Chapitre 1 : La conquête du littoral, espace réel et espace exploité
p. 24-49
Texte intégral
Un peu plus loin, on entre dans ce vaste désert de sable nommé les Landes.
C’est le pays le plus triste du monde ; l’eau y est couleur de café, et le sable est à peine couvert, de temps à autre par des pins qu’on écorche pour avoir de la résine.
Même quand il n’est pas écorché, ce pin est le plus vilain du monde.
Stendhal2
1Ce tableau dressé par Stendhal n’est pas élogieux pour le littoral gascon. C’est véritablement un territoire du vide comme l’aurait appelé A. Corbin3. Ce littoral et son arrière-pays est un espace répulsif, changeant, tourmenté. Dans le Sud Ouest de la France s’étend l’Aquitaine, étymologiquement le pays des eaux, qui comprend les bassins de l’Adour, de l’Eyre, de la Garonne et de la Dordogne. C’est une région difficile à délimiter géographiquement car c’est « une construction administrative artificielle »4 et qu’elle présente derrière une certaine unité climatique et paysagère une grande diversité. Cette région semble vouée à ne connaître que le sous-développement à cause de l’aridité des sols, l’impression de solitude, la monotonie du paysage et l’abondance des eaux croupies.
2Les différents réseaux économiques nationaux et régionaux mettent en place une véritable campagne en faveur du littoral gascon pour que s’opère la touristification même si leur but premier est industriel et non touristique. Le paysage gascon opère une véritable transformation pour accueillir les touristes. En effet, les XVIIème et XVIIIème siècles aquitains se sont largement préoccupés de l’aménagement du « désert landais ». Politiques, financiers, ingénieurs, intellectuels accentuent leur intérêt sous la Restauration à travers différentes compagnies et initiatives. Ils apportent alors les capitaux nécessaires à l’élaboration d’une nouvelle identité paysagère. Et de ce nouvel intérêt pour une terre déshéritée naît en écho un désir de rivage. Ainsi les capitaux nécessaires à l’élaboration d’un nouveau produit touristique gascon viennent-ils avec la rencontre entre ce territoire et la vision prophétique et saint-simonienne des frères Pereire qui achève de bouleverser le paysage balnéaire.
3Le XIXème siècle est une période de mutations profondes pour les Landes de Gascogne. Mais ce pays de tradition rurale qui a raté son industrialisation et faiblement peuplé ne semble pas présenter les aspects nécessaires au développement économique moderne. Il est donc important de voir comment les mutations économiques de l’espace littoral gascon finissent par avoir une répercussion sur le développement touristique.
L’identité réelle du littoral des Landes de Gascogne ? Vers le désir de rivage
4La Côte Aquitaine s’étend sur plus de deux cent cinquante kilomètres de la pointe de Grave à la Bidassoa mais notre étude porte sur une partie de celle-ci, la Côte gasconne qui diffère de la Côte Basque par ses caractères géomorphologiques et culturels. La Côte des Landes de Gascogne s’arrête donc à l’estuaire de l’Adour et présente une côte basse, dunaire et de sable blond. En quoi le littoral constitue-t-il un capital identitaire important pour les Landes de Gascogne ?
Le triptyque paysager de la Gascogne
5Les Landes de Gascogne et plus particulièrement la côte présente une grande richesse qui constitue un capital et une ressource importante : l’espace qui est l’un des piliers de la qualité de vie.
6La Délégation Régionale à l’Architecture et à l’Environnement d’Aquitaine qualifie le paysage des Landes de Gascogne comme « monolithique dans sa perception globale et donne l’impression d’être une entité naturelle immuable »5.
7Avant l’intervention du puissant aménageur qu’est l’Etat, le paysage landais est constitué des éléments suivants6 : la plage de sable fin et blond, le massif dunaire constitué de dunes anciennes plus ou moins boisées et de dunes modernes, les étangs et les zones humides forment la lande humide car la plaine sableuse repose sur une couche de grès (l’alios) imperméable. La végétation est constituée de bruyères et d’ajoncs voire de molinie, les villes sont rares et l’habitat est dispersé.
8La plage ou plus précisément l’estran est la zone d’interface entre l’océan et la côte sur laquelle alternent les marées. L’érosion marine et éolienne ont fini par faire ressembler une côte qui semble rectiligne à des dents de scie : les sillons obliques ainsi constitués, appelés haines7 en Gascon, engendrent de forts courants en se vidant ce qui constitue un fort danger pour les baigneurs imprudents. Les vents d’ouest poussent les sables qui s’accumulent pour former le massif dunaire.
9Le bourrelet dunaire présente une largeur variable le long du littoral : un kilomètre et demi à Capbreton et dix kilomètres à Azur. Le processus de formation dunaire a parfois constitué jusqu’à six cordons de hauteur différente croissants vers l’intérieur. En ce qui concerne les dunes anciennes, elles sont souvent situées en bordure des étangs et présentent une forme parabolique au vent donc vers l’ouest. Dans le langage populaire qui se traduit dans la toponymie, ces dunes s’appellent « montagne » ou « truque ». Les dunes modernes quant à elles sont des barkhanes orientées vers l’est. Elles forment la plupart du temps des cordons parallèles au rivage. Ces cordons sont séparés par une dépression humide, la lette ou lède qui va de quelques centaines de mètres de large à deux kilomètres. Les dunes modernes sont mobiles tant qu’elles n’ont pas été fixées par diverses plantations. La Dune du Pilat au Sud d’Arcachon, non protégée et alimentée par les sables du Cap Ferret et du Banc d’Arguin atteint 114 mètres.
10L’avancée des sables dunaires est une préoccupation des populations qui ont donc préféré édifier les villages en retrait d’environ dix kilomètres de la côte. Le littoral ne compte plus les villages qui ont dû se déplacer à cause de la menace des dunes comme Soulac ou Mimizan. Soulac est un village construit au XIème siècle qui a dû être réédifié plus à l’Est au XVIIième siècle car il a été entièrement recouvert par les sables.
11L’autre menace est l’érosion du trait de côté notamment dans le Médoc. La ligne littorale s’est retirée de plus de cent mètres à Montalivet par exemple. Au sud du Bassin d’Arcachon, entre la Dune et Biscarrosse, l’érosion est également forte.
12Ces étendues sableuses dépourvues de végétation donnent à ces paysages landais un aspect inhospitalier voire effrayant. Et cela d’autant plus que la mobilité et la progression de ces dunes vers l’Est menacent les villages situés à proximité des dunes. En ce qui concerne la végétation de la lède, le boisement est ancien et diversifié : pin maritime, chêne pédonculé, chêne tauzin, chêne-liège, genêt, arbousier, houx, fougère et bruyère.
13A une distance qui varie entre quatre et six kilomètres de la côte et parallèlement à elle, s’étendent les lacs aquitains qui doivent leur origine aux cours d’eau barrés par les dunes avant de déboucher en mer. Dans quelques cas, ces cours d’eau arrivent à la mer par de difficiles passages appelés courants comme ceux d’Huchet ou de Contis.
Un espace entre attraction et répulsion
14L’océan apparaît lui-aussi comme un milieu hostile en raison des nombreuses tempêtes océanes qui se joignent aux tempêtes de sable. Les géographes dressent de ce milieu inhospitalier un tableau très noir : troupeaux en liberté, vagabonds qui pillent les épaves, fracas de la mer en furie, hurlement des vents, montagnes de sable qui bougent avec les vents. Cependant, son attraction est forte pour certaines catégories de population qui ne craignent rien de cet enfer : les pêcheurs, les contrebandiers attendant leurs livraisons, les hommes à l’affût d’une épave à piller...
15Ces milieux exercent à la fois une répulsion et une attraction envers les populations locales. La traversée de ces dunes est difficile en raison de l’impression d’immensité, de l’absence de véritables repères et de voies de communication. Ainsi les hommes vont tenter d’exploiter ces dunes comme ils le peuvent en développant par exemple une viticulture appropriée aux sables à Capbreton ou Vieux-Boucau8. Ces vignes atteignent leur apogée au XVIIIème siècle et sont à la fois source d’activité pour une partie de la population mais aussi protectrices en fixant les sables. Les dunes sont aussi des lieux de pâture pour des troupeaux de bovins ou d’ovins placés sous la direction d’un berger perché sur ses célèbres échasses en raison des marécages.
16Les Landes de Gascogne sont une région périphérique de la France. En effet, la distance qui la sépare de Paris est forte jusqu’au milieu du XIXème siècle à cause de la faiblesse des moyens de communication entre la région et le reste de la France. De plus, il faut ajouter des facteurs psychologiques et politiques, la région se sent éloignée, veut vivre ses particularismes contre le pouvoir central et les habitants n’ont pas forcément la volonté de sortir de leur région.
17C’est aussi une région peu peuplée. Depuis 1801, la région a toujours présenté des pertes supérieures et des gains inférieurs à ceux du pays. En 1860, la densité du département des Landes est d’environ trente trois habitants au kilomètre carré alors que la moyenne nationale est de soixante huit9.
