1Dans une province où l’habitat dispersé est une tradition ancienne, les rapports de voisinage ont contribué à forger les mentalités rurales et à favoriser une véritable solidarité des populations. Les sources notariées et les registres paroissiaux mettent en évidence les échanges constants qui se manifestent entre voisins, à l’occasion des hasards de la vie, comme ils témoignent de la permanente nécessité qui les pousse à s’entraider.

2Étudier la sociabilité rurale en Quercy doit permettre d’analyser les rapports conviviaux et les liens de solidarité qui existent entre les voisins proches ou lointains. Face aux iniquités ou aux abus des autorités qu’elles soient religieuses ou politiques, les élans de solidarité des paysans disséminés dans les campagnes quercinoises peuvent les conduire à la révolte ou à des luttes communes, afin de faire aboutir leurs requêtes. Ce type d’habitat a eu d’autres conséquences sur les comportements collectifs. Il a tout particulièrement contribué à freiner l’évolution de l’alphabétisation et de la francisation des populations rurales.

Un système d’habitat dispersé où les villages sont rares

3Les coteaux du Bas-Quercy, ces pays de molasses que les cours d’eau ont découpé en lanières orientées du Nord-Est vers le Sud-Ouest se distinguent par un peuplement traditionnel en maisons isolées ou regroupées en hameaux. L’habitat le plus courant est caractérisé par des « bordes »1, des fermes éloignées les unes des autres et situées sur les hauteurs, beaucoup plus rarement dans les fonds de vallées. Ce type d’habitat se rencontre dans les coteaux du Bas-Quercy, au nord de Moissac, de Lafançaise ou de Montauban. Ailleurs, les maisons se regroupent en « masages » ou « masatges », et dans ce cas, ces hameaux correspondent peut-être à d’anciens manses médiévaux. Cette forme d’habitat un peu plus regroupé est fréquente dans pays du causse, du côté de Montpezat-de-Quercy, de Caylus ou de Saint-Antonin. À l’époque moderne apparaît, en outre, une forme d’habitat groupé, beaucoup plus originale et aujourd’hui disparue, que l’on appelle les « maynés ». Nombreux en Agenais et dans les Pays de Serres, Pierre Deffontaines les décrit comme des « sortes de maisons-hameaux » où « les bâtiments s’agglutinent » de façon anarchique et peuvent abriter de 15 à 20 familles. Les habitants qui s’appellent les « bezy », les voisins, ont de vieilles traditions de vie collective et gèrent des « biens vésinaux » en toute indépendance vis-à-vis de la communauté, souvent très vaste, qui les regroupe, sans réellement les contrôler.

4À l’exception des petites villes, comme Montcuq, Lauzerte ou Molières, ces terroirs se caractérisent par un habitat très dispersé où les villages sont rares et où, parfois, n’existe même pas d’habitat villageois aggloméré. C’est le cas pour quelques communautés, aujourd’hui communes, comme Montesquieu, Montbarla, L’Honor-de-Cos, Puycomet, ou Montalzat. Cette dispersion de la population est un trait majeur du peuplement en Bas-Quercy. Elle a encouragé par le passé des comportements collectifs originaux qui n’étaient pas sans conséquences sur la vie sociale.

5Lorsqu’il évoque les accensements des terres au xv^e siècle, Jean Lartigaut considère que, dès cette époque-là, « le mas », le « capmas », le « mayné » ou la « borie » sont des termes difficiles à définir de manière précise2. Selon lui, le mas ou le masage du Quercy rassemble quelques maisons autour d’un patus3, d’une fontaine ou d’un four communs qui contribuent, peu ou prou, à organiser la vie collective. Le compoix de la communauté de Cayriech, rédigé en 1620, illustre la configuration de ces masages quercinois. L’un d’eux celui d’El Rasclet, agglomère les maison, patus et jardin de Pierre Laporte, confrontant avec la maison de Pierre Lonjou Gelé, et avec la maison, la grange, le patus et le pré d’Antoinette de Quercy.

