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L’artisan au village

 | 
Mireille Mousnier

Le fer dans les campagnes médiévales (xie-xve siècles)

Mathieu Arnoux

Texte intégral

  • 1 L. Febvre, « Une enquête, la forge de village », Annales d'histoire économique et sociale, 1935, p (...)
  • 2 P. Toubert, Les structures du Latium médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du ixe siècle à l (...)
  • 3 R.-H. Bautier, « Notes sur le commerce du fer en Europe occidentale du xiiie au xve siècle », Revu (...)
  • 4 Cf. en particulier « Cartulaire de la sidérurgie française », Revue d'histoire de la sidérurgie, t (...)
  • 5 R. Pleiner, « The technology of iron making in the bloomery period. A brief survey of the archaeol (...)
  • 6 Cf. en particulier les colloques édités par P. Benoit et Ph. Braunstein, Mines, carrières et métal (...)
  • 7 M. Arnoux, Férons, mineurs et maîtres de forges. Etudes sur la production, le commerce et le trava (...)
  • 8 La cellule « Patrimoine industriel » de l'Inventaire général des monuments et richesses artistique (...)

1L'interrogation sur la place du fer, de la forge et du forgeron dans la vie des campagnes n'est pas nouvelle : reprenant en 1961 puis en 1969 un sujet déjà évoqué par Lucien Febvre dans un article pionnier, Georges Duby avait appelé l'attention des historiens sur le problème de la production et de l'usage du fer dans la société rurale : la question de l'outillage agricole se trouvait ainsi posée de manière nouvelle1. Par la suite, Pierre Toubert, Pierre Bonnassie et surtout Robert Fossier cherchèrent des éléments de réponse dans la documentation régionale qu'ils exploraient, exhumant des sources jusque-là négligées2. Au même moment, travaillant dans une perspective d'histoire du commerce, Robert-Henri Bautier et Philippe Braunstein, mettaient en lumière l'importance du commerce du fer, permettant de poser en d'autres termes la question de Georges Duby3. Plus récemment, poursuivant une enquête initiée par Bertrand Gille4 et recueillant les acquis des recherches menées hors de France par Ronald Tylecote, Radomir Pleiner, Rolf Sprandel, Enzo Baraldi et Manlio Calegari5, les historiens des techniques, en particulier Paul Benoit et Philippe Braunstein, ont ouvert la voie à des recherches plus amples, tentant d'appréhender la production, le travail et la consommation du métal comme un phénomène global, susceptible de causalités et d'une périodisation particulières6. Deux thèses récentes sur la sidérurgie des régions normande et pyrénéenne7 et plusieurs enquêtes collectives7 ont illustré l'importance du sujet et démontré l'existence de sources utilisables par les historiens8. Les pages qui suivent tenteront, prenant appui sur les recherches existantes, d'esquisser les lignes essentielles d'une histoire du fer dans les campagnes médiévales.

  • 9 Cf. en particulier les recherches de P. Benoit sur le site de l'abbaye cistercienne de Fontenay : (...)
  • 10 Cf. en particulier les publications nombreuses et parfois contradictoires relatives au site suédoi (...)

2La prise en compte des sources archéologiques, négligées jusqu'à une période récente par les historiens d'archives, permet seule de poser le problème de manière rigoureuse, et de sortir d'un laconisme auquel la pauvreté des sources contraint souvent le chercheur. Ce n'est pas du côté de l'extraction du minerai qu'il faut attendre des révélations : le minerai de fer, présent, abondant et facilement accessible dans la plupart des régions d'Occident, n'a pas suscité de techniques minières spécifiques, et les rares sites d'extraction qu'il a été possible de dater avec précision permettent d'observer des formes de cueillette beaucoup plus que des processus complexes de production de la matière première9. La réduction du minerai ne fournit pas beaucoup plus de certitudes : avant la diffusion du procédé indirect, les sites retrouvés sont malaisés à dater et les techniques utilisées difficiles à définir10.

  • 11 Sur le site de Ludres, cf. M. Leroy, Cl. Forrières et A. Ploquin, « Un site de production métallur (...)
  • 12 Exemple dans Gabrielle Démians d'Archimbaud, Rougiers, village médiéval. Approches archéologiques (...)

3C'est du côté de la demande et de l'usage du métal que viennent les informations les plus importantes. Dans leur ensemble, les fouilles conduites sur des sites médiévaux montrent une large diffusion de l'usage du fer dans la société occidentale depuis les temps barbares. Les recherches récentes menées à Ludres, en Lorraine, Villiers-le-Sec, dans la région parisienne, et Charavines, dans le Dauphiné, ont attiré l'attention sur la fréquence des traces de production et de travail du métal dans les sites d'habitat11. Cette affirmation générale doit évidemment être nuancée selon les périodes et les régions : la culture matérielle du haut Moyen Âge ne se caractérise pas, à l'évidence par une très grande abondance des objets métalliques et le monde méditerranéen semble avoir utilisé longuement les métaux non-ferreux autant que le fer12. On manque encore d'une recherche synthétique sur ce thème, qui permettrait selon les époques, les régions et les situations, de mesurer l'importance du fer dans la culture matérielle des campagnes du Moyen Âge. Il suffira cependant pour notre sujet de tenir son importance et sa diffusion pour acquises, indépendamment de la prolixité ou du silence des sources écrites.

  • 13 Recherche effectuée pour les mots forgia, fabrica, aster et ferrum ; je remercie Marie-José Gasse- (...)

4C'est évidemment là que se pose le problème principal pour les historiens : sur les quelques cinq mille actes originaux antérieurs au début du xiie siècle enregistrés dans la base de données Diplomatica du laboratoire Artem de Nancy, pas un seul ne fait allusion à la production ou au travail du fer13. Les seuls objets de fer rencontrés dans les chartes sont les instruments de l'ordalie, probablement d'un usage moins fréquent dans la vie quotidienne que ne le suggère leur très large diffusion dans les textes diplomatiques.

  • 14 M. Arnoux, Mineurs, férons et maîtres de forges, op. cit., p. 419-484.
  • 15 Travail esquissé par B. Gille dans son Cartulaire de la sidérurgie française, op. cit.
  • 16 Panorama des sources relatives aux mines et à la métallurgie dans le haut Moyen Âge par Th. Zotz, (...)
  • 17 Diplôme d'Henri III pour les habitants du Val di Scalve, éd. H. Bresslau et P.F. Kehr, Die Urkunde (...)
  • 18 Bulle d'Alexandre II pour l'évêque de Populonia, éd. J. von Pflugk-Harttung, Acta pntificum inedit (...)
  • 19 La plus ancienne mention d'une forge dans les sources normandes se trouve dans la charte de fondat (...)
  • 20 Références au Domesday Book et commentaires dans R. Lennard, Rural England 1086-1135, Oxford, 1959 (...)

