Le tourisme contemporain est l’héritier des formes
élitistes. On est passé du très petit nombre aux
masses sans révolutionner le contenu.
M. Boyer1

1D’après les guides touristiques de l’époque, les stations balnéaires ne sont fréquentées que par des célébrités qui font la renommée des stations. Mais les cartes postales quant à elles nous montrent le vrai visage de ces visiteurs, de ces hommes en costume et de ces femmes s’abritant sous leurs ombrelles.

2Il est assez difficile de pouvoir quantifier la fréquentation touristique de toutes les stations de la Côte d’Argent. Mais on peut arriver à classifier les différentes stations selon leur type de fréquentation. La Côte d’Argent et son chapelet de petites stations et plages élémentaires comporte cependant quelques stations bourgeoises. Et même dans les stations, les clientèles sont différentes selon les saisons. La clientèle est donc hétérogène, malade ou saine, régionale ou parisienne, française ou internationale.

3De plus, les expériences vécues par les touristes ne sont pas les mêmes selon le but de leur séjour : qu’y a-t-il de commun entre le malade venu soigner sa tuberculose dans une villa d’une ville d’hiver et le touriste venu se baigner, s’amuser lors des différents spectacles et faire du sport ? Pas grand-chose sinon qu’ils ont le même mode d’installation dans la station : la villégiature. Les pratiques sociales et touristiques dépendent des habitus culturels et du milieu familial mais aussi de la disponibilité de temps libre, de la volonté d’utiliser ce temps libre, de la possibilité de se déplacer et enfin des moyens matériels et financiers. L’imitation oblige encore et toujours les meneurs de la classe des loisirs à innover, et la Côte d’Argent est un terrain propice aux innovations sociales.

4Il paraît donc important de voir l’évolution de la fréquentation des stations et de se demander s’il y a eu une démocratisation effective dans les années Trente mais aussi de voir les évolutions de la sociabilité dans les différentes stations de la Côte d’Argent.

Vers la démocratisation et la massification

5Au XIX^ème siècle, nous avons vu que le tourisme est un phénomène qui concerne une petite minorité, les aristocrates du gotha international et la haute-bourgeoisie. De plus, dans les Landes de Gascogne, ces catégories sociales sont rares et les moyens de communications ne leur permettent pas toujours de venir sur le littoral.

6A partir de la Belle Epoque, la diffusion sociale du tourisme atteint les couches sociales inférieures comme la petite et moyenne bourgeoisie. Cependant, sur la Côte d’Argent, le tourisme n’est toujours pas un phénomène quantitatif. De plus, on ne peut étudier ce littoral de manière générale car chaque station est particulière, les clientèles sont différentes et n’ont pas les mêmes attentes selon le lieu de villégiature choisi.

7Les années Trente ont été déterminantes au niveau national pour la démocratisation du tourisme avec les lois sociales de 1936. Mais ces lois ont-elles eu un effet sur la fréquentation de la Côte d’Argent dans une région essentiellement agricole ? Peut-on dire qu’il y a bien eu démocratisation ? Quelles conséquences cette potentielle démocratisation a-t-elle eu sur les comportements touristiques ?

Quantifier les touristes sur la Côte d’Argent, mission impossible ?

8Une étude quantitative du tourisme sur la Côte d’Argent est difficile à mener d’autant plus que la connaissance des clientèles est importante pour voir si le phénomène touristique est simplement local, régional, national ou international.

9Mais une telle démarche demande des séries statistiques équivalentes pour un grand nombre de stations et sur le long terme. Or de telles statistiques n’existent que pour les grandes stations classées telles Arcachon ou Soulac et n’auraient donc quasiment aucune valeur. Que signifie pour la Côte d’Argent de dire qu’en 1890, 196 000 villégiateurs sont venus à Arcachon, 240 000 en 1900 et une pointe à 268 110 en 1904 et qu’en 1914, Arcachon ne compte que 9 279 habitants mais reçoit 250 000 personnes par an2 ? Cela montre simplement l’attractivité d’Arcachon mais pour le reste de la côte, faite de petites stations ou de plages élémentaires, point de statistiques convaincantes.

10De plus la connaissance de la fréquentation ne peut être qu’indirecte à travers le produit de la taxe de séjour perçue auprès des personnes séjournant dans les stations climatiques, touristiques ou balnéaires classées, ou à travers le produit des jeux du casino.

11Donc une telle étude ne nous paraît pas possible pour cette période car il y a très peu de stations classées, que les séries statistiques sont lacunaires, que la connaissance est indirecte et nécessite des calculs improbables, que ces chiffres ne peuvent tenir compte des séjours en famille ou en résidence secondaire... Cependant nous allons tenter de donner quelques tendances en utilisant les quelques chiffres qui sont à notre disposition et donc de tirer quelques idées générales.

Les touristes de la Côte d’Argent à la Belle Epoque

12Au début du siècle, 1 Français sur 400 part en vacances : c’est surtout un problème d’utilisation du temps mais aussi d’attitudes vis-à-vis du temps libre et de l’argent. Il faut donc une part de temps libre mais aussi la volonté d’y consacrer ses loisirs.

13Les chiffres de la fréquentation des lignes de chemin de fer sont plus sûrs d’utilisation, même s’il est parfois difficile de distinguer ce qui relève du mouvement touristique et de court séjour et ce qui relève des flux de travailleurs.

14Le nombre de passagers en gare d’Arcachon connaît une forte progression surtout entre 1900 et 1908. Et 1913 constitue l’apogée de ce mouvement avec 690 000 passagers. Comme le montre le tableau suivant qui assure une comparaison avec la station de Biarritz, Arcachon se place en tête des stations touristiques de la Côte d’Argent. Ce succès s’explique en grande partie par la proximité de l’agglomération bordelaise.

Tableau 1 : Trafic de voyageurs entre 1881 et 1918 à Arcachon et Biarritz3

15Les clientèles sont très différentes selon les stations. Ainsi Arcachon a-t-elle une clientèle aristocratique et surtout bordelaise car le budget des familles est lourd : location en hôtel de grand luxe ou villas, jeux au casino, dépenses ostentatoires de toutes sortes et sans compter. V. Lahondère distingue, après une étude hypothétique d’un budget de quatre personnes, trois catégories4 de stations sur la Côte d’Argent :

• les stations familiales dans lesquelles un budget de l’ordre de 3 000 francs est suffisant comme à Capbreton

• les stations mondaines où un budget de 5 500 à 6 500 francs pour trois mois à Arcachon est envisageable

• les stations familiales et mondaines comme Soulac.

16La ville d’Hiver d’Arcachon accueille un certain nombre de malades et leurs familles. Les plus célèbres appartiennent aux familles royales et aristocratiques européennes : la reine Nathalie de Serbie, la princesse Dolgorouki, les infants d’Espagne, le prince de Galles, futur Edouard VII, mais aussi au monde politique de la III^ème République : Jules Ferry, Paul Doumer, Paul Deschanel et enfin au monde artistique et scientifique : Elisée Reclus, Prosper Mérimée, José Maria de Heredia, Henri de Régnier, Paul Cézanne, Claude Monet, Claude Debussy... La colonie britannique y est très importante à tel point qu’en 1878 a été inaugurée l’église anglicane Saint Thomas et que l’avenue située le long de la place des Palmiers est appelée « promenade des Anglais ». Le révérend Samuel Radcliff a écrit Handbook to Arcachon pour donner des conseils à ses compatriotes. L’aristocratie russe est également très présente loin des rigueurs de l’hiver moscovite : la grande duchesse Catherine Michaïlovna et ses enfants, le grand duc Serge Romanov, frère du tsar, la princesse Dolgorouki, le prince Galitzine, le comte Tolstoï... Après la guerre et les événements russes, l’aristocratie européenne ne vient plus se faire soigner à Arcachon.

17Le tourisme est né saisonnier. Au XIX^ème siècle, la villégiature est longue et s’étend de mai à octobre voire sur toute l’année. On distingue une saison d’hiver associée à une ville d’Hiver dans quelques stations où on recherche la douceur du climat : cinq stations sont fréquentées l’hiver, Hossegor5, Arcachon, Soulac, Mimizan. Andernos et les trois soulignées sont classées comme stations climatiques6 selon loi 24 septembre 1919. On y trouve les malades mais aussi les rentiers

Dans l’entre-deux-guerres, embourgeoisement ou démocratisation ?

Evolution de la fréquentation

a- Les années 1920, une hausse de la fréquentation

18A lire certains auteurs, les stations ne seraient que mondaines avec une liste de visiteurs internationaux prestigieux, laissant de côté les sans grades des classes moyennes. Or comme l’observe C. Carribon, « son éventuelle démocratisation peut dès lors emprunter deux voies. D’un côté, un scénario libéral où l’extension du [tourisme] à de nouvelles clientèles résulterait de l’enrichissement de ces dernières et de leur volonté d’afficher leur réussite par l’adoption de modes de vie et de loisirs bourgeois. De l’autre, une évolution volontariste, où sous l’égide de l’Etat, le [tourisme] s’ouvrirait à des couches de la population n’ayant pas, par leurs seules ressources, les moyens d’accéder aux cures. »7

19Il semble que dans le cas de la Côte d’Argent, la première hypothèse soit à privilégier. En effet, la clientèle autrefois aristocratique connaît des évolutions. Ainsi en 1878, Jean Goulée, maire de Montalivet, écrit au préfet « Montalivet peut, à juste titre, être considérée comme la station du pauvre qui trouve dans les bains de mer et dans la pureté de l’atmosphère le rétablissement d’une santé délabrée, aussi précieuse que celle du riche »8. En fait de pauvre, le maire semble plutôt désigner les familles de la petite bourgeoisie médocaine et bordelaise, et les professions libérales. La location d’un chalet s’élève à 60 francs en juillet et 150 en août9.

20L’enrichissement de la bourgeoisie des grandes villes d’Aquitaine que sont Bordeaux et Bayonne, mais aussi des villes chef-lieu comme Mont de Marsan, ou des stations thermales comme Dax, favorise l’élargissement de la base de la clientèle. Cependant ce mouvement n’est pas massif car la population reste essentiellement rurale et dépendante de « l’arbre d’or », le pin maritime, qui connaît de nombreuses crises. Cette forte population rurale explique le développement tardif de certaines zones du littoral. Mais le tourisme constitue une activité complémentaire pour beaucoup qui permet leur enrichissement et le contact avec les populations plus aisées facilite aussi ce phénomène d’imitation et de diffusion du tourisme dans des couches inférieures de la société.

21La deuxième hypothèse peut apparaître mais de manière plus privée puisqu’elle est l’œuvre paternaliste mais intéressée de la Compagnie du Midi. La nouvelle tarification des « trains de plaisir » permet l’accès du littoral à une nouvelle clientèle. D’autant plus que la Première Guerre mondiale sonne le glas de la clientèle aristocratique internationale et de certaines fortunes et rentes.