6Le cadastre de la communauté de Mouillac4 permet d’analyser la dispersion de l’habitat dans une zone de défrichement qui résulte d’un accensement5 du xv^e siècle. Il n’y a pas de véritable agglomération villageoise regroupée, mais plusieurs « villages » ou masages qui sont disséminés dans la zone défrichée. Les 4 principaux sont Cavalié, Pérrufe, Pech-de-Fourques et Tarau. Dans la description détaillée du masage de Cavalié, on peut retrouver l’emplacement d’un patus commun qui est au centre des 4 maisons. Voici la présentation qui en est faite dans le cadastre de la communauté réalisé en 1786 : « Antoine Cavalié-Couyet tient maison, granges, étables, patus, jardin, enclos et terre à Cavaliè, confronte du Levant, patus commun de Cavaliès... Guillaume Rouqual, laboureur du masage de Cavalié, tient maison, grange, étable, patus, jardin et terre au masage de Cavalié, confrontant du levant au septentrion avec chemin de service... et... du couchant au midi et de septentrion au couchant, avec patus commun de Cavalié... Jacques Fourés, tisserand, du mazage de Cavalié tient maison, grange, jardin, patus et terre joignant au mazage de Cavalié, confronte du levant au septentrion, maison et terre de Jean Loupiac, couchant et septentrion, patus commun... Jean Loupiac, laboureur habitant du mazage de Cavalié tient maison, grange, étable et terre au terroir de Cavalié de couchant au midi chemin de Cavalié à Caylus et du septentrion au couchant avec chemin du dit mazage de Cavalié... Plus tient grange et jardin au mazage de Cavalié du levant et midi en pointe... avec patus commun... »

7Ainsi 4 maisons avec leurs dépendances regroupent 4 familles qui semble-t-il ceinturent un patus commun qui leur avait probablement été attribué lors de l’accensement de 1476. Les caractéristiques de ce masage seraient ainsi liées à une forme d’habitat dispersé qui résulte de défrichements du Moyen Âge tardif. À n’en pas douter, il a noué, pendant des siècles, des liens étroits entre des familles qui partageaient une destinée commune, au hasard des nombreux actes de la vie courante.

Les rapports de voisinage, lors des événements de la vie familiale

8Les rapports de voisinage peuvent être analysés à partir de l’étude des minutiers. C’est à l’occasion des testaments que ces rapports apparaissent le mieux dans les documents écrits. Non pas lorsque le testateur, en bonne santé, se rend chez le notaire, ce qui représente à peine 10 % des testaments enregistrés, mais lorsque, malade et alité, il fait appel au notaire pour enregistrer ses dernières volontés, avant une mort qu’il sait imminente. Se réunissent alors autour du lit, des notables de la communauté, et surtout des voisins assemblés pour la circonstance. En vertu d’une tradition solidement établie, en Quercy, les témoins d’un testament doivent, en principe, être au nombre de sept, car ils sont sensés transmettre la déclaration orale du testateur faite devant eux6.

9En réalité, le nombre de témoins varie sensiblement. Dans une série de 45 testaments relevés par le notaire Bergonhon de Cayriech, entre 1650 et 1653, tous en ont au moins 5 qui sont nommément cités ; 27 en ont 7 et quelques-uns 8. Dans une autre série de 61 testaments relevés entre 1734 et 1748, leur nombre diminue. La grande majorité a plus de 5 témoins, mais rarement 7, et plusieurs en sont réduits à 2. La situation est différente selon que le testateur se trouve dans le village et les masages alentours, ou bien dans un masage éloigné. Elle varie aussi en fonction de son statut social. Lorsqu’il s’agit d’un laboureur, le nombre des témoins est toujours supérieur à 5, mais s’il s’agit d’un travailleur de terre, il est très inférieur... Lorsque se cumule l’éloignement et la modestie du testateur, le notaire peut rencontrer des difficultés pour trouver des témoins. Cela s’est produit, le 3 avril 1744, lorsque Anne de Laporte, épouse d’un brassier, François Ratier, a fait son testament au masage de Fargues, un masage relativement excentré par rapport à la communauté de Cayriech. L’acte se termine par la mention dépitée du tabellion : « Et moy qui n’ay peu trouver d’autres témoins, quelques perquisitions qui aient été faites, à cause de l’éloignement des lieux ». Cette remarque atteste, néanmoins, de l’importance qu’il accorde à la présence de ces témoins au moment des testaments. Cette présence constitue le prélude des traditions rituelles au cours desquelles les voisins accompagnent et assistent les familles proches lorsqu’un décès les touche.