Le climat océanique de la Côte gasconne
18Le climat est un préalable au tourisme, une condition nécessaire mais non suffisante pour que le tourisme se développe dans un lieu. La création d’un idéal climatique est en fait une expression sociale et culturelle liée aux modes de vie, aux valeurs, à la sensibilité ou à l’imaginaire. Donc le choix d’un lieu touristique est un choix de société, un effet de mode, plus qu’une variable scientifique liée au climat.
19Le climat de la Côte Gasconne est tempéré : il y pleut souvent mais il ne neige quasiment jamais. Les amplitudes thermiques sont faibles. La température moyenne annuelle est de 13° en raison de l’inertie thermique de l’océan qui atténue les températures extrêmes. Durant l’été, les touristes peuvent compter sur une moyenne mensuelle de 20°. La zone littorale est particulièrement venteuse mais l’intérieur est protégé par les dunes et la forêt. Les précipitations annuelles sont croissantes du nord au sud du littoral. Le littoral est moins arrosé que son intérieur immédiat. Il pleut moins en juillet qu’en août de manière générale. Cependant le littoral des Landes de Gascogne connaît une alternance de beaux étés et de saisons plus maussades contrairement à la Côte d’Azur qui a un climat plutôt stable. La durée d’insolation est supérieure à celle du littoral breton et assez comparable à celle du littoral méditerranée mais reste très fluctuante selon les mois et les années10.
20Sur la plage à proprement parler, l’humidité est relative et l’insolation intense en raison de la pureté de l’atmosphère et de la réflexion des radiations solaires sur le sable blanc de la plage et sur la surface de l’eau. Ce qui crée des conditions propices à diverses pratiques en bord de plage. De plus, la plage bénéficie d’une ionisation intense et positive.
21Le climat des étangs est un mélange d’influences côtières et sylvestres, les vents sont moins fréquents et violents, les précipitations y sont plus importantes, l’insolation y est plus faible et il y fait moins chaud. La présence des plans d’eau crée des microclimats.
22Le bassin d’Arcachon possède un climat particulier lui-aussi. Le climat de la ville d’Arcachon se caractérise par une relative sécheresse et une forte insolation.
23De plus, lorsque les gemmeurs viennent tailler les pins l’air se charge d’émanations balsamiques et vivifiantes.
24Il en est de même pour le paysage. En effet, selon la théorie du sight-seeing11, les touristes ne vont pas vers les paysages mais plutôt vers l’image de ces lieux, image rêvée, projetée par les touristes eux-mêmes mais aussi conditionnée par les brochures, les artistes, les réclames et les guides.
Une identité culturelle forte
25Les Landes de Gascogne sont une terre marquée par une forte identité culinaire et traditionnelle.
26La gastronomie est un élément capital d’attraction touristique. La Gascogne est une région réputée pour sa bonne table et ses vins. Elle passe pour une terre rabelaisienne, un pays de cocagne du bien-manger12. Les récits de voyage font souvent l’éloge de la cuisine gasconne. Les plaisirs de la table et les spécificités locales font aussi l’identité de la région. La table est l’un des aspects essentiels de la convivialité gasconne. Les restaurants et auberges se développent au XIXème siècle. Ce renom est dû à la qualité non seulement de ses productions agricoles, étant donné que la région est essentiellement agricole, ses ressources sont nombreuses, comme les confits de canard ou d’oie, le foie gras, les huîtres sauvages puis cultivées du Bassin d’Arcachon et les cèpes, mais aussi de ses spécialités régionales comme la garbure landaise, la lamproie, les pâtisseries locales... et de ses vins riches et capiteux comme le Médoc et le Tursan. Même si ces productions ne se font pas directement sur le littoral, elles constituent un facteur d’attrait non négligeable pour les touristes qui n’hésitent pas à faire quelques kilomètres pour découvrir ces richesses gastronomiques. Il ne faut pas oublier que le Sud Ouest est aussi une terre de chasse qui est à la fois une sorte de sport traditionnel et un moyen d’alimentation. Les forêts giboyeuses fournissent donc un fabuleux terrain de chasse pour les lièvres, bécasses, cailles, faisans, perdrix, ortolans. Ce dernier est un met rare, prisé et précieux.
27Le Sud Ouest est réputé pour sa festivité et la chaleur de son accueil. La tradition se lit dans divers domaines : les fêtes bien sûr, mais aussi les sports. L’art de vivre landais est incontestablement lié à la fête. Il n’est pas une ville ou village du département qui ne possède pas ses propres festivités. Certaines durent cinq jours et cinq nuits, période durant laquelle on peut goûter au sens de la fête landaise. Les jeux taurins, courses de vaches ou de taureaux, sont profondément ancrés dans la tradition festive des Landes. Mentionnés dès le Haut Moyen Age, ces jeux se déroulent dans la rue ou sur la place du village. Depuis le XVIIIème siècle, les courses ont lieu dans l’arène, espace bâti édifié sur la place publique ou à l’extérieur du bourg par des bénévoles passionnés, simples tribunes en bois ou amphithéâtre en dur. Une commune landaise sur trois possède une arène. Les Landes sont l’un des territoires de la tauromachie en France avec une dizaine de plazas de toros pour la corrida mais aussi des arènes pour la course landaise très présente en Chalosse.
28La course landaise est une tradition tauromachique gasconne répandue essentiellement dans les Landes et le Gers et en Gironde dans une moindre mesure13, et dès le Moyen Age. Malgré les interdictions14, la course landaise finit par se formaliser au cours du XIXème siècle, où elle est pratiquée dans des lieux réservés à ces jeux : les arènes. Les toreros y pratiquent les deux figures emblématiques : le saut et l’écart. De nombreuses arènes sont construites au cours du XIXème et du XXème siècle, principalement dans les départements des Landes, du Gers et de la Gironde comme le montrent les arènes de La Teste et d’Arcachon. La corrida est introduite dans les Landes en 1853 et se mêle à la tradition taurine landaise. Or depuis 1850 et la Loi Grammont les spectacles taurins sont illégaux en France. Les maires de Dax, Mont de Marsan et Bayonne se battent et obtiennent leur maintien dans les Landes15.
La levée des goulets d’étranglement et la révolution landaise
29Le littoral gascon constitue un territoire du vide qu’il faut mettre en valeur pour y développer une activité touristique. Les Landes de Gascogne s’intégrent dans les bouleversements du XIXème siècle. A la fin du Premier Empire, l’essentiel de ce territoire est rural et peuplé de paysans très peu préoccupés par le tourisme. Et cela d’autant plus que leurs conditions de vie sont difficiles et précaires. La faible fertilité des sols, la pauvreté des populations et l’isolement géographique contribuent à donner des Landais une image de sauvages. L’identité gasconne n’existe donc pas car les départements de la Gironde et des Landes sont des constructions administratives réunissant différents petits pays agricoles.
30Le développement régional de grandes compagnies capitalistiques montre l’essor de la grande bourgeoisie et de ses intérêts économiques et commerciaux. L’intérêt porté par la bourgeoisie bordelaise pour les problèmes des liaisons intérieures et assurer le développement commercial de Bordeaux par les liaisons avec un vaste hinterland, l’amène à prendre à son compte l’innovation technologique des chemins de fer. Mais l’intervention d’abord locale ou régionale trouve un nouvel essor avec l’appui de capitaux parisiens souvent issus de la grande finance.
31Quelles sont les actions humaines entreprises par quelques pionniers pour lever les goulets d’étranglement empêchant le développement touristique du littoral gascon ? Qui mène cette véritable révolution nécessaire au Sud Ouest ?
32Jusqu’au milieu du XIXème siècle, comme le montre l’enquête du préfet d’Haussez16 qui dresse un noir portrait de l’économie landaise, le territoire des Landes de Gascogne est dominé par un système agricole traditionnel mêlant cultures et élevage qui est le résultat d’une difficile maîtrise du territoire du fait d’une nature difficilement apprivoisable. Le paysage se compose alors de trois espaces : la forêt, les landes et les exploitations agricoles. Les landes sont la végétation naturelle mais jouent aussi un rôle essentiel dans le système agricole car elles fournissent de la nourriture aux moutons. C’est le pacage extensif des moutons qui est donc l’essentiel de l’activité des hommes de la région. Mais les moutons ne sont pas élevés pour fournir de la nourriture mais pour la production d’engrais sous forme de fumure pour les terres agricoles. Cette agriculture vivrière est plutôt extensive : les paysans cultivent une céréale de base, le plus souvent le seigle, et une céréale secondaire sans jachère grâce à cet apport de fumure sur une terre pauvre et acide. Cette culture est parfois transformée par des moulins. La vigne est une production minoritaire et localisée.