22De plus, les stations touristiques sont en fait très diverses par leur réputation et leur fréquentation. Certaines attirent une clientèle cosmopolite et fortunée mais aussi familiale comme Arcachon ; d’autres attirent une clientèle régionale et bourgeoise comme Soulac ; d’autres touristes choisissent des destinations calmes mais de standing comme le Pyla ou Hossegor ou calme et déserte comme la côte du Cap Ferret. De fait, chaque station s’est adaptée à une clientèle ou chaque clientèle s’est orientée vers une station en particulier : l’un ne peut aller sans l’autre, il y a interactivité dans le choix des touristes et la stratégie de développement de la station. De plus, l’arrivée des clientèles bourgeoises et familiales entraîne un développement d’une saison d’été très marquée.

23Une étude sur l’origine des baigneurs à Montalivet en 1928 nous donne les chiffres suivants10 : 80 familles de Gironde dont 56 de Bordeaux, 2 des Landes, 6 de la Dordogne, 9 du Tarn et Garonne, 11 de la Haute Garonne et 9 du Lot et Garonne et du Gers ; 34 de Paris et 9 étrangers. Donc sur 422 estivants, 117 familles aquitaines et 43 parisiennes. Mais ce sondage n’est que ponctuel et n’a aucun sens général quant à la fréquentation de la côte. On peut seulement dire que le tourisme est un phénomène régional et dépendant de la liaison avec Bordeaux.

Tableau 2 : Evolution de la fréquentation touristique entre 1890 et 1930

Tableau 3 : Evolution du montant de la taxe de séjour perçue dans différentes stations25 atlantiques en francs courants26

b- La crise touristique des années 1930 et sa résolution ?

24Les années 1930 sont un tournant dans l’activité et l’organisation du secteur touristique. Tout d’abord en raison de la crise touristique due à une chute de fréquentation internationale à cause de la crise économique mondiale. Ensuite la mobilisation de l’Etat va dans le sens d’une résolution de la crise par une réforme ambitieuse.

25La crise touristique a plusieurs origines : la diminution du pouvoir d’achat à cause de la crise économique qui pousse les ménages à réduire leurs dépenses superflues et le déséquilibre monétaire international qui arrête le mouvement international même si la Côte d’Argent ne connaît que peu de touristes étrangers. Il faut ajouter que l’usage de l’automobile a changé les usages et habitudes : les séjours s’écourtent et les touristes passent plus qu’ils ne s’installent.

26A partir de 1930, les clientèles traditionnelles (malades et étrangers) fréquentent de moins en moins les stations pendant les mois d’hiver et d’automne à cause du déclin économique de cette clientèle, de l’arrivée d’une clientèle bourgeoise qui a moins de temps à consacrer aux vacances, du déclin de la pratique des bains de mer thérapeutiques au profit du bronzage et le développement de l’automobile qui permet de varier les temps et lieux de séjours.

27On peut constater cette crise à travers la chute du produit des jeux dans les casinos de la Côte d’Argent. Cependant, peu de stations de ce littoral ont un casino et encore moins ont des jeux d’argent ce qui fausse les statistiques et les interprétations.

28La grande mesure sociale de 1936 prise par Léon Blum est l’établissement des quinze jours de congés payés. Or cette loi n’est pas une grande innovation sociale mais une généralisation d’un droit dont jouissent certaines catégories de population comme les militaires, les fonctionnaires, les travailleurs des services publics concédés, les employés de banque, de compagnies d’assurance et de grands magasins. Cette loi s’accompagne d’un ensemble de mesures prises par Léo Lagrange, le sous-secrétaire d’Etat aux sports et aux loisirs : favoriser le départ en vacances des plus défavorisés par des réductions tarifaires, encouragement du mouvement des auberges de jeunesse...

29La loi de 1936 sur les congés payés qui voit un afflux de travailleurs parisiens sur les plages de la Manche, ne provoque pas de grands changements sur la Côte d’Argent. Comme l’ont montré J.-C. Richez et L. Strauss27, seule une minorité a accès aux joies du tourisme populaire. Paris est trop loin et l’idée des loisirs est encore étrangère dans la région même à Bordeaux. Les Gascons profitent de leur temps libre pour bricoler, chasser, pêcher ou aller aux champignons. Et certains vont jusqu’à ne pas prendre de vacances pour gagner plus car leur salaire est maigre. En effet, les agriculteurs sont réticents à l’idée de partir à cause du travail : il leur faudrait fournir plus de travail avant le départ en vacances et rattraper le retard ensuite. Enfin le manque de moyens financiers se fait cruellement ressentir : le logement et la nourriture occupent la majorité des dépenses et donc les foyers ont peu d’argent à consacrer aux loisirs et au tourisme notamment.

30Pour approcher les résultats de cette politique sur le mouvement touristique général des années 1930, on peut observer la vente des billets populaires de congés payés. Mais cette mesure n’offre qu’un regard très général sur la région et sur les flux ferroviaires qui sont majoritaires dans le déplacement des couches populaires qui ne peuvent se payer une voiture.

31On remarque que le nombre de billets vendus explose ainsi que les recettes engrangées mais que proportionnellement le nombre de voyageurs ne croît pas avec autant de force.

32Ensuite une autre approche est fournie par l’analyse des statistiques des flux touristiques de certaines stations même si nous rencontrons toujours le même problème : seule la station d’Arcachon sur la Côte d’Argent fait l’objet de telles statistiques. Il nous est donc à nouveau impossible de tirer des conclusions générales.

33On peut retenir des tableaux ci-dessus qu’il y a bien eu une hausse de fréquentation des différentes stations importantes de la Côte d’Argent mais ces tableaux ne nous apprennent rien d’un point de vue qualitatif sur le type de clientèle qui fréquente le littoral.

34En revanche, la lettre annuelle du préfet des Landes au Commissaire Général au Tourisme faisant le bilan de la saison 193831 indique 2 000 baigneurs étrangers et 56 500 français dans les Landes et précise une augmentation de 20 % entre 1937 et 1938 contre 30 % entre 1935 et 1936. De même pour 193732, il est noté que 25 % des touristes sont classés dans la catégorie luxe, 60 % appartiendraient aux classes moyennes et 15 % aux autres classes sociales. Cependant il faut bien noter que ces différentes catégories ont été soumises à l’appréciation des maires qui ont remonté les informations au préfet, elles sont donc très subjectives.

35Cependant, à Hossegor, le maire A. Eluère et les « amis du Lac » sont attentifs aux classes laborieuses. Dans un premier temps, ils diminuent la taille et le prix des parcelles, créent une plage et des hôtels pour les plus modestes à l’écart des équipements mondains. Alors que les promoteurs de la station orientent la clientèle vers le haut de gamme et les sports élégants, la réalité est tout autre. La clientèle la plus huppée est constituée de médecins, de professeurs d’université et d’industriels parisiens, bordelais, palois ou toulousains. Les équipements, fréquentés par les plus riches, donnent donc bien une image élégante mais la clientèle résidante est essentiellement bourgeoise car la station est plus abordable que Biarritz tout en restant assez chic.

36De même, à Lacanau, lors de l’été 1937, les cinq cents villas sont louées pour le séjour de milliers de touristes. Le Conseil Municipal note que la station est fréquentée par « des ouvriers jouissant de leurs congés payés en utilisant de grandes colonies de vacances [...] et qui louent des villas à des prix relativement bas »34. Ainsi le caractère populaire de la station est-il donc clairement affirmé ici.

37Il faut bien signaler que la politique de démocratisation est donc un échec car les ouvriers ont bien eu des congés payés mais cela ne fait pas partie de leur culture ! Elle fait même partie d’une culture bourgeoise et des classes moyennes que rejette cette classe ouvrière. De plus, les moyens financiers sont insuffisants pour les ouvriers pour organiser un déplacement touristique.

38En définitive, on assiste à une redistribution des clientèles : la clientèle populaire et bourgeoise est en hausse grâce à la baisse des tarifs, à l’amélioration de la desserte automobile... mais la clientèle aristocratique et mondaine est en baisse à cause de la récession économique et des événements politiques européens :

• la clientèle aristocratique et aisée tend à disparaître même si elle est encore présente comme les Rothschild au Pyla

• la clientèle familiale fréquente tous les modes d’hébergement : hôtels, pensions, chez l’habitant, meublés ou campings. On peut distinguer :

• la clientèle familiale aisée c’est-à-dire la moyenne et petite bourgeoisie qui fréquente les stations depuis la fin du XIX^ème siècle

• la clientèle des congés payés depuis les années 30, surtout populaire et modeste. Mais les dépenses sont limitées car même si les congés sont payés, la vie touristique est encore chère. C’est pourquoi ils trouvent un hébergement bon marché chez habitant, dans leur famille ou en camping

• la clientèle de week-end : depuis 1919, l’afflux du dimanche est considérable.

Evolution des saisons et des modes d’hébergement

39Les modes d’hébergement des touristes évoluent aussi. Dans les grandes stations balnéaires, tout peut se vendre et se louer pour héberger les touristes. A Arcachon par exemple, les touristes ont le choix entre les villas et chalets de la ville d’Hiver et des autres quartiers mais aussi les différents hôtels et pensions de famille comme le Grand Hôtel, les Bains Legallais, le Continental de la Forêt et le Continental de la Plage qui accueillent des clientèles plutôt haut de gamme. Les ecclésiastiques, les femmes seules et les enfants peuvent se rendre à la pension des Clarisses de Bordeaux, Notre Dame de Bonne Espérance. Dans un contexte de crise hôtelière avec la dépression économique, la Côte d’Argent semble résister.

40Le camping moderne qui naît au XIX^ème siècle se base sur le retour vers la nature, lancé par des pionniers voulant fuir l’artificialité des villes modernes. Le camping est donc né en Angleterre à l’initiative de T.H. Holding. Il se développe après la Première Guerre mondiale et s’accélère vers 1935-36. Une entente des différentes associations débouche sur la création le 3 mai 1938 de l’Union Française des Associations de Camping (U.F.A.C.) qui doit coordonner les activités des clubs de camping et le développement du camping en France.

41Dès 1949, l’Association Syndicale Libre des Propriétaires de Lacanau-Océan cherche à ouvrir un camping dans la station ce qui est chose faite en 195036dans le quartier Nord. Il est aménagé et géré par André Gallais. Ce premier camping est assez spartiate.

42La politique des trains de plaisir a créé une clientèle à la journée. A Arcachon, cela représente environ un quart des touristes en 1900 soit 110 000 personnes pour les trois mois d’été.

43Mais la clientèle plus installée, plus habituée, se rend en saison pour un mois environ entre le 15 juillet et le 15 août pour la saison d’été.

44Les saisons touristiques connaissent aussi une évolution : la saison d’hiver pour les cures régénératrices reste fréquentée plutôt par l’aristocratie et les familles de malades mais tend à diminuer au profit des bains d’été. Ainsi la ville d’Arcachon connaît-elle deux saisons, la saison des bains d’été qui s’étale de juin à octobre, et la saison d’hiver à partir du 15 octobre. Le développement touristique est surtout lié à son rôle de ville de cure : sanatorium du Moulleau, institut Lalesque. Mais la cohabitation d’une clientèle de malades et d’une clientèle saine avec risque de contagion pose un problème de croissance à la station. Les clients de loisir n’ont pas besoin de se loger puisqu’ils viennent à la journée, mais les autres ont le choix entre le Grand Hôtel ou les villas.