10Ces traditions de sociabilité rurale se retrouvent aussi à l’occasion d’événements familiaux plus réjouissants, comme c’est le cas, lors des contrats de mariages passés devant notaire. Le nombre des témoins cités, parmi lesquels figurent des parents proches, est extrêmement variable. Dans les familles aisées, outre le père, le frère aîné ou les oncles, de nombreux notables, des amis, des voisins apposent leur paraphe à la fin de l’acte. Dans ces circonstances, c’est la signature des notables, souvent de proches voisins, qui importe le plus, afin d’authentifier le contrat. Parmi les témoins cités peuvent apparaître des praticiens7. Comme le constate Françoise Auricoste en Quercy8, ces auxiliaires de justice ont joué, dès le Moyen Âge, un rôle déterminant dans l’application du droit écrit dans la mesure où la plupart des contractants se faisaient assister d’un praticien, dès qu’il s’agissait de faire rédiger un contrat par un tabellion. Avec les progrès de l’alphabétisation, de toute évidence, la délégation de la signature est reconnue à des notables de la communauté qui accompagnent leurs parents, leurs voisins ou leurs amis chez le notaire. Prescrit par les règles du droit, cet usage encourage les relations entre les diverses maisons.

11Cela se vérifie à Cayriech, si l’on considère tous les contrats de mariages des habitants du hameau de Labat, entre 1733 et 1779. 8 contrats ont lieu et les signatures des 3 plus gros propriétaires apparaissent plusieurs fois : celles de Jacques Valette et de Jacques Laporte, 4 fois, celle de Roland Penche, 3 fois. Ces laboureurs assistent bien évidemment leurs valets et leurs servantes au moment du contrat, ce qui constitue une sorte de prolongement de la tutelle patriarcale qui s’étend ainsi à l’ensemble de la « parentèle » et du « voisinage ».

12Ce patronage exercé par des notables apparaît de façon exemplaire, lors d’une assemblée des habitants de la communauté de La Bastide-Nantel, en Rouergue, le 16 avril 1781. Dans cette annexe de Castanet, au village de la Borie, les présents « faisant la meilleure et plus saine partie des habitants », exigent du prieur qu’il fasse « rebâtir une église sur le patus commun du dit village de La Borie ainsy que le cimetière avec un presbitère ». Assistent à l’assemblée un consul de la communauté, vivant avec 11 autres habitants, au village de La Borie. Participent encore 6 habitants du village de La Noalhie, 4 de celui de La Grimaudie, 4 autres des Teillols, 3 du village del Puech des Besses. Pierre Noailles, un avocat en Parlement, juge de La Bastide, est désigné comme syndic de la communauté. Sa signature est suivie de celles de Pierre Noailles du village de La Grimaudie ; de François Masbon de La Noalhie, de Jean-Pierre Marre de La Borie, de Jean Court des Teillols, d’Antoine Noailles del Puech des Besses et de Pierre Laubiés du moulin de Court. Ainsi, tous les « villages » c’est-à-dire les hameaux sont représentés parmi les signataires.

13Chargés de représenter chaque village, les notables instruits exercent ici, le rôle de porte-parole de tous leurs voisins. Seuls à signer, ils témoignent aussi du retard de l’alphabétisation dans ces contrées.

L’habitat dispersé a contribué à retarder l’alphabétisation

14Les sondages d’alphabétisation réalisés tant dans les registres paroissiaux que notariés témoignent du retard des communautés dont l’habitat est le plus dispersé. C’est le cas à Montalzat où ont été dépouillés les registres de deux notaires, Batut et Aboulenc, pour relever les signatures des contrats de mariage, entre 1776 et 1785. Sur les 128 contrats qui ont été trouvés, seulement 23 ont été signés, soit moins de 18 %. Pourtant cette communauté entretient un régent de longue date et ce régent signe souvent chez les notaires, à la veille de la Révolution. Un faible pourcentage de signatures peut être relevé chez un notaire de Cazes-Mondenard9, Lamanhenie, dont les registres n’en comportent que 19 pour 112 contrats, soit moins de 17 %. Quant aux contrats retrouvés dans les minutiers du tabellion de Tréjouls, Delcros, seuls 3 futurs époux les ont signés sur les 48 qu’il a enregistrés. Ces notaires qui assurent les contrats de mariages pour de nombreuses paroisses dispersées dans les coteaux du Bas-Quercy, reflètent certainement un niveau d’alphabétisation caractéristique de ces terroirs. Ce niveau se trouve d’ailleurs assez comparable à celui des coteaux situés au sud de la vallée de l’Aveyron, à Puygaillard, Vaïssac ou Génebrières.

