L’artisan au village
|Les artisans aux champs dans les draperies des Pyrénées centrales fin xviie-fin xviiie siècle
Texte intégral
- 1 Nous rappellerons en outre, après Serge Chassagne, que l'industrie rurale française « est une viei (...)
- 2 Par Comminges il faut comprendre le diocèse du même nom situé en Gascogne ainsi que le diocèse civ (...)
- 3 Voir à cet effet ce qu'en dit Maurizio Gribaudi qui refuse d'utiliser des catégories qu'il juge ré (...)
1Au pied des Pyrénées, l'exurbanisation de la fabrication textile n'a pas attendu l'arrêt du 7 septembre 1762 pour être effective. Depuis deux siècles au moins, les métiers à tisser se sont répandus dans les campagnes autour de Saint-Gaudens où une main-d'œuvre rurale produit l'essentiel des étoffes de cette région. Nullement original, ce phénomène peut être observé dans bien des terroirs de France et d'Europe comme les nombreuses études sur la proto-industrie ont pu le montrer1. Les fabriques du Comminges et du Nébouzan2 n'en connaissent pas moins un développement propre à travers leur rythme de croissance et leur mode d'organisation. Il nous semble donc utile, à titre comparatif, d'entreprendre une étude plus approfondie des manufactures des Pyrénées centrales et de leur piémont afin de montrer la diversité des voies qui mènent ou non à l'industrie moderne. Mais, plus que de développer un Nième exemple sur la question, il s'agit surtout autour de nouvelles questions posées par la recherche de penser à la définition des acteurs de la draperie dont la catégorisation n'apparaît pas totalement satisfaisante. Elle conduit, en effet, à privilégier la mise en évidence d'invariants ou d'évolutions lentes et linéaires. Pour cela, il convient de réinterroger les sources en réfléchissant aux définitions des termes et des catégories afin de tenter de dévoiler des structures plus complexes que celles qui apparaissent dans un premier temps3. Il faut alors chercher à dépasser des évidences conduisant à engendrer une homogénéisation forcée des résultats par application de catégories préétablies. Aussi, après nous être interrogé sur les problèmes de définition que posent les termes artisan et village, nous montrerons en quoi les artisans ruraux ont participé majoritairement à une activité qui relevait surtout de l'industrie, poussés en cela par des conditions sociaux-économiques peu favorables. Nous décrirons ensuite les différents modes de domination auxquels les artisans paysans étaient assujettis, d'abord dans le cadre du Kaufsystem, puis dans celui du Verlagsystem.
Problème de sémantique. Retour sur les termes artisan et village
- 4 J.-P. Gutton, La sociabilité villageoise clans la France d'Ancien Régime, Paris, Hachette, 1979, p (...)
- 5 Comme nous avons pu le montrer pour les petites villes et les bourgs du diocèse de Rieux, cf. J.-M (...)
- 6 M. Agulhon, La vie sociale en Provence intérieure au lendemain de la Révolution, Paris, Société de (...)
- 7 Yves Castan a pu relever la place de cette oligarchie à travers les tensions qui existaient au sei (...)
2Préalablement, il nous semble utile de revenir sur le sens que l'on peut donner aux termes intitulant ces rencontres, à savoir les mots village et artisan. En effet, que faut-il entendre par village ? Doit-on comprendre simplement le rassemblement d'habitations rurales ou entend-on le regroupement des habitations et du finage ? En outre, faut-il ne retenir que les lieux nommés village par les institutions, en comptant donc des bourgs disposant de fonctions éminemment urbaines, tout en éliminant les villes pourtant bien rurales ? La question qui peut apparaître anodine au premier abord revêt, en fait, une réelle importance : en premier lieu, parce que le village d'Ancien Régime est une véritable abstraction4 ; ensuite, parce qu'il nous a été donné d'observer l'existence d'artisans œuvrant essentiellement pour un marché captif des habitants du village et des campagnes avoisinantes et qui logeaient en majorité dans le regroupement d'habitations alors que des artisans travaillant pour un marché plus large du fait d'un maigre débouché local étaient en grande partie disséminés dans les campagnes, même si une minorité pouvait habiter le noyau d'habitations villageois. En effet, si l'ensemble des villages ont en commun d'être marqués par la ruralité, certains d'entre eux offrent une image complexe. La société y est très variée, le nombre de fonctions important5. Comme dans le Midi varois, le village voit s'affronter et se côtoyer toutes les classes6 puisqu'il existe un groupe formé par des élites vivant noblement qu'Yves Castan a pu qualifier de « classe oligarchique »7. Ici, l'opposition ville/campagne n'apparaît pas pertinente puisque ces villages reproduisent le modèle urbain et sont autant de pôles d'urbanité et de centralité répartis dans les campagnes. Cette complexité sociale, l'importance des revenus qui y est liée permet au travail artisanal d'être plus nettement individualisé. Les professionnels des métiers qui trouvent à l'intérieur du bourg une population suffisamment nombreuse et aisée bénéficient, en outre, d'une clientèle résultant de la domination du bourg sur les petits villages et les campagnes environnants. Exercées par des boutiquiers, ces fonctions s'opposent ou complètent celles d'un ensemble de travailleurs plus fortement liés à la terre et essentiellement répartis dans les campagnes. Ce cas de figure, de loin le plus banal, est à l'origine de l'essentiel de la production locale et domine dans les espaces d'habitat dispersé. Donc, se limiter à l'étude des artisans de village au sens du regroupement d'habitations conduit à éliminer de fait l'essentiel de la production artisanale de la zone d'étude. À l'inverse, ignorer les bourgs et les petites villes fortement rurales conduit à négliger les artisans stricto sensu. Aussi, en traitant des artisans au village, nous entendrons ceux du noyau d'habitations ainsi que tous ceux se situant à l'intérieur du finage, des villages les plus modestes aux bourgs et aux petites villes fortement marqués par la ruralité.
- 8 La professionnalisation des artisans résulte d'un long processus, cf. A. Belmont, Des ateliers au (...)
- 9 J.-M. Minovez, Société des villes, société des champs en Midi toulousain sous l'Ancien Régime, op. (...)
3Toutefois, ce postulat nous conduit peut-être à regrouper sous un même vocable des travailleurs ne répondant pas forcément à la définition d'artisan, bien que le terme, particulièrement vague, désigne nombre de situations et connaisse une évolution dans le temps8. En effet, dans l'acception traditionnelle et dans un contexte de circulation lente, l'artisanat peut se définir comme regroupant ceux qui œuvrant dans des métiers répondent aux besoins d'une population de proximité. Couramment, on entend aussi par cette expression, celui qui exerce un métier et, dans un sens plus restrictif, celui qui exerce un métier manuel pour son propre compte. Au sens le plus restreint, il s'agirait de « maîtres » auxquels on pourrait rattacher les « compagnons » ou les « valets », les « apprentis » n'étant que des aspirants à l'artisanat. Le recours à la terminologie de « maîtres », « compagnons » et « valets » pose le problème de l'identification des différentes catégories, voire de l'existence de celles-ci. Des recherches prouvent qu'on peut ne les distinguer que rarement9. Cela semble être essentiellement imputable à deux causes : d'une part, la majorité des artisans indépendants disposent de peu de ressources et œuvrent souvent seuls ; d'autre part il n'existe pas de distinction formelle entre les deux catégories car les métiers ne sont pas organisés : ils ne le sont plus toujours dans les villes, ils ne l'ont jamais été dans le rural. En outre, cette distinction formelle ne revêt parfois aucun sens lorsqu'on a affaire à des artisans partiels qui constituent la majorité de la main-d'œuvre textile. Ce sont eux pourtant que nous allons essentiellement étudier puisqu'ils représentent la grande masse des tisserands et des fileuses à l'origine de la presque totalité de la production textile régionale.
- 10 J. Savary des Bruslons et P.-L. Savary, Dictionnaire universel de commerce, d'histoire naturelle e (...)
- 11 P. Deyon et F. Mendels, « La proto-industrialisation : théorie et réalité », dans R.N., 1981, p. 1 (...)