Démocratisation approfondie et début de massification après-guerre

45Le tourisme est resté limité jusqu’à la fin des années cinquante. Quelques stations alternent avec de vastes étendues quasi désertes. Ce sont ces stations qui assurent l’essentiel du développement touristique et connaissent un réveil dans les années cinquante en raison de la démocratisation du tourisme résultant d’un processus d’urbanisation et d’industrialisation, et de l’action de l’Etat pour organiser le temps libre qui interagit avec ce mouvement touristique.

La cause : la démocratisation de la demande

a- Les évolutions socio-économiques

46L’amélioration qualitative et quantitative du réseau routier et la démocratisation de l’automobile permettent un accès plus facile et rapide des touristes vers la Côte d’Argent. L’amélioration du niveau de vie et les lois sociales sur les congés payés font de la côte un espace de consommation.

47La démocratisation est liée à un faisceau de facteurs mais surtout à trois faits importants : le développement des moyens de transport individuels et collectifs, l’élévation générale du niveau de vie et la moyennisation de la société. Les innovations technologiques dans les transports et l’amélioration des grandes voies de communication ont facilité la possibilité de se déplacer : les gains en sécurité et en vitesse ont permis la diffusion plus massive du tourisme. Le développement de l’automobile date du début du siècle mais elle est alors un objet réservée à l’élite : ce sont les années Cinquante qui marquent le triomphe du transport individuel. Le train s’est effacé derrière l’automobile dont la production en France double entre 1955 et 1960 pour atteindre un million de véhicules grâce à des modes de production standardisée selon le modèle américain. La production de masse et notamment des automobiles comme la Coccinelle de Volkswagen, la « deux chevaux » de Citroën et la « quatre chevaux » de Renault ont fait beaucoup pour la massification du tourisme. L’automobile permet une mobilité accrue, la liberté de choix quant à la destination du voyage et soutient donc la hausse de fréquentation qui se manifeste. La caravane tractée par l’automobile connaît un essor remarquable et montre l’engouement des Français pour un tourisme libre et populaire.

48La France doit faire face à une vague d’urbanisation plus forte et décisive que les précédentes. Elle est également liée à la croissance démographique française. Aussi le facteur psychologique est-il très important pour comprendre la nécessité de partir : le milieu urbain a créé une sorte d’aliénation et le besoin de s’évader. Il est surtout visible dans le changement d’habit qui passe par le costume de bain et notamment le bikini qui est créé en 1946 pour les femmes, et le short pour les hommes. Le camping, le grand hôtel et la villa représentent d’autres moyens de changer de cadre de vie. Ainsi en 1950, le taux de départ en vacances est de 15 %.

49Cet ensemble de facteurs socio-économiques et culturels agissant sur le taux de départ en vacances a eu des impacts plus précoces dans les sociétés nord-européennes traditionnellement émettrices de flux touristiques vers les littoraux méridionaux.

50La possibilité de s’enfuir s’est donc accrue mais faut il encore pouvoir partir : les conditions matérielles jouent un rôle très influent. La hausse du pouvoir d’achat constitue une condition nécessaire pour autoriser l’accès des couches les plus défavorisées au tourisme. Cette prise de conscience débouche alors sur des lois encadrant les loisirs pour les faciliter.

b- Le rôle fondamental de l’Etat

51L’Etat interventionniste, les transformations sociales dans le travail avec la hausse du temps libre et l’affaiblissement des institutions de base de la société familiale, socio- spirituelle et socio-politique ont été décisifs dans la démocratisation du tourisme. En fait, « pour que le tourisme ait pu émerger et devenir une réalité qui touche la société dans son ensemble, il fallait que puisse s’instituer l’articulation travail-loisir »37. Le tourisme et les loisirs sont l’histoire de la conquête d’un temps pour soi dans la mise en place d’un nouvel ordre social structuré autour du travail comme le montre A. Corbin38. La libération progressive de périodes de temps au sein de la journée ou de la semaine permet la démocratisation des pratiques. L’industrialisation et le productivisme du monde du travail selon des processus de standardisation fordiste créent la nécessité d’un temps de re-création des forces de travail. Les loisirs offrent des compensations à la vie de travail et aux nuisances urbaines. Ce rôle compensatoire des loisirs et plus particulièrement du tourisme est induit par les trois fonctions identifiées par J. Dumazedier, les 3 D : Détente, Divertissement et Développement39. Comme tout loisir, le tourisme constitue à la fois un privilège et un instrument de différenciation sociale. Le tourisme est le signe d’appartenance à une catégorie sociale mais aussi un signe d’affirmation personnelle vis-à-vis d’autrui. Cet aspect symbolique de la loi Veblen selon laquelle la hausse du prix d’un bien s’accompagne d’une hausse de la demande par effet d’imitation est encore important. Les valeurs du loisir ne subissent pas le même conditionnement social que celles du travail et laissent plus de place à l’anticonformisme et à la liberté de choix de chacun.

52Face à l’importance économique et sociale que prend le tourisme, l’Etat se doit d’intervenir en favorisant les pratiques touristiques. L’action des pouvoirs publics visant à les accroître peut être induite par des mesures n’ayant pas trait directement au tourisme comme l’octroi des congés payés. La France a longtemps été en retard sur le plan de la législation sociale. La loi symbolique des congés payés de 1936 a fait du tourisme une pratique inscrite dans la culture nationale : c’est quasiment une norme sociale. Pour les élites, le tourisme apparaît comme un héritage culturel et une pratique habituelle alors que pour les couches sociales moyennes et modestes, il est une conquête et un espace de création à remplir. Ce besoin est presque devenu un droit au départ en vacances au moins une fois dans l’année. Il est rendu possible grâce aux congés payés qui sont des conquêtes au coup par coup. C’est un processus de mimétisme social des aristocrates aux bourgeois jusqu’aux classes moyennes et populaires qui a conduit à la diffusion du tourisme dans la société. L’émergence du temps libre, nécessaire à la pratique touristique, est une caractéristique de notre société moderne qui a généralisé le salariat. L’industrialisation et l’urbanisation ont créé de nouveaux rythmes sociaux. Aussi en 1956, suite à la convention collective de la Régie Renault du 15 septembre 1955 qui porte les congés de ses ouvriers à 18 jours ouvrables, l’Etat accorde une troisième semaine de congés payés qui permet aux travailleurs de partir plus loin et plus longtemps. Guy Mollet se situe en continuateur de L. Blum. Mais c’est une loi impérative qui impose les congés entre le 1^er mai et le 31 octobre. Le 17 avril 1956, les ouvriers de Dassault obtiennent la quatrième semaine de congés payés.

53L’Etat a donc agi dans trois directions : les opérations de création volontaire d’infrastructures touristiques, le soutien aux entreprises touristiques et, une politique sociale et de soutien à la consommation touristique des individus.

c- L’action décisive des syndicats d’initiative

54L’activité saisonnière induite par le tourisme crée des emplois dans tous les secteurs d’activité du littoral. Or le tourisme est une activité dont la demande croissante est très sensible à l’action de promotion qui vante les mérites de la station à travers les Syndicats d’Initiative (S.I.).

55Le S.I. a pour fonction non seulement d’informer et d’accueillir des touristes mais aussi d’animer en coordonnant les différentes activités se rapportant au tourisme. Les campagnes d’affichage des S.I. ont pour but de vendre la station qu’ils représentent pour attirer le touriste consommateur. La difficulté réside dans le choix des images conformes aux besoins dominants de la clientèle et au patrimoine touristique. Leur rôle est donc essentiel.

56En 1950, la côte landaise compte sept S.I. : Biscarrosse40, Capbreton, Hossegor, Léon, Mimizan41, Soustons et Vieux Boucau. Sur l’initiative des présidents des S.I. de Mont de Marsan, Dax et Biscarrosse est créée le 27 juin 1951 l’Union Départementale des Syndicats d’Initiative (U.D.S.I.) des Landes pour donner un nouvel élan au tourisme. En 1956, trois nouveaux S.I. les rejoignent : Parentis en Born, Saint Julien en Born et Tarnos. La côte girondine en compte quatorze : Andernos les Bains, Arcachon, Cap Ferret, Claouey, Grand Piquey Plage, Hourtin, La Hume, Lacanau Océan, Pyla sur Mer, Soulac sur Mer42, Taussat et Cassy, La Teste de Buch43, Vendays Montalivet Océan et le Verdon sur Mer.

57Cependant les S.I. de Mimizan Plage et de Vieux Boucau ont un budget qui ne dépasse pas 150 000 francs ce qui ne leur assure qu’un fonctionnement médiocre. Au contraire celui de Biscarrosse Plage obtient un certain dynamisme grâce à un budget de 250 000 francs. Mais les deux plus importants sont ceux de Capbreton avec un budget de 300 000 francs et Hossegor avec 600 000 francs.

58La Côte d’Argent dépend de deux Comités Régionaux du Tourisme (C.R.T.) : celui de Bordeaux et celui de Bayonne. Mais l’arrêté ministériel du 12 juillet 1949 établit que les deux organismes doivent réaliser un programme commun. C’est l’Acte dit Loi du janvier 1942, modifié par celui du 5 mai 1943, qui institue les C.R.T. Ils se composent de personnalités représentant les différents groupements régionaux en relation avec le tourisme : la Chambre de Commerce et d’Industrie, les Conseils Généraux, les municipalités, les hôteliers et les transporteurs. Leur tâche est d’assurer et coordonner les activités touristiques dans la région.

Une hausse de fréquentation des stations de la Côte d’Argent

59La renaissance des stations44 balnéaires de la Côte d’Argent s’est effectuée dans les années 1949-50 suite à une demande accrue selon de nouveaux usages démocratisés.

60La fin des années Quarante et les années Cinquante sont marquées par un tourisme régional et familial provenant des villes de l’intérieur et plus particulièrement de Bordeaux. Cette forme de tourisme est caractérisée par une migration de courte distance, environ quatre-vingt kilomètres, aussi bien pour les week-ends que pour les vacances estivales.

61Les facteurs d’exclusion du tourisme sont le manque de temps, les habitudes difficiles à mettre en place et les problèmes financiers. Ainsi les grands exclus sont donc les agriculteurs et les ouvriers. Ils manquent de temps libre et d’argent pour partir en vacances. Etant donné que ces catégories sont les plus représentées en Aquitaine, le tourisme régional est donc marqué par une certaine faiblesse dans l’après guerre.

62Dès le début des années Cinquante, les stations touristiques ont su tirer profit de la démocratisation de la demande. Les différentes enquêtes montrent une prédominance des catégories sociales modestes et la faible représentation des classes supérieures et des retraités dans la fréquentation touristique des stations balnéaires. Cette répartition varie en fonction des mois, du mode d’hébergement et de la zone d’accueil.