33Les Landes ont connu une modeste industrie métallurgique née au Moyen Age et qui atteint son apogée au XIXème siècle. Cette industrie s’explique par l’abondance de charbon de bois et par la présence d’un médiocre minerai de fer dans la couche d’alios imperméable. Les Landes comptent neuf établissements17 : Arcis, Abesse, Brocas dans le bassin de l’Adour ; Uza, Pontenx et Castets sur le littoral et dans la Grande Lande, Pissos et les deux hauts-fourneaux d’Ychoux. Des forges existent aussi en Gironde à La Teste, Beliet, Belin, Lugos, Saint Symphorien et Beaullac-Bernos. D. Lareillet est un riche bourgeois, né à Ychoux, propriétaire des forges d’Ychoux, de Pissos et de Brocas, et qui a fait bénéficier les Landes d’un certain nombre d’innovations. Pour lui, développement agricole et industriel vont de paire. Et les forges deviennent l’un des débouchés potentiels de la sylviculture naissante : il se crée ainsi une industrie intégrée d’amont en aval. Les maîtres de forge achètent des terres plantées en pins pour maîtriser leur approvisionnement et faire fonctionner leurs usines. Mais le développement sylvicole met fin au système agro-pastoral.
De nouveaux acteurs plus puissants sous le Second Empire
34L’œuvre du Second Empire est essentielle dans la modernisation économique et sociale de la France. Le Sud Ouest dans son ensemble trouve une attention particulière du pouvoir central, de l’empereur et de son entourage. Certains vont décider et aménager et d’autres vont inciter et prescrire pour favoriser le développement touristique.
Napoléon III et le Sud Ouest18 : décider et aménager
35La figure de Napoléon III est sans doute l’une des plus ambiguës et des plus controversées de l’histoire de la France au XIXème siècle. Féru d’agronomie, intéressé par la question sociale et par le sort des classes populaires, il modernise économiquement et socialement la France durant son règne : développement du réseau ferré et des nouvelles industries et valorisation de régions agricoles. L’intérêt de l’empereur pour le Sud Ouest de la France, et notamment pour le département des Landes, a été très précoce, puisqu’il se rend en villégiature à Biarritz. Ainsi, dès 1852, il relance le projet de voie ferrée Bordeaux-Bayonne à travers les grandes Landes, né sous la Monarchie de Juillet. C’est sa première intervention décisive pour les Landes.
36Mais il agit avec plus de force sur le terrain agricole. Au cours de son règne, il ordonne des travaux d’assainissement et de mise en valeur des terres incultes notamment en Bretagne ou en Sologne. Sa politique agricole passe aussi par des forêts françaises mieux aménagées et mises en valeur. Le département des Landes se trouve à la croisée des centres d’intérêts et des volontés modernisatrices impériales. Pour autant, le mouvement de transformation des Landes ne tient pas tout de l’empereur : en effet, ce sont les élites locales qui ont plutôt trouvé auprès du nouveau régime une nouvelle attention à leurs préoccupations et un appui important pour les mettre en œuvre19.
37L’essentiel se produit avec la loi de 1857 sur les communaux landais, et en 1860 par une nouvelle législation qui confirme les dispositions prises trois ans plus tôt. En effet, cette dernière prévoit la privatisation des communaux : lorsque les communes ne peuvent engager les frais nécessaires à l’assainissement des communaux, les travaux sont effectués par l’Etat, qui se rembourse par la vente d’une partie des terrains.
38Napoléon III s’investit personnellement dans la mise en valeur du département, créant une émulation positive auprès de certains hommes influents du régime. Dès 1857, il se fait concéder 7 000 hectares de terres marécageuses et désertiques. Sur ce domaine, qui prend quelques années plus tard le nom de Solférino, en hommage à sa victoire italienne, sont créés de toute pièce un village et des zones agricoles prospères. L’ingénieur Henri Crouzet20 y étudie les meilleures techniques de mise en valeur de la forêt, introduisant de nouvelles cultures comme le coton, le maïs ou la betterave. Le plus célèbre propriétaire landais de l’époque est le comte Colonna Walewski, à qui l’empereur a offert le domaine des marais d’Orx qu’il a acquis en 1858. A nouveau, c’est l’occasion pour Henri Crouzet de procéder à d’ambitieux aménagements : les vastes étendues marécageuses sont asséchées et transformées en prairies et en terres labourables, une trentaine de fermes sont construites ou restaurées. D’autres hommes influents du régime deviennent propriétaires dans les Landes et participent à cet effort de modernisation : les frères Pereire, banquiers du régime et artisans de la ligne de chemin de fer Bordeaux-Bayonne, se rendent propriétaires de 10 000 hectares de landes qu’ils contribuent à mettre en valeur. Eux-mêmes encouragent le baron Haussmann, préfet de Paris et initiateur de la transformation de la capitale, à se rendre acquéreur d’un domaine en Gironde, à Cestas, où est développée la même politique.
39Les bouleversements apportés au département des Landes revêtent également un intérêt d’ordre idéologique pour le régime impérial. La propagande impériale présente en effet volontiers ce département comme un désert ramené à la vie par la volonté de l’empereur, que l’on va jusqu’à appeler le « régénérateur des Landes »21.
Les frères Pereire22 : des entrepreneurs-innovateurs
40Ces financiers de l’empereur, symboles de la nouvelle élite impériale, investissent massivement dans leur région d’origine. On peut donc dire que le financement des grands travaux landais est parisien mais qu’il a quand même une part régionale. De plus, ces hommes sont aussi d’ardents prosélytes d’un socialisme planificateur, le saint-simonisme.
41Emile Pereire est né le 3 décembre 1800 à Bordeaux, Isaac le 25 novembre 1806. Ils sont originaires d’une famille juive d’origine portugaise. A vingt-deux ans, Emile part à Paris. Il y rejoint ses cousins, les Rodrigues, liés à la haute-banque et notamment aux Fould et devient agent de change à la Bourse. Isaac le rejoint en 1825 pour devenir comptable chez Vital-Court. Emile épouse Herminie Rodrigues et côtoie Olinde Rodrigues, l’héritier testamentaire de Claude-Henri Saint-Simon, le fondateur d’une doctrine économique qui veut substituer les producteurs aux oisifs dans le cadre d’un régime industriel. Emile et Isaac sont des saint-simoniens convaincus et militants puisqu’ils collaborent à la rédaction du Globe mais quittent le groupe en 1831 et 183223. Avec les autres saint-simoniens, ils sont convaincus de la nécessité d’un réseau ferroviaire qui se met en place par la concession de 1835. Mais si les frères Pereire ont des idées, l’argent leur fait défaut. Sous la direction d’Emile, secondé par Isaac, la ligne de chemin de fer est inaugurée le 26 août 1837. Les autres lignes suivent. Avec la chute de la monarchie de Juillet puis de la Seconde République et la proclamation du Second Empire, Rothschild hésite et les frères Pereire créent le Crédit Mobilier en 1852. Cet établissement bancaire d’un nouveau genre doit soutenir l’industrie, le commerce et les grands travaux sur la base d’un crédit ouvert aux petits épargnants mais aussi diminuer l’influence des orléanistes au sein de la haute-banque. Ils reçoivent le soutien du ministre Achille Fould, intime du prince-président, Louis Napoléon Bonaparte. Le Crédit Mobilier multiplie les initiatives dans plusieurs domaines : société parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz en 1855, compagnie des chemins de fer de l’est en 1854, et de l’ouest en 1858, compagnie des hôtels et des immeubles de la rue de Rivoli en 1854 et aménagement du parc Monceau à Paris en 1861.
42Avec le développement de l’industrialisation, et après les bouleversements politiques post-napoléoniens, Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint Simon (1760- 1825), théorise l’avènement d’un nouveau type de société, le système industriel. Il distingue la succession de trois modes d’organisation sociale et notamment le système féodal basé sur deux pouvoirs, le religieux et le militaire, et la société industrielle qui s’exprime à travers la classe des industriels, laquelle développe les forces productives. Dans le catéchisme des industriels (1823) ou le nouveau christianisme (1825), il décrit le libéralisme comme une erreur grave car selon la parabole des abeilles et des frelons, les profiteurs et oisifs détenteurs de capitaux, rentiers (les frelons) gagnent plus que les industriels, les travailleurs (les abeilles). Il préconise une économie organisée c’est-à-dire une intervention de l’Etat pour réguler l’économie. Il souhaite fonder une économie nouvelle en l’appuyant sur la justice et la morale collective. Pour lui les structures politiques sont peu importantes face à la structure économique du pays. Le système industriel est porteur d’une dynamique qui doit faire exploser les structures politiques par une prise de pouvoir pacifique des industriels. L’avènement de la société industrielle doit amener la fin de la lutte des classes, une ère de concorde. L’Etat doit être réduit au minimum : l’administration des choses doit remplacer le gouvernement des hommes. C’est un système non démocratique fondé sur une technocratie. La dénonciation de la classe dominante, l’appel à la révolution par les industriels, l’annonce de l’association industrielle répondent aux aspirations sociales des jeunes générations romantiques « perdues » des années 1825-183024 et des classes populaires. Des hommes comme Ferdinand de Lesseps, Michel Chevalier, les frères Pereire forment une école saint simonienne active divisée en deux tendances : l’une néo-capitaliste, l’autre socialiste. Sous Napoléon III, de grands entrepreneurs et banquiers se considèrent dans la droite lignée des idées de Saint Simon : esprit industrialiste, développement économique et critique du libéralisme individualiste. L’influence idéologique est forte sur l’Ecole Polytechnique et sur les ingénieurs des Ponts et Chaussées. Saint Simon apparaît comme le fondateur du socialisme mais aussi le théoricien d’une technocratie soucieuse de rationalisation économique.