5Une recherche beaucoup plus approfondie portant sur la documentation normande n'a pas permis de retrouver un seul acte original antérieur à 1166. Dans une région où les sites de production du métal sont nombreux, le dépouillement d'environ 50 000 actes, originaux ou copies, antérieurs à 1300 a fourni quelques 70 documents faisant allusion de manière précise à une activité sidérurgique, extraction ou travail du minerai14 : il s'agit en l'occurrence d'un riche butin, ce qui explique que la recherche en la matière soit le plus souvent impossible à mener dans un cadre régional. L'historien de la sidérurgie est donc contraint de travailler par dossier et de se donner en même temps le cadre géographique et chronologique le plus ample, ce qui permet de disposer de sources en nombre suffisant et de mener le travail de comparaison sans lequel les données locales restent le plus souvent insignifiantes. Les actes les plus révélateurs ayant le plus souvent depuis longtemps attiré l'attention des érudits, il n'est pas difficile de rassembler assez rapidement une documentation importante et largement répartie géographiquement15. Dans l'ensemble de l'Occident, si l'on passe sur une poignée de textes carolingiens, relatifs pour la plupart à la gestion domaniale16, il faut attendre la seconde moitié du xie siècle pour trouver des mentions d'activité sidérurgique dans les actes écrits : en 1047 pour la Val di Scalve, en Lombardie17, en 1066 pour l'île d'Elbe18, à la même époque pour la Normandie19, en 1086 pour l'Angleterre20. D'abord isolés, les textes deviennent plus nombreux pour les régions de production dans la seconde moitié du xiie siècle et pour l'ensemble des régions à partir du xiiie siècle.

  • 21 Cf. en particulier la liste des services exigés du fèvre de l'abbaye Saint-Martin de Sées à la fin (...)
  • 22 R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie jusqu'à la fin du xiiie siècle, cit., t. 1, p. 370- (...)

6Dans ce corpus abondant, il convient de mettre à part les mentions de fèvres, dont R. Fossier a montré tout l'intérêt pour une étude de la société paysanne : travailleurs du métal, ces « mécaniciens du village » ont de multiples fonctions, liées à leur dextérité et à la possession d'un outillage efficace. Ils sont évidemment chargés de la réparation et de l'entretien des outils et objets de fer21, mais leur compétence en matière de ferrure des chevaux, des ânes et des bœufs les prédispose à agir en qualité de vétérinaires, tandis que la sûreté de leur main et le fil de leurs lames leur vaut d'être appelés à faire office de barbier, de chirurgien ou d'arracheur de dents. Plus que des spécialistes de la métallurgie, ils sont donc des témoins d'une diversification et d'une complexité croissantes de l'outillage et de l'équipement de la communauté villageoise, ce qui explique leur rôle dans la rédaction des actes, souligné par Robert Fossier22.

7Plus essentiels pour notre sujet sont évidemment les textes relatifs à l'extraction et au traitement du minerai de fer, qui nous renseignent sur la production et le commerce, plus encore que sur l'usage du métal. C'est sur ce secteur, très difficilement accessible à partir des données de terrain, que les sources écrites permettent d'apporter des lumières. Deux aspects fondamentaux méritent un examen particulier : la place de la production du fer dans le système seigneurial des xiie et xiiie siècles, et son évolution technique et économique à partir de la fin du xiiie siècle. Il feront l'objet des réflexions qui suivent.

  • 23 Sur la sidérurgie anglaise, cf. le tableau d'ensemble de E. Miller et J. Hatcher, Medieval England (...)
  • 24 « L'essere buona fabricha non vuol dire se non avere buoni maestri », éd. Federigo Melis, Document (...)
  • 25 M. S. Giuseppi, « Some fourteenth-century accounts of ironworks at Tudeley, Kent », Archaeologia o (...)
  • 26 Le compte de la construction du « grand canon de Caen » est publié dans L-N. Bonaparte et I. Favé,(...)

8Dans le corpus des quelques centaines de textes antérieur à 1300, il est inutile de rechercher des indications précises de procédés techniques ou des données quantitatives sur la production : dans la plupart des cas, la forgia ou fabrica n'est pas décrite, et la présence d'un furnus, fornax ou furnellus est la seule indication retenue par les rédacteurs d'actes. Les textes anglais, de loin les plus circonstanciés, se contentent de distinguer au sein de la forge la blomeria (anglais bloomery), où s'opère la réduction du minerai, à la forgia operaria ou aster, foyer ouvert (âtre) où le bloc de métal brut est affiné et transformé en produit commercialisable23. La très faible valeur de l'outillage, et la place essentielle occupée par le forgeron lui-même dans le processus d'élaboration et de travail du métal expliquent sans doute le désintérêt des rédacteurs d'acte pour les termes techniques : « Quand on dit une bonne forge, on ne désigne pas autre chose qu'un bon maître », remarque un correspondant de Francesco di Marco Datini dans la description qu'il fait en 1385 des forges installées autour de la petite ville toscane de Pietrasanta24. Dans les forges anglaises de Tudeley, dans le Kent, et Byrkeknott, dans l'évêché de Durham, les seules pour lesquelles nous disposions de comptabilités détaillées, pour les années 1350-1354 et 1408-1409, la famille du maître de forge constitue l'essentiel de la force de travail, la femme et les enfants préparant le minerai et assurant la ventilation de l'installation tandis que le père, aidé d'un valet, se réserve le travail au marteau, apanage du forgeron25. L'alternance du chauffage et du martelage du bloc de métal qui constitue l'essentiel du travail de forge, ne paraît pas très complexe dans son organisation : il est évident que sa pratique comporte de nombreuses subtilités maîtrisées seulement par les bons forgerons, capables de varier leur travail selon le minerai, le combustible et la forme recherchée. Ainsi, en 1371, les fèvres caennais chargés par l'administration royale de la construction d'un énorme canon de fer forgé, se trouvant dépassés par la difficulté de l'entreprise, font appel à l'expertise d'un certain Jean Nicole, qualifié successivement de « meilleur fèvre de Normandie » et de « meilleur ouvrier de fer de tout le pays » ; un sergent royal est chargé d'aller le chercher au bourg du Sap, dans le pays d'Ouche, à près d'une centaine de kilomètres de Caen26. L'existence d'une telle dignité, reconnue par les artisans de toute la région, montre bien l'éminence des capacités personnelles de l'ouvrier dans un contexte de techniques peu élaborées.

  • 27 La bibliographie serait pléthorique ; cf. l'état de la question exhaustif à la date de sa parution (...)

