La construction d’une économie touristique sur la Côte Aquitaine des années 1820 aux années 1980
|Introduction
Texte intégral
Aux habitants du village sérère de Sinthiou Mbadane (Sénégal) pour m’avoir réappris les valeurs simples de la vie.
A ma famille pour son soutien et son amour.
Un grand merci à M. Bouneau pour ses encouragements durant ces quelques années.
« Je te hais, Océan ! Tes bonds et tes tumultes,
Mon esprit les retrouve en lui ; ce rire amer
De l’homme vaincu, plein de sanglots et d’insultes,
Je l’entends dans le rire énorme de la mer. »
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, LXXIX, Obsession
« Un jour, avec Guillaumet, je me suis rendu à Parentis.
Je n’ai jamais vu autant d’abeilles sur les fleurs et les bruyères et je me suis dit :
voilà un village où la vie s’écoule comme du miel »
Antoine de Saint Exupéry
- 1 MAALOUF A., Les identités meurtrières. Grasset, Paris, 1998, 216 p.
L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, Elle se construit et se transforme tout au long de l’existence.
Amin Maalouf, Les identités meurtrières1
- 2 PONTET J., JOURDAN J-P, BOISSON M. (dir.), A la recherche de l’Aquitaine, C.A.H.M.C., Bordeaux 3, 2 (...)
- 3 TUDESQ A.-J., Patrimoine de l’image. Images du patrimoine en Aquitaine, M.S.H.A., Bordeaux, 1997, 2 (...)
1L’histoire contemporaine de l’Aquitaine est l’histoire d’une longue quête identitaire2 : a-t-elle une identité géographique ? Elle ne correspond pas complètement au bassin aquitain. Une identité historique ? Elle ne correspond pas non plus à la généralité de Guyenne ou de Gascogne. Une identité administrative ? Cette hypothèse est un peu plus probante car l’Aquitaine est une région administrative qui recouvre cinq départements mais dont l’identité a eu du mal à s’imposer face aux fortes identités basques, bordelaises... En matière touristique, l’identité est mise en scène et implique un acte de communication3. La communication touristique concourt à la promotion touristique d’un site ou d’une région à travers des affiches notamment mais en renvoie également une certaine image. Les Landes de Gascogne connaissent un problème d’identité car cette entité n’est pas plus connue des autochtones que du public extérieur.
- 4 CASSOU-MOUNAT M., La vie humaine sur le littoral des Landes de Gascogne, 2 vol., thèse de géographi (...)
- 5 Cf. carte à la fin de cette introduction.
2L’histoire du tourisme sur la côte de cette région s’insère donc dans cette quête d’une identité et participe de l’élaboration de cette identité. Mais tout d’abord, il convient de définir de quelle partie du littoral nous parlerons dans cette étude. En effet, la côte aquitaine n’a qu’une identité très récente et formelle : elle a toujours été formée de deux ensembles qui ont connu des histoires différentes et ont des identités opposées. La côte des Landes de Gascogne rassemblant les communes littorales de Gironde et des Landes a une identité géographique forte : un triptyque paysager unique formé d’une plage de sable fin, d’un océan vif et d’une forêt de pins maritimes ponctuée d’étangs. Cet espace a connu un aménagement humain fort dès le XIXème siècle. Cette côte des Landes de Gascogne qui a une réalité géographique comme l’a montré M. Cassou-Mounat4 prend une tournure historique et identitaire au début du XXème siècle avec la création de la Côte d’Argent. Enfin la création administrative des régions au cours de la deuxième moitié du XXème siècle aboutit à la création d’une Côte Aquitaine englobant les littoraux des trois départements de la Gironde, des Landes et des Basses Pyrénées puis des Pyrénées Atlantiques qui doit imposer une nouvelle identité. Le pendant de cette côte est la côte basque, côte rocheuse, urbanisée et marquée par le caractère du peuple basque. Ainsi, malgré ces changements de dénominations, notre étude porte sur le même espace géographique : les communes littorales et lacustres des Landes et de la Gironde formant un ensemble plus ou moins cohérent5. Mais nous n’oublierons pas quand même d’évoquer l’arrière-pays, cet hinterland, qui fournit des investisseurs notamment bordelais, des touristes puisque les villes sont plus à l’intérieur que sur le littoral et aussi des lieux de visite pour les mauvais jours.
- 6 « Il n’est d’histoire scientifique que quantifiable » in LEROY-LADURIE E., Le territoire de l’histo (...)
