1A. Corbin, lorsqu’il évoque l’invention de la plage, note : « En face de Folkestone et Brighton, la France propose donc, sous la Restauration, deux établissements prestigieux, dont l’ordonnance ambitieuse et rationnelle contraste avec l’exubérance quelque peu anarchique des créations anglaises. Mais, hors ces deux pôles rivaux, mis à part Granville où une cabane est édifiée en 1827 à l’intention des baigneurs, Roy an qui commence d’attirer les touristes au début des années 1820 et Biarritz dont nous savons l’originalité, c’est presque le vide. [...] Il convient donc de soigneusement distinguer ces lieux naturels où se déploie un plaisir spontané et souvent populaire, que l’on trouve aussi sous forme quelque peu différente, aux environs du Havre et de Saint Brieuc, et l’équipement rationnel de plages destinées à un public distingué, aux émois soigneusement guidés, contrôlés et magnifiés, au centre d’un fastueux théâtre de pierre, de verdure et de sable »1.

2Tout est dans le « presque vide » qui semble oublier le cas arcachonnais où une cabane existe aussi depuis 1823. Il ne faut oublier non plus que le cas biarrot qui sert de modèle dans cette pratique libre du bain qui se diffuse dans le sud de la côte gasconne. Bien sûr, la côte ne dispose pas de ces équipements rationnels sous la Restauration (1815-1830). Mais le Second Empire (1852-1870) est une période propice aux audaces économiques et financières, à l’organisation et à la rationalisation du tourisme destiné à une clientèle aisée. Les négociants bordelais sont cependant assez frileux et le développement économique de la région vient d’hommes d’affaires, d’ingénieurs parisiens acquis au saint-simonisme.

3Arcachon est une ville née du tourisme et du chemin de fer contrairement aux autres stations balnéaires comme Trouville ou Biarritz qui étaient des ports de pêche. Elle a été créée pour rentabiliser la ligne de chemin de fer mais est devenue l’un des plus grands centres de villégiature de la région. Il s’agit donc de voir comment les investisseurs qui ne sont ni locaux, ni bordelais car trop timorés mais parisiens, mettent en place une véritable politique de touristification du littoral gascon.

Le développement des premiers bains de mer et des premières stations

4Le littoral est transformé pour accueillir les premiers bains de mer, les mentalités ont évolué suscitant le développement de la villégiature balnéaire. Les nouveaux amateurs de l’océan et du sable cherchent à s’y soigner mais ceux qui y investissent cherchent plutôt une nouvelle source de revenus et un dépaysement.

5Le développement balnéaire est soumis à la volonté de l’Administration publique. En effet, la domestication du littoral landais a été la grande œuvre des Administrations des Eaux et Forêts, et des Ponts et Chaussées. Ce sont donc elles, à travers des commissions, qui sont responsables du possible aménagement de ces espaces nouvellement humanisés. Et elles vont autoriser l’implantation des maisons et établissements de bains. Dans leurs rapports les ingénieurs H. Crouzet et Ritter2 soulignent certains dangers liés à ces implantations « à cause du dommage que ces plantations reçoivent du passage et du piétinement des baigneurs » mais ils ne souhaitent pas « l’interdiction de ces établissements sans lesquels il est impossible de prendre les bains de mer sur la côte déserte ». A cela s’ajoutent les motivations économiques de développement d’une nouvelle activité rémunératrice. Mais l’administration impose ses conditions : elle n’autorise que des occupations temporaires et les concessionnaires doivent entretenir les plantations alentours3.

6L’intérêt des représentants de l’Etat que sont les préfets n’est pas non plus négligeable. Ainsi le Baron d’Haussez, préfet des Landes puis de la Gironde, cherche-t-il à « développer les projets utiles »4 et aide-t-il les initiatives des lanceurs de mode. Il facilite aussi l’accès aux stations balnéaires par l’aménagement du réseau routier.

7Mais il faut noter aussi que la baignade pour le plaisir est une habitude depuis de nombreuses années sur le bassin d’Arcachon. Quelques accidents de baignade sont signalés dans les registres paroissiaux de La Teste ce qui révèle cette pratique : « le quatrième du mois d’août 1753, nous avons fait un service pour le repos de l’âme de Jean Baleste Marichon dit Bruxelles, âgé de vingt-cinq ans ou environ, qui se noya le deuxième dans la mer à Piquey en se baignant en présence de sa femme et d’une troupe de messieurs et dames qui y étaient allés pour se divertir »5.

8J. Ragot6 rapporte que les bains de mer ont été recommandés par la suite pour traiter le choléra et la tuberculose notamment lors des épidémies de 1832 et 1849. L’attirance du littoral vient donc de la découverte des vertus curatives et sanitaires de l’océan.

9Mais les pionniers n’y voient pas que cela. De fait, le mouvement romantique entraîne une volonté d’exotisme qui se traduit chez les notables landais par la construction de maisons sur la côte.

10Enfin certains pragmatiques investissent dans des établissements de bains de mer car ils croient et voient les potentialités du développement touristique. La raison est donc surtout économique et opportuniste.

Arcachon, station emblématique du littoral

11Comme l’a montré Ch. Bouneau7, Arcachon est le résultat d’une symbiose entre la desserte ferroviaire et le développement touristique, entre l’intérêt général et le profit des entrepreneurs-innovateurs que sont les frères Pereire. Ces derniers assurent le contrôle et le développement du Grand Sud Ouest à travers leur compagnie ferroviaire, la Compagnie du Midi. Ils apportent ainsi la modernité dans un espace qui apparaît arriéré. Cependant la station d’Arcachon préexiste avant l’arrivée du chemin de fer qui sert de démultiplicateur. Le chemin de fer ne fait qu’exploiter une mode déjà lancée et présente.

Le temps des précurseurs, les premiers hôteliers

12V. Vattier d’Amboyse note « qu’en 1823, il n’y existait que quelques cabanes de pêcheurs et la chapelle dédiée à Notre Dame des Marins8, but d’un pèlerinage très fréquenté »9 et que « si le nom d’Arcachon est connu depuis des siècles, la ville qui le porte maintenant date à peine d’hier »10.

13Le littoral est la propriété de vieilles familles testerines : les Peyjehan, Taffard, Desgons, Deligey, Daisson, Duprat. Mais c’est l’arrivée d’une nouvelle génération de propriétaires qui permet l’essor de la station balnéaire.

14A La Teste, au lieu dit Eyrac, future Arcachon, O. Dejean signale que « vers les dernières années de l’empire, quelques riches familles bordelaises vinrent pendant plusieurs étés consécutifs, prendre les bains de mer à Arcachon ; elles s’établirent, soit à l’ermitage inhabité de la chapelle, soit dans des cabanes de pêcheurs ou de résiniers, soit enfin dans les deux postes de douanes récemment créés au Moueng et au Pilat »11.

15Mais l’histoire et la légende ne souffrent pas d’anonymes. Il a fallu deux hommes pour assurer le développement des bains de mer à Arcachon : François Legal lais12 et Guillaume Duprat dit Biraben. Mais c’est surtout celui-là qui a su être le véritable pionnier qui a donné l’élan nécessaire à l’essor du tourisme à Eyrac en profitant de l’engouement de la bourgeoisie bordelaise pour le lieu. Il a profité d’un filon, d’une niche économique et a su en tirer profit.

16Aux alentours de 1810, Duprat-Biraben s’installe comme aubergiste à Arcachon et reçoit les baigneurs dans sa cabane du Moueng. Dans une lettre de 182713, le docteur Jean-Baptiste Marsillon Lalesque atteste travailler depuis dix huit ans pour Biraben qui accueille des gens qui viennent se baigner. Cette hôtellerie originelle existe donc depuis au moins 1809 et les Bordelais n’ont pas eu besoin que la duchesse du Berry se baigne dans la Manche pour l’imiter ! La cabane comporte au départ quatre pièces puis trois chambres sont ajoutées en 1829. La clientèle y est fort modeste.

17François Legallais un marin, natif de Granville, fils de marin malouin, s’installe le 24 décembre 1809 dans la rade d’Eyrac. Les liens entre Granville et Eyrac sont forts et anciens. Il se marie le 20 mars 1811 avec une jeune Testerine qui possède onze hectares de terrains à Eyrac, Marie-Angélique Denilotte-Philis. Profitant en fait des premiers bains non thérapeutiques des Bordelais, François Legallais ouvre le premier hôtel et établissement de bain le 15 août 1823 : c’est un pavillon à un étage avec des chambres alignées. F. Dubarreau y voit « un bungalow indien, flanqué d’une double véranda et dont l’architecture orientale s’harmonisait d’ailleurs avec le merveilleux paysage qu’il venait de peupler »14. O. Dejean confirme que c’est aux Indes que Legallais a observé ce modèle de véranda coloniale. On peut douter de ces propos en voyant la lithographie ci-dessous qui montre plutôt un bâtiment de style néo-classique.

Illustration 3 : Gravure de l’établissement Legallais après son agrandissement15

18Il attire la clientèle en organisant un système de transport de « chars à bancs » entre Bordeaux, La Teste et son hôtel : ce service a lieu le samedi entre Bordeaux et La Teste et le lundi entre La Teste et Bordeaux pour dix francs par voyageur. On peut penser comme M. Boyé16 que F. Legallais a repris l’idée de l’oncle de sa femme, Pierre Dumora qui avait voulu en vain construire un établissement de bains dans les années 178017.

19Préfet de la Gironde depuis 1823, le baron d’Haussez songe à développer une station balnéaire sur le bassin pour imiter ce qui se passe à Royan et découvre l’établissement de Legallais. Il lui propose alors son aide notamment en lui fournissant des plans dressés par un architecte de Bordeaux18. Doit-on pour autant penser que le préfet, représentant de l’Etat, a eu des consignes nationales pour le développement des bains de mer ? On peut plus vraisemblablement penser que d’Haussez puis Haussmann ont agi de leur propre initiative en apportant leur soutien à Legallais, Lamarque de Plaisance et aux frères Pereire.

20L’hôtel devenu Le Bel Air en 1825 est agrandi plusieurs fois pour atteindre 97 chambres en 1858. Il reçoit une clientèle haut de gamme : c’est un hôtel de prestige. On ne peut douter que Legallais a eu cette intuition géniale de miser sur une mode nouvelle, les bains de mer. Sachant que la mode est lancée au cours de l’été 1824 par la duchesse de Berry à Dieppe, doit-on penser que Legallais a simplement suivi le mouvement en si peu de temps ?