9Jusqu'aux dernières décennies du xiiie siècle, il est donc illusoire de demander à nos sources un apport réel sur le plan technique. Il n'en va pas de même pour les conditions juridiques et sociales de la production, sur lesquelles nos actes apportent des indications concordantes et d'un grand intérêt. Dans l'ensemble du corpus les forges de propriété seigneuriale, concédées en fief, louées ou exploitées en régie, sont de loin les plus nombreuses et les mieux connues. Les dossiers fournis par les cartulaires cisterciens sont évidemment les plus intéressants, et ont permis d'étudier la construction par les moines blancs d'un véritable empire sidérurgique étendu à de nombreux bassins sidérurgiques, de l'Italie à l'Angleterre, en passant évidemment par la Champagne et la Bourgogne27. Il serait pourtant erroné de voir dans cette omniprésence des forges seigneuriales dans les sources un reflet direct de la réalité. Partout où nous disposons d'autres archives que les chartriers monastiques, la sidérurgie liée au pouvoir seigneurial apparaît tout à fait marginale par rapport à une production paysanne largement dominante même si elle n'a laissé que de faible traces documentaires.

  • 28 Le rôle de 1269 énumère 43 forgie errantes in foresta [qui] multa mala fecerunt tam de alto bosco (...)
  • 29 Sur le contexte économique de l'activité des forges en forêt d'Othe, cf. Ph. Braunstein, « Les for (...)
  • 30 Soulèvement des habitants d'Alatri évoqué par P. Toubert, Les structures du Latium médiéval, cit., (...)

10Trois exemples de grandes régions de production suffiront : la forêt de Dean, dans les Midlands, est sans doute le plus important bassin sidérurgique du royaume d'Angleterre. Les rouleaux de plaids de la forêt, conservés pour les dernières années du xiiie siècle, permettent de se représenter assez exactement la répartition des forges actives dans le massif : en 1281, sur un effectif de 74 forges payant régulièrement leurs redevances aux forestiers royaux (si on ajoute les ateliers irréguliers, le total monte à plus de 130), moins d'une dizaine appartiennent à des membres de l'aristocratie ou à des communauté religieuses28. Même disproportion dans le bassin normand du pays d'Ouche : dans les premières années du xive siècle, moins d'une dizaine de seigneurs locaux possèdent le droit d'exploiter une forge sur leurs terres propres, alors qu'au même moment l'autorité du maître des férons de Glos-la-Ferrière s'étend, selon l'administration royale, sur plus de 250 forges. Nous manquons de données chiffrées pour la forêt d'Othe, mais les recherches récentes menées par Patrice Beck, Philippe Braunstein et Michel Philippe ont montré l'importance du district de production situé dans la partie champenoise du mas sif forestier, siège au milieu du xiiie siècle du métier des férons de Séanten-Othe, et où les ordres religieux ne parvinrent jamais à s'implanter réellement29. Une lecture attentive des sources monastiques, cisterciennes et cartusiennes en particulier, permettrait d'ailleurs de montrer en de nombreuses régions l'ampleur des réactions paysannes aux ambitions des religieux et à leur volonté de s'attaquer aux monopoles détenus par les communautés. Deux exemples contemporains suffiront : en 1294, dans la région d'Alatri, au sud de Rome, les habitants accueillent à coup de pierres les convers de la chartreuse de Trisulti qui prétendaient exploiter les mines de fer locales. Quelques années plus tard, en 1316, ce sont les habitants de Vénisy, en forêt d'Othe, qui forcent la maison des moines de Pontigny à Sévy, coupent les cordes équipant les puits, dispersent le minerai entreposé et détruisent les installations de réduction30.

  • 31 Cf. n. 17.
  • 32 Mineurs, férons et maîtres de forges, cit., en particulier p. 261-295.

11Tout montre donc que la production du fer est une activité exercée le plus souvent par des paysans, fréquemment regroupés en associations à statut corporatif plus ou moins élaboré. La forme et la chronologie de cette organisation mérite réflexion. Une première interprétation conduit à attribuer aux communautés le contrôle de l'ensemble du cycle de production, et à mettre la croissance de la sidérurgie en rapport avec le dynamisme économique propre du groupe paysan. La forme collective prise par les groupes de forgerons serait alors l'héritage d'une tradition communautaire venue des temps antiques. Les sources ne permettent pourtant pas de maintenir une telle imprécision : le premier groupe connu de producteurs de fer, les hommes de la Val di Scalve, dans les Alpes lombardes, apparaît dans nos sources en 104731, et rien ne permet de faire remonter de telle formes d'organisation au haut Moyen Âge. La prise en compte de l'ensemble des sources me conduit à écarter cette première hypothèse, que j'avais défendue précédemment32, et à donner à l'institution seigneuriale un rôle beaucoup plus actif dans le développement de la sidérurgie.

  • 33 Cf. les diverses contributions rassemblées sur ce thème dans D. Woronoff (éd.), Forges et forêts. (...)
  • 34 M. Arnoux, « Bourgs, marchés et seigneuries. Remarques sur l'organisation spatiale de la productio (...)
  • 35 R. Francovich et Chr. Wickham, « Rocca San Silvestro e i rapporti di produzione minerari », Archeo (...)

12En premier lieu, la sidérurgie, très forte consommatrice de bois, contribue à valoriser ce bien seigneurial par excellence que sont les massifs forestiers, voire à le menacer par son développement incontrôlé : dans bien des cas, la gestion des ressources forestières par les seigneurs constitue une puissante incitation à la production, ou le principal obstacle à son développement33. De plus, même dans le cas normand, si les paysans sont effectivement les principaux producteurs de métal, leur activité se déroule dans un cadre mis en place par le groupe seigneurial : dans pratiquement tous les cas où nous pouvons localiser précisément les forges, celles-ci se trouvent à l'intérieur de bourgs seigneuriaux. Il en va de même pour les métiers de férons attestés au xiiie siècle dans le pays d'Ouche, qui sont tous situés dans des bourgs. Il ne s'agit pas d'une situation de hasard : les bourgs normands abritent aussi la plupart des moulins à tan ou à foulon identifiables dans les sources, et regroupent l'essentiel des installations de production industrielle. La logique de ce regroupement apparaît assez clairement si l'on pense que les bourgs, agglomérations dotées d'une personnalité juridique propre et de franchises assez étendues, sont aussi, et surtout, le siège des marchés hebdomadaires et des foires : la concentration des activités de production de biens non agricoles facilite leur commercialisation et permet aux agents seigneuriaux de prélever leur dîme sur des échanges commerciaux accrus34. Dès lors, il convient de voir dans les communautés de producteurs des institutions de la société seigneuriale, analogues aux institutions communales ou aux villes neuves. Dans cette hypothèse, le cas normand, où les communautés paysannes jouent un rôle essentiel, rejoint celui du castrum minier de San Silvestro, en Toscane, étudié par Riccardo Francovich et Chris Wickham, qui soulignent l'importance de la seigneurie comme acteur économique dans le domaine minier35.

  • 36 L'exemple le plus parlant est celui de la forge de l'abbaye anglaise de Beaulieu, dont la comptabi (...)