- 7 « De l’histoire récit à l’histoire problème » in FURET F., L’atelier de l’histoire, Flammarion, Par (...)
- 8 définies comme « un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des (...)
- 9 CHANDLER A.D., Stratégies et structures de l’entreprise, trad. de Ph. Schaufelberger, Ed. d’Organis (...)
- 10 RIOUX J-P., SIR1NELL1 J-F. (dir), Pour une histoire culturelle, Seuil, Paris, 1997, 455 p.
- 11 SIRINELLI J-F., Les baby-boomers : une génération (1945-1969). Fayard. Paris. 2003, 324 p.
3Mais l’histoire du tourisme souffre d’un manque d’intérêt des historiens notamment pour le temps long. L’étude du tourisme en histoire s’inscrit dans le renouveau des champs d’étude historiques dans le cadre d’une histoire économique et sociale, quantitative6 et problématisée7. Notre étude sur le tourisme se base donc sur une histoire des entreprises étudiant la structure, la doctrine, les acteurs, les discours, la stratégie et l’esprit d’entreprise de la Mission Interministérielle d’Aménagement de la Côte Aquitaine (M.I.A.C.A.). Mais l’histoire de la consommation touristique permet d’étudier les services, la culture matérielle et les comportements de consommation. L’histoire politique permet aussi de se pencher sur le rôle des décideurs politiques, de l’Etat et des institutions dont fait partie la M.I.A.C.A., des réseaux. L’histoire des organisations8, marchandes comme les entreprises, ou non marchandes comme les administrations ou les partis, a longtemps été laissée aux autres sciences humaines et sociales alors qu’elle s’est constituée aux Etats-Unis notamment autour d’A.D. Chandler9. L’histoire de la planification économique et de l’aménagement du territoire, décisions hautement politiques, prend alors un nouveau visage. L’histoire culturelle permet d’étudier la culture de masse10 dont fait partie le tourisme. L’évolution des comportements touristiques, les processus de diffusion des pratiques, selon le processus de création / réception / appropriation, sont partie prenante de l’histoire culturelle. La première génération découvre le tourisme, imite les aristocrates, les suivantes, notamment celle du baby-boom11, se l’approprient, l’organisent de manière plus rationnelle et contribuent à sa massification et la dernière qui réinvente un tourisme à sa mesure. La nouvelle génération apparaît comme moins moutonnière, plus individualiste, que la précédente. Celle-ci a sûrement été plus active que ne l’ont vu certains auteurs pour qui les hommes subissent totalement les évolutions les dépassant.
- 12 BURNET L., Villégiature et tourisme sur les côtes françaises. Hachette, Paris, 1963, 484 p. et CRIB (...)
- 13 DUMAZEDIER J., Vers une civilisation des loisirs, Paris, Seuil, 1962, 319 p. et LANQUAR R., Sociolo (...)
- 14 CHASSAGNAC F., Le tourisme dans le Sud Ouest. Thèse de doctorat en Sciences Economiques sous la dir (...)
- 15 CASSOU-MOUNAT M., op. cil. et CHADEFAUD M., Aux origines du tourisme dans les pays de l’Adour. Du m (...)
- 16 BOYER M., Le tourisme, Seuil, Paris, 1972, 287 p. et BOYER M., L’invention du tourisme : origine et (...)
- 17 BOYER M., Histoire du tourisme de masse, « Que Sais-Je ? » n° 3480, P.U.F., Paris, 1999, 127 p.
- 18 CORBIN A., L’avènement des loisirs, 1850-1960, Paris, Aubier, 1995 ou RAUCH A., Vacances en France (...)
4Le tourisme apparaît aujourd’hui comme un champ de recherche reconnu et digne d’intérêt des scientifiques divers et variés : géographes12, sociologues13 ou économistes14 alors que l’histoire du tourisme est un domaine pour le moins inexploré surtout d’un point de vue régional15. Les études pionnières en histoire datent de la fin des années 1980 : elles portent soit sur son invention16 donc sur la période du XVIème au XIXème siècle soit sur sa démocratisation ou sa massification17 soit sur une approche socio-culturelle18. L’histoire du tourisme est donc redevable de ces pionniers et doit rester pluridisciplinaire.
5Donc comment étudier l’histoire d’une région touristique ? En utilisant la chronologie générale du tourisme ou la micro-histoire ?
