doit implanter les infrastructures nécessaires à la ville suite à l’installation du Centre d’Essais des Landes (C.E.L.) en 1962 après la signature des accords d’Evian11.

L’aménagement d’une station ex-nihilo, Seignosse le Penon

15De nombreuses études ont été faites par la S.C.E.T. et S.C. E. TO. pour déterminer quels seraient les sites choisis dans les Landes : Seignosse a été choisie pour son site côtier et Biscarrosse pour sa zone lagunaire mais l’installation du C.E.L. en juin 1962 a entraîné un report sur Moliets12.

16En 1954, Seignosse est un bourg rural de 539 habitants. La situation économique y est préoccupante. Le défi, en 1959, est alors de créer une station touristique au lieu-dit le Penon, capable d’accueillir des milliers de personnes avec le budget d’une commune de 539 habitants et traversant une crise économique13. Il lui faut attirer les investisseurs. Seignosse le Penon est la seule station touristique complète de la Côte Aquitaine créée, depuis la guerre et avant l’action de la M.I.A.C.A., dans un site vierge en bordure de l’océan. La station nouvelle de Seignosse le Penon est marquée par une rupture par rapport aux modèles traditionnels des stations océanes. Elle est conçue en même temps que les stations pyrénéennes d’Arette, la Pierre Saint Martin et Gourette. Cette opération répond à la demande caractéristique des années soixante avec de grands ensembles immobiliers très fonctionnels à proximité de l’océan et des centres commerciaux. La municipalité a engagé des opérations par la création de lotissements touristiques mais très vite elle a reçu le soutien financier de plusieurs organismes publics landais par l’intermédiaire de la S.A.T.E.L.

17La station se déploie dans un site unique dans les Landes qui présente un front de mer de cinq kilomètres, à vingt-huit kilomètres de Bayonne. Son originalité vient du caractère de cette station nouvelle qui veut intégrer l’architecture dans le site et l’environnement. Elle est prévue pour l’accueil de 22 000 personnes en camping-caravaning, studios, appartements en Village, Vacances, Tourisme (V.V.T.), maisons individuelles... Elle doit également proposer toute une gamme de loisirs comme la plage, le surf, la voile, le tennis, l’équitation, le cinéma... Cette expérience se veut pilote dans le cadre de la réflexion sur l’aménagement de la côte.

18Les travaux débutent en 1965 selon les plans élaborés par J. Marty14. Le parti pris d’urbanisme est un aménagement parallèle au littoral pour éviter l’atteinte de la forêt de production et les déplacements trop nombreux en voiture. Le plan général se développe autour de trois centres : le premier au Sud à vocation commerciale, le second en position centrale pour l’animation, le secteur hôtelier et les équipements de loisirs, le troisième au Nord pour une deuxième tranche. Pour attirer aussi une population permanente, la commune doit installer de nombreux services publics et assimilés15.

19Le succès de la commercialisation dépend de la publicité et de la propagande faites pour attirer les touristes. La S.A.T.E.L. dispose alors d’un budget de 200 000 francs pour le lancement de la station. Tous les moyens sont bons pour faire connaître ces travaux et l’existence d’une nouvelle station : publicité dans les journaux locaux, dépliants, conférences de presse, foires, publicité dans les journaux économiques et les hebdomadaires d’actualité, et reportages télévisés. Tous les mass media doivent permettre à la station de massifier ses flux touristiques. Son slogan Seignosse le Penon, la plus nature des stations lancé au cours de l’année 1968 s’est montré rassurant dans une période de crise. La première tranche s’achève en 1969 avec des constructions noyées dans la verdure16.

20Mais la conception de la station manque de profondeur et de maturité car elle a été lancée sans attendre les conclusions de la M.I.A.C.A. et pensée comme le prolongement d’Hossegor plutôt que comme une station indépendante. Ainsi pour de nombreuses raisons politiques, économiques et écologiques, Seignosse le Penon n’a pas su surmonter deux obstacles majeurs liés à son statut de station nouvelle : l’insuffisance des équipements commerciaux, sportifs et récréatifs, et l’absence de vie permanente. C’est une opération qui a suscité de nombreuses interrogations et donc de nombreuses visites qui déterminent l’avenir de la station17. Mais elle est loin d’être achevée d’autant plus que se dessinent des perspectives de développement touristique.

Les autres projets et réalisations sur le reste du littoral

21Un peu partout les sociétés immobilières continuent leurs actions pour développer les stations et exploiter la forte croissance touristique.

22A Lacanau, les actions de la société immobilière ont été entre les mains des gestionnaires des fonds du Vatican, Le Cénacle. Puis la majorité des actions sont achetées par la Cominière, une société belge ce qui entraîne la création de la Société Immobilière de Lacanau et des Lacs de la Côte Aquitaine (S.I.L.L.C.A.) au capital de 2 970 000 francs. Cette société belge investit en France car, après l’indépendance de l’Algérie et le rapatriement des ressortissants français, la France offre des conditions intéressantes aux investisseurs étrangers, et à Lacanau, le potentiel immobilier est fort et inexploité. En 1970, la société remanie, remodèle et termine le lotissement Mathio. Mais l’intervention de l’Etat bloque les projets en même temps qu’elle suscite les espoirs des sociétés immobilières.

23A Soulac, le camping Airotel Palace est créé le 15 juin 1965 : c’est l’un des plus grands de la Pointe du Médoc avec 2 000 campeurs potentiels sur seize hectares soit 650 emplacements. Le front de mer est parcellaire et le boulevard-promenade est inauguré en 1963. Mais quelques résidences sont néanmoins créées sur la dune : le Signal construit entre 1964 et 1966 est un ensemble de trois immeubles de quatre étages. La Société Immobilière de Soulac a réalisé à partir de 1958 un lotissement de 73 hectares au sud de la commune. Au Nord, un lotissement boisé de haut-standing est réalisé sur 45 hectares.

24Le 21 octobre 1965, le syndicat de commune unissant Capbreton et Hossegor se transforme en Syndicat Intercommunal à Vocation Multiple (S. I. VO. M.) pour « l’étude, la réalisation, la gestion des équipements nécessaires au développement des communes associées, et notamment leur aménagement touristique, à leurs équipements socio-éducatifs et éventuellement, à la mise en place et à la gestion du service des ordures ménagères »18. Le 28 mars 1966, Seignosse adhère au S. I. VO. M. Après la visite à Capbreton le 16 mai 1966 du Premier ministre, G. Pompidou, le S. I. VO. M. s’engage dans la réalisation d’un port de plaisance sur la rive sud du boudigau. Quelques immeubles commencent à se développer comme la résidence du Touring-Club ou celle du golf et scandalisent les habitants d’Hossegor. Ces immeubles rompent avec le style et l’image de la station ce qui entraîne la chute du maire A. Eluère le 31 mars 1972.

Les perspectives de développement touristique

25La fin des années Cinquante et le début des années Soixante sont marqués par un foisonnement d’initiatives aussi bien locales, régionales que nationales face à la croissance de la demande touristique. Soumis aux pressions touristiques multiples, l’Etat lance sa première expérience d’aménagement par le tourisme dans le Languedoc Roussillon pour donner une vision plus globale à l’aménagement du territoire. Mais déjà plus de la moitié du littoral français est urbanisé à l’exemple de la Côte d’Azur où 90 % de la côte entre Cannes et Menton est urbanisé.

L’espoir du Midi

26L’explosion touristique suscite des espoirs de décollage économique19 dans les régions littorales périphériques fortement marquées par la ruralité et la crise démographique. Le manque de coopération entre les différents acteurs du tourisme et les administrations concernées fait défaut. L’Etat crée alors une nouvelle catégorie d’administration dite parallèle : l’Etat veut contrôler et entreprendre. La première mission de la D.A.T.A.R. est une opération d’aménagement du Languedoc-Roussillon sous l’égide d’une mission interministérielle créée en 1963 : la Mission Interministérielle pour l’Aménagement Touristique du Littoral Languedoc-Roussillon (M.I.A.T.L.L.R.). Elle coordonne la réalisation des grands équipements structurants tandis que les aménagements réalisés dans les stations nouvelles sont confiés à des S.E.M. L’action de la M.I.A.T.L.L.R. a été vivement critiquée mais elle a fixé des grands principes pour l’avenir : maîtrise foncière avant tout aménagement et prise en charge par l’Etat des grands travaux.

27Cet aménagement apporte de l’espoir dans le Sud Ouest : les décideurs locaux, qui connaissent les différents problèmes de la région (sous industrialisation, exode rural et faiblesse démographique), pensent que l’Etat peut les aider au nom du droit à l’égalité des régions. Cette expérience du Languedoc-Roussillon démontre l’importance du rôle de l’Etat en matière de développement touristique.

Des tentatives dispersées à la création du groupe d’étude de la Côte Aquitaine

28La réforme administrative confirme l’échelon régional comme cadre de référence pour la politique nationale d’aménagement du territoire déconcentrée. Le décret du 7 janvier 1959 crée le regroupement des départements en circonscription d’action régionale pour la mise en œuvre de la politique d’aménagement du territoire. Le préfet coordonnateur est G. Delaunay, préfet de Gironde. Le décret du 14 mars 1964 met en place la première institution administrative régionale : la Commission de Développement Economique Régional (CO. D.E.R.) comptant cinquante membres et marquée par les clivages Bordeaux/périphérie et industrie/agriculture, doit orienter le Plan et développer l’aménagement régional du territoire. Le préfet du département du chef-lieu devient alors Préfet de Région chargé de l’exécution des tranches régionales du Plan.

29Les prémices de l’aménagement de la Côte Aquitaine débutent avec la reprise, en 1959, de l’idée de Groupement d’Urbanisme (G.U.) des dix communes du Bassin d’Arcachon créé en 1939 mais empêché par la guerre. Capbreton est classée station balnéaire par le décret du 19 septembre 1960. Certains élus n’ont pas perdu de temps : en mai 1961, le Conseil Général de la Gironde vote la création d’une S.E.M. Au terme d’une vaste campagne de propagande lancée par le département en faveur du tourisme, le C.D.T. de Gironde est créé en 1958 et porte ses efforts sur le Médoc. Le mouvement s’accélère donc en 1962 avec la création du G.U. des Lacs girondins et celle de la S.A.T.E.L., et le lancement du plan Marty.

30En 1962, le ministère de la Construction demande à sa direction girondine d’étudier l’urbanisation entre le Verdon et le Cap Ferret. Le secrétaire du C.D.T. de Gironde expose en mai 1962 le « plan Bleu » ou plan Marty qui se veut une solution au blocage industriel. En effet, la Direction Départementale de l’Equipement (D.D.E.) de Gironde charge l’architecte Marty d’élaborer un plan d’aménagement dont le projet définitif est soumis aux élus du département en 1964 : c’est un projet très audacieux qui projette la venue de 350 000 estivants à l’horizon 2 000 dans neuf stations dont une rénovée, Soulac, et trois nouvelles, le Gurp, Hourtin et le Porge20. Il est abandonné suite à de nombreuses oppositions des maires médocains malgré cette déclaration : « on n’a pas le droit de condamner les habitants de cette région à vivre dans un gigantesque parc naturel sous-développé. Il faut voir grand et envisager pour 1985, 800 000 lits »21. Mais face à l’absence de crédits accordés par le V^ème Plan, le plan Marty est abandonné au profit du « plan Rouge » qui n’aboutit pas faute de moyens.

31Cet espoir déçu de voir le V^ème plan22 dégager des crédits pour l’aménagement du littoral aquitain incite le Préfet de Région, G. Delaunay, et la Direction Régionale de l’Equipement (D.R.E.) à créer, en 1964, un Groupe Régional de travail placé sous l’autorité du Préfet de Région23. Après une visite en août 196524, le délégué à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régional, O. Guichard25 décide le 5 janvier 1966 la mise en place d’un Groupe interministériel d’Etudes pour l’aménagement de la côte Aquitaine portant le nom de Groupe Central et se tenant à Paris dans les locaux de la D.A.T.A.R.26. Il est présidé par un jeune conseiller à la Cour des Comptes, Philippe Saint Marc27. S. Romelot rapporte le récit de la rencontre initiale entre O. Guichard et Ph. Saint Marc : « O. Guichard a voulu avoir un groupe de travail qui soit chargé de coordonner l’action des différentes administrations, de prévoir un programme d’aménagement et de préservation, et il m’a demandé de m’en occuper. Je lui ai dit dès le départ qu’il y avait un choix à faire entre la côte mince et la côte épaisse [...]. Au contraire, je lui ai dit dès le départ “moi ce que je vous propose c’est la côte épaisse c’est-à-dire d’avoir une trentaine de kilomètres derrière le front de mer pour intégrer l’arrière-pays rural au développement du littoral pour éviter l’encombrement du littoral et la désertification de l’arrière-pays’’. J’ai donc conçu mon action comme une action de développement de la Côte Aquitaine et pas seulement du littoral »28.

32Parallèlement, à Bordeaux, un Groupe d’Etudes Régionales présidé par Gabriel Delaunay s’est constitué depuis 1964. En 1966, le Groupe Central se joint au Groupe Régional pour ne faire plus qu’un. Les préfets de Gironde et des Landes, ainsi que les représentants des divers ministères intéressés y siègent. L’action de ce groupe porte sur toute la zone côtière des départements de la Gironde et des Landes jusqu’à une profondeur de trente kilomètres environ à l’intérieur des terres, soit 146 communes dont 58 en Gironde et 88 dans les Landes. La mission de ce groupe était « d’animer les études relatives à l’aménagement de la côte Aquitaine, de proposer des moyens d’exécution et de mettre au point les mesures de protection nécessaires à la sauvegarde de l’avenir ».

33O. Guichard, maire d’une petite commune de Gironde, est convaincu de la nécessité d’une action globale et met au point une visite officielle du gouvernement en Aquitaine. Les premières études du groupe conduisent effectivement le 16 mai 196629 au voyage en Aquitaine du Premier ministre Georges Pompidou qui survole en hélicoptère l’ensemble de la côte, de Bordeaux à Biarritz, avec une halte à Arcachon et Capbreton. Ce voyage du Premier ministre permet véritablement à l’Aquitaine de gagner la cause de son aménagement sur la façade atlantique, notamment grâce aux séances de travail entreprises à Bordeaux avec la présence de diverses personnalités telles que le maire de Bordeaux et Président de la CO. D.E.R., J. Chaban Delmas, O. Guichard, les préfets départe-mentaux et G. Delaunay. O. Guichard explique au Groupe Central que « l’espace aquitain est sous-développé ; il faut l’équiper pour qu’il puisse accueillir un surcroît de touristes »30. G. Pompidou prend conscience des nécessités d’assainissement et des possibilités touristiques de la côte. Ainsi, il déclare que la côte est sur le point de devenir « la zone touristique la plus attractive d’Europe »31. Il annonce alors un grand effort du gouvernement pour l’aménagement de la côte et se prononce pour l’institution d’un organisme coordinateur pour développer les activités touristiques et freiner leur prolifération désordonnée.

34Des réunions de coordination se tiennent régulièrement chaque mois et l’ordre du jour de ces réunions comporte quatre points essentiels. Le premier concerne la protection des sites et de la forêt. Il prend ainsi des mesures de sauvegarde pour préserver l’avenir des espaces littoraux. En effet, le décret du 21 juillet 1966 étend aux départements de la Gironde et des Landes les dispositions du décret du 26 juin 1959 « tendant à préserver le caractère du littoral Provence-Côte d’Azur ». La préparation des mesures d’application de ce texte nécessite de nombreuses études techniques et la consultation des conseils généraux et municipaux pour la délimitation des périmètres sensibles et l’acquisition d’espaces libres. De plus, le groupe prend des mesures d’inscription et de classement des sites les plus dignes d’intérêt par le ministère des Affaires Culturelles. Des mesures provisoires de sauvegarde sont prises avant la mise au point de plans d’urbanisme comme par exemple l’intervention obligatoire d’un architecte avant la délivrance d’un permis de construire pour les zones sensibles. En ce qui concerne la protection de la forêt, plusieurs types de mesures de protections sont entrepris : des protections juridiques pour les forêts privées contre les déboisements abusifs, protection contre les incendies et les insectes nuisibles (chenilles parasites).

35Le deuxième point important a trait aux études d’aménagement et d’urbanisme. Les études d’urbanisme sont prises en charge par le ministère de l’Equipement dirigé par Roger Macé. Sur le plan de l’aménagement, en 1966 et 1967, un programme d’études pour l’aménagement de la côte est financé par la D.A.T.A.R. sur diverses questions et constitue un corpus de documentation et de réflexion. Ainsi, les études portent sur l’aménagement touristique des plans d’eau (lacs girondins et landais) et d’un grand canal d’un intérêt à la fois agricole et touristique reliant la Gironde à Mimizan par les étangs. Le Ministère de l’Agriculture finance les études de techniques hydrauliques et en juin 1966, un rapport technique sur la construction du canal est élaboré par la SOciété Grenobloise de Recherches et d’Etudes pour les Aménagements Hydrauliques (SO. G.R.E.A.H.)32. Le Groupe Régional espérait une aide financière du Fonds Européen d’Orientation et de Garantie Agricole (F.E.O.G.A.) pour la réalisation de ce coûteux équipement. Pour Ph. Saint Marc il faut préserver l’écologie de l’espace côtier et il demande alors une série d’études à diverses institutions. L’étude du Muséum d’histoire naturelle33 porte sur la protection de la nature et sa mise en valeur sur le plan touristique par la création de parcs naturels : réserves scientifiques, parc zoologique, musée botanique, réserve de pêche et de chasse. De plus, le Génie rural entreprend des études sur les étangs et les marais. Une étude de l’O.N.F. porte sur la protection des dunes et l’utilisation touristique de la forêt. L’I.E.R.S.O. et la Société ERES étudient les problèmes socio-économiques régionaux. Une étude du marché touristique et des problèmes de l’équipement sportif est confiée au service d’études touristiques de la S.C.E.T.O. Une étude de l’Institut de Géographie aborde les aspects physiques et humains de la mise en valeur des ressources naturelles. Le 27 juin 1966, un accord avec la SO. G.R.E.A. H, aboutit à un rapport en cinq volumes qui suscite de très vives controverses et de nombreuses critiques de la part des élus locaux et des personnalités politiques de la région à cause de deux recommandations : le respect de la distance de 500 mètres entre la première construction et le rivage, et la limitation de la capacité d’accueil de la population touristique en vertu de la capacité de charge à la mode à l’époque. De plus, cette étude a réduit considérablement les possibilités de la région depuis le plan Marty. La SO. G.R.E.A.H. oppose 362 000 lits aux 760 000 prévus par le plan Marty, comme le montre le tableau suivant :

Tableau 25 : Comparaison des programmes Marty et SO. G.R.E.A.H.34

36Les recommandations de la SO. G.R.E.A.H. alors que la S.A.T.E.L. se lance dans l’opération de Seignosse sont assez mal accueillies. Le Préfet de Région se fait alors l’écho de la colère des notables. Le 28 novembre 1967, le Conseil Général des Landes vote la motion de protestation contre « les conseils incongrus de la SO. G.R.E.A.H. qui vont à l’encontre des lois les plus élémentaires du marché ». L’impatience des investisseurs et des groupes financiers est importante car ils sont pressés d’investir. Le Préfet de Région réagit en demandant un compromis : il affirme qu’il faut s’insérer entre la conception réaliste et commerciale, et la conception idéaliste et naturaliste « comme les deux ont raison, il faudra sans doute tenir compte des deux »35. Il formule en fait quelques grands principes qui servent de base à l’action de la M.I.A.C.A.

37Le troisième point insiste sur l’aménagement de stations touristiques en milieu rural à travers notamment la création de stations vertes. Un premier programme est réalisé par le Préfet des Landes, Y.-B. Burgalat, qui est accueilli de manière assez enthousiaste par les ministères concernés tels que ceux de la Jeunesse et des Sports, de l’Agriculture, de l’intérieur et du Tourisme. La création nationale en 1964 du label « Stations vertes de Vacances » permet à l’Aquitaine d’assurer une publicité reconnue et efficace à une quinzaine de ses communes de moins de 10 000 habitants qui disposent néanmoins d’un minimum d’équipements.

38Le dernier point concerne les perspectives d’équipement de la Côte Aquitaine dans le cadre des crédits du V^ème Plan. Le Groupe Central veut effectuer l’inventaire des opérations susceptibles d’être réalisées avant 1970. Par ailleurs, en même temps que le Groupe réalise ces études, les projets se multiplient sur divers point du littoral et plus particulièrement sur un secteur de la côte médocaine celui de Lacanau-Carcans-Maubuisson.

39En 1967, alors que la création d’une Base de Plein Air et de Loisirs est déjà en projet sur le site de Bombannes, des études pour la création d’une station de vacances à Maubuisson sont entreprises sur l’initiative de la Caisse Nationale des Retraites Ouvrières (C.N.R. O) qui songeait à investir dans l’immobilier. Ces études vont jusqu’au concours entre équipes d’architectes. Mais ces diverses propositions n’aboutissent pas car le Groupe Central estime qu’elles ne s’intégrent pas de façon cohérente dans les plans qu’il désire mettre au point et la réalisation de Seignosse-Le Penon provoque déjà assez l’inquiétude de tous ceux qui redoutent une accélération du phénomène d’urbanisation sur le littoral. La création d’un organisme coordinateur apparaît alors comme le moyen d’éviter l’irréparable. De plus, les réalisations souhaitées demandent des efforts financiers qui dépassent très largement les collectivités.

La Mission Saint Marc : un faux départ (1967-1970)

40A la fin des années Soixante, il s’agit pour le gouvernement non seulement de venir en aide à une région peu peuplée, de créer des infrastructures dans un espace jugé rural et dépourvu de dynamisme, mais aussi d’aider financièrement à la réalisation de projets dépassant les possibilités des collectivités locales. Le pouvoir central décide alors de transformer le groupe d’étude en mission interministérielle sur le modèle de celle du Languedoc-Roussillon. Mais la conception de l’aménagement de Ph. Saint Marc et les problèmes administratifs font que l’aménagement est très lent à se mettre en place.

Le tourisme, instrument de l’aménagement du territoire : la naissance de la M.I.A.C.A.

41La volonté gouvernementale de retenir dans l’Hexagone les devises françaises et européennes qui fuient vers l’Espagne, et la préoccupation régionale en proie au problème de l’emploi et de la crise agricole, font que le tourisme paraît porteur du décollage de l’Aquitaine. L’aménagement touristique a atteint son apogée lorsque de simple outil de complément, il est devenu instrument clé de l’aménagement du territoire et donc novateur dans les domaines juridiques, architecturaux et écologiques. Le contrôle des flux touristiques par un développement rationnel et la promotion économique de la région sur un tourisme à dimension industrielle sont les maîtres mots d’une nouvelle institution.

a- Le décret de création de la M.I.A.C.A.

42Dans une lettre du 19 mai 1967 envoyée à la D.A.T.A.R. au ministre délégué auprès du Premier ministre chargé du Plan et de l’Aménagement du Territoire, le Préfet de Région, Gabriel Delaunay expose ses vues et ses inquiétudes sur le projet de décret transformant le groupe en une mission. Ce dernier n’est pas convaincu de l’opportunité de ce changement administratif sur lequel il émet des doutes et cela peut paraître paradoxal puisque c’est une mesure réclamée en avril 1965 par son Groupe de Travail Régional qui conclut dans un rapport que « c’est à la Mission Interministérielle qu’incombera le rôle d’étudier dans son ensemble l’aménagement touristique de la côte, d’établir un programme d’équipement complet intégrant les stations existantes et les stations nouvelles et de dresser un programme définitif prioritaire »36. Cependant, ce rapport est élaboré avant la création du Groupe Central, ce dernier répondant ensuite aux attentes de ce groupe régional. Pour G. Delaunay, la transformation du groupe en mission rend les inconvénients supérieurs aux avantages. C’est pourquoi il pense qu’il suffit de renforcer les moyens d’action mis à la disposition des organismes existants, ce qui permet de conserver des structures plus souples et plus légères pour éviter un alourdissement des procédures, d’autant plus inévitable que cette mission implique un effet plus centralisateur. Ce projet se conjugue mal avec l’amorce de régionalisation, surtout en matière d’investissements et d’aménagement du territoire.

43Ensuite, le Préfet d’Aquitaine expose certaines réserves au sujet du projet de décret. Quatre articles du projet de décret ne satisfont donc pas G. Delaunay. Le premier concerne l’article 2 relatif à la composition de la Mission qui ne prévoit au titre des représentants de la région que les Préfets de la région Aquitaine et des Landes. Il souhaite que la représentativité de la région soit davantage assurée par la présence au sein de la mission du chef du service régional de l’Equipement (J.-B. Philippon37) et l’Inspecteur Général de l’Agriculture, des Eaux et des Forêts qui participent déjà aux travaux du Groupe Central. Ces deux acteurs régionaux ont donc été admis à titre permanent et consultatif. De même, si l’ordre du jour d’une séance intéresse particulièrement d’autres chefs de services régionaux, la Mission a la possibilité de demander à ce qu’ils soient entendus. Le deuxième article est le numéro 5 qui prescrit la consultation de la Mission et son avis pour tout projet d’aliénation, de concession ou de création de terrains ou de biens (déboisements, voies routières ou de navigation) : il apparaît aux yeux des élus locaux comme un réflexe trop centralisateur en générant des délais qui risquent d’être trop excessifs et paralyser la région. De plus, il apparaît comme un texte de méfiance à l’égard des autorités locales et de leurs compétences. C’est pourquoi une procédure simplifiée est mise au point pour les projets ne soulevant pas de difficultés particulières. Ensuite, le projet de l’article 6 prévoit, lors de la préparation des programmes, l’information et la consultation des collectivités locales sur les travaux d’aménagement par les Préfets départementaux, oubliant de mentionner le Préfet de Région. La version définitive répare cet oubli. La dernière observation porte sur l’article 7 qui, au départ, ne prévoit pas l’intervention des services régionaux dans l’instruction des affaires, dans les études et la conduite des travaux qui sont strictement assurées par les services centraux des ministères.

44Le 22 mai 1967, la D.A.T.A.R. annonce la transformation du Groupe Central et la création de la M.I.A.C.A.38. Le décret du 20 octobre 196739 instaure la M.I.A.C.A. Ses statuts diffèrent en quelques points de ceux de la M.I.A.T.L.L.R.

45Elle est « chargée de définir le programme général d’aménagement de la Côte Aquitaine, d’en déterminer les moyens d’exécutions et d’en suivre la réalisation par l’Etat, les collectivités publiques, les collectivités locales et par tout organisme public ou privé agissant avec l’aide de l’Etat ou sous son contrôle » (article 4). L’article 3 prévoit que « la durée de l’exercice de la Mission est fixée à trois ans à compter de la publication du (présent) décret ». Ensuite, ce texte prévoit un président de mission (article 2) désigné par le Premier ministre, sur proposition du ministre délégué auprès du Premier ministre chargé du Plan et de l’Aménagement du Territoire. Ce président n’est autre que le président du Groupe Central Interministériel d’Etudes créé en 1966, Philippe Saint Marc.

46Tout au long du décret, la M.I.A.C.A. est définie comme une mission d’aménagement, ce qui est important car elle n’a pas seulement un but touristique mais un but de développement et de mise en valeur à la fois de la façade littorale mais aussi de l’arrière-pays qui n’est pas oublié. Si la côte reste une priorité, c’est parce qu’elle peut entraîner le développement du reste de la région, par un effet d’entraînement.

47Peut-on comparer la Mission Aquitaine à la Mission Racine du Languedoc-Roussillon ? Les deux décrets se ressemblent dans beaucoup de leurs articles, dans leur structure d’ensemble, leur durée et leurs objectifs, les différences apparaissent par la suite dans leurs principes directeurs d’aménagement. En 1967, ces schémas d’aménagement ne sont pas encore établis, même si l’on prend conscience que les erreurs de la Mission Racine ne sont pas à refaire, et leurs divergences résident au début dans leur composition : la Mission Aquitaine comprend les trois Préfets départementaux et celui de Région ainsi que le directeur régional de l’Equipement tandis que la Mission Racine ne dispose que du Préfet de Région. De plus, l’Office National des Forêts (O.N.F.) est un nouvel intervenant même si la Mission Aquitaine n’a pas officiellement d’appareil technique ou administratif régional. Seul un petit noyau d’études suffit au départ pour laisser la responsabilité des réalisations aux administrations traditionnelles. Cette Mission est donc un organisme plus simple que celle de la Mission Racine qui peut réaliser des opérations de grande ampleur. En effet, nous avons vu que le cadre administratif et réglementaire pour le tourisme présente de nombreux défauts, notamment à cause d’un émiettement du pouvoir réel en matière touristique et de la multiplicité des organes et de leurs procédures d’intervention qui ne facilitent pas la coordination des actions et la conception d’une politique cohérente sur le plan national. Cet organe de coordination et d’impulsion permet de rassembler les initiatives et les moyens des collectivités locales et des ministères qu’elle met au service d’une idée.

48Le décret du 20 octobre 1967 a considérablement élargi le périmètre d’action de la Mission en y incluant le département des Basses Pyrénées (sur la demande des élus). Cependant le décret ne définit pas ce qu’il faut entendre par Côte Aquitaine, une telle définition étant a priori difficilement délimitable. De même, il est apparu à la mission qu’une extension excessive de son champ d’action présente de multiples inconvénients mais à l’inverse, il n’est ni possible, ni souhaitable de cantonner ces interventions à la seule frange littorale. Aussi, deux zones sont distinguées :

• l’une dite prioritaire c’est-à-dire la zone maritime et lacustre où l’action de la Mission procède à des interventions généralisées,
• l’autre dite d’actions localisées c’est-à-dire l’arrière-pays où la Mission réalise seulement quelques opérations ponctuelles d’importance limitée.

49De plus, l’article 4 du décret du 20 octobre 1967 prévoit que la Mission doit travailler en liaison avec la Commission Interministérielle de l’Aménagement Touristique de l’Espace Rural ce qui montre que l’arrière-pays n’est pas oublié ainsi qu’avec la Commission Interministérielle d’études des Conditions Générales d’Aménagement Touristique du Littoral. A la différence de la Mission du Languedoc Roussillon, c’est donc un aménagement en profondeur qui est préconisé tout en mettant le littoral en valeur.

50Elle est chargée de préparer les décisions gouvernementales en matière d’aménagement régional et d’en contrôler l’exécution. C’est un organe central dont le champ d’action est régional. Fonctionnant comme un échelon de conception et de coordination, et non comme un service administratif, elle a une compétence globale pour toutes les formes d’aménagement. En effet elle n’est pas limitée à une action purement touristique puisqu’elle peut intervenir pour le développement de l’agriculture, de l’artisanat et de l’industrie au même titre que pour l’aménagement touristique. Théoriquement les compétences de la Mission sont donc très larges puisque certaines opérations conjuguent développement touristique et réanimation des activités économiques.

51La Mission se définit comme « un service administratif assimilable à un cabinet ministériel ». Elle n’intervient pas elle-même sur le terrain mais elle « conçoit, coordonne, incite et fait-faire ». Elle confie les réalisations aux départements, communes, syndicats mixtes et aménageurs privés. Elle subventionne les réseaux primaires réalisés par les collectivités locales et les équipements de superstructures utiles à l’animation des stations. Elle est donc caractérisée par une certaine souplesse.

52La M.I.A.C.A. relève administrativement du Premier ministre et fonctionnellement de la D.A.T.A.R. Elle est dirigée par un conseil interministériel formé de représentants de tous les ministères concernés (Défense, Agriculture, Intérieur, Equipement, Economie et Finances) qui se réunissent en présence du Préfet de Région, des préfets des départements littoraux, du Commissaire Général au Plan, d’un représentant de l’O.N.F., sous l’égide du président de la Mission.

53Les rapports de la M.I.A.C.A. avec les Préfets de Région, très importants pour établir l’aménagement de la Côte Aquitaine, ont fluctué selon la personnalité et l’intérêt pour le tourisme de chacun. G. Delaunay a fait l’éloge de Ph. Saint Marc et n’est donc pas lié à son successeur. Avec les préfets de départements, les relations sont plus constantes car leur aide est indispensable à l’avancement des projets.