- 12 P. Léon, La naissance de la grande industrie en Dauphiné, fin du xviie siècle-1869, Paris, puf, 19 (...)
- 13 J.-P. Poussou, « Un grand pays industriel : la France d'autrefois », dans Histoire de la France in (...)
4Peut-on alors encore parler d'artisans confectionnant des pièces d'étoffes dans une structure qui n'est plus artisanale, au sens traditionnel du terme ? Si l'on s'en remet à la représentation que les contemporains ont du terme, que ce soit à partir de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert ou du dictionnaire des frères Savary, on s'aperçoit qu'ils emploient indifféremment le terme d'artisan pour des activités aux débouchés modestes comme pour celles s'insérant dans un tissu de nature industrielle. Ainsi, Jacques Savary des Bruslons parle-t-il aussi bien d'ouvriers que d'artisans dans le fonctionnement des « manufactures » ou des « lieux de fabrique »10. La terminologie employée par des théoriciens pionniers de la proto-industrialisation n'est pas d'un plus grand secours. En effet, Pierre Deyon et Franklin Mendels, pour qualifier les producteurs du système proto-industriel, opposent les « artisans traditionnels locaux » aux « artisans-paysans indépendants du Kaufsystem » et aux « populations paysannes [qui participent à la] production artisanale pour le marché »11. Avec le développement du Verlagsystem, le vocable d'artisan devient pourtant inadapté d'un point de vue purement théorique, la main-d'œuvre devenant de plus en plus ouvrière. Mais il est particulièrement difficile de déceler le niveau de dépendance des paysans et l'importance que peuvent prendre les mutations de structures, d'autant que plusieurs modes d'organisation de la production coexistent (cf. infra). En outre, on peut penser que l'attachement au terme artisan découle plus de la nature des techniques employées qui relèvent dans tous les cas plus de l'artisanat que de l'industrie dans la représentation qu'en ont les chercheurs du xxe siècle. Il résulte aussi du désintérêt porté à la production par les hommes du Siècle des lumières pour lesquels l'image du négoce est bien plus valorisante12. Dès lors, les sources comme les historiens ne font pas de différence entre les statuts et qualifient d'artisans tous ceux qui participent à l'exercice d'un métier transformant des matières à l'aide de techniques le plus souvent rudimentaires et dont la production est destinée au marché13.
L'industrie aux champs
- 14 « Population seuil » d'un espace donné = Nombre d'habitants de l'espace donné / Nombre d'artisans (...)
- 15 Les chiffres que nous donnons ont été calculés à partir des effectifs de population donnés par Mau (...)
- 16 C. Marquié, L'industrie textile carcassonnaise au xviiie siècle. Étude d'un groupe social : les ma (...)
- 17 Dans la seconde moitié du xviiie siècle le nombre de métiers battants reste compris entre 1 300 et (...)
5La production des artisans ruraux des manufactures de la région de Saint-Gaudens est, en effet, en grande majorité destinée au commerce. Tout au long du xviie siècle et probablement dès la seconde moitié du xvie, l'essentiel des petites étoffes confectionnées dans la région semblent partir en direction de marchés lointains. Les sources qualitatives et l'essor du volume de production en fournissent les indices sans toutefois en donner ni la certitude ni l'ampleur. Par le croisement des sources fiscales, industrielles et démographiques, il est possible de démontrer le passage d'une activité aux débouchés modestes et locaux à un négoce d'exportation. Dans les villages où des artisans participent à la satisfaction des besoins élémentaires de la population environnante, les sources fiscales montrent une domination des secteurs du textile, de l'alimentation et du vêtement dont les métiers n'ont besoin pour exister que d'une « population seuil » relativement faible14. Pour le textile on peut constater la faiblesse de la « population seuil » observable et sa diminution au cours du temps indiquant le passage d'un artisanat aux débouchés locaux à une véritable pré-industrie. En prenant appui sur nos travaux portant sur le diocèse languedocien de Rieux, nous pouvons estimer que l'activité d'un tisserand travaillant pour un débouché essentiellement local est viable à partir d'une « population seuil » de 500. Vers 1700, le chiffre de 446 pour ce diocèse, met en évidence une activité de fabrication encore nettement marquée par la satisfaction des besoins locaux. Vers 1750, la montée en puissance de la pré-industrie, de la grande et de la basse draperie, donne un rapport de 148 qui atteint 101 vers 1789 lorsque les petites draperies du diocèse de Rieux sont encore dans une phase d'apogée. Dans le Comminges gascon et languedocien et en Nébouzan, on atteint le chiffre de 151 dès 1700, montrant le fort développement de la fabrique drapière qui a donc acquis dès cette période un caractère pré-industriel. Le phénomène est confirmé par la suite avec un chiffre de 92 vers 1750 et de 102 vers 178915. En atteignant ces indices, on peut dire que c'est toute une partie de la région qui travaille dans la draperie. Si l'on considère, en reprenant les proportions admises dans l'industrie carcassonnaise, qu'un métier de tisserand génère dix emplois textiles16, ce sont au moins 3 000 ouvriers qui sont occupés par les manufactures dans les périodes de crise alors que dans les phases de forte production on compte plus de 15 000 drapiers17.
- 18 Souvent négligée ou contournée cette condition a conduit Franklin Mendels à une mise au point, cf. (...)
- 19 Rappel de ces conditions par Pierre Deyon et Franklin Mendels dans un article faisant un point his (...)
- 20 G. Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au Siècle des lumières, vers 1670-1789, op. cit., p (...)
- 21 Ainsi, la production des campagnes qui était réputée destinée aux marchés extérieurs par sa prise (...)
6Quoique très localisée, l'ampleur prise par la production rappelle bien d'autres espaces proto-industriels, même s'il nous semble délicat d'employer ici ce concept. Si l'on s'en tient à la définition donnée par Franklin Mendels, notre espace d'étude n'est pas proto-industriel, d'abord parce que l'industrie textile régionale ne débouche pas sur l'industrie moderne18, ensuite parce qu'il n'y a pas présence simultanée de trois éléments : industries rurales, débouchés extérieurs et symbiose avec le développement régional d'une agriculture commercialisée19. L'agriculture locale est en effet, à l'exception du Bas-Comminges, des moins productives et toujours dépendante des régions voisines pour son approvisionnement20. En outre, si la présence des industries rurales semble attestée, elle l'est en compagnie d'un maintien concomitant d'un artisanat traditionnel. Si l'essentiel de la production textile des xviie et xviiie siècles semble destiné à des marchés extra régionaux, il n'en subsiste pas moins un artisanat aux débouchés purement locaux. Cependant, au rythme de la croissance de la pré-industrie, la différence entre les deux catégories est de plus en plus ténue, leurs débouchés ayant de plus en plus tendance à se croiser. Le schéma théorique qui consiste à considérer l'artisanat traditionnel comme devant trouver une issue locale et la production des campagnes comme destinée à des marchés extra régionaux doit être dépassé. Il répond plus du souci de l'historien économiste d'établir des catégories plutôt que de mettre en évidence des organisations bien plus complexes. En fait, le développement de la production textile qui n'était possible que par la recherche de nouveaux marchés éloignés de la zone de production n'a représenté qu'une opportunité supplémentaire pour des artisans traditionnels comme pour des paysans avides de produire pour lutter contre leur situation de paupérisation. Peu soucieux de connaître les débouchés de leur fabrication, ils produisent aussi bien pour une clientèle locale en tissant à façon pour les paysans et les populations des bourgs que pour les fabricants ou les marchands qui négocient cette confection aussi bien sur les marchés locaux et extra régionaux qu'auprès de commissionnaires toulousains ou d'autres grandes villes du Royaume, sans se préoccuper de la provenance des draps21.
- 22 M. Dufaur, L’élection de Comminges à la fin de l'Ancien Régime, op. cit., p. 512-513.
- 23 G. Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au Siècle des lumières, vers 1670-1789, op. cit., p (...)
- 24 « Tous ou presque ont des fonds mais en petite quantité », cf. ibid., p. 202.
- 25 « 88 % des feux à Valentine, 70 % à Saint-Gaudens et Montréjeau ne possèdent aucun bien foncier », (...)