6En effet, on distingue cinq phases de développement du tourisme et de la « révolution touristique » : l’invention du Grand Tour par les Anglais au XVIIIème siècle, puis la « saison thermale » créée à Bath au XVIIIème siècle, ensuite le « désir du rivage » et la vogue des bains de mer, le tourisme climatique hivernal sur les Rivièras et enfin le développement des sports d’hiver. En France, le grand bouleversement a lieu sous le Second Empire lorsque se mêlent révolution des transports et révolution touristique notamment à Arcachon.
7Doit-on utiliser des idées générales et les plaquer sur un territoire ou au contraire étudier la spécificité de ce territoire pour l’inclure dans un tout plus général ? Il semble donc plus intéressant pour étudier l’identité d’un littoral touristique de l’étudier pour lui-même, pour ses ressemblances avec les autres côtes mais aussi et surtout pour ses différences dans l’espace et le temps.
8Mais qu’est-ce-que le tourisme, terme qui paraît tant galvaudé aujourd’hui ?
- 19 PY P., Le tourisme, un phénomène économique, La Documentation française, Paris, 1996, p. 5.
- 20 CUVELIER P., Anciennes et nouvelles formes du tourisme : approche socio-économique, L’Harmattan, Pa (...)
- 21 C.E.S.R., Entre maîtrise et marchés, les enjeux du tourisme aquitain, Bordeaux, 1998, p. 51.
- 22 Idem.
- 23 BOYER M., op. cit., p. 6.
9Même si le mot « touriste » ne fait son apparition qu’au XIXème siècle sous la plume de Stendhal, l’activité touristique est un phénomène qui « plonge ses racines dans l’Histoire »19. La définition du terme est assez problématique. Il désigne un ensemble d’activités économiques difficile à englober. La définition du tourisme est sans doute moins économique que sociale : « le phénomène touristique se présente à la fois comme un aspect de nos sociétés placé au cœur de l’histoire sociale et comme un enjeu économique significatif »20. Selon la définition officielle, le tourisme « comprend les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans des lieux situés en dehors de leur environnement habituel à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs »21. D’où la définition donnée par les instances internationales (Société Des Nations puis Organisation Mondiale du Tourisme) pour désigner le touriste comme « toute personne qui se rend [hors de son] lieu de résidence habituelle [...] pour au moins une nuit, mais pas plus d’une année [...]. Ce terme s’applique aux personnes qui se déplacent pour des raisons de loisirs, d’agrément et de vacances, de visite à des parents ou amis, de voyages d’affaires et professionnels, de santé et traitement, de religion et pèlerinage et autres motifs »22. Mais il ne faut pas oublier les excursionnistes qui sont des voyageurs à la journée. La station est alors le lieu de passage ou de séjour de ces catégories de personnes. Nous avons donc choisi de garder comme définition celle de M. Boyer dans son Histoire du tourisme de masse, « le tourisme est l’ensemble des phénomènes résultant du voyage et du séjour temporaires de personnes hors de leur domicile en tant que déplacement satisfait, dans le loisir, un besoin culturel de la civilisation industrielle »23.
- 24 M.I.T.– K. NAFOU R. (dir.), Tourismes 2, moments de lieux, Mappemonde, Belin, 2005. p. 8.
10Cette étude sur le temps long, quasiment 150 ans, du tourisme moderne, de sa naissance à son apogée, plonge au cœur des racines du tourisme d’aujourd’hui, à travers l’aménagement touristique qui en est, depuis le départ, la marque indéfectible, sans négliger l’environnement social, politique et économique dans lequel il s’inscrit. Il faut donc étudier comment par la démocratisation et la massification, le tourisme est passé de la marge au cœur du système socio-économique et politique aquitain. En effet, comme l’a montré F. Braudel, les principes restent, les modalités évoluent. Mais la relativité de l’espace-temps est une donnée non négligeable : une situation est relative à un moment donné et à un espace donné, elle s’inscrit bien sûr dans un temps long mais elle est surtout la conséquence d’un événement. De plus, le temps ne s’écoule pas de manière linéaire ou cyclique, mais tel une vis sans fin : rien n’est immuable, tout bouge, tout bouge sans cesse ; le fait n’est pas absolu mais relatif à une situation, à un lieu donc à un moment précis d’une civilisation. Le tourisme apparaît donc comme un « jeu complexe d’interactions localisées et localisantes »24.