63L’emprise de la clientèle régionale est importante et se renforce avec la croissance de l’agglomération bordelaise, l’essor des petites et moyennes villes de l’arrière pays et l’amélioration des voies de communication. En prolongement de ce recrutement régional, les départements du Centre, du Lot et du Tarn et Garonne fournissent une clientèle importante. La clientèle parisienne est assez nombreuse en raison de la forte urbanisation de la capitale et des campagnes de promotion qui y sont menées. La région Rhône-Alpes est, elle aussi, très présente en raison du développement de l’industrialisation et de l’urbanisation dans une région économique dynamique, et de la saturation de la Côte d’Azur.

64En ce qui concerne la clientèle étrangère, il faut noter l’essor des arrivées de Néerlandais et d’Allemands, lié au développement dans la région de pratiques de plein air comme le camping et le naturisme, et à l’existence de plages sauvages. C’est donc l’élément naturel qui compte le plus dans l’attraction de la Côte d’Argent.

65Après-guerre, pour connaître les flux touristiques, on peut utiliser des méthodes directes et indirectes de statistiques et d’enquêtes par sondage :

• dénombrement des arrivées dans les hôtels et les locations meublées par la taxe de séjour,

• statistiques de fréquentation des principaux casinos,

• statistiques des biens de consommation courante : pain, gaz, eau, essence...

• sondage : enquête vacances des Français de 1952 à 1954,

• possibilités d’hébergements mis en rapport avec le taux d’occupation,

• flux de cartes postales.

66Mais bien souvent ces chiffres sont erronés et fragmentaires, et il existe un problème de suivi des statistiques et de leur contenu en fonction de l’évolution des définitions du tourisme.

67La progression importante des migrations estivales s’inscrit dans l’histoire d’une côte très inégalement équipée et dédiée presque exclusivement à une clientèle régionale : les Parisiens se retrouvent en très grand nombre au mois d’août alors que la masse des Aquitains en vacances ne cesse de grandir avec l’urbanisation de la région.

68Si on s’intéresse au revenu de la taxe de séjour, on observe donc l’évolution de la fréquentation mais on peut également tenter d’y voir les retombées économiques du tourisme pour la commune. En effet, les activités touristiques de base sont les services d’accueil, d’hébergement et de transport. Il faut savoir si les structures économiques existantes sont en mesure de répondre à une demande croissante. Les retombées économiques du tourisme sur l’économie locale sont issues des flux de consommation et de l’accroissement des revenus locaux : c’est l’un des moteurs de l’économie littorale. Les revenus du tourisme proviennent des principales entreprises assurant le déplacement, la réception, la distraction et l’accueil. Ils montrent que l’exploitation du tourisme sur la Côte d’Argent reste encore artisanale, peu organisée et peu structurée, on peut même parler d’économie de cueillette.

69Une enquête menée à Biscarrosse en 195245 dans les hôtels a montré le montant des dépenses des étrangers qui atteint 1 815 540 francs mais en moyenne les dépenses par séjour et par touriste s’établissent autour de 10 000 francs.

70Le rendement de la taxe de séjour indique le niveau d’activité qu’ont connu la location de meublés ou l’hôtellerie. Il montre que l’activité touristique profite aux finances communales qui doivent donc embellir la station. Ainsi à Arcachon, la moitié du montant de la taxe est attribuée à l’assainissement et le reste à l’entretien des jetées et jardins.

Tableau 9 : Evolution du produit de la taxe de séjour (en francs courants)46

71Ce tableau confirme que les années 1951 et 1954 marquent un tournant : la hausse de fréquentation du littoral s’accompagne d’une hausse du revenu perçu par les municipalités et du chiffre d’affaires des hôtels-restaurants. C’est donc une importante somme d’argent qui est redistribuée dans l’économie régionale.

72Arcachon, entre 1953 et 1959, voit le revenu de sa taxe de séjour s’accroître de 65 %, Mimizan de 94 % et Hossegor de 36 %. Le chiffre d’affaires des hôteliers a été multiplié par trois en neuf ans. Ces chiffres corroborent le succès du Sud des Landes en général avec l’extraordinaire rattrapage de Vieux Boucau qui voit le chiffre d’affaires de son hôtellerie multiplié par cinq alors qu’au Nord, Mimizan affiche son relatif succès par rapport à Biscarrosse qui reste assez insensible au phénomène touristique.

73Arcachon est le centre principal de la Côte d’Argent qui permet de voir l’évolution du tourisme dans cette zone balnéaire qui est la plus développée de la côte alors que les autres zones touristiques connaissent une fréquentation limitée. Il est ainsi possible de voir dans le tableau suivant que la villégiature garde une place importante à Arcachon malgré une stagnation voire une régression de la fréquentation des villas et appartements en location. On peut également constater une baisse de la durée du séjour : mais se pose le problème de l’interprétation de ces chiffres liés à une mesure fiscale qui comporte de nombreuses exceptions, donc souvent erronés et falsifiés, et de son imposition aux seuls hôtels et locations meublées alors que se développe d’autres formes d’hébergement touristique.

Tableau 10 : Fréquentation touristique à Arcachon d’après la taxe de séjour47

74Le tourisme s’est également propagé sur les autres centres du Bassin d’Arcachon : en 1953, Arcachon, d’après le tableau ci-dessus, compte environ 30 000 estivants en hôtel et location. En 1955 le Cap Ferret, le Moulleau et Pyla sur Mer comptabilisent chacune environ 20 000 estivants soit 500 000 nuitées et, 15 000 personnes se sont rendus à Andernos dans des hôtels ou des meublés en location. On sait par ailleurs que les saisons 1949-50 ont retrouvé un niveau comparable aux années de l’entre-deux-guerres. L’année 1951 est marquée par une légère récession et 1953 a connu les grèves de la S.N.C.F. ce qui a entraîné une perte de clientèle48.

75A Arcachon, la saison dure de mai à septembre ce qui est un héritage de son ancienneté car ailleurs la saison est souvent réduite à deux mois, juillet et août. Les étrangers qui sont revenus depuis les années cinquante sont plus nombreux en mai, juin et septembre ce qui contribue à un allongement de la saison. Ainsi les étrangers qui représentent environ 9 % des touristes, forment un appoint au moment où la fréquentation française connaît une baisse. Il faut noter que deux centres landais connaissent une forte fréquentation étrangère : à Biscarrosse en 1952, les étrangers représentent environ 16 % des touristes et Hossegor en 1953 environ 20 %.

76Depuis la fin du second conflit mondial, les touristes partent plus nombreux mais moins longtemps sur des courtes périodes de vacances. C’est la vulgarisation de l’automobile, la modestie des clientèles et le développement d’autres formes de tourisme qui expliquent en partie ces nouveaux comportements entre tradition et modernité.

77Les revenus des établissements de distraction sont, eux aussi, en très nette progression. Les principales distractions sont les casinos, les musées et les manifestations artistiques et sportives. Les casinos sont des établissements de spectacles et d’attractions variés qui contribuent par des manifestations artistiques à l’essor et à l’activité des stations. Leur création est limitée aux stations classées et soumise à l’autorisation du Ministère de l’intérieur. Ces établissements ont donc le monopole de l’organisation des jeux de hasard, source de revenus non négligeable pour des stations comme Andernos, Arcachon, Soulac, Hossegor et Mimizan. Ainsi le produit brut des jeux des casinos des stations a considérablement augmenté depuis 1949.

Tableau 11 : Evolution du produit brut des jeux des casinos (en millions de francs courants)49

78On constate qu’à nouveau 1951-1952 marque un tournant. C’est Arcachon qui s’en sort le mieux et qui s’affirme comme le grand centre d’attraction de la Côte d’Argent.

79Le Sud Ouest possède également de nombreux musées qui profitent de l’essor du tourisme dont le musée aquarium d’Arcachon qui passe de 27 000 entrées en 1950 à 43 000 en 1952 et 49 280 en 195450. Les revenus dus au tourisme sont donc source de prospérité pour la Côte d’Argent d’autant plus que le commerce est, lui aussi, influencé par le tourisme.

80A partir de ces chiffres de fréquentation, on peut classer les stations de la Côte d’Argent en quatre catégories :

• les stations faiblement fréquentées avec quelques centaines à quelques milliers de visiteurs.

• les stations moyennement fréquentées avec entre 5 000 et 8 000 touristes par an comme Biscarrosse, Contis, Montalivet. Elles sont moyennes car éloignées des foyers émetteurs.

• les stations fréquentées de 10 000 à 15 000 touristes par an comme Andernos, Pyla sur Mer, Hossegor ou Mimizan. Les deux premières sont des stations satellites d’Arcachon et les deux autres sont sans réelle concurrence.

• la station très fréquentée et mondaine qu’est Arcachon.

L’évolution de la villégiature

81On compte une multitude de modes d’hébergement qui sont aptes pour recevoir une clientèle diversifiée : il y a donc adaptation du tourisme pour répondre aux changements de la demande.

a- Les débuts de la crise de l’hôtellerie traditionnelle

82Longtemps l’hôtellerie, avec la résidence secondaire, est restée la seule forme d’hébergement. Ainsi la France se trouve à la première place en Europe pour la capacité hôtelière mais les hôtels de luxe se vendent par appartements suite à la démocratisation du tourisme ce qui constitue une perte d’hébergements de qualité. C’est l’Acte dit Loi du 4 avril 1942 qui établit le classement obligatoire des hôtels en quatre catégories, divisées en sous catégories, suivant les installations, le confort et la bonne tenue de l’établissement. Dans le Sud-Ouest, la capacité hôtelière s’établit de la manière suivante :

83Il faut souligner que Bordeaux, qui possède un grand nombre d’hôtels, fausse la donne concernant les capacités hôtelières au niveau départemental. Mais de manière générale, cette capacité est insuffisante en raison de la hausse continue du nombre de touristes mais aussi de la fermeture de nombreux établissements. La crise de l’hôtellerie n’est pas nouvelle et trouve des causes internes et externes. En effet, l’hôtellerie demande de forts investissements mais l’amortissement est assez rapide. Pour maintenir la qualité de la prestation, les hôtels consacrent 10 à 15 % des frais généraux dans l’entretien. L’hôtellerie vend des services et non des produits ce qui pose des problèmes de personnel souvent inemployé en dehors de la saison. 95 % des hôtels sont des entreprises artisanales et familiales qui doivent faire face à une demande saisonnière à laquelle ils ne peuvent s’adapter en raison des capacités limitées et des lourdes charges fiscales et sociales.

84L’hôtellerie a également souffert du rétrécissement de la durée de la saison et des difficultés liées à la situation économique de l’après-guerre qui se traduit par une hausse des prix et une baisse du pouvoir d’achat. La hausse des prix entraîne une hausse du prix de la prestation mais pas des recettes. La réduction de la saison provoque un gonflement anormal des frais généraux. La saison réelle se limite à 45 jours alors que le seuil de rentabilité est de 75 jours. La clientèle est plus nombreuse mais moins fortunée or les hôtels ont été créés pour une clientèle mondaine. Il faut donc que l’hôtellerie surmonte ce goulot d’étranglement en termes de capacité et de qualité des services.