13Toutes les recherches récentes attestent l'importance du fer dans les échanges commerciaux, régionaux et internationaux et minimisent la part de l’autoconsommation et du troc dans la diffusion du métal : même chez les cisterciens, dont les statuts prévoient la présence au sein du monastère d'une forge destinée à l'usage exclusif de la communauté, la fonction essentiellement commerciale des installations sidérurgique est attestée par toutes les sources36. Il en va de même à chaque fois que nous pouvons suivre les produits jusqu'aux consommateurs. Parmi tant d'exemples possibles, j'évoquerai le cas de Pietrasanta, en Toscane, où un petit groupe de forgerons travaillent le minerai de fer venu de l'île d'Elbe. Essentiellement destinée au marché agricole, leur production est exportée par bateau à Palerme, à plusieurs centaines de kilomètres. La liste des produits, telle qu'elle figure dans une lettre envoyée en 1385 à Francesco di Marco Datini est éloquente :

  • 37 Texte cité n. 24.

« Les plates de fer pour chariot, avec leurs plaquettes, pour ferrer les roues, larges de trois doigts, et longues de 3 brasses ou un peu moins, coûtent à Pietrasanta 15 florins le mille.
Des plates de même modèle, longues d'une brasse et demie et larges de 4 doigts qui servent à faire la partie centrale de la roue, autour du moyeu, valent à Pietrasanta comme celles de dessus 15 florins le mille.
Les petites plates et les petites verges, bien minces et propres, coûtent, moitié de l’une moitié de l'autre, 14 florin le mille.
Les socs de charrue, de 14, 15 ou 16 livres l'une et les fers de bêche, à 14 ou 15 livres la paire, coûtent à Pietrasanta 15 florins et demi le mille.
Les barreaux carrés qu'on utilise pour guides des chariots, larges d'un pouce sur chaque face, valent 14 florins et demi le mille.
Les lames bien minces et propres pour ferrer les bœufs, larges de deux doigts et demi coûtent à Pietrasanta 15 florins le mille.
Le fer mince, pour faire des tringles et des clous coûte à Pietrasanta 18 florins et demi à 19 florins le mille37. »

  • 38 Mineurs, ferons et maîtres de forges, cit., p. 346-350.
  • 39 M. Berthe, Famines et épidémies dans les campagnes navarraises à la fin du Moyen Âge, 2 vol., Pari (...)

14Cette insertion dans les réseaux commerciaux a des conséquences nombreuses et de très grande importance. Elle explique en particulier la fragilité économique des forges, condamnées au chômage dès que le fonctionnement normal du commerce n'est plus assuré, comme c'est le cas dans le pays d'Ouche en 1365,1440, 148438, ou lorsque les aléas de la conjoncture incitent les foyers paysans à annuller ou à reporter leurs achats d'outils de fer. Dans la région de Pampelune, étudiée par Maurice Berthe, l'arrêt des forges en 1347-1348 et en 1429 apparaît ainsi comme l'indice d'une économie paralysée par la peste, la famine et la guerre39.

  • 40 « pour ce que l'en disoit que le fer qui y estait fait estoit trop fort, et n'y avoit autre cause. (...)
  • 41 M. Arnoux, « Matières premières, innovation technique, marché du fer : les logiques de la carte si (...)

15La disparition des installations de production ne résulte pas toujours cependant d'une situation locale, et dans bien des cas, la crise d'un bassin sidérurgique témoigne de la modification du marché régional ou national du métal : un texte de 1383, relatif aux mines de fer des évêques de Bayeux, révèle ainsi que l'arrêt de l'exploitation du minerai quelques décennies auparavant est dû à la qualité insuffisante du métal obtenu40. L'exigence nouvelle des consommateurs n'est que l'un des aspects de la mise en place d'un marché européen du fer, caractérisé par une progressive unification des produits et des techniques. Ce processus de longue durée, qui débute dans les dernières décennies du xiiie siècle, change radicalement l'organisation de la production du fer, mettant fin au cloisonnement des districts de production et renouvelant à tous points de vue les relations entre production sidérurgique et pouvoir seigneurial41. La progressive diffusion du procédé indirect de fabrication du fer, qui s'accompagne d'une croissance très importante de la production et de son passage sous contrôle seigneurial sont les principaux aspects du mouvement. Ils ont chacun un impact sur la société rurale.

  • 42 Cf. en particulier les structures hydrauliques mises au jour sur le site de l'abbaye cistercienne (...)
  • 43 Sur l'usage du fer dans l'architecture gothique, cf. J.-L. Taupin, « Les fers des cathédrales », M (...)
  • 44 La première attestation non équivoque d'une installation avec furnus et fucina, en 1269, concerne (...)
  • 45 H. Collin, « Aux origines du bassin sidérurgique de Briey ; les forges de la région de Moyeuvre à (...)
  • 46 Lartigaut (Jean), Les campagnes du Quercy après la guerre de Cent ans (vers 1440-vers 1500), Toulo (...)
  • 47 Cf. en dernier lieu les hypothèses d'évolution technique proposées dans le Cahier de l'inventaire (...)

16Le processus d'innovation technique reste mystérieux par bien des aspects. Une première étape pourrait avoir lieu au Nord-Ouest de l'Europe, où est attestée, en particulier dans les abbayes cisterciennes, l'application de la force hydraulique au martelage du métal, sans doute par transfert de la technologie utilisée dans le moulin à foulon42. Les pièces métalliques de grande taille qui font leur apparition dans l'architecture gothique dans la seconde moitié du xiiie siècle en sont le témoignage le plus convaincant43. Sans que les conditions de production du métal en soient véritablement transformées, ce changement témoigne d'une augmentation de la demande de métal, qui est, semble-t-il l'un des ressorts de l'évolution des techniques. Le changement décisif se produit dans les Alpes italiennes où apparaissent vers 1250 dans les vallées lombardes des installations complexes associant deux ateliers différents, le furnus et la fucina, dont les soufflets sont mus par la force hydraulique44. La mécanisation de la soufflerie, qui permet d'augmenter la puissance et la souplesse de l'installation constitue la véritable innovation. Il est probable que la volonté d'accroître la production de chaque forge en augmentant la capacité du four de réduction du minerai est à l'origine du procédé : il a pour conséquence, en créant une installation d'une puissance inconnue auparavant, de rompre le lien indissoluble entre le forgeron et son atelier, qui définissait les forges travaillant au procédé direct. De fait, dès ses première attestations, la valeur de l'outil nouveau, précisément estimé et longuement décrit, repousse aux limites des sources la personnalité des ouvriers, désormais salariés et soumis aux exigences de l'installation. En se répandant à travers l'Europe, le procédé se transforme et se perfectionne, évoluant vers une puissance sans cesse accrue. On en suit le cheminement à travers les régions méditerranéennes et pyrénéennes dans les dernières années du xiiie siècle, et vers les régions rhénanes et danubiennes dans la première moitié du xive siècle (il est attesté à Moyeuvre, en Lorraine en 132345.) La crise économique et la guerre sont les principaux obstacles à sa diffusion : alors que l'innovation est attestée en Languedoc dès les premières années du xive siècle, il faut attendre le milieu du xve siècle pour les voir s'établir dans le Quercy, à la faveur de la reconstruction46. C'est sans doute dans la région de Liège que le procédé trouve alors son achèvement avec la mise au point du haut-fourneau, auquel vient s'adapter l'atelier d'affinerie et de forge, où les gueuses de fonte venues du fourneau sont transformées en barres de fer, aptes au travail et à la commercialisation. L'installation, telle qu'elle se répand en Europe tempérée au cours du xve siècle, ne connaîtra plus de changement majeur avant les dernières années du xviiie siècle47.