11Le développement touristique est le résultat du développement d’une classe moyenne au pouvoir d’achat croissant à partir des années 1970. Il est aussi le résultat des politiques étatiques de réduction du temps de travail, produit des luttes et revendications sociales. De fait, l’offre touristique s’est accrue avec le développement des moyens de communication, chemin de fer puis automobile qui ont réduit les distances virtuelles et réelles. Conjuguée à une hausse de la demande, cette offre a permis la progression constante du tourisme.
12Alors le tourisme est-il une simple pratique sociale ou une industrie de services qui fait des touristes de simples consommateurs moutonniers ou indépendants ? Nous avons donc vu que le tourisme est un phénomène socioculturel que peut étudier l’histoire sociale notamment dans les processus de diffusion, d’imitation, de différenciation et d’ostentation mais aussi dans ses liens avec la moyennisation de la société. Souvent les études sociales portent justement sur la critique de l’esprit moutonnier des touristes, de l’uniformisation et de la massification. Mais n’oublions pas que l’imitation n’est pas une simple copie, il y a forcément adaptation à l’environnement géographique, économique et culturel. L’analyse microéconomique présente au contraire le touriste comme un acteur économique et donc maître de sa décision qui fait le choix entre ses désirs et la réalité dictée par certaines contraintes comme son budget. Mais le tourisme est donc aussi un phénomène économique un peu spécial puisque le touriste consomme son produit en se déplaçant et qu’un certain nombre de critères de satisfaction de la demande sont qualitatifs et non quantitatifs. Comme toute activité économique, il est soumis au processus de « destruction créatrice » qui contraint les acteurs du secteur à innover sans cesse soit dans le produit touristique soit dans le procédé soit dans l’organisation pour s’adapter aux nouveaux comportements touristiques, pour faire gagner du temps et donc développer le secteur touristique. De fait, le tourisme balnéaire a traversé les siècles en étant dans un processus de reconversion en continu. En conclusion, le tourisme est une pratique sociale qui s’insère dans un champ économique plus ou moins mondialisé. C’est un phénomène humain donc complexe et divers résultant de facteurs psychologiques, sociologiques, historiques, géographiques et culturels. Il paraît donc impossible de saisir dans son intégralité la complexité du phénomène.
13Faut-il appliquer un modèle touristique ou un modèle de cycle touristique pour étudier l’histoire d’une région touristique ?
- 25 MIOSSEC J.-M., « Un modèle de l’espace touristique », L’espace géographique n° 1, Paris. 1977, p. 4 (...)
- 26 BUTLER R.W., « The Concept of a tourism area cycle of evolution : implication for management of res (...)
14La stricte application des modèles de cycles du tourisme nous paraît être une erreur. Certains ont appliqué le cycle de vie du produit de Vernon et ses quatre étapes : le lancement, la croissance, la maturité et le déclin. D’autres s’attachent à montrer l’évolution de l’espace touristique régional25 ou encore de la station26. Pour eux le déclin est inévitable sous la pression de la masse. Le schéma est simple : pendant la phase d’exploration, des pionniers découvrent une région périphérique d’accès difficile et dont l’économie présente des signes de sous-développement. Puis vient la phase d’implication et de développement pendant laquelle la région voit le nombre de touristes augmenter, l’économie touristique se complexifier, les gros investisseurs arriver. Il faut alors planifier et développer les infrastructures. Mais le lieu se dégrade : pollution de l’eau et de l’air, perte de qualité des services... Ensuite s’instaure une phase de consolidation où le taux de croissance diminue car le produit est devenu standard. Après, pendant la phase de stagnation, la destination commence à ne plus être à la mode, le marketing tente de maintenir le nombre de visiteurs. Enfin c’est le déclin car la destination ne reçoit plus assez de touristes et les profits chutent : il faut relancer la station. Ce modèle connaît des problèmes d’adaptation à toutes les réalités locales. Le lieu touristique est donc une production sociale qui s’inscrit dans une histoire.
- 27 DEPREST F., Enquête sur te tourisme de masse : l’écologie face au territoire. Belin, « Mappemonde » (...)
- 28 CHADEFAUD M., op. cit.
- 29 DEPREST F., op. cil., p. 147.