21On peut rajouter parmi les cabanes dont parle O. Dejean celle des héritiers Taffard de la Ruade ou maison Loze et le corps de garde du Moueng. En 1836, ces hommes sont imités par Noël Tindel, peintre bordelais né à Béziers, qui ouvre Les Nouveaux Bains d’Arcachon à la décoration rococo et Jean Bourdain ouvre un hôtel à la pointe de l’Aiguillon, Les Bains petite maison de six pièces dont quatre chambres.

22Mais O. Dejean note « les baigneurs [...] furent obligés de cesser d’y venir » sans préciser de raison particulière. Un texte d’un anonyme, publié par la Société Historique d’Arcachon en donne la raison ; « la mode des bains de mer de Royan, lesquels n’avaient après tout qu’une seule chose en leur faveur [...] la facilité du voyage par les bateaux à vapeur »19.

Illustration 4 : Gravure de l’établissement Tindel20

23Or nous avons vu qu’en 1837, la Compagnie Agricole et Industrielle d’Arcachon obtient la concession pour une ligne de chemin de fer de trente deux kilomètres qui est inaugurée le 6 juillet 1841. Une société par action est créée dont le président est Nathaniel Johnston, un des plus importants négociants en vin de Bordeaux. Le maire Jean-Clément Soulié cherche « le moyen d’arrêter et fixer à La Teste les baigneurs qui allaient affluer par le chemin de fer ». Il propose « d’établir un petit chenal qui partirait des digues de la compagnie de chemin de fer et se dirigerait vers le port ; de cette manière à mi-marée ou deux tiers de marée montée, on aurait assez d’eau pour faire flotter les tilloles et se rendre en dix minutes à la pointe de l’Aiguillon où il existait une belle plage de sable fin et où l’on pourrait se baigner des deux côtés de la pointe »21. On voit que les édiles cherchent donc à rééquilibrer leur ville au profit du centre et de la ville-mère par rapport au quartier excentré d’Eyrac.

24Et le succès est quasi-immédiat. Les baigneurs arrivent en plus grand nombre dans les différents hôtels : la pension Legallais, l’hôtel Lesca (du nom du gendre de G. Duprat), l’hôtel Gailhard qui a repris l’établissement de Tindel parti à Gujan, les Bains Bourdain. Le voyage vers La Teste en train est donc raccourci et meilleur marché que le transport chaotique par route et permet à une nouvelle clientèle de profiter du séjour balnéaire : la petite bourgeoisie bordelaise. Mais ces établissements sont difficiles d’accès : il faut venir en pinasse depuis La Teste et débarquer sur la plage mais si on préfère les voyages terrestres alors il faut une heure pour y venir depuis La Teste !

25Il faut également signaler un deuxième établissement public de bains chauds, les Bains d’Arcachon, en face de la place Sainte Anne et de la rue de la Mairie22.

Illustration 5 : Les Bains d’Arcachon23

26Et la gare de chemin de fer est encore éloignée du quartier d’Eyrac. Les propriétaires vont donc faire la demande de construction d’un débarcadère et d’une route reliant La Teste et Eyrac. La route d’Eyrac est donc achevée en 1845. En 1849, la ligne est prolongée jusqu’à la chapelle pour trois mille francs.

De la forêt à la ville24 : l’urbanisation progressive de la ville

27Et dès la fin de l’année 1841, les terrains en bord de mer sont acquis par des propriétaires non testerins, la plupart du temps bordelais. Entre 1841 et 1845, date de l’ouverture de la route entre Eyrac et La Teste, seules dix maisons sont construites puis quarante sept entre 1845 et 1848 puis 246 entre 1849 et 1855. Cette accélération est due au prolongement de la route et à l’autorisation de clôturer.

Carte 3 : Arcachon en 1841

28Le premier acquéreur a été A. Lamarque de Plaisance, futur maire, qui achète seize ares en bord de mer en 1841. Il y construit une villa ornée d’un portique grec. C’est autour de sa parcelle que s’organisent les lots successifs.

29Certains vont même plus loin, Jean-Baptiste Marsillon Lalesque, originaire de Parentis, propriétaire de la parcelle de Bos grâce à la dot de sa femme, et ses trois fils, François-Auguste, Pierre-Louis et Justin-François-Osmin, constituent le premier lotissement du bassin en 1842 : ils partagent leurs seize hectares en vingt quatre lots identiques. Un « étranger », le Bordelais Louis-Alexandre Jehenne acquiert douze hectares des Places d’Eyrac et les lotit. D’autres Bordelais, Nicolas Hovy et Pierre Célerier l’imitent entre 1844 et 184625. Le premier, consul de Suède et actionnaire de la Compagnie du chemin de fer, a acheté deux hectares de la pièce d’Eyrac en 1844 et y construit, outre sa propre maison, six villas identiques pour les louer. Le second construit sur cinq hectares seize maisons de trois à cinq chambres louées de 150 à 240 francs soit environ quatre-vingts journées de travail d’un bûcheron.

30En 1849, la moitié des terrains et donc des maisons de front de mer sont la propriété de Testerins comme Deganne, Dumora, Grenier-Bourdin, l’autre moitié appartenant à de riches négociants des Chartrons de Bordeaux comme Gièse, Cutler, Mérillon, Mestrezat, Johnston ou Calvet qui ont des villas de bois et de pierres. Et en plein épidémie de choléra, Eyrac est totalement épargné ce qui prouve les vertus thérapeutiques de l’air et des bains de mer d’Arcachon.

31Tout le monde tire profit de cette urbanisation : les marins qui amènent les vacanciers sur leurs bateaux, les artisans qui construisent les maisons, les ostréiculteurs et les pêcheurs qui écoulent leurs marchandises et les commerçants qui approvisionnent le quartier.

La rencontre avec le père fondateur de la cité balnéaire d’Arcachon : Lamarque de Plaisance

32Mais dès 1843, F. Legallais fait faillite à cause de ses aventures dans le domaine de la pêche. De plus, la Compagnie du Chemin de Fer de Bordeaux à La Teste connaît ses premières difficultés ce qui alerte le conseil municipal en 1846 : « Supprimer le chemin de fer [...] c’est ruiner d’un seul coup les plus belles espérances » mais aussi en 1848 : « la cessation du service du chemin de fer serait un coup mortel porté à la vie nouvelle qui anime la contrée [...] Ce serait la ruine des bains de mer qui appellent chaque année sur la côte d’Arcachon de nombreux voyageurs et qui ont fait élever depuis quelques années seulement sur cette magnifique plage plus de cinquante maisons »26.

33Un client particulier vient passer la saison balnéaire chez Legallais : Alphonse Lamarque de Plaisance, un Lot-et-garonnais au nom prédestiné. Et depuis 1841, il possède un terrain sur lequel il a fait construire l’une des premières villas de bord de mer.

34Mais un obstacle majeur empêche le développement de la ville : les droits d’usage de la Petite Montagne d’Arcachon27. Cependant quelques autorisations données en 1848 à Jean Lesca, à l’avoué bordelais Duran et à l’abbé Bataille de clôturer permettent à d’autres de profiter de cette brèche juridique. Le 20 janvier 1852, Adalbert Deganne écrit aux municipalités de La Teste et de Gujan pour affranchir des droits d’usage la forêt d’Arcachon. Une commission intercommunale est créée à cet effet l’année suivante : La Teste y est représentée par O. Dejean, J. Dumora, A. Lamarque de Plaisance, Mouliets et V. Moreau. La transaction du 17 juillet 1855, signée devant M^es Dumora et Dignac, notaires à La Teste et Gujan, autorise le rachat des droits d’usage sous toute l’étendue de la Petite Montagne d’Arcachon

35Le maire républicain de La Teste, le notaire, J. Dumora, est destitué le 4 février 1852 par le nouveau préfet bonapartiste de la Gironde, Haussmann28. Le 30 juillet, l’ami d’Haussmann, Alphonse Lamarque de Plaisance est nommé maire par décret du Président de la République. Ce dernier à qui l’on prête la réputation de sécessionniste affirme à son entrée en fonction sa volonté de conserver l’intégrité de l’une des plus vastes communes de France.

36On peut noter le succès de la ville nouvelle qui s’étend à Eyrac sur la commune de La Teste dans cette délibération du conseil municipal de 1854 : « Une population sédentaire de 4 000 âmes et une population flottante de 20 000 âmes qui se rend chaque année à Arcachon pendant la saison des bains de mer protestent contre cet établissement insalubre et malsain [les réservoirs à poissons des prés salés ouest] »29.

37Une statistique de 1854 citée par R. Aufan fait état que sur les 1 935 estivants, seuls 579 ont fréquenté les hôtels arcachonnais : 162 chez Legallais, 140 à l’hôtel Gailhard, 119 à l’hôtel des empereurs, ancien établissement Tindel revendu par Gailhard en 1852, 81 à l’hôtel Lesca, 81 à l’hôtel de Bordeaux et 28 à l’hôtel Grenier, ancien hôtel Bourdain30. Le reste, les 1 356 sont logés chez l’habitant c’est-à-dire dans l’une des 275 maisons d’Arcachon. La fréquentation est donc faible en raison des difficultés d’accès, de la faiblesse de l’offre hôtelière et de la brièveté de la saison. Ceci explique les difficultés financières rencontrées par les différents propriétaires d’hôtels à Arcachon.

La première étape vers l’indépendance : la paroisse d’Arcachon

38L’autonomie paroissiale est accordée par le Cardinal Donnet, propriétaire à Arcachon et entérinée par décret impérial du 15 avril 1854. L’abbé Mouls est alors nommé comme curé de Notre Dame d’Arcachon le 1^er mai.

39Mais la première étape remonte au conseil municipal du 9 octobre 1851. L’ordre du jour porte sur le traitement d’un second vicaire à La Teste. Le maire J. Dumora proteste vivement pensant que l’unité de l’administration religieuse est un préalable à l’unité administrative civile. Mais ce jour-là, la majorité du conseil, constitué de propriétaires à Arcachon se prononce pour31.

40Puis le 22 décembre 1855, une pétition signée par cent treize propriétaires d’Arcachon demande l’érection en commune de la section d’Arcachon. L’abbé Mouls ne la signe pas mais se prononce pour l’indépendance lors de l’enquête du 20 avril 185632.