54Pour réaliser les projets de la M.I.A.C.A., plusieurs options sont possibles comme la création d’une société d’économie mixte à l’instar de la Mission Racine : c’est une forme d’association de l’Etat, des collectivités, d’établissements semi-publics et de particuliers en vue d’une réalisation contrôlée par les pouvoirs publics mais de type commercial ou industriel, c’est-à-dire n’ayant pas toutes les contraintes administratives. Mais cette option engendre des réticences de la part des organismes privées car ils ne pensent pas avoir leur part dans cette formule. C’est pourquoi un syndicat de collectivités est imaginé et constitué pour se réserver la maîtrise d’œuvre et ne susciter aucune suspicion Ainsi, on peut associer les communes ou le syndicat des communes, le département ou les départements et enfin, l’O.N.F. qui possède les terrains les mieux placés et les mieux préservés. Ainsi, le fonctionnement de la M.I.A.C.A. prévoit de faire travailler tous les acteurs régionaux et nationaux intéressés en répartissant par exemple les divers travaux dans une même station, les uns se chargeant des infrastructures essentielles tandis que les autres se répartissent la construction d’établissements selon leur nature.

55Pour l’élaboration des études, la M.I.A.C.A. fait appel à des organisations privées et publiques et notamment aux organismes d’étude régionaux. Néanmoins, l’exploitation complète des études réalisées, la définition des thèmes complémentaires de recherche et l’élaboration d’un programme d’aménagement impliquent un renforcement des moyens administratifs propres de la Mission, c’est pourquoi un groupe régional d’études placé sous l’autorité du Président de la Mission est installé à Bordeaux auprès du Préfet de Région au début de l’année 1968 et associant à la fois des techniciens, des administrateurs et des élus. Animé par un urbaniste en chef, M. Tagliani, le groupe régional comprend à temps partiel divers spécialistes : forestiers, fonctionnaires du Génie rural, géographes, architectes, paysagistes... Le groupe se tient en contact permanent avec les personnalités, notamment de l’université de Bordeaux, auxquelles des études sont confiées. Son rôle est de confronter les conclusions de ces études ainsi que celles résultant des travaux entrepris par les administrations intéressées ; de faire apparaître, en cas de discordance, les choix à faire et éventuellement les points à étudier de façon plus approfondie. Il doit aussi préparer les synthèses et les bases du projet de programme d’aménagement. Ce groupe régional travaille en étroite collaboration avec un atelier d’aménagement et d’urbanisme chargé de préparer le schéma de structure à partir du schéma d’aménagement, conceptualiser de nouvelles stations et préparer les opérations sur le point d’être mises en place.

56Ainsi, l’organisation administrative de la Mission se divise en deux pôles : à Paris, la Mission et son président dispose d’une petite équipe de consultants et de personnalités qui réfléchissent sur les orientations générales de l’aménagement aquitain et à Bordeaux, un groupe régional d’études est chargé de mettre en forme une synthèse finale grâce aux diverses enquêtes. Ainsi, jusqu’en 1970, l’organisation administrative de la Mission était schématiquement assez simple.

57La M.I.A.C.A. fonctionne avec un minimum de personnel pour assurer des responsabilités sans cesse plus lourdes. Les frais de fonctionnement sont donc limités. En 1969, les frais de personnel et de matériel s’élèvent à 300 000 francs, mais ils ne comprennent pas les frais de déplacement et ceux de réception ou d’accueil. De plus, à l’exception de M. Tagliani et M. Aulnay et du personnel de secrétariat, toutes les personnes prises en charge au titre de la Mission travaillent pour elle à temps partiel. Les rémunérations du personnel dépendent du rattachement de chaque intervenant, et les personnes venues en collaboration ne bénéficient pas d’indemnités :

• M. Tagliani, urbaniste en chef est payé par le ministère de l’Equipement auquel il était rattaché,
• M. Aulnay, adjoint administratif, est payé par la Compagnie d’Aménagement des Landes de Gascogne qui le met à la disposition de M. Tagliani,
• Mme Beauregard, la secrétaire, bénéficie d’un contrat d’études confiées par le ministère de l’Agriculture à travers la Compagnie d’Aménagement des Landes de Gascogne,
• M. Huetz de Lemps est payé par un contrat passé avec l’I.G. N,
• Les autres fonctionnaires comme M. Berthet, chargé d’assurer le secrétariat de la Mission, M^elle Misset secrétaire à plein temps ou M^elle Guignier chargée des relations avec la presse, sont généralement rémunérés par la D.A.T.A.R. soit par des contrats passés directement avec elle, soit sous des contrats dépendant de cette Délégation40.

58Le Secrétariat général parisien comprend un adjoint administratif et financier chargé d’assurer le secrétariat de la Mission, une secrétaire, une attachée de presse, chargée de publicité, des relations avec la presse et de l’organisation des voyages.

59L’Atelier d’aménagement et d’urbanisme est constitué par M. Marty, architecte-urbaniste, M. Sgard, paysagiste, M. Lajus, architecte, M. Aubert, architecte-urbaniste, M. Coche, conseil en aménagement, des dessinateurs, des économistes comme J. Lajugie41 et des géographes comme H. Enjalbert et d’autres personnalités pour apporter une caution scientifique comme R. Escarpit, M. Cayron, spécialiste du tourisme social, M. Dubarry, professeur de médecine. Cet atelier doit réaliser différentes études d’orientation générale de l’aménagement de la Côte Aquitaine, décider de la vocation des différentes zones d’accueil, concevoir les différents types de station, proposer la création ou le développement de certaines stations, assurer la liaison avec l’arrière-pays, étudier les mesures de sauvegarde environnementale et proposer les grands principes d’urbanisme42.

60Une note du 26 octobre 196743 propose pour renforcer la structure et l’efficacité d’affecter un fonctionnaire soit un urbaniste en chef soit un ingénieur des Ponts et Chaussées, installé à Bordeaux pour assurer la liaison entre l’équipe parisienne et l’équipe bordelaise. C’est donc un rôle de Secrétaire Général qui est demandé mais qui n’apparaît que bien plus tard.

Tableau 26 : Organigramme de la M.I.A.C.A. en 1970

b- Ses atouts et ses handicaps

61La Mission possède deux atouts majeurs : les décisions qu’elle prend sont marquées du sceau de l’autorité de l’Etat et elle a la capacité de distribuer des subventions sur son budget. Mais elle doit faire face à quatre obstacles : le problème de la création d’une adhésion pour le changement, le poids du notabilisme par lequel les jeux d’influence et les dérogations risquent de mettre en échec les principes du schéma, le problème de la maîtrise foncière et la promotion du schéma auprès des investisseurs.

62Du point de vue financier, la M.I.A.C.A. ne dispose d’aucun crédit propre jusqu’en 1970 et elle est financée au « coup par coup » pour des opérations particulières par l’intervention des crédits du Fonds Interministériel pour l’Aménagement du Territoire (F.I.A.T.)44 et de divers ministères disposant de réserves nationales comme celui de F Agriculture par exemple. Cependant, la Mission a obtenu depuis 1966 plus de 30 millions de francs de crédits du F.I.A.T. qui permettent de financer un certain nombre d’opérations avant même que le programme ne soit définitivement adopté.

63Cependant, la grande faiblesse de la M.I.A.C.A. vient du fait que née au milieu du V^ème Plan, celui-ci ne lui accorde aucun crédit. En fait, elle ne peut gérer directement aucun crédit mais par le moyen des décisions d’affectations qu’elle prononce, elle peut disposer de trois catégories de ressources : les crédits inscrits au budget des charges communes du ministère de l’Economie et des Finances (seulement pour le VI^ème plan en 1970), les crédits réservés figurant au budget des divers ministères concernés et enfin, les allocations du F.I.A.T. le plus souvent pour des gros travaux ou des études techniques. Elle ne dispose alors que de 30 millions de francs pour quatre ans dont une bonne part est prévu pour la réalisation des études. En comparaison, au V^ème Plan, la région Languedoc-Roussillon a bénéficié en 1967 d’un côté, de 748 millions de francs pour son aménagement régional et de l’autre, d’un ensemble d’investissement de l’ordre de 700 millions de francs.

64Ainsi, jusqu’en 1970, la M.I.A.C.A. n’a aucun moyen de financement particulier à sa disposition. Son rôle se limite, si l’on peut dire, à donner l’impulsion aux administrations compétentes, à coordonner leurs interventions et à proposer au gouvernement le financement des équipements présentés par les collectivités locales et qui sont approuvés par des services techniques compétents (O.N.F., SO. G.R.E.A.H.) et qui doivent être conformes au plan général d’aménagement. Cette méthode paraît la plus efficace pour ne pas entraver les initiatives locales car les acteurs de la M.I.A.C.A., et surtout son président, sont conscients que l’aménagement de l’Aquitaine n’a de sens que s’il était voulu par les populations et les responsables locaux.

Le Plan Saint Marc

65Avant qu’il ne soit promu président de la Mission, Philippe Saint Marc est connu pour ses positions humanistes et hors du commun en matière d’aménagement. En effet, il met l’accent sur des problèmes écologiques dont personne ne se soucie encore à l’époque et de ce fait, il apparait souvent comme un rêveur mais aussi un alarmiste en matière de protection de la nature. Son opposition au Schéma d’Aménagement de la Région Parisienne décidé par P. Delouvrier et son action pour la création d’un Comité de Sauvegarde de la Haute Vallée de Chevreuse sont matricielles45. L’expérience de la M.I.A.C.A. constitue pour Philippe Saint Marc une occasion de mettre à profit ses idéaux humanistes. Il marque la mission d’un esprit général qui la différencie profondément de la Mission Racine : l’objet de la Mission est alors d’intégrer l’homme à la nature par la protection du milieu naturel, de favoriser l’accès de la nature au plus grand nombre par la socialisation de celle-ci et de promouvoir l’homme par la culture et la restauration du patrimoine architectural.

66On peut parler de plan Saint Marc car Ph. Saint Marc le dit lui-même : « ce programme d’aménagement je l’ai conçu de manière à appliquer directement mes idées »46. Ce programme met en avant un développement qualitatif et extensif plutôt que quantitatif et intensif.

a- Philippe Saint Marc et le développement durable

67Le premier président de la M.I.A.C.A. est Ph. Saint Marc, énarque marqué par une culture technicienne et professionnelle démocrate-chrétienne47, conseiller à la Cour des Comptes, et théoricien radical de l’écologie politique face au mal libéral48.

68La caractéristique essentielle de la Mission est le discours qui l’encadre. Il est influencé par la montée de l’écologie et de l’éco-développement dans la fin des années Soixante. Ce discours, développé par Ph. Saint Marc inspire la philosophie du schéma d’aménagement de la Côte Aquitaine.

69Le concept de développement durable est l’un des faits essentiels de la seconde moitié du XX^ème siècle. Alors que la croissance est un concept quantitatif qui veut que le progrès soit un changement d’état, celui de développement est qualitatif incluant le progrès social, technique et culturel. Le concept de développement durable part de l’idée que la croissance économique peut contribuer à la protection de l’environnement en liant économie et social mais aussi environnement et éthique. En 1987, la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement (C.M.E.D.), créée par l’O.N.U. en 1983, publie Notre Avenir à tous qui est une stratégie de développement à long terme intégrant les problèmes environnementaux. Ce rapport Brundtland rend célèbre le terme de développement durable ou soutenable49. Le développement touristique durable est une application aux activités touristiques de l’Agenda 21, mis en place lors du Sommet de la Terre à Rio, le 14 juin 1992 pour dépasser le concept de croissance zéro émis par le Club de Rome en 1972. Le tourisme durable est défini comme l’évolution qui prend en compte les intérêts des accueillants et des accueillis dans une région donnée. Toutes les activités menées dans la zone d’accueil doivent être compatibles avec la capacité de charge du milieu naturel. Une telle politique touristique a pour but d’assurer un bon fonctionnement écologique, économique et socioculturel durable à tous les niveaux50.

70Selon J. Mesplier Pinet51, l’objectif global d’une politique touristique durable doit être triple :

• la recherche d’une satisfaction optimale des besoins touristiques tout en prenant en compte les intérêts des populations résidentes,
• l’utilisation rationnelle des ressources naturelles ou humaines, afin d’assumer l’efficacité, la rentabilité des équipements touristiques mis en place,
• le respect de la qualité de l’environnement en imposant des normes de capacité de charges à certaines régions particulièrement menacées.

71Bien que ce terme ne soit apparu que dans les années Quatre-Vingt Dix, la pensée de Ph. Saint Marc peut être qualifiée ainsi tant elle est visionnaire et en avance sur son temps. Ph. Saint Marc pose ensuite dans Socialisation de la Nature52 les principes de son action qui sont précurseurs du développement durable qui allie équilibre entre développement économique et gestion écologique et équité entre générations présentes et futures. Il pose le principe de l’inversion des valeurs économiques, la primauté de la nature sur la machine et sur la ville. La nature doit apporter des services immatériels porteurs de développement humain. Son but est de « faire passer le bonheur de l’homme avant la recherche du profit... chercher autant la promotion du touriste que celle du tourisme ; en changeant la vie de loisir, changer l’homme lui-même ». Il donne alors quatre principes à la M.I.A.C.A. :

• intégration de l’homme dans la nature sans la détruire, protection du milieu et accès de la nature et droit à la nature,
• démocratisation de l’accès à la mer
• ruralisation du développement
• promotion de l’Homme par la culture et restauration du patrimoine architectural.

72Ph. Saint Marc résume aussi en une formule sa volonté : « ne pas installer la lutte des classes sur les plages ». La priorité est donc donnée au tourisme social, aux villages de vacances, aux campings et aux gîtes ruraux. Le programme prévoit des zones de nature sauvage, un parc naturel autour de la vallée de la Leyre. La lande intérieure doit se développer solidairement avec la côte. C’est le but de la réanimation de la vallée de la Leyre qui passe par la création d’un musée de traditions populaires de plein air à Sabres mais aussi la restauration de Fort-Médoc, des abbayes de Sorde et Arthous, la création du Musée de Sanguinet. Ph. Saint Marc fait le bilan de sa politique de cette manière :

« J’ai expérimenté cette politique de personnalisation de l’espace dans l’aménagement de la Côte Aquitaine dont j’eus la responsabilité comme Président de la Mission Interministérielle de 1966 à 1970, la plus grande expérience écologique d’aménagement du territoire sur 300 kilomètres de littoral, une surface de 22.000 km² de la Gironde à l’Espagne. Le projet établi par le ministère de l’Equipement se calquait sur l’aménagement alors entrepris sur la côte Languedoc-Roussillon, et sans tenir aucun compte de l’originalité de la côte aquitaine : concentration exclusive des équipements touristiques sur le littoral en sacrifiant l’arrière-pays rural, chaîne de stations bétonnant la plus grande partie du rivage de la mer et des lacs sous le signe du gigantisme et des tours, monstrueuse collection de Sarcelles sur Mer ! J’y substituai un programme humaniste approuvé par le gouvernement en 1969, fondé sur les virtualités exceptionnelles de la Côte Aquitaine comme dernière grande réserve européenne de nature côtière, d’une prenante et unique beauté. Personnaliser la Côte Aquitaine, c’était imaginer pour elle un développement selon trois principes alors nouveaux :
– intégrer l’homme dans la nature sans la détruire, grâce à trois vastes parcs littoraux sur 80 kilomètres, à de larges manteaux de verdure entre les stations et à une architecture à taille humaine,
– sauvegarder l’accès de tous à la nature par préservation des sites les plus sensibles,
– associer le littoral et l’arrière-pays dans une communauté de progrès en privilégiant les axes les plus favorables au développement rural que constituent les grandes rivières et les fleuves, offrant au touriste la double féerie de l’eau et du soleil »53.

73Le plan Saint Marc a comme idée fondamentale le refus de toute destruction de la nature par un programme de conservation de vastes zones naturelles. Toute construction est interdite sur les dunes et les rivages maritimes dans une zone de 100 à 500 mètres. Ce plan se veut en réaction au gigantisme de la M.I.A.T.L.L.R. et des projets médocains du plan Marty. Il prône donc un aménagement diffus pour éviter la constitution d’un « mur de béton ». L’aspect le plus important est l’équilibre nécessaire entre le littoral et l’arrière-pays. Cette période 1966-70 jette les bases d’une philosophie de l’aménagement, proche de la notion de développement touristique durable. Cette avance sur son temps lui vaut le reproche de l’idéalisme de sa conception, son caractère timide, intellectuel et anti-économique dans une période de croissance économique. En fait, il oppose une vision économique à long terme à une vision à court terme très rentable économiquement mais destructrice humainement et écologiquement.

74C’est une période de contestation du modèle de développement linéaire de l’urbanisation en parallèle au rivage. Le schéma prétend prévenir les maux suscités par cette croissance en fixant la règle du jeu du développement : la greffe sur l’existant en évitant la création de station ex-nihilo et les projets prometteurs économiquement sont repoussés.

75Dans ses ouvrages, il explique qu’à la fin du XX^ème siècle, chaque Français n’aura plus que 70 ares d’espace à lui. Selon lui, au rythme actuel de l’augmentation de la population et de l’urbanisation, l’habitant de l’année 2040 ne disposerait plus que d’un mètre carré. Il dénonce ainsi la véritable « paupérisation de l’espace », ce dernier devenant un bien rare de plus en plus recherché, c’est pourquoi il existe une véritable ruée vers ses endroits favorisés comme par exemple, la Côte d’Azur qui connaît de véritables annexions de rivages et où la plage publique devient une exception.

76Pour Ph. Saint Marc, partout en Aquitaine se fait sentir le désir de protéger la nature, de l’expliquer aux touristes et de s’appuyer sur ces derniers pour la sauver. En effet, l’Aquitaine a des atouts naturels exceptionnels que Ph. Saint Marc ne veut pas laisser gaspiller par des réalisations médiocres, banales et quantitatives alors qu’il est beaucoup plus important pour le long terme de rechercher un aménagement de qualité qui fasse de l’Aquitaine une réussite exemplaire. En effet, pour lui, la qualité du développement est aussi importante que la quantité, d’autant plus que la société de la fin des années Soixante commence à connaître les premiers problèmes liés aux cadres de vie insatisfaisants. Il veut que l’Aquitaine devienne un milieu d’accueil où les gens sont heureux.

b- Le plan Saint Marc

77Le 20 octobre 1967, G. Pompidou le nomme président de la M.I.A.C.A. Il prône une nouvelle philosophie de l’aménagement par des opérations diffuses et une protection rigoureuse. Ph. Saint Marc a un projet ambitieux « aménager ce vaste territoire pour atteindre son âme » comme l’a écrit F. Mauriac avant lui. Cette mission est une nécessité pour obtenir une action concertée et massive, définir une vocation et une identité à ce territoire isolé et aménager un territoire difficile à aménager. R. Marcellin, ministre du Plan et de l’Aménagement du Territoire déclare « Nous allons changer de vitesse pour la mise en valeur du littoral aquitain »54. Lors de la conférence de presse du 14 mars 1968 qui présente l’opération « Juin au soleil de l’Aquitaine » destinée à allonger la saison, Ph. Saint Marc déclare « le tourisme doit devenir en Aquitaine une véritable industrie et une industrie motrice. Il faut que l’accroissement des investissements touristiques soit créateur d’un supplément d’emplois et de revenus »55.

78Pour lui, « la Côte Aquitaine offre de grandes possibilités d’accueil au tourisme jusqu’ici insuffisamment utilisées » mais un certain nombre de projets doivent mettre l’arrière-pays au centre des futurs aménagements : « par kilomètre de plage, il y a trois fois moins de touristes que sur les autres côtes françaises et dans certaines vallées moins de sept habitants au kilomètre carré. L’aménagement ne portera pas seulement sur une simple bande littorale. L’action entreprise s’étendra selon les besoins jusqu’à 30 ou même 40 kilomètres à l’intérieur des terres, de manière à lier étroitement, dans une organisation cohérente et pour un progrès conjoint, les communes maritimes et celles de l’arrière-pays ».

79La M.I.A.C.A. bénéficie des études entreprises sur les départements de la Gironde et des Landes depuis plusieurs années déjà par le ministère de la Construction, puis dès 1964 par le Groupe de travail régional placé sous l’autorité du Préfet de Région et à partir de 1966 par le Groupe Central. La coordination des différentes études est assurée par le Groupe d’études d’aménagement de la Côte Aquitaine placé à Bordeaux et dirigé par M. Tagliani dont les travaux servent de base pour le projet de programme d’aménagement sur lequel la Mission délibère en décembre 1968 et janvier 196956. Ensuite, l’antenne régionale de la M.I.A.C.A. publie un Livre Blanc, rapport de synthèse approuvé par les collectivités locales et par la CO. D.E.R. à l’unanimité le 1^er avril 196957. Ce projet comporte trois tomes : un inventaire des ressources et des problèmes de la région (Tome 1), les orientations générales d’aménagement (Tome 2) et un tableau des objectifs à atteindre et des moyens nécessaires pour la période 1969- 1975 (Tome 3). Ce programme ne porte que sur la Gironde et les Landes car elles ont fait l’objet d’études préparatoires approfondies depuis le milieu des années 1960 tandis que pour le Pays Basque, l’état d’avancement des études ne permet pas encore la présentation d’un programme d’ensemble. Ce rapport de synthèse est soumis aux conseillers généraux et approuvé par le C.I.A.T. mais n’entre pas en application.

80Conformément aux principes de la SO. G.R.E.A.H., le plan Saint Marc58 prévoit six stations nouvelles à cinq cents mètres du rivage59 : trois dans les Landes (Seignosse, Moliets et Biscarrosse Plage) et trois dans le Médoc (Carcans-Maubuisson, Hourtin et Montalivet). Le parti d’aménagement retenu ici repose sur la protection de la nature à cause du capital exceptionnel en nature sauvage de la région qui représente un atout unique dans une Europe sans cesse plus urbanisée mais aussi une marque de son identité territoriale. La préservation et l’accès du public aux sites naturels les plus pittoresques doivent donc être pris en compte. L’organisation de l’aménagement de la côte doit se faire selon trois catégories d’axes de développement : la ligne du littoral maritime, la ligne des lacs intérieurs situés à quelques kilomètres en profondeur et les grandes rivières telles que la Garonne, la Leyre, l’Adour, le Ciron qui constituent des zones très propices à l’essor d’un tourisme rural. Deux axes longitudinaux parallèles à l’Océan apparaissaient donc (celle du littoral et des lacs) et un ensemble d’axes transversaux constitués par les grandes rivières quadrillant l’arrière-pays doit permettre un aménagement en profondeur.

81Ensuite, l’organisation des stations doit être conçue de façon polynucléaire, c’est-à-dire associant plusieurs noyaux donnant à la fois sur l’océan, les lacs et dans la forêt. Ainsi, cette forme associe les attraits du paysage et les agréments sportifs et climatiques du triptyque paysager. Un large espace forestier doit être maintenu entre les stations qui, en moyenne, doivent être distantes les unes des autres d’environ quinze kilomètres pour éviter une urbanisation linéaire ininterrompue le long du rivage.

82Nous avons vu que la desserte des stations est essentielle pour la croissance du tourisme. La M.I.A.C.A. intervient donc pour développer les moyens de communications terrestres, la construction de routes littorales longeant l’océan doit être évitée pour ne pas détruire l’unité du milieu naturel. La desserte longitudinale de la côte doit être possible grâce à une voie de circulation rapide située dans la forêt à l’Est des étangs girondins et landais et desservant le Bassin d’Arcachon en passant à l’Est des agglomérations riveraines. La création de bonnes liaisons transversales doit permettre la jonction entre les stations sur l’océan et cette vole rapide longitudinale. Les grands axes routiers transversaux reliant le littoral à Bordeaux et à l’arrière-pays nécessitent une amélioration et la portion de la R.N. 10 allant de Bordeaux à Bayonne doit être modernisée tout comme les relations entre le Nord Médoc et la zone de Royan doivent être facilitées car en dehors du bac entre le Verdon et Royan, cette zone est en cul de sac.

83L’accent est mis sur le tourisme social avec des bases de plein air comme Bombannes ou Hostens, des villages de vacances, des campings et des gîtes ruraux.

84La seule concession au gigantisme est le canal d’Aquitaine pour ouvrir une voie nautique intérieure avec des ports à Montalivet, Mimizan et Contis. Une très large part doit être faite à l’équipement nautique sur le littoral, les lacs et les grandes rivières et à la réalisation de bonnes liaisons nautiques. On projette un aménagement d’une chaîne de ports offrant des escales entre Royan et le Pays Basque. L’axe de développement lacustre peut, au cours des prochains plans, voir son attrait renforcé par la réalisation de communications à créer entre l’océan, les lacs girondins, le bassin d’Arcachon et les lacs landais. Ces plans d’eau intérieurs, jusqu’ici sans communication les uns avec les autres, peuvent constituer un ensemble lacustre uni de 40 000 hectares à comparer aux 40 000 hectares de l’estuaire de la Gironde. Un système nautique permettant la navigation sur l’ensemble de ces plans intérieurs peut être réalisé au milieu d’un paysage diversifié grâce à des systèmes d’écluses60. En dehors de son grand intérêt pour les touristes, ce canal transaquitain doit aussi attirer une clientèle propre et il peut se créer sur les rives des haltes et des petites stations nautiques pour valoriser l’ensemble de la région sans même compter l’intérêt résultant pour l’agriculture d’un meilleur drainage des bassins à vocation forestière et des perspectives d’irrigation possibles.

85De même, des objectifs de croissance touristique à moyen terme (1975 et 1985) sont établis pour connaître les capacités d’hébergement à prévoir d’ici 20 ans. Cette prévision est établie grâce à l’indicateur du nombre de touristes par mois (pour la saison allant de juin à septembre) dont l’accroissement annuel entre 1963 et 1967 a été de 4,67 %. L’accroissement dans les prochaines années risquant d’être beaucoup plus marquant, la Mission fixe comme objectif d’accroissement annuel de l’occupation touristique un taux de 6,67 % pour la période de 1967 à 1985, c’est à dire un taux de 42 % supérieur au taux enregistré pendant les dernières années. Ce taux donne alors deux objectifs à atteindre : 250 000 touristes par mois en 1975 et 480 000 pour 1985. Ensuite, grâce à ces prévisions, la Mission peut établir le nombre d’hébergement touristique nécessaire pour 1975 en prenant en compte la durée moyenne du séjour moyen mensuel dans les divers types d’hébergement des stations. Cette durée moyenne est de 22,5 jours, ce qui correspond, en supposant la fréquentation concentrée sur une durée équivalente, à un taux d’occupation global de 75 %. En prenant cette base, le nombre de places d’hébergement nécessaires est de 335 000 en 1975 et 640 000 en 1985.

Tableau 27 : Les objectifs de croissance touristique61

86L’objectif d’accueil retenu est compris entre 330 000 et 480 000 lits pour 1985, soit le double de la capacité d’accueil de l’époque évaluée en 1967 à 180 000 lits pour la zone d’action prioritaire. Ainsi, la capacité d’hébergement doit augmenter de 100 000 lits touristiques pour 1975 et de 350 000 pour 1985 par rapport à celle de 1967. Ainsi le programme de construction de 1967 à 1975 doit prévoir une croissance de 4,57 % par an soit moins que la croissance spontanée avant la création de la M.I.A.C.A.62.

87Ce plan n’est pas publié à cause du mécontentement de certains élus de la majorité qui trouvent inadmissible que des communes socialistes ou communistes soient favorisées par le schéma. La Mission gèle les espaces sensibles menacés par la pression touristique sous l’impulsion de son premier président qui manifeste son hostilité à toute destruction de la nature à des fins touristiques ou économiques. Il s’oppose au gigantisme des opérations de la M.I.A.T.L.L.R. et aux projets antérieurs en proposant un aménagement en profondeur liant les trois composantes du paysage. L’idéalisme de cette conception lui a longtemps été reproché ainsi que sa lenteur, sa modestie et son intellectualisme. La conception de Ph. Saint Marc d’un tourisme social et familial irrite de nombreux hommes politiques qui ne veulent pas voir la côte transformée en simple zone de vacances à bon marché et, de gros spéculateurs fonciers et promoteurs immobiliers dont les appétits sont déçus.

Carte 15 (page suivante) : Le Plan Saint Marc en 196963

c- Le développement du tourisme intérieur et l’équipement des stations

88Mais les représentants de la région, notamment le Préfet de région, G. Delaunay, s’opposent à un blocage de la croissance touristique : la mise en place d’un plan d’aménagement nécessite des études, des options techniques, une longue consultation des collectivités et une recherche des moyens de financement mais son attente ne doit pas devenir stérilisante pour la région, ce que compris rapidement la Mission et son président.

89L’impatience légitime des municipalités, pas toujours sourdes aux propositions alléchantes des lotisseurs et des spéculateurs et la désinformation des élus au sujet des problèmes d’aménagement et de respect de l’environnement, font peser beaucoup d’inquiétudes à propos de la Mission. C’est pourquoi, sous la pression de la demande, des opérations dites pilotes sont lancées avant l’élaboration du programme d’aménagement. Autrement dit, le plan est appliqué avant que celui-ci ne soit élaboré ! Ce qui constitue à la fois un risque à cause de ces opérations pilotes sur lesquelles la crédibilité de la Mission repose et un paradoxe.

90Des zones locales de réalisation sont détachées du plan d’ensemble. Les stations existantes ont eu le droit de se développer selon leur plan d’urbanisme et quelques points de fixation peuvent recevoir des installations nouvelles : dans les Landes, Seignosse et Soustons et en Gironde, deux zones sur les étangs de Carcans-Hourtin et de Lacanau. De plus, des actions intérieures dans les vallées peuvent être entreprises sans attendre : l’équipement de la Leyre, le centre de plein air d’Hostens et la base de plein air de Bombannes.

91L’équipement de la Leyre marque une expérience très intéressante de tourisme à bon marché dans une zone attrayante pour ceux qui recherchent le calme et un refuge naturel. Ph. Saint Marc s’attache particulièrement à ce projet et grâce à ses efforts, un financement est trouvé. L’action est, dès 1968, parfaitement coordonnée entre les syndicats intercommunaux des deux départements. L’aménagement des vallées de la Leyre constitue un autre exemple d’une opération réussie qui obtient des résultats. Ces vallées ne comptent que 25 000 habitants malgré leurs I 80 000 hectares. Grâce à l’action de la Mission, de l’Etat et les vingt-quatre communes concernées, mais surtout aussi de son président, de nombreux équipements sportifs complémentaires sont créés : piscine, village de vacances, centre hippique et d’initiation à la nature. Ces équipements constituent un réseau dense et varié qui permet de revivifier les villages de la Leyre, ne serait-ce que pour quelques mois même s’ils sont prévus, au départ, pour fonctionner à l’année. La création d’un Parc Naturel Régional des Vallées de la Leyre est décidée pour proposer des musées d’un style original : musée de la forêt, musée de plein air et musée de la batellerie conjugués à des centres d’initiation à la nature, à l’art et à la vie locale. Un musée de la vie rurale et un musée industriel et artisanal doivent être installés dans les bâtiments restaurés de fermes landaises typiques et dans d’anciennes usines dans lesquelles la vie d’autrefois est expliquée aux visiteurs.

92Dans les années Soixante, l’importance du nautisme s’est accrue et en quinze ans, elle s’est multipliée par cinq pour l’ensemble des bateaux et par huit pour la voile. C’est pourquoi, l’une des premières opérations entreprises est le port de plaisance de Capbreton mais c’est surtout l’idée d’une grande voie d’eau intérieure qui s’impose progressivement dans les esprits. Ce canal transaquitain doit s’étendre de la Gironde à Mimizan par trois tranches de travaux : la première, la moins difficile et donc la moins coûteuse car il ne s’agit que d’un simple élargissement, concerne les 27 kilomètres reliant Carcans à Arcachon. La deuxième joint Hourtin à la Gironde (35 à 40 kilomètres) et la troisième Arcachon à Parentis (20 kilomètres). Mais ce n’est pas la première tranche qui est étudiée en premier lieu mais la deuxième qui doit permettre un assainissement de la lande et une récupération de terres mal drainées. Cette opération justifie l’intervention financière d’un grand organisme international comme le F.E.O.G.A et dès 1968, un dossier est en cours d’étude à Bruxelles.

93L’exemple des opérations pilotes constitue une responsabilité importante pour la crédibilité de la Mission et de son président puisqu’il voit dans ces réalisations la possibilité d’amorcer un nouveau type d’aménagement à la fois rural et littoral.

94Les deux premières années sont consacrées à des études du programme d’aménagement basées sur une série de recherches confiées à des organismes publics et privés et à divers instituts de l’Université de Bordeaux ce qui fournit la base opérationnelle fondamentale. A partir de cette base, est élaboré le plan décrit ci-dessus.