15Or selon F. Deprest, « le modèle du cycle de vie est une forme de dénégation de cette histoire »27. Chaque lieu produit des conditions d’évolution différente : des chercheurs comme M. Chadefaud28 ont voulu utiliser la notion de cycle de vie du lieu touristique tout en essayant d’éviter cette tentation linéaire. La vision du changement des utilisateurs du concept de cycle de vie est négative puisque c’est une forme de déclin : « si un lieu dépendant d’une mono-activité économique comme le tourisme voit une diminution de cette activité en volume financier ou en espace, et une réaffectation partielle à de nouvelles fonctions (congrès, migration de retraite, résidence secondaire voire permanente) s’agit-il de déclin ou d’enrichissement ? »29. Il y a en fait une possible redynamisation constante par l’innovation qui crée une stabilisation du mouvement à un fort niveau sans déclin. Le tourisme doit-il toujours être mesuré en termes quantitatifs, alors que certaines destinations font le pari du qualitatif créant une sorte de tourisme à deux vitesses entre les destinations pour la masse et les lieux pour les pionniers, voire en alliant les deux formes sur le même territoire ?
- 30 Le post-fordisme est un autre terme désignant la société post-moderne mais du point de vue producti (...)
16Pour P. Cuvelier, il y a autant de cycles que de produits et ce modèle est adapté pour décrire un produit rationalisé par des méthodes de production, mais inadapté pour décrire le post-fordisme30. De plus, le concept de cycle de vie fait preuve d’un déterminisme négligeant le caractère historique et culturel des pratiques touristiques : à partir de quel seuil la masse touristique est-elle inacceptable pour le territoire provoquant son déclin ? Tout est relatif. La transformation est, en fait, la fin de la consommation de masse standardisée : est-ce vraiment quelque chose de mauvais ? Pour ceux qui cherchent le profit, la réponse est positive bien que les nouveaux produits diversifiés aient une valeur ajoutée plus importante et donc puissent générer un profit plus important. Au niveau social et quant à l’épanouissement personnel, la réponse est négative. Tout dépend aussi de ce qui se cache derrière les termes de saturation ou de déclin : si on définit la saturation comme une forme de banalisation, alors le cycle n’a plus une valeur négative d’un point de vue social puisque c’est la traduction d’un accès généralisé au tourisme. L’attractivité touristique n’est pas une ressource non renouvelable puisque c’est une construction sociale. Ce n’est donc pas une activité minière qui peut épuiser sa ressource. En fait, la clientèle se renouvelle sans cesse : les départs de touristes d’un site sont suivis de nouvelles arrivées et facilitent la diffusion du tourisme sur d’autres sites par essaimage. C’est un cercle vertueux. Les théories des capacités de charge, appliquant à une donnée sociale une formule physique, sur lesquelles s’appuient certains tenants du développement durable, visent à satisfaire les exigences de clientèles fortunées tout en limitant l’accès à certains sites.
- 31 KNAFOU R. (dir.), Tourisme 1, lieux communs, « Mappemonde », Belin, Paris, p. 50.
17La notion de cycle s’appuie aussi sur l’idée que le tourisme est basé sur une mode avec ses initiateurs, ses suiveurs et ses imitateurs31. On voit le tourisme comme une répétition simplifiée des pratiques aristocratiques. Or une mode ne dure pas alors que les sites touristiques perdurent. On peut donc douter du caractère à la mode ou non d’une destination. Derrière l’expression se cachent des motivations plus profondes : le site convient à un besoin et à une pratique. Le tourisme crée les conditions de son propre dépassement par une puissante dynamique d’innovation bien supérieure à un simple phénomène de mode.
18Faut-il quantifier les flux touristiques ?
19On peut quantifier et connaître le tourisme par des enquêtes, des sondages, le dénombrement des arrivées dans les hôtels et les campings à travers l’étude de la taxe de séjour, les statistiques de biens de consommation courante... Tous les indicateurs, taux de fonction touristique, taux de départ en vacances sont lourds à mettre en place sur une longue période et ne mettent pas en évidence les touristes de passage. Les modes de mise en valeur plus ou moins intensive du capital touristique demandent surtout une valorisation du qualitatif au détriment du quantitatif si largement glorifié dans les années soixante et soixante-dix.
- 32 RAMONET I., Géopolitique du chaos, Galilée, Paris, 1997, 160 p.
- 33 PONTET J., JOURDAN J-P, BOISSON M. (dir.), op. cit.