41Après cette enquête, le conseil municipal du 8 mai 185633, par treize voix contre onze décide de ne pas s’opposer à l’érection en commune d’Arcachon. Le préfet suit cette décision le 24 août et le Conseil Général le 26 août34. Le préfet soumet donc le projet d’arrêté préfectoral le 27 septembre au ministre de l’intérieur35. Mais les services de ce dernier s’inquiètent de l’exiguïté du territoire communal. On ne peut douter que l’appui des frères Emile et Isaac Pereire, les dirigeants de la puissante compagnie du Midi, de Georges Eugène Haussmann, préfet de la Seine depuis juin 1853 et futur sénateur (juin 1857) et de Jean-Louis de Forcade La Roquette, conseiller général de la Gironde, chef d’administration et futur ministre, ont été décisifs. Le 2 mai 1857 est signé le décret impérial. Le 23 mai, A. Lamarque de Plaisance est nommé maire d’Arcachon36.

Une ville née du chemin de fer

42Arcachon est bien la fille de la révolution ferroviaire dès 1841 mais connaît une accélération avec la reprise en main par la Compagnie du Midi des frères Pereire.

43Le 27 mars 1852, la Compagnie du Midi prend à bail la ligne Bordeaux-La Teste. Les frères Pereire obtiennent que la ligne Bordeaux-Bayonne passe par Lamothe37. Ayant connaissance des travaux de J. Chambrelent à Cestas, ils achètent en février 1853, 8 300 hectares de terrains pour 168 050 francs entre Biganos, Lanton, Salles et Mios puis 450 hectares à Ste Eulalie en Born et enfin 1 150 hectares au Teich. La construction de la ligne Bordeaux-Bayonne répond aussi aux préoccupations d’assainissement en créant deux canaux de part et d’autre pour que les propriétaires puissent s’y raccorder.

44Dès 1852, les frères Pereire ont pensé prolonger la ligne de chemin de fer jusqu’à Arcachon. C’est pourquoi ils entrent en contact avec Adalbert Alexandre Iphiclès Deganne, propriétaire foncier. Mais qui est ce personnage ?

45Selon la légende, A. Deganne serait venu s’installer à Arcachon suite à une déception amoureuse. Né à Vertus en Champagne le 20 octobre 1817, il connaît un autre Vertusien, Claude Deschamps (1765-1843), inspecteur général des Ponts et Chaussées à Bordeaux qui a donné son accord pour la construction de la ligne de chemin de fer de Bordeaux à La Teste38. Il a épousé la riche Testerine Nelly Robert et quitté la Compagnie du chemin de fer Bordeaux-La Teste avant sa faillite. C’est un sécessionniste convaincu comme le prouvent ses différentes actions. En 1852, il écrit aux maires de La Teste et de Gujan pour leur demander la levée des droits d’usage dans la Petite Montagne d’Arcachon. Il a aussi loti sur les propriétés de son épouse : il vend un lot de parcelles à O. Dejean. En 1853, il démarre la construction de son château. Il entre en conflit avec la municipalité de Lamarque de Plaisance à cause des droits d’usage en 1854 qui sont finalement abrogés en février 1855. Deganne écrit alors le 19 avril 1855 au préfet de la Gironde pour demander l’érection d’Arcachon en commune. Le 22 décembre 1855, il signe avec une centaine de propriétaires et résidents arcachonnais une pétition pour l’érection d’Arcachon en commune.

46Cette pétition est conservée aux Archives Départementales et demande ce qui suit au Préfet :

« Les soussignés, propriétaires et habitants d’Arcachon, ont l’honneur de vous demander que cette section de la commune de La Teste en soit séparée et érigée en commune distincte. Voici en peu de mots les motifs qu’ils prennent la liberté de vous soumettre à l’appui de leur demande :
Arcachon dont la prospérité augmente tous les jours possède 500 habitants au moins de population sédentaire, population qui s’élève à plus de 4 000 habitants pendant les mois de l’été.
Arcachon est déjà paroisse. Les soussignés pensent que les limites de la paroisse devraient être par conséquent celles de la commune future.
Le grand éloignement du chef-lieu. Les premières maisons d’Arcachon étant à presque 4 kilomètres de la Teste et quelques parties étant éloignées de 20 kilomètres environ.
Le manque d’école. Le grand éloignement empêche les enfants d’aller à l’école communale du chef-lieu, par suite pas un ne peut profiter des bienfaits de l’enseignement gratuit.
La répartition involontairement inégale des deniers communaux qu’Arcachon procure pour plus de la moitié par son octroi et sa part contributive dans les impôts. Par la force des choses, le chef-lieu les absorbe ; pour ne citer qu’un exemple, les soussignés croient pouvoir avancer avec certitude, que sur une somme d’environ 25 000 francs, employée depuis 2 ans pour paver les différentes rues et chemins du pays, le chef-lieu a dépensé pour lui seul plus des 7/8^ème de ce chiffre »39.

47Le 26 décembre, la Compagnie du Midi lui confie en tant qu’ingénieur le prolongement de la ligne de chemin de fer jusqu’à Arcachon. Il entreprend les travaux en outrepassant ses droits car il n’a aucune autorisation : il ouvre la tranchée de la Règue Blanque et installe la gare aux limites de ses parcelles et de l’allée qui mène à son château.

48En 1855, E. Pereire plaide devant les actionnaires : « ce prolongement aboutira au centre des habitations qui, depuis l’établissement de cette ligne, se sont élevées comme par enchantement à Eyrac, près des bains et chapelles d’Arcachon [...] Cette agglomération nouvelle est éloignée des terrains du chemin de fer de la Teste d’environ 10 kilomètres. En été, les omnibus sont insuffisants pour combler cette lacune, en hiver l’isolement empêche l’établissement de familles sédentaires »40.

49Le 26 juillet 1857, le chemin de fer arrive à Arcachon et le 2 mai, Arcachon s’érige en commune indépendante par décret impérial. Alphonse Lamarque de Plaisance (1831-1880), ancien maire de La Teste devient le nouveau maire, nommé le 8 mai. La rupture entre la ville-mère et la nouvelle cité est située à l’apogée de l’affrontement entre des élites municipales arcboutées dans leurs problèmes de droit d’usage, de prés salés, de port envasé, donc sur leurs traditions et les entrepreneurs, souvent étrangers au pays, décidés à ouvrir l’avenir d’Arcachon et à la faire entrer dans la modernité. Mais Arcachon suite au décret impérial prend le nom, non du bassin, mais de la petite montagne d’Arcachon choisi par le conseil municipal de La Teste pour sa troisième section.

Carte 4 : plan d’Arcachon lors de la sécession41

50Le 7 juin 1857 ont lieu les premières élections municipales. C’est le triomphe des sécessionnistes c’est-à-dire les propriétaires bordelais, les négociants du Port de la Lune et deux artisans testerins. Leur but est quand même de voir se créer un port de commerce à Arcachon donc de voir aboutir les projets de la Compagnie Agricole et Industrielle d’Arcachon. En 1860, A. Lamarque de Plaisance crée la devise de la ville : heri solitudo, hodie vicus, cras civitas (Hier solitude, aujourd’hui bourg, demain cité)42.

51O. Dejean nous indique les différents tarifs pour se rendre de Bordeaux à Arcachon : 6 francs 25 en première classe, 4 francs 70 en deuxième classe et 2 francs 45 en troisième classe. A cela s’ajoute les billets spéciaux pour l’aller et le retour à 7,5 et 3 francs. Pour finir, l’été, existent les trains de plaisir au prix de 3 francs 50,2 francs 50 et 1 francs 5043. Mais les relations entre l’ingénieur entreprenant et le maire urbaniste sont très tendues. Et cela d’autant plus que Deganne fait ce qu’il veut sur ses parcelles. L’apogée de la tension est atteint en 1861-62 à propos de la voierie : Deganne écrit Quelques mots à propos du boulevard de ceinture daté du 25 novembre 1861, le maire réplique dans Réponse à M. Adalbert Deganne daté du 17 janvier 1862 qui entraîne une nouvelle réponse A Monsieur Lamarque de Plaisance44.

52En 1865, les Pereire imposent un nouveau maire face à Lamarque de Plaisance, le vicomte-ostréiculteur Charles Héricart de Thury dont le second fils est Charles Rhoné, gendre d’Emile Pereire. Deganne s’inscrit alors dans la liste de ce dernier contre son adversaire de toujours. De plus, Deganne a ouvert un collège à Saint Ferdinand à l’automne 1864 et a donc bénéficié de l’appui de l’abbé Mouls pour avoir payé l’orgue de Notre Dame en 1863.

53Deganne est nommé maire en novembre 1870 puis élu en octobre 1876 mais son action en tant que maire est toute relative face à ses initiatives personnelles qui ont conduit à la construction du réseau de routes sur ses parcelles : les voies menant à son château et qui rayonnent depuis un rond-point central. Deganne démissionne le 21 janvier 1880 à cause d’une crise municipale : l’achat du casino mauresque par la municipalité le 20 janvier 1879 est très controversé.

54M. Cassou-Mounat signale également qu’en 1859, Arcachon accueille déjà 23 000 voyageurs45 contre 180 000 en 1863 : 11 227 baigneurs inscrits pour l’été, 16 000 personnes le dimanche par les trains de plaisir46.

Arcachon, ville de santé

55E. Pereire écrit au Ministre des Finances, le périgourdin P. Magne et définit le concept de ville d’hiver :

« Le maire et les principaux habitants nous ont à plusieurs reprises demandé le concours de notre compagnie pour améliorer la situation d’Arcachon, en rendre le séjour plus agréable [...]
Nous demandons que dans la forêt domaniale d’Arcachon, le long des parcelles qui ont été précédemment aliénées à divers particuliers, le Gouvernement nous concède 400 hectares de terrain. [...]
Nous prendrons, en effet, l’engagement de consacrer la moitié de ce terrain à l’établissement d’un casino et de ses dépendances, de promenades pour les piétons et les cavaliers, de pavillons sur des points déterminés, et d’y dépenser 300 000 francs dans les deux années qui suivront la concession. Nous nous réservons de faire, de l’autre moitié, tel usage qui conviendrait à nos intérêts.
Nous croyons que l’exécution de ce projet contribuerait puissamment à la prospérité d’Arcachon, et aurait même des conséquences heureuses pour l’avenir des Landes. Les populations des contrées voisines, qui aujourd’hui forment la clientèle d’Arcachon, y viendraient, non plus seulement pendant l’été, pour y prendre des bains et jouir de la fraîcheur des rivages du Bassin, mais aussi pendant l’hiver, pour y trouver, à l’abri de la forêt, une température plus douce et un air plus favorable à la guérison de beaucoup de malades »47.