Les médecins, princes du balnéarisme : prescrire et inciter
43Jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, la mer est considérée comme un lieu de mort liée à la nuit et à l’abîme. Elle est hantée de dieux colériques, de pirates et de monstres. Elle est source de naufrage et de tempêtes. Les écrits et expériences des Romains et d’Ambroise Paré au XVIème siècle semblent avoir été oubliés. C’est à l’époque le seul remède connu contre la rage : en 1767, Malesherbes, grand commis de Louis XV, voyageant entre Vieux-Boucau et Capbreton, remarque le nombre de « baigneurs qui s’exposent à la vague montante pour morsure de chien enragé »25.
44Ce rapport médical à la mer s’amplifie au XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle : un ensemble d’ouvrages sont écrits pour vanter les bienfaits des bains de mer et donner des conseils aux baigneurs. Le pouvoir médical est à l’origine du tropisme balnéaire grâce à un certain nombre de publications. Le docteur Russel publie en 1753 Effets de l’eau de mer sur les glandes.
45Le docteur Jean Hameau originaire de La Teste écrit très tôt sur les vertus des bains de mer dans son ouvrage de 1835, Quelques avis sur les bains de mer26 qui guérissent « la faiblesse générale ou partielle de la musculature, les engorgements lymphatiques, les rhumatismes anciens... les affections nerveuses, folies et autres altérations mentales... l’hystérie, l’hypocondrie ».
46Le docteur Emile Pereyra, médecin bordelais, diffuse en 1842 l’un des textes fondateurs pour le développement du balnéarisme à Arcachon, Du traitement de la phtisie pulmonaire, quelques réflexions sur les phtisiques observés à l’hôpital Saint André de Bordeaux27. Il faut noter que le docteur Pereyra est le frère de l’un des fondateurs de la ligne de chemin de fer entre Bordeaux et La Teste, et que ce texte a été écrit neuf ans avant le nouveau lancement de la ligne par des cousins, les frères Pereire. Il y prédit l’avenir d’Arcachon pour une clientèle aisée : « Je me suis parfaitement trouvé, pour quelques malades de ma clientèle civile, d’un moyen qui malheureusement ne peut pas être employé par les pauvres, je veux parler du séjour assez longtemps prolongé sur la plage d’Arcachon, près de La Teste... Je ne doute pas que lorsque ce lieu sera connu par un plus grand nombre de médecins, il ne soit fréquenté par beaucoup de personnes atteintes de phtisie commençante, et que leur constitution n’y soit modifiée de la manière la plus heureuse ».
47Il persiste dix ans plus tard en proposant la création d’une station d’hiver dans ce lieu fréquenté par quelques baigneurs pionniers dans son nouvel ouvrage Des bains de mer d’Arcachon. De l’influence des bords de ce bassin sur les tubercules pulmonaires et les maladies du cœur et de l’habitation de cette plage pendant l’hiver par les personnes atteintes de maladies chroniques.
48Le docteur Pereyra soigne ses malades en leur faisant boire l’eau de mer mais aussi en proposant des arénations c’est-à-dire des bains de sable pour soigner les rhumatismes.
La conquête du littoral : la mise en valeur moderne des Landes
49Les Landes, ce désert, ont fait très tôt l’objet de tentatives de planification économique : à la fin du règne d’Henri IV, sous Louis XIV par une politique de concessions de terres à partir des grands domaines appartenant à la noblesse locale, sous Louis XV de nombreux essais sont tentés par des travaux de drainage et de défrichement. Le Suisse Nezer tente une politique de reboisement par une compagnie privée dès 1765. La tentative la plus aboutie est celle de G. Desbiey, receveur des fermes du roi à La Teste, sous le règne de Louis XVI avec son Mémoire sur la meilleure manière de tirer parti des Landes de Bordeaux28 qui remporte en 1776 le prix de l’Académie Royale des Belles Lettres, Sciences et Arts de Bordeaux. Son but est le développement général de la région en réalisant une voie de communication entre Bordeaux et Bayonne et en reliant entre eux les étangs landais mais aussi en reboisant, en défrichant et en peuplant les Landes de Gascogne. La Révolution française apporte un changement de cadre important en créant le département.
50La France du XIXème siècle est en pleine et constante révolution. La révolution est politique puisque la France hésite entre cinq régimes politiques différents. Mais la révolution est surtout économique et sociale avec l’essor de l’industrie et le développement des transports qui entraînent de profondes transformations sociales.
51Le Second Empire est une période charnière car les Landes de Gascogne vont trouver l’intérêt du pouvoir central. Ainsi les Landes vont pouvoir rompre leur isolement et trouver une nouvelle identité.
Investir dans le « désert landais » : le rôle des compagnies
52L’aménagement du territoire par des voies navigables qui est né sous l’Empire trouve son véritable développement sous la Restauration. Les milieux d’affaires girondins commencent alors à y investir en se groupant dans des compagnies. Le légitimisme de la ville de Bordeaux se trouve donc récompensé. Ce réveil économique précapitaliste est l’œuvre principale de deux hommes, l’ingénieur né à Vertus, Claude Deschamps (1765-1843) et du financier Pierre Balguerie-Stuttenberg (1778-1825)29, créateur de la Banque de Bordeaux, inspiré par le saint-simonisme. C. Deschamps a notamment été chargé par Napoléon de réaliser le pont de pierre et la route de Bordeaux à l’Espagne.
53En 1818, le duc Armand-Emmanuel de Richelieu, premier ministre de Louis XVIII vient visiter Bordeaux. C. Deschamps et P. Balguerie-Stuttenberg l’invitent à visiter les Landes accompagné du vicomte Lainé, ministre de l’intérieur. La construction d’un canal de la Garonne à l’Adour est décidée30 : c’est le projet de Canal des Grandes Landes ou du duc de Bordeaux qui s’oppose au projet de canal des Petites Landes31. Pour cela, la première compagnie est créée en 1821. La Compagnie des dunes associe les ingénieurs des Ponts et Chaussées et la finance bordelaise sous la houlette de P. Balguerie-Stuttenberg. Un plan général d’amélioration des Landes est alors programmé avec trois canaux32. Mais la crise financière de 1827 interrompt l’affaire.
54En 1822, le conseil municipal de La Teste apporte son appui à la volonté de construction d’un canal navigable de Bayonne à la Gironde. L’avocat Jean-François Bernard Boyer-Fonfrède décide d’en profiter pour faire construire un canal entre le bassin d’Arcachon et l’étang de Mimizan. Le 1er juin 1834, une ordonnance royale l’autorise à creuser ce canal33. Mais dès le 10 juin, mis en difficulté financière, il remet sa concession à la Compagnie d’exploitation et de colonisation des Landes créée pour l’occasion. Les travaux débutent le 1er avril 1835 après l’achat des parcelles nécessaires. Boyer-Fonfrède est poussé à la démission en mai 1836. En 1840, le premier tronçon du canal long de quinze kilomètres entre Cazaux et La Hume est ouvert au trafic de marchandises puis au tourisme en 1845. En mai 1857, la Compagnie est dissoute. Puis sont vendus les biens : cette liquidation profite surtout à la société Pereire créée en 1856.
55Les 3 et 4 février 1837, la Compagnie agricole et industrielle d’Arcachon au capital de huit millions de francs, est créée pour défricher et mettre en culture en attirant des colons le vaste capital des Landes34. Le duc de Montmorency apporte sa caution à l’affaire. La compagnie s’établit sur les plaines de Cazaux sur les anciens domaines Nezer comme le montre l’illustration n° 1. La propriété est divisée en cinq directions confiées au comte de Bonneval, au marquis de Mazan, au comte de Puységur et aux barons de Blacas Carros et de Pignol et quatre sous-directions qui sont toutes desservies par de petits canaux branchés sur le canal principal. Deux polytechniciens saint-simoniens assistent le baron Blacas Carros dans sa direction : P.E. Wissocq et Pierre-Euryale Cazeau. Ainsi en 1840, la Compagnie est essentiellement aux mains de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie parisienne ! Mais les résultats sont décevants. En 1844, la compagnie est en faillite et le 21 décembre 1846, elle est dissoute.
Illustration 1 : Plan d’aménagement de la plaine de Cazaux vers 1840 d’après la Compagnie d’Arcachon35

56L’échec de ces différentes compagnies est dû à des projets utopiques, grandioses et intensifs. En effet, ces programmes ont voulu faire des Landes une terre industrielle, une zone d’agriculture intensive et un espace maillé par un réseau dense de transports multimodaux (canaux, routes et chemin de fer). Mais la terre des Landes ne supporte qu’une exploitation extensive ce qu’ont compris ceux qui vont les planter de pins.