7La différence entre les deux catégories d'artisans ruraux tient alors peut-être davantage du lien plus étroit que les drapiers des manufactures gardent avec la terre. La main-d'œuvre du textile est, en effet, avant tout constituée de microfundiaires, parfois même de paysans totalement exclus de la possession de la terre. Cette éviction prend généralement des proportions importantes au fur et à mesure que l'on s'approche de Toulouse, des principales voies de communication et des terres riches des vallées, là où il est possible de pratiquer une agriculture commerciale, là où les propriétaires rentiers peuvent exporter leur production en direction des marchés d'écoulement. La faiblesse des revenus ou des salaires des plus modestes paysans les confine souvent dans la condition de brassier plus ou moins misérable. Les exemples monographiques le montrent bien, même si les historiens ne s'accordent pas tous sur ce point. En effet, selon Maurice Dufaur, « dans la vallée de la Garonne, au sortir des montagnes, là où les terres étaient plus fertiles, le nombre des paysans propriétaires était élevé dans un grand nombre de communautés, telles que Beauchalot, Labarthe-Inard, Montespan, Pointis-Inard, Sabarthès, Landorthe, Clarac et Ausson ; la situation n'était quelque peu différente qu'à Saint-Martory et à Villeneuve-de-Rivière »22. Georges Frêche infirme cette impression, ou tout au moins la nuance fortement constatant que « dès que l'on s'approche [...] de la vallée de la Garonne s'affirme la mainmise sur la terre des non-paysans [...]. Entamée sur sa frange orientale, la propriété paysanne décroît franchement au Sud, dans le Pays de Rivière et le Nébouzan autour de Saint-Gaudens »23. En fait, bien que les paysans ne soient pas totalement exclus de la possession de la terre, la concurrence des élites sociales les prive de l'essentiel de leur outil de travail, les réduisant le plus souvent à l'état de microfundiaire comme à Beauchalot24. À Villeneuve-de-Rivière, la bourgeoisie marchande exerce tout au long du xviiie siècle un très fort contrôle de la propriété, à tel point que 90 % des habitants sont repoussés dans le statut de brassier. Ces derniers possèdent parfois une maison et un jardin comme à Pointis-Inard, mais dans bien des cas, ils n'ont rien comme à Valentine, Saint-Gaudens ou Montréjeau25.
- 26 Même si Ton sait aujourd'hui que ce constat ne peut plus être généralisable ; ce que Franklin Mend (...)
- 27 A.D.31 (Archives départementales de la Haute-Garonne), C, 2027 ; Rôle de la capitation de 1695 du (...)
- 28 « Les tisserands fabriquent du cadis étoffe la plus grossière font huit pièce chacun par année tra (...)
- 29 On compte 10 fileuses à Mazères en 1695 qui sont regoupées sous le « titre des fames veuves naiant (...)
- 30 « [...] il y a seulement deux ou trois cardeurs autant de fileuses qui travaillent fort peu étant (...)
8Ces paysans glissent alors par nécessité vers un statut bivalent d'artisan-paysan. On retrouve ici le modèle théorisé par Franklin Mendels, Charles Tilly ou David Levine qui voyaient dans la pauvreté rurale, son aggravation et le manque de terre, une des causes importantes de l'essor de la proto-industrie26. Des ruraux, pour éviter de glisser dans la mendicité, étaient contraints de se regrouper, formant des communautés comme à Pointis-de-Rivière où, en 1695, les frères Laurens, Jacques, Joseph et Pierre Bourjac, les frères Jacques, Joseph et Laurens Pescheur sont tisserands indépendants alors que le laboureur Pierre Pescheur travaille leurs fonds. Ils logent tous ensemble dans une maison de louage à Pointis-de-Rivière et sont imposés en commun sur la capitation pour seulement 12 livres27. En 1744, la situation des tisserands de Pointis-de-Rivière atteste encore du lien conservé avec de modestes fonds28. La situation est encore plus précaire pour les femmes devenues veuves ou dont les maris ont été contraints d'émigrer temporairement en Espagne pour tenter de gagner leur subsistance. Dans le diocèse languedocien de Comminges, elles sont en grande majorité réduites à la mendicité. Il n'y a guère qu'à Mazères où leur situation apparaît un peu moins précaire grâce au filage de la laine qui leur fournit un petit revenu permettant d'être imposé à hauteur de deux livres sur la capitation en 169529. En 1744, quelques femmes continuent de compléter les revenus de l'exploitation de la terre par la filature comme les rares cardeurs qui résident à Mazères30.
- 31 Comme dans le modèle liégeois où les acteurs de la proto-industrie exerçaient l'activité manufactu (...)
- 32 D. Terrier, Les deux âges de la proto-industrie, op. cit., p. 57.
- 33 A.D.34, C, 2475 ; Statistiques pour l'inspection de Saint-Gaudens en 1751.
- 34 3,7 pièces produites en 1751 dans le bureau de Valentine et 2,5 dans celui de Saint-Martory. Les r (...)
9Pourtant, ce modèle ne devait être ni unique ni dominant. La relation qui existe entre draperie et travail de la terre est bien plus forte que le laissent penser les sources qui la présentent comme une activité complémentaire et donc secondaire. En fait, l'activité textile était première pour le plus grand nombre des artisans-paysans31. Comme les mulquiniers du Cambrésis et du Saint-Quentinois, les drapiers du Saint-Gaudinois tissaient une grande partie de l'année. Il suffit pour s'en convaincre de rapporter les chiffres de pièces confectionnées au nombre de métiers battants. Si l'on sortait de 8 à 12 pièces de toiles par an des caves du Nord de la France32, au pied des Pyrénées, c'étaient 3 à 14 pièces qui étaient produites dans le même temps33. Moins homogènes que les fabriques du Nord, les draperies des Pyrénées centrales laissent apparaître deux espaces distincts. Dans la vallée d'Aure, les tisserands devaient être occupés pratiquement tout au long de l'année à leur métier (13,7 pièces produites en 1751 dans le bureau d'Ancisan et 13,1 dans celui d'Arreau). Ils devaient y consacrer l'essentiel de leur temps autour des bureaux de Saint-Gaudens et de Villeneuve (9,4 pièces produites en 1751 dans le bureau de Villeneuve et 7,6 dans celui de Saint-Gaudens), comme dans ceux de Valentine et de Saint-Martory, même si certaines sources laissent à penser que le tissage ne devait être que complémentaire34. Malgré les nuances, et compte tenu de l'importance respective des différents bureaux, force est de constater le caractère second des travaux agricoles pour la majorité des artisans-paysans de la région. Aussi, plutôt que de chercher quel labeur était complémentaire de l'autre, vaut-il mieux parler de pluri-activité associant agriculture et pré-industrie textile.
Des artisans ruraux dépendant des marchands. La domination du kaufsystem ?
- 35 On est là dans le modèle trapézoïdal décrit par Serge Chassagne où le contrôle est exercé par des (...)
- 36 Nous empruntons ici la terminologie de Line Teisseyre-Salman pour qualifier des marchands qui inte (...)
- 37 Dans les manufactures de la région de Saint-Gaudens le terme n'est jamais employé. Cela ne signifi (...)
- 38 Le modèle est bien connu et l'exemple du Gévaudan en donne une bonne illustration pour le Languedo (...)