56La création de ce concept de station balnéaire multisaisonnier est à mettre au profit de l’un des parents des Pereire, Emile Pereyra, médecin-inspecteur des bains de mer et qui a écrit divers ouvrages sur les bienfaits du climat arcachonnais.

57Ce projet de ville climatique et de sanatorium à ciel ouvert s’inscrit dans un projet plus large de mise en valeur des Landes de Gascogne. Mais se pose le problème des acquisitions de terrains qui sont laborieuses en raison des entraves administratives. En effet, en droit français, les biens de l’Etat sont inaliénables et une loi est nécessaire pour déroger à la règle. Les Pereire se servent alors de la loi du 28 juillet 1860 signée par le ministre des Finances, le Girondin Forcade La Roquette, concernant l’exécution des routes forestières. Ainsi en juin 1860, E. Pereire achète à des particuliers 53 hectares à son compte, et 43 pour la Compagnie du Midi qui doit y réaliser un casino et une station d’hiver. C’est finalement le 7 octobre 1861, qu’ils obtiennent le terrain de l’Etat dans des conditions obscures48.

58Les travaux commencent au printemps 1862 sous la direction de Paul Régnauld, ingénieur des Ponts et Chaussées et neveu des Pereire qui a réalisé la gare et le pont Saint Jean à Bordeaux, assisté d’un jeune ingénieur à l’avenir prometteur, Gustave Eiffel. Les avenues sont en méandres suivant la mode du parc à l’anglaise mais aussi selon les recommandations des médecins : « On devra bien se garder dans la construction des habitations projetées de suivre les règles ordinaires d’alignement de nos villes. Des rues droites donneraient lieu à des courants d’air funestes aux convalescents destinés à habiter la future ville d’hiver. Les habitations nouvelles devraient être semées comme un jardin anglais et ne communiquer entre elles que par des lignes courbes »49. 1 500 ouvriers travaillent sur ce vaste chantier pendant trois ans. Le but des Pereire est avant tout de rentabiliser la ligne de chemin de fer et secondairement de soigner les phtisiques : n’ont-ils pas demandé la réalisation du casino mauresque avant la construction des habitations ?

59E. Reclus écrit alors « Arcachon ressemble d’une manière étonnante à ces villes américaines qui s’installent en pleine forêt vierge et projettent leurs rues dans la solitude, sans se préoccuper des obstacles »50. Le Guide Joanne de 1858 décrit la transformation urbanistique d’Arcachon : « Chaque saison, un nombre considérable de maisons se construisent des deux côtés de la rue unique dont la longueur dépasse aujourd’hui trois kilomètres »51. Le Bassin d’Arcachon est donc un far-west et Arcachon est une ville-champignon typique de ce mouvement de colonisation.

60Les premières réalisations sont l’Observatoire Sainte Cécile et la passerelle Saint Paul puis un casino mauresque qui est entre l’Alhambra de Grenade et la mosquée de Cordoue. La gare est mise en service en juillet 1863 puis le buffet chinois, la villa Pereire et plus de vingt-trois villas au goût antiquisant et italianisant dont Moulin-Rouge, Brémontier, Montesquieu ou Montretout52. Ces villas sont achetées par une riche clientèle étrangère venant de Belgique, des Pays Bas, de Pologne, de Russie mais surtout d’Angleterre et d’Ecosse.

61En front de mer, Eugène Ormières est chargé de construire le Grand Hôtel d’Arcachon sur le modèle du Grand Hôtel de Paris, rue de Rivoli, déjà construit par les Pereire, et est achevé en 1866. Ce vaste établissement comprend de nombreux salons, un restaurant, un billard, une bibliothèque, un jardin d’hiver, une terrasse donnant sur le bassin, des ascenseurs et cent cinquante chambres avec service d’hydrothérapie53. En 1878, quatre-vingt-dix villas ont été construites.

62Mais en 1867, le Crédit Mobilier fait faillite. Entre temps, les frères Pereire ont créé la Société Immobilière d’Arcachon, le 7 mai 1866, S.A.R.L. au capital d’un million cinq cent mille francs.

63Dans le quartier du Moulleau, c’est M. Dalis, un Biscarrossais, qui est propriétaire de la forêt. Il a installé une cabane sur la plage qu’il a appelé pompeusement « établissement de bains » ! Dans les années 1860, il vend trente deux hectares aux frères Grangeneuve et Papin qui souhaitent créer une station de repos dans le style de la ville d’Hiver. Dans le même temps, les Dominicains cherchent à s’établir au Moulleau pour y construire un couvent destiné à devenir une maison de retraite pour religieux âgés ou malades. Les lotisseurs leur donnent alors le terrain nécessaire : Notre Dame des Passes est édifiée en 1864 par l’architecte bordelais Louis Garros en haut d’une dune. Mais le développement du lieu est plus difficile car le quartier est coupé de la ville par le parc Pereire et la forêt domaniale des Abatilles.

Un lancement réussi

Pour Ch. Bouneau, « il fallait trois conditions pour assurer le lancement définitif de la ville d’hiver auprès d’une clientèle nationale et cosmopolite : obtenir la caution du couple impérial, mobiliser le corps médical et diffuser la renommée arcachonnaise par des publications idoines »54

64La caution impériale se fait en deux temps. Tout d’abord, le couple impérial vient le 10 octobre 185955 mais c’est un semi-échec56 car elle n’a pas une vocation balnéaire, consacrant l’abandon d’un port de guerre sur le bassin : arrivé à 13h45, l’empereur, Napoléon III, qui effectue une visite privée, repart rapidement malgré la foule présente à cause du temps exécrable. La véritable consécration vient le 6 octobre 186357 avec une visite officielle en arrière-saison accompagné d’E. Pereire, Prosper Mérimée et P. Régnauld. Le couple impérial se rend à la villa Pereire. Cette visite est de fait une bénédiction de la ville d’Arcachon.

65A l’automne 1865, un congrès national de médecine est réuni par la Compagnie du Midi à Bordeaux et invité le 8 octobre à Arcachon : la communauté médicale se convertit au concept thérapeutique de ville d’Hiver.

66Les guides et les affiches contribuent à la publicité du lieu tout en dégageant des stéréotypes comme le guide Joanne depuis 1857, le guide Dubarreau de 1863-64.

67On peut ajouter aussi que les Pereire cherchent aussi à bénéficier de la bénédiction de la hiérarchie catholique. En effet, le 7 septembre 1862 une cérémonie de bénédiction a lieu depuis la passerelle Saint Paul comme le rapporte P. Régnault à sa femme Adèle Dejean : « On a fait une visite officielle dans notre parc et le cardinal a béni la ville d’hiver du haut de la petite passerelle [...], le coup d’œil était merveilleux ; S.E. suspendu pour ainsi dire dans les airs, accompagné de ses évêques bénissant d’en haut plus de 4 000 personnes, c’était fort beau... »58.

Les premières résistances au développement touristique

68Alors que les villas se développent sur le front de mer sur plusieurs kilomètres, la plage reste un espace libre appartenant au domaine public maritime défini par la Grande Ordonnance de Colbert.

69Les marins occupent la plage pour y travailler : pêche, ramassage des coquillages, calfatage des bateaux et séchage des filets sur des piquets plantés dans le sable. Parfois ils logent de manière plus ou moins provisoire dans de vieux bateaux tirés sur l’estran et transformés en habitations, les « pontons ».

70Au départ, les marins travaillant sur la plage vont chercher à profiter de la présence des touristes en leur proposant quelques services : promenades ou pêche en pinasse, leçons de natation, vente et dégustation d’huîtres... Ceci permet d’améliorer leur niveau de vie en leur procurant des revenus complémentaires. La cohabitation est donc paisible dans un premier temps car cette activité ajoute au pittoresque du lieu.

71Puis les nouveaux voyageurs amenés par le train se plaignent : la plage semble sale, les activités des marins sont malodorantes et gênantes pour la promenade et les jeux des enfants. Ainsi le maire Huricart de Thury déclare en 1866 : « pour sauvegarder l’avenir d’Arcachon, il faut débarrasser la plage de tous les obstacles qui pourraient en éloigner les baigneurs ». C’est donc le premier conflit d’usage concernant l’utilisation de la plage qui n’est résolu que par la municipalité de J.-B. J. Veyrier-Montagnères.

Des premiers bains de mer aux premières stations dans les Landes de Gascogne

72Sur le reste du littoral, le tourisme reste encore au stade de l’économie de cueillette. Le développement de la villégiature balnéaire n’a donc pas connu un véritable essor capitaliste et relève de quelques initiatives locales.

Sur le Bassin d’Arcachon

73L’exemple d’Arcachon est suivi par de nombreuses personnes sur le Bassin.

74A Gujan, le docteur Daney fonde en 1844 le premier établissement de bains de la ville59. Il est construit sur pilotis dans les prés salés et accessible par une passerelle. On peut y prendre des bains froids ou chauds et utiliser à marée haute des appareils de gymnastique aquatique60. Le 14 août 1849, le Conseil Municipal de Gujan accorde à M. Darmand le droit de construire et d’exploiter pendant une période de dix-huit ans un établissement de bains. Le bâtiment, entièrement en bois, est terminé en avril 1854 : il comprend trois baignoires pour les bains chauds et vingt cabines pour les bains froids61.

75A La Teste, le docteur Pereyra, directeur de la Compagnie de chemin de fer, est autorisé le 28 octobre 1846 par le Conseil Municipal à capter de l’eau dans le chenal du port de La Teste pour alimenter des bains chauds et une école de natation62. Le 7 mai 1847, Gérard Daulhac obtient un bail à ferme pour construire des cabanes de bains chauds. Il constitue alors une Société des Bains de La Teste au capital de 5 000 francs63.

76Pourtant de l’autre côté du Bassin, ce n’est pas l’activité touristique qui prime. Une autre séparation de communes a lieu entre Arès, la riche et Andernos, la pauvre, par décret présidentiel du 9 janvier 185164. A Arès, se trouve le château du nouveau châtelain David Allègre qui développe les activités halieutiques en faisant construire le premier chalutier à vapeur du monde et en créant de vastes réservoirs à poissons. Rachetée par un banquier parisien en 1848, Léopold Javal, la propriété est agrandie : 3 000 hectares recouverte de pins, exploitation agricole comprenant des prairies, des vignes, un potager-verger, 150 hectares de champs de maïs, froment, betterave, tabac... Mais c’est l’arrivée du chemin de fer économique qui bouleverse véritablement l’économie de ce rivage du Bassin.