Boiser les Landes de Gascogne
57Le paysage des Landes de Gascogne a évolué récemment, au XVIIIème siècle. L’Etat veut assainir et reconquérir cet espace en reboisant les Landes de Gascogne. La première étape de la conquête du littoral est donc la fixation des dunes. Mais la transformation radicale du paysage et de la société landaise à la charnière du XIXème siècle ne se fait pas brutalement et n’est pas simplement décrété par le pouvoir politique central. Ce ne sont pas François Jules Hilaire Chambrelent et la loi de 1857 qui ont changé les Landes et la Gironde mais bien les habitants des Landes de Gascogne aidés de quelques hommes36.
58La région a connu plusieurs tentatives isolées de développement de nouvelles productions agricoles et surtout d’implantation de cultures sylvicoles. Les premières tentatives de fixation des dunes remontent au XVIème siècle dans le Marensin et la Maremne donc sur le littoral sud des Landes : les populations ont utilisé des semis de pins et de gourbet pour fixer les sables de l’Adour dès 1518 mais aussi des différents cours d’eau comme à Capbreton en 160537.
59Les historiens arcachonnais voient plutôt le pionnier de la fixation des dunes en la personne de Jean Baptiste Amanieu de Ruât, Captal de Buch, qui tente avec succès en 1716 des semis de pins à la Teste dans la zone du Béquet mais ces semis sont incendiés volontairement par un berger en 1733. D’autres pionniers, l’abbé Louis Desbiey et son frère, Guillaume Desbiey, receveur des fermes à La Teste de Buch, originaires de Castets, rédigent chacun un mémoire pour l’Académie Royale de Bordeaux pour aménager les landes en 1774 et 177638 : ils font alors des essais sur leurs terres à Saint Julien en Born. Ces tentatives de fixation sont des échecs en raison de la résistance des bergers landais qui veulent préserver leurs droits de pacage39.
60Puis les terres incultes des Landes deviennent la proie d’intérêts financiers parisiens. Entre 1773 et 1775, le Comte de Montauzier projette un assèchement des Landes par des canaux navigables et la mise en culture des terres assainies. Entre 1778 et 1781, les rapports de Charlevoix, baron de Villers, ingénieur du génie maritime, préconisent l’ensemencement des dunes par des pins maritimes mêlés à des chênes pour ensuite pouvoir percer un canal à travers les Landes de Gascogne. Il a aussi une vision planifiée de l’ensemble de la mise en valeur de la région : pour éviter que les semis de pins ne soient recouverts par le sable, il préconise de fixer les dunes par des plantations de gourbets, d’ajoncs et de genêts. Mais il est chassé par l’intendant de Guyenne, Dupré de Saint Maur.
61Entre 1787 et 1790, l’ingénieur des Ponts et Chaussées, Nicolas Brémontier aidé par Jean-Baptiste Peyjehan, avec l’appui du captai de Buch, François Amanieu de Ruat, fait fixer par la plantation de gourbets (ou oyats), les dunes de sable du Moulleau qui avancent de vingt à vingt-cinq mètres par an. Il écrit en 1796 un mémoire sur la fixation des sables40, synthèse des propositions précédentes.
Illustration 2 : Les semis Brémontier41

62Cette carte élaborée par Brémontier au XIXème siècle montre les semis réalisés à La Teste de Buch. Il faut remarquer que le Nord se trouve à droite sur la carte ! La bande au milieu de la carte représente les semis qu’il a réalisés. Les massifs à gauche et à droite de la carte sont naturels et existaient avant les campagnes de boisement.
63Le vicomte de Verthamon face à ce succès décide de procéder de la même façon sur ses dunes de Biscarrosse. Mais c’est au XIXème siècle que les travaux changent d’échelle. Les projets de l’ingénieur Brémontier sont repris.
64C’est le baron d’Haussez, préfet des Landes de 1817 à 1819, préfet de la Gironde de 1824 à 1826 et député des Landes en 1827, qui dresse le constat du poids des traditions et élabore une politique de mise en valeur des landes pour donner un développement économique à ces départements42. Dans cet ouvrage il fait un constat accablant : une agriculture déficiente, des hommes défaillants et des incohérences juridiques empêchent le développement de la région. Il propose alors « une explosion des innovations » dans un véritable plan de redressement d’une grande cohérence : il veut régler le problème du statut des biens communaux soit par aliénation soit par location, peupler les Landes par des Français et des Indigents, favoriser les communications par des routes reliant les grandes villes et des canaux entre les grands lacs et développer l’agriculture en asséchant les marais, en aménageant des prairies artificielles et en reboisant. Le préfet d’Haussez est donc bien un précurseur de la planification économique globale et cohérente pour un territoire.
65L’ordonnance du 5 février 1817 confie la fixation des dunes à l’administration des Ponts et Chaussées. A partir de la Monarchie de juillet (1830-1848), cette réflexion connait même une certaine accélération. On peut véritablement parler d’une fermentation sociale et politique croissante, centrée sur la question de la culture du pin et de la modification du statut des biens communaux, terres appartenant aux communes et utilisées en commun par les paysans pour faire paître leurs bêtes. Claude Deschamps écrit en 1832 un mémoire sur l’amélioration des Landes43 dans lequel il montre une nouvelle fois sa vision globale de l’aménagement des Landes par d’importants travaux de modernisation des voies de communication et d’assainissement des marais.
66Sous le Second Empire, l’Etat se lance dans la modernisation de la France et adopte des politiques d’aménagement importantes : boisement et fixation des dunes des Landes de Gascogne sont encouragés44, les grandes compagnies de chemin de fer se développent, Biarritz et Arcachon font l’objet d’une promotion impériale.
67Alors que le système agro-pastoral traditionnel atteint ses limites et que les développements de l’industrie et de l’agriculture au plan national laissent entrevoir de nouvelles possibilités d’expansion, le pouvoir impérial offre aux notables landais, grands propriétaires, négociants et petits industriels, l’appui nécessaire à ces transformations. Sous l’impulsion du polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, Jules Chambrelent, et par la loi du 19 juin 185745, Napoléon III fait planter de Soulac à Hossegor une forêt de pins maritimes pour fixer les dunes de l’intérieur et assainir la région mais aussi des oyats sur les dunes proches de l’océan. En effet l’article premier annonce « dans les départements des Landes et de la Gironde, les terrains communaux actuellement soumis au parcours du bétail seront assainis et ensemencés et plantés en bois aux frais des communes qui en sont propriétaires ». Tout un système de fossés appelés crastes est mis en place pour drainer l’eau de la région. Un canal est aussi créé reliant le bassin d’Arcachon au plan d’eau unique du Médoc qui se scinde alors en deux. En 1830, la forêt compte 200 000 hectares puis 300 000 en 1857 et 600 000 en 187346. Cependant, même fixée, les dunes restent mobiles et dangereuses pour les constructions : risque d’ensablement ou de chute.
68Le littoral aquitain est resté à l’écart des modifications économiques et sociales du Moyen Age et des Temps Modernes. Il n’en reste que quelques traces : l’église romane de Soulac, l’église de la Sauveté de Mimizan, une tour à Arès. La plus grande partie du pays aquitain est constitué alors de landes d’ajoncs et de bruyères. Les communautés agricoles qui vivent dans les airials forment des quartiers qui se distinguent des bourgs où se trouve l’église. Cependant sur les chemins de Compostelle, entre Soulac, La Teste et Bayonne, quelques villages anciens se sont constitués et étoffés. Donc le littoral aquitain connaît essentiellement une mise en valeur extensive du point de vue humain et économique.
69La modernisation des Landes est l’œuvre d’ingénieurs des Ponts et Chaussées comme Nicolas Brémontier et surtout de X-Ponts comme Claude Deschamps, Jean-Baptiste Billaudel, Paul Régnauld, Jules Chambrelent ou Henri Crouzet. En définitive, malgré les efforts d’aménagements forestiers, le paysage littoral aquitain donne une impression d’espace infini et de nature préservée.
La deuxième étape de la conquête du littoral : la fixation des courants
70Les dunes posent un autre problème : celui du débordement des étangs qui ne peuvent déverser leurs eaux vers l’océan car leurs émissaires, les courants, sont souvent obstrués par les sables. Face à ce milieu inhospitalier, les hommes vont quand même tenter de le maîtriser.
71Les dunes ne sont donc pas les seules à avoir connu de grands travaux : les étangs et zones humides ont, eux aussi, été aménagés par les hommes. Les étangs sont le résultat de la création du massif dunaire qui forme un barrage à l’évacuation des eaux superficielles vers l’océan. Seul le bassin qui forme l’estuaire de la Leyre a réussi à évacuer les sables. Les courants qui permettent aux étangs de se jeter dans l’océan sont caractéristiques des Landes de Gascogne. Le plus exemplaire est le courant d’Huchet qui longe le cordon dunaire sur plusieurs kilomètres et permet à l’étang de Léon de se jeter dans l’océan. Les grands étangs du Born sont reliés entre eux par des canaux creusés au XIXème siècle et se jettent dans le courant de Mimizan.