10Les artisans ruraux, quel que soit leur statut, étaient dépendants des marchands qui, ne se limitant pas toujours à leur sphère traditionnelle du négoce, intervenaient parfois directement dans la fabrication. Le modèle qui semble l'emporter est représenté par une structure à trois niveaux dans laquelle on retrouve le marchand, le fabricant et le tisserand. Mais il existe aussi une organisation beaucoup plus souple dans laquelle le marchand assure toujours le contrôle mais où le fabricant disparaît, la production étant le fait de tisserands ruraux plus ou moins indépendants35. Cette organisation floue et fluctuante n'est pas éclaircie par la terminologie donnée par les sources qui désigne des groupes aux situations les plus diverses. En effet, il existe une différence notable entre un marchand drapier se contentant d'écouler une production et celui participant en partie à la fabrique ; le premier n'est qu'un simple négociant, le second intervient dans la sphère productive. Le vocable purement commercial ne recouvre plus la totalité de son action puisque, dans ce cas, il est devenu un véritable « marchand faisant fabriquer »36. De la même manière, quoi de commun entre un fabricant qui se contente d'acheter du fil et de tisser de petites étoffes vendues en toile au marché et celui qui contrôle tout ou partie des opérations préliminaires de la draperie et qui négocie ensuite sur des marchés plus lointains le fruit de sa manufacture qu'il a fait éventuellement teindre et apprêter. Le premier s'apparente plus à un maître-artisan, alors que le second est un véritable marchand fabricant37. Enfin, sous l'appellation tisserand se cachent des situations fort diverses qui vont de l'artisan travaillant pour son compte au paysan qui facture quelques pièces d'étoffes pendant la période creuse des travaux agricoles38. Entre les deux se trouvent les ouvriers et les tisserands réduits à l'état de façonnier. Dans le monde rural où l'encadrement corporatif n'existe pas, la différence se fait entre le tisserand capable d'acquérir un ou plusieurs métiers et celui qui ne le pouvant pas est réduit à l'état d'ouvrier. Elle se fait aussi entre les tisserands qui, bien que possédant leur outil de travail, sont réduits à l'état de façonnier des différentes catégories de marchands et de fabricants.
- 39 A.N., F12, 556 ; Enquête sur la généralité d'Auch concernant les fabriques de cadis, rases et bura (...)
- 40 A.N., F12, 1378 ; Journal du sieur Lauvergnat inspecteur des manufactures de la généralité d'Auch, (...)
- 41 bmc (Bibliothèque municipale de Carcassonne), mss. no 94, intendant Ballainvilliers, Traité sur le (...)
- 42 Ceci ne signifie pas pour autant qu'il n'existe pas de marchands-fabricants en Comminges ou Nébouz (...)
- 43 Pour le Comminges languedocien, essentiellement représenté par Valentine, Ballainvilliers donne « (...)
- 44 A.D.34, C, 2475 ; Nombre de métiers dans l'inspection de Saint-Gaudens en 1751.
- 45 P. Goubert, 100 000 provinciaux au xviie siècle, Paris, Flammarion, 1968, p. 320.
- 46 P. Deyon, Amiens, capitale provinciale. Étude sur la société urbaine au xviie siècle, Paris/La Hay (...)
- 47 R. Molis, « Le Comminges languedocien ou Petit Comminges à la fin de l'Ancien Régime : son état éc (...)
11Le fabricant garde la position centrale dans la confection d'une pièce d'étoffe. Ses moyens lui permettent d'occuper plusieurs métiers en distribuant le travail à des façonniers ou à des ouvriers que les sources mentionnent sous la dénomination de tisserand ou de tisserand à la journée, mais sa fortune modeste le contraint à participer directement au tissage. Bien que semblant agir indépendamment de toute influence extérieure dans la sphère productive, il ne contrôle pas la totalité de l'acheminement de la matière première, puisque n'achetant pas la laine « surge » et ne procédant à aucune des opérations préliminaires. Toutefois, il acquiert lui-même la laine filée en Languedoc et en Nébouzan et distribue le fil aux tisserands qui travaillent à façon pour son compte39. Cette pratique se maintient, les fabricants de Comminges et de Nébouzan achetant en 1782 « une grande quantité de fil pour chaîne, d'estame et de peignon » qui se négocie en abondance sur les marchés de Saint-Gaudens, Montréjeau, Saint-Plancard et Valentine40. En 1788, ils sont 60 chefs de fabrique uniquement pour le diocèse languedocien de Comminges41. Leur nombre très important confirme le peu de développement que peuvent avoir leurs établissements comparativement aux entreprises des marchands fabricants42 : d'ailleurs, chacun d'eux ne dispose en moyenne que de 3,33 métiers43. En 1751, chaque fabricant du Comminges languedocien a en moyenne moins de 4 métiers en sa possession, 8 métiers apparaissent dès lors le maximum dont peuvent disposer les fabricants les plus aisés44. On est là dans une situation très proche de celles décrites par Pierre Goubert45 ou Pierre Deyon46. La faiblesse du nombre de ces établissements et leur relative autonomie résultent semble-t-il de la modestie des moyens des habitants en général et des fabricants en particulier et de la peur de ces derniers de risquer un capital lentement constitué qui leur donne une petite aisance47. Elle est due aussi à la nature de la production ; les petites étoffes, à la fois de médiocre qualité et de petit prix, ne permettent pas aux fabricants de s'enrichir par la production seule. Leur peu de disponibilités financières les empêche de contrôler les opérations de finition et ne leur permet pas d'accéder au stade du négoce des draps ou de la spéculation sur les matières premières, seuls à même de les hisser au-dessus d'une condition médiocre, qu'ils doivent abandonner aux marchands.
- 48 bmc, mss. no 94, intendant Ballainvilliers. Traité sur le commerce de Languedoc, 1788, f° 98, r°.
- 49 A.N., F12, 557 ; Remarques de Lauvergnat, inspecteur du département de Saint-Gaudens, 26 avril 178 (...)
- 50 L. Bourrachot, « Notes sur l'émigration commingeoise en Agenais », dans R.C., 1970, p. 203.
- 51 A.N., F12, 557 ; Remarques de Lauvergnat, inspecteur du département de Saint-Gaudens, 26 avril 178 (...)
- 52 bnf, Manuscrit français, no 8037, Recueil de mémoires sur l'état des manufactures des différentes p (...)
- 53 A.D.31, 1L, 646, pièce 44 ; Tableau des marchands patentés sédentaires ou ambulants vendant en gro (...)
- 54 A.N., F12, 557 ; Remarques de Lauvergnat, inspecteur du département de Saint-Gaudens, 26 avril 178 (...)
12Les marchands occupent une position clef dans l'ensemble du processus de fabrication dans la région de Saint-Gaudens. En effet, comme nous avons pu le démontrer, l'essentiel de la production de petites étoffes de la région est confectionné par des petits fabricants, des tisserands indépendants et des artisans-paysans. Traditionnellement, ces deux dernières catégories au moins sont incapables d'assumer la commercialisation de leur fabrication au-delà de la satisfaction des besoins locaux. Les proportions prises par la fabrique font que les producteurs d'étoffes ne peuvent se satisfaire de la demande locale ce qui nécessite la recherche de débouchés extérieurs à la petite région. Seuls les marchands, par leur maîtrise des circuits du négoce et leurs capacités financières, sont à même d'assumer cette fonction qu'ils assurent aussi en grande partie pour le compte des « chefs de fabriques » ; ceux-ci, bien loin de pouvoir être considérés comme des Verleger, sont dépendants des marchands urbains dans la commercialisation de leurs produits. Bien moins aisés que les entrepreneurs du diocèse de Rieux, les fabricants commingeois ne contrôlent pas non plus les opérations de finissage, les foulons et les rares teintureries étant dans les mains de maîtres indépendants. Dès lors, la production semble, jusqu'à la fin de la période moderne, vendue en blanc aux foires de Toulouse et aux commissionnaires de Saint-Gaudens48, ainsi qu'aux marchands de Limoges, Montauban ou Agen qui font apprêter et teindre chez eux comme l'attestent, par exemple, les remarques de Lauvergnat49 ou l'inventaire d'un marchand drapier de l'Agenais mentionnant de nombreux fournisseurs à Saint-Gaudens, Salies et autres lieux de fabrique commingeois50. À ce stade, on observe que la commercialisation pouvait être prise en charge par des marchands saint-gaudinois agissant pour leur propre compte et débitant leur marchandise sur les grandes et les petites places de marché du Sud-Ouest : Toulouse, Bayonne, Nérac sans que nous puissions différencier ce qui relevait du simple colportage ou du négoce d'une certaine importance. Difficile dès lors de mesurer, dans ce cas, l'importance du commerce dû aux Saint-Gaudinois eux-mêmes. Quoi qu'il en soit, il semble que l'essentiel du commerce leur échappe à partir de Toulouse où, lors des foires de cette ville, les négociants de la capitale régionale – ainsi que ceux de Montauban, Agen ou Limoges – se chargent des étoffes en blanc pour les faire « apprêter et teindre chez eux » avant de les redistribuer51. Cette influence extérieure est même sensible, quelle que soit la période envisagée, sur les marchés de Saint-Gaudens, Miramont ou Valentine où les commissionnaires concurrencent les marchands locaux52. À la fin du xviiie siècle, la conformation des statuts à Saint-Gaudens tend à montrer la permanence de cette structure avec : 1 « marchand drapier en détail », 2 « marchands d'étoffes grossières », 1 « marchand ambulant », 5 « marchands de mousselines », 3 « marchand de toiles », 1 « marchand de mouchoirs », 9 « marchands en détail » et seulement 1 « marchand en gros »53. Comme en 1782, nous ne pouvons déceler qu'un seul marchand d'une certaine importance dans la région capable de négocier directement et en grandes quantités dans tout le royaume. Peut-être s'agit-il encore du même : un certain Duran, qui se charge des cadis qu'il acquiert après tissage pour les faire teindre et apprêter afin de les négocier directement dans tout le pays54.