95Un premier rapport au gouvernement sur l’activité de la Mission établit le montant des dépenses jusqu’en 1968 et propose des estimations64. Ces crédits s’élèvent alors à 16 945 000 francs attribués par le F.I.A.T. et 6 655 000 francs sont également apportés par les budgets ministériels, soit :

• Ministère de [’Agriculture : 3 775 000 francs dont 650 000 pour le tourisme.
• Ministère des Postes et télécommunications : 1 000 000 francs.
• Ministère de l’Intérieur (option tourisme) : 630 000 francs.
• Ministère de l’Equipement : 585 000 francs.
• Ministère d’Etat chargé des affaires culturelles : 420 000 francs.
• Ministère de la jeunesse et des sports : 170 000 francs.
• Commissariat au Tourisme : 75 000 francs.

96Globalement, 23 600 000 francs de crédits exceptionnels ont été ouverts depuis la création du Groupe Central. A ces dépenses s’ajoutent celles des années 1969 et 1970, ce qui représente en tout depuis 1967 la somme de 30 millions de francs étalés sur quatre ans. Les années 1969 et 1970 sont plutôt marquées par quatre grandes orientations :

• l’aménagement de la vallée de l’Adour avec un million de francs du F.I.A.T. pour la création de centres nautiques sur les rives de l’Adour et un total de deux millions de francs pour la voirie départementale,
• une participation du F.I.A.T. à hauteur de deux millions de francs pour permettre le financement des infrastructures de la base de plein air de Bombannes-Carcans,
• un aménagement pour 200 000 francs d’un centre touristique et culturel au château de Fort-Médoc,
• et enfin l’aménagement de la R.N. 652 dans les Landes à hauteur de 500 000 francs pour le F.I.A.T. et la même somme pour le ministère de l’Equipement.

97De plus, dès 1969, une politique de réserves foncières fut mise en place pour acquérir des terrains destinés soit à servir d’assise à des stations ou à des équipements publics, soit à être maintenu en espaces verts.

Tableau 28 : Les réalisations de la M.I.A.C.A. en 196665

Tableau 29 : Les réalisations de la M.I.A.C.A. en 196766

Tableau 30 : Les réalisations de la M.I.A.C.A. en 196967

98Pour Ph. Saint Marc, pendant pratiquement toute l’année, l’homme n’a pas souvent le temps d’acquérir de la culture, c’est pourquoi, pendant les vacances, l’homme reposé et libre de son temps est plus disponible pour se distraire : c’est alors à la région de retenir son attention par des réalisations telles que le premier musée de plein air de Marquèze dans les Landes ou des centres d’initiation à Arthous (archéologie) ou Hostens (environnement). Il s’appuie aussi sur la création de chantiers de jeunes68.

d- Les difficultés et la chute

99Les difficultés sont inhérentes à toute action d’aménagement de cette envergure mais elles pèsent parfois dans les avancées de la Mission. On peut classer ces problèmes en trois catégories : les problèmes de perception de la Mission, administratifs et économiques.

100Les problèmes de perception conditionnent ceux du dialogue avec les collectivités locales. L’action de la Mission doit permettre aux collectivités locales de prendre conscience de leur intérêt à long terme d’un aménagement global et cohérent de la région. Cette prise de conscience doit favoriser la création de syndicats intercommunaux et fournir des arguments pour éviter les opérations spéculatives et anarchiques. Cependant, l’image d’une mission jacobine venue donner des leçons de morale aux habitants et élus locaux est attachée à la Mission.

101Les problèmes administratifs reposent essentiellement sur l’élaboration du schéma général qui doit englober l’ensemble de la région pour ne pas susciter de jalousies mais également sur des problèmes de coordination de service dont les tâches peuvent empiéter sur celles d’un autre.

102En ce qui concerne les problèmes économiques, il s’agit essentiellement des problèmes du financement qui, année après année, se fait attendre des élus. De même, il faut parfois faire face à l’inertie de certains services, organismes ou collectivités.

103Pourtant, c’est essentiellement deux problèmes qui conditionnent la réussite de l’aménagement de la côte Aquitaine : la maîtrise foncière et le problème des infrastructures. Pour aménager, il faut réserver des zones aux équipements publics et de loisirs et protéger certains sites dont la faune et la flore sont en danger. Cette action provoque une importante spéculation foncière ce qui nécessite des moyens d’action juridiques, administratifs et financiers dont les collectivités publiques disposent mais insuffisants, notamment sur le plan financier. De plus, ces moyens ne sont pas toujours utilisés du fait de la pression de certains élus ou promoteurs, ou bien trop tard, et souvent sans le soutien des tribunaux et de l’opinion. Le jeu subtil des dérogations risque également d’entraver le plan d’aménagement : en achetant à bas prix des terrains déclarés inconstructibles par le schéma directeur, certains peuvent obtenir grâce à des amitiés politiques, une dérogation permettant de fructueux bénéfices.

104La faible densité de population en Aquitaine sur de vastes espaces explique son déficit en équipements primaires comme le réseau routier, les télécommunications, l’assainissement, le traitement des ordures ménagères, indispensables pour l’accueil des touristes et pour le développement économique et social de la région. Ces besoins sont donc prioritaires par rapport à des projets touristiques qui paraissent futiles à côté de ces nécessités vitales, ce que certains élus ou promoteurs ont du mal à accepter.

105En 1969, nous avons vu que le rapport de synthèse du programme d’aménagement est approuvé par les collectivités locales, par la CO. D.E.R. et par le C.I.A.T. mais il n’entre pas en application. En fait, ce schéma d’aménagement n’est pas publié car il provoque un grand mécontentement de la part de certains élus de la majorité (R.P.R.) qui trouvent inadmissibles que des communes de gauche, voire d’extrême gauche, soient plus favorisées qu’eux par le schéma notamment beaucoup de petites communes mais aussi des plus grosses telles qu’Arcachon ou Hossegor.

106S’opposant au gigantisme des opérations menées sur la côte du Languedoc-Roussillon et au projet Marty, Ph. Saint Marc s’est fait des ennemis qui lui reprochent à la fois son idéalisme, sa lenteur, sa modestie et son intellectualisme. En effet, depuis 1967, pour éviter tout dérapage et en attendant l’élaboration de ce schéma, nous avons vu que la Mission a gelé les espaces sensibles menacés par la pression touristique, ce qui limite les projets financiers des promoteurs et investisseurs. Certains élus locaux craignent que leur propre région, classée zone sensible, ne soit finalement privée des bénéfices du tourisme. De plus, sa conception d’un tourisme social et familial a le don d’irriter de nombreux hommes politiques et élus locaux qui ne voulaient pas voir la Côte Aquitaine transformée en une simple zone de vacances bon marché, mais aussi d’agacer les promoteurs et investisseurs immobiliers qui spéculent sur de potentielles opérations qui rapportent.

107Pourtant une note de 1968 rédigée par M. Berthet indique plusieurs pistes qui pourtant vont dans un autre sens : « l’objectif le plus évident est de spécialiser la Côte Aquitaine dans l’industrie touristique ce qui correspond à sa vocation et ce qui est possible grâce à l’implantation d’équipements bien répartis », « cette méfiance à l’égard du tourisme de masse, qui paraît en outre répondre de plus en plus aux aspirations des générations actuelles, ne signifie pas que l’Aquitaine sera réservée à un petit nombre de privilégiés par la fortune », « sa réalisation (celle du schéma) ne devait pas paralyser le développement de la Côte Aquitaine » et « C’est en étant différente qu’elle attirera ceux que la foule et l’artifice lasseront »69.

108L’affaire du lotissement des Hautes Rives70 sur la rive ouest du lac de Cazaux à Biscarrosse est la cause de la chute de Ph. Saint Marc, ou plutôt de son limogeage. Encouragé par la prévision d’une station nouvelle aux abords du lac, un projet de lotissements sur une centaine d’hectares appartenant à trois propriétaires de la commune de Biscarrosse, MM. Marsan, Taris et Landerouin pose des problèmes à la Mission. Cette opération propose la construction d’un millier de logements pour régulariser les lotissements sauvages et profiter de la saturation du Bassin d’Arcachon avec l’appui du S. I. VO. M. du Pays de Born dirigé par le Docteur Mirtin. Cependant, cette réalisation risque néanmoins de dégrader les hautes dunes boisées sur lesquelles on projette de construire, d’autant plus que la proximité de la base aérienne de Cazaux entraîne des nuisances. Parallèlement, le Ministre des Armées de l’époque, M. Debré, intervient pour défendre les implantations militaires menacées par le développement touristique incompatible selon lui avec le désir de silence et de repos des touristes71.

109En exprimant son désaccord le 5 novembre 1969 sur ce projet, Ph. Saint Marc cristallise contre lui de nombreuses oppositions, notamment celle du C.D.T. mais aussi des différents lobbies qui accusent le président d’être trop idéaliste. Son schéma d’aménagement gêne trop d’intérêts puissants qui fonctionnent en partenariat. L’affaire devient de plus en plus complexe et l’opposition autour de Ph. Saint Marc cherche à s’appuyer sur la personnalité politique de Jacques Chaban Delmas nommé Premier ministre depuis juin 1969. En effet, « il semble cependant acquis que le Premier ministre, ancien maire de Bordeaux, était gêné par le fait que la M.I.A.C.A. n’avait pas prévu plus d’installations touristiques dans sa région natale »72. Celui-ci développe depuis son arrivée à Bordeaux en 1947 un certain nombre de relations qui appuient son influence sans cesse croissante sur la ville et son leadership sur la région. En effet, selon J. Lagroye, « le système politique local se définit à Bordeaux par l’existence d’une forte personnalisation du pouvoir et par la collaboration, partiellement institutionnalisée, des élus entre eux et de la catégorie dirigeante avec les hommes politiques ; le député-maire de Bordeaux, pivot de ce système, en étant à la fois le garant et le principal bénéficiaire »73. De plus, l’hésitation de l’Etat, marqué par l’absence chronique de moyens financiers et humains, provoque un réel malaise dans les communes côtières : les discours généreux des représentants de l’Etat ne sont suivis d’aucune réalisation concrète sur le terrain au moment même où les élus languedociens tirent les premiers bénéfices de l’urbanisation de leur côte. Ce malaise est suffisamment puissant pour être ressenti comme un danger politique par les notables régionaux, d’autant plus que les idéaux de Ph. Saint Marc ne font plus l’unanimité. On lui reproche alors son humanisme qui ignore systématiquement les lois de l’économie qui obéissent, elles, aux lois de rentabilité du marché. De même, on s’étonne que des études de marché n’aient pas été faites et que les capitaux privés indispensables soient considérés avec une telle méfiance. C’est alors une véritable crise politique qui éclate, engageant partisans de Ph. Saint Marc contre promoteurs et élus locaux74. L’affaire s’envenime progressivement et Ph. Saint Marc est alors contraint de démissionner le 22 janvier 1970. En réalité, il s’agit d’un limogeage pur et simple car c’est le Conseil des Ministres lui-même qui décide brusquement de mettre fin à ses fonctions. Au même moment le préfet des Landes Y.-B. Burgalat est remplacé par M. Buchet.

La Mission Biasini : une véritable rupture (1970-1984)

110Sous l’impulsion de J. Chaban Delmas, maire de Bordeaux, « duc d’Aquitaine », devenu premier ministre en 197075, de G. Delaunay, préfet de Gironde depuis 1958 et d’Y. Glotin, à la tête de Marie Brizard et président de la Chambre de Commerce et d’Industrie, l’aménagement de la Côte Aquitaine prend un nouveau tournant mais qui met du temps à se mettre en place. De plus les créations du Comité d’Expansion Bordeaux-Sud Ouest en 1954-1955 et de la société de développement régional Expanso76 en 1957 ont ouvert de nouvelles perspectives de modernisation économique et d’aménagement du territoire et vont participer avec la M.I.A.C.A. à l’aménagement de la Côte Aquitaine. Ce volontarisme d’Etat mais aussi régional correspond à une nouvelle doctrine d’aménagement faisant du tourisme l’un de ses instruments. De fait, J. Chaban-Delmas cherche à régionaliser son leadership c’est-à-dire qu’il veut donner une dimension régionale à son entreprise de modernisation du tissu économique et des relations sociales77. Et comme le souligne Christophe Bouneau78 à propos de l’action bordelaise de J. Chaban-Delmas mais qui peut être étendu à « sa » région et son littoral : on peut voir dans la politique économique et sociale de J. Chaban-Delmas « une nouvelle synthèse de l’esprit girondin, dans toutes les acceptions du terme. Celle-ci se caractérise par la recherche permanente de l’équilibre, sinon du compromis, entre les impulsions données par le centre, parisien ou justement bordelais, et la réception/adaptation par le milieu local, avec la valorisation de ses identités, qui ne peut être assimilé à des périphéries ». Nous allons essayer de montrer que l’action d’E. Biasini79 est parfaitement conforme à l’action chabaniste à une autre échelle que celle de la métropole d’équilibre.

Le plan Biasini

111E. Biasini, nouvel élément chabaniste dans la région, fidèle à la gaullo-sociale démocratie du « duc d’Aquitaine » cherche à ignorer ce qui s’est passé pendant les années précédentes et veut lancer une nouvelle phase de l’aménagement qui permette la participation des Aquitains à cette mutation. Il veut donc donner l’impulsion centrale et déterminante mais laisser la réalisation aux autochtones dans la perspective du développement économique et social de la région. Il souhaite développer l’identité aquitaine et graver son action entre le respect de la tradition et la nécessaire innovation. Le nouveau président, qui réutilise quand même certains arguments de son prédécesseur mais d’une autre manière, se veut plus volontariste, fidèle à cette via media et parvient à ses fins par la neutralisation des associés-rivaux.

L’évolution de l’institution et de ses atouts

112Sous la présidence Biasini80, la Mission est organisée en deux pôles, l’un à Paris, 7 rue Marceau, sous l’autorité du président qui s’occupe des questions générales de promotion, d’architecture... et l’autre au Taillan Médoc, sous l’égide de l’Organisme Régional d’Etude de l’Aire Métropolitaine de Bordeaux (O.R.E.A.M. Bordeaux-Aquitaine) installée le 21 mai 1970 au château Lagorce. La M.I.A.C.A. est prolongée pour trois ans le 20 avril 1972. Le président se rend régulièrement en Aquitaine81. Il se considère comme un « super-préfet » auquel les autres préfets obéissent82.

113Puis le pôle aquitain est administré par un secrétaire général, nommé à partir de 1974, qui envisage les programmes, gère le budget et s’occupe des études. En avril 1974, le gouvernement détache sur place un secrétaire général, J.-P. Morelon, ingénieur des Ponts et Chaussées, ancien secrétaire du Groupe Central des Villes Nouvelles83. A compter du 1^er Juillet 1973, Ph. Chenel, administrateur en chef des Affaires d’Outre-Mer, est nommé pour suivre les actions de la M.I.A.C.A. dans les Landes.

114En Aquitaine, au château Lagorce84, la Mission est composée de J.-P. Morelon, secrétaire général, Ph. Chenel, A. Girard, J.-P. Staquet, B. Dussarps, M. Marty, chargés de mission, J.-P. Rimbert, Ph. Lescot, R. Matey, chargés d’études, Cl. Degieux, comptable, M. Mercier, paysagiste, B. de Loze, D. Eyquem, M. Castro, F. Coupe, F. Ferrer, F. Richard, C. Dagieux, secrétaires et M. Dupuy, chauffeur85.

115A Paris, au 7 rue Marceau dans le huitième arrondissement, la Mission se compose du président, E. Biasini, de P. Isaac86, R. Landry, J.-L. Aubry87, J. Modelin, chargés de mission, A.-M. Reysz, Cl. Donzel, assistantes d’études, M^elle Bouchet, secrétaire du président, M.-Ch. Milanese, J. Amrein, J. Fauquet, secrétaires, C. de Champorin, hôtesse et A. Robert, chauffeur du président.

116Une fois cette équipe à peu près fixée, E. Biasini refuse toute nomination « politique » c’est-à-dire de placer des gens recommandés par Ph. Madrelle, J. Chaban-Delmas ou A. Achille-Fould88. Les pouvoirs sont ainsi répartis entre le secrétaire général et le président : « j’ordonnais et il exécutait. J’ai toujours dit que quand je prenais une affaire j’étais responsable. Cela voulait dire que si demain ça ne marchait pas c’était moi qui serais pendu. Je prends tous les risques »89.

117En 1980, l’O.R.E.A.M. Bordeaux-Aquitaine est dissoute, l’antenne régionale devient totalement autonome. A partir de 1982, E. Biasini s’occupe du projet Grand Louvre et ne revient plus en Aquitaine : il laisse les secrétaires généraux gérer les affaires puisque l’aménagement est bien lancé90.

118C’est donc une administration très centralisatrice puisque l’impulsion vient de Paris : malgré une antenne aquitaine, la direction reste parisienne dans la droite ligne des conceptions de l’époque. La M.I.A.C.A. se caractérise par un pouvoir dominé par l’afflux des textes officiels, par un système de dérogation et par le principe du secret administratif.

119La M.I.A.C.A. permet d’avoir une vue d’ensemble de l’aménagement que les collectivités locales n’ont pas. La Mission est marquée par l’esprit non seulement de la D.A.T.A.R. c’est à dire « réussir un coup » et obtenir une image de marque mais aussi de l’administration de la France d’Outre Mer dont est issu le président E. Biasini qui croit en la légitimité de la Mission, l’esprit de corps et l’appui sur les notables. Parmi les élus locaux, d’aucuns ont trouvé un langage commun avec la Mission, leur objectif est d’entreprendre comme le Docteur Cales puis J.-P. Dufau, maires socialistes91 de Capbreton, M. Tessier, maire d’Hourtin, G. Pérondet, maire de Lacanau et J.-F. Pintat, sénateur maire de Soulac. Mais il ne faut pas oublier les dirigeants socialistes des conseils généraux, Philippe Madrelle pour la Gironde, Louis Darmanté puis Henri Emmanuelli pour les Landes qui sont fortement impliqués dans l’aménagement touristique. Certains élus ont pris leur distance mais jouent le jeu : on compte ceux qui se sont engagés dans des opérations difficiles et qui doivent trouver un compromis comme M. puis Mme Fournier, maires de Lacanau, M. Vigneau, maire de Carcans et A. Rigal, maire de Vieux Boucau, et ceux qui ne sont pas engagés dans de telles opérations et critiquent l’interventionnisme de l’administration comme la plupart des maires des petites communes du littoral et le maire d’Arcachon.

120Ce que l’on constate quand même c’est que les experts de la Mission sont des économistes ou des architectes qui ont une approche urbanistique, immobilière et non d’aménageur. Ils développent une analyse classique libérale, celle du coût-bénéfice qui consiste à mesurer le coût économique du tourisme pour une collectivité puis les bénéfices ce qui permet de décider de l’opportunité du projet. La mise en œuvre des programmes touristiques est confiée aux mêmes corps d’experts. Ainsi l’aménagement touristique est-il aux mains d’une technostructure qui mène une politique de l’offre qui consiste donc à construire. D’où le monopôle des fédérations du bâtiment, des services d’équipement et d’urbanisme de l’Etat et bien sûr des Ponts et Chaussées.

121En fait, comme toute institution, elle doit trouver une légitimité locale. Pour remédier à cela, la M.I.A.C.A. lance une politique d’animation entre juillet 1971 et 197492 dans le but de créer une vaste concertation qui, pour certains, apparaît comme une simple consultation93 : des animateurs disposant de moyens importants comme un système mobile de circuit télévisé présentent le contenu des esquisses d’aménagement, projettent le film Il sera une fois l’Aquitaine, organisent des réunions. Mais les élus sont agacés de découvrir en même temps que leurs administrés les contraintes d’un schéma imposé par la capitale. Dans l’ensemble, cette politique est assez mal reçue. Il s’agit de développer un soutien favorable au schéma d’aménagement et « de neutraliser les relais du leadership notabilisé »94. L’opération Octobre à Bordeaux, lancée en 197395, qui a pour thème la sculpture cette année-là, doit permettre la promotion de la mission en attirant hors-saison une nouvelle clientèle mais aussi des promoteurs, investisseurs, banquiers et journalistes. C’est un moyen pour E. Biasini de réaliser la foire à la musique qu’il n’a pu réaliser lors qu’il était à l’Action culturelle en réintégrant les rejetés de Malraux : Gaétan Picon, Pierre Boulez et Jean-Marc Barrault. Ce type d’opération a été lancé également en Suède, en Allemagne, au Royaume-Uni et au Canada car la mission y possède des antennes.

122Pour contrôler l’espace foncier et éviter une flambée de spéculation, la M.I.A.C.A. a fait mettre en place le 8 décembre 1970 par deux arrêtés préfectoraux une pré-Z.A.D. de 188 000 hectares soit 119 000 en Gironde et 69 000 dans les Landes96. Ensuite avec l’approbation des schémas d’aménagement doit s’effectuer le transfert du droit de préemption aux collectivités locales par les Zone d’Aménagement Différé (Z.A.D.) définitives portant sur 40 000 hectares délimités avant l’expiration de la pré-Z.A.D. le 16 juillet 1974 : 25 100 hectares en Gironde, 19 400 dans les Landes sont concernés. Enfin, l’Etat, les départements ou les communes procèdent aux acquisitions en fonction des besoins des maîtres d’ouvrage : 1 300 hectares pour un coût de 58 millions de francs.

Les procédures d’intervention et les moyens de la M.I.A.C.A.

123Les procédures sont de deux types : décisionnelles et financières. Dans le premier cas, c’est la M.I.A.C.A. en relation avec le C.I.A.T. qui, seule, intervient dans la définition des choix généraux. Dans la phase de conception, la M.I.A.C.A. formule des propositions auxquelles le gouvernement donne un caractère de décisions dans le cadre des réunions du C.I.A.T. Cette phase d’élaboration échappe totalement aux niveaux locaux et régionaux, associés à simple titre consultatif. Dans la deuxième phase, celle de mise en forme juridico-administrative des projets, chacune des esquisses d’aménagement doit être intégrée dans la procédure de mise en place des Plans d’Occupation des Sols (P.O.S.) et Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme (S.D.A.U.). C’est dans cette phase qu’intervient l’échelon local légitimant le programme décidé au niveau central. Dans la dernière phase, les administrations traditionnelles exercent leur droit de contrôle et les collectivités locales deviennent maîtres d’ouvrage. En fait, la M.I.A.C.A. s’interpose entre le niveau national et le système politico-administratif local.

124Dans le second cas, la M.I.A.C.A. dispose d’un budget annuel qui lui permet d’attribuer des subventions pour les équipements publics. Lors de la préparation annuelle du budget, la M.I.A.C.A. programme un certain nombre d’opérations. Dès que le montage des projets est prêt, elle déclenche le transfert des crédits correspondant au budget « charges communes » vers le budget du ministère compétent qui délègue ensuite ses fonds à l’autorité préfectorale97. Son budget a quintuplé en cinq ans : en 1970, la M.I.A.C.A. dispose d’un budget de 13,7 millions de francs, 28 millions en 1971, 40 millions en 1972, 41,5 millions en 1973 et 45 millions en 1974. Dans le financement des travaux d’infrastructures, la part des collectivités territoriales a été de 70 % contre 30 % pour l’Etat à travers la M.I.A.C.A. comme le montre le tableau suivant :

Tableau 31 : Financement des travaux de 1970 à 1974 (en millions de francs courants)98

Nature des travaux	Montant	Subvention de la M.I.A.C.A.	% de subvention de la M.I.A.C.A.
Génie sanitaire
Hors collecteur du Bassin d’Arcachon	85,8	35,4	41,2
Y compris le collecteur	202,3	44,9	22,1
Voirie	38,5	19,4	50,3
Equipements touristiques	77,5	32,9	42,4
Autre (eau, téléphone)	20,3	9,3	45,8
TOTAL
Hors collecteur	222,1	97	43,6
Y compris	338,6	106,5	31,4

125Le principal outil d’aménagement mis au point dans cette décennie est le zonage du territoire car la mise en œuvre d’une politique foncière constitue un outil efficace pour parvenir à la maîtrise du développement touristique. Les techniques les plus courantes sont alors la Z.A.D.99, la Zone d’Aménagement Concerté (Z.A.C.)100 et le P.O.S. pour permettre l’intervention de l’Etat et la réalisation des objectifs fixés. Nous avons déjà vu le processus de pré-Z.A.D. et de Z.A.D. définitives.

Un homme de réseau et un bâtisseur au caractère carré

126A partir du 24 février 1970101, le nouveau président, Emile Biasini102, gaulliste de gauche, ami de Jacques Chaban-Delmas, marqué par sa formation humaniste à l’Ecole Nationale de la France d’Outre Mer donne une nouvelle impulsion décisive marquée par une via media, devant apporter en Aquitaine la « nouvelle société » prônée par J. Chaban-Delmas qui se définit comme « un coéquipier efficace tout en demeurant discret »103. Il s’insère donc dans le système Chaban en Aquitaine et s’ajoute au nouveau trio qui dirige la région : J. Chaban-Delmas, Y. Glotin et Daniel Doustin104 qui remplace le préfet G. Delaunay. Tout comme J. Chaban Delmas, il va mobiliser certaines ressources personnelles persuasives et user de son capital relationnel. En effet, il entretient également de bonnes relations avec les frères Moga, rugbymen, « garde prétorienne »105 de J. Chaban-Delmas.

127L’expérience matricielle de ce haut fonctionnaire modernisateur notamment en Afrique se manifeste par « une expérience de terrains, le goût du risque, de la responsabilité, du pouvoir et des grands projets, la débrouillardise budgétaire, le pragmatisme, le talent de négociation, la capacité d’entraîner les bonnes volontés et faire travailler des professionnels de diverses origines, l’esprit commando pour imposer un projet innovant, l’imagination et le sens de l’Etat »106.

128E. Biasini a une réputation de bulldozer qui connaît bien les rouages de l’administration pour mieux neutraliser ses adversaires. Laure Adler, conseiller du Président Mitterrand pour les Affaires Culturelles, qui a suivi le dossier des grands travaux et notamment de la Grande Bibliothèque rapporte ce propos d’E. Biasini pour se définir : « Moi, je suis con, mais je construis ! Je fais avancer les choses ! »107 . Un élu local aquitain a dit de lui « il engendre toutes les passions, il irrite les uns et il charme les autres, mais de toute façon il est efficace »108.

129Après un intellectuel idéaliste et ses tâtonnements et actions ponctuelles, vient le temps du pragmatisme109 : pour le nouveau président, c’est le véritable point de départ de la mission, même s’il reprend quelques idées de son prédécesseur, avec un projet plus solide, des moyens financiers importants, condition sine qua non de son engagement, et des soutiens politiques de taille. E. Biasini définit sa mission ainsi : « aménager c’est organiser un espace pour en faciliter le développement et permettre à ses habitants d’en tirer un meilleur profit »110. Il ajoute « il faut sauver le visage mais aussi l’âme de l’Aquitaine et pour cela développer sa capacité touristique au bénéfice de ses habitants. [...] L’aménagement n’est en aucun cas un fait technique mais un fait culturel »111.

130Comme E. Biasini est un ancien fonctionnaire colonial puis directeur de l’O.R.T.F. pendant les évènements de mai 1968, il n’en faut pas plus pour que les adversaires de la Mission voient dans la Mission une œuvre civilisatrice de la colonisation112 mais aussi une mise au pas de la région.

131Le président Biasini veut ignorer l’action de la Mission Saint Marc et situe le début réel de son histoire à la création d’une ligne budgétaire propre. E. Biasini multiplie les provocations et les maladresses. Ainsi le 4 août 1970, E. Biasini veut « organiser un espace pour en faciliter le développement et permettre à ses habitants d’en tirer le meilleur profit » ce qui met en place la participation chère à J. Chaban-Delmas, intention louable, mais prononce la malheureuse phrase suivante, source de malentendus pour tout le reste de son mandat : « l’exploitation d’un immense gisement touristique » faisant du cadre naturel non plus un but de valorisation mais un moyen de quasi-industrialisation du tourisme113.

132Il reprend les idées de son prédécesseur tout en apportant une touche plus commerciale. Il comprend « que le tourisme pouvait devenir aussi dangereux qu’une exploitation pétrolière ou minière. Il est certes nécessaire à une prospérité économique et aussi parce que les autochtones usufruitiers d’un site merveilleux en privent ceux qui vivent dans des conditions moins agréables. Mais il aboutit à une corruption profonde du pays visité ; devenus des milliers, les jouisseurs d’un site exceptionnel finissent par détruire ce qu’ils venaient y chercher »114. Après sa visite de Lacanau, le 27 juillet 1970, il s’exprime ainsi : « pour chaque situation, il existe une dose létale de tourisme. Il faut la respecter, si l’on veut éviter qu’à coup d’aménageurs, d’ingénieurs, de promoteurs, de profiteurs, le pays bénéficiaire de ce qui était au départ une manne ne finisse par ressembler au produit sophistiqué qui uniformise les zones de vacances du monde entier »115

Le schéma d’aménagement de la Côte Aquitaine

133Au tâtonnement et à l’action ponctuelle de la Mission Saint Marc succède la volonté gouvernementale d’inscrire le projet touristique de la Côte Aquitaine dans un cadre plus solide.

134Le projet entre alors dans une phase d’étude : le 29 mai 1970, le Conseil Général des Landes réuni en séance extraordinaire se voit présenter le projet par E. Biasini puis le 29 octobre le projet est présenté pour être approuvé le 29 novembre. Le 8 décembre 1970, la préfecture des Landes réunit les maires concernés et les informe sur la mise en place de la Z.A.D.116. Le schéma d’aménagement de la Côte Aquitaine117 se met en place à travers les grandes décisions des C.I.A.T. comme celui du 17 décembre 1970 qui approuve les principes généraux du schéma d’aménagement avec trois grandes orientations :

• « faire participer l’exploitation touristique à la promotion économique et sociale du territoire intéressé par le développement notamment de la fréquentation en quantité et en durée,
• doter le territoire des équipements nécessaires tout en lui conservant son équilibre écologique et humain,
• permettre à ce territoire d’affronter la compétition touristique internationale en lui donnant une image de marque fondée sur la conjonction de l’océan, de la forêt et des lacs »118.

135En 1971, le président Biasini désigne des architectes de renommée nationale ou internationale119 qui doivent donner des esquisses de chaque U.P.A. avec l’aide d’architectes régionaux. Le 21 juin 1971, ils sont présentés au Conseil Général des Landes en séance extraordinaire. Il prolonge ainsi sous action culturelle et participe aux débats architecturaux de l’époque en étant toujours à l’avant-garde. L’U.P.A. 1 est sous la direction de X. Arsène Henry, grand prix de Rome, avec J.-C. Moreau, P. Maxwell et F. Duclos. L’U.P.A. 2 sous celle de G.M. Présente120 et J. Tournier. L’U.P.A. 3 sous celle de J. Belmont, architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux121 et J.C. Guene et M. Colombani. L’U.P.A. 4 sous celle de l’Atelier de Montrouge. L’U.P.A. 5 sous celle d’un atelier bordelais spécialisé dans l’habitat individuel P. Lajus, Y. Salier et A. Courtois. L’U.P.A. 6 sous celle de M. Madoz-Moussard et M. Dumont. L’U.P.A. 7 sous celle de L. Arretche, architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux, et J.-J. Prévost et F. Courrech. L’U.P.A. 8 sous celle de M. Breuer et J.R. Millies-Lacroix. Et l’U.P.A. 9 sous celle de Cl. H. Aubert et J.C. Lescourgues pour Hossegor-Capbreton et Port d’Albret, Ralph Erskine pour Moliets.

136Lors d’une réunion du 29 mars 1971122, E. Biasini leur explique leur rôle et sa vision de l’aménagement qu’ils doivent mener : « il s’agit d’ouvrir chaque zone à tout l’éventail possible des clientèles », « il faut d’abord une vue idéale puis la confronter avec les moyens spontanés et provoqués et le schéma d’aménagement », « la politique c’est moi qui la fait », « il s’agit de ne pas reconstituer le formalisme et la rigidité administrative »« il faut trouver la bonne distance entre le souhaitable et le vendable, à égale distance du tourisme lucratif et non lucratif », « la finalité n’est pas le tourisme mais la promotion et l’enrichissement des Aquitains » et « vos projets doivent être acceptés comme un produit du milieu où il se trouve ».