72Certaines communes ont considéré que les étangs sont nuisibles en raison de l’instabilité des boucaux, les courants reliant les étangs à l’océan, qui provoquent souvent des inondations. De plus, les marécages sont sources d’insalubrité et de maladies souvent mortelles.
73Les hommes se mobilisent donc contre ces menaces sous la direction de l’Administration des Ponts et Chaussées. Le chapelet d’étangs entre Capbreton et Tarnos ainsi que leurs émissaires côtiers comme le Boudigau accueillent les premiers semis de pins. Mais cet ensemencement est difficile et la mobilisation des populations locales est mal perçue et incomprise : les maires ont du mal à faire venir les populations dans les ateliers de semis au début du XIXème siècle47. Cependant, à partir de 1817, la fixation des dunes s’accélère car les Ponts et Chaussées voient leur dotation augmentée.
74Mais surtout les Landais tentent de redresser les courants : les travaux des embouchures des fleuves côtiers de Contis et Huchet sont commencés dès 1801. Ces travaux sont de simples chenaux creusés à travers les dunes pour rejoindre directement l’océan. Mais ce sont des échecs. Des digues sont alors construites pour y parvenir : en 1819-20 à Capbreton, à Huchet en 1833, Vieux-Boucau en 1840 et Contis en 1843 mais ce sont des échecs en raison de la force de l’océan ou du déplacement du courant. C’est seulement à partir de 1860 que les embouchures sont mieux fixées : 1860-61 pour le Boucarot de Capbreton et pour Contis, 1869 pour Vieux-Boucau. Seul celui d’Huchet n’est pas régulé.
75Les étangs de Saint Julien, de Lit et d’Orx ont été asséchés complètement. Ce dernier fait pourtant 2 604 hectares.
L’appropriation des terrains
76L’appropriation des terrains est liée à la libération des terrains mais surtout aux procédures juridico-financières. En effet, les terrains côtiers appartiennent à l’Etat voire aux communes et parfois à des particuliers suite aux grands travaux d’ensemencement. Il faut donc mettre en œuvre différentes procédures d’appropriation des terrains : don, aliénation, échange, vente directe ou adjudication sont les procédures les plus courantes.
77L’Etat peut vendre des terrains aux communes littorales qui en font la demande comme Soulac qui, au Second Empire, demande dix-sept hectares pour le développement de son urbanisation48.
78L’Etat peut céder des terrains aux particuliers49. Par exemple, par les lois de 1860 et 1863, l’Etat autorise des aliénations de forêts domaniales au Cap Ferret et des ventes de terrains en bordure du bassin à des particuliers : Léon Lesca, entrepreneur de travaux publics, originaire de La Teste, qui a participé à l’aménagement de Boulogne sur Mer, Alger et Philippeville, conseiller général de la Gironde de 1873 à 1898, achète des terrains au Cap Ferret et en 1866, il y édifie la villa algérienne de style mauresque.
79L’Etat peut échanger des terrains50. Ainsi en 1899, la Société Immobilière de Lacanau obtient 295 hectares de dunes domaniales contre 334 hectares de lèdes enclavés dans la forêt d’Etat. Mais aussi, M. Labro échange 2550 hectares de forêt dans le Midi contre 493 au Cap Ferret ! Enfin D. Meller acquiert 143 hectares au Pilat contre 463 hectares de forêt près de Cazaux.
80Il existe des enclaves privées appartenant à des familles nobles, à des agriculteurs voire à des forestiers qui sont progressivement achetées par des rentiers, des nobles ou des bourgeois pour y construire des villas. Par exemple, le domaine d’Arès est vendu en 1848 à Léopold Javal. Puis sa fille, Mme Wallerstein, cède en 1912 une partie de son domaine d’Andernos (Broustey et Bétey) mais refuse de construire sur le reste de sa propriété.
Le désenclavement partiel
81Pour se rendre dans les Landes, il n’y a qu’une seule route, la route d’Espagne. Tracée par les troupes du génie sous Napoléon Ier pour permettre à l’artillerie de passer par les Pyrénées pendant la campagne d’Espagne, cette nationale est empierrée par endroits et pavée ailleurs51. Quelques travaux ont lieu en 1837. De fait, le réseau routier se fait en peigne à cheveu pour se rendre ensuite dans les stations du bord de mer. Il n’existe aucune route littorale pour relier les stations entre elles.
82Le sol sablonneux des Landes de Gascogne empêche l’entretien de la route Bordeaux-La Teste qui devient un bourbier chaque hiver. L’empierrement ne peut se faire depuis Bordeaux mais le transport des pierres par de lourds convois détruit le travail. La mise en valeur des Landes apparaît donc très difficile. Comme le montre l’historien du chemin de fer de La Teste à Bordeaux, G. Bouchon, le voyage est difficile : « On quittait Bordeaux à 4 heures du soir, après des secousses abominables, dans une voiture ouverte à tous les vents et à la pluie. Et encore n’avait-on pas cette bonne fortune qu’en été. En hiver, on ne trouvait pour faire le trajet que des charrettes à poisson. C’était encore un résultat des plus satisfaisants, paraît-il, car les routes avaient été améliorées depuis peu. Avant, on ne pouvait faire le voyage qu’à cheval ou en chars traînés par des bœufs, qui ne franchissaient la route qu’en trois jours et trois nuits, heureux quand les débordements de la Leyre n’interrompaient pas, près de Lamothe, les communications, ou que le voyageur, en traversant Gazinet, ne se perdait pas dans des marais dangereux ou ne laissait pas sa bourse aux mains de hardis pillards qui, prétendait-on, avaient établi leur repaire en cet endroit. Ces améliorations dataient de 1832. Une allocation de 100 000 francs avait été affectée par le département à la réparation et à l’achèvement de la route de Bordeaux à La Teste »52.
83O. Dejean montre bien que cet accès difficile rend presque impossible le développement d’Arcachon : « La Teste était comme étrangère au reste de la France, par la difficulté qu’il y avait à s’y rendre. Les Landais, habitués à des chemins couverts d’eau pendant l’hiver, et de sable pendant l’été, pouvaient seuls se décider à faire un pareil voyage, aussi les habitants de Bordeaux connaissaient à peine ce pays, et la majeure partie ne se doutait certainement pas de ce qu’était le Bassin d’Arcachon »53.
84Cette route départementale n° 4 de Bordeaux à La Teste commence à être empierrée en 1837 pour être achevée par le Conseil Général en 1855 grâce au chemin de fer qui permet l’apport plus rapide des matériaux ! Un pont est construit sur la Leyre pour remplacer le bac54.
85De même, la route de Saint Jacques de Compostelle qui passe par Soulac puis se dirige vers le Sud, vers Grayan, Lacanau et Le Porge, est en aussi mauvais état.
86En 1835, Louis Godinet55, notaire à Bordeaux est à l’origine de l’autorisation de construire un chemin de fer de Bordeaux à Arcachon avec l’aide de M. Rocher, mais surtout d’Alexandre de Blacas-Carros, Paul-Emile Wissocq et Pierre-Euryale Cazeau pour mettre en valeur la région. P.-E. Cazeau demande l’appui d’Emile Pereire pour obtenir la concession de la ligne de chemin de fer. En effet suite à un rapport de C. Deschamps et après le vote de la Chambre des Députés le 3 juin 183756 puis celui de la Chambre des Pairs le 2 juillet, la loi autorisant la création d’une voie ferrée entre Bordeaux et La Teste aboutit à une autorisation royale le 17 juillet 1837. Fortuné de Vergés est déclaré adjudicataire et non Louis Godinet. Il fonde une société anonyme de cinq millions de francs avec l’aide de Charles et Ferdinand-Jean Bayard de la Vingtrie, Nathaniel Johnston et fils, Henry-Nicolas Hovy, Walter et David Johnston, Henri-Cart Mestrezat, Aristide et Louis Pereyra, Jacques Galos et fils, David-Frédéric Lopès-Dias. Ce sont les frères Rothschild qui financent l’affaire. Le duc d’Orléans vient poser la première pierre le 24 août 1839 et la ligne est inaugurée le 6 juillet 1841 : c’est l’une des toutes premières lignes de chemin de fer en France qui relie Bordeaux à La Teste en une heure et quarante-cinq minutes avec vingt et un arrêts pour faire cinquante deux kilomètres. Dans un premier temps, la ligne est à voie unique57. La gare de départ, la gare de Ségur, est située Barrière de Pessac58. Le but de cette ligne n’est pas touristique à la base. En effet, pour les fondateurs Arcachon doit devenir l’avant-port de Bordeaux et le développement de la pêche industrielle et des Landes doivent générer un fort trafic de marchandises.