  • 48 R.-H. Bautier, Note sur le commerce du fer, op. cit.
  • 49 M. Arnoux, « Innovation technique, intervention publique et organisation du marché : aux origines (...)
  • 50 W. von Strömer, « Cartels, consortiums et innovations dans l'exploitation du fer d'Europe centrale (...)

17Les conséquences de ce mouvement sur la société paysanne sont considérables, dans le court comme dans le long terme. L'une des plus importantes concerne le marché du fer : l'émergence de districts sidérurgiques dotés de capacités de production accrues et capables de livrer aux consommateurs des quantités considérables de métal de qualité constante explique la domination dans les campagnes européennes de quelques producteurs : la Navarre en premier lieu, qui exporte son « fer d'Espagne » dans l'ensemble des régions atlantiques dès le début du xive siècle, mais aussi la Lombardie, la Styrie et la Carinthie, ou la Rhénanie48. Le développement des exportations est stimulé, sans aucun doute par la croissance de la consommation, parfaitement constatable dans la culture matérielle, mais il s'accompagne aussi de la disparition ou de la restructuration des districts de production locaux, qui ne survivent qu'au prix d'une modernisation radicale, ou d'une spécialisation qui permet de sauver un monopole commercial local. La définition des produits est une étape nécessaire dans l'adaptation des districts de production : c'est elle qui assure une prospérité durable aux fabricants de faux de Styrie. Pour la Valteline, pour laquelle nous disposons de textes remarquablement précis, c'est au milieu du xive siècle qu'on voit apparaître une forma publica des barres de fer, définie dans les statuts urbains, et sans doute nécessaire pour résister sur le marché lombard à la concurrence des fers de haute qualité produits dans les vallées bergamasques et brescianes49. Encore plus caractéristique est le protocole conclu en 1387 par les maîtres de forges des villes d'Amberg et Sulzbach, qui réglait les conditions d'accès au minerai et au charbon de bois ainsi que l'organisation du travail et des relations commerciales de 77 entreprises sidérurgiques du Haut-Palatinat50.

  • 51 M. Arnoux, « Moulins à fer et procédé indirect. Énergie hydraulique et innovation dans la sidérurg (...)

18Dans les régions de production les conséquences sociales et économiques sont spectaculaires : la capacité d'adaptation d'un district de production ne dépend pas, en effet, des qualités spécifiques des forgerons locaux mais, en premier lieu de la capacité du milieu à accueillir une installation industrielle aussi exigeante qu'une grosse forge. L'installation hydraulique nécessaire à la ventilation d'un fourneau et d'une affinerie et à la mise en mouvement d'un martinet requiert en effet une chute d'eau importante, mais aussi un cours d'eau régulier, qui ne risque pas de détruire l'atelier par ses crues. Ainsi s'explique, sans doute, la relative rusticité des forges alpines et méditerranéennes, dont la technique représente la meilleure adaptation au régime fluvial instable des régions méridionales. Les puissantes installations du procédé wallon, où trois ou quatre étangs communicants sont nécessaires pour assurer la mise en mouvement de quatre à six roues hydrauliques, nécessitent la stérilisation de plusieurs moulins préexistants, pari coûteux qui réclame de l'entrepreneur une mise de fonds initiale considérable et l'appui des seigneurs locaux51.

  • 52 D. Woronoff, Forges et forêts, cit.

19La consommation de bois de l'usine est l'autre problème majeur : certaines sources du xvie siècle permettent d'estimer à 15 à 20 hectares annuels la consommation d'une grosse forge, soit à 300 ou 400 hectares au moins la part de massif forestier nécessaire à sa pérennité : c'est au moins trois fois plus qu'un atelier fonctionnant au procédé direct. L'arrivée d'un consommateur aussi gourmand sur le marché sensible des produits forestiers ne pouvait manquer de provoquer des bouleversements, pour peu que le besoin d'espace agraire pousse au défrichement des espaces forestiers ou que l'ampleur de la demande urbaine incite les autorités politiques à réserver les ressources en bois aux consommateurs de la ville52.

20De nombreux textes du début du xive siècle, au plus fort de la croissance démographique médiévale, montrent des signes sans équivoque de disette de combustible. Un temps apaisée par la crise, la concurrence des demandes paysanne, urbaine et industrielle reprend dans la seconde moitié du xve siècle, quand la volonté de protéger les approvisionnements des grosses forges pousse les possesseurs de forêts à s'attaquer aux droits des usagers (rappelons que le réglement en taillis d'un espace autrefois éduqué en fûtaie entraine ipso facto l'expulsion des troupeaux et la réduction drastique de la collecte de bois de chauffage). À l'inverse, la trop grande proximité de la ville est fatale à la sidérurgie, incapable de préserver l'équilibre de ses comptes face à l'envolée des prix du bois entraînée par une hausse de la demande. À terme, dès le milieu du xvie siècle, c'est la carte des espaces industriels européens qui se trouve largement modifiée par les changements en cours dans la métallurgie, qui convertissent en régions à vocation majoritairement agricole certains bassins de grande métallurgie et font prévaloir les exigences de l'appareil industriel dans d'autres districts, autrefois voués aux activités de culture et d'élevage.

21La transformation des techniques et le bouleversement des espaces s'accompagne de changements non moins importants dans la structure des rapports de production. Atelier coûteux par son outillage, par la puissance hydraulique qu'il réclame comme par l'importance de sa consommation de bois, la forge au procédé indirect ne saurait appartenir à un paysan : dès le xiiie siècle, c'est le groupe des marchands qui assure la diffusion de l'innovation. En fin de compte, dans de nombreuses régions d'Europe, c'est l'aristocratie qui retirera tous les fruits de la mutation : dès les premières années du xvie siècle la construction d'un haut-fourneau apparaît comme une étape importante dans la restructuration d'un domaine forestier. En deux siècles, le progrès technique et l'édification d'un marché du fer fait échapper la sidérurgie des mains des paysans pour la placer dans celles des entrepreneurs urbains ou des seigneurs : à la fin de l'ancien régime, cette activité qui fut essentiellement paysanne, et qui resta, aux dire d'Ernest Labrousse, « la plus terrienne » de toutes les industries, était devenue l'apanage des ordres privilégiés.