85L’autre secteur traditionnel du tourisme est l’hébergement en résidence secondaire. Ce sont des logements occupés temporairement. La proximité du domicile principal est un facteur important pour son développement. Il faut savoir aussi qu’en week-end 62 % des touristes logent chez des parents et 12 % chez des amis.

b- L’apparition de nouveaux modes d’hébergement : le tourisme « social » et les vacances organisées

86Les congés payés, ainsi que la hausse du niveau de vie et le changement de mentalités, ont abouti à la création d’une nouvelle forme de tourisme plus populaire, le tourisme social. En réponse aux besoins des familles les moins favorisées et de celles qui cherchent à vivre plus près de la nature et fuir les grands centres urbains, se développent de nouveaux modes d’hébergement comme le camping-caravaning, les colonies de vacances, les maisons familiales de vacances et les villages de vacances52.

87Né du besoin individuel d’indépendance et d’évasion et du désir de vivre en plein air, le camping est devenu un phénomène de masse, symbole du tourisme de masse. Sa croissance est due à des facteurs d’ordre économique car c’est la forme la moins onéreuse du tourisme moderne. C’est, en effet, pour certains, le seul moyen de partir en vacances. Le caravaning est facilité par l’essor de l’automobile. Il a aussi une répercussion sur l’économie en stimulant la fabrication d’articles de sport et de camping qui est une branche dynamique des industries de transformation, et sur le développement local en ranimant les activités commerciales locales. A Lacanau, en 1964, s’ouvre le camping-caravaning Les Grands Pins avec des prix attractifs : 50 centimes pour une tente et 50 centimes pour une voiture.

88Les logements de tourisme social sont uniquement destinés à être loués. Leur propriété formelle est publique ou de type associatif. Leur gestion est assurée par des œuvres de type non lucratif (association, comité d’entreprises, mutuelles, coopératives...). Elles sont fortement subventionnées par l’Etat et par le secteur parapublic (C.A.F., H.L.M...) et par des fonds sociaux propres. Le tourisme social se caractérise également par le fait que ce sont souvent des vacances organisées pour apprendre aux touristes comment tirer le meilleur profit de leurs vacances et éviter leur oisiveté, soi-disant néfaste pour la société. Les colonies de vacances sont une forme ancienne mais le secteur est en pleine expansion depuis les congés payés. Elles sont créées par des organismes publics et para-publics ou des organisations privées. Elles accueillent des enfants de 6 à 14 ans. Les camps de vacances ou d’adolescents hébergent eux des adolescents de 14 à 18 ans. Les maisons familiales de vacances sont destinées à héberger des familles ayant un faible niveau de vie. Ce sont des établissements à but non lucratif qui permettent à plusieurs familles de prendre simultanément des vacances. Ce sont des sortes de petits hôtels de confort modeste dont les pensionnaires participent aux différentes tâches collectives et à des activités de loisirs.

89Les villages de vacances sont nés après la guerre à Royan, de l’autre côté de l’estuaire de la Gironde : le Touring Club de France (T.C.F.) a édifié en 1947 un village de toile pour satisfaire la demande d’une nouvelle clientèle aux moyens modestes. Un an plus tard, le T.C.F. gère six camps qu’il baptise village de vacances : c’est une grande innovation touristique. La meilleure illustration du dynamisme du mouvement associatif est la création en 1958 avec le concours du maire de Strasbourg et président du Conseil, P. Pflimlin, des Villages, Vacances, Famille (V.V.F.) par la Fédération Française de Tourisme Populaire (F.F.T.P.), ramification de l’Organisation des Camps et Centres d’Activités de Jeunesse (O.C.C.A.J.). Elle est composée de la Société Centrale Immobilière de la Caisse des Dépôts et Consignations (S.C.I.C.), de la Société Centrale pour l’Equipement Touristique (S.C.E.T.O.), et de la F.F.T.P. Cette forme de tourisme s’est alors répandue sur le littoral de la Côte d’Argent sous forme de sociétés privées ou d’associations à but non lucratif. On considère comme village de vacances tout centre autonome constitué par des installations de type pavillonnaire destinées à des séjours en plein air selon un prix forfaitaire53.

90A Soulac, après le retour à la normale, le tourisme reprend avec force : la station accueille le premier grand village de vacances de la côte et connaît un essor de l’hôtellerie de plein air. Les premiers terrains de camping sont aménagés entre 1950 et 1955 à Piraillan sur le Bassin d’Arcachon, à Lacanau, à Soulac ou à Mimizan Plage qui font figure de pionniers54. Le camping a commencé à prendre de l’ampleur sur le Bassin même si certaines villes ne peuvent accueillir de terrains de campings en raison du manque d’espace dû à une urbanisation assez importante comme à Arcachon. Pyla sur Mer possède un nombre important de terrains de camping sur un site exceptionnel, au pied de la dune de Pilat.

Les distractions anciennes et nouvelles

91L’offre touristique doit faire face à l’émergence de nouvelles pratiques comme le nautisme et le naturisme et de nouvelles formes d’hébergement. Mais en réalité, les besoins n’ont guère changé, ils ont évolué : les besoins de distinction et de dépenses ostentatoires n’ont pas disparu. C’est par le phénomène de l’invention de distinction et la diffusion par imitation56 que les pratiques se démocratisent : des pratiques comme le tennis, le golf et le nautisme, mises au point par les élites pour se distinguer du tourisme démocratisé, se diffusent dans les couches sociales immédiatement inférieures pour imiter ce modèle.

92Il faut tout d’abord signaler qu’il fallait vraiment aimer les bains de mer pour s’offrir un voyage digne d’une aventure épique. Que ce soit en train ou en voiture, le trajet était long depuis Bordeaux, souvent dans les trois heures. Et le voyage à bord des tortillards des compagnies de chemin de fer économiques n’est pas une sinécure mais plutôt une voie du Far-West. En voiture, la plupart des chemins sont défoncés et marécageux.

Du bain médical à la baignade de loisir et au naturisme

93Le développement du balnéarisme s’est fait sous l’impulsion de la bourgeoisie et de sa morale puritaine. Le bain devait avoir une vertu médicale pour être pratiqué et donc efficace. Mais déjà existent des formes de baignades pour le plaisir pratiquées par les autochtones. Au fur et à mesure de la diffusion sociale du phénomène touristique et de l’approche de la fin du siècle, et sous l’influence de l’après-guerre et des Années Folles, la baignade se transforme totalement vers un nouvel hédonisme parfois poussé à l’extrême dans le cas du nudo-naturisme qui ne correspond plus aux préceptes de départ. Cependant cette mutation de la pratique de la baignade ne change quasiment rien à l’organisation des stations, à leur hiérarchisation et à leur fréquentation. La mode change mais les lieux touristiques demeurent les mêmes.

Vers le plaisir de la baignade

94Le phénomène de distinction par innovation et de diffusion par imitation se caractérise par l’adoption chez les catégories immédiatement inférieures des pratiques élitistes : c’est un phénomène de mimétisme social. Ainsi à la Belle Epoque puis dans l’entre-deux-guerres, l’expression touristique se retrouve dans les pratiques mondaines de la leisure class57 en s’étendant à la bourgeoisie qui fréquente les lieux à la mode. Cette période voit de plus en plus le passage de la healthy place, la station médicale, à la pleasure place, la station du plaisir. Le plaisir devient le but de cette classe centrée sur les loisirs, cette leisure class, le tourisme le symbole d’une consommation ostentatoire et le littoral un théâtre où il faut se montrer et dépenser sans compter.

95Tout d’abord, la plage apparaît comme un décor et un lieu de passage. Sur la plage, les touristes vont et viennent. On peut y louer des chevaux ou des ânes pour se promener. Parfois, les femmes apportent un siège pour s’installer face à la mer et regarder le sac et le ressac, et son doux ronronnement. C’est un lieu de discussion et de repos pris d’assaut par les baigneurs qui suivent les prescriptions médicales.

96C’est aussi le décor des jeux des enfants venus avec leurs parents. Les garçons courent sur la plage, les fillettes, abritées sous une tente, s’amusent entre elles. Les plus petits font des pâtés de sable, les plus grands construisent des forts de plage souvent avec l’aide de leurs parents. Parfois, quelques uns viennent avec un cerf-volant quand le vent y est favorable. Sur la plage, certains enfants jouent au « jeu de grâce » avec des cerceaux enrubannés que l’on échange à l’aide de bâtons de bois, au volant, au croquet ou au tennis. C’est un espace-jeu pour les adultes aussi qui utilisent des pratiques urbaines comme les courses de chevaux, tennis, cricket...

97L’espace urbain est un lieu de villégiature mais aussi de promenade. Puis les municipalités prennent conscience de l’enjeu économique de cet espace en pavant les rues, en développant l’éclairage et en programmant des embellissements. C’est un lieu mondain, où l’on se montre comme l’indiquent les tenues mais on y découvre aussi le patrimoine culturel : églises, châteaux, ports... Enfin les municipalités créent les premières fêtes qui ne sont plus liées à l’agriculture ou à la pêche. Et l’espace naturel qui entoure la station est un lieu de chasse et de pêche, de promenade...

98La mer est le lieu du bain codifié et puritain qui évolue vers le bain sportif. Il y avait une heure recommandée pour le bain à laquelle tout le monde se conformait. Le traditionnel établissement de bains de mer continue d’être un incontournable de la plage et du tourisme balnéaire. A Lacanau, E. Lacaze et sa femme, A. Demanes, installent le premier établissement de bains. Jusqu’aux années 1930, ces établissements disposent d’annexes d’eau de mer chauffée pour que chacun puisse jouir des bienfaits de la mer en échappant aux regards indiscrets.

99Et cela s’accompagne aussi de l’évolution des personnels encadrant la baignade : le guide-baigneur, souvent un marin, n’est plus choisi pour de quelconques compétences médicales mais pour surveiller la baignade et apprendre aux enfants à nager. Ainsi les touristes sont passés de la cure régénératrice au plaisir de la baignade et de la nage. Le maître baigneur n’est pas diplômé ou n’a pas toujours les compétences requises comme E. Lacaze de Lacanau qui ne sait pas nager mais sait lancer la bouée de sauvetage sans problème58. Pour prendre un bain en pleine mer, des poteaux de mine sont enfoncés tous les dix mètres et reliés par une grosse corde à laquelle les baigneurs s’accrochent.

100Dans l’entre-deux-guerres, le goût de la distinction et de la dépense ostentatoire pour se différencier perdure chez les bourgeois et les aristocrates bien que la bourgeoisie locale adopte un comportement discret alors que débridé est la bourgeoisie parisienne des Années Folles. Les classes plus modestes imitent les grands qui leur servent de modèles puisqu’ils découvrent cette pratique. La mer est le lieu des convalescents et des baigneurs. La plage reste un espace-jeu mais aussi de bronzage ce qui entraîne une fréquentation plus longue voire continue de la plage. Les espaces sportifs sélectionnent leur clientèle soit directement soit indirectement par les prix pratiqués.

Les pratiques provoquent une hiérarchisation des stations :

• les stations multi-activités comme Soulac, Arcachon ou Hossegor se distinguent par un large éventail d’activités, mondaines ou populaires, toutes sortes de sports, casinos, théâtres, cafés, manifestations... pour large clientèle

• les stations mondaines et familiales à plusieurs activités comme la Teste, Mimizan, Capbreton qui proposent tennis, casinos, théâtre, golf, concerts, dancings, cinéma et pratiques populaires

• les stations familiales à plusieurs activités comme Lacanau, Andernos, Arès et Taussat qui proposent des activités familiales

• les stations simples, très nombreuses tournées vers la mer et la forêt.