87Comme le souligne fort justement le chroniqueur Saint-Rieul Dupouy en 1850, c’est un nouveau far-west qui s’ouvre en Aquitaine : « C’est le chemin de fer qui a révélé La Teste aux Bordelais. Qui donc se doutait qu’il y avait à quinze lieues seulement d’une grande ville, un pays aussi pittoresque, aussi neuf et original, avec des mœurs à lui, la mer à deux pas, une forêt grandiose, solitaire, sauvage, pleine d’harmonies étranges et mystérieuses comme une forêt du Nouveau Monde, et un bassin de seize lieues de tour, qui sert de porte à la grande mer ? Le chemin de fer a été le Christophe Colomb de ces terres nouvelles et inconnues ; il a porté l’aisance, le mouvement et la vie. Avec le chemin de fer, Arcachon est devenu une banlieue de Bordeaux, et l’on s’y rend aujourd’hui plus facilement qu’à Bruges, à Caudéran, à Talence ou à Lormont. Un négociant de Bordeaux peut quitter Arcachon chaque matin à sept heures, être à neuf heures à la ville ; et ses affaires terminées se trouver le soir à quatre heures au sein de sa famille. Laissez donc Paris se relier à Bordeaux par un rail-way et vous verrez bientôt la plage d’Arcachon visitée par nos plus charmantes Parisiennes »59.
88Mais tout comme la Compagnie agricole et industrielle d’Arcachon, la Société de chemin de fer est mise sous séquestre le 30 octobre 1848 après sa liquidation judiciaire. A La Teste, Jean Charles Alphand a fait construire le débarcadère d’Eyrac de 1843 à 1845 qui doit être le point de départ de la création d’un grand port sur la côte gasconne.
89Dans le Médoc, le gouvernement concède à une compagnie privée le 17 octobre 1857 une ligne Bordeaux-Le Verdon. Mais les souscripteurs britanniques ne tiennent pas leurs engagements et en 1858 c’est un échec. En 1863, M. Poujardhieu, ancien secrétaire général de la Compagnie des Chemins de Fer du Midi, parvient à obtenir avec l’aide des vignerons une adjudication pour une nouvelle concession. Le président du Conseil d’Administration de la Compagnie de chemin de fer du Médoc, le comte Lahens achète alors des terrains à Soulac. Mais la lenteur des expropriations en raison du prix élevé des terrains et la crise européenne des chemins de fer ralentissent la création de la ligne60. Il est important de souligner qu’au départ cette ligne de chemin de fer n’a pas un intérêt touristique et qu’elle n’a pas été construite dans ce but.
Carte 2 : Le réseau routier et ferroviaire en 185861

Auteur NOAILLES Mikael, d’après O. Dejean
Les Landes modernes : nouveau système économique et nouvelle société
90La forêt des Landes de Gascogne qui compte environ un million d’hectares de pins, a représenté une ressource économique importante pour la région avec l’essor des transports et notamment du chemin de fer. Cette révolution des transports entraîne une spécialisation des régions françaises. Dans cette première partie du XIXème siècle, les pins sont coupés et exportés sous forme de poteaux de mine pour le Royaume-Uni en pleine industrialisation : les Landes rurales ont donc contribué au développement industriel et économique du Royaume-Uni en lui fournissant une matière première essentielle alors qu’elles font preuve d’un retard de développement économique. La résine a aussi constitué une ressource importante pour le calfatage des bateaux participant ainsi à la révolution des transports qui a favorisé l’industrialisation. C’est pourquoi le pin est appelé « l’arbre d’or »62.
91Mais surtout cela fait naître un nouveau système agricole basé sur l’exploitation de la forêt de pin et tourné vers l’industrie du bois et des dérivés de la résine. Cette révolution économique essentielle pour le pays permet l’enrichissement de certaines classes sociales qui profitent alors du développement touristique. Le passage du système agro-pastoral traditionnel au système sylvicole contraint une partie de la société gasconne à se reconvertir voire à disparaître. Mais cette mutation économique contribue à forger une identité locale en diffusant un modèle social et unissant les Landais dans un même travail, celui du pin.
92Avec la loi de 1857 de privatisation des communaux, la concentration foncière se met en place : les grands propriétaires rachètent systématiquement les parcelles des petits propriétaires asphyxiés par le nouveau système sylvicole.
93Une grappe de facteurs encourage la production de gemme et favorise le développement de la sylviculture et du gemmage :
la croissance de l’industrie, grande consommatrice de bois et le développement d’innovations techniques pour la transformation de la résine, justifient la politique impériale de développement des zones forestières et l’aspiration des propriétaires landais à voir se développer cette production, ouverte sur un marché national et international.
le blocus, décidé en 1861 par Abraham Lincoln, des Etats américains du Sud lors de la Guerre de Sécession. La France devient le seul pays pouvant fournir des quantités importantes de produits résineux. Dès 1862, le cours de la barrique de gemme s’envole alors et cette dernière devient une production attractive pour de nombreux propriétaires de la région, tout comme pour des spéculateurs extérieurs au département. Même si elle n’est que de courte durée, la période de croissance soutient le mouvement de concentration foncière, en rendant la production de gemme encore plus attractive aux yeux des investisseurs et des propriétaires.
94Aux deux extrémités de l’échelle sociale, la mise en place de ce nouveau système agricole reposant sur l’exploitation de la forêt a pour conséquence de remodeler fondamentalement les catégories sociales, leur mode de vie et leur identité. Pour le cas des métayers, le fait essentiel est celui de la diffusion de la rente en argent. Leur mode de vie reste à plus d’un titre austère et précaire et ne connait pas d’amélioration sensible, malgré la prospérité du commerce de la gemme au cours des années 1860. Les grands propriétaires forestiers se constituent en une véritable bourgeoisie terrienne adoptant des comportements relativement nouveaux. On assiste par exemple, à l’essor d’une nouvelle architecture bourgeoise, qui tranche avec les critères de différenciation sociale caractéristiques de la période précédente. Les propriétaires habitant encore la région se regroupent en effet dans les bourgs, rompant ainsi avec le milieu paysan, et imposent un nouveau style : construction de maisons massives agrémentées de vastes parcs, abandon du bois pour la pierre et de l’ardoise pour la tuile d’importation.
95Mais la conséquence la plus grave de ces bouleversements économiques tient sans doute au sort fait aux acteurs du système agro-pastoral traditionnel. La vente des communaux condamne les petits propriétaires qui ne peuvent plus faire paître leur troupeau et qui donc ne peuvent donc plus en tirer les fumures nécessaires à la fertilisation de leurs terres. Ainsi l’exode rural s’accélère-t-il et connaît-il une ampleur bien plus grande que dans d’autres régions françaises à la même époque.
96Ces transformations ne se font pas sans résistance. La privatisation des communaux et leur transformation en plantations de pins se heurtent à l’hostilité des pasteurs, qui refusent de voir disparaître les espaces de pacages essentiels à l’équilibre de leurs exploitations. Cette hostilité se manifeste par le déclenchement de nombreux incendies. Ainsi, pour les trois années 1869, 1870 et 1871, plus de 36 000 hectares de forêt sont détruits par le feu. Les domaines les plus touchés sont de plus ceux des grands propriétaires absents de la région, comme les frères Pereire. Dans certaines zones, cette révolte pastorale a quelques résultats et fait reculer pour un temps la forêt. Mais de façon générale, elle est vaine et ne fait que reculer l’échéance.
97Excentrée la région n’a pu bénéficier d’une véritable industrialisation mais plus encore son économie agricole subit la crise du phylloxera entre 1869 et 1885 qui ruine le vignoble et fait fuir les élites rurales. La bourgeoisie doit alors trouver d’autres moyens de développement économique et le tourisme semble faire partie de ces plans.
98En conclusion, le paysage littoral des Landes de Gascogne qui se crée au cours du XIXème siècle repose sur un triptyque paysager qui fait l’identité de cette région : la plage et ses dunes, la forêt de protection et de production et les lacs intérieurs. Il constitue un facteur d’attrait touristique avec le climat tempéré océanique.
99Le renversement des valeurs permettant l’émergence du tourisme balnéaire se produit principalement sous le Second Empire par l’entremise de nouveaux acteurs à commencer par l’Empereur lui-même mais aussi ses financiers, les frères Pereire, et les docteurs de l’époque. La révolution touristique va s’inscrire dans une révolution économique et sociale plus générale : les lignes de chemin de fer servent d’accélérateur aux flux touristiques car elles cherchent à exploiter des mouvements déjà existant plutôt que de les créer, le boisement des landes incultes et la fixation des courants permet aux élites locales de créer des stations nouvelles sans craindre de les voir englouties quelques années après. C’est sous l’impulsion saint-simonienne tant des frères Pereire que de l’Empereur que les Landes de Gascogne connaissent des mutations considérables qui déterminent le futur développement touristique.
100Les transformations du paysage landais permettent l’émergence d’une élite locale, faite de notables, de grands propriétaires fonciers mais aussi de petits industriels comme les maîtres de forges. C’est cette même élite qui mène la révolution touristique sur l’ensemble du littoral. La monoculture sylvicole et le développement d’une petite industrie métallurgique brisent les rêves de développement équilibré à travers un système agro-sylvo-pastoral.
101A partir de ces aménagements, la côte océane est donc accessible à la plupart des personnes. L’évolution des mœurs et des mentalités permet le développement de la villégiature balnéaire.