Notes

1 L. Febvre, « Une enquête, la forge de village », Annales d'histoire économique et sociale, 1935, p. 603-614, repris dans Pour une histoire à part entière, Paris, 1962, p. 626-642 ; G. Duby, L'économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occident médiéval (France, Angleterre, Empire, ixe- xve siècles), Paris, 1962, t. 1, p. 78-79, 196-198, et Guerriers et paysans. viie- xiie siècles. Premier essor de l'économie européenne, Paris, 1969, p. 22-25.

2 P. Toubert, Les structures du Latium médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du ixe siècle à la fin du xiie siècle, 2 vol., Rome (Bibliothèque des écoles françaises de Rome et d'Athènes, 221), 1973,t. 1, p. 228-232 ; P. Bonnassie, La Catalogne du milieu du xe à la fin du xie siècle. Croissance et mutation d’une société, 2 vol., Toulouse, 1975, t. 1, p. 472-475 ; voir aussi l'article « forge » dans Les 50 mots clefs de l'histoire médiévale, 1981, p. 98-101 ; R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie jusqu'à la fin du xiiie siècle, Paris-Louvain, 1969, t. 1, p. 370-374.

3 R.-H. Bautier, « Notes sur le commerce du fer en Europe occidentale du xiiie au xve siècle », Revue d'histoire de la sidérurugie, t. 1, 1960, no 4, p. 7-36 et t. 4, 1963, p. 35-62 ; Ph. Braunstein, « Le commerce du fer à Venise au xve siècle », Studi Veneziani, 8, 1966, p. 267-302.

4 Cf. en particulier « Cartulaire de la sidérurgie française », Revue d'histoire de la sidérurgie, t. 3,1962, p. 239-252, t. 4,1963, p. 27-34,119-126,179-182, et « L'organisation de la production du fer au Moyen Âge », Revue d'histoire de la sidérurgie, t. 9,1968, p. 95-119.

5 R. Pleiner, « The technology of iron making in the bloomery period. A brief survey of the archaeological evidence », dans R. Francovich, éd. Archeologia delle attività estrattive e metallurgiche, Sienne (quaderni del dipartimento di archeologia e storia delle arti, t. 32-33), 1993, p. 533-560, et les ouvrages indiqués en bibl. p. 558-559 ; R. Sprandel, Das Eisengewerbe im Mittelalter, Stuttgart, 1968 (cf. aussi la note critique de Ph. Braunstein, « Le fer et la production du fer en Europe de 500 à 1500 », Annales ESC, 27, 1972, p. 407-414) ; R.F. Tylecote, The early history of metallurgy in Europe, LondresNew York, 1987 ; De M. Calegari et E. Barraldi, cf. en particulier « "Fornaderi" bresciani (xv-xvii sec) », dans N. Cuomo di Caprio et C. Simoni (éd.), Dal basso fuoco al Taltoforno. Atti del simposio Valle Camonica 1988, Brescia, 1991, p. 127-151, et « La forge à la génoise comme facteur de l'écosystème des Appenins en Méditerranée septentrionale (xve-xviiie siècles) », dans E. Tomàs i Morera (éd.), La farga catalane en el marc de l'arqueologia siderurgica, Andorre, 1993, p. 483-489.

6 Cf. en particulier les colloques édités par P. Benoit et Ph. Braunstein, Mines, carrières et métallurgie dans la France médiévale, Paris, 1983, et par P. Benoit et D. Cailleaux (éd.), Hommes et travail du métal dans les villes médiévales, Paris, 1988, et Moines et métallurgie dans la France médiévale, Paris, 1991 ; l'apport des anthropologues spécialistes des sociétés non-européennes n'a pas été négligé : cf. les textes rassemblés par Ph. Braunstein sous le titre Métallurgie à la campagne, dans Etudes rurales, no 125-126, 1992. Plus récemment, bonne présentation des enquêtes et des problématiques communes aux historiens et spécialistes de la métallurgie dans Paléométallurgie du fer et culture (symposium international du comité pour la sidérurugie ancienne), Befort, 1995, éd. P. Benoit et Ph. Fluzin.

7 M. Arnoux, Férons, mineurs et maîtres de forges. Etudes sur la production, le commerce et le travail du fer en Normandie ( xie- xve siècles), Paris, 1993 ; C. Verna, Le temps des moulines. Le fer et son exploitation du comté de Foix à la vicomté de Béarn ( xiie- xve siècles), Université Paris-1, 1994, à paraître ; cf. id. « Aux origines de la forge à la catalane : les moulines du comté de Foix (vers 1300-1349) », dans Tomàs i Morera (éd.), La farga catalana, op. cit., p. 51-59.

8 La cellule « Patrimoine industriel » de l'Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France a été à l'origine d'une importante série d'enquêtes sur la sidérurgie française, coordonnées par Jean-François Belhoste et publiées dans les Cahiers de l'inventaire, no 3, Les forges du pays de Chateaubriand (Nantes, 1984), 11, La métallurgie du fer dans les Ardennes (Châlons-sur-Marne, 1988), 14, La métallurgie normande (Caen, 1991) et 33, La métallurgie comtoise (Besançon, 1994) ; cf. aussi pour la sidérurgie anglaise la belle enquête de H. Cleere et D. Crossley sur la métallurgie du Weald : The Iron Industry of the Weald (Leicester, 1985) ; plus récemment, bonne présentation de la sidérurgie des Alpes françaises dans le catalogue de l'exposition Les Maîtres de l'acier (Grenoble, Musée dauphinois, 1996).

9 Cf. en particulier les recherches de P. Benoit sur le site de l'abbaye cistercienne de Fontenay : P. Benoit, J.-P. Deroin, Cl. Lorenz et J. Lorenz, « Environnement géologique du minerai de fer de Fontenay (Côte d'Or) ; son exploitation au Moyen Âge », dans Les techniques minières de l'Antiquité au xviiie siècle (Actes du colloque de Strasbourg, 113 congrès des Sociétés savantes, 1988), Paris, 1992, p. 133-148.