77La station de Taussat est une affaire privée sans lien véritable avec l’essor des transports. Le 2 septembre 1830, le domaine de Taussat, au nord de Lanton et à la limite d’Andernos, est acheté aux enchères publiques par Jacques le Cousturier de Courcy. Son fils, Ernest veut mettre en valeur cette propriété et décide d’y construire un établissement de bains. O. Dejean l’a remarqué en 1858 : « Entre le bourg de Lanton et celui d’Andernos, est située la plage de Taussat, où l’on a construit pendant ces dernières années un établissement de bains et quelques maisons. C’est une jolie position, qui paraît avoir de l’avenir »65. En 1873, le domaine est partagé entre les quatre enfants d’Ernest qui décident d’y construire des chalets.

78Le Cap Ferret est un désert fréquenté et habité par les gardiens du phare et du sémaphore et quelques douaniers. Des marins de La Teste et de Gujan construisent des abris sommaires sur la plage qui sont la base des villages de pêcheurs. A partir de 1862, l’administration des Eaux et Forêts prend en charge la fixation et l’ensemencement des dunes et donne le nom de forêt domaniale de Lège et Garonne à la forêt créée sur les dunes du Cap Ferret. Elle accorda grâce aux lois spéciales de 1860 et 1863 des aliénations de terrains66. La moitié orientale est achetée aux enchères publiques par deux frères, Léon et Frédéric Lesca, entre Claouey et Le Boque. A partir de 1865, Léon Lesca, entrepreneur de travaux publics qui s’est occupé du port d’Alger et de la ligne de chemin de fer Constantine-Philippeville, fait édifier la villa algérienne mais c’est un simple pavillon de chasse dans un premier temps. Puis il fait planter un vignoble, construire une école, une jetée, des logements pour ses domestiques et une chapelle. Il devient alors conseiller général de La Teste et crée la Société du vapeur Courrier du Cap.

Dans les Landes

79Dans son enquête ministérielle sur les établissements de bains du littoral, sur les stations thermales et balnéaires en exécution de la lettre du ministre de l’Agriculture et du commerce du 6 septembre 185367, des renseignements importants ont été recueillis sur les établissements de bains dans les Landes :

• au Vieux Boucau, trois baraques en bois enlevées après la saison qui accueillent environ 400 baigneurs en 1853,
• à Vielle Saint Girons une maison d’agrément est autorisée par le préfet depuis le
  16 juillet 1853 et accueille vingt à trente baigneurs,
• à Saint Julien en Born une auberge est autorisée depuis le 27 février 1853, à Mimizan, on compte deux établissements, un de dix sept appartements autorisé depuis le 10 juin 1852, et un autre de dix appartements autorisé depuis le 31 août 1853 soit 2 000 baigneurs landais,
• à Sainte Eulalie en Born, un établissement de onze chambres est ouvert depuis l’autorisation du 11 août 1846, on y trouve 210 baigneurs français et 150 étrangers,
• enfin à Biscarrosse il existe une petite maison qui accueille 30 à 40 baigneurs durant la saison.

80Cette enquête montre aussi la volonté du pouvoir central d’organiser et d’encadrer la pratique touristique. Elle cherche aussi à établir si ce sont de simples initiatives privées ou une volonté communale et départementale de développer l’activité des bains.

81Les premiers bains dans les Landes sont liés à la fixation des embouchures des courants : la première génération de station balnéaire définie par J.-J. Taillentou68 concerne donc Mimizan, Contis, Huchet et Capbreton. Le développement et la croissance des premiers bains de Contis, Huchet et Vieux-Boucau se fait donc autour de ces axes de communication qui servent non seulement au transport en barque des premiers baigneurs, ce qui constitue une première aventure « exotique » pour ces aventuriers, mais aussi au ravitaillement de ces personnes et enfin au transport des matériaux nécessaires à l’édification des premières maisons et des établissements de bains. De plus, aux embouchures ont souvent été construits des cabanes de douane, constructions sommaires qui vont encourager les amateurs de bains de mer à s’y rendre.

82A Contis, les premières maisons sont établies sur la rive droite du courant. Les premiers baigneurs originaires de Lit et Saint Julien arrivent vers 1830. En 1844, autour de la douane et de ses dépendances, sont construites trois maisons. Une cabane de paille se trouve au pied de la dune, propriété de Numa Turpin, propriétaire de l’une des maisons et maire de Lit. En 1851, est implanté sur la dune littorale le premier établissement de bains, celui de Danchotte de Lit et Mixe69.

83Mimizan avec ses quelques cinq cents chalets devient vite une station balnéaire de cure, de repos l’été ainsi que l’hiver. Trois établissements de bains chauds existent dans la station : le Salin Thermal et les établissements Darribey et Marsan.

84Du milieu du XIX^ème siècle à 1870, Huchet connaît un fort développement car elle est considérée comme la plage de référence du Marensin et du Maremne. Un établissement de bains est construit par B. Fourgs, aubergiste de Léon, sur la dune littorale dès 185170. Dix ans après, A. Darricau, qui a été se baigner à Huchet, investit dans un deuxième hôtel71. Pour assurer le transport des curistes, A. Dassé construit une écurie en 1863. Des cabines de bains sont installées sur la plage. Entre 1859 et 1875, une dizaine de maisons sont construites autour de ces établissements centraux.

85En 1829, le capitaine des douanes de Capbreton rapporte que « dans le mois de septembre et d’octobre, beaucoup de Landais se rendent sur nos côtes pour y prendre les bains de mer qu’ils estiment très salutaires ; certains y campent sept à huit jours et il s’y forme des sociétés amusantes, d’où toute étiquette est bannie »72. L’expression « bains de mer » apparaît pour la première fois dans les registres du conseil municipal le 10 août 1856 : « vu les demandes en concession de terrain communal pour construire des maisons sur le bord du chemin vicinal n° 7 dans le but de loger les étrangers qui viendront ici prendre des bains de mer... »73. La municipalité fait embellir le chemin vicinal qui mène à la plage pour faciliter l’accès des baigneurs. En 1857, Charles Corta, député du Corps Législatif, demande huit ares sur la côte pour installer une maison. En 1858, le conseil veut encourager le développement des bains de mer : « il faut accroître la vogue et l’importance de nos bains de mer, qui ont déjà attiré beaucoup de monde l’année dernière... ce grand concours d’étrangers ne peut qu’apporter de grands avantages aux habitants »74. La même année, le conseil municipal concède des terrains à M. Gorostarzu, propriétaire à Saint Vincent de Tyrosse, M. Lafontan, inspecteur des douanes à Ustaritz, Amédée d’Oro, marquis de Pontonx, M. Léon, adjoint au maire de Bordeaux, M. Garet, sous-préfet de Dax, M. Bertrand, archiviste à Mont de Marsan et Mme Desaa, propriétaire à Saint Martin de Hinx. La clientèle est alors bourgeoise, aisée, originaire des Landes ou des environs. Le 11 septembre 1858, Napoléon III visite Capbreton et notamment les bains Hougas et Compagnie. On trouve également les Bains Lesca, les Bains Mary et les Bains Duboscq ou Saint Nicolas. A partir de 1860, un service hippomobile relie le bourg à la plage pendant la saison fixée du 10 août au 1^er octobre75. En 1862, le premier établissement de bains s’installe76. Quelques célébrités s’y rendent comme le comte Clément d’Astanières, le comte d’Orx, fils naturel de Napoléon III, le romancier espagnol Armando Palacio Valdès et David Chabas, éditeur, écrivain et peintre. Les conflits d’usage de l’espace balnéaire concernent la culture de la vigne des sables : en 1856, un arrêté municipal décide de limiter à quinze mètres le terrain adjacent accordé aux propriétaires pour « concilier les intérêts de l’agriculture avec ceux d’une industrie naissante, laquelle doit contribuer au bien-être des habitants et augmenter leurs moyens d’existence »77. Mais Capbreton reste encore difficilement accessible : le chemin de fer Bordeaux-Bayonne s’arrête à Bénesse-Maremne et à Labenne, il faut donc finir le voyage avec d’autres moyens de transport.

86Au Vieux-Boucau, pourtant situé à huit cents mètres de l’océan, s’est surtout développé l’hébergement chez l’habitant mais il n’existe pas d’établissement de bains : l’urbanisation touristique y est tardive. Cette proximité n’incite pas les habitants des communes voisines à s’établir en bordure de l’océan. Mais les quelques baigneurs n’ayant pas d’abris sur la plage ont dû se déshabiller sur la plage ce que la morale puritaine de l’époque réprouve. Ainsi vers 1853, le conseil municipal décide-t-il « d’établir sur cette plage une tente pour la commodité... attendu que la plage qui avoisine la mer il n’y a point d’abri pour se déshabiller »78. Puis face au succès de la plage, il est décidé l’implantation de quatre cabines publiques et gratuites pour permettre aux baigneurs de se changer sans heurter la pudeur. La gratuité souligne la volonté de permettre à tous de pouvoir se baigner car « l’habitant est pauvre, il ne saurait jamais faire la moindre dépense à cet égard »79. Le succès de cette plage est analysée ainsi en 1862 : « la vague des baigneurs est due autant aux soins et aux prévenances des habitants pour leurs hôtes, qu’aux mesures prises pour leur procurer tout le confort désirable, les agréments et les distractions n’y manquent pas : pêche à la mer et l’eau douce, chasse au tir et aux filets »80. On constate donc que l’hospitalité est un point essentiel du développement balnéaire ainsi que la politique touristique d’installation de cabines mais aussi l’essor de quelques loisirs. Elle accorde aussi des concessions de plage pour l’installation de tentes et cabines privées vers 187481. Ainsi deux cabines pourvues de baignoires de bois sont installés par Pierre Castaing82. On peut y prendre des bains d’eau de mer chauffée par une grosse chaudière de cuivre comme l’indique le guide Joane en 1 86983.

87Puis l’accès à l’océan est facilité par la construction d’un chemin bordé de tamaris. Ce qui permit finalement en 1875 la construction du premier établissement de bains par deux bouchonniers, P. Courtieux et R. Vergés. Ils installent des cabines pour se changer mais aussi pour prendre des bains chauds et assurent la surveillance de la baignade en tant que maîtres-baigneurs84.