137Les équipes d’architectes responsables doivent avant le 30 juin 1971 proposer une esquisse d’aménagement. X. Arsène-Henry rapporte dans ses mémoires, le projet de « ville explosée » qu’il a conçu pour l’U.P.A. 1 : « Afin d’éviter la prolifération banlieusarde des agglomérations existantes et de donner des motivations de croissance à chacune tout en s’appuyant sur la situation actuelle, j’ai proposé de relier, par l’épine dorsale d’une voie rapide, les onze agglomérations du secteur en mettant en valeur leur originalité afin de confirmer leur vocation particulière dans l’aire de la ‘ville explosée’ : port de plaisance, port de pêcheurs, site touristique, centre artisanal, centre viticole et agricole (élevage), exploitation forestière et, de plus, implanter dans chacune de ces communes un équipement collectif à l’échelle de la population de toute l’aire : centre administratif marché, centre hospitalier, collèges d’enseignement, stage, aérodrome. Cela favorisera les déplacements et développera le sentiment d’appartenance à une entité plus large que la petite commune, entraînant un attachement plus profond des jeunes générations et générant par ces programmes plus justifiés des emplois »123.

138Le 20 avril 1972, le Schéma d’Aménagement de la zone Gironde-Landes est présenté à la CO. D.E.R. d’Aquitaine et approuvé par le C.I.A.T. qui débloque, sur dix ans, 530 millions de francs courants124. Cette esquisse de schéma, préparée par Ph. Saint Marc, a été présentée par son nouveau président E. Biasini ; à la conception humaniste et idéaliste du premier s’oppose l’objectif humaniste et commercial du second. Cette même année sur décision du Premier ministre J. Chaban-Delmas est créée une ligne budgétaire spécifique de l’aménagement de la Côte Aquitaine au ministère des Finances. Les grands desseins sont le plus souvent contestés alors que la Mission oppose l’aménagement concerté au laisser-faire.

139La grande originalité de ce schéma par rapport à celui de 1969 est la division en seize secteurs : à la diffusion des interventions prévue par Ph. Saint Marc, que l’on pense néfaste pour la nature puisqu’elle crée un mitage de l’espace, est opposée la délimitation entre secteurs urbanisés et espaces verts intermédiaires. L’effort d’aménagement doit donc être concentré en neuf Unités Principales d’Aménagement (U.P.A.) et sept Secteurs d’Equilibre Naturel (S.E.N.) entre le Verdon et Tarnos. Les U.P.A. doivent recevoir les moyens d’hébergement et les équipements structurants, et se confondent avec les stations existantes. Les S.E.N. correspondent aux forêts et aux marais, et comportent des villages aux activités agricoles ou touristiques marquées : ils doivent recevoir des équipements légers et des actions de protection. Ces U.P.A. et S.E.N. sont ensuite regroupés en cinq structures de base, à l’intérieur desquelles sont établis les S.D.A.U. et les P.O.S. Son périmètre d’action couvre 620 000 ha pour 114 communes mais son action prioritaire porte sur 390 000 ha dans 58 communes le long du littoral de la pointe de Grave à la Bidassoa.

140La structure 1 réunit les U.P.A. 1 et le S.E.N.A et correspond au bas Médoc. Elle doit faire cohabiter tourisme et développement industriel et portuaire. Le Verdon doit accroître son rôle d’avant-port de Bordeaux pour le trafic de conteneurs. Il est prévu le développement du front de mer de Soulac et de l’Amélie. Dans le S.E.N., le développement du nautisme est également au programme et les capacités réceptives doivent peu augmenter surtout à Montalivet, seul centre balnéaire du secteur.

141La structure 2 comprend les U.P.A. 2 et 3 ainsi que le S.E.N.B et correspond à la planification des grands lacs du Médoc, celui d’Hourtin-Carcans et celui de Lacanau. Son développement s’inscrit dans la croissance de l’agglomération bordelaise et de la satisfaction de ses besoins en loisir. Le développement touristique doit être réalisé perpendiculairement au littoral. Dans l’U.P.A. 2 est prévu le développement d’Hourtin, de Piqueyrot et d’Hourtin Plage et dans l’U.P.A. 3 celui de Carcans-Maubuisson et de Carcans-Plage ainsi que la base de plein-air de Bombannes. L’axe entre Lacanau-Moutchic et Lacanau-Océan doit être renforcé par des résidences secondaires. Le S.E.N. entre le front océanique et le lac d’Hourtin doit servir à maintenir la nature intacte.

142La structure 3 comprend les trois U.P.A. du Bassin d’Arcachon. Malgré une certaine saturation touristique, il est prévu d’augmenter la capacité réceptive en créant de nouveaux centres résidentiels à Lège et des centres nautiques à Piraillan et à Claouey. Un parc ornithologique est prévu au Teich. La zone Sud doit être protégée et l’ostréiculture doit pouvoir se développer.

143La structure 4 comprend la région du Born constituée des U.P.A. 7 et 8 et du S.E.N.E. Les emprises militaires y sont fortes (base de Cazaux et C.E.L.). Le développement touristique doit se faire autour du canal reliant les étangs entre eux. Mimizan ne doit pas se développer en raison de la pollution papetière. Contis doit recevoir une base nautique et un gros complexe hôtelier.

144La structure 5 est formée du S.E.N.F et de l’U.P.A. 9. Elle a déjà connue des initiatives importantes avec la création de Seignosse le Penon et de Port d’Albret. De Vieux-Boucau à Moliets et Maa est prévu une sorte d’urbanisation linéaire suivant l’alignement des petits étangs comme autant de petits miroirs d’eau.

145L’objectif est de passer de 310 000 à 585 000 lits touristiques pour 1980. Puis en décembre 1974, le C.I.A.T. réduit les objectifs dans des proportions raisonnables pour 440 000 lits d’ici 1980125. La part relative de chaque type d’hébergement doit être modifiée : la surhabitation des résidences principales doit passer de 10 à 7 %, le camping de 42 à 32 %, les résidences secondaires, par leur doublement, de 37 à 41 %, l’hébergement collectif, par son triplement, de 11 à 20 %.

146A côté de cela, le canal transaquitain est considéré comme la pièce maîtresse de l’aménagement de la Côte Aquitaine. De la Gironde à Contis, cette voie navigable doit relier les étangs entre eux et avec le Bassin d’Arcachon sur 150 à 200 kilomètres. Les liaisons routières sont une autre urgence, étant donné leur saturation en pointe hebdomadaire et saisonnière. Au Nord, une voie rapide Bordeaux-Le Verdon doit desservir les U.P.A. 2 et 3, et, au Sud, l’autoroute d’Espagne doit remonter vers Arcachon.

147La Mission doit faire avec les efforts entrepris précédemment en les intégrant au schéma malgré leurs défauts. Seignosse le Penon n’est pas un modèle en raison de sa réalisation dans les dunes, de son non-respect de l’environnement et de l’insuffisance de ses équipements qui sont donc en contradiction avec les principes de la M.I.A.C.A. Mais elle en tire les aspects positifs : qualité des infrastructures techniques, importance des espaces publics et complémentarité des formes d’hébergement et types de tourisme. Elle met alors un terme à de nombreuses réalisations non conformes à ses objectifs : Seignosse le Penon, Moliets, le Mimbeau au Cap Ferret et Lacanau Océan.

148Cet aménagement est qualifié de prétexte et inducteur par J. Mesplier-Pinet car « il n’y a aucun bouleversement prévu des structures déjà en place dans les domaines du tourisme, il n’y a que recherche d’amélioration, de développement plutôt que de croissance, de rénovation plutôt que de restructuration »126. Le tourisme apparaît donc comme une activité motrice de développement régional comme le montre le schéma d’aménagement de 1972.

149D’un projet idéaliste défendu par Ph. Saint Marc on est passé à la conception d’un produit touristique capable d’affronter la compétition des autres littoraux mais les deux tentent de concilier deux impératifs antinomiques, préservation de la nature et développement touristique en conformité avec l’image de marque de la Côte Aquitaine fondée sur l’espace, la nature et le nautisme. Cette via media pragmatique, adaptée au développement extensif de la région, entre planification étatique et libéralisme sauvage s’attire les reproches du côté des promoteurs mais aussi de celui des écologistes. En fait, il oppose une vision économique à long terme à une vision à court terme très rentable économiquement mais destructrice humainement et écologiquement.

Carte 16 (page suivante) : Le plan Biasini de 1972127

Des opérations pilotes à la phase opérationnelle

150La phase préparatoire (1970-1974) a permis de mettre en place les thèmes généraux inspirant l’aménagement de la Côte Aquitaine, de définir un schéma d’aménagement, de définir une politique de maîtrise foncière, de créer une image spécifique du tourisme aquitain, de chercher à ouvrir l’Aquitaine au plus grand nombre et d’assurer aux Aquitains la maîtrise du développement touristique. Durant cette phase ont lieu aussi les travaux préalables d’équipements généraux et les opérations pilotes128.

151Puis vient la phase opérationnelle (1975-1984) qui consiste à aménager les différentes Z.A.C. des U.P.A. Puis entre 1984 et 1988, c’est la phase de régionalisation dans le cadre de la décentralisation.

La phase préparatoire (1970-1974)

152Dans le cadre du schéma d’aménagement de la Côte Aquitaine, 180 000 hectares de terrains sont placés sous le régime de la protection foncière par le biais des Z.A.D. Après des débuts dans l’intérieur, en 1970, la nouvelle ligne directrice se réserve presque exclusivement au littoral.

a- Un programme d’équipements de base d’envergure

153Le 8 décembre 1970, deux arrêtés préfectoraux définissent un périmètre provisoire de Z.A.D. sur 48 communes de la Gironde et des Landes. C’est la plus importante opération de réserve foncière de France129 qui s’étend sur les U.P.A. et le tracé du canal. Il s’agit par un droit de préemption d’arrêter la spéculation foncière. L’action générale d’équipement apparaît comme un préalable nécessaire à tout aménagement nouveau.

154Les crédits alloués à la Mission ne cessent d’augmenter depuis 1970 : 28 millions de francs en 1971, 40 millions en 1972. Ainsi de 1970 à 1974, le volume des crédits engagés par la Mission pour la réalisation de ce programme dépasse 106 millions de francs soit le tiers du montant total des travaux d’équipement. Ce n’est certes pas suffisant pour réaliser les grandes propositions du schéma mais il est possible de conduire des travaux d’urgence et des manifestations démonstratives. Ce programme se développe autour de trois axes :

• le réseau routier : son amélioration concerne surtout l’axe Nord-Sud de desserte de la côte appelé la route des lacs ou RN 652, de la Hume (Gujan Mestras) à Parentis en Born et au-delà qui a fait l’objet de travaux de réfection et de calibrage en 1971-72. L’amélioration du réseau routier est importante autour du Bassin d’Arcachon avec la réalisation de la voie rapide Facture-Arcachon. La M.I.A.C.A. a participé à la résorption de points noirs sur la RN 10 qui est doublée pour faciliter l’accès aux stations du Sud des Landes essentiellement,
• le plan de génie sanitaire : sa mise en œuvre a mobilisé la plus grande partie des crédits soit le quart du budget sur cinq ans. La réalisation du collecteur du Bassin d’Arcachon et des vingt-trois stations d’épuration ont été les travaux les plus importants. L’assainissement du Bassin d’Arcachon constitue un problème inattendu à cause de difficultés techniques qui ont entraîné une hausse des frais programmés à 45 millions de francs mais atteignant 110 millions. La faillite de la société allemande adjudicataire a poussé la Mission à prendre à sa charge le déficit d’exploitation. Les stations littorales de Soulac et de Mimizan ont profité des crédits d’Etat pour se doter de moyens de traitement moderne. Les réseaux d’assainissement sont mis en place dans trente-trois communes. La Mission participe à la construction de trois stations de traitement des ordures ménagères dans les Landes et une sur le Bassin d’Arcachon. Un nettoyage général des plages a été entrepris en 1971 : 100 000 m³ de détritus ont été enlevés pour trois millions de francs. La Mission a aidé les collectivités locales à s’équiper pour le nettoyage,
• les premiers équipements touristiques : la volonté de concevoir un produit touristique fondé sur le nautisme pousse la M.I.A.C.A. à soutenir la construction de la base départementale de Bombannes. Elle a contribué à étoffer les équipements récréatifs de la station nouvelle de Seignosse le Penon. Elle a permis l’achèvement du port de plaisance de 2 000 places d’Arcachon. Le tronçon de courant entre les étangs de Cazaux-Sanguinet et Biscarrosse-Parentis en Born, a été terrassé et recalibré mais non bétonné130. Cette base du canal transaquitain connaît rapidement de graves dégradations. Par conséquent, le bétonnage de l’ensemble du canal dépasse les possibilités de la Mission et il est alors mis en suspend dès son inauguration en 1971.

155Cette phase préparatoire a été nécessaire pour combler les retards en matière d’équipements structurants et préparer la mise en place du schéma d’aménagement.

156Le C.I.A.T. de 1974 définit dix opérations prioritaires d’aménagement touristique : le port de plaisance du Verdon, les opérations d’Hourtin, de Carcans-Maubuisson, de Lacanau, de Claouey, de Piraillan, d’Andernos-Arès, de Moliets, de Port d’Albret et d’Hossegor-Capbreton. Mais les premières opérations ne sont lancées qu’en 1974-75 à Lacanau et Capbreton.

157La M.I.A.C.A. continue d’assurer la promotion du territoire aquitain notamment par des campagnes publicitaires comme la Semaine de l’Aquitaine à Paris du 2 au 9 novembre 1975 qui est consacrée à différents thèmes dont le tourisme le samedi 8 novembre et un colloque le 5 novembre sur le thème « l’aménagement, source de déséquilibre ? »131.

b- La côte sud des Landes et Lacanau

158E. Biasini donne son accord au préfet qui accorde alors les permis de construire le 8 juillet 1970 pour les Hautes Rives à Biscarrosse pour une centaine de lits sous couvert d’une clause de sauvegarde indiquant la nécessaire isolation phonique des constructions. Cependant le ministère des Armées affirme que l’aménagement de la Côte Aquitaine doit se soumettre aux impératifs de défense nationale et le projet est rejeté jusqu’en juin 1973, date à laquelle le cabinet du ministère des Armées donne son accord132. Il va donc devoir annoncer aux promoteurs et aux autres acteurs régionaux, un certain nombre de renoncements.

159A Lacanau, la Société Immobilière des Lacs et de Lacanau-Océan envisage d’aménager tous les terrains vierges dont elle est propriétaire. Sur la dune, il est prévu la création d’une sorte de pyramide irrégulière appelée Citadelle : il y a des blocs de bâtiments, des allées, des cours, des places, des patios et trois étages de parkings avec ascenseurs. Le tout est fermé et toute circulation doit se faire de manière piétonne et à l’aide d’un chemin de fer sur pilotis133. Pour le reste, dans les hectares boisés, de petits îlots de constructions concentrées, autonomes, avec piscine, tennis, commerces, doivent être reliés entre eux mais sans circulation automobile. Cette opération a été préparée par la commune, le département, la M.I.A.C.A. et la S.I.L.L.O.134. Ce projet est présenté en conseil municipal le 21 décembre 1970, soit avant l’adoption du schéma d’aménagement. Mais E. Biasini décide de mettre fin à ce nouveau rêve immobilier en raison de sa nouvelle stratégie pour l’aménagement de la Côte Aquitaine c’est-à-dire la préservation du milieu dunaire et forestier.

160Une nouvelle société immobilière d’aménagement est créée : la Société Aquitaine Parallèle 45. La S.I.L.L.O. doit alors vendre les 113 hectares qu’elle possède. Dans la ZAC Parallèle 45, 20 000 lits sont prévus dans une station éclatée et organisée perpendiculairement au rivage. Le projet se veut ambitieux pour remplacer la circulation automobile par un transport en site propre monorail et un système de télésiège à l’étude chez Matra. La première opération L’Océanide est située sur la dune bordière, site fragile et réputé inconstructible par le schéma de 1972. Cette opération immobilière doit comprendre six barres d’immeubles de 70 mètres, de cinq et six étages pour faire démarrer les projets de la M.I.A.C.A., satisfaire les intérêts économiques, restructurer la station balnéaire et participer à la lutte contre l’érosion. Tout d’abord, la dune a été remodelée, profilée et stabilisée. 120 000 m³ de sable ont été terrassés pour cette opération. Le premier immeuble de 90 logements est vendu sans difficulté car il bénéficie de l’ouverture tant recherchée sur l’océan pour la somme de 2 200 francs du m² soit 66 000 francs pour un studio de 30 m². En 1974, le changement de Président de la République et de Premier ministre, le remplacement de G. Pompidou par V. Giscard d’Estaing et de J. Chaban-Delmas par M. Poniatowski bousculent les opérations. Le Premier ministre s’oppose en effet à la multiplication des crédits pour l’aménagement de la Côte Aquitaine.

161Sur la côte Sud des Landes, Seignosse est classée station balnéaire en 1972. Mais les opérations ne débutent qu’en 1974. La place importante du tourisme, l’existence d’un Syndicat Intercommunal à VOcation Multiple (S. I. VO. M.), l’attitude coopérative des municipalités ainsi que la valeur représentative des principes fondamentaux du schéma lui donnent une valeur démonstrative. La confluence entre deux courants et le canal du lac d’Hossegor, ainsi que l’existence d’une vallée sous-marine appelée le Gouf de Capbreton sont des facteurs favorables à l’implantation d’un port de plaisance hauturier135. La réalisation principale reste donc ce port de plaisance de Capbreton de 700 anneaux soit 1 200 places avec une capitainerie. Il est l’aboutissement de la volonté de la M.I.A.C.A. d’aménager cet espace au cœur de la ville malgré la violence de l’opposition du comité de défense local qui a retardé l’opération pendant deux ans. Autour de ce port doivent se réaliser des hébergements, des commerces et des équipements. Les principales opérations immobilières sont retardées par de vives réactions locales. La Mission débourse 6 millions de francs pour la réalisation de la première tranche du plan d’eau de Port d’Albret dont les travaux débutent au premier trimestre 1975.

162Mais le Bassin d’Arcachon n’est pas en reste au niveau de l’aménagement. La ville d’Arcachon possède 15 hectares du Parc Pereire et a acquis en 1971, avec l’aide du département et du ministère de l’Equipement, cinq hectares supplémentaires sur une vaste opération de lotissement sur 67 hectares qui permettent à la station de posséder un terrain d’un seul tenant en bordure du Bassin d’Arcachon sur 1 600 mètres à proximité du centre ville. C’est l’un des derniers espaces libres subsistant dans la station qui assure l’interruption effective de l’urbanisation le long de la côte. Cette opération a permis de supprimer la circulation et le stationnement automobile en bordure de plage. La continuité entre la plage et le parc reboisé a été accomplie par la suppression du boulevard de front de mer qui a été remplacé par une promenade piétonnière et cycliste, et par la réalisation d’espaces verts sur cinq hectares136.

163C’est le C.I.A.T. du 11 juillet 1975 qui demande à la Mission d’engager les premières grosses actions avec un budget de 385 millions de francs pour la période 1976-1980. Il engage des mesures financières pour les opérations de tourisme social, les réserves foncières et les réserves naturelles.

La M.I.A.C.A. en action (1975-1984)

164Au bout de cinq années de réflexions générales et abstraites, l’administration prend conscience de la nécessité de prendre des mesures juridiques et financières à caractère structurel. Le gouvernement veut donner un contenu plus précis aux objectifs de la Mission. Mais la confrontation des objectifs de 1971 à la réalité et à la conjoncture économique de crise de 1975 est un douloureux problème pour la Mission. Et ce d’autant plus que depuis 1974, la Mission cherche à attirer les investisseurs en distribuant un document à l’usage des investisseurs qui présente les principes de l’aménagement, la réglementation en vigueur et le bénéfice à en retirer137.

165Cette phase de concrétisation des objectifs est dévolue au secrétaire général J.-P. Morelon qui infléchit la vision de l’aménagement en faisant référence au rapport Choisir ses loisirs remis au président de la République par J. Blanc en août 1977. Ainsi le Conseil des Ministres de novembre 1977 donne à la Mission « un rôle pilote pour pratiquer l’innovation et l’expérimentation dans les activités d’accueil et de loisirs. [...] Mais tout en se référant aux schémas de 1972 et 1974, il n’est plus question de quantité c’est-à-dire de développement intensif à grande échelle ». Puis la Mission est prolongée, par décision du Premier ministre du 26 avril 1976, jusqu’au 31 décembre 1980.

a- La Mission et la crise économique

166Entre la présentation en 1971 des grandes perspectives pouvant séduire l’opinion par les retombées économiques et l’image idéale d’une société de loisir, et 1976, la crise a entraîné de nombreux changements et l’opposition politique a progressé. E. Biasini tient l’analyse suivante :

« Je dois reconnaître que, malgré la participation de leurs fédérations nationales et locales, et tous les efforts publicitaires, les promoteurs ne se sont pas jetés sur le nouveau produit touristique aquitain. La conjoncture certes commençait à n’être plus tout à fait favorable. Mais, interdits de bord de mer, ils n’adhéraient pas à l’investissement en forêt qui n’était pas du goût de leur clientèle »138.

167Le C.I.A.T. du 23 février 1976 prend en compte ces changements et donne un nouveau contenu aux orientations de la Mission. Il consacre le lancement d’une grande politique sociale pour la Côte Aquitaine puisque 30 % des hébergements doivent être sociaux et un plan camping est mis en route.

168Dans une lettre du 16 juin 1977, E. Biasini demande un arbitrage budgétaire en faveur de la Mission malgré la crise économique :

« L’heure est donc maintenant venue de passer aux actes, une seule inconnue : le budget de la mission, bien que son programme de tourisme social ait été retenu parmi les actions prioritaires du VIIème plan.
S’il me fallait demain annoncer que je dois renoncer à ce que je prépare depuis plusieurs années, je perdrais plus que la face et ma position deviendrait intenable. Ceci je l’admets est moins grave que la mise en cause de la crédibilité de la mission : toute la confiance progressivement acquise serait profondément compromise.
Ce serait également la capacité du gouvernement de véritablement mener une politique de tourisme social autrement qu’en déclaration d’intention que serait bafouée. Il est certes fâcheux que les circonstances alourdissent ce rendez-vous de la réalité et de la conjoncture. Mais il n’a tenu à personne qu’il en soit ainsi, et le gain de ce pari important et spectaculaire avant 1978 ne coûterait pas très cher (45 millions de francs sur trois ans dont dix neuf en 1978) »139.

169Dans un premier temps, le ministre du Cadre de vie et de l’Environnement refuse de financer le tourisme social à cause du possible retard qui pourrait être pris dans les opérations et du possible désistement des promoteurs. E. Biasini demande alors l’arbitrage du Premier ministre, R. Barre, en janvier 1980. C’est grâce à l’intervention du Président de l’Assemblée Nationale, J. Chaban-Delmas, mais aussi du Président du Conseil Général de la Gironde, Ph. Madrelle, que l’opération de tourisme social de Carcans peut se poursuivre.

170Il faut aussi chercher d’autres investisseurs et partenaires économiques et E. Biasini les trouve au Canada, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suède comme le promoteur de Linköping, Arnold Larsson qui a jeté son dévolu sur Lacanau140.

b- Les opérations menées par la Mission et l’émergence de nouveaux pôles touristiques

171Les options prises dans une période euphorique d’expansion économique, de développement démographique et d’essor du tourisme ont donc dû être revues et corrigées voire abandonnées141. Pour le littoral de la Côte Aquitaine, la croissance des lits est de 68,5 % de la capacité initiale de 250 000 lits contre une hausse attendue de 110 % révisée à 76 % en 1974. La Mission doit empêcher la croissance anarchique des stations. La création de nouveaux centres d’accueil et d’animation traduit la volonté de rééquilibrer la pression générale trop concentrée sur le Bassin d’Arcachon. Les opérations se sont effectuées dans le respect général des principes du schéma et des règles adoptés lors des C.I.A.T. Les Z.A.C. doivent se greffer sur l’urbanisation existante Le montant global des contributions financières de l’Etat atteint 400 millions de francs et autant pour les collectivités locales et les aménageurs. Entre décembre 1975 et juin 1980, huit Z.A.C. dans quatre U.P.A. ont été mises en chantier. Le poids relatif des stations anciennes par rapport à l’ensemble du littoral s’est réduit sous l’impulsion de la M.I.A.C.A. La politique d’aménagement a contribué à augmenter le potentiel d’accueil existant. Ainsi à la fin des années quatre-vingts, Biscarrosse142 est le premier pôle de la Côte Aquitaine avec 38 000 lits, Arcachon avec 29 000 lits se classe seconde, puis viennent Soulac avec 27 000 lits et Mimizan avec 19 000 lits. L’émergence de nouveaux pôles d’hébergement a permis de mieux équilibrer la pression sur l’ensemble du littoral : entre le Pays Basque et le Pays de Born, le S. I. VO. M. Côte Sud des Landes, formé d’Angresse, de Capbreton, de Labenne, de Seignosse, de Soorts-Hossegor compte 82 000 lits ; entre Soulac et le Bassin d’Arcachon, le pôle Médoc Bleu regroupant Lacanau, Hourtin et Carcans-Maubuisson atteint 66 000 lits.

172L’ampleur des réalisations nouvelles est donc considérable et, l’accroissement des capacités d’accueil qui en découle et la nature de ces aménagements sont axés sur le nautisme ce qui confère au littoral une dimension nouvelle. Pourtant la Mission a été confrontée à la dure réalité par la vigueur de la contestation écologiste, les oppositions multiples au niveau local ou régional et les blocages fonciers. Son action est donc rendue difficile.

173La M.I.A.C.A. a su également se montrer innovante en matière de réservation des hébergements touristiques. En effet, à partir de 1982, et c’est une première en France, des ordinateurs sont utilisés pour connaître les disponibilités des campings143.

c- Les opérations, stations par stations144

• Le pôle médocain

174L’U.P.A. 1 veut allier le tourisme et l’industrie. C’est l’endroit où l’opposition est la mieux organisée faisant que beaucoup de travaux sont entrepris mais que peu sont arrivés à maturité. L’aménagement industrialo-portuaire du Verdon est un échec. Soulac reste à l’écart mais tente de restructurer son front de mer ce qui pose problème en raison de l’absence de maîtrise foncière. Le désir municipal d’égaler Royan n’est pas réaliste en raison des bouleversements brutaux que cette opération demande. Des solutions plus douces sont recherchées et l’opération est lancée en 1979 avec la création de l’immeuble Marine comportant 88 appartements, symbole de l’effort de promotion de S.T.I.M. (groupe Bouygues) et de l’immeuble Océane soit 43 appartements réalisés également par la S.T.I.M. pour amorcer un front de mer traditionnel mais leur côté répulsif et leur conception ancienne posent des problèmes de commercialisation. Deux autres réalisations en bord de mer sont plus originales en tentant de briser le volume général et en incorporant un toit en tuile : le Grand Large de 70 logements réalisés par la C.O.F.A., filiale de Fayat, en 1982 et le Cap Atlantique de 84 logements en 1985. Côté tourisme social, le V.V.F. ouvert le 28 juillet 1979145, compte 875 lits entre la plage sud et route de l’Amélie146. Le centre de vacances de la Roseraie a été rénové.

175L’U.P.A. 2 est loin des objectifs de 17 000 lits prévus par le schéma de 1972 avec en 1980 ses 3 000 lits réalisés : les études de la marina et de la station lacustre de haut standing greffée sur le village de cabanes de Piqueyrot ont été abandonnées à la demande du Comité pour l’Environnement. L’effort a été porté sur la Z.A.C. publique147 en régie directe d’Hourtin Port148, centrée sur un produit touristique original149, de 3 500 lits avec des hôtels, des commerces et où 70 % de la surface est réservée à des équipements publics (parkings paysagers, aires de sports et loisirs, port de plaisance). Le montant de financement par la M.I.A.C.A. atteint 32 millions de francs pour un coût global du double. En arrière se situe la zone d’habitat individuel locatif sous la forme de bungalows. Mais se pose un problème de pollution lié au développement du motonautisme et, l’opposition de propriétaires et de l’association Espace pour Demain y est forte.

176L’U.P.A. 3, qui bénéficie de la proximité de l’agglomération bordelaise, a axé son projet sur le sport et les opérations à caractère social150. Du point de vue de l’innovation touristique c’est le projet le plus intéressant. La Z.A.C. publique de Maubuisson151 approuvée en novembre 1978, entre le bourg actuel et la base départementale de Bombannes, tente le pari d’un fonctionnement permanent des installations réalisées par un groupement d’organismes H.L.M., le Groupement des RÉalisations de CARcans (G. RE. CAR.). Cette zone doit comprendre 6 600 lits dont 10 à 20 % en résidences secondaires, une grande variété d’équipements sportifs spécialisés, ouverts à tous, qui doit constituer l’image de marque attractive de cette nouvelle station. 2 600 lits en village de vacances sont prévus. Cependant le projet de thalassothérapie d’un groupe allemand a été abandonné. La station est inaugurée le 23 septembre 1983, par le Premier ministre Pierre Mauroy qui veut en faire un modèle. La M.I.A.C.A. y a investi 37 millions de francs pour un montant total de 80 millions de francs.

177A Lacanau, le projet d’aménagement qui comprend des habitations dispersées en forêt et reliées à des pôles d’équipement de détente et de loisirs liés à l’eau et à la nature, doit déboucher sur la création d’un produit touristique nouveau comprenant un mode de vie proche de la nature, l’accès à des activités ludiques, de vacances et de week-end. Dès 1975, pour réaliser la future Z.A.C., de nouveaux acteurs entrent en scène : un syndicat mixte entre le département et la commune, et une société anonyme, Aquitaine Parallèle 45, composée d’entreprises régionales rassemblées sous l’égide de la Fédération Nationale du Bâtiment. Le 26 février 1975, M. Poniatowski, ministre d’Etat de l’intérieur et de l’Aménagement du territoire, visite le chantier entouré d’E. Biasini, de J.-P. Morelon, d’André Dartigues, conseiller général, d’A. Achille-Fould, conseiller général et Roger Grassian, maire de Lacanau. Ce dernier, également président du syndicat mixte, doit faire face à la montée des oppositions face aux « technocrates parisiens » ce qui lui vaut de perdre les élections municipales de 1977. L’amélioration de la rue principale, les allées Ortal transformées en rue piétonne malgré l’opposition des commerçants et l’amorce du front de mer ont été réalisés. Mais au cours du second semestre de 1977, les difficultés commencent car la commercialisation des terrains est problématique. Le deuxième bâtiment de l’Océanide de 56 logements est livré en 1976 et le troisième est construit à la suite. La deuxième tranche de L’Océanide est lancée en 1980 par la réalisation d’îlots d’habitat sous forme de maisons basses. Un grand promoteur spécialiste des immeubles en front de mer construit L’Horizon Marin, un ensemble collectif de 99 logements152.

178Mais l’essentiel de l’aménagement s’est fait en profondeur dans la forêt entre Lacanau Océan et le Moutchic près du lac d’Hourtin-Carcans, dans la Z.A.C. de l’Ardilouse153, approuvée en décembre 1975, sur 410 hectares, des pôles d’équipements de sports et de loisirs sont créés avec notamment douze courts de tennis et sept kilomètres de pistes cyclables en service depuis 1980 et, 9 850 lits nouveaux sont construits sous la forme de hameaux dispersés dans la forêt de pins maritimes : l’Océanide de 2 500 lits, l’Aubarède de 2 100 lits, Piqueyrous de 400 lits et le golf Méjanne et Baganais de 4 850 lits. En 1979, Akitanien Projekt, l’une des sociétés suédoises qui a investit à Lacanau se désiste et est remplacée par cinq promoteurs. La pièce maîtresse de cette opération reste le golf international de 18 trous pour un parcours de 6,2 kilomètres sur 77 hectares de verdure, inauguré le 14 juin 1980. La partie côtière est intégrée au tissu urbain préexistant. Cet aménagement en profondeur permet d’assurer une continuité au sein d’un espace touristique marqué par sa bipolarisation. La variété des solutions proposées permet donc tout un éventail de prix pour attirer des clientèles très différentes. Puis en 1982, c’est au tour de Scalab-Larsson de se désister à cause de la mévente de son produit. Une augmentation de capital réalisée par les deux actionnaires principaux, la Fédération Nationale du Bâtiment et Elf Aquitaine, permet la réalisation du golf et de commercialiser les terrains en forêt : 213 appartements en neuf mois154. Devant les difficultés financières, le Syndicat mixte et l’aménageur décident d’un commun accord d’interrompre au 31 décembre 1984 leur collaboration. Un protocole d’accord est signé en janvier 1985 entre le syndicat mixte, présidé par le maire de l’époque, Michel Peyrondet, et la Société Aquitaine Parallèle 45 : cette Z.A.C. privée au départ avec l’intervention de l’entreprise Elf Aquitaine et les entreprises de la Fédération Nationale du Bâtiment, a été transformée en Z.A.C. publique et confiée en régie le 17 avril 1987 au Syndicat Mixte associant la municipalité et le département à parts égales. La M.I.A.C.A. a mobilisé 48 millions de francs pour un programme de 100 millions de francs155.