10 Cf. en particulier les publications nombreuses et parfois contradictoires relatives au site suédois de Lapphyttan, en dernier lieu les contributions de N. Bjôrrkenstam et G. Magnusson et de E. Tholander, dans N. Cuomo di Caprio et C. Simoni, Dal basso fuoco all' altoforno, cit, p. 83-103 et 105-114

11 Sur le site de Ludres, cf. M. Leroy, Cl. Forrières et A. Ploquin, « Un site de production métallurgique du haut Moyen Âge en Lorraine (Ludres, Meurthe-et-Moselle). Etude des conditions de réduction du minerai lorrain », Archéologie Médiévale, 20, 1990, p. 141-179 et M. Leroy, La sidérurgie en Lorraine avant le haut fourneau. L'utilisation du minerai de fer oolithique en réduction directe, Paris, 1997. Les fouilles de Villiers-le-Sec ont été présentées dans Un village au temps de Charlemagne. Moines et paysans de l'abbaye de Saint-Denis, du viie iècle à l'an mil ; Paris, 1988, en particulier p. 291-300 ; sur la fouille de Charavines, M. Colardelle et E. Verdel (dir.), Les habitats du lac de Paladru dans leur environnement. La formation d'un terroir au xie siècle, Paris, 1993.

12 Exemple dans Gabrielle Démians d'Archimbaud, Rougiers, village médiéval. Approches archéologiques d'une société rurale méditerranéenne, Paris, 1981, p. 431-432.

13 Recherche effectuée pour les mots forgia, fabrica, aster et ferrum ; je remercie Marie-José Gasse-Grandjean, qui a interrogé la base de données et m'a très gentiment fait parvenir les résultats de l'enquête.

14 M. Arnoux, Mineurs, férons et maîtres de forges, op. cit., p. 419-484.

15 Travail esquissé par B. Gille dans son Cartulaire de la sidérurgie française, op. cit.

16 Panorama des sources relatives aux mines et à la métallurgie dans le haut Moyen Âge par Th. Zotz, « Schriftquellen zum Bergbau im frühen Mittelalter », dans H. Steuer et U. Zimmermann (éd.), Montanarchäologie in Europe, Sigmaringen, 1993, p. 183-199 ; pour l'Italie septentrionale, cf. F. Menant, « Pour une histoire médiévale de l'entreprise minière en Lombardie », Annales (ESC), 1987, p. 779-796.

17 Diplôme d'Henri III pour les habitants du Val di Scalve, éd. H. Bresslau et P.F. Kehr, Die Urkunden Heinrichs III, Berlin (MGH Dipl. reg. et imp. Germ., 5), 1931, no 199 ; commentaire par F. Menant, Pour une histoire médiévale de l'entreprise minière en Lombardie, op. cit.

18 Bulle d'Alexandre II pour l'évêque de Populonia, éd. J. von Pflugk-Harttung, Acta pntificum inedita, t. 2, Stutgart, 1884, no 137, p. 102-103.

19 La plus ancienne mention d'une forge dans les sources normandes se trouve dans la charte de fondation du Prieuré de Marchésieux, dans le Cotentin, entre 1070 et 1084, cf. J.-M. Bouvris, « L'origine des prieurés de Marchésieux et de Boisroger, dépendances en Cotentin de l'abbaye de Cormery, au diocèse de Tours », dans Nédélequeries. Recueil d'articles offerts à Yves Nédélec, Saint-Lô, 1994, p. 95-112, à la p. 110.

20 Références au Domesday Book et commentaires dans R. Lennard, Rural England 1086-1135, Oxford, 1959, p. 242-243.

21 Cf. en particulier la liste des services exigés du fèvre de l'abbaye Saint-Martin de Sées à la fin du xiie siècle : texte dans M. Arnoux, Mineurs, ferons et maîtres de forges, cit., p. 438-439, trad. par Gh. Brunei dans Gh. Brunei et E. Lalou, Sources d'histoire médiévale ( ixe-milieu du xive siècle), Paris, 1992, p. 245-246 ; la basse qualité d'une grande partie du fer médiéval imposait aux usagers de recourir régulièrement aux services des fèvres et maréchaux ; entre tant d'autres exemples cf. le compte des réparations (« paiements de forge et de charronnerie ») d'un chariot chargé de monnaies envoyé en 1285 de Paris à Toulouse, dans Recueil des Historiens des Gaules et de la France, t. 22, éd. L. Delisle et N. de Wailly, Paris, 1865, p. 734-736.

22 R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie jusqu'à la fin du xiiie siècle, cit., t. 1, p. 370-374 ; id., Cartulaire-chronique de Saint-Georges d'Hesdin, Paris, 1988, p. 29.

23 Sur la sidérurgie anglaise, cf. le tableau d'ensemble de E. Miller et J. Hatcher, Medieval England. Towns, commerce and crafts, Londres, 1995, p. 61-64 ; le livre pionnier de L. F. Salzman, English industry of the Middle Ages, Oxford, 1923, reste précieux par l'ampleur des sources rassemblées ; cf. aussi H.R. Schubert, History of the British Iron and Steel Industry, London, 1957. Parmi d'autres textes analogues, cf. une charte de 1161 de l'abbaye de Kirkstead (Londre, British Library, Cotton, Vesp. E 18, Cartulaire de Kirkstead, f. 127 v.), qui mentionne parmi les revenus donnés aux cisterciens « unum managium in territorio de Kymberword ad domos suas et ortum et IIII forgias faciendas, duas scilicet ad coquendum ferrum et duas ad fabricandum, quocumque uoluerint, et mineram ad fodiendum per totum territorium eiusdem uille, quantam sufficit duobus ignibus, et mortum nemus de Kimberword, quantum sufficit ad quatuor ignibus. »

24 « L'essere buona fabricha non vuol dire se non avere buoni maestri », éd. Federigo Melis, Documenti per la storia economica dei secoli xiii-xvi , Forence, 1972, n. 9, p. 156-159 (1385, 25 mai).

25 M. S. Giuseppi, « Some fourteenth-century accounts of ironworks at Tudeley, Kent », Archaeologia or miscellaneous tracts relating to Antiquity, 2nd series, vol. 14 (t. 64), 1912-1913, p. 145-164 ; G. T. Lapsley, « The account-roll of a fifteenth-century iron master », English Historical Review, t.14, 1899, p. 509-529 ; cf. en particulier p. 511-512 le tableau récapitulant les salaires versés à la femme du maître de la forge.

26 Le compte de la construction du « grand canon de Caen » est publié dans L-N. Bonaparte et I. Favé, Etudes sur le passé et l'avenir de l'artillerie, 6 vol., Paris, 1846-1871, t. 4, p. 18-45 ; commentaire dans M. Arnoux, Férons, mineurs et maîtres de forges. cit., p. 344-345.

27 La bibliographie serait pléthorique ; cf. l'état de la question exhaustif à la date de sa parution (1983) donné dans Flaran 3. L'économie cistercienne ; panorama non restreint à Cîteaux dans Moines et métallurgie, éd. P. Benoit et D. Cailleaux, Paris, 1991 ; mise au point récente dans L. Pressouyre (dir.), l'Espace cistercien, Paris, 1994.