Une nouvelle forme de domination des artisans-paysans. Le développement du verlagsystem ?
- 55 « Titre des tiserans qui travailent pour les marchands », cf. A.D.31, 2027 ; Rôle de la capitation (...)
13Aux xviie et xviiie siècles, la majorité des marchands qui assurent le négoce des étoffes de la région de Saint-Gaudens semblent n'exercer la plupart du temps aucune influence directe sur la sphère productive, se limitant à vendre les produits confectionnés par les artisans-paysans, contrôlés ou non par des fabricants. Il existe néanmoins un groupe de négociants qui ne se contente pas d'écouler la production des fabricants et des tisserands indépendants mais qui agit directement sur la production. L'étude de cette catégorie revêt un très grand intérêt car elle permet de mettre en évidence une variante de la dépendance des artisans-paysans vis-à-vis d'une catégorie d'organisateurs de la production qui paraît peu répandue. Les sources font cruellement défaut pour évaluer la part qu'ils pouvaient représenter et la nature du contrôle qu'ils pouvaient exercer. Leur présence est toutefois attestée dès la fin du xviie siècle, où ils semblent commander du travail aux fabricants ruraux. Ainsi, en 1695 à Mazères, les 9 tisserands recensés travaillent pour les marchands55. Mais la proximité du diocèse de Rieux et le rôle que jouent certains marchands-fabricants dans cet espace nous amène à considérer qu'il s'agit probablement d'une exception ou tout du moins d'une structure minoritaire. En effet, aucune information ne vient attester la diffusion de ce modèle dans le reste du Comminges languedocien et rien n'indique son existence en Gascogne à cette époque.
- 56 A.D.31, 1L, 646, pièce 44 ; Tableau des marchands patentés sédentaires ou ambulants vendant en gro (...)
- 57 A.N., F12, 1378 ; Mémoire de Lauvergnat de 1786 déjà cité. On ne considèrera toutefois ces chiffre (...)
- 58 G. Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au Siècle des lumières, vers 1670-1789, op. cit. et (...)
- 59 Dans la fabrication d'un balle de londrins seconds carcassonnais dans la seconde moitié du xviiie (...)
- 60 J.-M. Minovez, L'impossible croissance en Midi toulousain ?, op. cit., p. 115-117.
14Dans la seconde moitié du xviiie siècle, un faisceau d'indices montre que ce type d'organisation a pu prendre de l'ampleur. Une enquête de la fin du xviiie siècle mentionne l'existence de 3 marchands « fabricant et vendant en détail » à Saint-Gaudens, de 2 « fabricants et marchands drapiers » à Miramont et surtout de 17 « fabricants et marchands d'étoffes » : 1 à Labarthe-de-Rivière, 1 à Villeneuve-de-Rivière, 8 à Valentine et 7 à Miramont56. La mutation est spectaculaire à Miramont et à Valentine, puisqu'on y recense plus que des « marchands faisant fabriquer » et des marchands-fabricants. Mais elle n'est pas totale ; Saint-Gaudens possède toujours une majorité de marchands d'étoffes n'intervenant que dans la sphère du négoce. Cette limite est loin d'être négligeable lorsqu'on considère que Saint-Gaudens est le principal lieu de commercialisation des étoffes de la région avec 58 % de l'ensemble. Toutefois, Miramont et Valentine totalisent de leur côté 37 % de ce trafic, ce qui laisse augurer un développement important du Verlagsystem dans l'ensemble de la région57. Reste à définir qui sont ces Verlager. S'agit-il de fabricants ayant glissé progressivement en direction d'un statut de marchand, ou de négociants s'immisçant dans la sphère productive ? En effet, comme dans le cas analysé précédemment pour Mazères, on peut concevoir que des marchands ne se contentent pas d'intervenir seulement après l'achèvement du tissage, mais réduisent les tisserands à l'état de façonnier en leur commandant des pièces d'étoffes et en leur fournissant le fil nécessaire à leur artisanat. Pourquoi donc cette structure se développerait-elle dans la seconde moitié du xviiie siècle, alors qu'elle est restée au moins largement minoritaire auparavant ? On peut penser que le gonflement de la population des Pyrénées centrales et de leur piémont dans un contexte de paupérisation des masses ait favorisé ce phénomène58. En effet, le nombre de ruraux privés de terres augmentant au rythme de l'accroissement démographique suscite d'autant plus de leur part la recherche de moyens d'existence. Bien que l'activité textile offre un débouché en augmentation, leur situation de précarité peut les empêcher d'acquérir un métier à tisser, en tout cas de faire l'avance de l'achat de laine ou de fil, dont on sait qu'il représente le principal investissement en capital circulant de la manufacture textile, quelle que soit la valeur de la fabrication59. Or, dans la seconde moitié du xviiie siècle, la demande de tissus augmente et la production de la région s'accroît60. Pour y faire face et ne pas voir des possibilités d'amplification de profits leur échapper, certains négociants disposant de suffisamment de capital ont pu se transformer en « marchands faisant fabriquer ».
- 61 A.N., F12, 1378 ; Le sieur Lauvergnat inspecteur des manufactures de la généralité d'Auch envoye à (...)
- 62 Ibid.., « les fabriquants de l'arrondissement [de Saint-Gaudens] en font de même pour les engager (...)
- 63 R. Molis, « Inspection des manufactures au départ de Saint-Gaudens et industries en Nébouzan », op (...)
15Cela n'exclut pas pour autant le développement de certaines affaires de fabricants qui possédant plus de capitaux ont pu exercer un contrôle plus important de la filière textile, au moins en aval, en se chargeant de la commercialisation de leur production, glissant ainsi d'un statut de simple fabricant à celui de marchand-fabricant. Cette évolution peut aussi plus simplement résulter d'une meilleure maîtrise des marchés locaux d'une partie des fabricants, sans que ces derniers n'aient vu leur condition matérielle se modifier sensiblement. Ainsi, ceux de Valentine, contrairement à leurs homologues de Saint-Gaudens et de Miramont, contrôlent le foulage des rases qu'ils portent directement aux foires de Toulouse pour les y vendre sans intermédiaire61. Plus généralement, à la fin de l'Ancien Régime, les fabricants exercent aussi un contrôle plus accru en amont de la fabrication. Au lieu de se contenter d'acheter le fil au marché pour le monter sur leurs métiers, ils acquièrent la laine et la portent directement aux fileuses pour être sûrs de disposer de suffisamment de matière pour alimenter leur entreprise. Le souci n'est plus ici d'assurer un profit plus important comme dans le contrôle aval de la filière mais bien de tenter d'enrayer la concurrence entre les fabricants pour disposer du plus de fil62. Ainsi, la pratique vient ici confirmer ce que les règlements laissaient entendre quant à la présence de marchands-fabricants dès le milieu du xviiie siècle. En effet, si l'on en croit les arrêts portant sur le droit de marque dans l'inspection de Saint-Gaudens, toute pièce d'étoffe de l'inspection doit porter le plomb du fabricant et celui du commerçant qui se charge des derniers apprêts. Or, lorsque le facturier est aussi marchand, il ne doit acquitter qu'un seul droit63, ce qui tendrait à prouver l'existence de marchands-fabricants au moins dès cette période. Ainsi, qu'il y ait intervention directe dans la sphère de production de la part de certains négociants ou qu'il y ait glissement de certains fabricants en direction du négoce, les trois décennies de la fin de l'Ancien Régime voient probablement se côtoyer et s'interpénétrer partiellement les sphères du négoce et de la fabrique.