101A partir des années 1930, la surveillance de baignade commence à préoccuper les autorités60 et la sécurité des plages est alors confiée à des sociétés de sauvetage et de secours en mer sous la direction de la Fédération Nationale de Sauvetage. A Lacanau, c’est la Société de sauvetage et de secours du Médoc (S.S.M.) créée en juillet 1935 par Christian Martin, infirmier ambulancier de Lesparre, qui s’occupe de la surveillance de la plage et des routes. Cette société contrôle l’activité des maîtres-baigneurs et fournit le matériel nécessaire aux différentes plages : miradors, sifflets, bouées.

102A partir des années 1950, les municipalités et les sociétés de sauvetage négocient pour affecter un plus grand nombre de maîtres nageurs diplômés en raison de la croissance de la fréquentation des plages. Puis à partir de 1957, la Fédération Nationale de Sauvetage et les sociétés locales pensent à de nouvelles solutions comme le recrutement des maîtres-baigneurs des Compagnies Républicaines de Sécurité (C.R.S.). Des postes de secours sont construits sur la dune et disposent progressivement du téléphone, d’une infirmière...

103Face à la foule venant se baigner, les plages ont dû être aménagées notamment par les artisans et les commerçants pour en tirer profit : accès par des escaliers, tentes pour se déshabiller... Les premières cabines françaises datent de 1820 mais les tentes se développent par la suite en raison du progrès technique. Chaque année, des familles entières louent leur tente comme une extension de leur villa ou apportent la leur. Elles y entassent le nécessaire pour la plage : les parasols, les sièges, les accessoires de bains...

104La plage attire aussi le petit commerce avec la vente de rafraîchissements, de pâtisseries, de jouets de plage et la location de maillots de bain. Avec les évolutions techniques et notamment la construction de glacières comme celle d’Arcachon en 1898, les marchands de glaces ou plutôt les porteurs de glaces envahissent les plages avec leurs paniers réfrigérés placardés du nom de leur propriétaire.

105De plus, au début du XX^ème siècle, le rapport au soleil et au corps se renouvelle. La saison chaude débute aux Etats-Unis dès 1870 en Floride, en Californie, à Cuba et au Mexique ; en 1896 à Miami d’après M. Boyer ; à Juan les Pins en 1922 d’après M. Cöfgren. A Waikiki, l’idée du bronzage se développe avec l’image du beach boy, icône masculine, peu habillée, bronzée et athlétique.

106Jean Cocteau, prophète de l’avant-garde, est un précurseur notamment dans ce rapport au soleil et à la mer. Dès la fin de l’été 1917, il se rend à l’hôtel Chantecler à Piquey. Fasciné par les mythes grecs, il adopte très rapidement le culte du soleil. Il écrit à sa mère en 1917 : « aujourd’hui j’ai passé la journée seul à noircir et à lire Goethe, assis sur le seuil de la case Tom, entre un cactus et une grosse cage en bois pleine de palombes sauvages ». En 1919, dans Carte blanche, il écrit : « connaissez-vous le bain de soleil ? C’est un charlatan sur un carrosse d’or, il chloroforme, arrache les souvenirs. Vous devenez une brute, vous adoptez la couleur de la terre, de l’écorce, des bêtes. [...] Hélas le hâle est un indien caché, il se montre au soleil, et peu à peu recule en rampant, comme il est venu. On retrouve vite à Paris la teinte des immeubles, des visages pâles, mais on garde après ces cures, un flair et un équilibre qui se perdent dans les villes »61. La côte d’Argent est donc un lieu d’innovation dans les pratiques touristiques car c’est un désert. Et J. Cocteau va plus loin : « ce matin, été de bonne heure à l’océan me baigner. On est si seul que je marche tout nu au soleil, avec ma canne, et les deux chiens du gardien qui me suivent toujours partout. Sur la dune de l’océan, rien ne donne l’époque – on se croirait aux premiers âges du monde. Je cours, affronte les grosses vagues vertes, me roule, me sèche dans le sable, et ramasse des coquilles pour ma collection »62.

107Dans les années vingt, les Etats-uniens transposent ce modèle sur la Côte d’Azur. En Europe, son véritable lancement date de 1929 avec le début de la mode de la peau dorée prônée par Coco Chanel dès 1927 même si nous avons pu voir que J. Cocteau avait déjà initié le mouvement. Cette pratique des bains de soleil gagne les milieux artistiques et de la mode. La peau halée prend une esthétique nouvelle comme expression du corps féminin libéré du corset et de la société puritaine du XIX^ème siècle. C’est un renversement complet des valeurs, une transgression sociale car le corps bronzé est synonyme de classe laborieuse. Il devient alors un signe extérieur de richesse prouvant qu’on a les moyens matériels de partir au soleil.

108La peau bronzée passe de symbole des classes laborieuses à l’expression du corps libéré de la morale puritaine du XIX^ème siècle. Ainsi est lancée la première huile solaire de l’histoire de la parfumerie, qui protège l’épiderme et atténue les coups de soleil. Créée par le couturier et parfumeur Jean Patou (1887-1936), l’huile de Chaldée, portait le nom de la terre des pharaons où vivait une femme d’une beauté légendaire au teint d’or. L’huile de Chaldée « supprime les coups de soleil, adoucit et bronze la peau, et protège des coups de soleil ». En 1935, un an avant les congés payés, une autre huile, l’Ambre Solaire, voit le jour. Elle est mise au point par Eugène Schueller (1881-1957) qui en 1909, avait fondé la Société française de teintures inoffensives pour cheveux, ancêtre de L’Oréal. J. et J.-P. Prat attestent de l’utilisation de l’huile de J. Patou à Hossegor :

« Ah ! Cette plage superbe “californienne” comme n’hésitaient pas à la qualifier certains des villégiaturistes, séduits par sa beauté, et l’extrême finesse de son sable blond. Des rangées de chaises longues multicolores et de tentes bayadères l’égayaient, et les femmes en pyjama ou tablier de plage, pouvaient à l’abri des regards indiscrets s’y déshabiller. Les costumes de bains s’enhardissaient, et nos couturiers n’hésitaient pas à mouler les corps des nouvelles sportives. En jersey de laine, souvent de deux tons, toujours gansés de blanc, pincés à la taille, brodés d’une ancre ou d’un autre motif original, les maillots glorifiaient le corps de la femme, enfin libéré. Mais, si vous aviez pu observer la plage dans ces années 30, vous auriez remarqué qu’avant de s’exposer au soleil, d’un même geste, elles s’enduisaient d’une sorte d’huile, d’un onguent mystérieux... Une odeur subtile envahissait alors la plage, l’huile de Chaldée de Jean Patou venait de faire son apparition. Le couturier génial avait réussi à mettre au point la première protection solaire. Désormais, sans trop de risque pour la peau l’on pouvait bronzer, et à Hossegor, comme dans toutes les stations à la mode, les femmes arboraient un teint merveilleusement hâlé “à la Patou” ! »63.

109Ainsi assiste-t-on aussi depuis la fin du XIX^ème siècle au raccourcissement des costumes de bain : les jambes du pantalon remontent, le jupon disparaît, la chemise perd ses manches. Maintenant le costume de bain attire l’œil et les regards se tournent vers ce nouveau spectacle du corps. A partir des années 1930, les hommes troquent le pyjama de bain jusqu’au genou pour un slip de bain exhibant leurs cuisses, abdominaux et pectoraux d’athlètes ! Pour les femmes, le « une pièce » justaucorps des années 1920 s’échancre et dévoile les hanches dans les années 1930. Puis à partir de 1950, le port du célèbre bikini lancé par le couturier Louis Réart et mis en valeur par Brigitte Bardot, se répand.

110Hors du bain, les femmes troquent le bonnet pour un chapeau de paille de riz de Bangkok ou en dentelle, s’abritent sous des ombrelles... Ainsi le 23 juin 1924, l’avenir d’Arcachon note-t-il « A la plage des Abatilles, huit heures du soir, une jeune fille se baigne nue »64. En effet, un arrêt du Conseil d’Etat cassant la décision du maire de Biarritz d’obliger l’usage des cabines, permet donc une libération des mœurs balnéaires. L’écho d’Hossegor paru en juillet 1930 note « Malheureusement il nous a été donné de constater que parmi nos visiteurs de passage, il s’en trouve quelques uns qui montrent beaucoup de sans gêne. Nous nous permettons de leur rappeler qu’on ne se déshabille pas au milieu de la plage »65. Les évolutions balnéaires sont donc difficiles à faire rentrer dans toutes les mœurs surtout des classes sociales plus aisées.

111La tenue de plage évolue ainsi que le maintien et la prestance. Du costume de bain et de la posture droite un peu figée, on passe à la position allongée à demi-dénudée. Et à Soulac, « la plage n’est point ici comme dans les autres stations balnéaires, une sorte de salon en plein air où l’étiquette n’a certes point perdu tous ses droits mais un lieu de repos où l’on ne croit pas déroger en s’asseyant à plat sur le sable. Les Bordelais pourraient à ce sujet servir d’exemple aux hommes du Nord guindés, pour lesquels les vacances ne sont qu’une longue réception, une longue parade »66. Ce n’est cependant pas le cas de toutes les stations de la Côte d’Argent.

112Après-guerre, des concessions de plage sont accordées par l’Administration des Domaines qui s’occupe de la gestion du domaine public maritime, à des clubs de plage comme le Club Mickey. Ces institutions de la plage ont marqué des générations d’enfants avec leurs jeux de plage et leurs baignades organisées.

Les mondanités en dehors de la baignade

113Les stations offrent beaucoup de distractions aux touristes en dehors des heures de baignade : théâtre, musique, danse, cinéma, spectacles, concours...

114Les casinos restent le lieu emblématique des stations. On y présente des pièces de théâtre, des attractions de music-hall, des concerts et des bals. Seuls ceux d’Arcachon ou de Soulac accueillent des jeux d’argent.

115Les tournées théâtrales se succèdent dans les stations mondaines que sont Arcachon ou Hossegor. On y retrouve les pièces qui ont triomphé l’hiver à Paris. Ainsi à Hossegor a été joué Topaze de Marcel Pagnol.

116Après le théâtre, à Arcachon ou Hossegor, les smokings et les robes de soirées se rendent dans les bars et les autres salons des casinos. Les Alexander, les Manhattan et les Gin Fizz se boivent avec élégance. Les dés roulent alors sur les tapis de jeux, les boules tournent dans la roulette... gagnants ou perdants tous participent à la bonne ambiance. Les casinos cherchent à satisfaire les goûts de tous les clients : salon des petits jeux, bridge, whist, besigue... Et pendant que les adultes jouent, les enfants peuvent se rendre à des spectacles de marionnettes.