Dans le Médoc

88A Lacanau, le déblocage vient de la fin du procès opposant la commune aux propriétaires de l’ancienne terre seigneuriale (1859) puis leur adjudication massive en 1862 ce qui redistribue la propriété foncière. C’est à la même période que Lacanau connaît son ensemencement de pins : entre 1853 et 1861, 8 400 hectares sont plantés et en 1862, 92 hectares restent à couvrir.

89A Soulac, après la visite de Nicolas Brémontier et du préfet de la Gironde, l’ensemencement commence et en 1833, les pins sont remis à l’Etat. Une ordonnance royale de 1839 donne à Raymond Magne, médecin et conseiller général, deux hectares de terrain domanial sur la plage des Olives. Le 15 avril 1849, il cède à Antoine Trouche, hôtelier à Lesparre, sa concession et obtient l’autorisation de bâtir un petit établissement de bains : les Bains de mer des Olives et l’hôtel des Fontètes85. Le sous-préfet M. Bonnone appuie la demande de transformation en vente du terrain le 7 mai 1849 pour vingt cinq francs86 : ce sont les débuts de la station balnéaire. En 1854, les Domaines vendent à nouveau seize hectares en bordure de plage : les terrains sont achetés par quelques familles de la bourgeoisie bordelaise pour y construire des chalets et des maisons de briques rouges et de bois le long de larges rues alignées face à la mer. La station naissante emploie donc un plan en damier. En 1855, le vicomte de Kerveguen, député et M. Malvezin, avoué à Bordeaux, avocat au Conseil d’Etat, envisagent la construction d’un grand établissement de bains et demandent cinq kilomètres de concession du littoral qui sont refusés par l’ingénieur des Ponts et Chaussées. En 1859, le Cardinal Donnet décide le désensablement de Notre Dame de la fin des terres ce qui constitue une forte attraction pour la ville87. En 1860, le Docteur Sales Girons demande l’autorisation d’établir « une petite maison en planches destinée à contenir quelques baignoires et une chambre de respiration à l’eau de mer pulvérisée »88. Le 1^er juillet 1861 est inauguré le premier établissement de bains chauds.

90Entre 1857 et 1864, plusieurs ventes aux enchères publiques attribuent pour 307 026 francs de terrains. En 1863, 563 hectares de terrains sont attribués au comte Edouard Lahens, président de la Compagnie de Chemin de Fer du Médoc, pour 687 312 francs : il lance le premier lotissement lié à la concession de la ligne de chemin de fer. Mais le retard de la livraison de la ligne entraîne la résiliation des conventions. En 1866 est construit le luxueux hôtel de la paix89 par le maître d’hôtel Sansot, fondateur de l’hôtel de la paix de Bordeaux : il comprend cinquante appartements meublés comprenant des salons en tout genre. Donc en 1868, la lède est la propriété de trois grands propriétaires : la commune, la société des terrains et de la plage de l’Amélie et le comte de Lahens. La même année, l’accès à la plage est enfin aménagé en installant un double escalier en bois de sapin dans le prolongement de la rue principale. En 1873, A. Trouche construit l’hôtel de la Paix qui devient le principal centre d’hébergement de la station. Avec l’arrivée du chemin de fer le 1^er août 1874, quelques 2 000 à 4 000 personnes viennent de Bordeaux en deux heures par les trains de plaisir90. Soulac est alors à quatre voire cinq heures de Bordeaux. Ce temps de trajet diminue progressivement jusqu’à deux heures et demi. La même année, Soulac et Le Verdon se séparent, la première affirmant son identité touristique en devenant Soulac-les-Bains, la seconde sa vocation portuaire. Dès 1876, la Compagnie maritime de Gironde et Garonne met en place un service par bateau ou par voie ferrée pour transporter les visiteurs depuis Royan à Bordeaux et facilite aussi l’accès à Soulac de l’autre côté de l’estuaire. En 1878, le premier casino est construit en bois puis en pierre dans un style mauresque avec une vaste galerie semi-circulaire. Mais la station est très embryonnaire : les premières demeures de la station balnéaire quant à elles sont presque toutes en bois et occupées par les pionniers.

Les premiers bains thérapeutiques

91La classe des loisirs et du tourisme est minoritaire dans la société française à cette époque. Mais elle représente un idéal social qui fonde un mouvement qui la dépasse. L’imitation de ce modèle impose aux meneurs de toujours chercher à innover. De fait, la manière d’employer le temps libre définit socialement les classes sociales. Deux mondes s’opposent alors selon A. Rauch91 : celui des baigneurs qui sont eux-mêmes divisés et celui des promeneurs, la ligne des cabines ou des tentes faisant office de ligne de démarcation. Pour J.-D. Urbain « la médecine codifiera tout : le corps, les gestes, les actions, les costumes, la convivialité, l’espace et le temps des baigneurs »92.

Le bain de mer, une prescription médicale

92Le bain de mer est la pratique première qui a entraîné l’essor du balnéarisme et de la villégiature balnéaire. Pratique libre au départ, issue d’une pratique sauvage des autochtones, elle évolue sous l’influence des médecins vers une codification bourgeoise et puritaine et devient une prescription médicale qui n’est pas accessible à tout le monde.

93Alain Corbin a bien montré que la plage est un espace de désirs multiples au XIX^ème siècle : le désir de se purifier et de se guérir en se plongeant dans la mer. C’est aussi un lieu du désir en regardant les autres visiteurs en train de se promener ou de se baigner93.

94Lorsque l’on parle de bains de mer, il ne faut pas négliger le fait que peu de monde, même les marins, savent nager à cette époque. De plus, le soleil est considéré comme dangereux.

95A cette époque on parle de bain à la lame c’est-à-dire face aux vagues. Avant de pénétrer dans l’eau, il faut se déshabiller dans des cabines pour mettre un costume de bain. La cure marine consiste donc en une simple immersion plus ou moins prolongée sous la surveillance d’un médecin-inspecteur des bains de mer. Le maire de La Teste puis celui d’Arcachon nomment le Docteur Emile Pereyra, cousin des Pereire, médecin-inspecteur des bains de mer. Ce titre, fort enviable, est utilisé jusqu’à la Première Guerre mondiale. La sécurité des bains de mer est assurée dans les établissements de bains de mer94 comme ceux de Legallais en 1823 puis ceux de Biraben-Duprat et Tindel. Ces établissements offrent le logement, la restauration et une plage de sable propre et ratissée. Les curistes peuvent prendre des bains d’eau de mer chaude dans des cabines particulières.

96Dès 1827, une notice précise les conditions de baignade de l’établissement Legallais d’Arcachon : devant l’établissement et dans l’eau, une séparation des deux sexes est prévue ; des parasols sont dressés sur les bateaux pour se baigner à l’abri du soleil ; le bain doit se faire « soit en plein eau, soit dans des baignoires roulantes à clairevoies, ou dans des cabinets roulant tels que ceux en usage en Angleterre pour les personnes qui ne voudraient pas se livrer aux ondulations des vagues »95.

97La baignade est surveillée et assistée de maîtres-baigneurs agréés. De grandes cordes sont tendues depuis le rivage pour que les baigneurs puissent s’y raccrocher en cas de trop fortes vagues.

98Mais très vite, suivant les recommandations des docteurs Buchan et Rouxel, les médecins codifient le bain de mer et rappellent qu’il ne faut pas tremper le corps entièrement, que le bain de mer est une thérapie et qu’une surveillance médicale est donc indispensable. La balnéothérapie est codifiée par le docteur Rocca qui préconise des bains de deux à trois minutes avec un chapeau de paille à larges bords, pas d’immobilité complète, se frictionner en sortant de l’eau et faire un léger exercice.

99A Soulac, le premier arrêté municipal de codification des bains de mer est pris le 1^er août 1854 : « il est défendu à toute personne de se baigner à la mer, à la rivière, dans toute l’étendue des limites de la commune et notamment devant l’établissement tenu par M. Trouche sans être décemment habillé »96.

100Le docteur Lalesque en tant que médecin inspecteur des bains de mer a lui-aussi donné ses précautions à prendre avant, pendant et après le bain de mer froid :

« Ne pas se baigner le matin de bonne heure au sortir du lit, ni avant dans la nuit ; adopter l’intervalle compris entre huit heures du matin et sept heures du soir.
Prendre un peu de repos avant le bain lorsqu’on a le sang échauffé par un long voyage, ou le corps suant à la suite d’un exercice pénible ou de quelque promenade trop rapide et trop prolongée.
Ne pas se baigner aussitôt après avoir mangé ; attendre trois ou quatre heures, selon l’activité de l’estomac, pour que la digestion soit complètement achevée.
Ne permettre le bain, aux enfants et aux personnes faibles, qu’après leur avoir fait rompre le jeûne par un léger repas, suivi de trois ou quatre heures d’exercice modéré. Cet exercice est également salutaire aux personnes bien portantes.
Renoncer à l’usage du bonnet de taffetas ciré, qui a le grave inconvénient, non seulement de s’opposer à la transpiration de l’enveloppe crânienne, mais même de la refouler, et de causer des névralgies et des ophtalmies.
Se coiffer d’un chapeau de paille à larges bords, au travers duquel l’air et l’eau pénètrent également bien, et qui, de plus, a l’avantage de préserver la tête de l’ardeur du soleil.
Se mouiller la tête en entrant dans la mer. Ce rafraîchissement est essentiellement favorable, parce qu’il prévient les céphalalgies, les pesanteurs de tête, l’insomnie, l’agitation dans le sommeil, si fréquentes, pour ne pas dire inévitables chez les baigneurs qui négligent ou frondent l’ablution de la tête.
Ne pas rester au bain dans une immobilité complète, mais éviter d’en sortir et d’y rentrer alternativement comme on le fait souvent. Cette pratique est nuisible tant à cause des érésipèles par insolation (coups de soleil), qui donnent quelquefois la fièvre, qu’à cause des rhumes, des maux de gorge et de tête, qu’elle procure presque toujours. Par le mouvement, on se prépare une salutaire réaction, un prompt et favorable retour de la chaleur...
Sortir du bain avant l’arrivée du second frisson, qui doit être calculé à partir du moment où le premier saisissement occasionné par l’entrée à la mer est dissipé, jusqu’au moment où la sensation defroid s’accroissant, onfrisonne encore, et l’on observe des resserrements spasmodiques, des contractions involontaires...
En sortant de l’eau, s’essuyer vite, avec un linge bien sec mais sans être chauffé, depuis les pieds jusqu’à la tête en frictionnant assez fortement la peau sans craindre de la faire rougir, et prendre un léger exercice, rendu d’autant plus actif qu’on se sentira plus refroidi.
Ne pas user d’eau tiède ou chaude pour se laver les pieds au sortir du bain, et se servir de l’eau de mer froide puisée au Bassin
Ne pas suivre le conseil, trop souvent répété, de ne point s’essuyer le corps en sortant du bain et de garder sur la peau l’eau adhérente à cette surface. Cette pratique fait perdre complètement l’effet du bain, et même encourir les plus grandes chances de contracter les maladies produites par le contact prolongé du froid sur l’enveloppe extérieure de nos organes »97.