Conclusion
- 64 Bien que rarement mis explicitement en évidence, cet aspect a été souligné par René Leboutte dans (...)
- 65 H. Medick, « "Missionnaires en canot". Les modes de connaissance ethnologique, un défi à l'histoir (...)
16En Comminges et Nébouzan, la grande masse de la production textile est le fait de ruraux parmi lesquels on trouve des paysans qui complètent leurs revenus par l'exercice d'un métier textile mais où la majorité semble vivre essentiellement du travail manufacturier, l'exploitation des fonds étant devenue secondaire. Parfois indépendants dans la structure productive lorsqu'ils agissent sans intermédiaire jusqu'aux places de marché, ils sont le plus souvent dominés par des fabricants, des marchands-fabricants, des « marchands faisant fabriquer » ou des négociants. Les modes de tutelle sont ici très variés et pourraient laisser penser que plusieurs organisations de la production fonctionnent en parallèle64 ou bien qu'il y a dans un premier temps domination unilaté rale du Kaufsystem avant le passage au Verlagsystem. Pourtant, plutôt que de considérer la coexistence de plusieurs structures ou le passage d'une à l'autre, nous pencherons pour l'absence d'organisation figée avec adaptation permanente du mode d'organisation de la production en fonction du système local. Ces mouvements doivent résulter d'interactions complexes dont les réponses ne peuvent être apportées qu'en tentant à l'avenir de reconstituer les relations sociales pour mieux comprendre les stratégies individuelles65.
17Cette étude pourrait permettre de mieux saisir les comportements des artisans ruraux comme de ceux qui les dominent et ainsi de progresser dans notre compréhension de l'absence du passage à l'industrie moderne. La dépendance des artisans-paysans qui va en s'accroissant notamment par l'interpénétration partielle des sphères de la production et du négoce n'a pas représenté pour autant un atout de développement pour la région. En effet, la double compétence de marchand et de fabricant aurait pu éventuellement contribuer à la formation d'un groupe d'entrepreneurs susceptibles de donner naissance à de futurs patrons d'industrie par leur maîtrise – quoique inachevée – des circuits commerciaux et l'acquisition d'une certaine culture technique. Le glissement d'un capitalisme marchand vers un capitalisme entrepreneurial ne s'est en fait révélé que très ponctuellement. Aussi, les artisans-paysans sont-ils restés dans un premier temps au village. Ils ne se sont que minoritairement transformés en ouvriers du second âge de la proto-industrie et n'ont pas connu le temps de la fabrique concentrée. Puis, le manque de subsistance et de revenus lié au déclin des manufactures locales les a conduits à quitter le village, alors que le statut d'artisan-paysan disparaissait, rendant la région plus paysanne que jamais.
Notes
1 Nous rappellerons en outre, après Serge Chassagne, que l'industrie rurale française « est une vieille réalité souvent antérieure au xve siècle », cf. S. Chassagne, « Industrialisation et désindustrialisation dans les campagnes françaises : quelques réflexions à partir du textile », dans R.N. (Revue du Nord), 1981, p. 36. Evguenyi Tarlé l'avait d'ailleurs noté dans l'introduction de son ouvrage, cf. E. Tarlé, L'industrie dans les campagnes en France en France à la fin de l'Ancien Régime, Paris, Cornély, 1910. D'après S. Chassagne, op. cit.
2 Par Comminges il faut comprendre le diocèse du même nom situé en Gascogne ainsi que le diocèse civil de Comminges (appelé aussi « Petit Comminges ») situé en Languedoc et faisant partie de la subdélégation de Rieux. Le Nébouzan fait partie de l'éjection de Comminges avec le diocèse gascon du même nom.
3 Voir à cet effet ce qu'en dit Maurizio Gribaudi qui refuse d'utiliser des catégories qu'il juge réifiées et extérieures au contexte, cf. M. Gribaudi, « Echelle, pertinence, configuration », dans Jeux d'échelles. La micro-analyse à l'expérience, J. Revel (dir.), Paris, Le Seuil/Gallimard, 1996, pp. 113-139.
4 J.-P. Gutton, La sociabilité villageoise clans la France d'Ancien Régime, Paris, Hachette, 1979, p. 11.
5 Comme nous avons pu le montrer pour les petites villes et les bourgs du diocèse de Rieux, cf. J.-M. Minovez, Société des villes, société des champs en Midi toulousain sous l'Ancien Régime, Aspet, Pyrégraph éditions, 1997.
6 M. Agulhon, La vie sociale en Provence intérieure au lendemain de la Révolution, Paris, Société des Études robespierristes et Librairie Clavreuil, 1971 et M. Agulhon, La République au village, Paris, Le Seuil, 1979.
7 Yves Castan a pu relever la place de cette oligarchie à travers les tensions qui existaient au sein des communautés se manifestant parfois par des procès, cf. Y. Castan, Honnêteté et relations sociales en Languedoc, 1715-1780, Paris, Plon, 1974. Voir aussi les « messieurs » décrits par N. Castan, Les criminels de Languedoc. Les exigences d'ordre et les voies du ressentiment dans une société pré-révolutionnaire (1750-1790), Toulouse, Association des publications de l'université de Toulouse-Le Mirail, 1980. Voir aussi le compte rendu des discussions du colloque : Le village en France et en URSS des origines à nos jours, Actes du colloque franco-soviétique organisé à Toulouse du 24 au 29 mai 1971, Toulouse, Service des publications de l'université de Toulouse-Le Mirail, 1975.
8 La professionnalisation des artisans résulte d'un long processus, cf. A. Belmont, Des ateliers au village. Les artisans ruraux en Dauphiné sous l'Ancien Régime, Grenoble, pug, 1998.
9 J.-M. Minovez, Société des villes, société des champs en Midi toulousain sous l'Ancien Régime, op. cit., p. 98. Ceci n'est pas particulier à notre recherche, Alain Contis et Christian Desplat relèvent le même phénomène à Graulhet et en Béarn, cf. A. Contis, Graulhet au xviiie siècle, 1710-1792. Familles, fortunes, mentalités, thèse de 3e cycle, dactylographiée, Université de Toulouse-Le Mirail, 1983, p. 317-318 et C. Desplat, Pau et le Béarn au xviiie siècle. 200 000 provinciaux au Siècle des lumières, Biarritz, J & D Éditions, 1992, p. 673.
10 J. Savary des Bruslons et P.-L. Savary, Dictionnaire universel de commerce, d'histoire naturelle et des arts et métiers [...], Copenhague, les frères C. et A. Philibert, 1759-1765.
11 P. Deyon et F. Mendels, « La proto-industrialisation : théorie et réalité », dans R.N., 1981, p. 11-16
12 P. Léon, La naissance de la grande industrie en Dauphiné, fin du xviie siècle-1869, Paris, puf, 1954, p. 3-4.
13 J.-P. Poussou, « Un grand pays industriel : la France d'autrefois », dans Histoire de la France industrielle, Paris, Larousse, 1996, p. 24 et sq.
14 « Population seuil » d'un espace donné = Nombre d'habitants de l'espace donné / Nombre d'artisans d'un métier spécifique de l'espace donné. Pour cette notion, cf. J. Thomas, Le temps des foires. Foires et marchés dans le Midi toulousain de la fin de l'Ancien Régime à 1914, Toulouse, PUM, 1993, p. 159 et sq.