28 Le rôle de 1269 énumère 43 forgie errantes in foresta [qui] multa mala fecerunt tam de alto bosco quam de subbosco, outre les 24 forges légalement établies sur le domaine du roi. En 1281, les forestiers royaux énuméreront pas moins de 74 forges concédées et de 62 « forges errantes », Londres, Public Record Office, E32/29, 30, 31 ; sur la sidérurgie de la forêt de Dean, cf. en particulier R. H. Hilton, A medieval society : the West Midlands at the end of the thirteenth century, Londres, 1966, p. 215-216 et Ch.-R. Young, The Royal Forests of Medieval England, Leicester, 1979, p. 110-111.

29 Sur le contexte économique de l'activité des forges en forêt d'Othe, cf. Ph. Braunstein, « Les forges champenoises de la comtesse de Flandres (1372-1404) », Annales (ESC), 1987, p. 747-777 ; enquête historique et archéologique présentée dans P. Beck, Ph. Braunstein, C. Dunikowski et M. Philippe, « La sidérurgie ancienne en forêt d'Othe », Protoindustries et histoire des forêts, Cahier de l'Isard, 3,1992, p. 301-316 ; sur la présence des ordres religieux en forêt d'Othe, D. Cailleaux, « Les religieux et le travail du fer en pays d'Othe », dans P. Benoit et D. Cailleaux, Moines et métallurgie, cit. p. 193-211.

30 Soulèvement des habitants d'Alatri évoqué par P. Toubert, Les structures du Latium médiéval, cit., t. 1, p. 231 ; sur ces deux épisodes et d'autres cas de protestations contre les activités minières et métallurgiques des ordres réguliers, M. Arnoux, Mineurs férons et maîtres de forges, cit., p. 279-282.

31 Cf. n. 17.

32 Mineurs, férons et maîtres de forges, cit., en particulier p. 261-295.

33 Cf. les diverses contributions rassemblées sur ce thème dans D. Woronoff (éd.), Forges et forêts. Essais sur ta consommation protoindustrielle de bois, Paris, 1990

34 M. Arnoux, « Bourgs, marchés et seigneuries. Remarques sur l'organisation spatiale de la production dans les campagnes normande (xiie-xive siècles) », à paraître dans les actes du séminaire sur les activités non-agricoles dans les campagnes européennes (Bruxelles, 1998-1999).

35 R. Francovich et Chr. Wickham, « Rocca San Silvestro e i rapporti di produzione minerari », Archeologia medievale, 21,1994, aux p. 7-30.

36 L'exemple le plus parlant est celui de la forge de l'abbaye anglaise de Beaulieu, dont la comptabilité nous a été conservée dans le livre de comptes de l'abbaye (ca 1270) : The Account-Book of Beaulieu Abbey, éd. S. F. Hockey, London (Camden fourth series, vol. 10), 1975, p. 265-269.

37 Texte cité n. 24.

38 Mineurs, ferons et maîtres de forges, cit., p. 346-350.

39 M. Berthe, Famines et épidémies dans les campagnes navarraises à la fin du Moyen Âge, 2 vol., Paris, 1984, t. 1, p. 294, 321, 421.

40 « pour ce que l'en disoit que le fer qui y estait fait estoit trop fort, et n'y avoit autre cause... »Texte édité dans le Cahier de l'inventaire, La métallurgie normande, cit. n. 8, p. 237-238, no 4 (9 juin 1383).

41 M. Arnoux, « Matières premières, innovation technique, marché du fer : les logiques de la carte sidérurgique de l'Europe (xiiie-xvie siècles), » dans V. Giura éd. Gli insediamenti economici e le loro logiche, Naples, 1998, p. 1-14.

42 Cf. en particulier les structures hydrauliques mises au jour sur le site de l'abbaye cistercienne de Bordesley, où l'énergie d'un moulin fut, dès la fin du xiie siècle, mise au service d'une forge : G. G. Astill, A medieval industrial complex and its landscape : the metalworking watermills and workshops of Bordesley abbey, York (Council for British Archaeology, Research report, 92), 1993, p. 246-291.

43 Sur l'usage du fer dans l'architecture gothique, cf. J.-L. Taupin, « Les fers des cathédrales », Monumental, 13, juin 1996, p. 18-27. Sur le même sujet, cf. les remarques de P. Benoit dans P. Beck (éd.), L'innovation technique au Moyen Âge. Actes du vie congrès international d’archéologie médiévale, Paris, 1998, p. 295-297.

44 La première attestation non équivoque d'une installation avec furnus et fucina, en 1269, concerne la ville de Bormio, dans la Valteline, mais il est très vraisemblable que l'innovation s'est produite antérieurement dans les vallées bergamasques, Val di Scalve ou Val Brembana ; je renvoie pour ce sujet à l'ouvrage collectif La sidérurgie dans les Alpes italiennes ( xiie- xviie siècles), à paraître à l'École française de Rome sous la direction de Philippe Braunstein, où sont commentées, et partiellement édités, les textes les plus importants ; les paragraphes qui suivent s'appuient sur mes propres recherches sur la Valteline ainsi que sur les contributions dans le même ouvrage de Jean-François Belhoste, Ph. Braunstein, Enzo Baraldi et Manlio Calegari.

45 H. Collin, « Aux origines du bassin sidérurgique de Briey ; les forges de la région de Moyeuvre à la fin du xiiie siècle et au début du xive », dans Mines et métallurgie ( xiiexvie siècles). Actes du 98e congrès national des sociétés savantes (Saint-Étienne, 1973), section de philologie et d'histoire jusqu'à 1610, Paris, 1975, p. 61-80.

46 Lartigaut (Jean), Les campagnes du Quercy après la guerre de Cent ans (vers 1440-vers 1500), Toulouse (Publications de l’Université de Toulouse-le-Mirail), 1978, p. 404-427.

47 Cf. en dernier lieu les hypothèses d'évolution technique proposées dans le Cahier de l'inventaire no 33, La métallurgie comtoise, cit.

48 R.-H. Bautier, Note sur le commerce du fer, op. cit.

49 M. Arnoux, « Innovation technique, intervention publique et organisation du marché : aux origines du district sidérurgique de la Valteline (xive-xiiie siècles) », à paraître dans La sidérurgie dans les Alpes italiennes, cit.

50 W. von Strömer, « Cartels, consortiums et innovations dans l'exploitation du fer d'Europe centrale à la fin du Moyen Âge », dans Les techniques minières de l'Antiquité au xviiie siècle, Paris, 1992, p. 167-186.

51 M. Arnoux, « Moulins à fer et procédé indirect. Énergie hydraulique et innovation dans la sidérurgie européenne (xiiie-xvie siècles) », dans Le contrôle des eaux en Europe occidentale ( xie- xvie siècles), xxe Congrès international d'histoire économique (Milan, 1994), p. 29-40.

52 D. Woronoff, Forges et forêts, cit.

© Presses universitaires du Midi, 2000

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