15Le facteur essentiel qui semble déterminant pour expliquer ces faibles niveaux d’alphabétisation, c’est l’opposition qui existe entre l’habitat dispersé que l’on rencontre dans les collines molassiques du Bas-Quercy et l’habitat beaucoup plus groupé des terroirs caussenards. La dispersion des fermes parfois réunies en petits hameaux, et le plus souvent isolées, a été soulignée dans les Pays de Serres où les terreforts sont beaucoup moins fertiles que les riches terres à blé du Causse. À cette dispersion des fermes, s’ajoutent les difficultés de circulation en hiver, en raison de l’absence ou du mauvais entretien des voies de communications. Le chemin de Molières à Lauzerte est ainsi décrit, en septembre 1779, au cours d’une délibération consulaire de la communauté de Labarthe : « À cause de sa deffectuozité, on ny sçauroit passer l’hiver et à peine on peut s’en servir dans la belle saison à cause du deffaut des ponts et d’entretien soit des fossés et du gravelage »10. Même si d’autres raisons qui tiennent aux mentalités locales justifient le retard de l’alphabétisation, il n’est pas douteux que les conditions de vie et d’isolement des populations qui habitent les coteaux du Bas-Quercy, n’encouragent pas les parents à envoyer leurs enfants à l’école.

16Des mauvaises conditions aussi défavorables à l’instruction ont été analysées ailleurs dans d’autres provinces. C’est ainsi qu’a pu être observée, en Normandie, en Bourgogne ou dans le Poitou, l’opposition entre les pays de campagne ouverte, ayant un habitat groupé et une agriculture communautaire, et les pays de bocage qui se caractérisent par un habitat très dispersé11. Cela expliquerait le bas niveau de l’alphabétisation dans le bocage normand, en pays d’Auge, alors que la campagne de Caen bénéficie d’un fort taux de scolarisation. Même constat, en Gâtine poitevine où le niveau apparaît déplorable alors que la plaine de Niort est plus alphabétisée. Les même causes produisant les même effets, il en découle, selon toute vraisemblance, que la fréquentation des écoles a été freinée dans les collines molassiques du Bas-Quercy, comme dans certains masages isolés du Causse du fait de l’éparpillement des fermes dont les chemins d’accès sont impraticables pendant l’hiver, au temps de la « saison d’école ».

Des solidarités actives entre voisins pour la défense d’intérêts communs

17Nul doute que les révoltes des croquants au temps de la contestation de la fiscalité royale, au xvii^e siècle, ont mobilisé dans le Quercy, des paysans prompts à défendre vaillamment leurs intérêts. Partis de leurs masages ou de leurs villages armés de fourches ou de faux, ils se sont regroupés par milliers, dans les villes et n’ont pas hésité à affronter les troupes royales pour dénoncer les excès de l’administration étatique ou les abus des collecteurs d’impôts12. Sévèrement réprimées, ces révoltes ont pris fin, avec le soulèvement des Tard Avisés, en 1707.

18Les contestations n’en finissent pas pour autant : que les redevances seigneuriales ou le montant des dîmes s’alourdissent, aussitôt, les paysans solidaires face à des appétits jugés excessifs, constituent des syndicats afin de protester auprès des différents degrés de justice. Il est coutumier que les contestataires se rassemblent dans le cadre de la communauté d’habitants ou de la paroisse, comme le constate Jean Rives dans le diocèse d’Auch où les syndics de communautés sont chargés de défendre les intérêts des habitants13. La constitution de tels syndicats est souvent différente en Quercy où les coalitions peuvent s’organiser, en marge des communautés, par la désignation de syndics chargés de préserver les intérêts des « bien-tenants » d’une paroisse comme cela a été évoqué ci-dessus dans le cas de Labastide-Nantel. Les paysans assistent, en grand nombre, à ces assemblées et ils démontrent, pour l’occasion, leur détermination à s’insurger face à ce qu’ils considèrent comme des injustices.