15 Les chiffres que nous donnons ont été calculés à partir des effectifs de population donnés par Maurice Dufaur, Georges Frêche et différentes sources que nous avons publiées, cf. G. Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au Siècle des lumières, vers 1670-1789, Paris, éd. Cujas, 1974 ; M. Dufaur, L'élection de Comminges à la fin de l’Ancien Régime, Aspet, L'Adret éditions, 1987 et J.-M. Minovez, Société des villes, société des champs en Midi toulousain sous l'Ancien Régime, op. cit., p. 19-21. Les chiffres des métiers ont été relevés dans des documents contenus dans les cotes suivantes A.D.34 (Archives départementales de l'Hérault), C, 2475 et 2544, A.N. (Archives nationales), G7, 1685 et 1688, A.N., F12, 556, 1344, 1345, 1378 et bnf (Bibliothèque nationale de France), Mss. n” 8037. Les chiffres que nous obtenons doivent être compris comme des ordres de grandeur compte tenu du caractère approximatif et de l'hétérogénéité des données concernant à la fois la population et les chiffres portant sur le nombre de métiers.
16 C. Marquié, L'industrie textile carcassonnaise au xviiie siècle. Étude d'un groupe social : les marchands-fabricants, Carcassonne, Société d'études scientifiques de l'Aude, 1993, p. 172.
17 Dans la seconde moitié du xviiie siècle le nombre de métiers battants reste compris entre 1 300 et 1 600.
18 Souvent négligée ou contournée cette condition a conduit Franklin Mendels à une mise au point, cf. F. Mendels, « Des industries rurales à la proto-industrialisation : historique d'un changement de perspective », dans Annales esc , 1984, p. 977-1008. Or, nous savons que la pré-industrie locale n'a pas débouché sur l'industrie moderne, mais qu'elle s'est progressivement éteinte au cours du xixe siècle. Pour une synthèse du processus, cf. J.-M. Minovez, L'impossible croissance en Midi toulousain ? Origines d'un moindre développement, 1661-1914, Paris, Publisud, 1997.
19 Rappel de ces conditions par Pierre Deyon et Franklin Mendels dans un article faisant un point historiographique, cf. P. Deyon et F. Mendels, « La proto-industrialisation : théorie et réalité », dans R.N., loc. cit. Dans sa définition du « mode de production proto-industriel », Claude Cailly continue d'attribuer un caractère clef aux débouchés extérieurs, cf. C. Cailly, « Contribution à la définition d'un mode de production proto-industriel », dans Histoire et Mesure, 1993, pp. 19-40.
20 G. Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au Siècle des lumières, vers 1670-1789, op. cit., p. 756.
21 Ainsi, la production des campagnes qui était réputée destinée aux marchés extérieurs par sa prise en main par les marchands trouvait aussi un débouché purement local comme tendent à le prouver les déclarations du sous-garde des manufactures du bureau de Tuzaguet : les « étoffes qu'on lui [sieur Dupuy de Tuzaguet] apportait à fouler estoint destinés à l'uzage des particuliers qui les avoient commandées », cité par R. Molis, « Inspection des manufactures au département de Saint-Gaudens et industries en Nébouzan », dans R.C. (Revue de Comminges et des Pyrénées centrales), 1980, p. 261.
22 M. Dufaur, L’élection de Comminges à la fin de l'Ancien Régime, op. cit., p. 512-513.
23 G. Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au Siècle des lumières, vers 1670-1789, op. cit., p. 202.
24 « Tous ou presque ont des fonds mais en petite quantité », cf. ibid., p. 202.
25 « 88 % des feux à Valentine, 70 % à Saint-Gaudens et Montréjeau ne possèdent aucun bien foncier », cf. ibid., p. 202.
26 Même si Ton sait aujourd'hui que ce constat ne peut plus être généralisable ; ce que Franklin Mendels avait présenté comme un postulat connaît en effet de nombreuses variantes et contre-exemples, cf. P. Kriedte, H. Medick et J. Schlumbohm, « Proto-industrialisation : bilan et perspectives. Démographie, structure sociale et industrie à domicile moderne », dans Proto-industrialisation. Recherches récentes et nouvelles perspectives, Genève, Droz, Centre d'histoire économique internationale de l'université de Genève, 1996, p. 48 et sq. Voir aussi les mises au point dans S.C. Olgivie et C. Cerman (éd.), European Proto-Industrialization, Cambridge, Cambridge University Press, 1996. On constatera cependant que des travaux récents montrent encore une corrélation entre pauvreté du sol, villages de petites propriétés paysannes et développement de l'industrie, même si les résultats doivent être observés en tendance, des exemples locaux venant infirmer le modèle général, cf. G. Gayot, Les draps de Sedan, 1646-1870, Paris, ehess, 1998, p. 165-167. On observera des résultats sensiblement identiques dans D. Terrier, Les deux âges de la proto-industrie. Les tisserands du Cambrésis et du Saint-Quentinois, 1730-1880, Paris, éd. de L'ehess, 1996, p. 90-92, même si la pauvreté du terroir est un critère moins discriminant que le régime de la propriété et de l'exploitation foncière.
27 A.D.31 (Archives départementales de la Haute-Garonne), C, 2027 ; Rôle de la capitation de 1695 du diocèse civil du Petit-Comminges.
28 « Les tisserands fabriquent du cadis étoffe la plus grossière font huit pièce chacun par année travaillant eux-mêmes la culture du fond [...] », cf. A.D.31, C, 1925 ; Enquête de 1744. Diocèse de Rieux et du Petit-Comminges.
29 On compte 10 fileuses à Mazères en 1695 qui sont regoupées sous le « titre des fames veuves naiant pour tout moiens et industries que leur quenouilles », cf. A.D.31, C, 2027 ; Rôle de la capitation de 1695 du diocèse civil du Petit-Comminges.
30 « [...] il y a seulement deux ou trois cardeurs autant de fileuses qui travaillent fort peu étant obligés de travailler leur terre », cf. A.D.31, C, 1925 ; Enquête de 1744 pour la capitation de la subdélégation de Rieux (contenant le diocèse de Comminges).
31 Comme dans le modèle liégeois où les acteurs de la proto-industrie exerçaient l'activité manufacturière à titre principal, les travaux agricoles n'apportant qu'un complément de revenu, cf. R. Leboutte, Reconversions de la main-d'œuvre industrielle et transition démographique. Les bassins industriels en aval de Liège, xviie- xxe siècles, Liège/Paris, Bibliothèque de la Facultés de Lettres et Philosophie de l'Université de Liège/Les Belles-Lettres, 1988.
32 D. Terrier, Les deux âges de la proto-industrie, op. cit., p. 57.
33 A.D.34, C, 2475 ; Statistiques pour l'inspection de Saint-Gaudens en 1751.
34 3,7 pièces produites en 1751 dans le bureau de Valentine et 2,5 dans celui de Saint-Martory. Les remarques des inspecteurs prouvent un sous-enregistrement de la production de Saint-Martory. En outre, on ne peut que douter de la faiblesse des données fournies pour Valentine lorsqu'on sait que sept ans plus tôt l'enquête pour la capitation donnait 8 pièces par an pour le diocèse de Petit Comminges dont Valentine est le cœur, cf. A.D.31, C, 1925 ; Enquête de 1744, supra cit.
35 On est là dans le modèle trapézoïdal décrit par Serge Chassagne où le contrôle est exercé par des marchands extérieurs à la région, cf. S. Chassagne, « Industrialisation et désindustrialisation dans les campagnes françaises : quelques réflexions à partir du textile », op. cit., p. 45-47.
36 Nous empruntons ici la terminologie de Line Teisseyre-Salman pour qualifier des marchands qui interviennent dans la sphère productive, même si cette dénomination n'est jamais explicitement employée dans notre zone d'étude à la différence du cas nîmois qui est explicitement défini par des statuts ; mais il est vrai que l'on est ici dans le cadre urbain beaucoup plus organisé et contrôlé, cf. L. Teisseyre-Salman, L'industrie de la soie en Bas-Languedoc, xviie- xviiie siècles, Paris, École des Chartes, 1995, p. 272 et sq.