117Hossegor propose un événement de taille pour la station : un gala de danse le 6 septembre 1931 avec une très grande ballerine, première danseuse étoile de l’Opéra de Prague. Les noctambules de l’élégante station d’Hossegor réclament une boîte de nuit pour pouvoir prolonger leurs soirées. Le Rallye est alors ouvert durant la saison 1931 pour y souper mais aussi écouter des concerts. La même année est organisé un concours de cocktails apéritifs et digestifs, et un concours de pyjamas !

118En 1915, à Lacanau, M. Courtessolle, commerçant bordelais, ouvre le premier établissement de divertissements, le Casino des Pins. C’est une salle des fêtes, de théâtre, de dancing et une piste de skating. Puis en 1924 est fondé le Grand Casino de Lacanau-Océan. C’est une salle hexagonale entourée de stands et possédant un bar américain ouvert de 10 h à midi pour un apéritif-concert et de 17 h à 19 h pour un apéritif-dancing. Il comprend également une salle de lecture et de correspondance, des stands de vente et d’exposition. Mais le casino est mis en liquidation judiciaire en 1932.

119A Andernos en 1920, M. Larroque, maire de Saint Médard en Jalles, décide d’y faire construire le premier casino de la station. Il abrite une salle de bal, un café-bar, un cinéma mais pas de salle de jeux. En 1925, M. Bâché transforme l’Hôtel-café du centre en nouveau casino avec une terrasse de style art-déco. M. Desbordes profite de la création du pôle d’attraction touristique que sont la place-terrasse et la jetée pour faire construire un hôtel-bar-dancing, l’Impérial. En 1932, M. Bâché acquiert deux villas attenantes pour y construire la casino Miami et rachète l’Impérial en 1942. Classée station balnéaire en 1954, la station peut obtenir l’autorisation d’installer un jeu de boule qui en fait le troisième casino de la Gironde après Arcachon et Soulac.

120L’histoire des jetées d’Arcachon ne peut être dissociée de celle des bateliers. Elles sont à la fois un lieu de promenade mais aussi un point d’embarquement pour des raisons pratiques. Ainsi une nouvelle jetée67, la jetée Thiers, est construite en 1903. Jean-Baptiste James Veyrier-Montagnères fait entrer la ville dans les mondanités de la Belle Epoque : détente et loisirs sportifs avec les concours hippiques, les batailles de fleurs à partir de 1900, la fête vénitienne, la création d’un golf à l’Aiguillon en 1904, la mise en valeur du quartier du Moulleau et la création d’un boulevard-promenade. Les arènes landaises au Moulleau en 1884, le vélodrome derrière la gare en 1894 et en 1903, le nouveau casino de la plage ou château Deganne68 renforcent l’industrie municipale des jeux et du spectacle à Arcachon. En 1904, le golf de 9 trous fait son apparition. La même année se crée la Société hippique de la Teste sous la présidence de D. Meller qui ouvre l’hippodrome du Becquet entre la Teste et Cazaux. Le cinéma fait son entrée au théâtre du Casino de la plage tous les dimanches. En 1921, Abel Gance vient même tourner une scène de La Roue au Casino Mauresque.

121A Hossegor, point de jetée mais un boulevard-promenade long d’un kilomètre et large de vingt-cinq mètres borde l’océan et permet aux hommes et aux femmes en séjour à Hossegor de se promener et de rivaliser par leurs tenues.

122Il ne faut pas oublier les traversées du Bassin organisées par Jean Saugeon qui crée une liaison Arcachon-le phare du Cap Ferret assurée par le vapeur Seudre puis La Mouette. Il construit alors le premier débarcadère du Ferret au lieu dit Le Boque. En 1902, Léon Lesca met en circulation le Courrier du Cap et rachète le débarcadère. Depuis 1884, un autre débarcadère plus au sud a été construit par la Société Rochefortaise de transports.

123Andernos suit la même tendance qu’Arcachon : le maire obtient l’agrandissement de la gare, la multiplication des trains de plaisir, l’aménagement d’une place terrasse devant le grand port, la création de la première poste avec trois distributions de courrier par jour et l’arrivée du téléphone69. Il fait même installer l’éclairage public au pétrole puis à l’électricité quelques années plus tard. Il fait compléter l’équipement de la station par un dancing, un casino, un cinéma et la première piscine olympique du département.

124La chasse à courre du renard et du sanglier pousse les pratiquants à parcourir la lande. C’est un lieu de rendez-vous mondain tout autant que le casino ou le boulevard de front de mer.

Le développement du naturisme

125La Côte d’Argent, parallèlement à l’héliotropisme, innove en développant des activités qui rapprochent les hommes de la nature : le nautisme et le naturisme, ce dernier étant une variante du balnéarisme et de l’héliotropisme.

126En France, le terme de naturisme est employé pour la première fois en 1778, par un Belge nommé Planchon. Il est utilisé comme titre de son ouvrage prônant une meilleure hygiène de vie par l’observation des lois naturelles. En France, le naturisme occupe une place importante dans l’agitation des Années Folles et permet l’émergence d’un naturisme populaire en passant des espaces sportifs aux espaces proprement naturistes mais le nudisme ne trouve guère de lieux pour s’épanouir70. Le naturisme en France doit son origine à Kienné de Mongeot qui fonde et structure ce mouvement en 1920 en créant le Sporta Club, le premier club naturiste français. Il s’est inspiré pour cela de l’éducation proche de la nature que lui a inculqué sa mère pour le préserver de la tuberculose. En 1932, ce sont les Docteurs André et Gaston Durville qui œuvrent pour l’instauration du naturisme en France. Les premiers clubs naturistes ont d’abord été des établissements de soins mettant à profit les vertus curatives du soleil, de la mer et du vent. Un an plus tard, Albert Lecoq, futur fondateur du mouvement naturiste français, fonde le Club Gymnique du Nord.

127Le Fédération Française de Naturisme (F.F.N.) définit le naturisme comme « un art d’utiliser au maximum les agents naturels, eau, air, soleil, et de sauvegarder l’équilibre de l’homme moderne par la détente au contact de la nature, par des exercices physiques, par le respect des règles simples de diététique et de désintoxication »71.

128Montalivet est la première commune à autoriser par arrêté municipal la création d’une plage naturiste puis d’un centre naturiste. En 1949, Albert et Christiane Lecocq, marqués par les mouvements sociaux de 1936 et adeptes du naturisme et du tourisme populaire, et aidés par Robert Poulain et Emile Toulan, trouvent ce bout de terre propice à la création d’un espace naturiste72. Dès 1950, année de sa création, la F.F.N., dirigée par A. Lecocq, achète dans les alentours de Montalivet une parcelle de vingt cinq hectares, incendiée en 1945, pour accueillir ses adhérents. Les négociations ont commencé l’année précédente avec le conseil municipal divisé sur la question et ont fini par aboutir en raison de l’état du terrain73. L’été suivant, le 15 juin 1951, a lieu l’ouverture officielle et le Centre Hélio-marin Guyenne se met en place en développant l’accueil en hôtellerie de plein air avec cinq bungalows. En 1952, le centre accueille le Congrès International pour constituer une Fédération Naturiste Internationale. Malgré quelques protestations, le succès du centre naturiste est foudroyant : des milliers d’estivants s’adonnent à leur activité favorite. Il faut souligner l’attraction internationale qu’exerce le centre : la clientèle, essentiellement étrangère, est composée d’Allemands, de Belges et de Néerlandais. En 1959, le centre s’étend désormais sur cinquante hectares : c’est un véritable village qui se crée. Les nombreux équipements collectifs sont dignes d’une station balnéaire : un centre commercial, un snack bar, un photographe, une blanchisserie, une banque, un bureau de poste, un parc d’attractions pour enfants, des terrains de volley-ball, de tennis... Il peut donc accueillir environ 6 000 personnes dans ses bungalows en location à la semaine ou au mois, ses quelques résidences secondaires pour les fervents amateurs de naturisme et son terrain de camping-caravaning. Sa fréquentation est estimée entre 10 000 et 15 000 personnes par an. En 1969, le camp a triplé et atteint 150 hectares et accueille environ 20 000 personnes. C’est un succès pour ce pari de l’hédonisme de masse.

129Mais cette implantation choque la population locale. Ainsi le 19 septembre 1953, Le Réveil Médocain, transmet son émotion dans son article « le scandale de Montalivet » : « De pareilles exhibitions de chair humaine sont une offense au bon goût. L’expérience a d’ailleurs montré que les anatomies les plus dévoilées sont en général les plus laides. Les femmes vraiment belles ou jolies ont assez de coquetterie pour dissimuler ce qui doit être dissimulé. En laissant champ libre à l’imagination, un peu de mystère ne peut rendre que leurs charmes plus prenants... Nous nous plaçons surtout au point de vue des pères de famille, inquiets à bon droit des répercutions que des exhibitions semblables pourraient avoir sur la sensibilité et l’imagination d’un adolescent ! »74. Face à ces critiques, le maire de Montalivet, Jean Monget, 48 ans, se suicide alors qu’il a permis à sa ville de passer d’une petite plage élémentaire à une station connue de l’Europe entière.

Le développement du sport comme distinction

130Les pratiques touristiques se diffusent et sont souvent copiées. Pour garder le rôle d’avant-garde et de précurseurs certains cherchent à se distinguer dans leur pratique du tourisme. Pour la bourgeoisie mais aussi quelques originaux et excentriques, il faut à tout prix se démarquer pour ne pas rentrer dans le moule, dans le rang d’une consommation touristique standardisée, uniformisée par une diffusion sociale non contrôlée surtout dans les couches sociales inférieures. Etre à contre-courant leur permet alors de s’affirmer, de se distinguer des autres et de penser qu’ils ont passé des vacances plus enrichissantes que les autres. Ainsi les pratiques touristiques en cherchant l’innovation maintiennent une certaine créativité et font du tourisme une pratique ostentatoire de distinction sociale. De plus, la baignade n’occupe qu’une partie de la journée des touristes et il leur faut donc trouver d’autres occupations qui sont souvent le reflet de la hiérarchie sociale. De même que la baignade a glissé du domaine médical à l’hédonisme, les pratiques sportives évoluent de la compétition au plaisir et au culte du corps.

La vogue des sports anglais

131A partir de la défaite de Sedan en 1870, les sports se développent en France avec le patriotisme : il est enseigné à l’école, au collège et au lycée. Dans cette lignée, Pierre de Coubertin rénove les Jeux Olympiques en 1889. Ce sont les Anglais qui ont été à l’origine de l’installation des différents sports. Les classes très aisées ont suivi et ont participé à leur diffusion. Le sport est au départ une manifestation de la vie élégante, d’une activité symbole du snobisme et de l’anglomanie. La fin du XIX^ème siècle voit la naissance du sport moderne qui s’oppose au(x) sport(s) traditionnel(s). Parmi les sports modernes encore dénommés les sports « anglais », on compte le tennis, le football, le football-rugby, le polo, le cricket, la course à pied, le golf, le yachting... Les liens forts entre le Royaume-Uni et la Gascogne ont permis le développement et l’importation de ces sports. La loi de 1901 sur les associations permet aussi le développement des associations sportives. Après le thermalisme, la bourgeoisie urbaine se tourne vers le bord de mer et ses plaisirs. Les stations balnéaires deviennent à la mode et les sports y prennent une place considérable, surtout après les années 1890. Dans de nombreuses stations balnéaires, le tennis a d’abord été pratiqué sur la plage à marée basse75.