Notes de bas de page
2 STENDHAL, Journal d’un voyage dans le Midi de la France. F. Maspero, Paris, 1981 (mais écrit en 1838 et édité en 1858).
3 CORBIN A., op. cil.
4 PAPY L., Les Landes de Gascogne et la Côte d’Argent. Privât, Toulouse, 1981, 183 p.
5 WAGON B., Conseil d’Architecture d’Urbanisme et d’Environnement des Landes, D.R.A.E.A., Le littoral aquitain, paysage et architecture, Libourne, 1987, p. 12.
6 CASSOU-MOUNAT M., op. cit.
7 Ce qui signifie baignoire en patois.
8 TAILLENTOU J.-J., « Les Landais à la conquête du littoral », in Bulletin de la Société de Borda, Dax, 1999, p. 127.
9 BLOCK M., Statistique de la France comparée avec les autres Etats de l’Europe, Librairie d’Amyot, Paris, 1860, p. 40 ; disponible dans sa version numérisée http://books.google.fr/books?id= 4C8BAAAAQAAJ
10 CASSOU-MOUNAT M., op. cil., p. 12-36.
11 Ce terme vient du Grand Tour quand le voyageur anglais riche et curieux avec son Guide visite ce qui doit être vu c’est-à-dire videnda ou sight-seeing.
12 F.H.S.O., Du bien manger et du bien vivre à travers les âges et les terroirs, Actes du LIVème Congrès d’Etudes Régionales de la F.H.S.O. à Brantôme les 19 et 20 mai 2001, M.S.H.A., Pessac, 2002, 505 p.
13 A.D.G. 4 M 465, Course de taureaux (1836-1937).
14 Au XVIIème siècle, des bulles papales tentent d’interdire les courses landaises. Puis au XVIIIème siècle, Richelieu tente lui aussi d’interdire les spectacles taurins. Louis XIV finit par l’autoriser à condition de se faire dans des lieux fermés et à l’écart du bourg. Au XIXème siècle, les préfets sont chargés de codifier cette pratique jugée barbare. Après 1950. le spectacle taurin se livre au tourisme et de nouvelles arènes sont construites à Parentis, Soustons, Vieux Boucau.
15 Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement des Landes, Conseil Général des Landes, Catalogue de l’exposition « Les espaces tauromachiques en pays landais », 1988, 12 p.
16 D’HAUSSEZ, Considération sur l’agriculture et l’industrie dans les Landes, 1819.
17 JOANNE P., Géographie du département des Landes, Paris, Hachette, 1912.
18 MILZA P., Napoléon III, Paris, Perrin, 2007, 852 p. et CURTIL C., Napoléon III, mythe ou marketing dans la grande Lande ?, Mémoire de D.E.S.S., Bordeaux IV, 2002, 35 p.
19 SARGOS J., Histoire de la forêt landaise : du désert à l’âge d’or, Bordeaux, L’Horizon Chimérique, 1997.
20 Cf. biographie n° 1 en annexe 25. On peut retrouver les différents rapports de l’ingénieur des Pont et Chaussées, H. Crouzet, aux Archives Départementales des landes (A.D.L.), article 18 S 1 sur la mise en valeur des Landes.
21 SARGOS J., op. cil.
22 AUTIN J., Les frères Pereire. Le bonheur d’entreprendre, Perrin, Paris, 1984, 428 p.
23 PICON A., Les Saint-simoniens : raison, imaginaire et utopie, Belin, Paris, 2002, 381 p.
24 VIGNY A. (de), Confessions d’un enfant du siècle. Charpentier, Paris, 1866, 382 p.
25 Cité par TUCOO-CHALA A., « Avec Malesherbes dans les pays de l’Adour en 1767 : de Dax à Biarritz », in Revue de Pau et du Béarn, 1989.
26 HAMEAU J., Quelques avis sur les bains de mer. Lavigne jeune, Bordeaux, 1835, 35 p.
27 PEREYRA E., Du traitement de la phtisie pulmonaire, quelques réflexions sur les phtisiques observés à l’hôpital Saint André de Bordeaux, ed. Ch. Lawalle, Bordeaux, 1842, 84 p.
28 DESBIEY G., Mémoire sur la meilleure manière de tirer parti des Landes de Bordeaux quant à la culture et à la population.
29 BONIN H. (dir.), Les patrons du second Empire à Bordeaux et en Gironde, Paris, Picard, 1999, 223 p.
30 Archives Départementales de la Gironde (A.D.G.) SP 849, canal des Grandes Landes, jonction de la Garonne à l’Adour.
31 A.D.G. 6 J 14, Canal des Grandes Landes, rapports de Billaudel et Deschamps.
32 BILLAUDEL J.-B., Les Landes en 1826, esquisse d’un plan général d’amélioration des Landes de Bordeaux, A. Brossier, Bordeaux, mai 1826, 168 p.
33 A.D.G., 7 M 642, travaux d’aménagement des Landes : canaux.
34 A.D. G. SP 848, Ponts et Chaussées, Compagnie agricole et industrielle d’Arcachon.
35 A.D.G., SP 848, la Compagnie d’Arcachon.
36 SARGOS J., op. cil.
37 Ces rappels historiques sont tirés de KAUFFMANN P., « Dans la forêt d’Arcachon » in Le Tour du Monde, Tome LXIV, n° 1665 de 1891.
38 DESBIEY L., Recherches sur l’origine des sables de nos côtes, sur leurs funestes incursions vers l’intérieur des terres et sur les moyens de les fixer ou du moins d’en arrêter les progrès, Bordeaux, 1774 ; DESBIEY G., Mémoire sur la meilleure manière de tirer partie des Landes de Bordeaux quant à la culture et à la population, Bordeaux, 1776, 62 p.
39 A.D.G. 6 J 68, amélioration des Landes de Gascogne.
40 BREMONTIER N.T., Mémoire sur les dunes : et particulièrement sur celles qui se trouvent entre Bayonne et la pointe de Grave, à l’embouchure de la Gironde, Imprimerie de la République, Paris, Thermidor an V (1796).
41 Ibid.
42 D’HAUSSEZ, Eludes administratives sur les Landes ou collection de mémoires et d’écrits relatifs à la contrée renfermée entre la Garonne et l’Adour, Bordeaux, 1826, 303 p. que l’on peut retrouver aux Archives Départementales de la Gironde.
43 A.D.G. 6 J 68, mémoire de C. Deschamps.
44 A.D.L. 18 S 1, assainissement et mise en valeur des Landes, et 19 S 1, fixation des dunes et A.D.G. 6 J 75, défrichement et ensemencement des dunes, tableau des semis et plantation en Gironde et dans les Landes, remise à l’Administration des Forêts (1809-1834).
45 A.D.G. 7 M 641, loi du 19 juin 1857 relative à l’assainissement, l’ensemencement et à la mise en culture des Landes de Gascogne, application de la Loi en Gironde.
46 A.D.G. 7 M 641, rapports de l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées.
47 A.D.L. 19 S 1, fixation des dunes.
48 A.D.G. 7 M 535, forêt de Soulac, ventes de terrains dans la forêt et sur la plage, 1849-1895.
49 A.D.G. 7 M 531-534, concessions de terrains au Cap Ferret (1867-1899) ; 7 M 538, concessions temporaires dans la forêt de Carcans et d’Hourtin ; 7 M 539, concessions temporaires dans la forêt de Lacanau.
A.D.L. 7 M 459-460 : aliénation des forêts de l’Etat (1831-1865), 7 M 461-462 : aliénation, concessions et locations de parcelles de forêts domaniales (1856-1940).
50 A.D.G., 7 M 524-525, échanges de terrains.
51 A.D.G. 6 J 63, Route de Paris à Madrid en passant par Bayonne (1812-1833).
52 BOUCHON G., Histoire du chemin de fer de Bordeaux à La Teste, Gounouilhou, Bordeaux, 1891, p. 14-15.
53 DEJEAN O., Arcachon el ses environs. Paris-Bordeaux, 1858 (réédité en 1983 par Res Universis, Paris)
54 Emporté par une crue en 1842, il est réparé l’année suivante. Il est à nouveau détruit par les Allemands en 1944.
55 DEJEAN O., op. cit., p. 2.
56 A.D.G. 4 L 1416/2 : quatre brochures relatives aux discussions à la chambre des députés.
57 Elle est doublée en 1855.
58 Elle y reste jusqu’en 1855. En effet, la ligne Tours-Bordeaux est inaugurée en 1852 : il faut donc une liaison entre les lignes du Paris-Orléans et celles du Midi. Elle se fait sur les quais de Paludate : c’est la gare Saint Jean en bois jusqu’en 1896 puis reconstruite entre 1898 et 1902.
59 SAINT RIEUL DUPOUY, L’été à Bordeaux. Feret fils, Bordeaux. 1850.
60 CHAUNUC L., Un centenaire : le chemin de fer du Médoc, Biscaye frères, Bordeaux, 1973, 101 p.
61 Carte inspirée de celle d’O. Dejean, op. cit.
62 SARGOS J., op. cit.
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