• Le Bassin d’Arcachon et le Nord des Landes

179Les U.P.A. 4, 5, 6 du Bassin d’Arcachon ont vu l’urbanisation touristique par les résidences secondaires des Bordelais, déjà intense, se poursuivre. La Mission a eu la tâche de financer le Syndicat Intercommunal du Bassin d’Arcachon (S.I.B.A.) pour la réalisation du grand collecteur. La mise en place in extremis du dispositif de protection foncière a cependant pu empêcher l’urbanisation continue autour du Bassin d’Arcachon. Les architectes en chef ont manqué d’imagination en ne proposant que des ports de plaisance rentabilisés par des projets immobiliers et justifiés par des aspects sociaux. Le port de plaisance envisagé par le schéma aux prés salés Ouest de La Teste de Buch n’a pas abouti. Celui d’Arcachon a été étendu et la politique des aires de mouillage est lancée. Il faut souligner l’opération intéressante du V.V.F. de Claouey. A Claouey, la réalisation d’un centre d’hébergement de 5 000 lits comprenant un camping municipal, un village de vacances, un ensemble résidentiel et des équipements sportifs répartis sur 42 hectares est prévue. La Z.A.C. publique156, sous maîtrise d’ouvrage d’un syndicat mixte associant à parité le département et la municipalité, a été approuvée en février 1980 par le Préfet de Région. La M.I.A.C.A. a injecté dans l’opération 17 millions de francs dont 12,6 millions pour le village de vacances et le camping, sur 65 millions du programme.

180Les U.P.A. 7 et 8 sont un peu les parents pauvres de l’aménagement suite à l’arrêt du canal : les travaux lancés en 1971, inaugurés par J. Chaban Delmas et E. Biasini ont provoqué une pollution des lacs. Ainsi malgré l’arrêt du projet de canal transaquitain, des travaux ont été réalisés pour réparer les erreurs : constructions de barrages, d’écluses en 1975 pour maîtriser le mouvement d’eau157. En effet, la Mission a prévu une cité lacustre à Biscarrosse et un grand port hauturier à Contis mais ces projets n’ont pas abouti pour des raisons techniques.

181Le refus des maires des offres de service de la M.I.A.C.A. les a mis à l’écart des projets spectaculaires. Finalement, aucun aménagement d’envergure n’est prévu pour en faire des stations tranquilles dans le Nord du département des Landes.

• La côte Sud des Landes

182L’U.P.A. 9, qui doit renforcer les trois pôles touristiques du sud des Landes, est la plus avancée car c’est là que la Mission a concentré ses efforts en raison de la situation géographique, de l’ambition des élus locaux et d’un « architecte en chef, prodigue et prolixe, M.-Cl. Aubert »158. A Hossegor-Capbreton, le programme d’équipement prévoit 6 000 lits réalisés sous la forme de plusieurs Z.A.C.159, sous la maîtrise d’ouvrage du S.I.V.O.M., adoptées entre septembre 1975 et février 1982. Deux opérations immobilières de la première tranche ont été construites : sur le terrain des anciennes pêcheries, la résidence Les Mille Sabords de 205 appartements, a été réalisée par l’Union Foncière, Financière et Immobilière (U.F.F.I., filiale du Crédit Lyonnais) dans un style marina c’est-à-dire un immeuble à plusieurs niveaux avec des commerces, des dalles piétonnières, une piscine et des aires de jeux ; sur les terrains dunaires de Notre Dame, la résidence Les Terrasses de l’Océan forme un petit village en gradins de 176 appartements, réalisée par l’O.C.E.F.I. (Omnium de Construction, filiale de Paribas)160. La Mission a contribué à hauteur de 45 millions de francs sur 130 millions de travaux. Seignosse le Penon a poursuivi son extension pour former un ensemble de 40 000 lits161.

183A Moliets et Mâa, le département des Landes et la commune ont créé un syndicat mixte associant le département des Landes à 95 % avec la commune en janvier 1976 pour réaliser une Z.A.C. publique de 6 500 lits sur 421 hectares. La Z.A.C. créée le 30 juin 1977 est approuvée le 24 juin 1980 par le préfet162. Le plan est réalisé par l’architecte écossais R. Erskine et son correspondant français, P. Raffy, et mis en œuvre par la S.A.T.E.L. Cette Z.A.C. met l’accent sur les équipements sportifs et de loisirs concentrés dans une zone centrale de 25 hectares (8 % de la Z.A.C.), une couronne de cinq hameaux forme un habitat en ordre lâche et en éventail, deux zones industrielles et artisanales non polluantes, la conservation de 320 hectares (80 % de la Z.A.C.) en espaces naturels protégés, la construction d’un réseau de pistes cyclables et la construction d’un ensemble hôtelier et para-hôtelier de 800 lits. La structure de la station privilégie l’idée d’une ville de campagne avec de petits immeubles de deux à trois étages, des rues piétonnes et courbes, de petites places. En 1982, la station a étoffé sa gamme d’équipements récréatifs par la création d’un complexe autour d’un golf international haut de gamme dessiné par Robert Trent Jones, un célèbre architecte golfique américain, d’un centre de neuf courts de tennis, de tir à l’arc et d’un réseau de douze kilomètres de pistes cyclables. Mais la Z.A.C. n’attire pas car 1 000 lits seulement sont réalisés163. Elle trouve un nouveau souffle en 1985 sous l’impulsion de la S.A.T.E.L. et du Syndicat mixte qui prennent en charge le golf dans le cadre du plan golf. En 1987, un programme de 8 000 lits est prévu autour de cette activité golfique par l’implantation de résidences de standing élevé. La Mission a investi 26 millions de francs sur 70 millions de travaux.

184Le F.N.A.F.U. (Fonds interministériel pour l’aménagement de la nature et de l’environnement) décide le 5 juin 1974 que l’Etat doit intervenir à hauteur de six millions de francs de l’époque pour acquérir les terrains nécessaires aux opérations. Cette politique foncière se fait par échange de terrains avec le domaine forestier de l’Etat. L’aménagement de Port d’Albret est l’objet de l’arrêté interministériel de janvier 1975. A Soustons et Vieux Boucau, réunies en syndicat intercommunal, la Z.A.C. de Port d’Albret164 est la plus ambitieuse et la plus originale des projets de la Mission avec 12 500 lits dont un quart en tourisme social sur 245 hectares à réaliser en deux Z.A.C. sous forme de petits immeubles collectifs ou de groupements de logements individuels : la première Z.A.C. sur 87 hectares débute en 1980 autour de la construction d’un vaste lac marin de 50 hectares sur l’ancienne embouchure de l’Adour. Le syndicat intercommunal, maître d’ouvrage, est assisté de la S.A.T.E.L. pour cette opération. Le village de vacances Léo Lagrange offrant 500 lits s’est ouvert en 1980 dans un ensemble de constructions de type landais avec une galerie de boutiques et d’ateliers. Les subventions de la M.I.A.C.A. ont atteint 45 millions de francs pour 170 millions de travaux.

d- Le développement du tourisme social

185L’objectif politique fixé pour le littoral aquitain par décision du C.I.A.T. du 23 février 1976165 intègre les grandes orientations du VII^ème Plan (1976-1980) fortement marqué par la crise économique. L’accès aux loisirs est privilégié car la récession économique fait redécouvrir les inégalités sociales longtemps masquées par la politique de l’Etat Providence. Les pouvoirs publics accordent donc de nombreuses aides financières afin de banaliser et d’accroître la capacité d’accueil en tourisme social. Ces aides s’accentuent et se diversifient avec le changement de gouvernement en 1981.

186Dans le cadre de la promotion des Habitats Légers de Loisirs (H.L.L.), trois opérations expérimentales ont été réalisées en Aquitaine avec l’aide du Ministère du Tourisme et de la CO. D.A.T.E.L. (Coopérative pour le Développement et les Aménagements du Tourisme Et des Loisirs) à Hostens et Seignosse en 1983.

187Les H.L.L. sont une forme de tourisme social qui s’affirme notamment dans le cadre du développement de la station de Carcans. Ainsi ce tourisme social peut-il contribuer à la politique d’aménagement du territoire, participe au développement économique, remplit sa fonction sociale et s’intègre à l’environnement et à l’identité de l’Aquitaine en favorisant la filière bois.

188Ainsi fin 1988, les crédits de l’Etat investis par l’intermédiaire de la M.I.A.C.A. et du secrétariat d’Etat au Tourisme s’élèvent à 130 millions de francs pour la création de 12 000 lits touristiques en village de vacances dont 90 % ont été réalisés dans les stations nouvelles comme en témoigne la liste des villages de vacances créés ou rénovés entre 1975 et 1988. Le tourisme social constitue à Carcans-Maubuisson une base de départ pour le lancement de la nouvelle station mais aussi à Claouey et Port d’Albret.

Des résistances à l’aménagement

189« La mobilisation locale a-t-elle exprimée le sursaut d’une société rurale décidée à préserver ce qui lui reste de son identité face au moule dans lequel la société globale voulait l’amener à se couler ? »166. En comparaison de l’ampleur des bouleversements que doit entraîner l’aménagement de la Côte Aquitaine, la réaction des populations locales apparaît assez faible.

190A la suite de la mise en place de la M.I.A.C.A., on assiste à « une flambée de contestation »167 et de revendications pour peser sur les décisions avant l’approbation du schéma d’aménagement de la Côte Aquitaine168. En fait, il s’agit d’arriver à concilier la concertation indispensable et la contrainte nécessaire. Une fois, le schéma adopté la contestation se poursuit pour lutter contre les projets. C’est le combat des comités de défense de la Côte Aquitaine face à la forme d’aménagement qui est proposée.

191Comme le souligne le Canard Enchaîné du 22 septembre 1971, « la grogne a commencé il y a 18 mois lorsque l’aménageur en titre, Philippe Saint Marc fut viré pour crime d’amour inconvenant pour les paysages aquitains. Ce jeune homme n’avait rien compris : il croyait qu’il était chargé de protéger la nature alors qu’il s’agissait de gagner du fric avec une affaire de bronze-cul à la chaîne. Il fut remplacé par un ancien colonial, Emile Biasini, qui, lui, comprenait vite. [...] Biasini remue beaucoup de vent et joue les dictateurs. Il a jeté son dévolu sur 620 000 hectares (qui ne lui appartiennent pas) et qu’il présente aux candidats-promoteurs en les baladant en avion. Thème général : tout sera simple puisque Chaban est dans le coup »169. Et le journaliste de poursuivre sur l’opposition de l’Office National des Forêts et de Gabriel Delaunay qui doit céder ses fonctions à D. Doustin.

Les oppositions traditionnelles : les partis politiques et l’administration

192Les actions sont marquées par leur lenteur en raison des entraves liées aux groupes de pression locaux. Les importants crédits investis pour les frais d’études (23 millions de francs dépensés en quatre ans, soit le tiers des dépenses), pour la publicité et la promotion lui valent une critique sévère de la Cour des Comptes170 en 1974 qui met en lumière des fautes de gestion, la faiblesse des réalisations concrètes, le retard des mesures de protection foncière et l’absence d’un contrôle efficace des conditions de réalisations du programme d’aménagement touristique : « les dépenses de fonctionnement sont complétées par des contrats d’études : à quoi servent alors les inscriptions budgétaires ? », « un marché présenté comme relatif à une étude du réseau électrique des U.P.A. a servi en fait à rémunérer un collaborateur à temps plein de la mission, 207 100 francs en 1971 ».

193Le président en personne se charge du dossier et répond aux inspecteurs : « le faux départ de la Mission en associant un grand tapage sur des perspectives d’aménagement et l’absence de la moindre mesure foncière avait mis le pays en état d’alerte ce qui interdit en 1970 d’avoir recours comme pour le Languedoc à l’achat direct des terrains nécessaires aux opérations », « l’expérience prouve qu’une opération d’aménagement est toujours facile à conduire dès l’instant qu’elle s’inspire du fait colonial (...) On n’en a pas voulu en Aquitaine, et on a au contraire arrêté la tendance qui allait dans ce sens et qui se traduisait par l’engagement de la station nouvelle du Penon et de nombreux projets »171.

194On constate donc que la contre-argumentation de la Mission se base donc sur la philosophie de l’aménagement prônée par son président et qui nécessite donc d’autres manières de faire.

195Une mission de l’inspection générale des finances172 en 1980 attaque la mission sur trois points : le fond (la ligne budgétaire spécifique est contestée car la Mission donne des facilités inacceptables et le budget relations publiques est trop élevé), la forme (la structure est déséquilibré, il faut renforcer le pôle bordelais) et l’action (la politique foncière manque de dynamisme, la responsabilité confiée aux collectivités locales entraîne des retards, les crédits sont trop saupoudrés et diffus). Les réponses sont souvent fermes173 : la politique de relation publique est nécessaire en raison de l’accueil réservé voire hostile des promoteurs « j’ai effectivement déployé une activité considérable, sans considération de mon temps, de mes week-ends, et de mes vacances, dans le domaine des relations publiques, de la prospection commerciale, et de l’inspiration directe du style d’aménagement propre à la Côte Aquitaine. J’étais là, à plein temps, pour cela ». Le président se considère comme seul responsable d’une action qu’il conduit selon des caractéristiques nouvelles qui, après une hostilité, recueille une forte unanimité et inspire l’action gouvernementale. Il rappelle également que son indemnité de fonction est de 2 000 francs en 1970 portée à 2 400 en 1973 et inchangée depuis. Et pour finir, le président menace « si donc le gouvernement ne me fait pas confiance, ma fonction est à sa disposition ».

196Puis deux autres rapports d’un inspecteur des finances en 1981174 font allusion à certaines collusions dénonçant le fait que le président de la Fédération Nationale du Bâtiment soit aussi le trésorier de l’A.P.R.A.S.A.Q., et attaque la Mission sur la dispersion des subventions, les objectifs ambitieux non atteints, les problèmes pour trouver des promoteurs. Il critique la stagnation de l’U.P.A.1 et le désaccord avec l’architecte en chef X. Arsène-Henry à partir de 1977. En onze ans, trois millions de francs ont été payés aux architectes souvent pour des études restées sans suite. Mais le rapporteur reconnaît quand même que la Mission a anticipé certaines dispositions de l’Etat comme la protection du littoral, l’assainissement ou le développement des libertés locales. Cela fait éclater la colère du président Biasini : « ce que le rapporteur ne cesse de qualifier de surprenant, peu cohérent, coûteux, sans résultat réel s’appelle réellement insertion des artisans dans l’aménagement, transmission de la responsabilité des opérations aux collectivités locales, participation des H.L.M. à un aménagement touristique, prise de conscience par les promoteurs d’une préoccupation d’intérêt public, politique originale de tourisme social brisant le carcan de la ségrégation et des privilèges ».

197De fait ces différents rapports ne relèvent que les aspects quantitatifs et non qualitatifs qu’il est très difficile d’ailleurs d’évaluer ce qui pose problème à la mission. En effet, nous avons vu que la Mission fait preuve d’innovation dans de nombreux domaines ce qui amène un certain nombre de critiques.

198La décision de zader175 a provoqué des protestations de la part des municipalités. Arcachon craint de voir toute possibilité d’évolution stoppée. Les remous s’estompent avec la promesse de libérer les terrains excédentaires dès le début des opérations réelles.

199Le premier blocage traditionnel vient des hommes politiques qui ont une attitude assez complexe selon l’évolution stratégique de la Mission. L’intervention de personnalités politiques très influentes comme Aymar Achille-Fould, conseiller général et député du Médoc, permet des amendements des esquisses d’aménagement. De plus, il crée le Comité Aquitaine 3 + 2 pour rassembler les notables politiques locaux voulant des réalisations rapides et une réelle concertation et donc court-circuiter la politique d’animation de la M.I.A.C.A. Les élus reprochent à la M.I.A.C.A. de créer des équipements nouveaux plutôt que de renforcer ceux qui existent déjà. Cette opposition n’est pas dirigée contre le principe d’aménagement mais plutôt contre la méthode employée par la Mission. « Cet autoritarisme, cette rigidité technocratique sont perçus comme une menace du pouvoir notabilitaire »176 . On assiste en fait à une opposition transcendant les clivages politiques, de la périphérie contre le centre.

200Le mécontentement gagne les partis de gauche et la CO. D.E.R. Les premiers s’opposent à un schéma qui risque de pénaliser les clientèles les plus modestes avec la réduction des lits sociaux. Le Parti Socialiste Unifié (P.S.U.) s’oppose à « la colonisation des provinces sous-développées » et s’attache à la défense écologique de la région. Un tract du P.S.U. local de Capbreton déclare « ce choix démontre (s’il en était besoin) que la tarte à la crème de la régionalisation ne peut masquer l’inégalité croissante entre les régions développées et les régions colonisées (Bretagne, Midi Occitan et Catalan, Corse et Pays Basque) »177. Le Parti Socialiste (P.S.) critique le peu d’intérêt pour l’arrière-pays et la dimension élitiste du mouvement écologiste. Lors de la tentative de classement des étangs landais pour la création du canal transaquitain, l’Union cantonale de la Gauche met en alerte la population sur le danger des promoteurs, l’intervention du ministère des Armées qui peut créer un nouveau Larzac178. La Confédération Française Démocratique du Travail (C.F.D.T.) dans un souci autogestionnaire proche du P.S.U., s’oppose à la raison d’être d’une mission interministérielle ; la Confédération Générale du Travail (C.G.T.) demande un essor maximum du tourisme populaire, l’implantation d’activités industrielles et la préservation écologique le tout avec une nécessaire centralisation. Les organismes de tourisme social comme Tourisme et Travail (proche de la C.G.T.) et le CEntre de COopération pour la Réalisation d’Equipements de Loisirs (CE. CO. R.E.L., proche de la C.F.D.T.) sont pour la participation des classes défavorisées à la civilisation des loisirs et contestent un schéma qui ne laisse pas de place pour le tourisme social. La CO. D.E.R., présidée par le président du Conseil Général du Lot et Garonne, reproche à la M.I.A.C.A. de vouloir fonder la promotion économique et sociale de la région uniquement sur le tourisme179 .

201Après l’approbation du schéma par le gouvernement, les élus n’abandonnent pas leurs revendications. La deuxième phase, met en valeur le rôle des élus comme maîtres d’ouvrage. Les élus des S.E.N. cherchent à obtenir des dérogations et des compensations financières. Dans les U.P.A. la solidarité disparaît au profit des « querelles de clochers ». L’euphorie de certains comme le maire de Capbreton contraste avec le pessimisme d’autres comme le maire de Moliets. Les problèmes principaux restent l’obtention d’une aide financière et le moyen de supporter l’emprunt. Les autres demandes concernent la souplesse et l’information.

202Le projet de classement des étangs landais dans le Domaine Public soulève aussi des résistances de la part des élus et des groupements de chasseurs. En effet, l’arrêté interdépartemental du 30 octobre 1970 ordonne le classement des étangs landais et la Déclaration d’Utilité Publique suit le 7 août 1972 et lance l’enquête. Cette décision de la Mission pour pouvoir organiser le statut juridique du canal transaquitain gêne notamment le député-maire de Parentis en Born, le Docteur Mirtin, membre de l’U.D.R. et président du S. I. VO. M. du canton du Born qui écrit alors à la Mission le 6 juillet 1972180. Les journalistes s’emparent aussi de l’affaire181, les chasseurs qui pensent leur activité menacée font pression et le classement des étangs est annulé puisqu’il ne semble pas nécessaire.

203Mais le blocage le plus important vient de l’administration. L’intervention de la M.I.A.C.A. bouleverse les habitudes de la D.D.E. où les élus et les fonctionnaires travaillent ensemble. Le blocage est net lors de la mise en place de l’équipe Biasini car elle relègue au second plan les D.D.E. des Landes et de Gironde. Elles doivent simplement traduire en terme administratif les directives nationales et les différentes esquisses. Elles sont écartées dans la phase d’élaboration des plans d’aménagement et appuyées par les municipalités, elles optent pour le refus systématique des propositions au sein des Commissions Locales d’Aménagement et d’Urbanisme (C.L.A.U.). Elles font bloc face à la M.I.A.C.A. qui veut accorder directement les permis de construire.

204L’O.N.F. s’oppose pour deux raisons : la transformation de l’Administration des Eaux et Forêts en Office à caractère industriel et commercial, et sa mise à l’écart de la sphère décisionnelle par l’équipe Biasini contrairement à l’équipe Saint Marc. L’O.N.F. est véritablement en position de force car elle peut bloquer la phase opérationnelle. Son intransigeance dans le cadre des procédures d’échange a freiné de nombreuses opérations.

205De plus, Ph. Saint Marc sort de sa réserve de haut-fonctionnaire, s’exprime dans la presse182 et montre son opposition au nouveau programme pris par E. Biasini :

« majorant de plus du tiers l’objectif d’accueil, au point d’écraser le milieu naturel ; pressant les stations les unes contre les autres en un nouveau mur de l’Atlantique ; entassant sur les rives du bassin d’Arcachon déjà fort peuplé, trois villes nouvelles...
L’immobilisme intellectuel remplaçant l’innovation, le bonheur sacrifié à l’argent, les plus pauvres à nouveau oubliés, la recherche d’une civilisation nouvelle ramenée à un conglomérat de lotissements, la dernière grande opération d’aménagement du territoire en France, réduite à un dépeçage commercial, voici que sont semés les raisins de la colère »183.

206De plus, Ph. Saint Marc, est depuis 1974 le conseiller officieux pour l’environnement auprès de V. Giscard d’Estaing184 et est à l’origine d’un certain nombre de mesures qui sont influencées par l’action de la M.I.A.C.A. comme la loi de 1976 sur la protection de la nature qui impose des études d’impact, inspirée de l’action du Comité pour F Environnement.

207Pour E. Biasini, ce n’est pas « une interview d’un fonctionnaire responsable mais bien plutôt d’un homme qui se sent brimé et qui tient des propos indignes d’un fonctionnaire »185 et « ce qui est amusant dans le discours de Saint Marc, honnête fonctionnaire conventionnel qui a commis une saloperie à mon avis en devenant président d’un comité de défense de la côte aquitaine. Fonctionnaire, il faut qu’il ait été protégé par Monod pour ne pas être viré à ce moment là. J’ai évité de lui créer des ennuis. C’est invraisemblable l’orgueil de ces jeunes énarques, c’est quelque chose de faramineux. J’aurais pu le faire virer mais je ne l’ai pas fait car il ne m’a pas causé d’emmerdes »186.

208Pour contrer ces actions et « vassaliser les opposants »187, la M.I.A.C.A. a en effet créé le Comité pour l’Environnement de la Côte Aquitaine. C’est une structure opérationnelle mise en place par la Mission mais autonome dans sa saisine sur tout problème écologique. E. Biasini le définit ainsi lors de l’allocution d’installation du comité : « j’attends donc du comité pour l’environnement de la Côte Aquitaine qu’il soit mon œil permanent pour tout ce qui concerne l’aménagement de la Côte Aquitaine. Ces avis doivent éclairer la recherche quotidienne de l’harmonisation du développement touristique et de la protection de la nature »188. Il prend naissance en mars 1973189 et se compose d’un groupe de personnalités qualifiées au plan national et régional comme J. Dorst, J. Labasse, J. Lajugie, L. Papy, Paul Emile Victor, Pierre Davant de la S.E.P.A.N.S.O. Il est présidé par le doyen Jacques Valade, suppléant de J. Chaban Delmas. Il doit examiner tous les projets et intervenir dans leur élaboration. Il n’est pas toujours entendu mais a permis d’éviter certaines erreurs190. Pour les opposants à la Mission, il s’agit d’une mise sous tutelle du discours écologique et environnemental mais aussi une neutralisation de l’opposition de la S.E.P.A.N.S.O. par cette politique d’ouverture191.

209De même, elle demande à des organismes comme l’A.L.T.E.A. qui rassemble les organismes H.L.M. de lui remettre des rapports pour conforter sa politique sociale et contrer les attaques. Elle confie à l’O.N.F. un plan d’aménagement de la forêt littorale. Elle fait de la S.E.P.A.N.S.O. un prestataire de services notamment pour la gestion des réserves naturelles.

Les comités de défense et leur action locale

a- Les trois groupes de défenseurs du littoral

210La Société pour l’Etude, la Protection et l’Aménagement de la Nature dans le Sud Ouest (S.E.P.A.N.S.O.) est née en 1969 et domiciliée à l’Institut de Biologie Animale de l’Université de Bordeaux 1 ce qui montre son caractère universitaire et scientifique. Ses animateurs sont F. André, P. Davant, R. Aufan, P. et J. Delacroix. La section girondine de la S.E.P.A.N.S.O. a adopté une attitude de participation critique. Ainsi elle est prestataire de services de la Mission Saint Marc puis de la Mission Biasini sur la définition du schéma de protection des zones naturelles192. C’est une association subventionnée par le Conseil Général et siégeant au Conseil Economique et Social Régional (C.E.S.R.). Elle a connu quelques succès comme l’abandon du canal transaquitain en 1971. Elle est favorable au plan de Ph. Saint Marc, opposée à celui d’E. Biasini qui a débuté par des projets allant à l’encontre des principes de la M.I.A.C.A. C’est un partenaire difficile donnant souvent des avis défavorables dans le Comité pour l’Environnement et la Commission des Sites. La défense environnementaliste est son cheval de bataille. Il faut souligner la tendance participationniste de cette association apolitique.

211Le Comité de Défense de la Côte Aquitaine (C.D.C.A.) est né le 6 juillet 1973 de la contestation des projets d’aménagements par des universitaires écologistes et régionalistes. Le sociologue bordelais S. Mallet rassemble des membres déçus de la S.E.P.A.N.S.O., du mouvement Vivre et Survivre, du Comité d’Action Occitane, des membres de l’Association Aquitaine Alternative et du P.S.U. Il est dirigé par Bernard Charbonneau193 et Jacques Ellul194 qui dénoncent la marchandisation des vacances et demandent la démocratisation de la vie politique locale. Ces hommes sont considérés comme des précurseurs de l’écologie politique.

212Leur tâche est difficile car ils se battent contre une entreprise d’Etat. L’objectif est d’informer des conséquences et des dangers engendrés par cette opération administrative sur les plans social, économique, écologique et culturel. Ses orientations sont régionalistes et autogestionnaires puis écologistes pour se donner une légitimité. Son action se résume en sept points :

• étudier les problèmes posés par l’existence du schéma d’aménagement,
• informer les habitants des conséquences sociales, économiques, écologiques et culturelles du projet,
• informer les touristes,
• dénoncer la colonisation de l’Occitanie par sa livraison aux promoteurs,
• s’opposer à la destruction des caractères spécifiques du milieu naturel par l’implantation massive du tourisme industriel,
• réunir toute personne menacée par la transformation de la côte en milieu artificiel,
• inciter la population à définir son type de développement.

213Dans un rapport du préfet A. Roche à E. Biasini, est même précisée l’action du Parti Socialiste au sein du C.D.C.A. : il « prend publiquement position contre le projet d’aménagement de la Mission Aquitaine qu’il taxe d’entreprise capitaliste uniquement basée sur le profit » et pour eux « cette mission est plus nuisible qu’utile à l’Aquitaine »195.

214Pour se faire entendre, le C.D.C.A. crée des comités locaux à Capbreton, sur le Bassin d’Arcachon, à Lacanau et dans le Nord Médoc. Ses moyens sont limités à des conférences et des recours judiciaires dont les résultats sont pratiquement nuls. Ses prises de position sont virulentes et sans nuance196. Ce comité formé de bénévoles s’essouffle rapidement face aux professionnels de la M.I.A.C.A. Il se rapproche par la suite d’Espaces Pour Demain.

215Ces universitaires profitent également de leur position pour faire étudier certains problèmes par leurs élèves. Ainsi S. Soumastre écrit une thèse à la couverture rouge, Les aménagements de la Côte Aquitaine : espace disciplinaire et illégalismes du pouvoir. L’introduction commence ainsi et donne le ton : « le littoral aquitain n’est pas simplement l’enjeu d’une course effrénée aux plus-values foncières et immobilières, il est aussi le lieu de condensation des différentes fonctions de la société industrielle. Chaque machine désirante bureaucratique tend à affirmer sa volonté de puissance sur l’espace ». L’argumentation et le discours de la M.I.A.C.A. surtout le fait que l’aménagement serait un moindre mal face au laisser-faire sont décortiqués et critiqués.

216Un nouveau comité de défense fait son apparition en février 1977 : l’association Espaces Pour Demain (E.P.D.)197. Son fondateur est Louis Bériot, ex-rédacteur en chef d’Antenne 2 et présentateur de La France Défigurée, entouré de l’Amiral Storelli et de P. Lebaillif. Son conseil d’administration réunit des représentants des associations de protection de la nature et des hauts fonctionnaires comme des magistrats ou des chargés de mission à la D.A.T.A.R. C’est un courant pro-giscardien. Leur ligne de conduite est simple : les instructions du chef de l’Etat doivent être suivies et certaines administrations ne doivent pas continuer d’agir à leur guise. Son engagement dans l’affaire d’Hourtin a pour objectif de faire respecter les directives nationales : le 26 octobre le conseil d’administration vote l’organisation d’une campagne de souscription en vue de bloquer l’aménagement projeté d’Hourtin Port198. Cette opération fait grand bruit mais elle est peu efficace. Un comité régional de soutien à E.P.D. est créé rassemblant une trentaine de notabilités dont l’ex-Préfet de Région, G. Delaunay, et Danièle Mitterrand. E.P.D. veut rencontrer J. Chaban Delmas dans une perspective d’éco-développement.

b- Les situations locales

217En Médoc, les réactions locales sont limitées en raison du peu d’opérations engagées. Le Médoc n’est guère contestataire malgré le Comité de Défense du Nord Médoc qui s’oppose à la Déclaration d’Utilité Publique pour la création de la zone industrialo-portuaire du Verdon. A Soulac, le problème concerne le projet de restructuration du front de mer comptant un hôtel, un centre de thalassothérapie et un immeuble de six étages. Début 1977, la municipalité vend 4 700 m² à la filiale de Bouygues, S.T.I.M. Pour rompre le silence de la municipalité, le comité de soutien à la liste d’Union Démocratique de Soulac lance une campagne d’information dénonçant les procédures décisionnelles, financières et juridiques et envoie une lettre ouverte au sénateur-maire. Les travaux sont suspendus et la M.I.A.C.A. élabore un nouveau projet : l’immeuble prévu sur la dune est déplacé derrière le boulevard et perd un étage199. Le 27 juillet un nouveau projet Marine reçoit un permis de construire et le promoteur entreprend la commercialisation de 88 logements à grand renfort de publicité. L’Association pour la Défense des Intérêts des Propriétaires de Soulac entre en jeu et s’oppose au projet. Dans sa lettre au préfet, le président du comité de soutien dénonce le manque de concertation. Ces deux associations se sont limitées à un jeu d’influence personnelle au sein du système politico-administratif local et n’ont formulé aucune contre-proposition. Le reste du Médoc ne connaît quasiment aucune réaction locale à Hourtin et à Carcans-Maubuisson.

218A Lacanau, les tensions sont vives entre la Mission et la nouvelle maire, Marinette Fournier, élue à la suite de la mort accidentelle de son mari en 1977. Cette dernière avec son conseil municipal tente de s’opposer aux projets imposés à la commune par la Mission et bloque systématiquement les projets à partir de 1980. Ainsi un journal local d’opposition Le Meilleur écrit-il en octobre 1981 : « un Monsieur Biasini que tout le monde conteste sauf les bétonneurs, un monsieur Biasini qui, alors que la M.I.A.C.A. devait s’arrêter de sévir s’est vu maintenu dans son poste. Un monsieur Biasini qui se permet de passer allègrement par-dessus les nécessités de concertation propre à une Z.A.C. » ou encore en juillet 1982 : « on peut s’attendre à une catastrophe à la Z.A.C. de l’Ardilouse, cette Z.A.C. qui doit faire la fortune de Ribourel, Malardeau et autres marchands de vacances en camp de concentration (sic) »200. En 1982, Mme Fournier est exclue du Syndicat Mixte et dénonce une mise sous tutelle déguisée201.