37 Dans les manufactures de la région de Saint-Gaudens le terme n'est jamais employé. Cela ne signifie pas pour autant l'inexistence de marchands-fabricants. Dans le diocèse de Rieux où la fabrique était entre leurs mains dans la seconde moitié du xviiie siècle, le terme n'apparaît pas non plus, cf. J.-M. Minovez, L'impossible croissance en Midi toulousain ?, op. cit., p. 57-58. En fait, la terminologie variait considérablement d'une région à l'autre, d'un document à l'autre, sans règle bien précise et « selon l'humeur du scripteur » pour reprendre la formule de Claude Marquié constatant la grande variété des dénominations des marchands-fabricants carcassonnais, cf. C. Marquié, L'industrie textile carcassonnaise au xviiie siècle, op. cit., p. 176.
38 Le modèle est bien connu et l'exemple du Gévaudan en donne une bonne illustration pour le Languedoc, cf. G. Boyer, La cadisserie gévaudanaise, Mende, Service éducatif des archives de la Lozère, s.d.
39 A.N., F12, 556 ; Enquête sur la généralité d'Auch concernant les fabriques de cadis, rases et burats dans les environs de Saint-Gaudens en 1716.
40 A.N., F12, 1378 ; Journal du sieur Lauvergnat inspecteur des manufactures de la généralité d'Auch, 1782.
41 bmc (Bibliothèque municipale de Carcassonne), mss. no 94, intendant Ballainvilliers, Traité sur le commerce de Languedoc, 1788, f° 98, r°.
42 Ceci ne signifie pas pour autant qu'il n'existe pas de marchands-fabricants en Comminges ou Nébouzan contrôlant toute la filière et disposant d'une affaire dépassant le stade purement artisanal. En 1788, Ballainvilliers note ainsi la présence de 2 fabricants semble-t-il plus importants à Mazères et Montsaunès, ibid., f° 98, r°.
43 Pour le Comminges languedocien, essentiellement représenté par Valentine, Ballainvilliers donne « 60 chefs de fabriques » pour 200 métiers, cf. supra cit., f° 98, r° et BMC, mss. no 93, intendant Ballainvilliers, Mémoires sur le Languedoc divisés par diocèses et subdélégations, 1788, f° 29, r°.
44 A.D.34, C, 2475 ; Nombre de métiers dans l'inspection de Saint-Gaudens en 1751.
45 P. Goubert, 100 000 provinciaux au xviie siècle, Paris, Flammarion, 1968, p. 320.
46 P. Deyon, Amiens, capitale provinciale. Étude sur la société urbaine au xviie siècle, Paris/La Haye, Mouton, 1967, p. 229.
47 R. Molis, « Le Comminges languedocien ou Petit Comminges à la fin de l'Ancien Régime : son état économique et social », dans R.C., 1975, p. 295, et R. Molis, « Inspection des manufactures au départ de Saint-Gaudens et industries en Nébouzan », op. cit., p. 400.
48 bmc, mss. no 94, intendant Ballainvilliers. Traité sur le commerce de Languedoc, 1788, f° 98, r°.
49 A.N., F12, 557 ; Remarques de Lauvergnat, inspecteur du département de Saint-Gaudens, 26 avril 1782.
50 L. Bourrachot, « Notes sur l'émigration commingeoise en Agenais », dans R.C., 1970, p. 203.
51 A.N., F12, 557 ; Remarques de Lauvergnat, inspecteur du département de Saint-Gaudens, 26 avril 1782. Mais il ne s'agit pas là ni d'une nouveauté ni d'une spécificité locale. Dans le travail pionnier du groupe de Gottingen Jürgen Schlumbohm avait déjà souligné la supériorité des négociants en gros sur les Verleger et les marchands, cf. P. Kriedte, H. Medick et J. Schlumbohm, Industrialization before Industrialization, Cambridge/Paris, Cambridge University Press/éd. de la msh, 1981, p. 94-125.
52 bnf, Manuscrit français, no 8037, Recueil de mémoires sur l'état des manufactures des différentes provinces de France ; réponse du Sieur Bertrand inspecteur des manufactures de Toulouse à la lettre de Mgr Desmarets, Toulouse, le 30 octobre 1708, f° 47 r° et f° 48 et BMC, mss. no 94, intendant Ballainvilliers, Traité sur le commerce de Languedoc, 1788, f° 98, r°.
53 A.D.31, 1L, 646, pièce 44 ; Tableau des marchands patentés sédentaires ou ambulants vendant en gros ou en détail [...], canton de Saint-Gaudens, 23 pluviôse an 7.
54 A.N., F12, 557 ; Remarques de Lauvergnat, inspecteur du département de Saint-Gaudens, 26 avril 1782.
55 « Titre des tiserans qui travailent pour les marchands », cf. A.D.31, 2027 ; Rôle de la capitation de 1695 du diocèse civil du Petit-Comminges.
56 A.D.31, 1L, 646, pièce 44 ; Tableau des marchands patentés sédentaires ou ambulants vendant en gros ou en détail [...], canton de Saint-Gaudens, 23 pluviôse an 7.
57 A.N., F12, 1378 ; Mémoire de Lauvergnat de 1786 déjà cité. On ne considèrera toutefois ces chiffres qu'avec quelques précautions en ne les retenant que comme ordre de grandeur à titre comparatif d'un centre de négoce à l'autre. En effet, si Jean-Pierre Poussou juge Lauvergnat comme un « excellent inspecteur », il convient cependant de rappeler, à la suite de Philippe Minard, qu'il est jugé par les bureaux parisiens comme assignant « une valeur idéale au total des étoffes [...] et la confond ensuite avec celle du commerce général de chaque endroit ». Cf. J.-P. Poussou, « Un grand pays industriel : la France d'autrefois », dans Histoire de la France industrielle, op. cit., p. 23 et P. Minard, La fortune du colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998, p. 434, note 60.
58 G. Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au Siècle des lumières, vers 1670-1789, op. cit. et M. Dufaur, L'élection de Comminges à la fin de l’Ancien Régime, op. cit.
59 Dans la fabrication d'un balle de londrins seconds carcassonnais dans la seconde moitié du xviiie siècle, l'achat de laine représentait 56 % du coût d'une pièce de drap, cf. C. Marquié, L'industrie textile carcassonnaise au xviiie siècle, op. cit, p. 144. Dans une manufacture sedanaise la laine représentait 48 % du prix de l'étoffe en 1708, cf. P. Verley, La Révolution industrielle, Paris, Gallimard, 1997, p. 407.
60 J.-M. Minovez, L'impossible croissance en Midi toulousain ?, op. cit., p. 115-117.
61 A.N., F12, 1378 ; Le sieur Lauvergnat inspecteur des manufactures de la généralité d'Auch envoye à M. le contrôleur général le journal d'une tournée faite dans son département le 8 octobre 1786 dans lequel il rend compte de la situation des manufactures d'étoffes de laine.
62 Ibid.., « les fabriquants de l'arrondissement [de Saint-Gaudens] en font de même pour les engager à travailler pour eux de préférence ».
63 R. Molis, « Inspection des manufactures au départ de Saint-Gaudens et industries en Nébouzan », op. cit., p. 259.
64 Bien que rarement mis explicitement en évidence, cet aspect a été souligné par René Leboutte dans le bassin de Liège où il a noté la coexistence de plusieurs modes d'organisation de la production, cf. R. Leboutte, Reconversions de la main-d'œuvre industrielle et transition démographique. Les bassins industriels en aval de Liège, xviie- xxe siècles, op. cit..
65 H. Medick, « "Missionnaires en canot". Les modes de connaissance ethnologique, un défi à l'histoire sociale », dans Genèses, 1990, pp. 24-46 ; M. Gribaudi (dir.), Espaces, temporalités, stratifications. Exercices sur les réseaux sociaux, Paris, éd. de l'ehess, 1998.
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Légende | NB : les limites adinistratives sont celles de l'actuel département de la Haute-Garonne et sont purement indicatives.Source : A.D. 34, C 2475.Métiers à tisser dans l'inspection de Saint-Gaudens, à Toulouse et dans le diocèse de Rieux (milieu xviiie s.) |
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