101Aux bains de mer chauds ou froids, il convient d’ajouter les bains de sable ou arénation tels que les décrit O. Dejean :

« Les douleurs rhumatismales les plus aigues, longtemps rebelles aux moyens les plus actifs de la thérapeutique, disparaissent bientôt sous l’influence vivifiante de l’arénation : elles sont promptement vaincues par l’action énergique du sable imprégné de sels que la vague jette sur le rivage du Bassin ou de la mer.
Les bains de sable sont pris au lieu même que le flux vient de quitter, après que le soleil a fortement chauffé l’arène. Le malade se fait recouvrir tout le corps, ou seulement une partie si le siège du mal est peu étendu, de cinq à six centimètres de sable brûlant ; il reste ainsi exposé à l’ardeur du soleil autant que ses forces le lui permettent, en ayant soin toutefois de tenir sa tête à l’abri d’un parasol ou d’un berceau de feuillage ; et, lorsque son pouls bat avec violence, que sa figure est ruisselante et animée, qu’une sueur abondante s’échappe par tous ses pores, on l’enveloppe soigneusement dans une couverture de laine et on le met au lit jusqu’à ce que la sueur ait complètement cessé »98.

Le costume de bain

102Le costume est lui aussi surveillé : longue chemise ou pantalon et chemisette pour les hommes, longue chemise ou robe courte avec pantalon foncé pour les femmes. Le 8 août 1841, le maire de La Teste doit prendre un arrêté contre l’indécence des baigneurs dans les environ du chemin de fer. Ceci est confirmé par la réglementation des bains de mer mise en place par un arrêté du maire de La Teste, le docteur Hameau, le 15 juillet 1847 :

« Article 6 : Les hommes se baignant dans les prés salés de La Teste, ou sur la Côte du Bassin, jusqu’à un kilomètre au couchant de l’allée d’Arcachon, seront vêtus d’un pantalon long, et ils se tiendront autant que possible éloignés des lieux ou seront les dames. Ils devront se déshabiller et s’habiller dans des cabanes qui seront disposées pour cela sur la plage, et si quelque motif nécessitait qu’ils se déshabillassent dans leurs appartements, ils devront se couvrir le corps d’une chemise de laine, ou de tout autre vêtement, pour arriver auxdites cabanes. Les dames, pour aller au bain et pour se baigner, devront être vêtues d’un grand peignoir tombant jusqu’aux talons.
Article 7 : Il est défendu à tout baigneur, et aux personnes del’un ou l’autre sexe, de proférer des paroles ou de faire des gestes indécents dans le bain et sur la plage »99.

103Le 24 juillet 1857, la première municipalité d’Arcachon, dirigée par Lamarque de Plaisance prend l’arrêté suivant :

« Article 1^er : Il est défendu de se baigner sans être revêtu à savoir : les hommes d’un costume entier couvrant le corps depuis le cou jusqu’aux talons ou d’un large pantalon et d’une chemisette ; les femmes d’une robe prenant également au cou et descendant jusqu’aux talons, ou bien d’une robe courte mais avec pantalon.
Les étoffes des costumes de bain, excepté celle de la chemisette, tolérée pour les hommes, devront être de couleur foncée ».

104A Capbreton en 1859, la municipalité règlemente également la baignade : le costume de bain est obligatoire et il faut se changer à 500 m du rivage dans des cabines et des tentes mises à disposition100.

105L’arrêté municipal d’Arcachon du 24 juillet 1867 interdit de s’habiller et de se déshabiller en dehors des cabines de bois ou des hôtels101. Les bains froids sont déconseillés aux personnes de plus de cinquante ans, interdits aux femmes enceintes et aux personnes de plus de soixante ans.

106Ainsi pour avoir accès au bain, se développent les cabines de bains au pied des dunes. Les propriétaires de villas ont leurs propres cabines qu’ils rangent dans leurs dépendances en hiver. Mais des hommes vont aussi se charger de profiter de l’occasion pour développer la location de cabines de bains. Cette entreprise est quand même encadrée par les municipalités102.

Essai de différenciation des clientèles touristiques

107Au préalable, il est très difficile de pouvoir obtenir des chiffres globaux pour toute la côte des Landes de Gascogne. Il faut donc se contenter des quelques chiffres et études qui ont été menées notamment pour la station emblématique du développement touristique de cette période, Arcachon.

108A la suite de la demande du Ministre de l’Agriculture, du Commerce103, le préfet des Landes a mené une enquête qui arrive aux conclusions suivantes : « On prend des bains de mer chaque année à la côte de Capbreton, de Vieux Boucau, de Mimizan et aux courants d’Huchet et de Contis. Voici à peu près le nombre d’étrangers qui en ont fait usage cette année 1853 : Capbreton 50, Vieux Boucau 400, Mimizan 100, Huchet 100 et Contis 100 soit 750. Ce ne sont guère les étrangers qui se rendent dans ces localités pour prendre des bains de mer, ce sont des gens du pays, notamment de Dax, de Magès, de Sobriguet, de Soustons et des bourgs voisins de la côte ».

109Ainsi en 1863, on estime que la clientèle bordelaise représente 41 % de la clientèle arcachonnaise. Les premiers touristes sont des aristocrates et des nobles qui ont les moyens financiers de se déplacer et de ne pas travailler pour prendre les bains. Mais la clientèle est principalement grande bourgeoise contrairement à sa rivale, l’aristocrate Biarritz. On y trouve aussi quelques militaires, membres de la fonction publique et des professions libérales surtout des médecins. De plus, une ségrégation spatiale sévit dans la ville entre les villes d’Hiver et d’Eté pour les privilégiés, et les villes d’Automne et de Printemps pour les moins fortunés.

110Le guide annuaire d’Arcachon montre lui aussi une hausse continue de la fréquentation de la station d’Arcachon entre 1857 et 1895. Le nombre de voyageurs passant de 18 755 à 216 301104.

111L’Almanach général d’Arcachon105 de 1865 dresse le bilan suivant de la saison 1864 : on a compté 10 914 baigneurs dont 5 029 Bordelais ou Girondins, 1 913 Parisiens, 422 Irlandais ou Britanniques, 183 Russes ou Polonais, 154 Espagnols, 74 Allemands, 66 Italiens, 57 Belges, 39 Etatsuniens, 29 Néerlandais, 22 Prussiens, 17 Suisses et 6 Egyptiens.

112Enfin en ce qui concerne la clientèle étrangère, Arcachon est fréquentée principalement par des Britanniques (30 %) en raison des liens anciens qui lient la Guyenne et le Royaume d’Angleterre. On y retrouve notamment le prince de Galles, futur Edouard VII. Les Russes sont également une clientèle très présente avec 10 % du contingent touristique. Enfin les Espagnols ne sont pas en reste en raison de la proximité géographique106.

Vivre et se distraire dans les stations

113Dans un premier temps, ce qui fait le succès du tourisme sur la Côte des Landes de Gascogne c’est son calme et son côté sauvage par rapport à la Côte d’Azur ou normande. Elle attire donc les aristocrates et les bourgeois épris de nature.

114Puis avec l’urbanisation des stations créées la plupart du temps ex-nihilo, ce sont les mondanités qui vont être un corollaire du développement du tourisme. Elles sont à la fois un facteur d’attraction et une conséquence du développement touristique. Mais elles font fuir une partie de l’ancienne clientèle vers les petites stations sauvages.

115Les activités multiples mises en place telles que les activités sportives, ludiques et autres ont stimulé le tourisme. Mais sont-elles une raison ou une conséquence du développement touristique ?

L’attrait du calme

116Arcachon et Royan sont les deux destinations phares pour les Bordelais mais chacune a son style et son art de vivre. Arcachon joue la carte de la nature et du calme alors que Royan plaide pour l’élégance océane. Le chroniqueur J. Saint Rieul Dupouy a bien montré quel est le style de la villégiature arcachonnaise :

« Les bains de mer d’Arcachon ne ressemblent en rien à ceux de Royan, de La Rochelle, de Biarritz ou d’Ostende, où sous prétexte de repos, on va chercher la fatigue. Partout, en effet, dans ces lieux de plaisir, on retrouve le bruit, la foule, les cancans, et les exigences du monde : c’est toujours la ville. On est là pour parader, pour poser, pour se faire voir : les journées passent en toilette, et le soir on fait salon.
A Arcachon au contraire, seul à seul avec la nature immense, il semble que vous soyez isolé et retranché du reste des hommes. Arcachon est une sorte d’Océanie française, c’est Taïti à quelques kilomètres de Bordeaux, la vie sauvage à une portée de fusil du foyer de la civilisation.
Tous les ans, pendant les mois de Juin, juillet et d’août, le Bordeaux opulent et riche est à Arcachon, et toute cette petite colonie d’hommes élégants et de femmes jeunes et charmantes, échappée aux ennuis du monde et aux tyrannies de l’étiquette, y vit dans le laissez-aller le plus champêtre.
Arcachon, en effet, c’est le repos avec l’agrément d’une société intime et choisie. Royan, c’est la cohue et le désagrément de se voir heurter à chaque instant par toutes sortes de gens, pour la plupart inconnus »107.

117Donc au départ, Arcachon est recherchée pour son capital silence et calme par rapport aux mondanités des autres stations. Mais le succès remporté par la station avec l’action des frères Pereire et la création de la ville d’hiver change la donne, et les premiers baigneurs venus pour le calme délaissent ensuite Arcachon pour le Cap Ferret ou d’autres stations plus calmes et à l’écart de la foule.