20Dans un contexte de mondialisation qui invoque des forces de fusion et d’intégration de plus en plus poussée des économies et des hommes mais aussi des forces de fission identitaire et communautaire32, se poursuit la recherche des identités régionales dans le miroir du passé. La question de l’identité aquitaine se pose aussi car elle peut apparaître plus comme un assemblage d’identités locales33. La région Aquitaine, construction administrative du XXème siècle, a souvent été considérée comme sous-développée : les marécages insalubres du XIXème siècle ont laissé place au désert landais sous-industrialisé. Or dès le XIXème siècle, le tourisme a été utilisé pour (re)vitaliser l’économie régionale. Ce dynamisme touristique, fondé sur un modèle de développement extensif, a conforté l’identité régionale sur laquelle il se base. Le tourisme a pris comme terreau l’identité d’un pays mais il l’a aussi construite voire reconstruite. En effet, comme le montre la citation en exergue, qu’est-ce que l’identité aquitaine sinon une construction historique, un héritage humain plus qu’une identité supposée « naturelle » ? Et cela d’autant plus que le littoral aquitain doit imposer une identité propre, clairement identifiable, pour exister sur le marché concurrentiel des côtes touristiques face au risque de banalisation et d’uniformisation. Ce littoral doit donc valoriser une originalité culturelle. L’image de cette côte apparaît transparente face à la force de l’imagination que déclenchent des noms comme Arcachon, Soulac voire Hossegor et Lacanau, stations à la réputation bien établie. Ce littoral n’est-il que l’assemblage bancal de réputations et de stations ou est-il un ensemble cohérent avec son identité propre ?
21Comment les trois éléments du triptyque identité / pratiques sociales / politiques d’aménagement ont-ils interagi au cours des siècles ? Quelle place tiennent le littoral, sa construction identitaire et son image rêvée, dans la construction de l’identité et dans les processus d’aménagement de la région Aquitaine ? Les actions de résistance à l’aménagement ne sont-elles pas des mouvements régionalistes et donc identitaires ? Quelles permanences mais aussi quelles innovations sont apportées dans cette construction ? L’originalité du Sud Ouest Atlantique ne réside-t-elle pas dans son retard de développement et son modèle extensif et qualitatif de développement ? Quelle est la contribution du tourisme à la construction identitaire du littoral aquitain ?
22Cette étude qui voit les évolutions identitaires de la côte des Landes de Gascogne se fonde sur diverses sources. Il faut cependant faire remarquer que le tourisme étant au XIXème siècle un phénomène marginal les sources sont assez peu nombreuses ou très diluées alors que pour le XXème siècle avec l’aménagement étatique les archives sont pléthoriques et les indicateurs de statistiques économiques et sociales ont été développés.
23Nous avons tout d’abord consulté différents fonds d’archives. Tout d’abord les archives départementales des Landes et de Gironde. Les articles concernant le tourisme sont souvent peu nombreux car la classification touristique est très récente. On peut cependant chercher dans d’autres séries que la série 8M spécifiquement touristique. Nous avons donc consulté les archives concernant les différents transports, chemin de fer ou route. Mais le fonds le plus important pour nous a donc été celui de la Mission Interministérielle d’Aménagement de la Côte Aquitaine.
24Nous avons aussi investi quelques fonds d’archives municipales des stations touristiques qui, étant donné leur petite taille, ne conservent souvent que les registres des délibérations des conseils municipaux. Nous avons donc consulté les archives des stations de Soulac, Carcans, Montalivet, Lacanau, Arcachon, Andernos, Mimizan, Biscarrosse, Hossegor et Capbreton tant les délibérations des conseils municipaux que les archives des Syndicats d’Initiative-Office de Tourisme. Cette lecture a été longue et fastueuse mais a rapporté quelques anecdotes plus ou moins importantes.
25Le travail sur les sources imprimées s’est concentré sur l’étude de différents guides touristiques conservés dans les différentes archives ou à la Bibliothèque Municipale d’Arcachon ou à la Bibliothèque Municipale de Bordeaux-Mériadeck. Ces différents guides nous ont donc permis de comprendre les mentalités de l’époque et leur évolution. Pour la période plus récente l’étude de la presse régionale comme Sud Ouest grâce aux revues de presse conservées aux archives départementales ou au centre de recherche et de documentation du journal a été précieuse pour apporter un contre-point aux documents officiels. La presse nationale comme Le Monde est également abondante sur l’aménagement touristique.