132La plupart des villes côtières ont dû se doter d’infrastructures sportives (tennis, hippodromes, tirs aux pigeons, stands de tir, salles d’armes, ports de plaisance) et de loisirs (casinos, théâtres, aménagement de plages) capable de satisfaire des résidents saisonniers de plus en plus nombreux.

133Hossegor est l’exemple type de la station sportive avec son sporting-casino qui associe des salles de jeux, un ciné-dancing, une piscine, un fronton, des courts de tennis et des salles de gymnastique.

134Dans le Sud-Ouest, la douceur du climat palois avait déjà attiré les Anglais. Amenant avec eux des sports encore inconnus, ils implantèrent à Pau un golf et un hippodrome dès le milieu du XIX^ème siècle. Le Bassin d’Arcachon suit en 1894 avec un terrain à Meyran, quartier de Gujan-Mestras puis en 1903 Arcachon dans le quartier de l’Aiguillon pour 9 trous, puis 18 en 1924. Hossegor a également son golf dès sa création vers 1923.

135Introduit en 1874 en France, le tennis connaît un développement certain sur la Côte d’Argent. « Jusqu’en 1914, le tennis est le sport le plus en vogue sur les côtes de la mer du Nord et de la Manche (Normandie), sur la Côte d’Azur, et dans 3 villes (Paris, Bordeaux et Lyon) où réside la grande bourgeoisie française qui côtoie les Anglais en affaires »76. Ainsi en 1886, trois courts sont construits à Arcachon mais les tarifs sont élevés. En 1900, la municipalité décide la construction de deux courts dans le parc mauresque. A Lacanau, il faut attendre les années 1920 pour que soient construits cinq terrains de tennis.

136Dès 1877, un hippodrome est construit à l’Aiguillon avec une piste d’un kilomètre rivalisant avec les autres stations : trot, galop, steeple-chase, trot attelé...

137Après guerre, ces activités sportives restent l’apanage d’une élite comme le tennis, le golf et l’équitation. Cependant, elles sont prises en charge par des institutions sportives et par des S.I. qui en assurent la gestion et la promotion. Les courts de tennis colonisent de nombreux espaces balnéaires.

138Le golf, importé d’Angleterre à Pau, se diffuse sur la Côte Basque qui en connaît quatre dans les années cinquante et donne des idées aux communes de la Côte d’Argent : Hossegor possède un golf depuis 1930, conçu par Morisson et Arcachon-la Teste de Buch depuis 1952, conçu par Cr. Blandford et P. Hirigoyen.

139Ces nouvelles pratiques importées ou nées en Aquitaine se sont diffusées sur toute la côte. On peut même parler de révolution des goûts et des comportements depuis les années Cinquante. Les stations sont tributaires de ces évolutions qui permettent au tourisme d’être facteur d’expansion économique.

140Une innovation unique au monde a même été réalisée sur la Côte d’Argent dans le cadre des sports de glisse. Le ski s’invite même sur la Côte d’Argent alors que la neige tombe rarement sur le littoral. Une piste de ski est créée en 1938 à Arcachon : on peut skier sur des aiguilles de pin ou garbaye ou grépins. Elle est longue de 250 mètres, haute de soixante mètres et fonctionne jusque dans les années 1960. L’équipement est tout aussi lourd que l’équipement de ski alpin : une paire de chaussures en cuir, une paire de skis en bois sans carre, une paire de bâtons en bois et un short car il n’y pas besoin de combinaison vu la température qui règne à Arcachon. Parfois des piquets de slalom sont même installés. Le Ski Club d’Arcachon organise chaque été des compétitions. Mais un accident dans les années 1960 entraîne sa fermeture. Sur la photographie ci-dessous, ce n’est pas de la neige mais bel et bien du sable et l’on distingue mal les aiguilles de pin.

De la plaisance au nautisme

141Les activités sportives sont en constant développement. La croissance la plus spectaculaire concerne les sports de plein air. Cette évolution est liée à de nouveaux rapports entre les résidents urbains et les espaces naturels qu’ils s’approprient progressivement77. C’est l’influence de Bordeaux qui a été essentielle pour le développement du nautisme sur une des côtes les moins peuplées d’Europe et sur les plans d’eau intérieurs. L’essor du nautisme se fait avec le rôle pionnier du Cercle de Voile d’Arcachon créé en 1897. C’est le plus ancien club nautique du Bassin qui initie durant l’été les jeunes amateurs à la pratique de la voile. Le yachting se développe alors. Il faut attendre 1920 pour qu’Andernos se dote d’un club nautique.

142Le développement du yachting et de la navigation de loisir et sportive se poursuit sur le Bassin d’Arcachon. En 1882 est créée la Société de Voile d’Arcachon (S.V.A.) à l’initiative de M. Guffet, ancêtre du Cercle de Voile d’Arcachon. Son activité principale est l’organisation de régates tout au long de l’année. Cette activité de navigation de plaisance stimule l’économie locale : ainsi dans les quatre dernières années du XIX^ème siècle, les chantiers locaux ont livré soixante-dix yachts. Les sociétés de voile cherchent à développer la plaisance chez les jeunes générations. Pour cela, elles vont vouloir créer une classe de voiliers de type unique pour faire baisser les coûts de production. Joseph Guédon, architecte naval bordelais, en collaboration avec Franck Blanchy de la SVA, crée les monotypes d’Arcachon. Ce sont les débuts de l’industrialisation de la plaisance et de sa démocratisation.

143Au début du XX^ème siècle, un mécanicien arcachonnais, Albert Couach, invente le premier moteur marin fabriqué en France qu’il fournit à M. Exshaw pour fabriquer son premier bateau à moteur. En 1905, le bulletin du Syndicat d’initiative rapporte que quarante-deux bateaux de plaisance son équipés de moteur Couach. Ainsi en 1904, le Yachting Club devient le Yachting Club Automobile et le S.V.A. devient la Société de Voile et de l’Automobile d’Arcachon en 1906. En 1913, le moteur s’est généralisé à toutes les embarcations : le Bassin compte 386 bateaux à moteur dont 121 pour la plaisance, 128 pour l’ostréiculture ou la pêche et 137 sardiniers.

144Le développement du mouvement sportif est lié dans un premier temps à l’émergence de clubs sportifs sur le modèle de compétition anglo-saxon. Pour les pratiques de la mer, ce sont les clubs de voile qui renforcent la territorialisation dans une logique de distinction. Ainsi la Société de Voile d’Arcachon est-elle créée en 1882. Chaque membre possède un pavillon personnalisé, symbole de la réussite sociale de grandes familles bordelaises comme les Johnston, Faure, Loste, Guestier ou Lecop78. La voile est alors une pratique ostentatoire de la bourgeoisie locale en représentation. Mais pour la plupart des touristes de l’époque, la mer n’est qu’un décor et les pratiques sportives de la mer sont rares.

145Pendant la première moitié du siècle, le nautisme est une pratique confidentielle : c’est l’époque du yachting avec ses codes et ses règles. Mais en 1945 une nouvelle étape est franchie par la création de l’Union Nautique Française sur l’initiative de l’Etat et des mouvements de jeunes. Le nautisme se démocratise dans les années Cinquante sous forme de bases nautiques et d’écoles de voile. Mais il reste encore un marqueur social. L’essor du tourisme dans la zone du Médoc des étangs est incontestablement lié au développement du nautisme. Les plans d’eau ont été découverts au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par quelques Bordelais fanatiques de voile. La rareté des calmes79 et l’absence des marées à la différence du Bassin d’Arcachon, permettent une pratique continue tout au long de l’année. Le premier club nautique est alors créé à Lacanau en 1948 et le Cercle de Voile de Bordeaux crée, en 1951, à Maubuisson son club-house. En 1954, l’Association girondine des amis du Plein Air, née de l’initiative de J. Vergnolle, installe une petite base nautique à Bombannes qui bénéficie de l’aide des Directions régionale et départementale de la jeunesse et des sports80.

146Seule zone abritée du littoral atlantique, le Bassin d’Arcachon offre au nautisme des conditions favorables malgré le mouvement des marées et les passes qui en gênent la sortie. Le but favori des plaisanciers est le banc d’Arguin qui est accessible à tous les bateaux grâce à une baïne face à la Dune de Pilat. L’essentiel de l’activité reste la promenade et la croisière. La navigation connaît un tel succès que le plan d’eau est saturé ainsi que les ports provoquant le phénomène des corps morts81. Les jeunes sont particulièrement intéressés par cet essor : c’est pourquoi les écoles de voile se multiplient. Le pionnier demeure le Club de Voile d’Arcachon créé en 1897. Les écoles créées sur la côte Sud au Pilat et à Arcachon donnent des cours particuliers aux tarifs élevés alors que sur la côte Noroît, ce sont les stages qui priment.

147Ces différents clubs ont donc favorisé le développement et la démocratisation du tourisme.

148En conclusion, le tourisme connaît sur la Côte d’Argent un développement sans cesse grandissant. La démocratisation du tourisme a été permise par la diminution de la durée du travail, l’amélioration du niveau de vie, l’urbanisation grandissante, la généralisation de la voiture et une législation de plus en plus libérale sur les congés payés. La demande touristique s’est donc accrue dans les années Cinquante. Les structures d’accueil se sont développées pour répondre à une clientèle de plus en plus exigeante et diversifiée. En retour, ces formes d’hébergement suscitent une attraction qui peut engendrer de nouveaux départs. Les pratiques touristiques évoluent fortement délaissant l’hygiénisme puritain et bourgeois du XIX^ème siècle pour les plaisirs de la baignade et le culte du corps typique du XX^ème siècle et plus proche des classes moyennes et populaires. Ainsi les costumes de bain rétrécissent, la peau se colore... la révolution touristique de masse est en marche. La Côte d’Argent a su être innovante dans ses pratiques et ses hébergements en important ou créant certaines formes de tourisme.

149C’est un phénomène social qui tend à se diffuser dans toutes les couches de la population et gagne en ampleur chaque année. Cette croissance de la fréquentation sur la Côte d’Argent permet une hausse des consommations et, donc, une répercussion plus importante sur l’économie : c’est un mouvement économique qui prend une ampleur considérable et qui peut permettre de fortifier et d’enrichir toute une région. Face à ce phénomène d’une grande importance, qui est une chance pour l’Aquitaine, apparaît une nécessité d’aménager ces espaces. La Côte d’Argent constitue un laboratoire pour les expériences locales et municipales souvent menées par les Syndicats d’Initiatives (S.I.) et les municipalités, les orientations régionales conduites par les Comités Régionaux du Tourisme (C.R.T.), et les débuts de la prise en considération de la région par l’Etat.

150La Côte d’Argent possède donc un réel potentiel touristique que l’Etat dans une nouvelle phase met en valeur par une mission selon le modèle du Languedoc Roussillon. Cette période de Haute Croissance qui s’ouvre, cherche à adapter les structures touristiques aquitaines à la massification des pratiques touristiques.