Le bâtiment phare des stations mondaines : le casino

118Dès la monarchie de juillet, les premières stations offrent aux touristes un éventail d’équipements répondant à la morale bourgeoise et aux préconisations des médecins. Le bain ne représente en principe que deux fois un quart d’heure donc il faut occuper le touriste pour le reste de sa journée : les casinos et d’autres occupations se développent alors sur la côte. Mais ce bâtiment est dénoncé par les puristes et les médecins qui y voient un lieu de débauche, d’immoralité et d’agitation contraires au repos souhaité pour la cure.

119Les petites stations réservent des occupations gratuites comme les promenades en forêt, sur la plage, à pied ou à cheval.

120Dans les stations mondaines, les casinos et les établissements de bains deviennent rapidement les symboles de la vie balnéaire. Pour les plus modestes, quelques cabines fixes ou roulantes sont installées sur la plage ; quand on est plus riche, on se rend à l’établissement de bains situé la plupart du temps sur le front de mer.

121Le casino est la réponse donnée par les municipalités à une clientèle aisée qui a soif de luxe et de plaisir. Simple bâtiment de bois au départ, ils deviennent rapidement des bâtiments en pierre avec de riches décorations et les jeux y prennent une place de plus en plus importante. Il attire au XIX^ème et dans première partie du XX^ème siècle, une foule élégante qui y retrouve le luxe et ses habitudes urbaines. C’est un palais des plaisirs avec de multiples activités : salles de lecture et de conversation, cercles, restaurants, théâtre, salles de jeux et de concerts voire théâtre de marionnettes comme à Arcachon. Le casino attire les touristes donc les petites stations essaient aussi d’en construire mais leur architecture est plus modeste et moins huppé. Il est souvent situé sur le front de mer et assez rarement en ville d’Hiver comme à Arcachon. L’Etat dote les casinos d’un statut spécial : le décret impérial du 24 juin 1806 interdit les maisons de jeux exceptés dans les casinos. Puis la loi de 1836 consacre les casinos comme unique salle de jeux. L’arrêté du Conseil d’Etat du 18 juillet 1902 abroge les décrets précédents et finalement la loi du 15 juin 1907 impose un règlement très strict aux casinos.

122Dans les salons des casinos, les touristes peuvent se livrer à différentes occupations108 : petits chevaux, roulette, baccarat109, billard. En 1876, les petits chevaux sont interdits avant d’être à nouveau autorisés en 1886 sous la pression des baigneurs. A Arcachon, une heure de billard coûte 1,50 franc en 1860 soit quatre heures de travail d’un ouvrier110. Les touristes peuvent aussi s’adonner à quelques jeux de cartes comme le whist111, la bouillotte112, le boston113 ou l’impériale114, et à des jeux de société comme les dames, les échecs, les dominos ou le trictrac.

123L’ouverture du premier casino d’Arcachon marque la vie balnéaire du quartier d’Eyrac car il est dans les années 1850 jusqu’en 1867, la seule attraction en dehors des bains de mer. Il faut souligner qu’il est construit après le premier casino de la côte atlantique, le casino de Royan édifié en 1848. C’est un modeste établissement établi à côte de l’hôtel Gailhard. Les gravures de Léo Drouyn le montre avec une vaste galerie circulaire. Il possède une salle de lecture, une salle de bal, un café et un boudoir. Arcachon apparaît alors plus comme une station familiale alors que Royan plus accessible jusqu’en 1857 que ne l’est Arcachon pour les Bordelais, est une station plus mondaine.

124En août 1863, le casino mauresque devient le principal centre de vie sociale à Arcachon : spectacles, concerts, bals... Il doit servir de point central pour la vaste opération immobilière des Pereire. Puis en 1864, est ouvert le Buffet chinois mais qui ne connaît guère de succès. Il épuise six concessionnaires en onze ans.

La mer, lieu de promenade et d’animation

125La mer est un lieu de promenade. Seul le Bassin et les lacs peuvent servir de cadre pour la navigation étant donné que l’océan est redoutable. Ainsi F. Legallais organise des excursions en chaloupe vers le Cap Ferret ou l’île aux oiseaux. Les marins utilisent leur pinasse ou tillole pour promener les touristes sur le bassin. Le nautisme de plaisance s’y développe d’autant plus que les riches Bordelais peuvent facilement y transporter leurs embarcations. A partir du Second Empire, les bateaux à vapeur ou steam boats concurrencent les embarcations traditionnelles. Dès 1864, le vapeur Bordelais organise des excursions quatre jours par semaine depuis la jetée d’Eyrac pour l’île aux oiseaux, le Moulleau, le Pilat, le Cap Ferret.

126La mer est aussi un lieu de spectacle qui fait l’attrait des stations. Le bassin d’Arcachon est la scène de régates et donc de la montée du yachting. C’est un sport anglais qui s’est développé avec la création du Royal Yacht Club en 1812. A Arcachon, ce sont d’abord des initiatives privées : course de tilloles en 1841, course de pinasses organisée par M. Gaillard en 1847 ou course nautique en 1848. En juillet 1852, la Société des Régates Bordelaises fondée par A. Demay115 inaugure une régate de prestige pour faire participer ses yachts. Lamarque de Plaisance crée la Société des régates et fêtes charitables en 1854. La Société des régates d’Arcachon est fondée par A. Deganne en 1866 puis le Yacht Club d’Arcachon en 1873 qui se lie au yacht club bordelais et au Yacht Club de France.

127Les stations qui se construisent progressivement sont aussi un lieu de promenade. Les rues principales du front de mer présentent un foisonnement de boutiques variées dans lesquelles les touristes peuvent alors tout trouver ou presque.

Première architecture et premier urbanisme balnéaire

128La transformation architecturale des bourgs du littoral est venue du tourisme. Mais l’architecture balnéaire qui s’y développe est exogène car il s’agit de reproduire un modèle idéal de maison balnéaire. Cette architecture se doit d’être la vitrine du loisir qu’elle représente. Ainsi l’exubérance et l’innovation sont au cœur de l’architecture balnéaire des débuts. Il se crée donc un paysage balnéaire typique de l’époque : riches villas de front de mer, monuments balnéaires emblématiques de la station et maisons d’habitation permanente en retrait. L’individualisme prime dans un contexte de concurrence des propriétaires tout en reflétant la liberté et le plaisir suscité par le tourisme.

129Il a tout d’abord imposé les maisons en pierre de style néo-classique, incarnation de la demeure balnéaire par excellence. Ensuite sont apparus les chalets avec des galeries et des coursives.

130Puis la thématique exotique s’est imposée avec la création des villas mauresques, du buffet chinois... De fait, après les maisons relativement simples du Second Empire, vont suivre d’extravagantes villégiatures surchargées d’ornement car les entrepreneurs ont laissé libre cours à leur fantaisie débridée. La bourgeoisie triomphante cherche alors à exprimer ses goûts quitte à trop en faire.

131A partir des années 1870 se développent les villas parisiennes ou villas balnéaires qui sont des modèles développés par des architectes et des entrepreneurs dans toute la France. C’est à la base un ensemble compact de briques ou de pierres avec des balcons, des tourelles, des bow-windows, des miradors, des porches, des vérandas, des clochetons, des belvédères, des lambrequins...116 Ces constructions sont proches des maisons rurales traditionnelles basques ou landaises mais n’ont rien à voir avec les futures villas de style régional du début du XX^ème siècle.

132Enfin, il faut souligner qu’en raison du savoir-faire landais de construction en bois les bois découpés se sont développés très rapidement.

Illustration 6 : Les villas balnéaires jumelles de Biscarrosse Plage117

133En conclusion, la rationalisation qui se met en place dès la Restauration dans les stations balnéaires pionnières d’après A. Corbin, a touché plus tardivement la côte des Landes de Gascogne. C’est sous le Second Empire qu’intervient la véritable mise en place de stations organisées pour la baignade standardisée et médicalisée notamment grâce à la contribution du chemin de fer et à l’esprit saint-simonien des frères Pereire. Cependant, il convient de noter que cette organisation ne touche pas l’ensemble du littoral. A la fin du Second Empire, seule Arcachon apparaît comme une station complète, véritable plage de Bordeaux. Les autres lieux touristiques ne sont que des lieux de baignade sauvages qui ne donnent naissance qu’à des embryons de station en raison des problèmes de liaison avec la clientèle potentielle.

134Il apparaît clairement que la région connaît tout comme le cas de Biarritz décrit également par A. Corbin une pratique libre et non médicale des bains de mer. Cette pratique est difficilement quantifiable et estimable car elle n’a pas laissée de traces si ce n’est dans la mémoire collective. Ce sont donc les autochtones, les Landais, qui viennent à l’océan pour s’y détendre mais peut-on les considérer comme des touristes ? Le tourisme implique un déplacement et une recherche de détente, or la plupart des bourgs de la région sont en retrait de la côte de plus de dix kilomètres ce qui implique donc un déplacement volontaire vers l’océan. Il apparaît donc qu’il y a bien une motivation touristique populaire dès le départ.

135Puis est venue la codification médicale des bains par les grands docteurs régionaux ou locaux mais celle-ci est destinée principalement à la grande bourgeoisie régionale et essentiellement bordelaise car la région ne compte pas d’autres grandes métropoles susceptibles de générer un flux touristique important, car l’aristocratie terrienne est assez peu présente et l’aristocratie nationale peut difficilement accéder à cette région excentrée. Donc dans un premier temps, la clientèle balnéaire est essentiellement bordelaise et bourgeoise.

136Enfin l’exemple vient du plus haut sommet de l’Etat avec l’intervention de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie pour développer Biarritz mais aussi Arcachon et ainsi montrer l’exemple à l’aristocratie nationale et internationale. Le mouvement est initié puis exploité et amplifié par la compagnie des chemins de fer du Midi au point de créer une véritable symbiose entre développement balnéaire spéculatif à Arcachon et développement ferroviaire.

137A partir de là naissent les stations balnéaires à proprement parler et non plus de simples établissements de bains qui sont souvent de simples cabanes sur la plage. Ces villes balnéaires qui se créent ex-nihilo et sont des projections des bourgs de l’arrière-pays sur le littoral adoptent des formes urbanistiques et architecturales qui les distinguent de ces bourgs mais qui font qu’elles vont se ressembler entre elles. La seule différence entre les différentes villas balnéaires vient des matériaux utilisés et de la taille du bâtiment, l’inspiration reste la même : l’exotisme mauresque, gothique, néo-classique qui s’impose face aux maisons traditionnelles. Les stations vont également abriter des zones de loisirs et de détente qui s’incarnent parfois dans des salles spécialisées, les casinos.