26Enfin la bibliographie est à la fois pléthorique sur le thème général du tourisme, sur les différentes monographies régionale et locales. Il a donc fallu faire le lien et la synthèse de ces divers éléments épars pour constituer une étude plus globale et arriver au plan suivant. Et donc cette thèse est largement tributaire des travaux précédents dans des domaines aussi variés que les travaux de géographes, de sociologues, d’aménageurs car on ne peut faire table rase de ce passé et de ces acquis. Cependant, ils ne concernent pas toute la période étudiée ni la même problématique mais des points particuliers de cette étude et leur référence semble indispensable. Enfin, certaines références que l’on peut penser bibliographique sont en fait des sources imprimées pour les historiens: certaines études de géographes, économistes et sociologues des années 1970 et suivantes fournissent des photographies du littoral à un instant donné souvent à travers des études de terrains qui peuvent alors resservir mais comme source primaire.
27Le plan adopté suit une évolution chronologique en trois temps identitaires. Cependant, en raison de l’état des sources, la première partie portant sur le tourisme comme phénomène minoritaire est plus courte que les autres parties qui, elles, bénéficient de sources plus variées et importantes. Tout d’abord, le temps des pionniers et des premiers promoteurs correspond à la Côte gasconne et à l’action de la compagnie du Midi pour stimuler l’essor du tourisme dans les différentes stations touristiques du littoral. Ces précurseurs du tourisme, découvreurs de sites, inventent de nouveaux lieux touristiques. De la monarchie de Juillet voire le Second Empire jusqu’à la fin du XIXème siècle, le tourisme est centré sur quelques stations prestigieuses mais apparaît aussi dans quelques sites plus isolés. S’impose alors l’œuvre pionnière de la Compagnie du Midi des frères Pereire et son identité exogène et romantique. C’est la rencontre entre deux hommes visionnaires et l’esprit d’entreprise de l’époque, et une région. C’est l’époque où l’on croit que tout est possible, que l’on peut faire de cette région inculte un véritable eldorado. Les entreprises et les compagnies se multiplient pour assurer le développement de la région, pas forcément pour le tourisme mais leurs projets vont le faciliter. C’est le temps des premiers bains de mer, de leur organisation et des premières mondanités et de leur codification. L’architecture touristique se démarque de l’architecture urbaine par son éclectisme et son exubérance.
28Puis vient le temps des spéculateurs et de la dénomination qui correspond à la Côte d’Argent comme l’a appelée M. Martin. A la Belle Epoque, naît donc cette réappropriation de l’ensemble du territoire littoral. C’est le temps du développement des stations sous la forme de lotissements menés par des promoteurs-spéculateurs avec l’embourgeoisement et le début de démocratisation. En effet, le décollage économique de la région permet l’émergence de nouvelles classes sociales qui peuvent avoir accès au tourisme. Les pratiques commencent à évoluer mais les lieux demeurent les mêmes malgré la hausse de fréquentation. C’est le moment de l’entrée en modernité des stations touristiques mais aussi de l’essor des différents sports et loisirs. L’architecture touristique tend à se démarquer de l’époque précédente par la création d’un style néo-régional.
29Enfin arrive le temps des aménageurs soit le temps de la Côte Aquitaine dominé par l’intervention de l’Etat pour adapter le littoral à la massification par un aménagement global et fonctionnel. C’est une innovation organisationnelle qui se développe à cause de la révolution de la massification, des changements de rythme et de forme du tourisme. Mais la Mission d’aménagement doit faire face à différentes oppositions et contestations. Cette étatisation des loisirs et de l’aménagement s’est pourtant accompagnée de la recherche d’un développement local et d’une identité propre plus qu’administrative. C’est aussi l’époque de la massification du tourisme marquée par un fort développement de la fréquentation touristique et une évolution des pratiques touristiques allant de l’uniformisation à la personnalisation.
Notes
1 MAALOUF A., Les identités meurtrières. Grasset, Paris, 1998, 216 p.
2 PONTET J., JOURDAN J-P, BOISSON M. (dir.), A la recherche de l’Aquitaine, C.A.H.M.C., Bordeaux 3, 2003, 347 p.
3 TUDESQ A.-J., Patrimoine de l’image. Images du patrimoine en Aquitaine, M.S.H.A., Bordeaux, 1997, 292 p.
4 CASSOU-MOUNAT M., La vie humaine sur le littoral des Landes de Gascogne, 2 vol., thèse de géographie, Bordeaux 3, 25 mars 1975, Atelier de reproduction des thèses, Lille, 1977, 1087 p.
5 Cf. carte à la fin de cette introduction.
6 « Il n’est d’histoire scientifique que quantifiable » in LEROY-LADURIE E., Le territoire de l’historien, Gallimard, Paris. 1973, p. 20.