219Le Bassin d’Arcachon connaît une protestation multiforme avec les comités de résidents par quartiers d’Arcachon, les membres de la S.E.P.A.N.S.O., l’organisation des professions ostréicoles et l’Union Fédérale des Consommateurs, un Comité de Défense d’Arcachon, un Comité de Défense de Claouey et une Association de Défense des Droits d’Usage de la Teste de Buch. En effet, l’intransigeance de la population est plus forte en ce qui concerne la forêt usagère de la Teste de Buch et de Biscarrosse qui représente un type original de propriété : le terrain boisé appartient dans la pratique aux usagers « ayant pins » et les arbres à tous les usagers des communes concernées. Ces droits sont tombés en désuétude mais c’est un patrimoine local et les populations sont attachées à ce statut particulier.

220Le 21 février 1973, quand la ZAC du port est créée à Capbreton, une vive opposition locale se manifeste pour s’opposer à l’urbanisation et non contre le projet de port de plaisance. Le Comité de Défense des Plages et des Rivages de Capbreton-Hossegor veut garder le cadre et le style belle époque de la cité balnéaire. Le 25 juin 1973, suite à la concession du port de plaisance au S. I. VO. M., le Comité adresse au préfet une motion lui demandant de statuer sur la nullité des décisions prises par le S. I. VO. M. en invoquant l’absence de conformité avec la loi sur la gestion municipale. Quatre notabilités d’Hossegor, avec l’appui du C.D.C.A., attaquent devant le tribunal administratif les décisions prises par le S. I. VO. M. sur la validité de l’échange foncier d’octobre 1970 : la preuve de la domanialité des terrains doit être faite et le Tribunal Administratif de Pau tranche le 24 février 1975 en faveur de l’administration.

221Ainsi il apparaît que l’action des groupes de mobilisation n’est pas orientée vers une active remise en cause de l’aménagement. Le discours écologique a masqué le problème de pouvoir qui est posé pour une exigence de démocratisation face au pouvoir technocratique. Deux stratégies se rejoignent : la participation et la contestation.

222Les comités de défense à caractère local souvent traditionalistes se multiplient. Des associations, des groupements et des syndicats défendent des positions professionnelles, idéologiques et des intérêts divers : ostréiculteurs, hôteliers, associations de propriétaires, groupement de défense et de promotion.

Les causes de l’échec de la mobilisation

223On assiste donc à un éclatement du processus de mobilisation. Très fragmentées et souvent marginales, ces formes d’opposition n’ont pu donner naissance à un vaste mouvement de dimension régionale. Les engagements sont faibles sauf dans les zones rurales comme Hourtin ou Soustons-Vieux Boucau avec l’opposition des propriétaires fonciers. Mais cette mobilisation est éphémère : c’est un sursaut puis un retour à la léthargie. Il y a une faible réaction des groupes sociaux directement touchés par le schéma d’aménagement.

224Aucune exigence ne paraît avoir été prise en compte par la Mission, du moins directement, en refusant de les considérer comme des interlocuteurs valables. Face aux propriétaires fonciers, la M.I.A.C.A. a su acquérir à l’amiable. Les oppositions se sont effritées sans que les exigences de hausse des prix des terrains ne soient prises en compte. La Mission a su se montrer prudente à l’égard des chasseurs pour éviter un mouvement qui aurait pu prendre une ampleur considérable : elle s’incline donc pour le classement des étangs landais.

225En fait, l’échec de l’aménagement touristique n’est pas imputable à l’action des comités de défense : ils ont simplement retardé les opérations. Les causes de l’échec sont multiples et se superposent. Un certain nombre de blocages sont dus au comportement des élites à l’intérieur de l’appareil politico-administratif. L’un des obstacles majeurs reste le problème foncier et l’attitude adoptée par l’O.N.F. est un facteur déterminant dans ce blocage. Derrière on découvre tout le jeu des pressions auprès des ministères et les interventions de députés comme A. Achille-Fould.

226L’échec de certaines opérations peut être pris comme le contre-coup de fortes tensions au sein de la haute administration dont E.P.D. est l’expression visible. L’opposition entre les anciens coloniaux de l’administration centrale alliés aux membres du corps des Ponts et Chaussées, et la fraction giscardienne de la D.A.T.A.R., ainsi que les rivalités personnelles et de considérations politiques ont posé le problème du maintien de la M.I.A.C.A. Pour certains, « il est indéniable que l’aménagement de la Côte Aquitaine a été menacé jusque dans son soutien gouvernemental et il est incontestable qu’il a servi quelques fois de terrain d’affrontement à haut niveau entre fractions rivales »202. Les groupes de pression203 se sont emparés de l’instruction ministérielle Chirac du 4 août 1976204 adressée aux préfets quelques jours avant sa démission pour s’opposer à l’aménagement et pour demander la dissolution de la M.I.A.C.A. Les opposants se basent sur le fait qu’elle interdise toute Z.A.C. littorale mais oublient de mentionner que ce n’est qu’en dehors de tout schéma d’urbanisme ou de P. OS. Or la Mission a été à l’origine de nombreux textes règlementaires en ce sens205. Les problèmes se seraient réglés dans les bureaux de la Préfecture de Région et dans ceux de la D.A.T.A.R.206. Mais E. Biasini assure quant à lui ne s’être jamais senti menacé d’une quelconque manière. De plus, il est à porter à son crédit que cette instruction de J. Chirac reprend en grande partie les recommandations de la M.I.A.C.A. elle-même, il n’y a donc aucun litige véritable, ce sont les opposants de la Mission qui font tout pour trouver le moindre prétexte à l’agitation en leur faveur.

227Certains groupes opposés à la touristification du Pays Basque comme Ipparretarrak et Euskal-Zuzentasuna incendient les locaux de la M.I.A.C.A. le 12 août 1978, ce qui entraîne la perte des archives, des dossiers et des projets à l’étude.

228Les blocages entraînent un retard dans les échéanciers ce qui contribue au discrédit de la Mission et à la baisse des investissements. Les incertitudes levées, l’aménagement du territoire est rattaché au Premier ministre, le nouveau haut fonctionnaire de la D.A.T.A.R. est chabaniste et la M.I.A.C.A. est dotée d’une aide budgétaire substantielle : la perspective d’ouverture du marché commun à l’Espagne et au Portugal en est l’une des raisons.

229Mais le faible enthousiasme des investisseurs est un autre facteur de l’échec de certaines opérations. Le lancement des opérations suppose un appel aux capitaux privés mais il faut que ces opérations se révèlent commercialement rentables. Or les premiers programmes immobiliers se sont mal vendus faute d’une réelle adaptation de l’offre à la demande. La M.I.A.C.A. renvoie ses retards à la situation économique donc à des facteurs extérieurs qui ne remettent pas en cause la logique de la Mission. Mais en fait, l’aménagement touristique de la Côte Aquitaine apparaît comme l’échec d’une certaine conception de la planification et surtout son décalage avec les cycles socio-économiques.

230Il faut souligner que la tension déjà existante avec le Préfet de Région se poursuit avec les successeurs de G. Delaunay mis à part le premier, le Préfet Doustin qui a encouragé la mise au point de l’équipe opérationnelle de la M.I.A.C.A. et apporté son appui par de nombreuses visites de terrain. Le Préfet Masson207 a voulu prendre le contrôle de l’équipe d’aménageurs mais en vain ce qui l’a amené à la critiquer ouvertement208. Le Préfet Verger, quant à lui, ignore superbement les services de la Mission.

231Pour les élus le grand thème à défendre reste leur liberté d’action face aux contraintes imposées par la M.I.A.C.A. Ils ont tendance à voir dans les restrictions à l’urbanisation une atteinte à la liberté d’entreprendre et aux libertés communales. Le discours des commerçants, des exploitants de camping et des lotisseurs les rejoint en réclamant un droit à la mer. Pour les protecteurs de la S.E.P.A.N.S.O., du C.D.C.A. et d’E.P.D., la croissance gigantesque prévue par le schéma de 1972 est dangereuse car elle crée un cercle vicieux par « appel d’air ».

232Le retard pris a été attribué par la M.I.A.C.A. au rôle joué par « les égoïsmes locaux, les intérêts particuliers et les ambitions déçues »209. C’est en fait le jeu des multiples intervenants en conflit avec le projet officiel. C’est la facilité qui pousse la M.I.A.C.A. à donner de l’ampleur à des actions ponctuelles alors que la vraie responsabilité en incombe totalement à la M.I.A.C.A. : la remise en cause d’une partie des options du schéma vient de son propre retard par rapport à l’opinion du moment et à la conjoncture économique. Le schéma de 1972 est mal adapté au lieu et au moment : il porte la marque périmée du gigantisme des années soixante et révèle une méconnaissance du milieu physique et humain. La concentration des opérations après la révision des objectifs, en dix points remet en cause les U.P.A.

La poursuite du développement spontané des stations

233Des changements importants sont survenus qui affectent les modes et les rythmes de fréquentation touristique ainsi que les formes d’occupation de l’espace. Mise en place pour empêcher la croissance anarchique des stations touristiques, officiellement responsable de l’aménagement, la M.I.A.C.A. doit faire face à la réalité. A côté des opérations pilotes ponctuelles de la M.I.A.C.A., la croissance spontanée se poursuit à un rythme souvent rapide. Il paraît donc difficile d’accorder la planification officielle et l’initiative privée. La politique de maîtrise foncière est donc le grand échec de la M.I.A.C.A.

a- Le développement du « mur de béton »

234La croissance verticale des grandes stations touristiques se poursuit débouchant parfois sur le développement d’un « mur de béton », d’autant plus que les municipalités à travers les directives du P.O.S. et les promoteurs ont cédé à la doctrine fonctionnaliste.

235L’architecture a une vie propre liée aux modes d’expression esthétique et aux conditions géographiques. Elle exprime aussi les conditions sociales et économiques de sa création. A partir de la fin des années Cinquante, de nouveaux besoins, de nouvelles clientèles et de nouveaux acteurs apparaissent dans les stations touristiques. Les promoteurs construisent alors une marchandise en raison des exigences économiques permettant de toucher la clientèle la plus large possible : la taille des logements se réduit et les matériaux les plus chers sont éliminés. A son tour, le bâtiment résidentiel touristique est devenu standardisé avec des modèles répétitifs et des groupements en bande. C’est en fait une adaptation de l’urbanisme à la moyennisation de la société.

236L’architecture balnéaire se tourne encore plus vers le milieu régional à partir des années Soixante et Soixante-dix. Le style néo-basque et néo-landais se prête en fait à la standardisation210. Cette période est marquée par l’essor des immeubles, souvent dénués de caractère et d’originalité, qui se différencient peu des résidences des grandes villes. Ces immeubles ont quelques particularités : une surface habitable réduite et un fort niveau d’équipements de services annexes.

237Selon l’époque, c’est la carence ou la rigidité d’une réglementation qui influence les formes d’architecture. L’abondance ou la rareté des terrains à construire, le faible prix ou la spéculation rendent dense ou faible l’occupation du sol. Toutes les stations s’organisent autour du front de mer, avenue le long de laquelle on trouve le casino, les hôtels, les villas et les résidences. Son esthétique participe de l’image de la station. Ce lieu attractif a souvent fait place à des alignements d’immeubles en béton.

238Les stations sont soumises à partir de la fin des années Cinquante, à une accélération des transformations. Cette mutation affecte les plus grandes stations telles Arcachon comme les plus modestes telles Capbreton, Lacanau ou Biscarrosse.

239Les centres-villes connaissent une saturation de la voirie en période estivale et des problèmes de stationnement. Les abords du front de mer nécessitent des mesures d’embellissement. Les équipements touristiques tels que les casinos sont victimes de vieillissement. L’habitat urbain s’est dégradé depuis les vagues de construction. A Arcachon, la fréquentation croissante, qui fait passer la population de 15 000 en hiver à 100 000 en été, nécessite des équipements et s’accompagne d’une forte pression à l’urbanisation, qui, compte tenu de l’exiguïté du territoire communal, pose des problèmes d’aménagement de l’espace. Ainsi R. Coche dans son rapport à la M.I.A.C.A. dit à propos d’Arcachon « la ville a terriblement vieilli, ses structures dans le cadre impératif et préalable d’une fusion avec La Teste de Buch doivent être adaptées »211.

240Dans l’euphorie générale des années de croissance économique et sous la pression de la spéculation foncière, prétextant la vétusté et la demande accrue de la clientèle, les bâtiments délabrés sont remplacés par de petits ensembles d’immeubles collectifs sans grand cachet architectural : en position centrale, de petits appartements de grand standing de six à huit étages se développent comme à Arcachon, Mimizan ou Soulac. A Arcachon, le premier immeuble collectif est construit dans la ville basse en 1965. C’est surtout sur les rivages du Bassin que la progression de ces immeubles est spectaculaire. Le tourisme est l’une des causes de la mutation du front de mer. On constate donc le caractère hétérogène de l’habitat. Les maisons, hôtels et jardins ont fait place à une muraille d’immeubles. A Arcachon, les dernières villas anciennes disparaissent sous le coup des promoteurs privés pour la réalisation de luxueux programmes immobiliers.

241Beaucoup de transformations affectent le front de mer dans les années Soixante-dix avec les premières constructions en béton et en continu constituées de grands ensembles résidentiels avec toit en terrasse et vue sur la mer, « les pieds dans l’eau » selon l’expression comme le montrent les photographies d’Arcachon212. C’est le début du mur de béton que l’on déplore aujourd’hui pour la pauvreté de la création architecturale et la médiocrité esthétique des bâtiments. Pourtant pour E. Biasini, « on ne peut à la fois nous accuser de faire un mur de béton sur la Côte Aquitaine et nous reprocher d’aller lentement pour l’éviter »213. En arrière le bâti se densifie créant une rupture visuelle avec l’environnement. P. Laborde constate que « les fronts de mer ont été les terrains d’action des doctrines fonctionnalistes : les édifices anciens doivent disparaître au profit d’ensembles dont l’architecture est moderne et agréable à ses occupants [...] La vague de rénovation a fait des dégâts irréparables. Des constructions mal intégrées à leur environnement et l’adoption d’une architecture standardisée ont défiguré des paysages »214.

Illustration 30 : Le front de mer d’Arcachon : l’amorce d’un mur de béton215

242Le tourisme est donc confronté au problème de la création architecturale et de l’identité régionale d’autant plus que le rythme de construction s’accélère.

243Avant l’implantation de la M.I.A.C.A., les municipalités ont implanté des éléments importants à leur niveau : campings municipaux, piscines, ports de plaisance d’Arcachon et d’Andernos.

244Jusqu’en 1971, les conseils généraux poursuivent une politique d’amélioration progressive surtout en ce qui concerne le réseau routier. La route littorale s’est peu à peu réalisée par tronçons comme Montalivet-Depée, Maubuisson-Lacanau, le Pilat-Biscarrosse... Le département de la Gironde établit à Bombannes, sur la commune de Carcans, une base de loisirs de deux cents hectares. Elle comprend un camping avec des aires de pique-nique pour mille personnes. Elle connaît un vif succès durant les week-ends et elle est utilisée toute l’année pour des stages scolaires et sportifs. C’est une réussite en raison de la proximité de Bordeaux mais aussi parce qu’elle répond aux besoins des touristes.

245Parallèlement, les lotissements poursuivent leur extension. La croissance des stations se poursuit avec une rapide hausse de la construction de logements : on passe de 57 380 en 1962 à 85 000 en 1974. Mais c’est le littoral landais qui connaît la plus forte progression avec 20,7 % de hausse. Les stations balnéaires dominantes comme Biscarrosse, Mimizan, Vieux Boucau, Capbreton, Hossegor et Seignosse font preuve d’un fort dynamisme. Le Bassin d’Arcachon, quant à lui, voit son élan se limiter à 13,9 % surtout pour l’agglomération Arcachon-La Teste de Buch, et le Médoc à 11,9 %. Cependant, sur la côte océane, l’emprise foncière de l’Etat a réduit l’urbanisation littorale avec notamment le C.E.L. entre Biscarrosse Plage et Mimizan Plage. Le Bassin d’Arcachon est presque entièrement urbanisé et les berges des lacs de Lacanau et Carcans-Hourtin le sont partiellement. Ce sont les résidences secondaires qui jouent un rôle primordial : le nombre de constructions double en à peine une dizaine d’années passant de 17 000 en 1962 à 32 000 en 1974. Les Landes arrivent en tête avec une hausse de 28 % entre 1968 et 1974, due essentiellement à la station nouvelle de Seignosse le Penon, le Bassin d’Arcachon les talonne avec 25 % et le Médoc ferme la marche avec 16 %.

246Les espaces les plus recherchés sur la côte sont donc les dunes dominant les plans d’eau, c’est notamment le cas du Canon, de l’Herbe, de Pereire, du Pyla sur le Bassin d’Arcachon, de Lacanau, et des Hautes Rives à Biscarrosse. Ainsi les rivages restent dominés par les clientèles modestes alors que les gens plus aisés gagnent les hauteurs.

b- L’absence d’action publique et la réponse à une demande croissante

247Tout mode d’hébergement réuni, la capacité d’accueil de la côte a triplé depuis les années Cinquante et avoisine les 380 000 lits touristiques en 1975 dont 20 % sur la côte médocaine, 38,6 % sur la côte landaise et 41,4 % sur le Bassin d’Arcachon. Le point le plus intéressant est l’évolution de chacune des catégories avec le recul des formes traditionnelles au profit d’une nouvelle conception du tourisme.

248L’urbanisation et l’élévation générale du niveau de vie ont permis la généralisation de l’accès à la possession d’une résidence. Sur la Côte Aquitaine, les résidences particulières jouent un rôle essentiel dans la fonction d’accueil de la côte avec 230 000 places soit 60 % de la capacité totale. Les résidences secondaires représentent 38,8 % des locations. En ce qui concerne les locations de meublés, il est difficile de connaître leur fréquentation exacte. En effet, la sous estimation de ce phénomène est importante surtout avec le phénomène de surhabitation des résidences principales par l’accueil des amis ou des parents mais elle est évaluée à 23 % des locations.

249L’hôtellerie, qui a été en position dominante, ne concentre que 3 % des capacités d’accueil. Seules les stations balnéaires issues du tourisme élitiste dépassent cette moyenne : à Arcachon et Hossegor-Capbreton, l’hôtellerie avoisine les 8 % des capacités d’hébergement, par comparaison, à Biarritz, les hôtels représentent 11,5 % des capacités. Hossegor joue un rôle important pour attirer une clientèle aisée avec 600 chambres soit 18 % de l’ensemble de l’hôtellerie classée. La Côte Aquitaine rassemble 25 % des hôtels trois étoiles d’Aquitaine, 15 % des deux étoiles et 17 % des une étoile. C’est une activité fragile qui est soumise à la concurrence des autres formes d’hébergement.

250Le camping est un phénomène de masse concentré dans le temps et l’espace. C’est le type d’hébergement qui a connu la plus forte progression depuis les années cinquante en raison de l’accession des couches modestes de la population aux vacances et du développement de l’automobile. Les campings prolifèrent sur la côte entre 1963 et 1965 avec une progression de 54 % dans les Landes et de 48 % en Gironde. On constate à nouveau que le rattrapage des Landes se fait à allure soutenue. Le littoral qui concentre 80 % de la capacité en camping est passé de 47 000 emplacements en 1963 à 126 000 en 1975 soit le troisième rang français. En 1968, on en compte 88 000 soit 28 % de la capacité totale. La réglementation de 1968216 apporte des améliorations aux conditions de vie en camping mais constitue un frein au développement non contrôlé des campings. Ses campings sont d’un standing moyen car les deux étoiles représentent 45 % des terrains de camping en 1974, les trois étoiles 28 % et les quatre étoiles 18 %. Ainsi en 1974, avec 26 % de la capacité totale en hébergement, la Côte Aquitaine dépasse la moyenne du littoral français qui est de 19 %. Le problème fondamental reste la surcharge des terrains les plus proches de la mer qui au moment des pointes estivales gonflent leur capacité de 20 à 30 %. Ces campings évoluent aussi ressemblant de plus en plus à des villages de vacances avec l’apparition de centres commerciaux, de terrains de sport et d’animation.

251Les autres formes, c’est-à-dire l’hébergement collectif de type social, rassemblent 7 % de la capacité totale de la côte. La forme la plus ancienne est l’hébergement des enfants et des adolescents en colonie ou camp de vacances. Soulac, Capbreton et Vieux Boucau comptent quarante cinq colonies soit un tiers du total et les stations du fond du Bassin d’Arcachon peuvent héberger les colons dans une vingtaine de camps. Mais leur fréquentation stagne : c’est d’ailleurs l’une des seules formes de tourisme à connaître ce phénomène217. En fait, l’évolution des structures sociales des ménages provoque un départ en famille plutôt qu’en colonie. C’est aussi le signe de l’effritement des sociabilités anciennes avec par exemple la crise des Jeunesses Communistes en 1961. Les maisons familiales de vacances sont des réalisations plus modestes dans ce secteur : Hossegor en compte trois de même que Soulac.

252Les villages de vacances des comités d’entreprise, des organisations syndicales et professionnelles diverses connaissent une forte expansion. Pendant les années Soixante et Soixante-dix, les V.V.F. profitent des avantages qu’offre la politique des grands projets d’aménagement du territoire. Mais la conception évolue : le V.V.F. ne se destine pas qu’aux populations les plus défavorisées mais au plus grand nombre. La taille et le standing sont très différents entre le simple village de toile et le camp de Tourisme et Travail de Montalivet ou le motel de 500 places de la Caisse de Retraite et de Prévoyance des Clercs et Employés de Notaire (C.R.P.C.E.N.) à Seignosse le Penon. Les villages de vacances de Capbreton et Seignosse à eux seuls peuvent rassembler 5 000 personnes. Créé en juillet 1960 au sud de la station, le V.V.F. de Capbreton, l’un des premiers réalisés en France, accueille 800 personnes et emploie 10 à 45 personnes218. Aux Gîtes de la Mer, au V.V.F. de la Forêt qui emploie 14 à 40 personnes219 et au V.V.T.220 des Tuquets à Seignosse le Penon, la C.D.C. a permis la construction de logements pour 4 000 personnes. Le V.V.T. du Penon comprend un pavillon central avec des pavillons en hameaux pour assurer une vie collective et fait travailler 60 à 80 personnes221. On y compte environ 55 % de jeunes de moins de 15 ans. Il est construit au bord d’un très grand bassin de natation de 4 500 m², le plus important bassin d’eau de mer d’Europe.

Illustration 31 : Le VVT du Penon : la vie collective222

253Le tableau suivant récapitule l’évolution de ces différentes formes de tourisme sur la Côte Aquitaine.

Tableau 32 : Evolution de la répartition des modes d’hébergement dans les secteurs du littoral (en % de la capacité totale)223

254On constate le déclin de l’hôtellerie, la progression générale des résidences secondaires, un certain recul du camping et de l’hébergement collectif. On peut également conclure que le Bassin d’Arcachon et le Médoc des étangs sont caractérisés par un habitat en dur assez important. La pointe du Médoc concentre les grands villages de vacances et l’hébergement social. Les Landes jouent un rôle fondamental dans le développement du camping et de l’hébergement social malgré la progression des résidences secondaires.

255On peut donc dire que la Côte Aquitaine est restée à l’écart du grand boom touristique des années Soixante et Soixante-dix qui a provoqué l’urbanisation massive et anarchique des côtes normandes et provençales. Et pourtant tous les éléments sont réunis pour accroître l’offre touristique : les départements se lancent avec leurs S.E.M. dans des politiques d’aménagements très ambitieuses. Mais c’est surtout l’institution de la M.I.A.C.A. et sous l’impulsion de son premier président que le développement anarchique est arrêté par des mesures foncières de protection. Cette doctrine de développement durable a suscité une vive opposition qui permet au nouveau président de développer une doctrine plus économique et rentable : c’est le feu vert à une nouvelle poussée de construction sur la côte en dehors des opérations pilotes puisque la M.I.A.C.A. n’est pas la seule à intervenir dans l’aménagement de la côte. Les retards d’infrastructures sont comblés mais ils sont sous-estimés face à la croissance des flux touristiques. De plus ces infrastructures routières notamment et les éléments du confort moderne attirent une population permanente : le littoral évolue alors vers la société et l’économie post-industrielle.

La M.I.A.C.A. : une institution au service de la région ? (1984-1988)

256Marc Bœuf, sénateur de la Gironde s’est adressé à la tribune du Sénat en ces termes : « Cette mission a été un précieux incitateur pour les élus locaux dans la réalisation des équipements touristiques sur la Côte d’Argent et à l’intérieur du pays. Tenant compte de la volonté des départements et des communes, elle a fait un énorme travail en matière d’assainissement et conservé au pays des secteurs d’équilibre naturel. Dans un esprit de Décentralisation, il serait bon que cette mission devienne régionale »224.

257Avec l’alternance politique et la mise en place de la Décentralisation, les politiques aussi bien régionaux que nationaux s’interrogent sur le devenir d’une mission nationale à caractère régional. Créée par Jacques Chaban-Delmas, suspectée par Valéry Giscard d’Estaing, la mission est pérennisée par les socialistes aussi bien locaux que nationaux. A partir de ce moment-là, la mission est-elle encore plus au service de la région et de son identité ?

Nouvelles instances départementales, régionales et nationales

258L’administration du tourisme à un niveau régional est devenue possible par la mise en place d’une nouvelle collectivité territoriale aux responsabilités accrues et dans la perspective d’un développement de la politique contractuelle. Le concept de planification évolue alors vers un nouveau paradigme : la planification décentralisée.

La planification décentralisée

259Dans le milieu des années Soixante-dix puis avec l’arrivée au pouvoir des socialistes au début des années Quatre-vingts, l’Etat s’est réformé pour laisser plus de liberté d’action aux instances locales. Ce concept de planification a donc évolué au fur et à mesure des années.

a- Naissance du concept

260La première phase de la planification touristique a considéré le tourisme soit comme un élément de soutien à la politique nationale, soit comme un instrument performant d’aménagement du territoire prétexte à des opérations de développement économique et social dans le respect de l’environnement. Après l’échec du référendum de 1969 sur la réforme des régions, il faut attendre 1972 pour franchir une première étape dans la décentralisation. La loi du 5 juillet 1972, institue un Etablissement Public Régional (E.P.R.) avec deux assemblées : le Conseil Régional d’élus225 qui vote le budget régional et donne son avis sur les questions d’aménagement régional, et le C.E.S.R. qui prend le relais de la CO. D.E.R. Pendant trente ans, l’aménagement touristique a été l’objet d’une planification centralisée visant à répondre à l’explosion de la demande par un zonage fonctionnel du territoire.

261La deuxième phase, dans un contexte de restructuration des structures administratives par les lois de Décentralisation de 1982-1983, correspond à un redéploiement des moyens des régions et à la prise de conscience des intérêts des actions touristiques ponctuelles comme élément de base d’un développement régional. L’autonomie des pouvoirs publics et la Décentralisation libèrent l’initiative locale. « Mais le tourisme fonde un discours incantatoire comme recours ultime pour le développement économique. [...] Depuis dix ans, la problématique s’est inversée : les schémas ont repris leur rôle de moyen »226 et non plus d’objectif. Ainsi l’aménagement et le développement touristique ont abandonné leur mission de rationalité planificatrice au profit d’une vocation de justice spatiale à la fois plus équitable pour les territoires et plus conforme aux nécessités de l’économie. L’aménagement du territoire n’est plus l’agencement efficace des équipements, des services, des activités sur l’espace. L’objectif et le contenu des projets n’obéissent plus au dessein de l’Etat Providence : l’aménagement touristique n’est plus l’ordonnancement technocratique et hiérarchisé du temps d’E. Claudius Petit ou de Ph. Saint Marc. L’aménagement touristique est devenu producteur d’une dynamique négociée de développement pour et par la société locale. Le nouvel aménagement du territoire se veut équitable en n’intervenant plus de manière égale mais avec discernement en fonction des situations locales. C’est la fin de la notion égalitariste d’aménagement dans laquelle les collectivités territoriales ont les mêmes devoirs et les mêmes droits pour réaliser peu à peu l’égalité des situations spatiales : il répond à la centralisation de l’Etat. Le principe de différence s’affirme pour concevoir l’action différentielle qui fonde l’aménagement touristique visant à ne pas distribuer de manière égale ni à distribuer l’aide en fonction de l’utilité économique et sociale contrairement au fonctionnalisme dirigé qui ne fonctionne pas sur les principes démocratiques d’équité. Dans ce contexte post-fordiste marqué par le développement de nouvelles activités économiques, la diffusion des nouvelles technologies, de nouvelles manières de produire et de consommer. Pour répondre à ces variations, la nouvelle organisation des politiques de développement local doit faciliter la création de synergies, raisonner en terme de multi-activités, de travail en réseau et non plus à la chaîne, d’interactivité plutôt que de hiérarchisation. La période où la planification s’oppose au marché qui a tendance à confondre l’intérêt général avec la somme des intérêts particuliers, est révolue. L’idéologie du tout-plan ou du zoning convenant mal aux politiques de développement territorial des années Quatre-vingts est finie. On est passé de la concertation au partenariat. Ce nouveau modèle est l’intermédiaire entre la conception libérale du développement et une pratique réglementaire de l’aménagement.

262Ce concept de planification décentralisée est née de la convergence de deux mesures phares de la nouvelle majorité socialiste issue des élections de mai-juin 1981 : la Décentralisation et la réforme de la planification.

b- La Décentralisation et l’émergence de nouveaux rôles pour les collectivités territoriales

• Les lois de Décentralisation de 1982-1983227 mises en place par Gaston Deferre ont profondément bouleversé les compétences des collectivités territoriales :
  – l’Etat doit définir les grandes lois d’aménagement de l’espace, le contrôle de leur respect et les actions de planification nationale,
  – la région a la mission de planification, d’impulsion et d’incitation notamment en matière économique,
  – les départements ont la responsabilité d’assurer les aides et les services qui font appel à la solidarité locale,
  – les communes reçoivent les attributions relatives à la maîtrise du sol et aux équipements de proximité.

263Dans ce nouveau système administratif, le tourisme trouve une nouvelle place. La région reçoit donc la légitimité, les compétences et, les moyens matériels à travers l’élaboration d’un budget régional, humains par le personnel mis à disposition et contractuels. La région devient véritablement une collectivité territoriale après l’élection du Conseil Régional au suffrage universel direct en 1986. Le Président du Conseil Régional228 récupère au détriment du Préfet de Région les pouvoirs exécutifs régionaux et l’autorité sur les services administratifs régionaux.

264Le Code général des collectivités territoriales leur donne pour mission de contribuer au développement économique de leur territoire. Or le développement touristique est considéré comme une forme de développement économique et le Conseil d’Etat dans une décision prise en 1985 a considéré que cette mission constitue une mission de service public229.

265Avec l’expiration des Z.A.D. en 1984, les pouvoirs publics, nouvellement réorganisés, possèdent de nouveaux moyens pour poursuivre l’action de protection comme les communes qui ont un droit de préemption dans le cadre des Zones d’Aménagement Prioritaire (Z.A.P.) et les départements qui peuvent agir au titre des zones sensibles. Ainsi, les Conseils Généraux de Gironde et des Landes ont étendu à l’ensemble des communes la Taxe Départementale d’Espace Naturel Sensible (T.D.E.N.S.) et ont délimité les zones où le droit de préemption peut être appliqué pour poursuivre la politique d’acquisition foncière en vue d’étoffer la gamme des équipements à vocation touristique du littoral.

c- La réforme de la planification à la française

266La France a une longue expérience de la planification. Son élaboration a été dictée par la conjoncture économique et politique d’après-guerre : l’intervention de l’Etat dans l’économie est l’une des clés du retour de la puissance nationale. Cette planification financée grâce à l’aide du plan Marshall est perçue comme un instrument à la mesure des besoins de la France et comme un moyen de prévoir : c’est la naissance de la planification à la française. Les bases théoriques viennent de deux influences très différentes : J.M. Keynes et l’école de Cambridge, et l’Union stalinienne et les travaux de Wassily Léontieff. En France, ces idées se retrouvent avec deux acteurs du redressement du pays : le Parti Communiste Français et le Commissaire au Plan, fonction créée par le décret du 3 janvier 1946, J. Monnet.