19Ces actes commencent tous par une longue citation des présents. La mobilisation des laboureurs et des travailleurs de terre est massivement attestée dans deux paroisses de quelques centaines d’habitants à La Salle-Bournac et à Saint-Symphorien-de-Pomiès. Assemblés à Caylus, le 11 avril 1780, 98 personnes – surtout des paysans – prennent part à la délibération devant le notaire Bouchié14. Ils contestent la dîme du millet15, exigée par le syndic de la Chartreuse de Cahors et décident de récuser l’arrêt rendu par le Sénéchal de Cahors en 1779, en faisant appel devant le Parlement de Toulouse. Choisissant au sein de leur assemblée, des syndics chargés de les représenter, ils désignent un laboureur, Pierre Poussou Saillac, de Poussou paroisse de La Salle et un tailleur d’habits, Pierre Cavalié Soulié cadet, habitant de Cavaillés Basses, paroisse de Saint-Symphorien.

20La présence des paysans est relevée avec précision par le notaire qui indique leur nom, leur prénom, parfois leur sobriquet, et notamment le lieu-dit où ils résident dans chacune des deux paroisses. L’on se rend compte, alors, que les paysans viennent de la plupart des masages, disséminés dans les campagnes autour de chacune des deux églises16. Regroupés en fonction de leurs lieux de vie, ces paysans n’ont pas hésité à venir témoigner leur solidarité à l’égard de leurs compagnons qu’ils considèrent comme injustement frappés.

21Cette solidarité paysanne se manifeste aussi à l’encontre des exigences seigneuriales. À Promilhanes, le cardinal de Zélada, à la fois décimateur de la paroisse et seigneur de la communauté, revendique un droit de fouage qui soulève la colère des habitants. Le 2 février 1782, une nombreuse assemblée de 104 personnes, essentiellement des paysans, se réunit pour désigner deux laboureurs comme syndics, à charge pour eux de transiger ou de consulter des avocats afin de leur faire examiner les pièces du dossier17. À Saint-Avit, en mars 1780, les habitants, laboureurs ou notables, réunis en assemblée délibèrent pour s’insurger contre la décision prise par le seigneur de Haut-Castel, Henri d’Escudier de Boisse, de confier la réfection du cadastre à un feudiste, aux frais de la communauté. Ils le soupçonnent de vouloir considérer des « biens comme nobles », afin de les soustraire à la taille royale et ils décident de désigner un syndic pour saisir la justice18. Les exemples de cette solidarité paysanne expriment la montée de la colère paysanne face à l’alourdissement des prélèvements décidés dans les années 1770 et 1780. Lors des discussions entre voisins, autour du feu à la veillée, nul doute que cette colère s’est amplifiée, au cœur des masages, là où s’expriment les ressentiments les plus spontanés, là où s’enracine l’exaspération la plus viscérale...

22Sans doute faut-il distinguer entre deux types d’habitats dispersés. L’un se traduit par une dispersion des masages ou des bordes, en particulier dans les pays de serres et dans les coteaux situés entre Molières et Montauban. Là, les mentalités ont évolué moins vite ; l’alphabétisation et la francisation ont moins progressé. L’autre type d’habitat comme à Cayriech ou dans la plupart des communautés du causse apparaît moins disséminé, sans doute parce que leur agriculture céréalière est beaucoup plus prospère ; les masages regroupent de nombreuses familles et les villages correspondent à des zones de défrichement communs à plusieurs tenanciers où les niveaux d’alphabétisation sont plus élevés et où la francisation a semble-t-il progressé plus vite.

23Quel que soit son éparpillement, l’habitat dispersé n’a en rien empêché le dynamisme des relations collectives. D’abord, relations de voisinage pour les actes de la vie courante (testaments, mariages, actes de ventes, quittances, etc.), qui peuvent concrètement se retrouver dans les minutiers des notaires ; relations communautaires ou paroissiales ensuite ; défense des intérêts communs, enfin. La solidarité paysanne a beaucoup évolué entre le xvi^e et la fin du xviii^e siècle. Elle est passée d’une solidarité prompte à la révolte à une solidarité plus déterminée à faire évoluer le droit et à se défendre sur le terrain juridique... Même si la dispersion de l’habitat a pu freiner l’adhésion à une culture nouvelle, telle qu’elle s’est exprimée pendant la Révolution, grâce à l’alphabétisation, au progrès de la francisation, le monde paysan est devenu plus autonome, plus capable de faire valoir ses droits19.