7 « De l’histoire récit à l’histoire problème » in FURET F., L’atelier de l’histoire, Flammarion, Paris, 1982, 312 p.
8 définies comme « un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure [...] par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux » in CROZIER M, FRIEDBERG E., L’acteur et le système : les contraintes de l’action collective, Seuil, Paris, 1977, p. 286.
9 CHANDLER A.D., Stratégies et structures de l’entreprise, trad. de Ph. Schaufelberger, Ed. d’Organisation, Paris, 1989, 543 p.
10 RIOUX J-P., SIR1NELL1 J-F. (dir), Pour une histoire culturelle, Seuil, Paris, 1997, 455 p.
11 SIRINELLI J-F., Les baby-boomers : une génération (1945-1969). Fayard. Paris. 2003, 324 p.
12 BURNET L., Villégiature et tourisme sur les côtes françaises. Hachette, Paris, 1963, 484 p. et CRIBIER F., La grande migration d’été des citadins en France. Thèse de Géographie sous la dir. de G. Chabot, Université de Paris, Editions du C.N.R.S., 1969, 403 p.
13 DUMAZEDIER J., Vers une civilisation des loisirs, Paris, Seuil, 1962, 319 p. et LANQUAR R., Sociologie du tourisme et des voyages, « Que sais-je ? », P.U.F., Paris, 1985, 127 p.
14 CHASSAGNAC F., Le tourisme dans le Sud Ouest. Thèse de doctorat en Sciences Economiques sous la dir. de J. Lajugie, Bordeaux 1, mars 1956, 137 p. et BARETJE R., DEFERT P., Aspects économiques du tourisme, Berger-Levrault, Paris, 1972, 355 p.
15 CASSOU-MOUNAT M., op. cil. et CHADEFAUD M., Aux origines du tourisme dans les pays de l’Adour. Du mythe à l’espace : un essai de géographie historique, Cahiers de l’Université, Université de Pau et des Pays de l’Adour, 1988, 1010 p.
16 BOYER M., Le tourisme, Seuil, Paris, 1972, 287 p. et BOYER M., L’invention du tourisme : origine et développement du tourisme dans le Sud Est de la France du XVIème siècle au Second Empire, Thèse d’Histoire, Lyon 2, 1997.
17 BOYER M., Histoire du tourisme de masse, « Que Sais-Je ? » n° 3480, P.U.F., Paris, 1999, 127 p.
18 CORBIN A., L’avènement des loisirs, 1850-1960, Paris, Aubier, 1995 ou RAUCH A., Vacances en France de 1830 à nos jours, Paris, Hachette, « Pluriel », 2001, 311 p.
19 PY P., Le tourisme, un phénomène économique, La Documentation française, Paris, 1996, p. 5.
20 CUVELIER P., Anciennes et nouvelles formes du tourisme : approche socio-économique, L’Harmattan, Paris, 1998, p. 7.
21 C.E.S.R., Entre maîtrise et marchés, les enjeux du tourisme aquitain, Bordeaux, 1998, p. 51.
22 Idem.
23 BOYER M., op. cit., p. 6.
24 M.I.T.– K. NAFOU R. (dir.), Tourismes 2, moments de lieux, Mappemonde, Belin, 2005. p. 8.
25 MIOSSEC J.-M., « Un modèle de l’espace touristique », L’espace géographique n° 1, Paris. 1977, p. 41-48
26 BUTLER R.W., « The Concept of a tourism area cycle of evolution : implication for management of resources » in Canadian Geographer, XXIV, 1980, p. 5-12.
27 DEPREST F., Enquête sur te tourisme de masse : l’écologie face au territoire. Belin, « Mappemonde », Paris, 1997, p. 146.
28 CHADEFAUD M., op. cit.
29 DEPREST F., op. cil., p. 147.
30 Le post-fordisme est un autre terme désignant la société post-moderne mais du point de vue productif. C’est la période de la troisième industrialisation et de la tertiarisation du système productif et de la société.
31 KNAFOU R. (dir.), Tourisme 1, lieux communs, « Mappemonde », Belin, Paris, p. 50.
32 RAMONET I., Géopolitique du chaos, Galilée, Paris, 1997, 160 p.
33 PONTET J., JOURDAN J-P, BOISSON M. (dir.), op. cit.
Table des illustrations
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© Presses universitaires du Midi, 2012