267C’est sous la présidence gaulliste que l’aménagement par la planification trouve son apogée dans la conception centralisatrice et participationniste du Général de Gaulle. Le IV^ème Plan (1962-1965) axé sur le développement économique et social marque l’apogée de la planification à la française mais aussi un tournant avec l’amorce d’une régionalisation présentée comme un essai et un espoir. La politique d’aménagement du territoire s’intensifie ensuite avec les V^ème et VI^ème Plans (1966- 1970/1971-1975). Avec le VII^ème Plan (1976-1980), la planification s’estompe, pour ne plus jouer qu’un rôle d’organe de conseil, face au capitalisme libéral, à la mondialisation de l’économie et à la construction européenne, lors de la présidence de V. Giscard d’Estaing fortement marqué par la crise.

268Avec l’abandon du VIII^ème Plan auquel il reproche l’absence d’objectifs quantifiés, le président de la République F. Mitterrand et le nouveau gouvernement socialiste entreprennent la réforme de la planification de façon à l’adapter au processus de décentralisation. Cette volonté politique se traduit par l’annonce du premier gouvernement Mauroy, le 21 mai 1981, de la création d’un ministère du Plan et de l’Aménagement du Territoire confié à M. Rocard avec la double tâche de rendre au Plan un rôle moteur dans l’exécution politique économique et sociale de lutte contre la crise et d’assurer la décentralisation de l’espace français.

269Le 13 juillet 1982, le Parlement vote la loi relative à la réforme de la planification. Le plan est désormais soumis à discussion et voté par l’Assemblée Nationale. Il intègre une nouvelle donne : la contractualisation, entérinée par le vote du 22 juillet 1982, qui devient l’élément incontournable des nouveaux rapports entre l’Etat et la région. La mise en place du IX^ème Plan (1984-1988), fruit des réformes de la planification et de la décentralisation, consacre l’engagement de la région Aquitaine pour le tourisme.

De nouveaux freins réglementaires et légaux

270Ecologiquement, les pouvoirs publics concrétisent les mouvements en faveur d’une préservation des espaces naturels par la création du ministère de la Protection de la Nature et de l’Environnement en 1971. Pour répondre aux objectifs de fréquentation touristique, la priorité est de permettre un accès à la nature pour tous et d’éduquer au mieux les touristes. Les pouvoirs publics encouragent la constitution d’espaces protégés et conservés. De nombreux aspects réglementaires peuvent jouer un rôle déterminant sur les activités touristiques et sur les retombées économiques. Toute politique de préservation peut être considérée comme un facteur limitant.

a- Les premières mesures de protection

271Après cinq années de préparation, la publication de la loi du 10 juillet 1976, dite loi d’Ornano, relative à la protection de la nature vise à modifier les pratiques de la prise de décision. Son article 2 institue l’étude d’impacts préalable. C’est en fait la pratique du Comité pour l’Environnement de la Côte Aquitaine qui a inspiré la réflexion aux auteurs de la loi.

272L’heure n’est plus aux ports de plaisance et aux marinas. Depuis les instructions ministérielles sur la protection du littoral, les investisseurs privés n’ont plus le droit de rentabiliser la construction d’un port de plaisance par une opération immobilière.

273L’O.N.F. a lancé les aménagements en forêt pour la protéger. Ces aménagements récréatifs comportent des pistes cyclables, des parcours hippiques, des sentiers de randonnée, des aires de pique-nique et des parkings.

274L’environnement peut devenir un élément positif à deux niveaux en tant que facteur d’attractivité et en tant que produit à travers la mise en valeur de sites naturels. Il s’agit de faire de ces sites des composantes de produits touristiques.

275L’autre directive protectionniste est la Directive Nationale d’Aménagement et de Protection du Littoral décrétée le 25 août 1979 qui demande des études d’impact, et la protection des forêts littorales fixant les dunes. La directive déconseille l’urbanisation linéaire au littoral et interdit la construction des espaces encore naturels.

b- Le Conservatoire de l’Espace Littoral et des Rivages Lacustres

276L’opinion publique réagit de plus en plus mal à l’urbanisation croissante du littoral, la crise économique sonne le glas de la croissance à outrance et les écologistes dénoncent les atteintes portées à l’environnement. Dans ce contexte est créé en 1971, le ministère de la Protection de la Nature et de l’Environnement. Le 13 mai 1971, le C.I.A.T. décide de donner deux ans à M. Piquard pour réfléchir sur le littoral français. Il rend son rapport le 5 novembre 1973 et propose sept mesures :

• maintenir l’équilibre écologique face aux opérations d’aménagement pour conserver la qualité du cadre de vie et la diversité des paysages,
• limiter la consommation d’espace littoral car le développement incontrôlé sur le rivage mène à l’asphyxie,
• maintenir le libre-accès à la plage,
• la mesure la plus originale reste la maîtrise foncière des espaces naturels les plus fragiles et les plus menacés par la substitution de l’Etat aux propriétaires privés quand l’intérêt public l’exige. Cette mission est confiée à un outil foncier : le Conservatoire de l’Espace Littoral et des Rivages Lacustres qui doit avoir un caractère national, une mission spécialisée et une gestion décentralisée.

277Le bras de fer s’engage entre O. Guichard, ministre de l’Aménagement du Territoire, de l’Equipement et des Transports, voulant faire du Conservatoire du Littoral une alternative pour améliorer la démocratie locale, et le ministre des Finances, V. Giscard d’Estaing, qui voit que le Conservatoire du Littoral va grever son budget. Finalement l’appui de G. Pompidou et de la D.A.T.A.R. à O. Guichard permet le projet de loi du 17 mai 1974. Le Sénat voulant lutter contre la technocratie augmente le contrôle par les collectivités locales pour instituer une culture du dialogue. La loi est adoptée par l’Assemblée Nationale le 25 juin 1975 et promulguée le 10 juillet 1975. C’est la naissance d’un Etablissement Public à Caractère Administratif. C’est un agent foncier qui a une structure souple lui permettant d’agir plus facilement. Selon l’article 1 de ses statuts, ses deux activités essentielles sont l’acquisition foncière et les activités de conseil230. Malgré le manque de moyen, il a su développer une gestion rationnelle et originale basée sur trois règles : l’inaliénabilité ou la notion de patrimoine de la collectivité, le génie écologique ou principe d’auto-régénération de la nature et l’ouverture au public231.

278Les sites naturels intacts sont rares sur le littoral en dehors de ceux protégés par la législation sur les sites : la Grande Dune de Pilat, l’Ile aux Oiseaux, les réservoirs à poissons de Piraillan et le lac marin d’Hossegor. La politique d’acquisitions foncières de la Mission a abouti à la conservation de 500 hectares de terrains232. Le relais a été pris par le Conservatoire du Littoral, pour acquérir des terrains en bord de mer et les ouvrir au public. La gestion de ces terrains est confiée aux collectivités locales. Il a acquis pour 75 millions de francs 3 200 hectares sur une vingtaine de sites. En 1980, le Conservatoire du Littoral a acquis la côte sauvage au Sud de Capbreton (34 hectares), le bord du lac d’Hourtin à Sainte Hélène de Carcans (21 hectares), sur le Bassin d’Arcachon, Saint Brice d’Arès (82 hectares), les réservoirs à poissons de Piraillan (39 hectares), les prés-salés d’Arcachon-La Teste de Buch (90 hectares), la pointe de Cap Ferret (169 hectares), le port des Tuiles à Biganos (13 hectares) et le domaine de Certes à Audenge (376 hectares). La S.E.P.A.N.S.O. gère l’étang de Cousseau, le banc d’Arguin, la réserve des prés-salés d’Arès : l’accès est libre mais avec un accueil et une information du public.

c- La loi Littoral

279La loi du 3 janvier 1986, dite loi Littoral233, pose les principes généraux d’utilisation et de protection des espaces terrestres, maritimes et lacustres des communes littorales, et définit les communes littorales (art. 1 et 2). Elle comporte de sévères contraintes à l’égard du tourisme. C’est la volonté de l’Etat de protéger le littoral contre de vastes opérations d’aménagements touristiques inadaptées à la zone ou susceptibles d’entraîner la détérioration de celle-ci. « C’est un coup d’arrêt à la décentralisation pour les élus qui ont commis des excès »234. La loi menace la plaisance et les golfs immobiliers (art. 18-22). Il est, en effet, établi que la hausse du nombre de places en port de plaisance à tendance à accroître la demande sans la résorber.

280C’est une loi d’aménagement et d’urbanisme : toute urbanisation doit être justifiée et la protection est la règle. L’implantation ou l’extension touristique se heurtent alors à des difficultés : toute urbanisation est interdite sur une bande de cent mètres et la libre accessibilité et circulation du littoral est garantie par son caractère public et sa gratuité (art. 3 III, 4 II et 30). On peut donc voir que cette loi se situe dans le prolongement de l’action de la M.I.A.C.A.235 même si le principe des 500 mètres hérité de la SO. G.R.E.A.H. a été réduit. La loi Littoral s’oppose ainsi au développement linéaire lui préférant la continuité ou la construction de hameaux intégrés c’est-à-dire une polarisation du développement touristique. Elle demande également la mise en place préalable de documents d’urbanisme P.O.S. et S.D.A.U. (art. 31) comme cela a été fait sur la Côte Aquitaine pour définir les zones d’activité du littoral. Elle interdit aussi la construction de voies nouvelles en corniche comme l’a fait la M.I.A.C.A. (art. 3 III). Elle souhaite un classement des zones naturelles sensibles à protéger comme l’a réalisé la Mission au fil des années. Un Service d’Etude et d’Aménagement Touristique du Littoral (S.E.A.T.L.) est alors créé pour conseiller les élus et les investisseurs sur le plan technique et juridique.

Les risques de cette politique nouvelle

281La politique de décentralisation pose des problèmes aussi bien au niveau des interventions que des moyens mis en œuvre.

a- Les problèmes de coordination

282Face à la crise des secteurs traditionnels et à la croissance de la demande de loisirs et de tourisme, les collectivités territoriales privilégient soudainement le développement du secteur touristique. Il offre pour beaucoup le dernier espoir.

283Les sites naturels ou humains font l’objet d’une nouvelle mise en valeur. Se multiplient les expériences d’amélioration de l’information et des accès vers les lieux naturels, de redécouverte des traces de civilisation et de renaissance des traditions et coutumes oubliées. Elles nécessitent donc des aménagements ponctuels. Ces valorisations font craindre une raréfaction des attraits touristiques par autodestruction des sites mal ou trop exploités.

284Ces actions sont de plus en plus difficiles à coordonner car elles émanent de quatre niveaux d’intervention publique : Etat, région, département et commune. Tous veulent développer des activités touristiques de même que le secteur privé. L’éclosion d’initiatives privées dépasse largement le simple accueil des O.T.-S.I. Les groupements de commerçants, d’artisans, d’agriculteurs organisent des manifestations, les associations sportives et culturelles participent de l’attraction touristique.

b- La remise en cause de la politique nationale

285Ce danger apparaît par le déploiement d’un grand nombre d’investissements publics et le jeu des institutions. On assiste à un saupoudrage des investissements publics. Pour tenir compte des tendances actuelles des nouveaux comportements touristiques et de l’accentuation de la concurrence dans le domaine touristique, les responsables de gestion du secteur touristique mènent des actions diverses qui ne vont pas forcément dans le même sens. Ainsi se sont multipliés un plan golf, des parcs nautiques, des parcs à thèmes et des parcs récréatifs pour répondre aux demandes nombreuses.

286La Décentralisation procure aux communes la possibilité d’exercer leur responsabilité en matière d’urbanisme. Même s’il y a eu adoption d’un schéma d’aménagement que les P.O.S. ont mis en œuvre, le risque est que les contraintes soient en fait bien moindres et formelles.

287Le risque augmente avec la mutation administrative qui se poursuit depuis les lois de 1982-1983 mais aussi avec les comportements touristiques qui changent rapidement. La politique touristique s’oriente donc vers de petits foyers polarisants qui doivent avoir en commun l’animation, la promotion et la volonté d’actions coordonnées.

La continuité de l’effort d’aménagement

288Malgré ces risques liés à la décentralisation et à la réforme de la planification, l’aménagement de la Côte Aquitaine connaît une certaine continuité avec la poursuite de l’action de la M.I.A.C.A. et de l’E.P.R. mais surtout avec la régionalisation des instruments de planification.

Les nouveaux instruments régionalisés

289Les instruments de planification et de politique touristique régionaux sont donc le C.R.T. et la Mi. A.C.A. Avec la Décentralisation et les nouvelles responsabilités régionales, ces instruments ont été régionalisés et renforcés dans leurs prérogatives.

a- La Mi. A.C.A.

290Après les transferts de compétences engendrés par les réformes de la décentralisation, l’existence d’une mission interministérielle n’a plus de raison d’exister. Les élus se sont prononcés pour la continuité de l’action engagée par la M.I.A.C.A. La prolongation de la Mission dans sa forme initiale a été demandée à l’unanimité par l’assemblée régionale lors de la délibération du 30 juillet 1982 tout en souhaitant sa régionalisation236. Le décret du 30 juin 1984 modifie la composition du conseil d’administration de la Mission et étend son existence pour la préparation du contrat de Plan237. E. Biasini reste Président de la Mission alors qu’il vient d’être nommé à la Présidence de l’Etablissement Public du Grand Louvre et donc Ph. Chenel devient délégué du Président à Bordeaux. Lors des Assises régionales du Tourisme organisées par le C.R.T.A. du 11 décembre 1984 à Saint Paul lès Dax, H. Emmanuelli déclare : « Je dirai un Aquitain l’avait créée, un Aquitain l’a défendue. Le temps passe, les choses changent, les Aquitains restent, et lorsqu’il ne reste plus qu’une mission et bien il se trouve que c’est celle-là. Je crois que nous nous sommes tous coordonnés pour que la M.I.A.C.A. reste l’outil opérationnel comme l’a souhaité la région et nous aurons tout bénéfice à ce qu’il en soit ainsi »238.

291La durée d’exercice de la Mission Aquitaine a été rallongée par une série de décrets alors que, par essence, elle est une institution temporaire. Avec les lois de décentralisation, les conditions d’intervention de la Mission ont dû être revues.

292L’ensemble des collectivités locales doivent œuvrer à la poursuite de la tâche. C’est pourquoi le Conseil Régional d’Aquitaine a demandé la poursuite de l’aménagement de la côte. Il a demandé le maintien de la Mission pour assurer la coordination et l’assistance technique. Par le décret 85-440 du 19 avril 1985239, la M.I.A.C.A. devient la Mission d’Aménagement de la Côte Aquitaine (Mi. A.C.A.) et assure la coordination des actions de l’Etat et des collectivités locales. Elle est donc passée du statut d’organisme d’Etat à celui d’institution régionale placée sous l’autorité du Commissaire de la République au service de la région, le Préfet de Région. La durée de son exercice est portée jusqu’en décembre 1988 mais son président E. Biasini démissionne au cours de l’été 1988.

293De plus la ligne budgétaire est augmentée grâce à l’action d’Henri Emmanuelli, élu Président du Conseil Général des Landes en 1982, il est ensuite très influent Rue de Rivoli en temps que secrétaire d’Etat au Budget au Ministère des Finances de 1983 à 1986.

294L’organisation de la Mission change peu240 : elle possède un conseil d’administration, un président, E. Biasini, nommé par le Premier ministre241, un secrétaire général, P.-L. Soldaini désigné par le ministre chargé de l’Aménagement. Elle se compose aussi de deux chargés de mission territoriaux (Ph. Chenel pour les Landes et P. Raviart pour la Gironde), quatre chargés de mission fonctionnels (aménagement et gestion des S.E.N. et assistance paysagère pour M. Mercier ; urbanisme, aménagement et politique foncière pour M. Marty ; comptabilité, gestion et études économiques pour B. Dussarps ; relations publiques et communication pour J.-P. Imbert), un bureau d’études, de dessin et de photographie et une secrétaire-comptable-documentaliste. En sont membres de droit le Préfet de Région, les autres préfets de département, les chefs des services régionaux de l’équipement, six élus régionaux et le président du Conseil Régional.

295Son action est d’encadrer le développement touristique littoral. Pour cela, elle met en place une série d’actions comme le plan Camping, le plan Plage, les réserves naturelles et le réseau de pistes cyclables. Elle s’engage dans les contrats de valorisation des stations littorales anciennes.

b- Le C.R.T.

296Les C.R.T. instaurés par le gouvernement de Vichy en 1942 ont un statut juridique imprécis jusqu’en 1987 et font double emploi avec les Délégations Régionales au Tourisme. Cette opacité n’a pas permis la structuration régionale et locale du développement touristique. Avec les lois de décentralisation et la loi du 3 janvier 1987, ils sont devenus des organes techniques d’aide à la collectivité régionale décentralisée242. C’est une structure associative dotée d’un conseil d’administration avec des représentants du Conseil Régional, des Conseils Généraux, des professionnels, des associations de tourisme et des communes touristiques.

297La refonte des C.R.T.243 permet la création dans chaque région d’un C.R.T. dont les principes d’organisation sont définis par le Conseil Régional. Son rôle défini à l’article 2, est de concourir à la mise en œuvre de la politique du tourisme et des loisirs définie par le Conseil Régional notamment dans le domaine des études, de la planification, de l’aménagement et de l’équipement, des aides aux hébergements, une assistance technique à la commercialisation ainsi que la formation professionnelle. Il assure les actions de promotion touristique de la région en France et à l’étranger.

L’intervention de la région dans le sens de la M.I.A.C.A. : le premier contrat de plan Etat-Région

298La planification contractualisée « offre le double avantage de préserver la filiation historique Etat-Région et de renforcer la région restaurée »244. La région outre sa participation au plan national, élabore son propre plan. Le contrat de Plan, instrument privilégié de collaboration entre la région et l’Etat, permet la mise en place d’une dynamique proprement régionale.

a- Les principes généraux du contrat de Plan : le tourisme comme priorité régionale

299Les contrats de Plan sont l’une des grandes innovations du IX^ème Plan245. Leur procédure d’élaboration est précisée par le décret du 21 janvier 1983. C’est au président du Conseil régional qu’il appartient de concevoir les projets de contrat et de les transmettre au Préfet de Région. C’est un C.I.A.T. qui décide du contenu des futurs contrats en donnant au Préfet de Région le pouvoir de signer au nom de l’Etat le projet définitif de contrat de Plan.

300La contractualisation du plan resserre les liens entre l’Etat et la région. Le contrat de Plan traduit en partie l’expression du pouvoir exécutif de la collectivité territoriale. Mais il doit aussi respecter les grands équilibres nationaux. Cet équilibre entre national et régional s’est fait lors du IX^ème Plan au profit de l’Etat qui a gardé le contrôle de la négociation. L’insuffisance de statistiques au niveau régional a constitué un handicap pour les travaux de réflexion. La contractualisation apparaît comme une nécessité pour la région dans la mesure où son champ de compétence est très général et que ses moyens financiers sont limités pour mener une action économique significative.

301L’objectif principal est de renforcer la compétitivité économique de la région en mettant en valeur ses attraits et en réduisant ses handicaps dans la perspective du grand marché européen.

302L’action touristique est un domaine privilégié de l’intervention des E.P.R. « parce qu’elle associe des sites très variés, et inégalement équipés, parce qu’elle fonde ses représentations extérieures sur le thème de la qualité de vie, la région Aquitaine accorde une place importante au tourisme considéré comme atout du développement »246. Dès 1974, l’institution régionale est impliquée dans le développement touristique par le biais des premières subventions spécifiques versées au C.R.T. et au Comité d’Expansion. Dans le cadre de la planification décentralisée, le nouveau cadre négocié avec l’Etat s’appuie sur les expériences existantes.

303Certains contrats de Plan nationaux portent sur le développement du tourisme, c’est le cas de la région Aquitaine247. Le contrat de plan particulier pour le développement du tourisme dans la région Aquitaine est signé le 15 octobre 1984. Le contrat de Plan Etat-Région Aquitaine est le fruit d’une quinzaine de mois de négociation avec les services de l’Etat : il fait le bilan des actions régionales entreprises et se projette sur les améliorations possibles. Le tourisme apparaît en quatrième position dans l’exposé des neuf choix après trois programmes à finalité strictement économique : soutien à l’investissement et à l’emploi, recherche et technologie, et développement agricole et rural. Les acteurs politiques identifient le tourisme comme un atout potentiel de développement économique de la région.

304Cette priorité donnée au tourisme comme activité structurante se constitue autour de trois grands thèmes :

• l’aménagement du littoral : engagement d’une nouvelle politique d’aménagement de la Côte Aquitaine dans la continuité des opérations de la M.I.A.C.A. Elle se propose d’achever les programmes déjà engagés et de négocier le transfert de la
  M.I.A.C.A. à la région afin de tenir compte des lois de décentralisation,
• le tourisme intérieur pour un rééquilibrage régional,
• le thermalisme.

305La dotation globale pour le tourisme atteint 100 millions de francs dont 57 millions de francs pour l’aménagement du littoral : l’Etat y participe à hauteur de 36 millions et la région 21 millions.

306L’Etat et la région mettent en commun leurs efforts pour mieux connaître le phénomène touristique par l’institution d’un Observatoire Régional du Tourisme (O.R.T.) ; la région mène sa propre politique de développement à travers les contrats de développement touristique. La création d’un O.R.T. par l’article 2 du contrat de Plan doit fournir aux collectivités et aux professionnels des éléments d’appréciation pour prendre leurs décisions et des critères d’évaluation pour les politiques qu’ils mènent. Son financement est tripartite Etat- Région-Europe248 pour les deux premières années de fonctionnement. Un système régional de télématique touristique est mis en place afin d’améliorer l’information et la commercialisation touristiques, et d’introduire l’informatique dans les entreprises touristiques. Les contrats de développement touristique ont un triple objectif : la mise en place de produits touristiques financièrement viables à partir des potentialités locales et en fonction des clientèles possibles, le développement des liaisons entre producteurs locaux et les systèmes de promotion et de commercialisation, et l’amélioration des retombées locales de la fréquentation touristique sur les autres secteurs d’activité (commerce, artisanat, agriculture et services).

307L’ensemble de ces mesures de prise en charge du tourisme par la région est dicté par le souci de lutter contre le manque de professionnalisation et d’organisation d’un secteur touristique éclaté et mal perçu par les prestataires eux-mêmes.

308Ainsi apparaît le dualisme de l’action touristique régionale. La M.I.A.C.A. se charge de poursuivre son action structurante le long du littoral alors que la région se charge du développement économique et social dans un souci d’équité spatiale249.

b- Les objectifs à atteindre dans la continuité de la M.I.A.C.A.

309Les Conseils Régionaux créés par la loi du 2 mars 1982 ont des compétences en matière de planification, d’aménagement du territoire et de développement économique. De 1981 à 1985, la région est aux mains d’une majorité socialiste et dirigée par Philippe Madrelle puis en 1985, J. Chaban Delmas avec l’aide de J.-F. Poncet retrouve la tête de la région. D’après le tableau suivant, on peut constater que la Région a investi massivement dans le tourisme pour un certain nombre de programmes sur lesquels nous reviendrons mais aussi dans le cadre des investissements décentralisés de la M.I.A.C.A.

Tableau 33 : Dépenses d’investissement touristique de la Région de 1977 à 1983 (en milliers de francs)250

310L’intervention de la région en tant que collectivité territoriale s’inscrit en continuité de la politique initiée par la M.I.A.C.A. Elle permet aux communes oubliées par l’Etat d’accéder à des crédits.

311La politique d’aménagement de la Côte Aquitaine est précisée dans l’avenant au contrat de Plan du 12 décembre 1984. Ce document juridique conclu entre le Commissaire de la République de la région Aquitaine, M. Clauzel251, et le président du Conseil Régional, Ph. Madrelle, fixe quatre objectifs à atteindre :

• la poursuite des opérations d’aménagement déjà engagées : l’Etat et la région veulent assurer la continuité du programme d’aménagement notamment dans le pôle médocain en valorisant la complémentarité entre Hourtin, Carcans et Lacanau pour offrir des produits touristiques diversifiés, mais aussi au niveau du pôle sud des Landes entre Hossegor-Capbreton, Messanges, Port d’Albret et Moliets. L’intervention de la M.I.A.C.A. s’oriente vers la consolidation de deux pôles d’accueil et d’animation de création récente qu’elle a initiés. La participation de l’Etat est estimée à 85 millions de francs témoignant de son engagement pour la poursuite de l’œuvre de la M.I.A.C.A.. La région consacre huit millions de francs pour l’amélioration de la commercialisation dans les stations littorales en développant des moyens de gestion moderne comme la télématique ou l’informatique, et les opérations de promotion touristique,
• le maintien des objectifs sociaux : c’est un thème récurrent dans la politique d’aménagement du littoral aquitain. Le développement du tourisme social passe aussi par la diversification des formes d’accueil,
• l’intensification de la politique de protection et d’ouverture au public des espaces naturels : l’Etat et la région participe paritairement à cet objectif fondamental du schéma d’aménagement. Ainsi est lancé un programme d’équipements des plages océanes et lacustres coordonné par les départements pour un montant de six millions de francs chacun de 1985 à 1988. Ce programme prévoit l’amélioration de la sécurité et de l’accueil du public plus que la protection de l’environnement. Il comprend également l’aménagement général du réseau de pistes cyclables qui fonde l’image de marque de la côte. La sauvegarde du patrimoine naturel est reconnue comme une nécessité pour préserver l’attractivité qu’exerce la région à l’extérieur,
• un objectif innovant : la préparation du programme de valorisation des stations littorales anciennes : cette politique engagée sous la forme de contrats passés entre l’Etat et les régions sur l’ensemble du littoral français apporte des perspectives financières pour les stations anciennes. Elle trouve un écho favorable auprès des responsables touristiques sur la côte.

c- Le Programme Intégré Méditerranée : « une anticipation mobilisatrice »252

312En juillet 1985, la région se lance dans la préparation des Programmes Intégrés Méditerranée (P.I.M.)253. Cette procédure exceptionnelle doit servir de base à des financements communautaires spécialement destinés aux domaines français, italiens et grecs considérés comme directement touchés par l’élargissement de la Communauté Economique Européenne à l’Espagne et au Portugal. Pour V. Vlès, « cette intégration d’une instrumentation financière européenne est réalisée par étapes sur des espaces qui ne sont que des supports d’expérimentation d’une technocratie administrative nouvelle. [...] Les P.I.M. cherchent donc, pour les productions réputées sensibles, à conforter l’organisation des filières par des mesures tendant à minorer les coûts de production équivalente, en particulier grâce à la recherche et à l’appui technique, à élargir les débouchés par la promotion et la commercialisation »254.

313Ainsi toutes les régions méridionales sont susceptibles de recevoir des financements étalés entre 1986 et 1992. La proposition définitive est présentée en décembre 1985 pour être soumise à une coordination gouvernementale qui doit la présenter à la Commission Européenne qui décide des engagements en arbitrant entre les trois pays. Pour la période 1986-1988, le financement européen s’élève à 325,4 millions de francs par an dont 12 % (39,6 millions de francs) pour le tourisme qui occupe donc une place importante. Pour J. Dumas, « c’est donc une action originale au regard des actions régionales traditionnelles »255.

314Trois grandes opérations doivent structurer le tourisme aquitain en filière afin d’apporter une réelle valeur ajoutée en s’exprimant en terme de complémentarité et de développement plutôt qu’en terme de correction de handicaps. Ainsi on prend conscience de la division des acteurs du tourisme entre ceux qui se contentent d’une économie de cueillette et les professionnels du secteur. On passe d’une compensation spatiale à un volontarisme économique en s’appuyant sur les points forts de la région. La comparaison interrégionale et internationale, absente des réflexions du IX^ème Plan, a été un facteur d’organisation en introduisant le souci de maximaliser les atouts de l’Aquitaine.

315La première action doit recevoir 17,7 % des financements pour moderniser, diversifier et créer de nouveaux produits liés à l’hôtellerie. Elle se propose de rendre les hébergements plus attractifs en développant des équipements individualisés courant en Europe comme le sauna, la crèche ou la salle de gymnastique. Les premiers sites visés dans le cadre du lancement des villages de vacances européens sont Hourtin Port et Moliets. Dans tous les cas, la recherche de la professionnalisation doit se faire selon des modèles issus de l’Europe pour attirer une clientèle exigeante et à fort pouvoir d’achat.

316La même stratégie économique est à l’œuvre dans la deuxième action qui représente 57,4 % des financements. Elle doit spécialiser l’Aquitaine par le lancement de produits haut de gamme. Quatre types de dossier sont envisagés : la revalorisation des stations littorales anciennes, l’achèvement du programme des stations touristiques nouvelles comme Hourtin Port, Lacanau, Port d’Albret et Moliets, la spécialisation des sites et des produits de l’intérieur, et l’ambitieux plan Golf.

317Enfin la dernière action vise à valoriser la production en renforçant l’efficacité du tourisme en tant qu’activité économique régionale. La communication, la connaissance des marchés, l’évaluation, l’information et la formation des hommes sont les points essentiels de cette action.

318Le P.I.M. dépasse la traditionnelle opposition côte/intérieur au nom d’un réalisme de filière où prédomine la logique hôtelière du séjour. Du développement local, facteur d’animation, on passe à une économie de marché articulée sur l’adaptation et la spécialisation des professionnels prestataires de services qui sont ceux qui réalisent la fréquentation et ses retombées dans la distribution des richesses.

d- Le plan plage

319Le Plan Plages Gironde et le Plan Plages Landes sont des actions d’aménagement originales qui associent différents partenaires : la M.I.A.C. A, l’O.N.F., les élus (Conseil Généraux des Landes et de la Gironde, municipalités) et les services administratifs concernés (D.D. E, D.D. A) dans le but d’« étudier le problème de la protection des dunes et de l’aménagement des accès aux plages landaises face à l’afflux des touristes pendant la saison estivale »256. Il s’agit d’organiser la fréquentation, l’accueil et la sécurité du public et la protection des milieux naturels. Mais il ne doit y avoir aucune création nouvelle, tout doit être basé sur l’existant : refus de la création de routes nouvelles, d’aménagements diffus, de parkings géants. Est-ce véritablement un souci environnemental ou un simple prétexte à l’aménagement ?

320La mise en place de ce plan vient du constat de la dégradation des conditions d’accueil des touristes sur les plages et de la destruction environnementale qui en résulte. En effet, l’accès aux plages se fait souvent par une route goudronnée qui aboutit à un parking au pied de la dune avec des aires de pique-nique, quelques pistes cyclables puis un poste de M.N.S. et les sentiers d’accès à la plage.

321Une Commission est créée en avril 1983 et visite systématiquement les seize sites susceptibles d’être aménagés. Puis en octobre 1983 un rapport est rédigé et adopté par les Conseils Généraux.

322Dans les Landes, le plan se concentre autour de cinq sites situés dans les S.E.N. : Cap de l’Homy, Vielle Saint Girons plage, Labenne océan, Ondres plage et Tarnos le Métro257. Ce plan est adopté en 1985 selon un partenariat égal entre Etat, Région, Département et Commune. Le plan quadriennal doit apporter douze millions de francs par an. Cette intervention s’inscrit pleinement dans la philosophie générale du schéma d’aménagement.

323En ce qui concerne l’accueil, les parkings doivent se limiter à 3 000 véhicules soit 12 à 15 000 personnes. Ils doivent être au droit de la plage surveillée, dans le sous-bois donc à 500 à 1 000 mètres de la plage. La circulation doit se faire à sens unique. Les aires de stationnement doivent être recouvertes d’aiguilles de pin, recevoir des équipements légers (aire de pique-nique, mobilier en bois, jeux pour enfants, caillebotis) et informer le public sur la fragilité du milieu.

324Pour la protection de l’environnement, les dunes sont renivelées, plantées en oyats et protégées par des filets pour fixer le sable. La Forêt est protégée par le réseau de la Défense Forestière Contre l’Incendie (D.F.C.I.)

La politique de valorisation des stations littorales anciennes (1985-88)

325La politique de valorisation des stations littorales anciennes intègre le chapitre consacré au tourisme dans le premier contrat de Plan Etat-Région signé en 1984258. Elle concerne en Aquitaine, Soulac, Arcachon, Biscarrosse, Mimizan, Biarritz et Saint Jean de Luz. C’est une nouvelle étape dans l’aménagement de la Côte Aquitaine259. Cette politique est une réponse institutionnelle aux nouvelles donnes du tourisme balnéaire.

a- L’esprit et la mise en place des contrats

326Les termes de l’éligibilité des communes sont fixés comme suit selon l’article 10 du contrat de Plan Etat-Région :

• bénéficier de la dotation supplémentaire aux communes touristiques (art R 234-
  19 et suivants du Code des Communes),
• disposer d’un ensemble aggloméré d’équipements de loisirs et d’hébergements n’ayant pas été constitué ou valorisé au cours des vingt dernières années en application d’une politique d’initiative nationale, régionale ou départementale de création de stations nouvelles.

327Les communes ont dû adresser une lettre de demande au Préfet de Région et au président du Conseil Régional, et une copie au S.E.A.T.L. qui met ses compétences à disposition des communes. Mais en Aquitaine, son rôle est éclipsé par l’action de la M.I.A.C.A. Le 24 juin 1985, quatre communes de la Côte Aquitaine260 ont fait acte de candidature : Soulac, Arcachon, Biscarrosse261 et Mimizan262 et des études sont engagées. Et le Conseil Régional d’Aquitaine accepte lors de sa séance du 8 juillet 1985.

328Les différentes communes délibèrent pour accepter la mise en place de ces contrats de valorisation : Soulac le 22 mars 1986, Arcachon le 13 juin 1986, Biscarrosse le 29 mai 1987 et Mimizan le 17 juin 1987263.

329La phase d’étude préalable au contrat, diagnostic et concertation, est une réflexion globale sur l’avenir de la station. Elle comporte trois volets principaux : le bilan diagnostic qui est une monographie des attraits et des handicaps de la station, un plan de développement touristique et un programme d’action. Soulac a confié son étude au COnseil à la Décision et à la Réalisation en Aménagement urbain et régional (CO. D.R.A.), Arcachon à la Société Bordelaise de Réalisation Urbaine (S.B.R.U.), Biscarrosse à la S.A.T.E.L. et Mimizan à l’Association pour les Loisirs et le Tourisme En Aquitaine (A.L.T.E.A.). Aucune de ces stations ne peut échapper à la crise économique et à la concurrence étrangère or beaucoup ont très mal vieilli et la modernisation de leurs équipements et de leur gestion s’impose.

330Les thèmes d’intervention sont centrés sur la modernisation des stations et de leur équipement et portent sur l’organisation des services et la valorisation de l’existant en cinq points :

• l’organisation et le développement des services publics destinés aux touristes et aux professionnels du tourisme c’est-à-dire assurer une meilleure gestion du phénomène touristique (accueil, information du public et animation des loisirs, direction de station et appui à la commercialisation de produits touristiques...),
• l’amélioration des fonctions urbaines et touristiques par la restauration du tissu urbain central,
• le développement des hébergements locatifs banalisés par la diversification des formes d’accueil,
• les mesures accompagnant le lancement ou le maintien des activités économiques permettant la vie touristique,
• le réaménagement, la réhabilitation et la modernisation des équipements touristiques existants.

331Les deux premiers objectifs visent donc à renforcer l’offre que représente la station et à la faire connaître par la mise en marché de produits touristiques. Le problème d’image se pose avec plus d’acuité dans un contexte concurrentiel renforcé. Arcachon apparaît comme une cité balnéaire rétro et désuète. C’est une image qui va dans le sens de la réalité puisque Arcachon connaît le plus fort pourcentage de population âgée des villes françaises de plus de 10 000 habitants. Plus qu’une image négative, de nombreuses petites stations régionales de type familial souffrent d’une image floue, impersonnelle voire d’un déficit d’image. C’est le problème de Mimizan où longtemps le tourisme est considéré comme secondaire à côté de l’industrie papetière. Ainsi il faut réveiller la station endormie par la monotonie et le conformisme. Le surf est porteur en terme d’image et l’ensemble du littoral s’est accaparé cette image comme Lacanau et Hossegor. Les éléments naturels permettant une pratique récréative sont prisés par une clientèle jeune et dynamique.

b- Le financement du programme triennal

332Dès l’acceptation du contrat, l’enveloppe financière est débloquée pour la réalisation du programme d’action. La participation de l’Etat, de la région et du département est fixée au maximum à cinq millions de francs par station : l’Etat par l’intermédiaire de la M.I.A.C.A. apporte deux millions de francs autant que la région Aquitaine, le département participe à hauteur d’un million de francs et les communes financent au minimum pour trois millions de francs mais ce montant est souvent dépassé ce qui constitue une source de surendettement. Ainsi pour Arcachon, l’Etat et la région ont financé chacun 7,2 % du programme, le département 3,6 % et la commune 82 % soit 27,6 millions de francs264.

333Le programme des opérations menées dans le cadre des contrats a fait l’objet d’une convention. Elles sont élaborées par un groupe de pilotage composé par le Préfet, le président du Conseil Régional d’Aquitaine, le président du C.E.S.R., le président du Conseil Général et le maire de la commune ou leurs représentants. Signées en juillet 1987, juin 1988 et septembre 1989, les conventions contiennent un échéancier d’action sur un programme triennal. Certaines actions reçoivent des subventions de toutes les collectivités territoriales, d’autres ne sont que des conventions bilatérales entre la région et la commune.

334Les actions retenues se groupent autour de quatre thèmes : la gestion touristique, le cadre de vie, l’hébergement touristique et l’équipement. Les stations ont défini des opérations pour chaque thème. Il existe quelques différences entre les prévisions de départ et les réalisations concrètes nées de l’abandon de projets ou la réaffectation de crédits sur d’autres postes. Deux thèmes d’intervention ont concentré 80 % du budget. La moitié des 58 millions consacrés au programme de valorisation se destine aux équipements touristiques. Les actions sur l’amélioration du cadre de vie concentrent le tiers des subventions. Le thème de la gestion et de l’hébergement avec respectivement 13,5 % et 4,5 % des crédits sont des thèmes mineurs.

c- Le bilan de cette politique sur le cadre urbain

335Ce thème d’intervention majeur s’est concentré autour de la restructuration de la rue de la Plage à Soulac, du réaménagement du quartier balnéaire de Biscarrosse, de l’aménagement du boulevard de Lattre de Tassigny à Arcachon et l’aménagement des espaces publics de Mimizan Plage265.

336En ce qui concerne Arcachon, c’est un axe structurant reliant le front de mer à la Ville d’Hiver traversant le centre commercial d’Arcachon. Il est alors aménagé en voie semi-piétonnière participant au renouveau du centre ville. Dans le prolongement de la voie commerçante, se situe le parc Mauresque qui marque l’entrée dans la Ville d’Hiver. Les opérations ont consisté en la restitution au parc de ses dimensions originelles et la restauration de la passerelle et de l’observatoire qui offrent un point de vue unique sur la station.

337Pour Mimizan Plage, c’est un moyen de redorer l’image de la station. Le Courant de Mimizan est alors considéré comme un axe structurant permettant un développement perpendiculaire au littoral. L’aménagement piétonnier de la Corniche au confluent du Courant et de l’Océan Atlantique est retenu comme opération prioritaire. Le traitement paysager de la Corniche s’inscrit dans une réflexion plus large.

338L’amélioration du cadre urbain modifie la structure urbaine de la station, elle est donc perceptible par la population locale. L’aménagement des rues piétonnes ou semi-piétonnes est une bonne opération pour le commerce et la rénovation des espaces publics améliore l’image de la station. La réalisation de promenades, l’aménagement de places publiques et de lieux de sociabilité sont un support à la récréation quotidienne en été car c’est le lieu où se déroulent le marché, les concerts ou les spectacles de cirque. C’est en fait un moyen de développer l’animation touristique en milieu urbain. En recherchant le dépaysement par rapport à la ville, la station doit donc créer un décor attrayant pour améliorer l’accès et le panorama sur la mer. Le traitement paysager du front de mer devient alors essentiel.

d- La réponse à la demande récréative

339Depuis que la M.I.A.C.A. a axé l’image de marque de la Côte Aquitaine sur la complémentarité entre l’océan et les étangs, le nautisme est devenu une préoccupation majeure266. En ce qui concerne la façade océane, Arcachon et Mimizan constituent les pôles prioritaires. Arcachon possède un atout indéniable mais son port de plaisance est victime de son succès. Le programme d’action prévoit l’aménagement d’un petit port de plaisance en deux phases : modification des infrastructures pour 350 bateaux supplémentaires, construction d’un terre-plein central, d’une promenade et de pontons pour l’accès aux bateaux pour un coût de 17,5 millions de francs dont 16 millions pour la Commune. Mimizan a aménagé une petite base nautique sur le courant ce qui lui confère un atout indéniable.

340Les plans d’eau intérieurs fournissent un excellent support pour le nautisme. La présence d’une succession d’étangs à Biscarrosse la prédestine à un rôle moteur dans le développement du nautisme en dépit de l’emprise militaire du C.E.L. et de la base de Cazaux, et des contraintes liées à l’exploitation du pétrole. En 1984, le conseil municipal décide d’utiliser la zone de Latécoère267, proche du canal transaquitain abandonné. La zone de baignade a été réorganisée avec un parking, une promenade et un parc paysager. Sa fonction récréative a été étoffée par la création d’un centre nautique s’inscrivant dans la politique contractuelle. Durant l’été 1987, une étude générale sur les sports nautiques propose l’organisation d’un véritable pôle nautique en trois secteurs268 : le centre nautique de Latécoère pour pallier les lacunes nautiques par des équipements lourds pour générer une activité nautique toute l’année, une antenne à Ispe sur la rive occidentale de l’Etang de Cazaux-Sanguinet pour une base d’activités saisonnières de croiseurs légers, et une antenne à Navarrosse réservée au motonautisme. La commune s’est dotée d’équipements structurants capables de participer à l’extension de la saison par des stages de voile. La région Aquitaine y a investi 900 000 francs, l’Etat 300 000 et le département des Landes 1,2 millions.

341Mais le nautisme n’est pas la seule activité favorisée par le contrat de valorisation. Les stations possèdent un bon niveau d’équipements touristiques sur ce plan mais le sport ne s’est véritablement développé dans toutes ses formes que dans les années Quatre-vingts où il acquiert un caractère de masse. Ainsi le tennis suscite un intérêt aussi bien pour les populations permanentes que pour les touristes ce qui entraîne une saturation en été. Un sondage SOFRES de novembre 1985 assure que 40 % des gens sont attirés par le tennis ce qui lui donne une suprématie sur tous les autres sports et conforte les options prises par les communes littorales. La commune d’Arcachon a donc entrepris la modernisation du club-house du Tennis Club Arcachonnais.

342L’équitation s’est très bien développée sur le littoral car les plages rectilignes et les immenses domaines forestiers constituent autant d’options pour la randonnée équestre. Biscarrosse s’est donc engagée dans la réhabilitation du centre équestre de la zone de loisirs de Laoudie qui comporte un stand de ball-trap installé par un promoteur privé à la fin des années Soixante-dix, un centre équestre édifié par une association vers 1970 puis racheté par la municipalité et un centre de tir à l’arc mis en place en 1980. Puis ce centre s’est encore étoffé avec un parcours de bicross, un mur d’escalade, un centre d’entraînement pour chiens et une halte pour bateaux qui permet l’accès par les plaisanciers. Ce réaménagement doit servir à rééquilibrer la commune entre le quartier balnéaire à l’activité saisonnière marquée et le noyau urbain de l’intérieur. Il correspond aussi à la tendance à la création de pôles de loisirs pluridisciplinaires. Cet aspect de diversification revêt un caractère original à Mimizan avec la création d’une piste de ski de fond sur aiguille de pins dans l’esprit de valorisation de la forêt.

e- Les thèmes mineurs : la gestion touristique et la politique d’hébergement

343Pour les autres thèmes mineurs, beaucoup de stations telles Soulac, Biscarrosse et Mimizan se contentent de suivre le mouvement touristique. Les contrats de valorisation apparaissent alors comme une opportunité pour se positionner avec la création d’un logo spécifique et l’édification d’une nouvelle image. Malgré l’importance accordée à la gestion touristique, l’action entreprise par les municipalités s’est contentée d’améliorer le fonctionnement de l’O.T. ce qui a permis de mieux coordonner l’animation entre les partenaires et les opérations de promotion.

344Ainsi le Conseil Municipal d’Arcachon en septembre 1987 a confié à Publicis Aquitaine le soin de réaliser une étude pour déterminer l’image de la station et chercher les possibilités de positionnement de la station. Cela débouche sur le slogan « A Arcachon, il n’y a pas une minute à perdre ».

345Mais la conception et la commercialisation de véritables produits touristiques compétitifs et innovants en vue de l’allongement de la saison touristique n’ont pu se réaliser dans le cadre de la politique contractuelle. Il faut aussi souligner l’échec de la politique d’hébergement.

346En guise de conclusion, les contrats sont plus considérés comme des opportunités financières que comme l’outil d’une politique d’ensemble269. Le programme doit déboucher sur une stratégie de développement à long terme mais la part consacrée à la gestion est minime. Il a surtout servi à parer au plus pressé en valorisant essentiellement le cadre urbain et en mettant en adéquation l’offre et la demande récréative.

347Le journal Le Monde titre le 20 novembre 1976 « La Côte Introuvable » dans le sens que l’action d’aménagement s’égare : c’est une mission impossible. En effet, l’œuvre de la M.I.A.C.A. est marquée par son ambiguïté même si on lui doit la création d’une doctrine de référence, la préservation de nombreux secteurs et la domination du secteur social. C’est une œuvre originale mais fortement critiquée ce qui l’a privée d’une assise importante : elle est trop parisianiste, elle a voulu trop faire et a dû revoir ses objectifs à la baisse, elle s’est enlevée toute crédibilité en urbanisant un kilomètre de côte entre Lacanau et Capbreton, elle n’a pas su convaincre les propriétaires et elle a été desservie par son attachement à un certain personnel politique.

348L’Aquitaine est un cas particulier de constitution de l’offre précédant le constat de demande. C’est donc une entreprise étatique destinée à provoquer les initiatives locales en aval des siennes. La création de la moitié des lits touristiques peut lui être imputée. 200 000 lits créés sont dus à l’évolution spontanée. La Mission a préjugé du temps nécessaire à la réalisation de ses objectifs et ses positions se sont usées. C’est un modèle vieilli et marginalisé puisque les emplois créés et maintenus le sont pendant la période de chantier. Le goulot d’étranglement se situe donc au niveau des emplois permanents et le tourisme apparaît comme un complément économique et non pas la base de l’économie régionale.

Un bilan entre positif et négatif

349La Mission symbolise la maîtrise sur le littoral aquitain, en symbiose entre l’aménagement et la protection environnementale. « L’aménagement touristique a été un outil pour rentabiliser la région Aquitaine sous couvert de deux objectifs louables mais peu réalistes : une image spécifique du tourisme aquitain et maîtriser le développement touristique »270. Cette formule montre la déception qu’a apportée la M.I.A.C.A. en contredisant certains de ses principes généraux.

350De fait si l’on compare les deux missions qui se sont succédées comme l’a fait la M.I.A.C.A. dans une note interne271, on peut donc dire que les deux missions sont assez semblables : sur 250 kilomètres de côte, seuls treize sont occupés par le tourisme dont neuf sur le Bassin d’Arcachon. Les principaux points de différence sont dans la méthode et les moyens : pas de construction ex-nihilo, pas de dilution dans la forêt, pas une succession de petites stations mais des groupements sur l’existant. Les programmes prévoient bien d’associer l’océan, la forêt et les lacs, de créer des zones de protection biologique, de s’ouvrir au tourisme social, de promouvoir le territoire, d’animer le littoral, d’améliorer la formation des habitants. La différence la plus importante vient des objectifs : pour 1969, 170 000 lits ; pour le programme de 1971, 310 000 lits même si E. Biasini explique bien que ce n’est pas un objectif à atteindre mais un maximum à ne pas dépasser.

Des objectifs globalement tenus mais des principes originels contredits

351L’examen des plans de masse272 préparés par les architectes en chef fait apparaître deux principaux garde-fous, la notion de greffe et l’aménagement en profondeur c’est-à-dire l’urbanisation perpendiculaire à la côte. Le premier doit éviter la création ex-nihilo et le second la linéarité de la croissance. Ces principes sont respectés dans leur ensemble à quelques exceptions près : un certain nombre de dérogation ont été accordées atteignant la crédibilité du schéma dans son entier. Comme le soulignent J.S. Banta et B. Merikangas, « la M.I.A.C.A., au début, fit preuve de vulnérabilité face aux pressions économiques, elle a accepté de faire des concessions et de réviser sa politique de refus de toute construction sur les dunes en bordure de plage »273.

352Pour faire valoir son action, la M.I.A.C.A. met souvent en avant les opérations les plus polémiques mais qui présentent des constantes : la construction d’immeubles panoramiques en front de mer voire sur la dune. L’urbanisation, alors que l’image de marque de la côte est son caractère sauvage, gagne sans cesse du terrain. En effet, c’est sur les zones commercialement les mieux placées que les opérations ont commencé en vertu de la publicité vantant la vue sur la mer et « les pieds dans l’eau ». On peut citer Lacanau, alors que le plan de masse adopté fait la part belle à l’aménagement en profondeur, la première opération immobilière en front de mer et sur la dune, a été la construction de L’Océanide et L’Horizon marin, deux barres de studios soit 653 lits de 17 mètres de hauteur, surnommés les Blockhaus, en contradiction avec les engagements de la Mission Aquitaine. La non-privatisation du rivage est garantie par la création d’une promenade publique bétonnée le long de la dune. En effet, comme E. Biasini dans son interview « Et quand on parle de l’Océanide, c’est le prix que j’ai payé pour que les Belges qui avaient créé une société d’aménagement et qui devaient faire 2.000 lits sur la côte, se désistent. Et comme je voulais faire à Lacanau une perpendiculaire, je voulais montrer que la perpendicularité ça allait jusqu’à la mer » mais aussi comme les auteurs J.S. Banta et B. Merikangas, on peut penser que cette opération a été parfaitement pensé pour faire venir les promoteurs, les satisfaire pour ensuite les obliger à venir dans l’intérieur : « les planificateurs de la M.I.A.C.A. essayent de sauver les apparences mais le projet Océanide les gêne. Ils se sont vus contraints de soutenir ce projet sous toute une série de pressions : l’influence de promoteurs puissants, le fait que des erreurs avaient été commises à cet endroit, enfin l’impatience de certains politiques pressés de poser la première pierre. En échange de son accord pour la construction des immeubles en bordure de l’océan, la M.I.A.C.A. obtint des promoteurs qu’ils engagent à s’occuper aussi de l’aménagement harmonieux du littoral intérieur »274 .

353Le lotissement de l’estuaire du Boudigau à Capbreton pour construire Les Terrasses de l’Océan est un autre exemple de l’échec de l’aménagement en profondeur. Cette implantation de 180 logements individuels sur des terrains dunaires bas a posé le problème juridique lié à l’utilisation des espaces gagnés sur la mer donc retombés dans le domaine public. Enfin les résidences de Soulac, le Signal, le Marine, l’Océane et le Grand Large ont pour objectif d’offrir un maximum de logements avec vue sur la mer.

354Les opérations de type marinas sont rares et modestes. Le petit port privé de la Vigne sur le Bassin d’Arcachon se situe au cœur d’un ensemble résidentiel de haut standing. Beaucoup de projets ont avorté comme au Cap Ferret au lieu dit Le Mimbeau pourtant soutenu par le maire de Bordeaux et J. Chirac. Dans une lettre d’E. Biasini à J. Monod de novembre 1973, le président de la M.I.A.C.A. se plaint de M. Gaucher qui l’a quitté « en me disant qu’il allait prendre une initiative et en me laissant entendre, de façon non ambiguë, qu’un changement pourrait intervenir au niveau du poste de président de la mission. (...) Vous vous souvenez que j’ai arrêté un projet de port dans la presqu’île du Cap Ferret comme non-conforme au schéma. Ce port avait pour promoteur un M. Gaucher, entrepreneur à Limoges, et bénéficiait du soutien de M. Chirac qui, à diverses reprises, m’avait appelé pour me demander d’aider son protégé »275.

355On peut cependant souligner qu’en matière d’hébergement, l’objectif de 1976 de 440 000 lits pour 1980 est quasiment atteint. L’offre d’hébergement est passée de 310 000 lits en 1970 à 515 000 en 1982. Les objectifs de tourisme social sont dépassés avec 37 % des lits nouveaux en 1979. Le littoral est globalement préservé puisque la densité de l’Aquitaine est de 83 habitants par km² soit trois fois inférieure à la moyenne française, la capacité globale de la côte est de 703 243 personnes soit 227 personnes par km² ce qui représente 10 % de la capacité d’accueil du littoral français. 200 000 lits en hôtellerie de plein air représentent 28 % de la capacité d’accueil de l’ensemble des communes littorales276.

356L’action de la M.I.A.C.A. a permis une cohérence d’ensemble au littoral aquitain. Elle a de plus identifié les espaces naturels.

La réussite de l’action de protection de la nature

357La Mission veut renvoyer une image de silence et de région où l’on peut échapper au béton des grandes villes. La première grande réalisation se situe dans l’intérieur avec le Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne (P.N.R.L.G.).

358C’est pendant la phase de préparation que la M.I.A.C.A. se dote des moyens de protection du milieu : les P.O.S., S.D.A.U. et réserves naturelles anticipent sur les dispositions législatives. Mais le plus marquant pour le littoral reste l’alternance entre U.P.A. et S.E.N. : les S.E.N. sont des zones d’aménagement réduit qui ont permis par exemple la réalisation d’un camp naturiste à Grayan L’Hôpital. Mais la nouvelle phase comprend un volet conservatoire se fondant sur la valorisation du patrimoine naturel à des fins touristiques.

359Le Comité pour l’Environnement est créé le 8 juin 1973 et présidé par J. Vallade, suppléant de J. Chaban Delmas. C’est une instance scientifique chargée de formuler un avis sur tous les projets d’aménagement qui lui sont soumis. C’est la première fois qu’une telle instance est créée pour examiner des projets d’aménagement. Il a traité différents sujets comme les conséquences des défrichements, la compatibilité entre tourisme et activités traditionnelles sur le Bassin d’Arcachon, la définition des réserves naturelles ou la gestion des S.E.N. Mais c’est une simple instance consultative qui se prononce au coup par coup et n’a pas de vision globale.

360En matière de protection de la nature, la Mission a combiné plusieurs interventions : la réglementation par une politique foncière et par les documents d’urbanisme (93 P.O.S. et 7 S.D.A.U.), l’inscription et le classement comme pour les lacs girondins277 et la création de cinq réserves naturelles278. Suite aux études du Muséum d’Histoire Naturelle et de l’université de Bordeaux, il en est prévu onze au C.I.A.T. de 1975279 soit 4 000 hectares mais en 1979 seules celles de l’Etang du Cousseau (600 hectares) et de l’Etang Noir (52 hectares) sont réalisées, puis ont suivi celle des Prés Salés d’Arès et de Lège (146 hectares)280, celle du Banc d’Arguin (150 à 500 hectares), celle du courant d’Huchet (656 hectares)281. Il manque encore l’étang de la Barreyre, le marais de Lespau, le palu de Molua, le courant de Sainte Eulalie, l’étang de Malloueyre et le marais de Contis.

361La Dune du Pilat a été classée Grand Site National dans le but de protéger ce site, unique en Europe, initier les touristes à l’environnement et à l’aspect culturel du site. En 1985-1986, le maire G. Moga fait réaliser une aire d’accueil au pied de la dune avec des boutiques et un parking.

362La Mission a aussi favorisé le développement d’un réseau de pistes cyclables pour favoriser une circulation douce à l’intérieur même des stations et entre les stations. C’est le réseau le plus étendu de France avec 363 kilomètres de pistes. A partir de 1984, est lancé le plan « Pistes cyclables » : prévoir un schéma régional des pistes cyclables sous la forme de plans triennaux pour créer un produit touristique à part entière autour du cyclotourisme et donc attirer de nouvelles clientèles. La M.I. A. CA. a planifié trois points essentiels : l’amélioration et l’extension des pistes en forêt domaniale, la transformation en pistes des voies ferrées locales désaffectées et la création de pistes à l’intérieur des opérations d’aménagement pour favoriser une circulation douce. Ce réseau de pistes à travers la forêt de production a coûté environ 14,5 millions de francs282.

363La Mission a même été récompensée pour son action environnementale. Les nombreuses innovations en matière de protection de la nature sont citées en exemple par la Conservation Foundation, mouvement écologique présidé par Bill Reilly, premier ministre de l’environnement des Etats-Unis sous la présidence de G. Bush. Une association allemande de protection de la nature, Förderkreise Freizeit Erholung Umwelt, présidé par le Docteur Franz Meyer, ancien premier ministre du land de Westphalie du Nord, a décerné un prix à l’Aquitaine, « région modèle pour les loisirs et la détente dans un cadre de vie protégé ».

Carte 18 : La protection de la nature en Gironde

Carte 19 : La protection de la nature dans les Landes

364Ces sites ont été choisis pour leur valeur scientifique se voulant des échantillons des milieux et des paysages caractéristiques de la Côte Aquitaine. Les projets de réserves naturelles se heurtent souvent à l’opposition des chasseurs, groupe de pression très puissant. Le P.N.R.L.G. crée aussi des équipements éducatifs comme le Parc Ornithologique du Teich. La Grande Dune de Pilat est classée Grand Site National en 1978 par le ministère de l’Environnement en raison du caractère exceptionnel de son paysage, de sa morphologie, de son volume et de son point de vue.

365L’espace littoral est très sensible à l’action anthropique et représente un domaine privilégié de l’intervention de la M.I.A.C.A. qui a investi entre 1975 et 1984 plus de 20 millions de francs. Les plages océanes ont été aménagées et protégées en luttant contre le parking sauvage par la création d’aires de stationnement, par l’aménagement de passages en caillebotis, par l’installation d’aires de jeu et de pique-nique, par la création d’une voirie de lutte contre l’incendie et par le nettoyage des plages. Enfin la mise au point d’un réseau de pistes cyclables d’environ 400 kilomètres pour un coût de 14,5 millions de francs permet de mettre en valeur le massif forestier et les S.E.N.

366Cette action de protection ainsi que le maintien de la qualité sont des facteurs d’attraction touristique et un moyen de conserver une qualité de vie pour les Aquitains. Elle contribue également à la naissance de l’image de l’Aquitaine.

L’action décisive de la M.I.A.C.A. dans la création de l’identité de l’Aquitaine

367L’objectif de la Mission est de donner une image de marque reconnaissable et attractive sur la scène internationale qui peut se résumer ainsi : une grande réserve européenne de nature, lieu de rencontre de l’océan, de la forêt et des lacs. C’est une image difficile à vendre parce qu’elle est peu connue et concurrencée par le littoral méditerranéen. Cependant même si cette image d’anti-Côte d’Azur n’attire pas au début, elle bénéficie rapidement de la vogue du retour à la nature.

368La conjonction unique née de la rencontre entre la mer, la forêt et les lacs, est touristiquement intéressante. Elle véhicule l’image d’immensité, de liberté et de solitude, qui est notamment vantée par les dépliants des O.T.-S.I. et de la M.I.A.C.A., mais elle ne correspond pas à la réalité en pleine saison. La région apparaît comme un territoire où les valeurs ont été protégées et valorisées : elle a su conserver l’image traditionnelle d’une région multiforme.

369Cependant dans l’évolution récente du tourisme, la notion environnementale prend trois dimensions283 :

• l’effet de mode : caractère médiatique de certaines opérations, compensation d’une mauvaise image, mais en fait pas d’évolution de l’offre,
• l’environnement produit : mise sur le marché de produits touristiques de nature dans un cadre naturel remarquable et préservé,
• l’environnement est une composante de la plupart des produits touristiques contribuant à la qualité des hébergements, des activités, des paysages et des sites visités.

370Ainsi à la fin des années Quatre-vingts, la Dune de Pilat reçoit environ 1 400 000 visiteurs, le Parc Ornithologique du Teich 80 000, l’Ecomusée de la pêche et de la Mer à Capbreton 22 000, le Musée Ostréicole de Gujan Mestras 9 400, l’Aquarium d’Arcachon 48 500.

371En fait, l’aménagement et la gestion du territoire ont été marqués par une forte volonté planificatrice qui s’est manifestée par les politiques d’aménagement du territoire, la création de pôles d’équilibre, l’implantation d’équipements et le développement de réseaux de communication dans un contexte inspiré par le fordisme en matière de production économique et le keynésianisme en matière de politique sociale. Selon P. Teiserenc, « le fordisme nous a fait bénéficier du développement de la production et de la consommation de masse, [...], de la séparation des fonctions de direction et des fonctions de production, de la délocalisation de ces dernières sur les territoires périphériques, [...] et enfin d’un aménagement néo-taylorien de l’occupation de l’espace sous la forme de vastes zones macro-fonctionnelles. Le keynésianisme a donné l’Etat-Providence qui a impulsé la multiplication des interventions publiques pour stimuler la croissance urbaine [...], pour palier les déficits des zones rurales et pour réguler le développement différencié des villes et des campagnes (en cherchant à corriger les déséquilibres que provoque le jeu concurrentiel entre les villes et l’inégal développement des zones rurales et des zones urbaines) »284.

372Acteur privilégié de l’aménagement du territoire et du développement local, le tourisme offre aux nouvelles technologies et aux autres formes de l’innovation un champ d’application d’une remarquable diversité. A la dilution spontanée de la clientèle sur un espace littoral réputé désert, les responsables de la M.I.A.C.A. ont opposé des solutions nouvelles fondées sur la concentration des équipements dans des zones limitées tout en privilégiant un développement extensif. Elle a donc décrété productif un large espace qui a pris, dans le contexte de l’explosion des loisirs, une valeur. Mais la M.I.A.C.A. n’est pas la seule à intervenir sur la Côte Aquitaine : les collectivités locales jouent un rôle de premier plan avec l’élaboration des P.O.S., des orientations touristiques et les réalisations de certains équipements, mais aussi les associations de défense et de promotion, et les promoteurs et les lotisseurs. Ainsi la politique de maîtrise de l’espace foncier est l’un des grands échecs de la M.I.A.C.A.

373A la vision anti-matérialiste et militante des années 1960 de Ph. Saint Marc qui s’élève contre « le complexe du pharaon » (en référence aux pyramides de la Grande Motte) et contre les technocrates épris de gigantisme, s’oppose la vision d’E. Biasini qui a mis en place une exploitation extensive du tourisme en reprenant le principe de discontinuité de l’urbanisation comme en Languedoc-Roussillon mais pour lui aménager n’est pas construire et il cherche à prendre en compte l’environnement et la société d’accueil.

374A cette époque, l’idée dominante en économie touristique est que le tourisme marche tout seul, qu’il n’a pas besoin d’être encadré. En fait cela conduit à faire de l’économie touristique littorale, le plus souvent, une économie de cueillette, artisanale et familiale qui s’adapte par une certaine flexibilité aux contraintes du marché touristique. Mais avec la crise économique, il ne s’agit plus seulement de moderniser les relations économiques mais de mettre en marché des produits touristiques fiables. L’interlocuteur est une station, garante d’une qualité d’accueil, d’une ambiance et capable de proposer un produit répondant à l’attente des touristes. En fait, on entre progressivement dans une ère où l’individu prime : le tourisme suit cette évolution vers la décentralisation, la personnalisation et la diversification.

375On a longtemps cru à la fin de l’aménagement avec la fin de la M.I.A.C.A. et de l’intervention étatique. L’aménagement des stations n’a pas été négligé puisque les opérateurs qui ont conduit les aménagements connaissent parfaitement leur marché : cela n’a pas participé d’une logique politique aveugle. L’échec relatif de la M.I.A.C.A. est dû « au décalage du cycle long de l’aménagement et du cycle court de l’évolution des goûts »285. L’aménagement se poursuit et les acteurs ne se contentent pas de gérer l’existant. Certaines stations sont à rénover. C’est un exemple de synergie entre les objectifs de protection et le développement touristique.

376En accélérant les mutations, l’action d’aménagement suscite chez les Aquitains la peur d’une globalisation qui leur échappe. Minoritairement, apparaissent des opérations de résistance. Face à l’ingérence d’une mission centralisatrice, la réaction de refus est inévitable et multiforme. Mais le risque est également un faux consensus ou un consensus mou qui, par l’inertie et le mutisme d’une population devant les projets engageant son avenir, peut stériliser l’initiative régionale. Il ne faut pas négliger que l’aménagement touristique est souvent synonyme de destruction des sites et de déséquilibre humain. La bétonnisation qui est en marche apporte aussi son lot de dépersonnalisation.